Cantique
Précédente Accueil Remonter
Bibliothèque

Accueil
Remonter
Dédicace
Historique
Instruction
Epistola
De Psalmis
S. Hieronymi
Liber Psalmorum
Cantica
Supplenda
Liber Proverbiorum
Liber Ecclesiastes
Canticum Canticorum
Cantique

 

 

CANTIQUE DES CANTIQUES

TRADUCTION FRANÇAISE AVEC EXPLICATION.

 

PRÉFACE.

 

I. L'union de Jésus-Christ avec l'Eglise et avec les saintes âmes, représentée sous la figure et le mystère de l’amour conjugal.

 

L'union ineffable du Verbe éternel ou de la Sagesse divine avec l'Eglise et avec les grandes âmes qui en sont la plus belle portion, le saint amour qui les enflamme, sont marqués dans l'Ecriture avec des caractères qui font aimer et admirer ce mystère. En effet le Verbe s'est revêtu de notre nature, étant attiré sur la terre par la force de cet amour; et il s'est uni si étroitement aux âmes élevées, qu'elles sont un même esprit avec lui, selon le témoignage de saint Paul (1). Aussi l'Eglise et les saintes âmes à qui le Verbe se communique, s'attachent à lui avec un amour et une fidélité qui leur donnent lieu de dire ces paroles du même apôtre : « Jésus-Christ est ma vie (2); » et celles-ci de David : « Pour moi, mon bien est d'être uni à Dieu (3); » et encore : « Mon cœur et ma chair tressaillent de joie pour le Dieu vivant (4), » et tant d'autres.

C'est cet amour que Salomon décrit dans le Cantique, où il en exprime les transports avec une variété et une élégance admirable : Salomon, qui a bâti ce temple, figure de la vraie Eglise, et qui porte lui-même le caractère de Jésus-Christ dans son nom de Pacifique et parce que Dieu dit de lui : « Je lui servirai de père, et il me tiendra lieu de fils (5). » Il nous donne ici une vive image de l'union de Jésus-Christ et de l'Eglise dans l'amour conjugal,

 

1 I Cor., VI, 17. — 2 Philipp., I, 21.— 3 Ps. LXII, 28.— 4 Ibid., LXXXIII, 3. — 5 II Reg., VII, 14.

 

 

610

 

cet amour si saint et si chaste que Dieu lui-même a institué. En ce sens il avait déjà dit au livre des Proverbes : « Travaillez à acquérir la sagesse ; aimez-la, et elle vous conservera; faites effort pour atteindre jusqu'à elle, et elle vous élèvera. Elle deviendra votre gloire, lorsque vous l'aurez embrassée (1). » Ce que l'auteur du livre de la Sagesse, qui a écrit au nom de Salomon et plein de son esprit, n'a fait qu'expliquer, en disant de lui-même : « J'ai aimé la sagesse et je l'ai recherchée dès ma jeunesse, et j'ai tâché de l'avoir pour épouse, car je suis devenu l'amateur de sa beauté (2). »

Cette figure est répandue dans tous les Livres sacrés, où aucune chose ne se rencontre si souvent que l'alliance éternelle de Dieu avec l'Eglise, l'amour très-ardent et la fidélité inviolable qui l'accompagnent, représentés sous l'image d'un époux et d'une épouse. C'est pourquoi tous les prophètes voulant exprimer l'infidélité d'une âme abandonnée à l'idolâtrie, traitent ce crime d'un adultère et d'une infâme prostitution. Ezéchiel est celui de tous qui a poussé ce reproche avec plus de force et plus d'étendue (3), et Osée en épousant même une femme de mauvaise vie (4). Cette comparaison a passé dans le Nouveau Testament. Saint Jean dit : « L'Epoux (qui est Jésus-Christ) est celui qui a l'Epouse (c'est-à-dire l'Eglise) (5);» et dans l’Apocalypse l'Eglise paraît comme une épouse très-digne de Jésus-Christ, son époux, par ses parures, par son amour, par sa fidélité. On y célèbre les noces de l'Agneau; « l'Esprit et l'Epouse lui disent : Venez (6); » c'est enfin le même langage et les mêmes manières dont l'Epoux et l'Epouse se servent en ce Cantique. Mais saint Paul reprend cette image de plus haut : car il enseigne que, dès le commencement, Dieu a institué le mariage entre le mari et la femme, afin qu'il fût «un grand sacrement en Jésus-Christ et en l'Eglise (7). » Il propose, dans l'union des corps, le modèle de l'union de l'âme avec Dieu ou avec le Verbe et la Sagesse éternelle : « Nous sommes les membres de son corps, dit l'Apôtre, formés de sa chair et de ses os. C'est pourquoi l'homme abandonnera son père et sa mère pour s'attacher à sa femme, et ils seront deux dans une même chair (8). » Et encore, écrivant aux Corinthiens : « Celui qui se joint à une prostituée est un même corps avec elle; car ils seront deux dans une même chair, dit l'Ecriture; mais celui qui est attaché au Seigneur, est un même esprit avec lui (9). »

Quiconque méditera ces paroles avec attention, en éloignant de l'ouvrage

 

1 Prov., IV, 5, 6, 8.— 2 Sap., VIII, 2. — 3 Ezech., XVI,XXIII. — 4 Ose., 1, 2, 3. — 5 Joan., III, 29. — 6 Apoc., XXII, 17. — 7 Ephes, V, 32.— 8 Ibid., 30, 31.— 9 I Cor., VI, 10, 17.

 

611

 

de Dieu, qui est saint et chaste, la tache honteuse de la concupiscence dont le péché est la cause, il comprendra aisément que Salomon a eu raison de représenter les chastes amours de l'Eglise et des âmes fidèles par l'amour et la société conjugale. Mais cet aimable Epoux de l'Eglise, dont la beauté surpasse toutes les beautés humaines, s'est fait désirer pendant plusieurs siècles; et il ne s'est enfin livré à son Epouse, qu'après avoir été demandé par des vœux continuels. Et à peine est-il venu à nous, à peine le Verbe s'est-il fait chair, qu'il est aussitôt retourné vers son Père, d'où il reviendra pour nous élèvera lui; de sorte que, sous divers regards, l'Eglise l'a possédé et l'attend encore. La même chose arrive tous les jours aux âmes fidèles : Jésus-Christ s'en va et revient à elles par des retours ineffables; et certaines âmes, élevées au plus haut degré de la contemplation, semblent en quelque sorte posséder le Verbe comme leur véritable époux. C'est donc ces vœux et ces soupirs, cette langueur d'une âme qui attend le repos et la joie de celle qui jouit, que le Saint-Esprit veut nous faire comprendre, en nous proposant en ce livre les transports incroyables de l'amour humain, afin que nous y voyions tous les degrés par où on s'avance vers Jésus-Christ dans la vie spirituelle. Aussi les saintes âmes ont-elles toujours senti des délices ineffables dans la lecture de ce Cantique, y goûtant la douceur et l'abondance des joies du Seigneur.

 

II. Les chastes amours de Salomon et de la fille de Pharaon pris du psaume XLIV pour expliquer ce mystère : la différence de ce psaume d'avec le Cantique.

 

Salomon se propose donc lui-même comme un modèle avec ses chastes amours pour la fille de Pharaon, son épouse; et dans une histoire véritable, faisant entrer les mouvements qui conviennent à un amour très-ardent, il se sert de cette agréable fiction pour mieux exprimer des amours même célestes et l'union de Jésus-Christ avec l'Eglise. Ce qui fait dire à saint Bernard dans son sermon sur le Cantique : « Le roi Salomon, sage, pacifique, comblé d'honneurs et de biens, inspiré de Dieu, a chanté la gloire de Jésus-Christ et de l'Eglise, et le mystère de leur alliance éternelle. L'esprit enivré d'une sainte joie, il a composé leur épithalame d'un style délicieux et toutefois figuré, se couvrant la tête d'un voile comme Moyse, parce qu'alors peu d'aines étaient capables de contempler cette gloire à

 

612

 

découvert (1). » Paroles où ce saint peint Salomon dans sa majesté, représentant Jésus-Christ, et où il nous explique toute la conduite de ce poème.

L'auteur du psaume XLIV a tracé par avance le dessein de cet aimable Cantique, lorsqu'étant inspiré de Dieu, il a poussé de son cœur cette excellente parole, où, à l'occasion du mariage de Salomon, dont il fait l'épithalame, il chante sous la même figure les noces de Jésus-Christ et de l'Eglise. Il  y a toutefois cette différence, que le Prophète décrit des actions héroïques, des combats et des victoires, au lieu que Salomon inspire la force et la tendresse du saint amour dans son Eglogue pastorale. Mais de peur qu'il ne parût indigne d'un roi de descendre à des sentiments et à des expressions d'amour, quittant le trône pour un peu de temps, il se déguise en pasteur et la fille de Pharaon en bergère. Sous ce personnage il joue sa divine pièce, qui devait être d'autant plus agréable à son peuple qu'elle lui représente l'innocence et le travail continuel de la vie pastorale, que dès le commencement du monde tous les gens de bien et les patriarches mêmes avoient préféré à tout autre emploi. Ainsi la majesté royale n'en est point avilie, les rois mêmes étant souvent appelés pasteurs dans l'Ecriture (2), et David ayant été tiré de ses troupeaux pour conduire le peuple de Dieu. Il était aussi convenable à son dessein qu'il descendit du trône pour faire le personnage d'un amant, afin de nous rendre sensible l'amour immense du Fils de Dieu, qui du sein de son Père nous l'a amené sur la terre. Enfin ce n'est pas sans mystère que son épouse est égyptienne, puisque Jésus-Christ devait épouser une étrangère, en assemblant son Eglise entre les gentils, étrangers de la foi. Ce que le Prophète avait déjà marqué dans ces paroles : « Ecoutez, ma fille, et soyez attentive : oubliez votre peuple et la maison de votre père, et le roi aura de l'amour pour votre beauté (3). » Tel est le dessein de Salomon dans son Cantique.

 

III. Le festin nuptial durait sept jours; de là se doit prendre l’économie de ce poème et de cette églogue : quels en sont les personnages.

 

Mais ayant à imiter les anciennes mœurs par une églogue pastorale, pour entrer davantage dans cet esprit, il partage son épithalame en sept jours; car ce n'est pas sans dessein que cette action se joue dans l'espace de plusieurs jours et de plusieurs nuits consécutives. En effet pourquoi recommander

 

1 S. Bern., Serm. I in Cant. — 2 Ps. LXXVII, 70, 71.— 3 Ps. XLIV, 111 12.

 

613

 

jusqu'à deux fois : « Gardez-vous d'éveiller ma bien-aimée (1) ; » et pourquoi répéter avec le même soin : « En attendant que le jour vienne et que les ombres se dissipent (2), » si ce n'est pour marquer distinctement plusieurs jours et plusieurs nuits qui se suivent? Pourquoi encore l'Epoux se fait-il chercher par l'Epouse jusqu'à deux fois pendant la nuit; et pourquoi l'Epouse tombe-t-elle entre les mains des gardes aussi deux fois distinguées par des circonstances très-différentes (3) ? Est-ce sans raison ? L'Epouse dort-elle ou veille-t-elle sans aucune règle? Qui le croirait d'un poème si élégant et conduit avec tant d'art ? Il est donc clair qu'en ces endroits Salomon veut nous marquer par les nuits la distinction des journées, et nous en faire chercher les commencements, quoiqu'ils semblent plus cachés : l'art et la variété d'un si bel ouvrage ne souffrent point que tout y soit raconté d'une même suite.

Mais pourquoi avons-nous réduit à sept jours cette succession de sommeil et de veille, de nuits et de jours ? La raison en est facile. C'était une coutume des anciens Hébreux de célébrer les noces pendant sept jours. C'est pourquoi Laban disait à Jacob, pour le consoler dans sa douleur de ce qu'on lui avait supposé Lia au lieu de Rachel : « Accomplissez les sept jours de ce mariage, et après je vous donnerai encore celle-ci (4). » Dès la naissance du monde, depuis que Dieu eut sanctifié le septième jour par son repos, le nombre de sept jours a été mystérieux dans la plupart des peuples, surtout entre les patriarches et leurs descendants. De là l'usage s'est répandu dans la nation, de célébrer presque toutes les fêtes dans l'espace de sept jours ; le deuil était de sept jours, les réjouissances à peu près de même, et principalement les noces. Lorsque Samson épousa une Philistine, il employa sept jours à faire ses noces, et il n'en termina la fête qu'au septième (5). Raguel voyant le jeune Tobie résolu à partir aussitôt après son mariage, il le conjura de demeurer quinze jours dans sa famille (6), sept jours pour ses noces et encore sept jours pour les derniers adieux, parce qu'il n'espérait plus de le revoir. Cette tradition est certaine parmi les Juifs : elle est rapportée surtout par le rabbin Eliézer (7), dans les Sentences des Pères ; et ce peuple y est tellement attaché, qu'ils enseignent communément qu'un même homme épousant plusieurs femmes à la fois, doit faire à chacune un festin de sept jours, et passer autant de semaines en danses et en jeux avec les jeunes gens de son âge (8). Suivant cet usage, Salomon a partagé le cantique de ses noces en sept jours, dont nous

 

1 Cant., II, 7; III, 5. — 2 Ibid., II, 17; IV, 6. — 3 Ibid., III, 1, 2, 3; V, 2, 6, 7. — 4 Gen., XXIX, 27.— 5 Jud., XIV, 12, 15, 17. — 6 Tob., VIII, 23. — 7 Pirce Abot., cap. XVI, 16.— 8 Seld., Uxor. heb. lib. II, cap. XIII.

 

614

 

ferons voir la distinction par des marques certaines autant qu'il se pourra, et où nous découvrirons l'avancement des âmes à la perfection.

Mais pour animer cet ouvrage et pour l'orner d'une agréable variété, Salomon en a fait un poème dramatique dont voici les acteurs. L'Epoux, c'est Salomon lui-même et Jésus-Christ caché sous sa personne. L'Epouse représente l'Eglise et les âmes élevées. Les jeunes filles, compagnes de l'Epouse, sont les âmes encore faibles qui commencent à s'attacher par amour à l'Epoux et à l'Epouse. Ce que Salomon a pris aussi du psaume XLIV, où il est dit en son nom : « La reine s'est tenue à votre droite ; » et encore : « On amènera au roi des vierges qui la suivront : on vous les amènera avec joie et allégresse; on les fera entrer dans le temple du roi (1) » conformément aux mœurs des Hébreux qui donnaient aux nouveaux mariés de jeunes hommes et de jeunes filles pour les accompagner. Ainsi nous lisons dans l'histoire de Samson et de Dalila que trente jeunes hommes furent choisis pour lui faire compagnie (2). Les nouvelles mariées avoient aussi pour compagnes de jeunes filles de leur âge : telles que sont les dix vierges de l'Evangile, où nous avons encore l'ami de l'Epoux, et les enfants de l'Epoux , c'est-à-dire les compagnons de ses noces (3). Il y a dans Théocrite une éloquente idylle sur le mariage de Ménélas et d'Hélène, où l'on voit que les Grecs avoient reçu ces anciennes mœurs (4). De jeunes filles de même âge paraissent d'abord; et douze d'entre elles de famille très-noble, la gloire de Lacédémone, sont choisies pour chanter le cantique nuptial sur le soir autour du lit des époux, et pour commencer la danse. Ce qui sans doute nous rappelle les compagnes de l'Epouse que Salomon a marquées tant de fois. Ainsi il entre en ce poème sacré, l'Epoux, l'Epouse et la troupe de ses compagnes ou de quelques autres jeunes filles de Jérusalem et de la campagne; car les chœurs changent quelquefois, n'étant pas toujours composés des mêmes personnes ; et il y a enfin des personnages muets, qui sont les amis de l'Epoux.

 

IV. Qui sont ceux qui peuvent lire ce Cantique, et dans quel esprit il faut le lire ; quels en sont tes interprètes.

 

Quiconque veut entrer dans l'intelligence de ce Cantique doit, en suivant le dessein de Salomon, rapporter au saint amour les chastes transports de

 

1 Ps. XLIV, 10, 15, 16.— 2 Jud., XIV, 11.— 3 Matth., XXV, 1; Joan., III, 29; Matth., IX, 15.—  4 Theoc, Epith. Hel., idyl. 18.

 

615

 

l'Epoux et de l'Epouse, et comprendre à la fois toute la nature de l'amour céleste et de l'amour humain ; car la comparaison de ces deux amours en est le dénouement : où il y a sujet de craindre que les sens se laissant aller aux attraits, quoique passagers, de l'amour terrestre, ne détournent l'esprit de la contemplation divine. C'est pourquoi, selon la remarque d'Origène et de saint Jérôme, la lecture du Cantique était interdite aux jeunes gens trop enclins aux plaisirs (1). Loin d'ici donc ceux qui n'ont de goût que pour les choses de la terre, et ces hommes charnels qui n'ont point l'esprit de Dieu ! Approchez-vous, âmes pudiques, puisque, enflammées du saint amour, vous ne vivez plus qu'en union avec Dieu, qui est l'amour même. Que ceux aussi qui l'expliquent soient eux-mêmes de saints et de chastes interprètes, éloignés de toute pensée terrestre, passant légèrement sur les sentiments de l'amour humain, pour exciter dans les cœurs le goût de l'amour céleste. Semblables aux chevreuils et aux cerfs du Cantique, ils doivent à peine toucher la terre, afin de s'élever à l'instant au-dessus des sens pour se perdre dans le sein de Dieu.

Tels ont été les interprètes de ce livre que Jésus-Christ a donnés à l'Eglise. Origène en est le chef; et saint Jérôme, qui a fidèlement traduit son Commentaire sur le Cantique, dit de lui avec raison : « Origène ayant surpassé tous les interprètes dans tous les livres de l'Ecriture, s'est surpassé lui-même dans l'interprétation du Cantique (2).» Philon de Carpathe, évoque du IVe siècle, vient après ; et saint Bernard a suivi principalement leurs interprétations, ayant lui-même l'onction céleste qui lui enseignait toutes choses. Ce sont aussi ceux auxquels nous nous sommes le plus attachés, quoique nous n'ayons pas négligé Théodoret ni saint Grégoire-le-Grand, Aponius, le vénérable Bède, saint Thomas d'Aquin qui s'accorde en tout avec eux ; ni entre les modernes Gaspard Sanctius, théologien de la Compagnie de Jésus; Libert Fromont, docteur de Louvain ; ni le Père Louis de Léon, augustin, professeur d'Ecriture sainte dans l'université de Salamanque, qui en notre siècle a expliqué le Cantique avec autant de piété et d'élégance que d'érudition. Enfin nous n'avons pas oublié les remarques de saint Ambroise où, sur des endroits choisis de ce livre, il inspire la tendresse et l'onction de la piété. Après avoir une fois nommé ces auteurs, il serait inutile de les nommer partout; et nous nous réservons la liberté d'ajouter à leurs interprétations ce qui sera nécessaire pour pénétrer dans la profondeur de ce livre divin. C'est

 

1 Orig., Proleg. utriusque operis in Cant.; Hier., Prœf. in libr. I Comment, in Ezech.,et passim; Jud. Epist. XIX. — 2 Hier., Praef. in Orig. Cant.

 

616

 

un ouvrage vraiment délicieux, jonché de Heurs, abondant en fruits, orné de toutes sortes de très-belles plantes ; où règne un beau printemps avec des campagnes fertiles, des jardins verts, arrosés d'eaux, de sources et de fontaines ; des parfums naturels et de composés. On y voit de belles colombes ; on y entend le doux murmure des tourterelles ; il y a abondance de lait, de miel et de vins exquis : la beauté jointe à la pudeur éclate dans les deux sexes; leurs baisers sont saints, leurs embrassements innocents, leurs amours tendres et chastes ; si les rochers, les montagnes et les cavernes des lions y paraissent affreuses, c'est pour faire un tableau plus agréable, eu mêlant cette variété parmi tant de beautés. Mais pourquoi recueillir en un seul livre tant de belles choses, si ce n'est afin qu'étant touché de leur beauté, nous comprenions combien est encore plus beau celui qui en est l'auteur, et que dès cette vie nous commencions le cantique de l'amour divin dont la force et la beauté consiste, dit saint Grégoire, en ce que ceux qui ont à parler du corps sortent hors du corps, et que par des discours de l'amour humain ils apprennent combien ils doivent être embrasés du saint amour (1) ? Il ne faut donc pas craindre de parler de l'amour humain, mais il faut promptement passer ù l'amour céleste, de peur que ce qui doit servir à élever l'esprit ne l'abatte au contraire et ne l'accable.

Après ce discours nous allons entreprendre notre ouvrage, espérant que ceux qui le liront en tireront ce fruit, que quand ils verront les inquiétudes d'un amour qui ne peut être satisfait, ou qu'eux-mêmes ils en sentiront quelques étincelles, ils reconnussent que des transports si véhéments ne peuvent s'arrêter à la créature ni aux choses passagères, mais qu'ils doivent s'élever au seul souverain bien et ù la seule véritable beauté. Que Jésus-Christ lui-même brûle nos cœurs du feu de cet amour, pour bien entendre le poème qui en exprime toute la force; et qu'il nous fasse la grâce de suivre l'Epoux et l'Epouse avec des cantiques de réjouissance, nos lampes ardentes à la main, afin que nous méritions d'entrer au festin de leurs noces Amen, amen.

 

1 Prœf. in Cant.

 

 


LE CANTIQUE DES CANTIQUES DE SALOMON.

 

CHAPITRE PREMIER.

 

Le baiser de la bouche; l'amour de l'Epoux, ses parfums, ses attraits, ses cabinets; l'Epouse est noire, mais belle; ses parures, sa beauté; le lit, les solives et les lambris.

 

PREMIER JOUR.

 

L'EPOUSE.

 

1.  Qu'il me baise d'un baiser de sa bouche : car (hébr.) votre amour vaut mieux que le vin (1).

2.   (hébr.) Vos parfums sont de bonne odeur : votre nom est un parfum répandu (2) : c'est pourquoi les filles vous aiment.

3.  Tirez-moi : nous courrons après vous, à l'odeur de vos parfums (3). Le roi m'a conduite dans ses cabinets : nous nous y réjouirons à cause de vous, nous souvenant (hébr.) de votre amour qui vaut mieux que le vin (4). Ceux qui sont droits vous aiment.

4.  O filles de Jérusalem, je suis noire, mais je suis belle, comme les tentes de Cédar, comme les pavillons de Salomon.

5. Ne prenez pas garde si je suis noire; c'est le soleil qui m'a gâté le teint. Les enfants de ma mère se sont élevés contre moi : ils m'ont fait garder les vignes; je n'ai point gardé la mienne.

6. Dites-moi, mon bien-aimé, où vous paissez vos troupeaux, où vous les faites reposer à midi : de peur que je ne m'égare parmi les troupeaux de vos compagnons.

 

1 Vulg. : « Vos mamelles sont meilleures.....» — 2 Vulg. : «Votre odeur surpasse les parfums exquis. » — 3 « A l'odeur de vos parfums » n'est pas dans l'hébreu. — 4 Vulg. : De vos mamelles meilleures que le vin.

 

618

 

L’EPOUX.

 

7.  Si vous l'ignorez, ô la plus belle des femmes, sortez, suivez les traces des troupeaux, et paissez vos chevreaux près des cabanes des bergers.

8.  Je vous compare, ma bien-aimée, (hébr.) à ma cavale attelée au char de Pharaon (1).

9.  Vos joues égalent la beauté des tourterelles; et votre gorge, celle des colliers les plus riches.

10. Nous vous donnerons des pendants d'or, marquetés d'argent.

 

L'EPOUSE.

 

11.  Le roi étant assis sur son lit, mon nard a répandu son odeur.

12. Mon bien-aimé est pour moi un bouquet de myrrhe; il se reposera sur mon sein.

13.  Mon bien-aimé est semblable à une grappe de troène des vignes d'Engaddi.

 

L’EPOUX.

 

14. Que vous voilà belle, ma bien-aimée, que vous voilà belle! Vous avez des yeux de colombe.

 

L'EPOUSE.

 

15.  Que vous voilà beau et agréable, mon bien-aimé!

 

16.  Notre lit est semé de fleurs; les solives de nos maisons sont de cèdre, et nos lambris de cyprès.

 

EXPLICATION.

 

Ce livre est intitulé Cantique des Cantiques, non parce qu'il est le plus long de tous les cantiques, mais parce qu'il en est le plus sublime, et non-seulement de tous ceux que Salomon a composés en grand nombre, car il a (ait jusqu'à vingt mille pièces de poésie, mais même de tous les cantiques que nous avons, puisque le très-saint mystère de l'union du Verbe incarné et de l'Eglise y est célébré, avec la charité qui ne finira jamais et qui est la plus excellente de toutes les vertus (2). Ce qui a fait dire à saint Bernard : « Ce cantique nuptial, à cause de son excellence, porte seul avec raison le titre de

 

1 Vulg. : « A mes chevaux attelés au char » (voy. la note).— 2 I Cor., XIII, 8, 13.

 

519

 

Cantique des cantiques, comme celui pour qui il est fait se nomme seul le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs (1). De Salomon, du Pacifique. Son nom répond à l'entrée de son livre, qui commence par le baiser, signe de la paix (2). »

1. Qu'il me baise d'un baiser de sa bouche. Le festin nuptial étant achevé suivant la coutume avec la prière solennelle, dont on peut voir des exemples dans la Genèse et au livre de Tobie, sur le soir l'Epouse très-chaste est conduite à l'Epoux (3), et là se doit prendre l'entrée de la semaine des noces, selon l'usage des Hébreux qui commençaient le jour au soir. Dans tout le livre, l'Epoux paraît transporté d'amour; mais sans se laisser vaincre à la mollesse, dès le grand matin il s'en va à son travail ordinaire de la vie champêtre et pastorale. Cependant l'Epouse s'éveille, et dans l'excès de son amour elle tombe en défaillance. En vain les filles, ses compagnes, cherchent à la consoler et à la faire revenir; après bien des vœux et des désirs inutiles, elle s'écrie : L'époux est toute ma consolation, lui seul est mon amour, qu'il me baise d'un baiser de sa bouche. D'un baiser : des baisers; (hébr.) de l'un de ses baisers. Je veux recevoir ses innocents baisers en confusion et sans nombre ; mais cependant il me rendra la vie par un seul baiser de cette bouche si belle, si douce et qui a tant de grâces, en faisant passer son esprit en moi, et en attirant mon âme en lui, comme font les amans (4). Car Jésus-Christ est ma vie (5), et ce n'est plus moi qui vis (6). Ainsi l'Eglise ou sa plus noble partie, les âmes élevées touchées de l'amour de Dieu et remplies de son esprit, tiennent le même langage toutes ensemble et chacune à part. La Synagogue d'abord : Qu'il vienne donc lui-même, après avoir parlé si longtemps par les Prophètes! Ensuite l'Eglise du Nouveau Testament, que nous regardons ici surtout, déjà liée et unie à son Epoux; elle lui demande de se découvrir, non plus dans un miroir, dans des figures ou par la foi, mais par la claire vue. De même les saintes âmes : Que les autres demandent ce qu'il leur plaira, pour moi je veux le saint baiser, non des pieds qui est pour les pénitentes, mais de la bouche qui appartient à l'Epouse. Elle reçoit ce baiser de la bouche de l'Epoux, lorsqu'attentive à la parole de vie qui sort de cette divine bouche, elle la recueille dessus ses lèvres et attire en elle la grâce qui y est jointe en abondance (7), s'écriant avec saint Pierre : « A qui irons-nous, Seigneur? vous avez les paroles de la vie éternelle (8). » Puis elle en est pénétrée, non par le son qu'on entend au dehors, mais dans l'intérieur par l'impression même du Saint-Esprit, qui est le baiser du Père et du Fils. Où nous voyons une âme justifiée de ses péchés, reçue dans l'alliance du Verbe, s'avancer à une vie plus parfaite et désirer Jésus-Christ avec plus d'ardeur, après l'avoir une

 

1 S. Bern., Serm. II in Cant. — 2 S. Bern., ibid. — 3 Gen., XXIX, 22, 23 ; Tob., VII, 15, 17, 19. — 4 S. Ambr., de Isaac, cap. III. — 5 Philipp., I, 2. — 6 Gal., II, 20. — 7 Ps. XLIV, 3.— 8 Joan., VI, 69.

 

620

 

fois goûté. Mais une marque de la véhémence de l'amour, est de demander d'abord le baiser sans détour, et même sans nommer l'Epoux. Ainsi était transportée Madeleine, lorsqu'elle dit à Jésus-Christ qu'elle prit pour un jardinier : « Si c'est vous qui l'avez enlevé (1)? » De là vient que le discours passe tout d'un coup d'une personne à l'autre ; l'Epouse quitte ses compagnes et, dans le transport de son amour, elle s'adresse à l'Epoux comme s'il était présent : Votre amour vaut mieux que le vin. Le mot hébreu signifie amour, et non mamelles ; et il le faut prendre en ce sens dans tout le Cantique. Toutefois les anciens interprètes ont traduit mamelles, parce qu'avec quelque petit changement le même mot hébreu peut signifier ces deux choses. Ce qui ne s'éloigne point du véritable sens, puisque les mamelles sont les délices et les tendresses de l'amour même. Par les mamelles de l'Epoux, les saints Pères entendent les deux Testaments qui inspirent l'amour de Dieu par Jésus-Christ, que l'un nous a promis et que l'autre nous a donné. Or les mamelles nous retracent l'idée d'une mère et d'une nourrice, pour apprendre au fidèle qu'il doit s'abaisser à la simplicité de l'enfance chrétienne, s'il veut s'attacher aux mamelles de Jésus-Christ et en sucer le lait. Votre amour vaut mieux que le vin : au sens de cette femme dans les Proverbes : « Venez, enivrons-nous de plaisirs (2). » L'amour de Jésus-Christ enivre et transporte l'esprit hors de lui-même, comme le dit saint Paul, « soit que nous soyons enlevés en esprit, c'est pour Dieu ; soit que nous nous rabaissions, c'est pour vous (3). » Et encore : «Gardez-vous des excès du vin, mais remplissez-vous du Saint-Esprit (4). » Ce que saint Pierre reconnaît être une ivresse dans les disciples pleins du Saint-Esprit (5).

2. Vos parfums sont de bonne odeur. C'est l'hébreu à la lettre. L'Epoux dit la même chose de l'Epouse au chapitre IV, verset 10. L'amour de Jésus-Christ a tous les attraits qui peuvent gagner les âmes : le goût qu'elles y trouvent se fait sentir comme la saveur du vin; sa force, jointe à ses délices, les transporte hors d'elles-mêmes ; et sa bonne odeur attire à Jésus-Christ celles mêmes qui semblaient s'en éloigner davantage. C'est là le vrai fruit de la grâce chrétienne, qui nous tire hors de nous-mêmes, lorsque nous sommes le plus éloignés de Dieu, pour nous enlever à lui, comme on verra dans la suite. Ainsi la prédication de l'Evangile accompagnée de la douceur de la grâce, est la bonne odeur de Jésus-Christ. Un parfum répandu : en latin oleum, une huile; mais en hébreu c'est le même mot que la Vulgate traduit parfum, au commencement de ce verset. Votre nom : le nom de Christ ou de Messie signifie l'Oint du Seigneur. Aussi, comme une huile mystérieuse, sa connaissance s'est répandue jusqu'aux extrémités de la terre par la prédication de l'Evangile ; ce qui est aussi marqué dans le Psaume : « C'est

 

1 Joan., XX, 13.— 2 Prov., VII, 18 : Inebriemur uberibus, sive amoribus.— 3 II Cor., V, 13. — 4 Eph., V, 18. — 5 Act., II, 15, 16, 17.

 

621

 

pourquoi, ô Dieu, votre Dieu vous a oint (1). » Les filles : les âmes fidèles qui mènent une vie nouvelle, animées par la ferveur de l'esprit, comme par la force d'un vin nouveau.

3. Tirez-moi : nous courrons après vous. L'Epouse désire d'être unie si intimement à l'Epoux, qu'elle soit tirée après lui partout où il aille. Et, dit-elle, vous ne me tirerez pas malgré moi ; car à la douce odeur de vos parfums, mes compagnes et moi nous vous suivrons agréablement et en courant. Tirez-moi, vous qui avez dit : « Je tirerai tout à moi (2) ; » et encore : « Nul ne peut venir à moi, si mon Père qui m'a envoyé ne le tire (3). » A l'odeur de vos parfums, n'est pas dans l'hébreu ; mais on l'a repris de ce qui précède, par manière d'explication. Nous courrons donc après vous, si vous nous tirez : car quiconque a écouté et a appris, il vient à vous (4). Personne n'approche de la Sagesse, qu'elle-même ne l'ait invité et qu'elle ne se soit communiquée la première. Et quoique l'Epouse soit transportée d'un amour très-véhément, elle avoue toutefois qu'elle ne peut avancer, si elle n'est tirée. Saint Ambroise explique ceci admirablement : « L'âme ayant reçu le saint baiser du Verbe de Dieu, ne peut souffrir que rien l'arrête ; elle désire d'être tirée, afin de pouvoir suivre (5); c'est pourquoi les jeunes filles vous ont aimé; c'est pourquoi nous nous efforçons de vous comprendre, quoique nous ne le puissions. Tirez-nous donc, afin que nous puissions courir et qu'étant excitées par l'odeur de vos parfums, nous ayons la force de suivre. Et ailleurs : « Tirez-nous, nous courrons (6); car l'attrait de vos parfums nous donne le désir de vous suivre. Mais puisque nous ne pouvons vous atteindre dans votre course, tirez-nous, afin qu'aidées de votre secours, nous puissions au moins suivre vos pas. Car si vous nous tirez, nous courrons.» Voici maintenant quelle est la douce prédication de la grâce : Tirez-moi ; nous courrons ; c'est que l'Eglise est une et plusieurs à la fois, toutes les âmes qui la composent concourant à son unité; c'est aussi que quelque âme élevée, comme de Pierre ou de Paul, ayant été attirée par une grande force, sert ensuite à en attirer plusieurs par ses paroles et par son exemple. Le roi m'a conduite dans ses cabinets : dans sa chambre à coucher; (hébr.) dans le lieu le plus secret de sa maison, dans son lit : il m'a donné l'intelligence des sens les plus cachés de l'Ecriture. Un Epoux si aimable peut-il rien cacher à sa nouvelle Epouse ? Il lui accorde donc ce qui lui doit faire le plus grand plaisir, en la tirant à l'écart pour lui donner son saint baiser. L'Epouse s'en glorifie auprès de ses compagnes, comme font aussi quelquefois les grandes âmes dans l'excès de leur joie, ou afin que les faibles se laissent attirer. Le roi : quoique le roi Salomon joue le personnage avec la Sulamite, aussi fille de roi, toutefois de temps en temps il reprend sa majesté; ce qui paraît surtout dans le discours

 

1 Ps. XLIV, 8. —2 Joan., XII, 32. — 3 Ibid., vi, 44. — 4 Ibid., 45. — 5 Lib. III, Epist. 2.— 8 De lsaac, cap. III.

 

622

 

cours de l'Epouse ; et de là vient que leur familiarité n'a rien de bas ni de trop libre. Mais toutes les fois que l'Epouse désigne l'Epoux par son nom de roi, elle semble nous marquer une âme qui découvre la nature divine en Jésus-Christ au travers de son humanité. C'est pourquoi il est dit qu'elle est entrée dans la chambre et dans le plus secret de la maison. Nous nous y réjouirons à cause de vous : elle revient aussitôt à l'Epoux. Ceux qui sont droits vous aiment. Plus les saints le trouvent aimable, plus il lui est cher : or cette parole s'explique de Jésus-Christ à la lettre; car vous êtes, Seigneur, la vérité même, la règle et la fin de toutes choses.

4. Je suis noire, mais je suis belle : le teint est autre chose, et autre chose la beauté du visage ou la finesse des traits, et la juste proportion de toutes les parties du corps. Que si elle partit noire ou brune, c'est d'avoir été trop au soleil, ce qui s'en va aisément ; aussi est-elle louée de sa blancheur au chapitre vu, vers. 2, 4. L'Epouse donc étonnée delà beauté de l'Epoux, craint de n'être pas agréable à ses yeux, se reconnaissant toute souillée des péchés de sa vie passée. Elle cherche toutefois à s'excuser de cette noirceur, qui ne lui est pas naturelle, parce qu'elle est sortie toute belle de la main de Dieu et qu'en perdant cette couleur étrangère avec ses péchés, elle doit recouvrer sa première beauté et sa première grâce. Comme les tentes de Céder, comme les pavillons de Salomon : elle se compare à des choses qui ne laissent pas de plaire, quoiqu'elles soient noires, telles que sont les tentes des Arabes et surtout celles de Salomon, couvertes au dehors de peaux de boucs fort noires, et au dedans tendues de riches tapisseries. En ce sens Virgile a dit : « Les violettes et les jacinthes sont noires (1) ; » mais la comparaison du Cantique est plus magnifique. L'Eglise donc, dans son pèlerinage, ressemble aux tentes des rois qu'on expose au soleil, à la poussière et à la pluie, qui sont richement parées au dedans quoiqu'elles partissent gâtées et noircies au dehors. Telle est l'Eglise annonçant la parole de la croix ou de la folie de Dieu, et la sagesse cachée dans son mystère (2). Car il ne paraît rien au dehors que de vil et de méprisable selon le monde ; de même que tout est bas en la personne de Paul, et méprisable en son discours (3), tandis qu'il cache au dedans les secrets de la sagesse de Dieu. Enfin ce que dit ici Salomon s'accorde avec le Prophète : « Toute la gloire de la fille du roi est au dedans (4) »

5. Ne prenez pas garde si je suis noire : les femmes cherchent toujours à s'excuser de ce qu'elles ont le teint effacé, et elles en rejettent la faute sur les autres. C'est pourquoi l'Epouse, qui représente les saintes âmes dans sa beauté, allègue qu'on lui a fait garder la vigne d'autrui, au lieu que par délicatesse elle ne gardait pas la sienne. Ce qui convient aux pasteurs de l'Eglise, que la charité fraternelle applique à la garde de la vigne et au gouvernement

 

1 Virg., Eclog. X. — 2 I Cor., 1, 18, 25 ; II, 7. — 3 Ibid. I, 28, II Cor., X, 10.— 4 Ps. XLIV, 14.

 

623

 

des âmes, eux qui croyaient suffire à peine à veiller sur eux-mêmes. Aussi, de leur engagement dans le monde, viennent ces taches qui ont fait pleurer souventefois saint Augustin, saint Grégoire, Yves de Chartres, homme d'une très-sainte vie, et qui leur ont fait désirer la solitude avec tant d'ardeur. C'est le soleil qui m'a gâté le teint : une grande tentation est comparée à l'ardeur du soleil en son midi, d'où vient le démon du midi (1).

6. Dites-moi, mon bien-aimé, où vous paissez vos troupeaux, où vous les faites reposer à midi. L'Epoux paraît ici la première fois, attiré par les soupirs et par les plaintes de sa chère Epouse. Ils commencent ensemble leur doux entretien ; et l'Epouse prend d'abord la parole : Vous avez bien tardé à venir ; mais si vous ne le pouviez plus tôt, au moins dites-moi où vous paissez vos troupeaux, où vous les faites reposer ; j'y courrai volontiers, même en plein midi; car la plus grande chaleur du jour ne retardera point la vitesse de mes pas. Dites-moi donc sous quel arbre vous conduisez vos troupeaux à l'ombre, et où sont les rivages où vous les menez paître. Ainsi parle l'âme fidèle qui cherche Dieu, son pasteur : «Le Seigneur est mon guide, rien ne me manquera; il m'a menée dans les pâturages; il m'a nourrie sur des rivages abondants en herbes ; votre verge et votre boulette m'ont consolée (2). » « Les brebis écoutent la voix du bon pasteur et le suivent : elles entrent et sortent avec lui, et elles trouvent des pâturages (3). » L'âme donc qui cherche Jésus-Christ, elle le presse de lui faire connaître où il se repose dans la ferveur de sa charité, de peur que, trompée sous de fausses apparences, elle ne s'égare à la suite des philosophes et des sages du monde, ou des faux prophètes et des hérétiques : car elle ne le trouverait point, s'il ne se présentait lui-même. De peur que je ne m'égare : puis-je me détourner vers les troupeaux de vos compagnons? (hébr.) cette expression est plus vive. L'Epouse veut trouver l'Epoux d'abord et sans peine, sans être obligée de demander à d'autres le lieu où il se retire, ni à ses compagnons ni à ceux qui sont à sa suite.

7. Si vous l'ignorez (c'est l'hébreu à la lettre) sortez, suivez les traces des troupeaux. Voilà ce que craignait l'Epouse, qu'il ne fallût aller de troupeau en troupeau. Mais l'Epoux lui parle comme s'il était fâché, de ce qu'elle ignore où il a coutume de se trouver. En effet une épouse fidèle doit-elle ignorer la demeure ordinaire de son bien-aimé? Un amant veut connaître et il veut être connu. C'est pourquoi l'Epouse, qui méconnaît encore l'Epoux, ne reçoit de lui qu'une réponse ambiguë, par laquelle elle n'apprend point où elle le pourra trouver. Allez où il vous plaît; je ne vous montrerai pas le chemin. Suivez les traces des troupeaux : cherchez l'Epoux où vous pourrez, à la suite de ses troupeaux errants; paissez vous-même vos chevreaux ; ayez soin de votre troupeau, si vous voulez ; joignez-vous à la compagnie des autres bergers,

 

1 Ps. XC, 6. —  2 Ps. XXII, 1, 2, 4.— 3 Joan., X, 3, 4, 9.

 

624

 

car vous ne me trouverez point. C'est ainsi qu'il se fâche contre l'Epouse; mais elle en devient plus diligente et plus attentive aux démarches de l'Epoux : car, depuis, elle-même apprend aux jeunes filles qui le cherchaient en quel lieu il s'était retiré, chap. V, vers. 17; IV, vers. 1. O la plus belle des femmes! Belle à la vérité, mais peu affectionnée à l'Epoux. C'est pourquoi tous les saints Pères sont d'accord que l'Epouse est ici réprimandée, l'Epoux lui disant froidement que, puisqu'elle le méconnaissait, elle pouvait aller à son gré paître les boucs et non les agneaux, c'est-à-dire suivre ses désirs sensuels et les troupeaux qui sont rejetés à la gauche ; et sans s'arrêter au même troupeau ni à un seul pasteur, errer à la suite de plusieurs troupeaux et de plusieurs pasteurs ; ce qui arrive souvent à ceux qui ignorent par négligence, ou qui ont oublié en quel lieu l'Epoux paît son troupeau. Si vous ne vous connaissez pas ; cette leçon de la Vulgate et des Septante a fait dire aux saints Pères que l'Epouse est menacée de toutes sortes de maux, s'il lui arrive de se méconnaître elle-même, ou d'oublier à l'image de qui elle a été faite, de combien de péchés elle a été délivrée et à quelle gloire elle est appelée.

8. Je vous compare, ma bien-aimée, à ma cavale attelée au char de Pharaon: (hébr.) à sa très-belle cavale, celle qu'il monte et qu'il aime plus qu'aucune autre, relevant la grande beauté de l'Epouse par cette comparaison. Car il parle, non d'une cavale indomptée, qui ne se laisse ni monter ni manier, mais de celle qui, déjà accoutumée au joug, sert au char, étant, comme dit le Poète, dressée à marcher et à tirer de pair. D'où vient qu'en grec et en latin, l'union des époux s'exprime par la métaphore de porter ensemble le même joug (1). En ce sens Théocrite, dans son éloquente idylle citée dans la préface, compare Hélène, mariée à Ménélas, à un très-beau cheval de Thrace, propre au char (2). Mais sans sortir des Livres saints, le cheval blanc de l'Apocalypse (3), sur lequel est monté le Verbe de Dieu, signifie les saintes âmes qui ont laissé leurs épaules sous le joug du Seigneur, afin qu'il les tourne comme il lui plaît, et qu'il les conduise à son gré. Origène sur cet endroit. De Pharaon : il est ici parlé de l'Egypte, parce qu'il en sortait d'excellents chevaux, et que l'Epouse était de ce pays si heureux et si riche (4). A ce verset commence le dialogue, où chacun parie à son tour, en se servant de comparaisons toujours plus expressives l'une que l'autre, comme on fait dans les églogues.

9. Vos joues égalent la beauté des tourterelles. C'est la leçon des Septante : des joues unies et très-belles, dont le vermeil brille au milieu de leur blancheur. Il loue son beau visage, étant tout épris de ses vives couleurs (5). Aussi dit-on que la beauté des femmes éclate surtout dans les joues. Et votre gorge, celle des colliers les plus riches : c'est encore les Septante : votre gorge

 

1 Conjugium. — 2 Theoc, Idyl XVIII. — 3 Apoc., XIX, 2. — 4 Orig., Hom. II in Cant. — 5 Orig., Hom. I.

 

625

 

est très-belle toute nue ; elle n'a besoin d'aucune parure, dit élégamment Origène (1). L'hébreu est un peu différent : « Vos joues sont belles avec leurs perles (qui de la coiffure tombent le long des joues ), et votre cou avec ses pierres précieuses. » Il loue l'adresse de l'Epouse, qui sait assortir ses parures à sa beauté naturelle. C'est-à-dire, au sens spirituel et véritable : « Tenez sans cesse ( la loi de Dieu ) attachée à votre cœur et faites-vous-en un collier (2)..., afin qu'elle donne une nouvelle grâce à votre tête, et qu'elle soit l'ornement de votre gorge (3). »

10. Des pendants d'or: une sorte de parure : c'est le même mot hébreu qu'au verset précédent, où il est traduit tourterelles, et ici pendants d'or. Des pendants d'or, marquetés d'argent : les anciens interprètes traduisent de l'or tortillé, enlacé avec des nœuds ou des fils d'argent ; saint Grégoire l'explique des pendants d'oreilles semblables à un petit poisson, qui se tourne en cercle à l'instant qu'il est pris ; et saint Jérôme, auteur de cette version, en a donné lui-même cette explication : « C'est, dit-il, de l'or qui sert d'ornement de gorge, appelé communément murenula, dont on fait une chaîne tissue de plusieurs fils d'or entrelacés l'un dans l'autre. » Les modernes ajoutent, des pierreries brillantes. Quoi que ce soit, l'Epoux veut dire que, puisque l'Epouse aime ses parures, il aura le plaisir de lui en faire lui-même avec ses compagnons. C'est pourquoi il dit: Nous vous ferons; dans le sens spirituel: moi et les ministres de ma parole, nous vous donnerons ce qui fait la véritable beauté, la charité qui est un or très-pur; l'intelligence de l'Ecriture sainte, figurée par l'éclat de l'argent, et toutes les vertus qui sont plus brillantes que les pierreries. Telle est la parure que saint Paul désire dans les saintes âmes, en disant que « les fruits de l'Esprit sont la charité, la joie, la patience (4), » etc. Mais Dieu même nous apprend, dans Ezéchiel, avec quel soin il pare les âmes qu'il a choisies pour ses épouses : « Je vous ai donné toutes sortes d'ajustements, des bracelets à vos mains, un collier autour de votre gorge, des pendants et des annelets à vos oreilles, et une couronne qui sied bien à votre tête (5). » L'Epoux si aimable ne peut souffrir qu'il manque aucun ornement à l'Epouse; il ajoute don sur don : car « on donnera à celui qui a déjà, afin qu'il soit comblé de biens (6). »

11. Le roi étant sur son lit, mon nard a répandu, son odeur : tant ce nard était exquis et de bonne odeur. L'Epouse se glorifie d'avoir fait un amas de ces parfums, qui plaisent tant à l’Epoux : car, après avoir loué l'excellence de ceux de l'Epoux qui l'ont attirée à lui, elle se sert à son tour de semblables parfums pour l'attirer à elle. De même Jésus-Christ nous attire à lui par la gloire et par la douceur de son nom, et nous l'attirons en nous par la douceur d'une sainte vie (7). Les âmes saintes ont une odeur, aussi bien que Jésus-Christ.

 

1 Orig., Hom. I. — 2 Prov., VI, 21.— 3 Ibid., I, 9.— 4 Gal., V. 22, 23. — 5 Ezech. XVI, 11 et 12. — 6 Luc, XIX, 26 — 7 Apoc, V, 8; VIII, 4.

 

626

 

C'est les prières des saints et l'amour chaste du Verbe qui attire l'Epoux dans nos âmes, afin qu'il y vienne avec le Père et qu'il y établisse sa demeure (1). De même les saints de l'Ancien Testament, après avoir fait des vœux continuels pour la venue du Messie, ne cessant de crier : « Cieux, faites tomber votre rosée d'en haut (2) ; » ils l'ont enfin attiré sur la terre, ce Messie qui se reposait dans le sein de son Père, et qui pour cette raison est appelé le Roi. Ainsi s'est accomplie cette parole : « Je fais mes délices d'être parmi les hommes (3). »

12.  Mon bien-aimé est pour moi un bouquet de myrrhe. Par la myrrhe, qui sert à embaumer les corps, les saints Pères entendent la mort et la sépulture de Jésus-Christ, avec la pénitence chrétienne qui en est une suite. Offrons cette myrrhe à Jésus-Christ, comme firent les mages, lorsqu'ils vinrent l'adorer les premiers entre les Gentils. Il se reposera sur mon sein, ou il demeurera entre mes deux mamelles : les jeunes filles portent à leur sein des bouquets de fleurs odorantes : l'Epoux est mon bouquet, je l'ai continuellement devant mes yeux et collé sur mon sein, c'est-à-dire qu'il occupe tout son cœur. Où il faut entendre l'Eglise et l'âme sainte dans une union intime avec le Verbe éternel, par l'ardeur du saint désir (4). Mamelles : dans un cantique nuptial, il convient mieux de nommer les mamelles, que de dire le sein : Origène (5).

13.  Mon bien-aimé est semblable à une grappe de troène : c'est une plante de bonne odeur dont Pline fait mention au livre XII, ch. XXIV,et connue de Théodoret, comme on verra au ch. IV, vers. 13, où il en est encore parlé. Des vignes d'Engaddi: «C'est, dit saint Jérôme, une grande bourgade qui appartient aux Juifs, qu'on voit encore aujourd'hui aux environs de Jérusalem, près de la mer Morte, d'où l'on apporte le baume, et où sont les vignes d'Engaddi dont parle Salomon (6). » Or le baume est d'un goût et d'une odeur très-agréable ; ainsi l'Epouse veut dire, par cette comparaison, qu'elle trouve dans l'Epoux toutes sortes de délices. Remarquez que le troène n'est pas le fruit même qui croît dans les vignes d'Engaddi; c'est pourquoi, suivant le génie de la langue sainte, il faut suppléer ainsi : La grappe de troène est comme une grappe des vignes d'Engaddi, etc.

14. Que vous voilà belle, ma bien-aiméc; vous avez des yeux de colombes : les yeux de colombes sont pleins d'amour, de douceur et de modestie. Jésus-Christ loue aussi la simplicité de la colombe, qui n'a ni finesse ni dissimulation; il loue l'œil simple qui n'aperçoit que le bien; et il veut qu'on arrache l'œil de la convoitise, qui nous est un sujet de scandale (7).

15. Que vous voilà beau et agréable, mon bien-aimé! La beauté est autre chose, et autre chose la bonne grâce, qui est toute la force de la beauté.

 

1 Joan., XIV, 2, 3. — 2 Is., XLV, 8. — 3 Prov., VIII, 31. — 4 Orig., Hom. II. — 5 Ibid. — 6 Hier., de Loc. hebr. — 7 Matth., VI, 22; V, 28, 29.

 

627

 

L'amour est un désir de posséder la beauté et de s'y reposer : c'est pourquoi l'Epouse est toute occupée à louer la beauté de l'Epoux, dont saint Augustin renferme les principaux traits en ce peu de paroles : « Que partout l'Epoux se présente à notre foi dans sa beauté... : beau dans le ciel, beau sur la terre, beau dans le sein de sa mère, beau entre les bras de ses parents, beau dans ses miracles, beau sous les coups de fouets, beau nous invitant à la vie, beau méprisant la mort, beau lorsqu'il donne sa propre vie, beau lorsqu'il en reprend une nouvelle, beau sur la croix et beau dans le sépulcre (1). »

16. Notre lit est semé de fleurs : c'est les délices mêmes, et voici la magnificence : Les solives de nos maisons sont de cèdre, et nos lambris de cyprès : «de sapin » (hébr. ). C'est la description d'un grand et riche palais, tel que devait être celui de Salomon, sans toutefois qu'il y eût rien au-dessus de la condition d'un berger qui, étant riche en argent et en bétail, comme l'ont été Abraham et les patriarches, s'appliquait aussi comme eux au travail de la campagne. Travaillons nous-mêmes, dit Origène, à élever notre édifice en nous appuyant sur la parole de Dieu comme sur un fondement solide. Les poutres et les solives, c'est le soutien des maisons, dit saint Thomas, et les lambris en sont l'ornement. Le lit des époux, suivant le même docteur, signifie la paix de l'Eglise après les persécutions.

 

CHAPITRE II.

 

La fleur de campagne, le lis au milieu des épines; l'Epouse à l'ombre de l'Epoux, elle entre dans le cellier, sa défaillance, ses embrassements, son sommeil; la voix de l'Epoux; la vitesse du chevreuil et du faon; la fenêtre avec sa jalousie et le mur; la beauté du printemps après l'hiver; les fleurs; le temps de tailler la vigne; la voix de la tourterelle; les petits renards; la concorde de l'Epoux et de l’Epouse.

 

L'EPOUSE.

 

1. Je suis une fleur de campagne et un lis de vallées.

 

L'EPOUX.

 

2. Comme le lis entre les épines, telle est ma bien-aimée entre les filles.

 

L'EPOUSE.

 

3. Comme le pommier entre les arbres d'une foret, tel est mon

 

1 August. in Ps. XLIV.

 

628

 

bien-aimé entre les jeunes hommes. Je me suis assise à l'ombre

de celui que j'ai désiré, et son fruit est agréable à ma bouche.

4.  Il m'a menée où il réserve son vin ; il m'a parée de son amour.

 

L'EPOUSE AUX JEUNES FILLES.

 

5.  Fortifiez-moi avec des fleurs, apportez des citrons autour de moi : car je suis malade d'amour.

6. De sa main gauche il me soutient la tête, et il m'embrasse de sa droite.

 

SECOND JOUR.

 

L'EPOUX.

 

7. Filles de Jérusalem, je vous conjure par les chevreuils et les biches de la campagne, gardez-vous d'éveiller ma bien-aimée et de troubler son sommeil, jusqu'à ce qu'elle le veuille.

 

L'EPOUSE EN ELLE-MEME.

 

8. J'entends la voix de mon bien-aimé : le voilà qui vient sautant sur les montagnes, bondissant sur les collines.

9.  Mon bien-aimé ressemble au chevreuil et au faon d'une biche. Le voilà debout derrière le mur ; il regarde par la fenêtre, et jette l'œil par la jalousie.

10.  J'entends mon bien-aimé qui me dit : Levez-vous, hàtez-vous, ma bien-aimée, ma colombe, ma belle; et venez.

11.  Car l'hiver a passé, la pluie a cessé et s'est retirée.

12. Les fleurs commencent à paraître sur la terre ; voici le temps de tailler la vigne : la voix de la tourterelle s'est fait entendre dans notre campagne.

13.  Le figuier a poussé des bourgeons : et les vignes en fleur font sentir leur odeur. Levez-vous, ma bien-aimée, ma belle ; et venez.

 

L'EPOUX.

 

14.  Ma colombe, qui vous cachez dans les fentes des rochers et dans les trous des murailles, montrez-moi votre visage ; faites-moi entendre votre voix : car votre voix est douce et votre visage est agréable.

 

629

 

L'EPOUX AUX JEUNES FILLES.

 

15.  Prenez-moi les petits renards qui gâtent les vignes : car notre vigne est en fleurs.

 

L’EPOUSE

 

16.  Mon bien-aimé est à moi, et je suis à lui : il paît ses troupeaux parmi les lis.

17.  En attendant que le jour vienne et que les ombres se retirent, revenez, mon bien-aimé ; soyez comme le chevreuil et le faon d'une biche, sur les montagnes de Béther.

 

EXPLICATION.

 

1.  Je Suis une fleur de campagne : parce qu'elle venait de dire : Notre lit est semé de fleurs ; elle ajoute : Nous sommes nous-mêmes de tendres fleurs, fraîchement écloses et de bonne odeur. Je suis une fleur de campagne : l'Epouse se compare aux fleurs qui naissent dans les champs et dans les vallées, et non à celles des jardins cultivés, pour mieux exprimer la modestie et la simplicité des âmes chastes.

2.  Comme le lis entre les épines : l'Epouse s'était comparée au lis : Mais, reprend l'Epoux, c'est un lis qui croît entre les épines et au milieu des ronces; de sorte que, si vous lui comparez ses compagnes qui sont assez belles, elles ne seront auprès d'elle que comme des épines. Ce qui nous représente la charité sincère de l'âme fidèle au milieu des chagrins et des peines de cette vie, ou même parmi les plaisirs du monde et ses richesses trompeuses que Jésus-Christ appelle des épines.

3.  Comme le pommier entre les arbres d'une forêt : tels que sont les arbres fruitiers et cultivés, au prix de ceux des forêts, stériles et infructueux. Je me suis assise à l'ombre de celui que j'ai désiré : comme sous un arbre, qui présente des fruits délicieux avec un bel abri. Elle dit, à l'ombre: parce que les commençan9 ne peuvent encore s'entretenir familièrement avec le Verbe, mais, pour ainsi dire, ils se tiennent à l'ombre de sa majesté divine, dit Origène, c'est-à-dire sous sa protection et en sa garde, comme au psaume XVI, vers. 2, « à l'ombre de vos ailes. » L'Epouse nous fait entendre qu'elle est arrivée aux plus tendres effets de l'amour de l'Epoux : de même que Marie, lorsqu'elle conçut le Verbe, le Saint-Esprit étant survenu en elle, et la vertu du Très-Haut l'ayant couverte de son ombre ; et c'est aussi par le souffle de ce même Esprit, que les âmes fidèles deviennent fécondes. Au reste, il y a ici une allusion à la manière de prendre femme parmi les Hébreux, comme

 

630

 

quand Ruth disait à Booz : « Etendez votre manteau sur moi (1). » Je me suis assise à l'ombre de celui que j'ai désiré : c'est-à-dire encore, j'ai obéi à sa parole, à l'instant que je lui ai ouï dire : « Venez à moi, vous tous qui êtes travaillés, » etc. (2).

4.  Il m'a menée où il réserve son vin : «dans la maison du vin » ( hébr. ) dans un lieu de délices, où furent introduits ceux qui, ayant reçu de Jésus-Christ l'intelligence des Ecritures et par elles la connaissance de sa personne divine, disaient entre eux : « Notre cœur n'était-il pas brûlant en nous (3). » Les anciens serraient le vin, avec l'huile et les autres liqueurs, dans des endroits propres et fort ornés. Ainsi les garde-meubles d'Ulysse étaient des chambres hautes, où il mettait dans des vases sa provision de vin et d'huile, avec son or, son argent et ses habits, et où était le lit nuptial (4). Il m'a parée de son amour : « Son amour est comme son étendard déployé sur moi » (hébr.) : «Il a fait éclater son amour en moi comme des enseignes développées » (Septante). Ce qui a donné lieu à la version de la Vulgate : « Il m'a parée de la charité, » ou « il a réglé en moi la charité. » Aussi presque tous les saints Pères, Origène surtout et saint Augustin, expliquent ceci de la charité, qui s'élève jusqu'à Dieu et se répand ensuite sur le prochain avec ordre et par degré; ce que Juste d'Urgèle a compris en ce peu de paroles : « L'ordre de la charité consiste à aimer le prochain pour Dieu, et à aimer Dieu de telle sorte qu'on s'anéantisse pour lui. » Saint Bernard l'entend de la discrétion, qui règle la ferveur de l'amour véhément dont l'âme paraît comme enjouée dans le cellier (5).

5.  Fortifiez-moi avec des fleurs. L'Epouse donc conduite dans ce lieu de délices et transportée du ressouvenir d'une si grande marque d'amitié, elle tombe malade d'amour, et demande qu'on la soutienne. Avec des fleurs : « avec des bouteilles » (hébr.). C'est-à-dire en lui faisant prendre du vin. Apportez des citrons autour de moi : de ces fruits dont l'odeur et le jus raniment les esprits, comme sont les citrons et les grenades. Ce qui nous figure les consolations que Jésus-Christ donne à l'âme dans sa faiblesse, et que nous appelons dévotion sensible. Dans la vie spirituelle, les commençants se laissent prendre au goût de cette dévotion, et ils mettent tous leurs soins à l'entretenir.

6.  De sa main gauche il me soutient la tête, et il m'embrasse de sa droite. Après leurs doux entretiens et leurs caresses mutuelles, enfui sur le soir, l'Epouse se repose entre les bras de l'Epoux, étant obligée d'avouer que c'est lui qui la soutient de sa main gauche, et qui l'embrasse et la défend de sa droite : où nous est figurée la grâce de Dieu, mêlant la douceur et la suavité avec la force qui nous fait agir. Or le Verbe semble se reposer dans le

 

1 Ruth, III, 9.— 2 Matth., XI, 28. — 3 Luc., XXIV, 32. — 4  Odyss., VI. vers, 237. — 5 S. Bern., Serm. XLIX in Cant.

 

631

 

sein de l'âme fidèle, lorsqu'il apaise le trouble de ses passions ; en sorte qu'il chante avec David : « Je m'endormirai dans la paix ; en elle je prendrai mon repos, puisque vous êtes, Seigneur, le ferme appui de mon espérance (1) : » en quoi consiste le bienheureux sommeil d'une âme qui s'abandonne à Jésus-Christ et qui se repose toute en lui : dont il sera encore parlé au chap. v, vers. 2. Ainsi finit le premier jour.

 

SECOND JOUR.

 

7. Filles de Jérusalem, je vous conjure par les chevreuils et par les biches de la campagne : gardez-vous d'éveiller ma bien-aimée. Le second jour de l'Eglogue commence à l'instant que l'Epouse doit s'éveiller. Elle dort encore d'un sommeil tranquille, lorsque l'Epoux la quitte : il défend donc qu'on l'éveille ; et tandis qu'elle achève de prendre son repos, il s'en va à son travail ordinaire. Filles de Jérusalem, gardez-vous d'éveiller. C'était la coutume de chanter deux épithalames : l'un au soir, au coucher des nouveaux mariés ; l'autre au matin, au lever de l'épouse, afin qu'elle s'endormît et qu'elle s'éveillât au doux concert de chansons d'heureux présage. Nous l'avons vu déjà plusieurs fois dans Théocrite : les jeunes filles viennent féliciter Ménélas et Hélène de leur heureux mariage ; et après avoir achevé le cantique nuptial du coucher, elles promettent de revenir avant l'aurore au chant du coq qui doit les éveiller à l'heure qu'il le faudra recommencer (2). Ainsi l'Epoux voyant les compagnes de l'Epouse arrivées et prêtes à élever leurs voix : Gardez-vous, leur dit-il, d'éveiller ma bien-aimée, jusqu'à ce qu'elle le veuille. Je vous eu conjure par les chevreuils et par les biches : par l'objet de vos plaisirs, par vos chevreuils et par vos biches : nous faisant entendre qu'il parle à des chasseresses. Aussi les jeunes filles de Palestine pouvaient bien avoir l'usage de tirer de l'arc, comme leurs voisines les jeunes filles de Tyr (3). Ce qui nous donne occasion de rapporter ce trait des anciennes mœurs, pour l'amour de ceux qui les aiment. Car alors les vierges et les jeunes filles, bien éloignées de la mollesse et de la nonchalance de celles d'aujourd'hui, actives et vigilantes, elles se faisaient un exercice continuel de la chasse et de toute sorte de travaux. Dans le sens spirituel, Jésus-Christ a des chasseurs aussi bien que des pêcheurs : ce qui fait dire au prophète : « Je leur enverrai des chasseurs en grand nombre  (4). » Ici il défend aux âmes fidèles qui travaillent au salut des autres, de remettre dans la vie active quelque grande âme, enflammée de l'amour divin et élevée à une haute contemplation, où elle jouit d'une douce tranquillité, jusqu'à ce qu'y étant poussée par l'esprit de Dieu, elle s'y porte d'elle-même. «Car l'Epoux sait que l'Eglise, cette bonne mère,

 

1 Ps. IV, 9, 10. — 2 Idyl. XVIII. — 3 Virg., Aeneid., liv. I. — 4 Jerem., XVI, 16.

 

632

 

est toujours attentive aux progrès de ses en fans par le zèle de son amour : c'est pourquoi il n'a pas craint de lui confier ce secret de la conduite des âmes (1). » « Les hommes charnels qui sont dans l'Eglise, dit saint Grégoire, ne cessent de troubler le repos des saintes âmes dans la contemplation, » parce que les voyant éloignées des occupations du monde, ils croient qu'elles passent leur vie dans l'inutilité. Les chevreuils et les biches, dont il est parle plusieurs fois en ce livre, marquent les âmes fidèles, qui se relèvent si promptement, qu'à peine s'aperçoit-on qu'elles soient tombées, et qui vont à la perfection à grands pas, comme si elles s'avançaient en sautant. Ma bien-aimée: mon amour; (hébr. ) : « l'Epouse elle-même,» mon amour et mes délices, ou plutôt l'amour même.

8.  J'entends la voix de mon bien-aimé. Il semble que l'Epouse se dise ces choses à elle-même, comme il arrive dans un grand transport, et que l'Epoux, comme attiré par ses vœux et par ses soupirs, revienne ensuite à elle. Car comme elle était toute occupée de lui-même dans le sommeil, dès qu'elle s'éveille, elle croit d'abord entendre sa voix : elle le voit venir à elle à grands pas, sautant par dessus les montagnes et les collines à la manière des chevreuils et des biches, déjà tout proche et attaché à sa fenêtre. En effet nous avons vu l'Epoux sortir dès le matin; mais se sentant pressé par son amour, il revient et paraît à l'instant.

9.  Mon bien-aimé ressemble au chevreuil et au faon d'une biche. Ce sont des paroles de tendresse que l'époux et l'épouse se disent souvent l'un à l'autre : telles que celles-ci dans les Proverbes : « Ma belle biche, mon aimable chevreuil, que ses mamelles soient vos délices en tout temps : mettez toute votre joie dans son amour ( cet amour chaste et conjugal ) (2). » Ces termes de caresses étaient simples et naturels à de jeunes hommes et à de jeunes filles également exercés à la chasse : ils marquent ici la vitesse avec laquelle l'Epoux est revenu. Le voilà debout derrière le mur. Cette vie passagère est un mur qui nous sépare de Jésus-Christ. L'ancienne loi est aussi ce mur que Jésus-Christ a abattu par sa mort, pour réunir dans son Eglise les Gentils avec le peuple de Dieu, en détruisant leur inimitié (3). Nos péchés sont un mur qui nous sépare de Dieu et qui nous cache sa face, empêchant qu'il ne nous écoute (4), ou que sa voix ne vienne jusqu'à nous. Ce mur, c'est encore toutes les créatures, en qui Dieu est caché et par lesquelles il nous parle ; enfin, s'il est permis de le dire, ce mur est la chair de Jésus-Christ qui nous cache sa divinité, mais qui sert à faire éclater sa puissance et à nous faire entendre les doux accents de sa divine parole. Il regarde par la fenêtre. Il n'entre pas, de peur d'éveiller l'Epouse ; mais ne pouvant résister à l'ardeur de son amour, il lui parle dès le premier abord. Ce qui fait

 

1 S. Bern., Serm. LII in Cant. — 2 Proverb., v, 19.— 3 Ephes., II, 14.— 4 Is., LIX, 2.

 

633

 

dire à saint Ambroise : « Il semble que l'Epoux s'abandonne à un amour folâtre, lorsqu'il veut éprouver les sentiments de sa bien-aimée : il sort souvent pour se faire chercher par l'Epouse; et soudain il revient pour lui faire désirer ses caresses : il est debout derrière le mur, il regarde par la fenêtre, il s'avance à travers des châssis ; moitié dedans, moitié dehors, il est à la fois absent et présent, pour attirer l'Epouse à lui et pour rendre leur entrevue plus agréable, en excitant leur amour par leur doux entretien (1). »

10.  Levez-vous, hâtez-vous : « annoncez la parole, pressez les hommes à temps, à contre-temps : (2) » avancez votre ouvrage. Car ni l'efficace de l'esprit, ni le péril des âmes ne peuvent souffrir un travail languissant. Levez-vous : quittez le saint repos de la contemplation, où vous ne pensez qu'à moi, et venez éveiller les âmes lâches. Ma colombe : n'est pas dans l'hébreu : il a été pris du grec; mais l'hébreu même le porte ici, vers. 14.

11.  L'hiver : c'est le temps des persécutions et des tentations.

12.  Les fleurs commencent à paraître : la beauté du printemps attire à la campagne. Voici le temps de tailler la vigne : venez, prenons des serpettes, allons ensemble nettoyer les arbres et les vignes, coupons leur bois inutile. Dans le sens spirituel, Origène explique ceci de la « rémission des péchés et du retranchement des mauvais désirs (3). » La voix de la tourterelle: qui aime le haut des montagnes et des arbres, c'est la voix des âmes élevées à une haute contemplation et vivant dans l'éloignement du monde. C'est aussi la figure d'une épouse très-fidèle et très-chaste, qui garde la foi donnée à son premier époux, et qui après lui ne s'attache à aucun autre. Enfin la voix de la tourterelle, qui gémit et soupire tendrement, plutôt qu'elle n'exprime aucun son, c'est le saint gémissement d'une âme solitaire, pleurant son éloignement de Jésus-Christ, vers qui tendent tous ses désirs.

13.  Le figuier a poussé des bourgeons : « Entendez la parabole du figuier (4) : » et apprenez à connaître l'avancement des âmes par les branches, par les feuilles, les nœuds et les fruits qu'elles produisent (5). Les vignes en fleurs : si la vigne est en fleur, il y aura du raisin : si les fleurs répandent une bonne odeur, le vin sera bon; jugez-en de même des âmes pieuses.

14. Ma colombe: l'Epouse est comme une colombe solitaire et tremblante, qui se tient cachée dans les fentes des rochers, et dans les trous des murailles, ou dans les ouvertures d'une masure qui s'écroule. Venez, sortez de vos ténèbres. Montrez-moi votre visage, faites-moi entendre votre voix : si vous ne voulez pas m'ouvrir, au moins montrez-vous : dites-moi quelque parole : et que dans ma douleur et dans le transport de mon amour, je reçoive de vous cette consolation. C'est ainsi qu'un amant veut que sa bien-aimée lui accorde

 

1 Ambr. in Ps. CXVIIII, octon. 6. — 2 II Tim., IV, 2. — 3 Hom. II in Cant. — 4 Matt., XXIV, 32. — 5 Orig. Hom. III in Cant.

 

634

 

de bon cœur ses moindres faveurs, et il en est de môme de Jésus-Christ à sa manière.

15.  Prenez-nous les petits renards : enfin l'Epouse se lève après se l'être fait dire tant de fois : et alors l'Epoux adresse la parole aux jeunes filles, ses compagnes, les invitant toutes à chasser avec elle les petits renards qui rongent la vigne. Ainsi finit le second jour, avec ses divertissements delà campagne; l'Epouse, fatiguée d'avoir couru à travers les champs en suivant la chasse, revient la première à la maison, sollicitant l'Epoux de s'y rendre incessamment : car elle ne peut vivre sans lui, ni lui sans elle; ce qui lui fait dire :

16.  Mon bien-aimé est à moi, et je suis à lui : ce qu'elle répète encore au ch. VI, vers. 2, et au ch. VII, vers. 10, où se rapporte cette parole de l'Apocalypse : « Je souperai avec lui, et lui avec moi (1). » Il paît ses troupeaux parmi les lis : cette version est plus conforme à l'hébreu. Ainsi l'Epoux, qui conduit ses brebis dans des pâturages semés de lis, prend aussi sa nourriture et son repos dans des lieux très-agréables. Ce que l'Epouse répète encore au ch. VI, vers. 2, envisageant toujours l'Epoux au milieu des fleurs et des délices du printemps. Saint Ambroise fait ici cette belle remarque : « Peu de personnes peuvent dire : Mon bien-aimé est à moi, et je suis à lui. Celui-là le dit avec vérité, qui s'attache à Dieu de tout son cœur, et n'en détourne jamais ses pensées ailleurs : mais non celui à qui le Fils de Dieu ne peut suffire, quoiqu'il possède tout; non encore celui qui s'attrista, lorsqu'il lui fut ordonné de tout vendre, mais celui-là le dit bien qui peut s'écrier avec confiance (2) : « Nous avons tout quitté pour vous suivre (3). »

17.  En attendant que le jour vienne : jusqu'à ce que le jour vienne. Dès que le jour commence à poindre, un petit vent souffle et les ténèbres se dissipent. C'est de ce zéphyre que le poète fait dire à Anchise : « J'ai été saisi du vent qu'excitent dans l'ardeur de leur course les chevaux du soleil montant sur l'horizon. » Et que les ombres se dissipent : « que elles s'enfuient, » dit l'hébreu. Revenez, mon bien-aimé, soyez comme le chevreuil et le faon d'une biche, qui habitent sur les montagnes de Béther : Adrichomius a remarqué que dans la tribu de Benjamin, il y a des montagnes couvertes de forêts, semées de plantes aromatiques, où les cerfs et les chevreuils se plaisent beaucoup. L'Epouse veut donc que l'Epoux dans sa retraite égale la vitesse de ces animaux, si légers et si vifs. Revenez, lui dit-elle, plus vite que les chevreuils et que les biches, vous reposer avec moi, jusqu'à ce que le jour vous rappelle à votre travail.

 

1 Apoc, III, 20. — 2 Serm. II sur le Ps. CXVIII. — 3 Matth. XIX, 22, 27.

 

635

 

RÉFLEXION.

 

Sous ces figures nous est représentée une âme élevée, qui, morte à ses sens et jouissant en elle-même d'une profonde paix, ne se laisse émouvoir qu'à la voix de l'Epoux qui lui parle intérieurement. Il souffle donc comme il lui plaît : il vient, il s'échappe, il s'approche, il se hâte, il se retire et se fait encore appeler, il se fait voir à la fenêtre et par la jalousie ; car en cette vie il ne se découvre point dans sa gloire. 11 presse et sollicite l'Epouse de secouer la paresse qui la retient enfermée, et de venir à lui dehors; de faire effort pour le voir, non plus à travers des jalousies et des fenêtres, mais en public et face à face (1). Le printemps qui succède à l'hiver, signifie la rémission des péchés par la pénitence, où l'on voit naître les prémices des vertus, comme des fleurs qui promettent tût après des fruits : et alors l’âme, attentive à elle-même, répand une douce odeur très-délicieuse à l'Epoux. Ainsi cette agréable nouveauté de vie est pour le second jour : et de là vient qu'il est parlé de l'hiver nouvellement passé, à cause que la conversion ne fait que commencer; et de fleurs plutôt que de fruits, car quoiqu'on voie déjà beaucoup de vertus, il y en a encore plus à espérer : et du temps de tailler la vigne, parce qu'il reste beaucoup de défauts à corriger : et enfin, ce qui revient au même sens sous une autre figure, c'est l'ordre que l'Epoux donne de chasser les petits renards. Car, selon Origène, les malins esprits sont figurés par les petits renards, qui vont aux vignes par leurs terriers, en ronger les premiers bourgeons, et emportent ainsi toute l'espérance des fleurs (2). On y doit aussi entendre les mauvais désirs, qu'il est aisé d'étouffer dès leur naissance, de même qu'il est aisé de prendre les renards lorsqu'ils sont encore petits. Il faut donc écraser contre la pierre les petits de Babylone, de peur que les cupidités dangereuses ne prennent racine en nous : saint Bernard suit cette interprétation d'Origène et des autres Pères. L'Epoux sautant les montagnes et s'élevant au-dessus des collines, c'est Jésus-Christ qui laisse les anges et sauve la postérité d'Abraham. Le même Jésus-Christ nous est encore figuré, dit Origène, découvrant intérieurement les mystères de l'Ecriture à une âme étonnée de sa profondeur, lorsque l'Epoux s'approche de l'Epouse pour lui parler, se tenant d'abord caché derrière le mur, puis se faisant voir au grand jour par les fenêtres et par les châssis (3). Car à mesure que Jésus-Christ s'approche de l’âme, qu'il éclaire ses doutes et dissipe ses ténèbres, il lui paraît s'élever à proportion au-dessus des collines et des montagnes, parce qu'alors il répand en elle l'intelligence des vérités les plus hautes. L'hiver marque encore la passion du Sauveur, et le printemps la naissance

 

1 Orig., Hom. III in Cant.— 2 Idem, Hom. IV. — 3 Idem, Hom. III

 

636

 

de l'Eglise, Le temps de tailler la vigne figure les persécutions, où l'Eglise s'est tant accrue par le sang des martyrs : et l'odeur de la vigne en fleur, la gloire des nouvelles Eglises si célèbres par toute la terre. La voix de la tourterelle, c'est le gémissement de l'Eglise pleurant l'éloignement de Jésus-Christ et se sentant pressée du désir de le revoir : et encore les saintes larmes d'une âme pénitente. Les petits renards sont les hérétiques qui déchirent l'Eglise, s'insinuant d'abord dans les esprits avec des artifices détestables, et ensuite faisant la désolation tout ouvertement, sans qu'on puisse les retenir, si on ne s'oppose à eux dès le commencement : car l'hérétique est comme le renard, un animal rusé qui ne s'apprivoise jamais.

Dans ces deux premiers jours, on voit croître l'amour de l'Epouse comme par degrés. Dès le premier, clic montre son ardeur, en demandant à l'Epoux avec confiance les plus tendres marques de son amour : mais venant à con-noître sa beauté, elle entre en défiance, craignant de ne lui être pas agréable; et elle essaie de lui plaire par ses caresses. Cependant il semble qu'elle ignore encore le lieu où il prend son repos, et qu'elle ne sait pas même le distinguer entre ses compagnons. Mais au second jour, à peine l'Epoux est-il sorti, qu'il revient à grande hâte, sans attendre qu'on l'appelle. Il propose d'abord à l'Epouse la beauté de la campagne, en se servant des paroles les plus tendres; et il l'attire ainsi a l'écart, pour vivre avec elle sans distraction. Il l'excite à détruire les petits renards, et à ôter de dessus elle sa première noirceur : ce qui nous apprend que tout ceci regarde la vie purgative et le premier degré de la perfection chrétienne; mais néanmoins on y voit les commencements de la sainte contemplation, dans ce doux sommeil de l'âme qui se repose tranquillement entre les bras de l'Epoux.

 

CHAPITRE III.

 

Le lit; l'Epouse cherche l'Epoux et elle ne le trouve point; elle fait le tour de la ville et elle tombe entre les mains des gardes; le lit de Salomon avec ses tentures, sa garde, son diadème.

 

TROISIÈME JOUR.

 

L’EPOUSE

 

1.  Pendant les nuits j'ai cherché dans mon lit celui que j'aime : je l'ai cherché et je ne l'ai point trouvé.

2.  Je me lèverai et je ferai le tour de la ville : je chercherai celui que j'aime dans les rues et dans les places. Je l'ai cherché, et je ne l'ai point trouvé.

 

637

 

3.  (Hébr.) Les gardes de la ville faisant la ronde (1) m'ont rencontrée : N'avez-vous pas vu celui que j'aime?

4.  A peine les avais-je passés, que j'ai trouvé celui que j'aime. Je le tiens, et je ne le laisserai point aller, que je ne l'aie conduit dans la maison de ma mère et dans la chambre de celle qui m'a enfantée.

 

L’EPOUX.

 

5.  Filles de Jérusalem, je vous conjure par les chevreuils et par les cerfs de la campagne, gardez-vous d'éveiller ma bien-aimée et de troubler son sommeil, jusqu'à ce qu'elle le veuille.

 

LES JEUNES FILLES, COMPAGNES DE L'ÉPOUSE.

 

6. Qui est celle-ci qui du désert s'élève comme une petite colonne de fumée aromatique de myrrhe et d'encens, et de toutes sortes de parfums ?

 

L’EPOUSE

 

7.  Voilà le lit de Salomon que gardent soixante braves, des plus vaillants d'Israël :

8.  Tous sachant manier l'épée, et très-habiles à la guerre : chacun d'eux a l'épée au côté, pour le défendre des surprises de la nuit.

9. Le roi Salomon s'est fait faire un lit de bois du Liban.

10.  Il en a fait les colonnes d'argent, le dossier d'or et le fond d'écarlate : l'amour est étendu au milieu, à cause des filles de Jérusalem.

l'épouse a ses compagnes.

11.  Sortez, filles de Sion, et considérez le roi Salomon avec le diadème, dont sa mère l'a couronné, au jour de ses noces et au jour de la joie de son cœur.

 

EXPLICATION.

 

TROISIÈME JOUR.

 

1. J'ai cherché dans mon lit : ainsi commencent les épreuves et les peines de l'Epouse, qui doit par là s'élever à un état plus sublime. C'est pourquoi

 

1 Vulg. : « Les sentinelles qui gardent la ville. »

 

638

 

dès le commencement du troisième jour, après avoir longtemps attendu l'Epoux dans son lit, elle s'inquiète de ce qu'il ne revient pas, même bien avant dans la nuit ; et enfin ne pouvant plus longtemps supporter son absence, elle s'en va le chercher. Pendant les nuits : le pluriel se met souvent pour le singulier; mais peut-être que l'Epouse s'exprime ici au pluriel, parce que l'impatience d'attendre lui fait trouver une seule nuit aussi longue que deux.

2.  Je ferai le tour de la ville : malheureuse que je suis ! Après avoir possédé le Verbe qui m'avait reçue d'abord dans son sanctuaire par la voie sublime de la contemplation, je me vois contrainte à le chercher çà et là, errant comme une folle le long des rues et dans les places, sans guide et sans savoir où je vais. Les âmes pieuses, même les plus élevées, sont souvent de cette sorte abandonnées à elles-mêmes pour un temps; mais plus l'Epoux semble s'éloigner, plus il faut être attentif à le chercher dans sa retraite et à le suivre dans sa fuite. Je chercherai dans les rues et dans les places : je parcourrai le ciel et la terre, en suivant partout les traces de ses pas, et je le redemanderai à toutes les créatures.

3.  Les gardes de la ville faisant la ronde (hébr. ) : voilà les pasteurs de l'Eglise et la sollicitude pastorale bien marqués. N'avez-vous pas vu celui que j'aime? comme si chacun devait savoir sa pensée (1).

4.  Que je ne l'aie conduit dans la maison de ma mère, et dans la chambre de celle qui m'a enfantée : il est encore parlé de cette chambre au ch. VIII, vers. 2. Les anciens avoient dans leurs maisons une chambre où se conservait la couche nuptiale, et c'était un lieu sacré dans la famille : ainsi Isaac fit entrer Rébecca dans la tente de sa mère, où il la prit pour femme (2). Il semble donc que l'Epouse appelle sa mère, la mère même de l'Epoux; ou que se servant d'une façon de parler proverbiale, elle prend la couche nuptiale pour le lit de sa mère. Mais la propriété des termes semble signifier autre chose; car il est dit : La chambre de celle qui m'a enfantée : ou qui m'a « conçue, » selon la force de l'hébreu. Aussi se peut-il faire que la fille de Pharaon venant à Jérusalem, amenât sa mère avec elle, puisque nous voyons au ch. VI, vers. 8. qu'elle était sa fille unique et qu'elle en était tendrement aimée. Peut-être aussi que l'Epouse ayant joint l'Epoux dans sa fuite, l'aurait conduit à sa très-chère mère, afin que par ses soins elle l'arrêtât au logis. Tout ceci s'est accompli à la lettre, en la personne de Marie-Madeleine, figure de l'Eglise (3) : elle sort de son lit avant le jour, pour aller chercher Jésus, et ne l'ayant pu trouver, elle court çà et là, du tombeau aux apôtres, et des apôtres au tombeau, où elle voit, non Jésus, mais les anges qui étaient comme les pasteurs de l'Eglise : puis regardant de tous côtés, elle aperçoit Jésus même, mais sous une figure étrangère ; et dans un transport semblable à celui de l'Epouse,

 

1 S. Bern., Serm., LXXIX in Cant. — 2 Genes., XXIV, 67. — 3 Joan, XX, 1, 2, 13, 17.

 

639

 

elle s'écrie : « Seigneur, n'est-ce pas vous qui l'avez enlevé (1)»? » Enfin elle le voit de près, elle lui touche les pieds, quoique Jésus-Christ l'en éloignât (2) : et depuis elle ne l'a jamais quitté, ayant cru d'abord sa résurrection avec une ferme foi, et en ayant la première porté la nouvelle à l'Eglise affligée.

5. Gardez-vous d'éveiller : le matin l'Epoux se lève, et laissant l'Epouse endormie, il donne à ses compagnes les mêmes ordres que ci-dessus, ch. II, vers. 7.

6. Qui est celle-ci ? La voilà levée; elle sort de sa chambre, toute parée et parfumée : et la troupe des jeunes filles qui la suivent, s'écrie d'étonnement : Qui est celle-ci? Du désert : du milieu des champs, où elle cherchait l'Epoux. Une petite colonne : c'est l'hébreu à la lettre.

7.   Voilà le lit de Salomon : ce n'est pas moi qu'il faut admirer, mais Salomon, mon époux, et la garde qui l'environne; la magnificence de son palais et la richesse de ses meubles. Voici donc Salomon qui vient de soi-même au-devant de l'Epouse, après qu'elle l'a tant désiré. Ce n'est plus un simple berger, il paraît avec toute la magnificence royale, la couronne sur la tête, au milieu de sa garde ordinaire, comme s'il voulait faire parade de la noblesse et de la force de cette troupe en présence de l'Epouse. Il y a une semblable peinture de David au second livre des Rois, ch. XXIII, vers. 8, où il est représenté dans son trône, entouré de l'élite de ses soldats.

8.  Pour le défendre des surprises de la nuit : c'était leur premier soin; mais ils ne laissaient pas de faire la garde pendant le jour, pour montrer la magnificence du roi.

9.  Un lit : quelques-uns traduisent sur l'hébreu, «un lit nuptial : » d'autres, « une litière» ou « une chaise de porteurs; » ce qui convient mieux à cette pompe. De bois du Liban : de cèdre, qui est un bois odoriférant et incorruptible.

10.  Le dossier d'or et le fond d'écarlate : l'hébreu peut aussi signifier : «la courte-pointe d'or et la housse d'écarlate. » L'amour est étendu au milieu ; (hébr.) : « Il occupe tout le milieu:» l'amour même, c'est-à-dire Salomon est couché au milieu. Sous cette figure l'Epouse est aussi appelée amour, au ch. n, vers. 7, et dans ce chapitre, vers. 5. A cause des filles de Jérusalem : toute cette magnificence est pour attirer sur l'Epoux l'admiration des jeunes filles, qui mettent leur plus grand plaisir dans la parure.

11.  Sortez, filles de Sion: Salomon va paraître revêtu de sa gloire; c'est pourquoi l'Epouse avertit ses compagnes d'observer avec soin la magnificence de l'Epoux, et combien sa mère se plaît à le parer. Avec le diadème : le rabbin Eliézer remarque qu'on mettait des couronnes sur la tête des époux, même des particuliers (3).

 

1 Joan., xx, 15.— 2 Bed., liv. III in Cant.— 3 Pirce Abot, cap. XVI.

 

640

 

RÉFLEXION.

 

Cette figure nous représente l'Eglise ou une âme forte, sa plus noble portion, lorsqu'affermie dans la vertu, elle est exposée à toutes sortes d'épreuves. En cet état elle ne perd point courage; mais se levant, elle va cherchant dans l'Eglise et partout, où elle découvre quelques traces de l'Epoux. Les pasteurs de l'Eglise la rencontrent dans cette agitation. Si elle les eût écoutés, elle allait joindre son bien-aimé ; mais elle ne s'arrête pas à eux, parce qu'elle n'en espère point toute sa consolation. Elle passe donc un peu plus loin, sans néanmoins s'écarter d'eux tout à fait; et aussitôt elle trouve l'Epoux : car il paraît tout à coup, comme s'il eût été seulement caché. Dès qu'il approche, l'Epouse le tient serré entre ses bras, jusqu'à ce qu'elle se repose avec lui dans le sanctuaire de l'Eglise, mère commune des fidèles. Ce qui nous figure la participation aux saints mystères, l'intelligence des sens les plus profonds des Ecritures et les secrets de la sagesse divine communiqués à l'âme sainte. Les parfums signifient les bonnes œuvres et les bons exemples de l'Epouse. L'endroit où Salomon est nommé est un de ceux où les Epoux quittent pour un moment leur personnage de pasteurs, et paraissent ce qu'ils sont en effet, pour nous apprendre que l'Epoux, après s'être fait chercher avec beaucoup de soins, de travail, et avec une longue persévérance, se découvre lui-même à l'âme dans toute sa gloire, comme étant le véritable Salomon, Roi, Messie, Dieu même. C'est pourquoi, dans la personne de Salomon, l'Eglise nous découvre les plus hauts mystères de Jésus-Christ, sa force qui n'a pu être vaincue par la mort, ses apôtres qui l'environnent de tous côtés avec les docteurs, sa magnificence lorsqu'il monte au ciel et qu'il verse les lumières du Saint-Esprit sur l'Eglise, car alors il manifeste au dehors sa divinité cachée auparavant, et déclare que « toute puissance lui est donnée au ciel et en la terre (1) : » il paraît éclatant de gloire, «et sa tête chargée de plusieurs diadèmes. (2)» Au jour de ses noces : lui qui est sans tache, s'unissant à l'Eglise qui est aussi sans tache, et la purifiant de ses souillures par l'attouchement de son corps et de son sang (3).

 

1 Matth., XXVIII, 18. — 3 Hebr., XIX, 12 ; Apoc., XIX, 12. — 3 Apon.

 

641

 

CHAPITRE IV.

 

Les yeux de l'Epouse comparés à ceux des colombes, sa beauté qu'on ne peut exprimer, ses cheveux, ses dents, ses mamelles; elle est toute belle: l'Epoux en est blessé, il trouve en elle la douceur du miel et la blancheur du lait, l'odeur des parfums et le cristal des eaux; elle est un jardin fermé; l'aquilon, les vents.

 

L’EPOUX.

 

1.   Que vous êtes belle, ma bien-aimée, que vous êtes belle (1) ! Vous avez des yeux de colombes, sans ce qu'on ne peut exprimer. Vos cheveux sont comme des troupeaux de chèvres, qui se promènent sur le mont Galaad.

2.  Vos dents ressemblent à des troupeaux de brebis nouvellement tondues et sortant du lavoir; chacune a deux petits jumeaux, et nulle d'entre elles n'est stérile.

3.  Vos lèvres sont comme un ruban d'écarlate : et votre parole est douce. Vos joues sont semblables à un éclat de grenade, sans ce qu'on ne peut exprimer.

4.  Votre cou ressemble à la tour de David, avec ses fortifications ; mille boucliers y sont suspendus, et toute sorte d'armes de vaillants hommes.

5. Vos deux mamelles sont comme deux petits chevreuils jumeaux , qui paissent parmi les lis.

6. En attendant que le jour vienne et que les ombres se retirent, j'irai à la montagne de la myrrhe et à la colline de l'encens.

7.  Vous êtes toute belle, ma bien-aimée, vous êtes sans tache.

8.  Venez du Liban, mon épouse, venez du Liban; venez et vous serez couronnée : venez du haut d'Amana, du sommet de Sanir et d'Hermon, des retraites des lions et des montagnes des léopards.

9.  Vous m'avez blessé au cœur, ma sœur, mon épouse ; vous m'avez blessé au cœur par un de vos regards et par un de vos (hébr.) carquans (2).

10.  Que votre amour est bon, ma sœur, mon épouse (hébr.) ;

 

1 Hébr. : «Vous voilà belle, ma hieu-aimée, vous voilà belle!» —  2 Vulg. : « Un de vos cheveux. »

 

642

 

votre amour vaut mieux que le vin1, et l'odeur de vos parfums passe toutes les senteurs.

11. Vos lèvres, mon épouse, c'est un rayon de miel ; le miel et le lait coulent sous votre langue : et l'odeur de vos habits est comme l'odeur de l'encens.

12.  Ma sœur, mon épouse est un jardin fermé et une fontaine scellée.

13.  Vos rejetons ressemblent à un verger de grenadiers avec les fruits de tous ses arbres de troène et de nard.

14.  C'est comme le nard et le safran, le sucre et la cannelle, avec toute sorte d'arbres de bonne odeur, tous les arbres du Liban : la myrrhe et l'aloës, avec toutes sortes d'excellents parfums.

15.  C'est comme la fontaine d'un jardin ou un puits d'eaux vives, qui se précipitent du Liban.

16. Lève-toi, aquilon, viens, zéphyre : soufflez dans mon jardin, et que les parfums s'exhalent.

 

EXPLICATION.

 

1. Que vous êtes belle ! Souvenons-nous que Salomon est en la présence de l'Epouse, et qu'après lui avoir montré sa grandeur, il va lui donner des marques signalées de son amour. Sans ce qu'on ne peut exprimer : « sans ce qui est caché » ( hébr. ), et qui n'est connu que de vous et de moi. Ces paroles sont répétées au vers. 3, et encore au ch. VI, vers. 6. Les Septante traduisent : « Outre ce qu'on ne peut dire ; » et l'ancienne Vulgate y est conforme, comme on le peut voir dans saint Ambroise et dans saint Jérôme (2). C'est pour comprendre en un mot toutes les belles qualités de l'Epouse, tant de l'esprit que du corps, et pour nous faire entendre qu'outre cette beauté qui lui attire des louanges de chacun, elle a des beautés particulières que tout le monde ne découvre point : que sur son visage même et dans ses yeux, sur ses joues, sur ses lèvres et le reste, il y a une bonne grâce, des agréments et des charmes qu'on ne peut exprimer. Les amans se piquent de connaître mieux que personne toutes les beautés de leur bien-aimée. D'autres voudraient entendre ici quelque chose de plus caché : quoique les termes n'y répugnent pas et que saint Jérôme même ne s'en éloigne point, tout ce qu'ils peuvent dire n'a aucun rapport à. la suite du discours, comme on le voit clairement. D'autres

 

1 Vulg. : «Que vos mamelles sont belles!... Vos mamelles sont plus agréables que le vin. » —  2 S. Ambr., passim; S. Hieron. In Isai.

 

643

 

tournent sur l'hébreu : « outre vos cheveux, » parce que les cheveux tombent sur le front et sur les joues, y répandent une nouvelle grâce, mais qui n'est pas telle, qu'elle mérite d'être relevée deux et trois fois avec tant de passion. Quoi qu'il en soit, ces beautés cachées de l'Epouse, qui ont tant de charmes pour l'Epoux, et que toutefois il faut taire avec un silence respectueux, regardent particulièrement le sens spirituel, que nous expliquerons plus commodément à la fin du chapitre. Comme des troupeaux de chèvres : il compare la tête de l'Epouse à une montagne qu'on voit de loin, ce qu'il répète au ch. VII, vers. 5, et ses cheveux à un troupeau de chèvres, parce qu'ils sont noirs et luisants, et parce que les bestiaux marchant en troupe sur le haut des montagnes, paraissent de loin flottant comme des vagues.

2.  Vos dents ressemblent à des troupeaux de brebis nouvellement tondues : tant elles sont blanches, égales et bien rangées. Chacune a deux petits jumeaux : ce qui est ajouté pour l'ornement et pour mettre la chose dans une plus grande évidence. Car il n'est pas nécessaire dans les comparaisons ou les allégories, de trouver tous les rapports et de les faire cadrer jusque dans les moindres choses, pourvu que tout s'accorde en gros. Au reste, ce qui semble ici ne pouvoir s'entendre littéralement, s'expliquera mieux au sens spirituel que nous donnerons dans la suite. Il est bon toutefois d'avertir que pour sauver le sens littéral de ces comparaisons magnifiques prises des troupeaux, des montagnes, des tours, des villes, qui reviendront encore plusieurs fois, il suffit qu'elles aient quelque rapport à la nature de l'amour. En effet, comme les amans dans leurs transports croient voir dans l'objet de leur amour des choses au-dessus d'eux-mêmes et plus augustes que la beauté humaine, ils rassemblent tout ce qu'il y a de beau, de brillant et d'agréable, pour se figurer l'image de la beauté qu'ils aiment, sans rejeter même ce qui n'est pas usité dans le langage ordinaire, tant ils ont l'imagination pleine de l'objet de leur passion. Mais lorsqu'ils ne peuvent en exprimer la beauté par leurs paroles, ils y emploient les idées les plus hardies et quelquefois les moins convenables, qu'ils empruntent d'ailleurs : à quoi les orientaux sont naturellement portés par la vivacité de leur esprit.

3.  Vos joues sont semblables à un éclat de grenade : par leur rondeur et par leur couleur.

4.  Votre cou ressemble à la tour de David: le cou haut et droit. Avec ses fortifications, qui sont les épaules, car l'Epouse est vraiment belle : elle n'est pas maigre ni d'une taille effilée comme un jonc, comme dit le Poète; mais elle se fait également admirer par cet air majestueux qui accompagne sa beauté. Mille boucliers y sont suspendus : c'est le grand nombre et l'arrangement de ses pierreries. Et toutes sortes d'armes de vaillants hommes : comme si elle était chargée des présents de ses amans, à la manière des temples, où sont suspendues les armes des chefs des peuples vaincus.

 

644

 

5. Vos deux mamelles sont comme deux petits chevreuils jumeaux: comme deux petits animaux sauvages, qui ne se laissent point toucher. C'est un éloge de la chasteté de l'épouse, qui plus elle est belle, mieux elle sait se faire respecter. On ne peut laisser échapper ces tendresses d'amans dans un amour chaste et conjugal, sans au moins les indiquer et les toucher légèrement pour faire voir l'élégance de ce poème. Qui paissent parmi les lis : pour marquer la blancheur du sein de l'Epouse.

6. En attendant que le jour vienne, j'irai à la montagne de la myrrhe : je m'approcherai de l'Epouse toute parfumée, vers. 10, 11,14, 16. L'Epoux, attendri du ressouvenir des plaintes que l'Epouse avait répandues de toutes parts en le cherchant pendant la nuit, promet de ne la point quitter que le jour ne soit venu.

8.  Venez et vous serez couronnée: de quelque endroit que vous veniez, du Liban ou du mont Hermon , célèbres par leur fertilité et par leur beauté, ou des déserts affreux et des retraites des bêtes féroces, quelque contrée de la Judée que vous ayez parcourue, ou en chassant, ou en faisant voyage, vous serez reçue avec plaisir et avec joie : nous vous cueillerons des fleurs, et nous vous en ferons des couronnes. D'autres l'entendent ainsi : Quittez les montagnes que vous habitiez et où vous étiez errante : venez et demeurez avec moi. Vous serez couronnée : d'autres traduisent de l'hébreu : « Regardez-moi seulement : » partout où vous jetterez les yeux, vous y porterez la joie.

9.  Vous m'avez blessé au cœur : les Septante tournent plus élégamment : « Vous m'avez gagné le cœur. » Saint Ambroise traduit : « Vous m'avez ravi mon cœur; » et encore : «Vous m'avez pris mon cœur, » rapportant ce passage pour expliquer cet endroit du psaume CXVIII : « Mon âme est tombée en défaillance à cause de votre salut ; » et cet autre : « Mes yeux se sont distillés en méditant votre parole (1) : » où il faut entendre que chaque chose passe, pour ainsi dire, dans l'objet qu'il aime. La même expression se trouve encore dans les Septante, lorsqu'ils disent d'une femme galante, qu'elle enlève les cœurs des jeunes gens (2). Par un de vos regards : tant ils ont de force. Par un de vos carcans « hébreu : » avec peu d'ornement : car vous n'avez pas besoin de beaucoup de parure, et cet air simple est en vous très-agréable. La Vulgate porte : « Par un seul cheveu de votre cou, » flottant sur vos épaules, parce que tout vous sied bien.

10.  Au lieu de vos mamelles l'hébreu porte. «Vos amours : » et le même mot qui est au ch. I, vers. 1, est ici répété deux fois. Plus belles : hébreu, » meilleures, » en le rapportant à «amours.» Et l'odeur de vos parfums : la même chose est dite de l'Epoux au ch. I, vers. 2.

11. Vos lèvres, mon Epouse, c'est un rayon de miel : le lait et le miel

 

1 Serm. XXVI in Ps. CXVIII, et alibi. — 2 Prov., VII, 10.

 

645

 

coulent sur votre langue : comme il est dit de Nestor, que son discours était coulant et plus doux que le miel.

12. Un jardin fermé : il loue l'intégrité et la pudeur, après avoir loué la beauté du visage et la douceur de la voix. Une fontaine scellée : au sens de ce proverbe : « Buvez l'eau de votre citerne; » et encore : « Buvez-en seul (1). »

13. Vos rejetons : vos provins : vous ne produisez que de beaux et d'agréables fruits. De vous il sortira une noble postérité, qui sera célèbre par toute la terre, suivant cette parole : « Il vous est né des enfants à la place de vos pères (2). » De troène et de nard, ou de quelque autre espèce d'arbrisseau. Ce sont des noms de plantes odoriférantes, dont on recueille toutes sortes de parfums, comme au ch. I, vers. 13 ; sur quoi on peut voir Théodoret expliquant ce passage (3).

14.  Avec tous les arbres du Liban : des arbres d'où coule l'encens.

15.  Comme la fontaine d'un jardin, dont l'eau sert à arroser le jardin. Il compare l'Epouse à un jardin très-fertile, où l'on sent toutes sortes de bonnes odeurs.

16. Soufflez dans mon jardin : qui est l'Epouse. Et que les parfums s'exhalent : que leur douce odeur se répande et se fasse sentir.

 

CHAPITRE V.

 

Le jardin des fruits; le festin de l'Epoux; le sommeil de l'Epouse; la voix de l'Epoux qui frappe; les délices de l'Epouse; la fuite de l'Epoux; l'Epouse cherchant l'Epoux encore une fois, tombe entre les mains des gardes, qui la frappent et la dépouillent; beauté de l'Epoux, son teint blanc et vermeil: les jeunes filles qui veulent chercher l'Epoux.

 

L’EPOUSE

 

1. Que mon bien-aimé vienne en son jardin, et qu'il mange du fruit des arbres.

 

L’EPOUX.

 

Je suis venu dans mon jardin, ma sœur, mon épouse : j'ai recueilli ma myrrhe et mes senteurs ; j'ai mangé un rayon de miel : j'ai bu mon vin et mon lait ; mangez et buvez, mes amis : faites bonne chère.

 

1 Prov., V, 15, 17.— 2 Ps. XLIV, 17. — 3 Theod. liv III in Cant.

 

646

 

QUATRIÈME JOUR.

 

L’EPOUSE

 

2.  Je dors, et mon cœur veille : j'entends mon bien-aimé qui frappe.

 

L’EPOUX.

 

Ouvrez-moi, ma sœur, ma bien-aimée, ma colombe, qui êtes sans tache : car ma tête est pleine de la rosée de la nuit, et. mes cheveux en sont tout mouillés.

 

L’EPOUSE

 

3. J'ai quitté ma tunique, comment la reprendrais-je ? Je me suis lavé les pieds ; puis-je les salir ?

4.  Mon bien-aimé a passé ses doigts par l'ouverture de la serrure , et mes entrailles se sont émues à ce bruit.

5.  Je me suis levée pour ouvrir à mon bien-aimé : la myrrhe dégouttait de mes mains, et mes doigts étaient parfumés de la myrrhe la plus exquise.

6. J'ai tiré le verrou et j'ai ouvert ma porte à mon bien-aimé ; mais il s'était retiré et il avait passé outre. J'ai pensé rendre l’âme, dès qu'il a parlé : mon âme s'est fondue. Je l'ai cherché, mais je ne l'ai pas trouvé : je l'ai appelé, et il ne m'a point répondu.

7. Les gardes de la ville faisant la ronde m'ont rencontrée : ils m'ont battue, et ils m'ont blessée : les sentinelles posées sur les remparts m'ont ôté mon voile.

8. Je vous conjure, filles de Jérusalem, si vous rencontrez mon bien-aimé, dites-lui que je suis malade d'amour.

 

LES FILLES.

 

9.  Quel est donc votre bien-aimé, ô la plus belle des femmes ? Quel est votre bien-aimé, pour qui vous nous conjurez ?

 

L’EPOUSE

 

10.  Mon bien-aimé est blanc et vermeil, choisi entre mille.

11.  Sa tête est un or très-pur, ses cheveux sont des branches do palmiers, noirs comme un corbeau.

 

647

 

12.  Ses yeux sont comme des colombes auprès des ruisseaux, qu'on aurait lavées dans du lait, et qui s'arrêtent au bord des eaux.

13.  Ses joues sont comme des parterres de plantes odoriférantes (1), semées par les parfumeurs. Ses lèvres sont des lis d'où coule une myrrhe excellente.

14.  Ses mains sont de l'or tourné, chargées de pierreries ; son corps est d'ivoire, semé de saphirs.

15. Ses jambes sont des colonnes de marbre posées sur des bases d'or. Sa beauté égale celle du Liban ; il est choisi comme les cèdres.

16.  Sa voix est très-douce : il est tout désirable. Tel est mon bien-aimé, fuies de Jérusalem : tel est celui que j'aime.

 

LES FILLES.

 

17. Où est allé votre bien-aimé, ô la plus belle des femmes? Où s'est écarté votre bien-aimé ? Que nous le cherchions avec vous.

 

EXPLICATION.

 

1. Que mon bien-aimé vienne en son jardin : l'Epouse, comparée à un jardin dans le chapitre précédent, prend occasion de décrire la beauté et la netteté des jardins; et elle y invite l'Epoux, afin de s'entre-donner les témoignages les plus tendres de leur amour. Du fruit de ses arbres : l'hébreu porte : « Du fruit de ses douceurs; » c'est-à-dire des fruits très-doux. Je suis venu dans mon jardin : j'ai mangé un rayon de miel : je suis venu dans mon jardin, où j'ai invité mes amis à souper. Remarquez combien ces mets sont simples, puisqu'il ne faut pas même les acheter. Enivrez-vous, mes amis : c'est-à-dire faites bonne chère, dans le style de l'Ecriture, qui ne désapprouve pas la gaieté dans les festins, pourvu qu'on garde la modération convenable, en mêlant de bons entretiens avec le vin. Le souper et le soir marquent assez la fin du troisième jour; c'est pourquoi l'Epouse se retire et va prendre son repos, sa modestie ne lui permettant pas d'assister à un festin de jeunes gens, qui dure bien avant dans la nuit.

 

RÉFLEXION.

 

Si nous élevons nos esprits à la vraie intelligence de ces figures, nous verrons que Jésus-Christ prononce au ch. IV, vers. 7, que l'Epouse, victorieuse des

 

1 Hebr. : « Ses joues sont des parterres.»

 

648

 

cupidités et éprouvée par la tentation, est maintenant toute belle et parfaite, puisqu'il la fait paraître devant lui « pleine de gloire, n'ayant ni tache ni ride, mais étant toute sainte et irrépréhensible (1) : » digne des éloges de Dieu même dans Ezéchiel : « Vous êtes devenue très-belle ; vous êtes accomplie par la beauté que j'ai mise en vous, dit le Seigneur Dieu (2). » Alors donc touché de sa beauté et ne pouvant résister à sa douce invitation, il se donne à elle sans réserve : il aime et ne cesse de louer cette beauté dont il est l'auteur, et son ouvrage fait toutes ses délices. Il nous retrace ensuite les joies et les inquiétudes qu'elle a eues successivement, lorsqu'il la rappelle des campagnes fertiles et agréables, ou des déserts affreux et des retraites des bêtes sauvages, au ch. II, vers. 8, où nous est aussi marqué le temps des persécutions, suivant l'explication de Philon de Carpathe et des autres, qui par les lions entendent les rois persécuteurs, et par les léopards les hérétiques couverts des différentes taches de leurs erreurs et de leurs vices. Leurs scandales font souffrir aux âmes pieuses une dure persécution, qui tourne à la fin à leur avancement, selon ce que dit Isaïe : « La vexation seule donne de l'intelligence (3). » Il faut encore rapporter ici le vers. 10 du ch. IV : « Lève-toi, aquilon, » où il exprime par la violence des vents, les soins et les peines de l'Epouse, qui servent à répandre au loin l'odeur de ses vertus. L'Eglise a éprouvé la même chose, lorsqu'agitée comme par des tourbillons de vents impétueux sous les persécuteurs , elle devenait plus glorieuse et plus florissante par les victoires des martyrs : où l'on voyait se renouveler ce qu'avait dit saint Paul : « Ce qui m'est arrivé, loin de nuire, a servi plutôt à l'avancement de l'Evangile, en sorte que mes liens sont devenus célèbres dans toute la cour de l'Empereur (4), à la gloire de Jésus-Christ (4). » Ainsi l'éclat de tant de sang versé par les martyrs a rassemblé les élus des quatre coins du monde, comme s'ils eussent ouï les quatre vents souffler à la fois pour les appeler, en accomplissant cette parole : «Lève-toi, aquilon, viens, zéphire: soufflez dans mon jardin, et que les parfums s'exhalent. » Car, dit saint Ambroise, l'odeur de la sainte religion s'est fait sentir dans toutes les parties de l'univers (5). Saint Bernard, expliquant les parfums mentionnés en ce chapitre et ailleurs, remarque que l'Epouse a ses parfums aussi bien que l'Epoux : les parfums des pieds, qui sont ceux de la pénitence (6); les parfums répandus sur la tête, qui signifient la piété dans le ressouvenir des bienfaits de Dieu (7); et les parfums employés à embaumer le corps de Notre-Seigneur dans le sépulcre (8), symbole de la charité fraternelle, occupée au soulagement des membres de Jésus-Christ (9). On peut aussi rapporter à l'âme les parties du corps dont on voit une description si exacte aux chapitres IV et V, en cette manière : L'œil, c'est la prudence ou la simplicité

 

1 Ephes., V, 27. — 2 Ezech., XVI, 13, 14. — 3 Is., XXVIII, 19. — 4 Philipp., 1, 13, 14. — 5 Liv. de Virgin. — 6 Luc, VII, 38. — 7 Matth., XXI, 7. — 8 Joan., XIX, 39, 40. — 9 S. Bern., Serm. X et XII in Cant.

 

649

 

et la droiture de l'intention, suivant cette parole : « Si votre œil est simple (1) ;» et de là les yeux de l'Epoux et de l'Epouse sont comparés à ceux des colombes, ch. IV, vers. 1, et ch. V, vers. 12. Les lèvres signifient la prédication de la parole de Dieu, qui surpasse toute beauté et toutes délices : aussi est-il dit des lèvres : « Vos lèvres sont comme un ruban d'écarlate, et votre parole est douce, » ch. IV, vers. 3; et vers. 11 : «Vos lèvres, mon épouse, c'est un rayon de miel. » Ce rayon de miel recueilli sur les fleurs les plus pures, nous marque la prière de l'Eglise, annonçant la parole divine tirée des prophètes et des écrits des apôtres. Les mamelles, c'est la charité même qui donne le lait aux petits enfants, ch. IV, vers. 5; et les dents, les enfants de l'Eglise les plus forts, qui n'ont plus besoin de lait, mais d'une nourriture solide, vers. 2; et sous cette figure, purifiés par les eaux du baptême, ils sortent comme des brebis du lavoir, qui ne sont point stériles, puisqu'ils sont pleins de bonnes œuvres et chargés des fruits de la double charité. D'autres, par les dents, entendent les prédicateurs : car il leur est ordonné en la personne de saint Pierre de manger des animaux immondes et d'incorporer les Gentils dans l'Eglise (2) : et à cause de cette fonction, ils sont aussi comparés à des brebis qui portent. Les cheveux, au verset 1, représentent la multitude des fidèles, figurée pour cette raison par un riche et gras troupeau (3). Les joues teintes de rouge, sont les marques de la pudeur. Le cou abaissé sous le joug du Seigneur, signifie l'obéissance ; la taille haute et droite marque un esprit qui goûte les choses d'en haut; où il faut rapporter : « Votre cou ressemble à la tour de David, » au ch. IV, vers. 4, parce qu'une tour bâtie sur de hautes montagnes, « surpasse non-seulement les lieux les plus bas d'alentour, mais même les plus élevés (4). » Au reste, cette tour est très-forte, parce qu'elle est l'ouvrage de David, roi très-belliqueux, bâtie par ses soins avec de très-bonnes fortifications et munie des armes de vaillans hommes, qui sont les superbes du siècle abattus aux pieds de l'Eglise (5).

Les beautés de l'Epouse qu'on ne peut exprimer, ch. IV, vers. 1, 3, ce sont ses vertus que son humilité et sa modestie tiennent cachées, afin qu'il soit vrai de dire que « toute la gloire de la fille du roi est au-dedans (6) : » car encore, que l'Epoux se plaise aux pratiques extérieures des vertus auxquelles l'Epouse s'exerce pour l'exemple et pour l'édification, il aime encore mieux celles qu'elle cache aux yeux des hommes. C'est pourquoi il loue tant de fois ces beautés cachées, ch. IV, vers. 1, 3; ch. VI, vers. 6; et il se plaît tant à conduire l'Epouse où il réserve son vin et dans les lieux les plus secrets, ch. II, vers. 4. Il aime qu'elle-même l'introduise dans les cabinets les plus retirés, ch. III, vers. 4 ; ch. VIII, vers. 2 : tant cette parole est véritable : « Entrez dans votre

 

1 Matth., VI, 22.— 2 Act., IX, 12,13, 14. — 3 S. Greg., Apon., S. Thom. — 4 S. Ambr., Serm. IV in Ps. CXVIII, — 5 S. Ambr., ibid.— 6 Ps. XLIV, 14. — 7 Matth., VI, 6.

 

650

 

chambre ; priez en secret (7), » parce que tout ce qui est caché en est plus agréable à l'Epoux qui voit ce qui se passe au-dedans. Aussi l'Epouse fait-elle ses délices de la solitude, ch. vu, vers. 11, 12, et des fentes des rochers, ch. h, vers. 14, et des retraites des bêtes féroces, ch. IV, vers. 8; et de là vient qu'elle est appelée un «jardin fermé et une fontaine scellée, » vers. 12. Tout est donc clos à ceux de dehors, afin que tout soit ouvert à l'Epoux seul : il n'y a plus d'entretiens ni d'assemblées; mais de toutes parts c'est des lieux solitaires, des ombres et un silence profond.

L'Eglise est aussi, en un sens très-véritable, le jardin fermé et la fontaine scellée d'où toute erreur est bannie : de même que l'âme élevée, où les mauvais désirs n'ont point d'accès; et encore la véritable Jérusalem, cette cité où il n'entre rien de « souillé ni aucun incirconcis (1).» La merveilleuse fertilité de ce jardin et ses fruits répandus par toute la terre, regarde aussi l'Eglise, parce que les saintes âmes y apportent la fécondité par leurs gémissements, auxquels Dieu se laissant fléchir, verse sur elle l'Esprit sanctificateur qui lui donne de nouveaux enfants (2). Les eaux, c'est la doctrine du salut, vers. 15 : car il semble que par sa profondeur elle est cachée, comme l'eau au fond du puits ; mais par l'efficacité céleste dont elle est accompagnée, elle se répand comme ces eaux abondantes qui se précipitent du haut du Liban.

Les habits de l'Epouse sont les bonnes œuvres; car il est dit dans l'Apocalypse : « Les noces de l'Agneau sont venues, et son Epouse s'est préparée, et il lui a été donné de se revêtir d'un fin lin, éclatant et blanc, et ce fin lin sont les bonnes œuvres des saints (3) : » au contraire, dans Isaïe, des œuvres imparfaites : «Leurs toiles ne leur pourront servir de vêtements, et leurs œuvres ne les couvriront point (4). »

Au reste, on voit ici clairement le banquet où le Seigneur nourrit ses convives, ch. V, vers. 1, et ce lait raisonnable et sans tromperie que les âmes innocentes désirent avec tant d'ardeur, et ce vin excellent et cette ivresse spirituelle, qui est le ravissement de l'esprit en Dieu (5). Mais il ne faut pas oublier que Jésus-Christ, ce bon convive, se nourrit lui-même en nourrissant les autres, puisqu'il a sa nourriture, comme il l'appelle : « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé, et d'achever son ouvrage, » qui est le salut des hommes (6). Il se nourrit donc de notre salut, en nous faisant passer en lui, en nous incorporant en lui : c'est là son miel, dit saint Ambroise, qui étant composé des fleurs de toutes les vertus et recueilli par le travail unanime de ces abeilles mystiques, qui prêchent la sagesse, il est ensuite gardé par la sainte Eglise, partagé en plusieurs rayons, pour être la nourriture de Jésus-Christ (7). Le miel est encore la doctrine salutaire de Notre-Seigneur, cette rosée très-pure du ciel qui est la douceur même.

 

1 Is., LII, 1. — 2 S. August., passim. — 3 Apoc., XIX, 7, 8. — 4 Is., LIX, 6. — 5 I Petr., II, 2. — 6 Joan., IV, 34. — 7 S. Ambr., liv. III de Virgin.

 

651

 

EXPLICATION.

QUATRIÈME JOUR.

 

2.   Je dors, et mon cœur veille. Au commencement du quatrième jour, l'Epouse reçue dans le lit nuptial et s'y reposant, abandonne ses sens au sommeil et tient son esprit attentif à l'Epoux. Au premier coup qu'il frappe, elle s'éveille. Mais parce qu'il revient fort tard, étant demeuré à table avec ses amis bien avant dans la nuit, elle le fait un peu attendre, comme si elle était fâchée. Cependant l'Epoux irrité, s'enfuit. C'est un petit sujet de fâcherie que l'amour seul apaisera, comme il l'a fait naître, afin que les époux sentent la joie de la réconciliation après leur petit différend. Voilà l'abrégé de cette journée; venons au détail. Ouvrez-moi, ma sœur : ainsi parle l'Epouse au ch. VIII, vers. 1 : « Que n'êtes-vous pour moi comme mon jeune frère : » l'amour se plaît à tout ce qui sert à entretenir l'amitié. Car ma tête est pleine de la rosée de la nuit : afin qu'elle ouvre sans tarder, autant par pitié que par amour, et qu'elle croie qu'il revient de la campagne sans s'être arrêté en aucun lieu.

3. J'ai quitté ma tunique ; je me suis lavé les pieds : vain prétexte d'une délicatesse excessive, mais qui sera d'une grande instruction aux saintes âmes.

4.   Mon bien-aimé a passé ses doigts par l'ouverture : les Septante traduisent : «Il s'est avancé par en haut, par la fenêtre, prêt à sauter dedans. » Il vaut mieux entendre qu'il a passé la main par l'ouverture de la serrure, tâchant d'ouvrir avec le doigt. Les serrures et les clefs des anciens étaient bien différentes des nôtres : les serrures avoient une grande ouverture, et les clefs étaient si pesantes, qu'il fallait les porter sur les épaules (1). Mes entrailles se sont émues à ce bruit : lorsqu'il frappait à la porte et qu'il essayait d'entrer, je me suis troublée en moi-même à cause de lui : l'hébreu, les Septante : « a l'abord de l'Epoux. »

5, 6. La myrrhe dégouttait de mes mains : les femmes couchaient toutes parfumées, leur lit même étant arrosé d'essences, comme dit celle des Proverbes : « J'ai répandu dans mon lit de la myrrhe, de l'aloès et de la cannelle (2). » Mes doigts étaient parfumés de la myrrhe la plus exquise; j'ai tiré le verrou : les Septante : « Mes doigts ont fait couler une abondance de myrrhe sur le manche du verrou : » l'hébreu : « La myrrhe dégouttant sur le manche du verrou, j'ai ouvert à mon bien-aimé : » le verrou même était trempé de la myrrhe dont j'avais les mains parfumées : car je ne m'essuyai pas les doigts, tant j'étais empressée. Mon âme s'est fondue : elle est sortie; l'hébreu et les Septante.

 

1 Is., XXII, 22.— 2 Prov., VII, 17.

 

652

 

Dès qu'il a parlé, il m'a ravie toute en lui avec mon amour et mes désirs : ce n'était donc pas mépris de ce qu'elle avait fait attendre l'Epoux, mais un peu de paresse et d'indignation de ce qu'il revenait si tard, peut-être aussi à dessein de l'éprouver (1).

7.  Les gardes de la ville m'ont rencontrée : elle cherche encore l'Epoux dans les places publiques, comme au ch. III, vers. 2; mais elle éprouve l'insolence des gardes, qui, à la faveur de la nuit, la maltraitent encore plus qu'auparavant. Ainsi elle s'expose volontairement à toutes sortes de périls pour trouver son bien-aimé. Mon voile : les Septante : « Un habit léger et d'été; » Philon de Carpalhe : « Un habillement de tête; » et saint Ambroise : « Une longue robe qui la couvrait de la tête aux pieds (2). »

8.  Je vous conjure : après avoir été dépouillée et battue, elle ne sent point le mal qu'on lui fait, tant elle es transportée d'amour; et elle s'en consolera aisément, pourvu que l'Epoux sache qu'elle l'aime : ce qu'elle voudrait lui faire savoir par tout ce qu'elle trouve en son chemin. Si vous rencontrez mon bien-aimé, dites-lui : d'autres traduisent sur l'hébreu, avec les Septante : « Si vous rencontrez mon bien-aimé, que lui direz-vous? » Que je suis malade d'amour : que je suis cette femme blessée de son amour : ce tour est très-élégant et fort passionné.

9.  Quel est donc votre bien-aimé? Votre bien-aimé qui vous est plus cher qu'aucun ami; hébreu : « Celui qui vous est très-cher. »

10.  Mon bien-aimé est blanc et vermeil : l'Epouse souvent emportée aux mouvements de son amour, n'entreprend néanmoins que cette fois de décrire la beauté de l'Epoux, pour satisfaire la curiosité de ses compagnes. Choisi entre mille : « Entre des milliers » hébreu : on le reconnaîtrait aisément entre mille, tant il est distingué par sa beauté.

11.  Sa tête est un or très-pur : les choses les plus belles et les plus précieuses sont souvent comparées à l'or. Ses cheveux sont des branches de palmier: «Ses cheveux sont frisés» (hébr.). Le mot grec signifie un rejeton de palmier, ce qui peut-être a donné lieu à notre version Vulgate. Au reste, les cheveux de l'Epoux sont comparés aux branches des arbres, suivant la métaphore par laquelle on appelle la tête et la chevelure des arbres, leurs branches mêmes chargées d'un beau feuillage.

12.  Ses yeux sont comme des colombes : comme les yeux des colombes, qu'on aurait lavées dans du lait : des colombes si pures et si blanches, qu'elles semblent avoir été trempées dans un bain de lait, et dont les yeux sont très-beaux et très-doux. Qui s'arrêtent au bord des eaux : « au bord des sources abondantes » (hébr. ) : de très-belles colombes, qui se rassemblent dans des lieux fertiles et arrosés de beaucoup d'eau,

 

1 S. Ambr.— 2 S. Ambr., de Isaac, VI.

 

653

 

13. Ses joues sont comme des parterres de plantes odoriférantes : « Ses joues sont des parterres de parfum et des fleurs de bonne odeur » (hébreu) : des parterres semés de fleurs et de plantes odorantes : pour exprimer les parfums de l'Epoux qui coulent de ses cheveux sur ses joues. Ses lèvres sont des lis : il y a des lis de couleur de pourpre; mais les lèvres leur ressemblent mieux par le rapport qu'elles ont au calice que cette fleur figure, quand elle est tout à fait épanouie, et à cause de la douceur de son odeur : c'est donc comme un vase précieux, d'où se distille une myrrhe très-excellente.

14. Ses mains sont de l'or tourné: « Ses mains sont des anneaux d'or »(hébr.), à cause de ses doigts pleins et ronds, plus beaux que l'or. Chargées de pierreries, qui sont de couleur de violette : des mains très-unies, où paraissent de petites veines. Son corps est d'ivoire : «C'est la blancheur de l'ivoire» hébreu. Semé de saphirs : en haut à l'ouverture de la tunique et partout, parce qu'elle est très-déliée, on voit paraître la blancheur de corps de l'Epoux, dont l'éclat se mêle avec le brillant des pierreries semées sur son habit:

15. Ses jambes, ou ce qui en paraît au défaut de la tunique, sont des colonnes de marbre : par leur blancheur et leur force : posées sur des bases d'or : c'est sa chaussure garnie d'or. Le Liban et les cèdres marquent la hauteur et la majesté de sa taille.

16. Sa voix est très-douce : avec le beau son de sa voix, c'est encore la douceur de son haleine et la politesse de son discours. Il est tout désirable : « C'est tous mes désirs » (hebr. et Sept.) : comme si elle disait : Pourquoi tout raconter? à quoi bon faire une description si exacte de toutes les parties de son corps? Il est tout aimable : c'est l'amour même ; saint Thomas.

 

CHAPITRE VI.

 

L'Epoux dans son jardin; la concorde de l'Epoux et de l'Epouse; que l'Epouse est belle et redoutable ! Quelle est sa beauté? Entre les reines, les concubines et les jeunes filles, elle est seule parfaite, aussi belle que l'aurore, que la lune et que le soleil; le jardin des noyers; trouble de l'Epoux; Sulamite.

 

L’EPOUSE

 

1. Mon bien-aimé est descendu dans son jardin, au parterre des plantes aromatiques, pour paître son troupeau dans les vergers et cueillir des lis.

2.  Je suis à lui, et lui à moi : il paît ses troupeaux parmi les lis.

 

654

 

L’EPOUX.

 

3. Vous êtes belle, ma bien-aimée et toute charmante, aussi agréable que Jérusalem, aussi redoutable qu'une armée rangée en bataille (1).

4.  Détournez vos yeux de dessus moi, parce qu'ils m'ont ravi à moi-même; vos cheveux sont comme un troupeau de chèvres, qui paraissent sur Galaad.

5.  Vos dents sont comme un troupeau de brebis sortant du lavoir, dont chacune a deux jumeaux, et il n'y en a point de stérile.

6. Vos joues ressemblent à l'écorce d'une grenade, sans ce qu'on ne comprend pas.

7. J'ai soixante reines, quatre-vingts autres femmes, et des filles sans nombre.

8. Ma colombe est seule, elle est parfaite, seule chérie de sa mère qui l'a choisie. Les filles l'ont vue et l'ont publiée très-heureuse; les reines et les autres femmes l'ont aussi vue et l'ont louée.

 

CINQUIÈME JOUR.

 

LES  FILLES.

 

9. Quelle est celle-ci qui se lève comme l'aurore naissante, belle comme la lune, choisie comme le soleil, terrible comme une armée rangée en bataille ?

 

L’EPOUX.

 

10. Je suis descendu au jardin des noyers, pour visiter les fruits des vallées, pour voir si la vigne est en fleur et si les grenadiers ont poussé des boutons.

11. Je n'en ai rien vu : je me suis troublé en moi-même, comme si j'étais emporté par les chariots d'Aminadab.

 

LES FILLES.

 

12. Revenez, revenez, Sulamite; revenez, revenez, afin que nous vous contemplions.

 

(1) Hebr:  « Vous êtes belle comme Thersa, ma compagne; agréable comme Jérusalem, terrible comme une armée. »

 

635

 

EXPLICATION.

 

1.  Mon bien-aimé est descendu dans son jardin, où il va d'ordinaire dès le matin, et où il avait dit qu'il devait aller, pour paître : pour conduire ses troupeaux dans ses jardins et dans ses vallées abondantes en lis. Quelle politesse, que l'Epoux cueille des fleurs pour l'Epouse, tandis que ses troupeaux sont dans les pâturages !

2.  Je suis à lui : quelque part qu'il aille, je l'ai toujours dans l'esprit, et il pense sans cesse à moi.

3.  Vous êtes belle, ma bien-aimée : voici l'Epoux qui prend la parole. Aussi agréable que Jérusalem:«Vous êtes belle comme Thersa, ma compagne, agréable comme Jérusalem »(hébr.). Thersa était l'ancienne ville royale des Cananéens (1), qui fut aussi le siège royal de Jéroboam et des rois d'Israël, ses successeurs (2) : ainsi ce devait être une ville considérable, du temps même de Salomon. Vous surpassez le reste des femmes, plus que Thersa les villes d'Ephraïm, et que Jérusalem, celles de Judée. Cette comparaison paraît être tirée des couronnes des époux : car elles étaient ornées de tours à la manière des villes, disent quelques interprètes. Peut-être aussi compare-t-il simplement de jeunes filles à des villes, suivant le style de l'Ecriture, où les villes mêmes sont souvent comparées à de jeunes filles; d'où vient, les filles de Judée; et chez les Grecs, les métropoles ou mères des villes, pour dire les capitales. Au reste, il fait mention de villes très-belles et très-célèbres. Aussi redoutable qu'une armée rangée en bataille : car vous enlevez tous les cœurs, sans en manquer aucun. Les attraits de la beauté des femmes sont exprimés ailleurs en mauvaise part en ces termes : « Elle a renversé un nombre infini de cens percés de ses traits; et les plus forts sont tombés sous ses coups (2). »

4. Détournez vos yeux de dessus moi, parce qu'ils m'ont ravi à moi-même : « Leur force a prévalu » hébreu : ils m'ont vaincu : je ne puis y résister. Vos cheveux sont comme un troupeau de chèvres : ceci, avec les deux versets suivants, est repris du ch. IV, vers. 1, 2, 3. On répète volontiers ce qui plaît.

7. J'ai soixante reines : les filles des princes avoient toute la qualité de reines, les autres femmes étaient des servantes ; et les autres filles ayant fonction dans le palais, étaient celles qui n'étaient pas encore en Age d'être mariées. Salomon dit donc que, parmi un si grand nombre de femmes entretenues par sa magnificence, une seule surpasse toutes les autres, et qui est aussi seule digne de son amour : il en eut depuis beaucoup plus, et jusqu'à sept cents reines et trois cents concubines. On dit qu'il en aima plusieurs, mais qu'il a aimé la fille de Pharaon avant toutes les autres ; car il l'avait

 

1. Jos., XII, 24. — III Reg., XIV, 17; XV, 33.— 2 Prov., VII, 25, 26.

 

656

 

épousée au commencement  de son règne, et lui avait d'abord bâti un palais (1).

8. Ma colombe est seule, elle est parfaite : dans un si grand nombre de belles femmes, vous la connaîtriez au visage, tant elle les surpasse toutes en beauté et en grâce. Théocrite exprime la même chose dans son éloquente idylle sur Hélène : car les compagnes qu'elle s'était choisies chantent à sa gloire : «Nous voici deux cent quarante filles de même âge, la plus belle fleur delà jeunesse : mais vous n'en trouverez aucune sans tache, si vous nous comparez à Hélène (2).» De sorte que cette comparaison avec les plus belles femmes fait éclater davantage la beauté de l'Epouse. Elle est seule chérie de sa mère qui l’a choisie : des l'enfance ses parents l'ont aimée plus qu'aucune autre : ce qui sert à relever sa beauté, les mères ayant coutume d'aimer davantage celles de leurs filles qui sont les plus belles. Les filles l’ont vue et l'ont publiée très-heureuse : sa beauté se fait louer de toutes les femmes et même de ses rivales : ce qui est une si grande louange, que l'Epoux n'y peut rien ajouter. Jusque-là il ne lui a point donné de si grandes louanges, ni de si fortes marques de son amour : c'est qu'il était attendri du souvenir des peines qui avoient agité l'Epouse pendant la nuit. Car la colère des amans se change enfin en amour. C'est ici la fin du quatrième jour, dont voici l'ordre : l'Epouse sort avec précipitation au milieu de la nuit ; le matin elle rencontre ses compagnes, et enfin l'Epoux, qui lui donne des louanges infinies jusqu'au verset 9, où nous mettrons le commencement du jour suivant.

 

RÉFLEXION.

 

Venons au véritable sens de ces mystères. Le quatrième jour est encore une épreuve de l'âme, mais plus forte et plus rude qu'au troisième, ch. III : car l'Epouse n'est pas seulement éprouvée; elle est aussi châtiée d'avoir trop tardé à ouvrir. L'Epoux lui apprend qu'elle doit ouvrir dès qu'il frappe, sinon il passe outre à l'instant. De là vient qu'il donne cet avis ailleurs : « Je reprends et je châtie ceux que j'aime ; » et encore : « Je suis à la porte et je frappe ; quiconque écoute ma voix et m'ouvre la porte, j'entrerai chez lui (3). » Car il va et vient comme en courant. Il veut trouver l'âme toujours attentive et jamais endormie, de sorte qu'elle puisse dire avec l'Epouse : « Je dors, et mon cœur veille. » Mais si elle se laisse aller à la paresse, elle en recevra aussitôt le châtiment marqué au ch. V, vers. 6 : « Je l'ai cherché, mais je ne l'ai pas trouvé.» Aussi, dit saint Ambroise sur cet endroit : «Je vous ai cherché, mais je ne puis vous trouver, si vous ne le voulez ; vous voulez bien qu'on vous trouve,

 

1 III Reg., XI, 1, 3; III, 1 ; VII, 8. — 2 Theoc, Idyl. XVIII. — 3 Apoc, III, 19,20.                                                                                      

 

657

 

mais vous voulez aussi qu'on vous cherche longtemps, vous voulez qu'on vous cherche avec soin; vous n'aimez pas qu'elle vous cherche en sommeillant : vous ne voulez pas qu'elle vous cherche avec nonchalance (1). » Lors donc qu'il la trouve paresseuse, quoiqu'enflammée d'amour, il passe sans daigner répondre à sa voix : c'est pour faire croître ses désirs, pour éprouver son attachement, pour lui faire sentir toutes les peines de l'amour (2). Aussi devenue plus passionnée, elle cherche l'Epoux avec toute l'ardeur de son cœur ; et toutefois elle ne le trouve pas, comme au ch. III. Son amour a besoin d'une plus forte épreuve, à mesure qu'il s'accroît. Elle rencontre donc les gardes, qui sont les pasteurs de l'Eglise : ils la frappent, ils la blessent, ils la dépouillent. Si ce sont de saintes et sages personnes, ils lui font des blessures qui valent mieux que des baisers trompeurs (3), c'est-à-dire qu'ils la reprennent fortement de sa paresse et de ses lenteurs, et qu'ils la dépouillent en quelque manière pour la mettre à nu à ses propres yeux, ch. IV, vers. 7. Si ce sont de saints personnages, mais peu capables, ils lui font souffrir des peines mortelles : s'ils sont méchants, ils lui deviennent un sujet de scandale et de chute. Ainsi la fuite de l'Epoux et les conseils de ses serviteurs la jettent également dans l'inquiétude. Cependant il lui reste une consolation : c'est d'appeler l'Epoux et de le demander à tous ceux qu'elle rencontre. Mais par cette épreuve elle s'élève à un plus haut degré de perfection, et par le témoignage de son amour elle anime les autres à une semblable recherche, ch. V, vers. 17.

Les délais et les vaines excuses de l'Epouse, selon saint Augustin et tous les Pères, s'appliquent aux péchés véniels: c'est pourquoi elle dit: «Je me suis lavé les pieds, » vers. 3, conformément à cette parole du Sauveur : « Celui qui est net n'a besoin que de se laver les pieds (4). » Et ils observent que les âmes élevées à une haute contemplation, craignent souvent de descendre à des occupations extérieures, de peur de s'y souiller : mais quand l'Epoux l'ordonne, il n'y a point à délibérer. Il faut encore remarquer avec quel soin les saintes âmes fuient le péché, tant elles craignent de perdre la grâce qui les en a délivrées. « J'ai quitté ma tunique, » vers. 3 : je me suis dépouillée du vieil homme, puis-je m'en revêtir ? Auquel sens saint Paul a dit : « Nous qui sommes morts au péché, comment vivrons-nous encore au péché (5)? » L'Epoux passant ses doigts par la serrure, vers. 4, c'est Jésus-Christ qui cherche à se faire une entrée par sa grâce, en excitant l'âme intérieurement : et lorsqu'il cueille des lis, au ch. VI, vers. 1, et que partout il fait paraître tant d'amour pour les fleurs, c'est encore Jésus-Christ qui rassemble en un ses élus, dont l'innocence et la chasteté fait ses délices. Enfin deux choses font voir que l'âme s'élève aune plus haute perfection, après avoir été éprouvée et châtiée: premièrement, parce qu'elle connaît mieux l'Epoux, qu'elle le loue davantage

 

1 S. Arabr., in Ps. CXVIII, 22. — 2 S. Bern., Serm. LXXV. — 3 Prov., XXVII. 6. — 4 Joan., XIII, 10. — 5 Rom., VI, 2.

 

658

 

et qu'elle le fait connaître aux autres dans tout le ch. V. En second lieu, c'est qu'elle-même en est mieux connue, plus aimée et plus louée, au ch. VI, selon ce qui est écrit : « Je vous connais par votre nom ; » et encore : « Vous avez trouvé grâce devant moi (1). »

Tâchons aussi d'entendre les éloges que l'Epouse donne à l'Epoux. Il est blanc à cause de sa divinité : car il « est l'éclat de la lumière éternelle (2). » Il est rouge dans son incarnation et dans sa passion, puisqu'alors il a été « revêtu d'un habit rouge et d'une robe teinte de sang (3). » Sa tête est un or très-pur, ch. v, vers. 11, c'est-à-dire la divinité même : « Dieu est le chef de Jésus-Christ (4) : » et Jésus-Christ est le trésor caché de la sagesse et de la science : il est la sagesse même plus précieuse que l'or (5). La charité qui est le premier de tous les commandements, est aussi cet or éprouvé par le feu que les âmes tièdes doivent acheter de lui (6). Les cheveux qui lui couvrent la tête, marquent l'humanité qui cache sa divinité : et ils sont noirs, pour signifier le temps que Jésus-Christ vivait parmi les hommes : ainsi ses yeux de colombes expriment aussi sa douceur. Mais quand il est dans la gloire de son Père, ou qu'il va juger le monde, il a ses cheveux blancs comme la laine la plus blanche, et ses yeux tels que la flamme du feu (7). Ses mains unies et comme faites au tour, vers. 14, c'est le bel ordre et l'économie de tout son ouvrage. Il a les jambes fermes, parce qu'il se tient ferme dessus et qu'il écrase ses ennemis sous ses pieds, vers. 15. Saint Ambroise en donne une autre explication : « Ses jambes sont des colonnes de marbre, posées sur des bases d'or, parce que Jésus-Christ seul se promène et marche dans le cœur et dans l'esprit des saints, où la parole céleste est empreinte avec des caractères ineffaçables, comme sur des bases d'or ou sur de riches fondements. Enfin les paroles de vie coulent de sa bouche, et il est l'amour même. » Voilà ce qu'en disent les saints Pères, qui doit suffire pour entendre le reste; et c'est ainsi que l'Epouse connaît l'Epoux. Elle sait aussi à quoi il s'occupe et où il paît ses troupeaux, au ch. VI, vers. 1. Elle ne demande plus comme auparavant qu'on le lui apprenne, au ch. I, vers. 6. D'ailleurs l'Epoux qui avait loué l'Epouse au ch. IV, recommence ici, au ch. VI, à lui donner de nouvelles et de plus grandes louanges. Outre les grâces de sa beauté et la majesté de sa taille, il lui attribue une force invincible : aussi, après s'être livrée au combat, après y avoir reçu des blessures et s'être vue dépouillée par force, elle en excite encore plus son courage, jusqu'à ce qu'elle vienne à bout de ce qu'elle a entrepris, au ch. V, vers. 7, 8. C'est pourquoi il la compare non-seulement aux villes les plus belles et les plus célèbres, surtout à Jérusalem, bâtie dans une si juste proportion et jouissant d'une profonde paix ; mais même à une armée,

 

1 Exod., XXXIII, 12, 17. — 2 Sap., VII., 26. — 3 Is., LXIII, 2; Apoc, XIX, 13; Matth., XXVI, 28. — 4 Cor., XI, 3.— 5  Job, XXVIII, 15. — 6 Apoc., III, 18.— 7 Ibid., I, 14.

 

659

 

parce qu'elle est devenue terrible à ses ennemis; et pour comble de louanges, il dit ici pour la première fois qu'elle est seule et parfaite.

L'Eglise est si bien représentée dans toutes ces figures, qu'on peut à bon droit lui appliquer même ce que disent de l'Epouse les jeunes filles, ses compagnes, au ch. V, vers. 9 : « Quel est votre bien-aimé ? » car personne ne peut arriver à la connaissance de l'Epoux, si l'Eglise ne nous y conduit elle-même. C'est pourquoi elles continuent au vers. 17 : «Où est allé votre bien-aimé? que nous le cherchions avec vous. » De peur que seules elles ne s'égarent dans des routes perdues et qu'elles ne deviennent la proie des hérétiques, elles se joignent à l'Epouse, c'est-à-dire à l'Eglise, pour chercher l'Epoux, lorsqu'il semble se cacher et comme s'éloigner par la sublimité et par la profondeur de sa doctrine.

On ne peut aussi méconnaître l'Eglise à sa beauté éclatante : c'est une ville célèbre bâtie sur une montagne (1) ; c'est une armée en bon ordre, ch. VI, vers. 3, commandée par des chefs très-renommés, munie de toutes sortes d'armes contre les hérétiques et contre les impies : elle est à la fois épouse et ville, comme il est écrit de la nouvelle Jérusalem (2); et elle est une et parfaite. Les reines, les filles et les autres femmes, ch. VI, vers. 7, marquent les différents ordres des commençants, de ceux qui ont fait quelque progrès, et des parfaits. Parmi ces derniers se distinguent encore des âmes qui, semblant vivre déjà dans le ciel avec l'Epoux, deviennent l'admiration des plus parfaites, dont il est dit : « Ma colombe est une, » et à qui s'applique ce que nous avons déjà rapporté d'Ezéchiel : «Vous êtes devenue très-belle et digne du royaume (3), » élevée au-dessus de toutes les reines, puisque vous les gouvernez toutes et par vos paroles et par vos exemples. Ce qui convient surtout à l'Eglise catholique, à laquelle les sectes séparées, quoique ses rivales et ses envieuses, ne peuvent refuser des louanges que la force de la vérité leur arrache.

Ce que dit l'Epoux : « Ma tête est pleine de rosée, » s'entend des paroles de la grâce, qui arrosent les âmes avec l'onction du Saint-Esprit. Comme l'explique admirablement saint Ambroise, « Jésus-Christ, votre chef, est pour vous une source intarissable : ses libéralités ne l'épuisent pas et ses largesses journalières n'en diminuent rien (4). » Jésus-Christ se dérobe quelquefois aux yeux de l'Epouse, parce, disent les saints Pères, qu'il est inaccessible par son élévation à ceux qui veulent le pénétrer avec curiosité : « Celui qui sonde trop avant les secrets de la majesté divine, sera accablé de sa gloire (5)». Mais quand l'Epoux dit : « Détournez vos yeux, » il faut se ressouvenir de Jacob qui parut plus fort que Dieu même (6) ; et de Moïse, à qui Dieu dit : « Laisse-moi (7) ; » et de Jérémie, qui craint souvent de prier pour le peuple; et enfin des saintes

 

1 Matth., v, 14. — 2 Apoc, XXI, 2, 9, 10. — 3 Ezech., XVI, 13. — 4 S. Ambr., liv. III de  Virgin. — 5 Prov., XXV, 27. — 6 Gen., XXXII, 28. — 7 Exod., XXXII, 10.

 

660

 

âmes, qui en quelque manière font violence à Dieu, et à qui l'Epoux dit aussi : Détournez ces yeux humbles et suppliants, ils me font violence : parce qu'ils « sont plus forts que moi » (hébr.) ; mais cette violence est agréable à Dieu (1).

 

EXPLICATION.

CINQUIÈME JOUR.

 

9.  Quelle est celle-ci? Les jeunes filles, ravies d'admiration, saluent ici l'Epouse selon leur coutume, lorsqu'elle sort le matin, comme au ch. m, vers. 6, et au ch. VIII, vers. 5. C'est pourquoi nous y mettons le commencement du cinquième jour, quoique, pour varier la figure, il n'y soit point parlé de nuit. Comme l'aurore naissante : « naissante » n'est pas dans l'hébreu. Il a été ajouté, pour marquer l'heure que l'Epouse paraît en public, comme le soleil lorsqu'il commence à poindre, afin de la comparer à l'éclat de l'aurore qui prévient le lever du soleil; ce qui est ordinaire à tous les poètes, comme a fait Catulle dans son épigramme sur Roscius, Théocrite au sujet d'Hélène, et les autres. Belle comme la lune : la comparaison s'élève de l'aurore à la lune. Choisie comme le soleil : l'Epouse est comparée au soleil, qui est lui-même comparé à l'Epoux sortant de sa chambre ou de son lit nuptial (1). Ainsi les choses qui paraissent les plus belles au matin, comme l'aurore et souvent la lune, et tôt après le soleil levant avec sa lumière très-pure, expriment ici la beauté éclatante de l'Epouse, lorsqu'elle paraît en public. Terrible comme une armée rangée en bataille : voyez le verset 3 de ce chapitre.

10.  Je suis descendu au jardin des noyers : c'est l'Epoux qui parle. Je m'en allais au jardin cultiver les arbres : je n'ai pu m'y arrêter, j'en ai été tiré comme par force pour retourner vers l'Epouse. Au jardin des noyers : autre que celui des fleurs et des aromates, auprès duquel l'Epoux paissait ses moutons, comme il est dit au ch. VI, vers. 1. Celui-ci est le jardin fruitier, où il y a toutes sortes de fruits, des noix, des vignes et des grenades.

11.  Je n'en ai rien vu : étant tout transporté d'amour, je n'ai fait attention à rien. Je me suis troublé en moi-même : mon âme m'a fait égaler la vitesse des chariots d'Aminadab; hébreu : «Je suis revenu aussi vite que si j'avais été enlevé dans un char à quatre chevaux. » Aminadab était peut-être en réputation d'avoir des chevaux fort vites, ou de les savoir mener avec adresse. D'autres prenant le mot d'Aminabad pour un nom appellatif, l'expliquent : Les chariots de mon peuple noble, parce que les grands seigneurs aiment les beaux attelages.

12. Revenez, revenez, Sulamite : les filles touchées de la beauté de l'Epouse,

 

1 Tertull., Apolog. — 2 Ps. XVIII, 6.

 

661

 

la rappellent comme elle se tirait à l'écart, parce qu'elle ne peut souffrir la présence des hommes en l'absence de l'Epoux. Sulamite : pacifique; ce mot féminin, qui a la même origine et la même signification que Salomon, est employé pour désigner l'Epouse déjà connue sous le nom de bien-aimée : Aquila traduit, « pacifique, » comme le rapporte Théodoret en ce lieu, où il lit, comme nous, le mot hébreu Sulamite, et non Sunamite, suivant le grec d'aujourd'hui qui ne signifie rien.

 

CHAPITRE VII.

 

Les beautés particulières de l'Epouse, sa tête, sa taille; la concorde de l'Epoux et de l'Epouse : ils vont aux champs dès le matin ; les fruits réservés pour l'Epouse.

 

L’EPOUX AUX FILLES.

 

1. Que verrez-vous dans la Sulamite, sinon le bel ordre d'un camp?

 

LES FILLES.

 

Que vos pieds, princesse, sont beaux avec cette chaussure! le tour de vos cuisses ressemble à des carcans de la main d'un habile ouvrier.

2.  Votre nombril est une coupe ronde, toujours remplie de liqueurs. Votre ventre est semblable à un monceau de froment, environné de lis.

3.  Vos deux mamelles ressemblent à deux chevreuils jumeaux.

4.  Votre cou est une tour d'ivoire; vos yeux aussi clairs que les fontaines d'Hésébon, près de la porte appelée la fille de la multitude; et votre nez comme la tour du Liban, qui regarde Damas.

5.   Votre tête est semblable au Carmel ; et vos cheveux à la pourpre royale, lorsqu'elle est encore dans la teinture.

 

L’EPOUX.

 

6.  Que vous êtes belle, ma très-chère, que vous êtes agréable dans vos délices !

7. Votre taille est semblable au palmier, et vos mamelles à des grappes de raisin.

8.  J'ai dit : Je monterai sur le palmier (hébr.), et je m'attacherai

 

662

 

à ses branches (1) : et vos mamelles me seront comme des grappes de raisin ; et l'odeur de votre bouche comme celle des citrons.

 

9.  Votre voix est un vin délicieux, digne de la bouche de mon bien-aimé, agréable à ses lèvres et à ses dents.

 

L’EPOUSE

 

10.  Je suis à mon bien-aimé, et son inclination le porte à moi.

 

SIXIÈME JOUR.

 

11. Venez, mon bien-aimé, allons aux champs, faisons notre demeure à la campagne.

12. Levons-nous du matin pour aller aux vignes : voyons si la vigne est en fleur, si les fleurs poussent des fruits, si les grenadiers fleurissent (hébr. ) : là je vous donnerai mon amour (2).

13. Les mandragores se font sentir : il y a toutes sortes de fruits à nos portes ; je vous en ai gardé, mon bien-aimé, d'anciens et de nouveaux.

 

EXPLICATION.

 

1.  Que verrez-vous? La Vulgate traduit au singulier ce que l'hébreu traduit au pluriel, en parlant aux jeunes filles. L'Epoux paraît dès qu'il entend nommer l'Epouse; et s'adressant à ses compagnes, il leur dit : Que verrez-vous sur elle, si ce n'est la joie d'une danse et le bel ordre d'un camp? Que vos pieds : la troupe des filles répond à l'Epoux : Que vos pieds, princesse, sont beaux avec votre chaussure! que votre arrivée nous est agréable! comme dans Isaïe : « Combien sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix (3) ! » Et c'est aussi une louange des pieds et de la chaussure. Princesse : fille du roi Pharaon : Symmaque rapporté par Théodoret tourne : « Fille d'un général d'armée.» Le tour de vos cuisses :les jointures qui assemblent les cuisses avec les genoux, sont d'un ouvrage admirable. D'autres traduisent de l'hébreu : «Le tour et la rondeur des cuisses, » qu'on voit paraître à travers d'une robe déliée et claire, qui emportée au vent s'applique sur le corps. Ressemble à des carcans de la main d'un habile ouvrier : elles semblent faites au tour et avec toute la perfection de l'art.

 

1 Vulg. : « Je cueillerai ses fruits.» — 2 Vulg. : « Mes mamelles. » — 3 Is., LII, 7.

 

663

 

2.  Votre nombril est une coupe ronde : ce dénombrement des moindres parties du corps nous apprend quelle est l'étendue de la miséricorde de Dieu, dit saint Grégoire : cet habile ouvrier n'ayant rien fait avec négligence dans son excellent ouvrage (1). Mais s'il a pris tant de soin pour perfectionner le corps, combien plus de perfections aura-t-il mises dans l’âme, qui est l'objet de son amour? Mais ceci regarde le sens spirituel : venons à la lettre. On voit encore aujourd'hui, à travers d'une draperie légère, le nombril marqué distinctement sur des statues antiques. C'était la coutume des orientaux de se parfumer le corps, et surtout le nombril, pour le plaisir et même, dit-on, pour la santé : de là le nombril est comparé à une coupe ronde et pleine. Une coupe ronde ou faite au tour : dans le Cantique il semble qu'on appelle faits au tour, tous les ouvrages conduits à leur perfection, comme quand il est dit au ch. V, vers. 14, que les mains de l'Epoux sont faites au tour. Toujours remplie de liqueurs : « de liqueurs mêlées ensemble » (hébr. et les Sept.) : c'est-à-dire d'une composition d'excellents parfums. Elles louent le nombril de l'Epouse et n'oublient rien qui mérite d'être loué, pour nous faire entendre qu'il n'y a en elle aucun défaut, et qu'elle est accomplie de tout point. Votre ventre est semblable à un monceau de froment : par sa figure et à cause de sa fécondité. Environné de lis : jugeant de sa blancheur par les autres par-tics du corps : car tout est fleuri dans l'Epouse. Ces beautés de l'Epouse sont louées avec plus de liberté par les filles qui ont pu se baigner avec elle, et qui en sont touchées d'admiration sans aucun sentiment criminel : ainsi le poète se tient dans les bornes de la bienséance.

3.  Vos deux mamelles : voyez le chapitre IV, vers. 5.

4.  Votre cou est une tour d'ivoire : par sa figure, sa hauteur et sa blancheur : vos yeux aussi clairs que les fontaines d'Hésébon : aussi clairs que l'eau des sources les plus pures. Cette comparaison se tire de la langue sainte, où le même mot signifie un œil et une fontaine. Hésébon était une ville royale, qui avait deux fontaines à l'une de ses deux portes. Près de la porte appelée la fille de la multitude : c'est ce que signifie en hébreu le nom de cette ville et de sa porte. Votre nez est comme la tour du Liban. La tête est comparée à une montagne, au verset suivant ; et par proportion, le nez est comparé à une tour fort élevée : le nez marque la noblesse et la bonne mine.

5. Votre tête « sur vos épaules» (hébr. Septante) est semblable au Carmel : votre tête, semblable à une haute montagne couverte de fleurs et d'arbres verdoyants, s'élève au-dessus de vos épaules, comme le Carmel au milieu de la campagne, pour marquer les couronnes de fleurs dont elle pare sa tête, et les rubans entrelacés dans les tresses de ses cheveux. Et vos cheveux à la pourpre royale : il compare au tissu de la pourpre, et non à sa couleur, les

 

1 S. Greg., Procem. in Cant.

 

664

 

tresses des cheveux de l'Epouse. En hébreu la pourpre s'appelle aussi un tissu; ce que les Septante traduisent : « La tresse de votre tête est semblable à la pourpre. » A la pourpre royale : au tissu le plus délié et le mieux travaillé. On peut bien aussi comparer à la pourpre les cheveux de l'Epouse, à cause des fleurs et des rubans de couleur de pourpre mêlés dans sa coiffure. Lorsqu'elle est encore à la teinture : lorsqu'elle est attachée dans les vaisseaux des teinturiers en pourpre, pour y prendre une double teinture.

6.  Que vous êtes belle: c'est l'Epoux qui parle, comme le montre assez le vers. 8. Dans vos délices : paroles de tendresse et d'affection. Tandis que les jeunes filles chantent les louanges de l'Epouse, l'Epoux ayant les yeux sur elle, attendri par ses regards et par les doux accents de ses compagnes, s'écrie dans son transport : « Que vous êtes belle ! »

7.  Votre taille est semblable au palmier : parce qu'elle a la taille haute et droite. Et vos mamelles à des grappes de raisin : aux grappes d'une vigne, dont les branches sont attachées à un palmier.

8.  J'ai dit : Je monterai sur le palmier : je me jetterai entre ses bras; et je cueillerai ses fruits : je m'attacherai à ses branches. Hébreu : «Je l'embrasserai tendrement : » où il joint la bouche, les mamelles et toutes les autres sources des douceurs. En ce sens Salomon dit lui-même aux Proverbes : « Réjouissez-vous avec votre femme dans votre jeunesse : mettez tout votre plaisir dans son amour (1), «voulant inspirer l'amour chaste et éloigner de l'amour infâme. Aussi ajoute-t-il : «Pourquoi, mon fils, vous laissez-vous séduire par l'étrangère?» Et ce précepte tendait aux bonnes mœurs à sa manière, surtout pour l'ancien peuple : car à présent saint Paul élève le chrétien à un degré plus haut, lorsqu'il dit : « Que ceux qui ont des femmes, vivent comme n'en ayant point; et ceux qui usent de ce monde, comme n'en usant point (2). »

9.  Votre voix, votre parole, ô mon Epouse, est un vin délicieux, digne de la bouche de mon bien-aimé : c'est ce que veut dire la phrase hébraïque, qui se trouve encore aux Proverbes, où la Vulgate traduit : «Il coule agréablement» un vin délicieux à boire, qu'on peut présenter à ses amis (3). Remarquez que le mot hébreu, dodi, mon ami, mon bien-aimé, ne s'applique pas à l'Epoux seul, puisqu'au ch. V, vers. 1, où il est employé comme ici, la Vulgate l'a traduit au pluriel, «mes amis. » Agréable à ses lèvres et à ses dents: qui le fait parler comme un homme endormi ; hébreu : « Votre parole, ma bien-aimée, m'est aussi agréable que l'est à mon ami un excellent vin qui le ferait bégayer. » Il veut paraître comme enivré de la bonté et des tendresses de l'Epouse : tant il en est épris.

10.  Je suis à mon bien-aimé, dit l'Epouse pour répondre aux ardeurs de l'Epoux; et son inclination le porte à moi: son désir ou son inclination

 

1 Prov., V, 18, 19. — 2 I Cor., VII, 29, 31. — 3 Prov., XXIII, 31.

 

665

 

(hébr.) : c'est le même mot que dans la Genèse, où, en parlant de la première femme, l'hébreu porte : « Tu seras l'inclination de ton mari, » ce que la Vulgate a traduit : « Tu seras en la puissance de l'homme  (1) ; » les Grecs, Homère surtout et Théocrite, nomment aussi celte passion désir, inclination, amour. C'est-à-dire : Nous sommes unis d'inclination, autant que par le nœud conjugal; et l'amour chaste nous fait sentir toutes ses ardeurs, qui ne se peuvent éteindre que par les embrassements tant désirés. Ainsi finit le cinquième jour, comme au ch. II, vers. 6, et au ch. VIII, vers. 3. Aussi vont-ils changer et d'entretiens et d'exercices.

 

RÉFLEXION.

 

Pour nous élever donc comme par degrés à des pensées plus hautes et toutes célestes, voici l'âme sublime devenue l'admiration, non-seulement de l'Epoux, mais encore de ses compagnes. Elles avoient commencé à la louer au ch. III, vers. 6, la comparant à la fumée d'un encens de très-bonne odeur. Mais empruntant ici de nouvelles louanges, elles la publient aussi éclatante de toutes parts que la lune, que l'aurore, que le soleil même, et qu'une armée terrible à ses ennemis, où les boucliers et les casques brillent au rayon du soleil qu'ils renvoient, au ch. VI, vers. 9. Elle est appelée Sulamite du nom même de Salomon, ch. VII, vers. 12; ch. VII, vers. 1 ; et sa beauté est merveilleusement relevée : car elle est très-parfaite en tout point et dans les moindres parties, au ch. vu, vers. 1,2; d'une taille haute et élevée vers le ciel, à la manière d'une tour ou d'une montagne, vers. 4, 5.

Ces éloges ne conviennent pas moins à l'Eglise chrétienne, ainsi appelée du nom de Jésus-Christ même. Elle porte avec raison le titre de pacifique, puisqu'elle enferme tous les élus dans son unité et dans sa paix. On y distingue divers ordres de personnes qui, comme il est écrit, « sont toutes dans la joie (2) : » avec la terreur des armes, c'est-à-dire la parole de Dieu, qui accable les impies. Le nouveau peuple dit d'une commune voix à l'Eglise, qui le reçoit dans son sein : «Que votre arrivée est agréable, » au ch. VII, vers. 1 ; «Combien sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix, qui apportent tous les biens (3) ! » Us la publient très-heureuse, parce que pénétrée de l'onction céleste, elle mérite de porter le nom du Christ et qu'elle est très-parfaite. De là vient ce dénombrement exact de toutes les parties, que nous avons vu, où rien n'est oublié, ni le nombril, ni le ventre, ni la rondeur des cuisses, au ch. vu, vers. 12. Le retranchement du nombril signifie la rémission des péchés, suivant ce qui est écrit : «Tu es une racine de la terre de Chanaan; et, au jour de ta naissance, ton nombril n'a point été coupé, et tu n'as pas été lavée de l'eau

 

1 Gen., III, 16. — 2 Ps., LXXXVI, 7. — Is., LII, 7.

 

666

 

salutaire (1) : » c'est-à-dire que, comme le retranchement du nombril est une propreté du corps, de même la rémission des péchés fait la beauté de l'Eglise, puisqu'une grâce aussi abondante qu'une grande mixtion de parfums exquis succède à la place du péché, comme le dit saint Paul : « Où il y a eu abondance de péché, il y a eu ensuite une surabondance de grâce (2). » La fécondité de l'Eglise est encore clairement figurée dans ces paroles : « Votre ventre est semblable à un monceau de froment, » et la chasteté inséparable de sa fécondité est aussi marquée par la comparaison des lis, qui expriment l'éclat de la chasteté de l'Epouse. Ceux qui l'aiment la trouvent aimable jusque dans ses habits et dans sa chaussure, jusque dans les franges de la princesse, c'est-à-dire dans ses pratiques et dans ses cérémonies, parce que la lumière de la vérité y est répandue partout. Ils la trouvent belle de toutes parts et en tout point, parce que Jésus-Christ y est de tout côté, et que « en lui tout le corps de l'Eglise est parfaitement uni en toutes ses parties (3). » Mais il paraît surtout aux jointures, où les membres ont leur liaison et leur assemblage: car comme saint Paul ajoute : « C'est par son influence dans toutes les liaisons, qu'il produit l'accroissement du corps, afin qu'il s'édifie par la charité (4). »

Les deux jardins de l'Epoux, celui des fleurs et celui des fruits, au ch. VI, vers. 1, 10, semblent signifier dans l'Ecriture ce qui fait la joie et la nourriture de l’âme. Saint Ambroise entend par le jardin des noyers, celui où est le fruit de la lecture des prophéties et de la grâce sacerdotale, qui est amère dans ses tentations, pénible dans ses travaux, et abondante dans les vertus intérieures (5); et saint Augustin, sous la figure des noix, les sens cachés de l'Ecriture qui ne se développent qu'avec beaucoup d'application. Que si Jésus-Christ semble quelquefois s'éloigner de l'Epouse, c'est pour revenir à elle aussitôt après, comme s'il succombait au transport de son amour, et pour, s'unir à elle plus étroitement, au ch. VI, vers. 1, 10, 11, et au ch. VII, vers. 8. Mais qu'est-ce à dire que Jésus-Christ aime et possède les saintes âmes? Celui-là le saura, qui comprendra la force de cette parole : « Je fais mes délices d'être parmi les hommes (6): » et de celle-ci : « Je t'ai aimée d'un amour éternel; c'est pourquoi, touché de pitié pour toi, je t'ai attirée à moi (7) ; » et de cette autre : « Convertissez-vous, car je suis votre époux (8) ; » et enfin de celle-ci : « Je t'ai regardée, et voici le temps que tu as désiré, le temps des amants : j'ai donc étendu mon manteau sur toi, et tu es à moi (9). » Ce qui signifie clairement : Je t'ai épousée, et tu es en ma possession, comme on le voit dans saint Paul : « Je vous ai fiancée à Jésus-Christ, votre unique époux, pour vous présenter à lui comme une vierge chaste (10). » C'est pourquoi Jésus-Christ possède encore les saintes âmes par les prédicateurs de sa parole, qui, dans

 

1 Ezech., XVI, 3, 4. — 2 Rom., V,  20.— 3 Ephes., IV, 10. —  4 Ibid.—  5 S. Ambr., liv. III de Virgin.— 6 Prov., VIII, 31. —  7 Jerem., XXXI, 3.— 8 Ibid., III, 14. — 9 Ezech., XVI, 8. — 10 II Cor.,  XI, 2.

 

667

 

le transport de leur joie, disent avec le même apôtre en voyant la soumission de leurs disciples : « Oui, mon frère, je vous ai acquis au Seigneur : soulagez mes entrailles dans le Seigneur (1) ; » et mille autres endroits semblables. La bouche ou la voix de l'Epouse, comparée à un vin excellent, signifie la parole de l'Eglise et la prédication de l'Evangile, que Jésus-Christ compare lui-même à un vin nouveau et plein de force  (2).

 

EXPLICATION.

 

SIXIÈME JOUR.

 

11. Venez, mon bien-aimé, allons aux champs : elle fait assez entendre qu'ils étaient rentrés chez eux, mais qu'ils en devaient bientôt sortir, et dès le point du jour, c'est-à-dire au commencement du sixième jour. Allons aux champs: ceci est particulier à ce jour, que l'Epoux ne sort pas seul comme auparavant, et qu'il n'invite plus l'Epouse à aller à la campagne, après qu'elle est éveillée, comme au ch. II, vers. 10. Elle-même le prévient : fatiguée du tumulte et de l'embarras des villes et soupirant après la solitude, elle attire l'Epoux à la campagne pour le posséder avec plus de liberté. Faisons notre demeure à la campagne : ils se proposent un nouveau genre de vie : Maintenant, dit-elle, ne nous promenons plus dans la campagne; mais fixons-y notre demeure pour toujours, et passons-y les nuits.

12. Levons-nous du matin pour aller aux vignes : levons-nous au point du jour pour jouir de la beauté de la campagne. Là, je vous donnerai mon amour (hébr.) ; et non, «mes mamelles,» comme porte la Vulgate (voyez le ch. I, vers. 1, 3, et ch. IV, vers. 10), étant en liberté et enflammée d'un amour plus ardent par la beauté de la campagne, et par la douceur de l'air, et par le silence des jardins, et par l'ombre des arbres.

13.  Les mandragores se font sentir : elles ont, dit-on, la racine odoriférante. Il y a de toutes sortes de fruits à nos portes : il y en croit de toute sorte à la porte, et il ne faut pas aller loin pour en trouver, maintenant que nous ne demeurons plus à la ville, mais que nous sommes au milieu des jardins et de la campagne.

Je vous en ai gardé d'anciens et de nouveaux : ce qui en marque une grande abondance, suivant ce qui est écrit : «Vous mangerez des fruits de plusieurs années (3) ; » et ailleurs : « Il tire de son trésor d'anciennes et de nouvelles provisions (4). » Je vous en ai gardé : dans une si grande abondance elle fait sa provision avec dessein et avec choix : car l'Epoux recevra plus agréablement ses fruits que l'Epouse aura choisis elle-même, et qu'elle lui aura gardés.

 

1 Philem., vers. 20.—  2 Luc, V, 37.— 3 Levit., XXVI, 10. — 4 Matth., XIII, 52.

 

668

 

CHAPITRE VIII.

 

L'empressement de l'Epouse pour recevoir en liberté le saint baiser de l'Epoux, pour le conduire à la maison de sa mère, et là se faire instruire par lui; leurs chastes embrassements; l'Epouse sort du désert, elle se repose sur son bien-aimé; le pommier, le cachet, l'amour, la jalousie, sa flamme qu'on ne peut éteindre; la jeune sœur de l'Epouse; la vigne de l'Epoux, sa voix si désirable à l'Epouse; la chanson de l'Epouse; fuyez.

 

L’EPOUSE

 

1. ( Hébr. ) Que n'êtes-vous pour moi comme mon jeune frère, suçant le lait de ma mère! je vous trouverais dehors, je vous baiserais, sans que personne le trouvât mauvais.

2.  Je vous prendrai et je vous conduirai dans la maison de ma mère : vous m'instruirez, et je vous ferai boire d'un vin préparé et du jus de mes grenades.

3. De sa main gauche il me soutient la tête, et il m'embrasse de sa droite.

 

SEPTIÈME JOUR.

 

L’EPOUX.

 

1.  Filles de Jérusalem, je vous conjure, gardez-vous d'éveiller ma bien-aimée et de troubler son sommeil, jusqu'à ce qu'elle le veuille.

 

LES FILLES.

 

5.  Qui est celle-ci qui sort du désert, rassasiée de plaisirs, appuyée sur son bien-aimé (1) ?

 

L’EPOUSE

 

Je vous ai éveillé sous un pommier où votre mère a été en travail, et où elle vous a mis au monde.

6.  Mettez-moi comme un cachet sur votre cœur : car l'amour est aussi fort que la mort, et la jalousie aussi inflexible que le sépulcre : ses flambeaux sont du feu et des flammes.

 

1 Hebr. : « Qui sort du désert, accompagnée de son bien-aimé.»

 

669

 

7.  Une grande quantité d'eau ne peut éteindre l'amour, ni les fleuves l'étouffer : quand un homme l'aurait acheté au prix de tout son bien, il croirait n'avoir rien donné.

8.  Notre sœur est jeune, elle n'a pas encore le sein formé; que ferons-nous de notre sœur, lorsqu'on la recherchera ?

 

L’EPOUX.

 

9.  Si c'est un mur, bâtissons dessus des forteresses d'argent : si c'est une porte, arrêtons-la avec fies planches de cèdre.

 

L’EPOUSE

 

10. Je suis un mur, et mes mamelles sont comme des tours : depuis qu'il m'a trouvée agréable à ses yeux.

 

L’EPOUX.

 

11. Le pacifique a une vigne en un lieu fort peuplé (1) : il l'a donnée à des vignerons qui lui en rendent chacun mille pièces d'argent.

12.  Ma vigne est devant moi. Pacifique, jouissez de l'argent qui vous en revient, et les vignerons de leur profit.

13.  Vous qui demeurez dans les jardins, nos amis écoutent: faites-moi entendre votre voix.

 

L’EPOUSE

 

14.  Fuyez, mon bien-aimé, et soyez comme le chevreuil et le faon d'une biche sur les montagnes des aromates.

 

EXPLICATION.

 

1. Que n’êtes-vous pour moi comme mon jeune frère! c'est l'hébreu à la lettre. Suçant le lait de ma mère : frère utérin né d'une même mère et nourri de son lait, et en cela plus cher : car nous avons vu que les amans se plaisent à s'entre-donner des noms de tendresse et d'affection, au ch. V, vers. 2. Elle désire donc d'embrasser l'Epoux et de le baiser avec la même liberté qu'elle ferait son propre frère encore enfant. Sans que personne le trouvait mauvais : sans qu'on osât me mépriser, ni m'accuser d'aimer avec trop de passion.

 

2. Je vous conduirai dans la maison de ma mère : voyez le ch. III, vers. 4.

 

1 Hebr. : « Salomon a une vigne à Baal-Hamon. »

 

670

 

Quoiqu'elle puisse honnêtement embrasser l'Epoux sans se cacher, elle aime mieux néanmoins le faire en secret. Vous m'instruirez : honnête femme, qui sa fait instruire par son mari, tant elle lui est soumise et tant elle aime son devoir. Saint Paul ordonne aussi aux femmes de recevoir l'instruction de leurs maris dans leurs maisons (1) ; et dans Xénophon, Icomaque conduit la sienne chez soi et l'instruit en particulier (2). Et je vous ferai boire d'un vin préparé : dans l'entretien je vous donnerai des liqueurs.

3. De sa main gauche il me soutient la tête : c'est la fin du jour, comme au ch. II, vers. 6.

 

RÉFLEXION.

 

Voici l'âme sublime toute embrasée de l'amour de l'Epoux. Plus elle paraît admirable aux yeux du monde, plus elle cherche à se cacher pour posséder son bien-aimé plus paisiblement à l'écart, imitant Marie qui apprend de la bouche du Seigneur, que « c'est la seule chose nécessaire (3). » Tels étaient les anciens solitaires qui, à l'exemple de Jean-Baptiste, éloignés même de la compagnie des gens de bien, employaient toutes les forces de leur esprit à s'occuper de Dieu seul. Voici donc toutes choses changées en mieux : voici des fleurs et des fruits en abondance ; mais des fruits de toute espèce, anciens et nouveaux, à mesure que l'âme fait de nouveaux progrès et qu'elle s'avance de vertus en vertus. Alors devenue plus hardie et comme hors d'elle-même, elle s'abandonne ouvertement à l'objet de son amour sans aucune réserve : et ce que dit saint Paul s'accomplit en elle : « Soit que nous soyons emportés comme hors de nous-mêmes, c'est pour Dieu : car la charité de Jésus-Christ nous presse (4) ; » et encore : «Ma bouche s'ouvre pour vous, ô Corinthiens ; mon cœur se dilate par la charité (5) ; » et enfin : « Je vis, mais ce n'est plus moi qui vis (6), » ce dont on voit plusieurs exemples dans les Pères du désert. Toutefois elle préfère la retraite où elle est en secret (7); et se tenant assise aux pieds de Jésus, elle écoute sa parole, qui se fait entendre au dedans plutôt qu'au dehors (8). Ce qui est suivi au septième et dernier jour, des faveurs les plus douces et du repos de la plus sublime contemplation.

Les vertus de l'Eglise sont aussi clairement marquées ici : sa vigilance, lorsqu'elle excite les pasteurs à veiller à la vigne qui leur est confiée; et cette abondance de fleurs et de fruits, avec la source de toutes les vertus exprimées par les mandragores, au ch. VII, vers. 11, 12, 13; son application comme une bonne mère à se remplir les mamelles, qu'elle présente à Jésus-Christ quand elles sont pleines ; et à recueillir des fruits nouveaux avec les anciens, où éclate la gloire qu'elle reçoit de ses nouveaux enfants, lorsqu'aux

 

1 I Cor., XIV, 35. — 2 Xenoph., Oecon. — 3 Luc, X, 42. — 4 II Cor., V, 13,14. — 5 Ibid., VI, 11. — 6 Gal., II, 20. — 7 Matth., VI, 6. — 8 Luc, X, 39.

 

671

 

patriarches et aux prophètes, elle réunit les apôtres et les martyrs, auxquels se joindront à la fin les Juifs mêmes, qui sont réservés au Seigneur.

 

EXPLICATION.

 

SEPTIÈME JOUR.

 

4.  Gardez-vous d'éveiller ma bien-aimée : l'Epoux, selon sa coutume éveillé dès l'aurore, prend soin du repos de l'Epouse qu'il laisse endormie, comme au ch. II, vers. 15 ; ch. III, vers. 5 ; et là commence le septième et dernier jour.

5.  Qui est celle-ci qui sort du désert? L'Epouse donc paraît en public dès le commencement du jour, et ses compagnes la reçoivent avec la même admiration qu'au ch. III, vers. 6, et ch. VI, vers. 9. Il semble que c'est le jour du sabbat; car l'Epoux sort avec l'Epouse, ce que nous n'avons point encore vu. Aux autres jours, dès le grand matin, l'Epoux s'en allait à la campagne à son travail ordinaire, et l'Epouse sortait seule de sa chambre: mais aujourd'hui il ne fait aucun ouvrage, il ne cultive point son jardin, il ne conduit point ses troupeaux aux pâturages. Ils s'entretiennent familièrement : ils vont voir leurs amis : ils paraissent ensemble en public comme en un jour de fête : et l'Epouse semble être arrivée à l'état le plus sublime. Elle n'est plus louée d'avoir des habits parfumés et des parures magnifiques, ou une beauté si rare : mais de ce qu'elle sort seule avec l'Epoux, et qu'appuyée sur lui, elle est maintenant très-heureuse. Je vous ai éveillé sous un pommier : elle a éveillé l'Epoux qui dormait : c'est la force de l'hébreu. Elle raconte donc que la première fois qu'elle le vit, elle le trouva endormi sous quelque arbre, et qu'aussitôt elle fut tellement éprise de lui, qu'elle ne put s'empêcher de le tirer comme en jouant pour l'éveiller. Elle ajoute qu'il est né sous cet arbre, afin qu'elle-même s'y reposât avec lui plus librement, comme à l'ombre sous laquelle il avait pris naissance ; choses dont le souvenir est très-agréable aux amans, et que le poète exprime ainsi : «Je vous ai vue, étant enfant, cueillir avec votre mère des fruits couverts de rosée, dans nos jardins où je vous avais conduite : à peine avais-je douze ans ; mais dès que je vous vis, ah ! que je fus épris (1) ! » Où votre mère a été en travail, où elle vous a mis au monde : c'est à la lettre ce que signifie le mot hébreu répété deux fois ; et les Septante emploient aussi deux fois un même mot, qui a la même signification. Il est vraisemblable qu'une femme de campagne allant et venant par les champs à son travail, ait accouché au pied du premier arbre : comme on dit de la femme de Curius, que elle « accoucha sous un chêne en lui portant son dîner à la charrue (2). » Au reste, l'Epouse pourrait bien avoir inventé cette

 

1 Virgil., Eclog. VIII. — 2 Mart.,  lib. VI, Epigr. LXIV.

 

672

 

fiction amoureuse : un jeune homme si gai et si fleuri ne devait naître que sous cet arbre si beau et si fertile. On peut aussi retenir le sens de la Vulgate, qui traduit : Là votre mère a consommé son mariage, là elle a cessé d'être vierge : ce qui revient au sens de l'hébreu, et veut dire que l'Epoux, pasteur de profession, a été conçu sous cet arbre ; ou que là ses parents ont commencé à s'aimer ; ce qui serait la première occasion de leur mariage et de sa naissance, étant ordinaire aux bergers de se réjouir à l'ombre des arbres. Que si c'est une fiction, elle est fort convenable à la vie pastorale et très-propre à. représenter nos divins mystères, si l'on n'aime mieux que ce soit une allusion à quelque histoire secrète.

6.  Mettez-moi comme un cachet sur votre cœur : c'est l'Epouse qui parle comme on le voit dans l'hébreu : je désire d'être serrée entre vos bras et collée sur votre sein, comme un cachet appliqué sur la cire : que je ne puisse être séparée de vous , pas même pour un instant, sans une extrême douleur. Ensuite elle exprime cette douleur que lui cause son amour et sa jalousie ; car elle en avait déjà ressenti quelque atteinte au ch. III et V ; et elle prévoit que le transport de son amour lui fera souffrir des peines encore plus graves. Ses flambeaux : « ses charbons » (hébr.).

7.  Une grande quantité d'eau ne peut éteindre l'amour : l'amour est mis à cette épreuve, mais il en sort victorieux.

8.  Notre sœur est jeune : ma sœur, que vous prenez aussi pour la vôtre à cause de moi. Elle n'a pas encore le sein formé : elle n'est pas en âge d'être mariée. Ezéchiel dit au contraire de celle qui est en âge nubile : « Vos mamelles se sont enflées (1). » Que ferons-nous de notre sœur, lorsqu'on la recherchera ? L'hébreu, à la lettre : « Lorsqu'on parlera d'elle, » lorsqu'on parlera de la marier. Saint Ambroise l'explique ainsi : «L'Epouse, dit-il, étant entrée dans l'intime familiarité de l'Epoux, lui parle de sa famille avec confiance, et lui recommande sa cadette (2). »

9.  Si c'est un mur, bâtissons dessus des forteresses d'argent, de petites tours; d'autres traduisent : ce Ornons-la d'un couronnement d'argent. » L'Epoux lui répond : « Si elle a l'esprit solide, marions-la à un homme de qualité et riche, qui sera l'appui d'une maison puissante. » Si c'est une porte, arrêtons-la, fortifions-la avec des planches de cèdre : si elle a l'esprit léger et inconstant, donnons-la à un homme sage, qui la tienne dans le devoir.

10. Je suis un mur : l'Epouse se glorifie d'être un mur solide, et telle que l'Epoux venait de l'exprimer, qui, à la fleur de son âge et avec une grande beauté, devait être très-agréable à son mari. Mes mamelles sont comme des tours : je ne ressemble point à ma sœur qui n'a pas le sein formé : mes mamelles s'élèvent comme des tours, au pluriel. (Hébr. Sept.) : «Comme des

 

1 Ezech., XVI, 7. — 2 S. Ambr., in Ps. CXVIll, octon. 22.

 

673

 

tours » élevées le long d'un mur et qui sont l'ornement d'un ouvrage magnifique. Depuis qu'il m'a trouvée agréable A ses yeux : ou que j'ai mérité ses bonnes grâces.

11.  Le pacifique a une vigne : « Salomon » (hébr. Sept.) : en un lieu fort peuplé : à Baal-Hamon, qui sont deux noms propres dans l'hébreu et dans les Septante.

12.  Ma vigne est devant moi: « Ma vigne est à moi» (hébr.). Pacifique, jouissez de l'argent : ô Salomon, au vocatif, dans l'hébreu et dans les Septante. Dans ces deux versets, l'Epoux parle en berger, dont il fait le personnage dans tout le Cantique. Je n'envie rien à Salomon, ni ses trésors, ni ses terres, ni ses maisons royales : il a des vignes et des terres labourables, des lieux où il réserve son vin et des officiers qui en ont soin ; il a une vigne d'un très-grand rapport, c'est la meilleure partie de son patrimoine royal ; peut-être était-ce la vigne d'Engaddi, célèbre par le baume qui s'y trouvait (1). Et moi j'en ai une aussi que voici devant mes yeux, c'est mon épouse. Salomon, ô grand roi, gardez votre vigne avec son revenu de mille pièces d'argent par an : payez-en encore deux cents à vos vignerons, et ne cessez de vanter la bonté de cette vigne ; pour moi, je me contente de mon épouse, c'est toute ma richesse. Mais pourquoi ne parle-t-il que de sa vigne au milieu de tant de richesses, de jardins et de palais ? La raison en est prompte. Rien ne touche tant un homme de campagne, dont il fait le personnage, que les champs, les terrés labourables et la vigne.

13.   Vous qui demeurez dans les jardins : faites-moi entendre votre voix : dans l'ardeur de son amour, il la prie de chanter de sa voix très-agréable, tandis qu'elle est au jardin et que tout est dans un profond silence.

14.  Fuyez, mon bien-aimé : c'est ainsi qu'elle commence son chant mélodieux par cette parole, où elle déclare qu'elle ne veut ni chanter ni vivre que pour l'Epoux seul, et non pour aucun autre, comme si elle disait : Voulez-vous que je chante pour vos amis? Mais moi, je ne le voudrais pas : je ne puis souffrir la foule; fuyez vite dans des lieux écartés et sur les montagnes les plus reculées : vos yeux me font mourir. L'Epoux s'était exprimé à peu près en ce sens : « Détournez vos yeux de dessus moi, parce qu'ils m'ont ravi à moi-même, » au ch. VI, vers. 4. Il faut être à l'écart pour éteindre l'ardeur d'une si grande flamme. Sur les montagnes des aromates : plantées d'arbres de bonne odeur, telles qu'étaient les montagnes de Béther, comme nous avons vu au chap. II, vers. 17.

 

1 I Paral., XXVII, 27.

 

 

674

 

RÉFLEXION.

 

Voici l'Epouse ou l'âme forte au plus haut degré de la charité : elle n'a rien a craindre ni à se défier de sa beauté, comme quand elle disait : «Je suis noire, mais je suis belle. » Appuyée sur son bien-aimé, elle tombe entre ses bras et se repose mollement sur son sein sans aucune contrainte, parce qu'elle est arrivée à cette charité parfaite qui « chasse la crainte (1), » et que rassasiée de plaisirs, elle jouit de cette paix « qui surpasse tout sentiment (2). » Elle n'oublie point la croix, sur laquelle, par la foi de la résurrection, elle éveille Jésus-Christ , où il paraît comme endormi, étant véritablement mort. Eve ne lui échappe point, lorsque sous l'arbre elle porta la corruption avec la malédiction dans toute la nature humaine, et lorsque sous le même arbre elle vit par la foi naître d'elle le Sauveur qui devait sortir de sa postérité, selon la promesse du Seigneur : «J'établirai une inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et la sienne, et elle t'écrasera la tête (3).» Se souvenant donc à la fois d'un si grand malheur et d'un si grand bienfait, sauvée par l'arbre des maux causés aussi par l'arbre, comme le chante l'Eglise, elle demeure aussi de plus en plus unie à l'Epoux , serrée entre ses bras et collée à son sein, comme saint Jean, le bien-aimé du Sauveur, lorsqu'il s'y reposait. Alors paraît l'ardeur de l'amour très-véhément de l'Epouse, suivi tôt après de ses peines extrêmes. Car telle est la parfaite charité de cette vie, lors même qu'elle nous unit à Dieu intimement ; et l'âme sent de cruelles agitations, lorsqu'elle se sent le plus pressée d'être tout à fait à Jésus-Christ. En vain semble-t-elle ranimer son zèle : et les restes des péchés, et les moindres taches de la concupiscence, et les faiblesses de la chair l'accablent de douleur. Enfin l'amour prend le dessus, semblable à un feu dévorant que les ruisseaux et les torrents ne peuvent éteindre ; car, dit l'Apôtre : « Qui nous séparera de la charité de Jésus-Christ ? Sera-ce l'affliction, ou la persécution , ou le fer ? Mais ni la mort, ni la vie, ni aucune autre créature ne nous pourra jamais séparer de l'amour de Jésus-Christ (4). » Aussi l'Epouse dit-elle : «Une grande quantité d'eau ne peut éteindre l'amour, ni les fleuves l'étouffer, » ch. VIII, 7, étant résolue à souffrir mille morts pour l'Epoux et chantant par avance le triomphe des martyrs, où elle ajoute : « Quand un homme l'aurait acheté au prix de tout son bien, il croirait n'avoir rien donné ; » pour célébrer la gloire de ceux qui disaient : « Nous avons tout quitté et nous vous avons suivi (5). »

Dans un si grand transport et dans une union si intime avec le Verbe, ses soins ne se terminent pas à elle seule : appliquée à l'avancement de ses sœurs encore faibles, elle les recommande à l'Epoux avec toute liberté, et elle

 

1 I Joan., IV, 18.— 2 Philipp., IV, 7.— 3 Gen., III, 15. — 4 Rom., VIII, 3o, 38, 39. — 5 Matth., XIX, 27

 

675

 

prend de lui la conduite qu'elle doit garder avec chacune, vers. 9. Cette jeune sœur, selon saint Thomas, c'est l'Eglise naissante composée des gentils nouvellement convertis par les apôtres. Ici l'Epouse voit avec étonnement l'application de Jésus-Christ à cultiver sa vigne, c'est-à-dire chaque âme, les aimant tendrement ; et comme il s'en explique dans Isaïe, non content d'avoir planté sa vigne, la fermant encore d'une haie, la fortifiant d'une tour, veillant lui-même à sa garde et quittant tout pour y donner tous ses soins (1) : ce qui nous représente l'unité de l'Eglise catholique. Elle commence ensuite à se louer elle-même sans mesure : « Je suis un mur, » et le reste du vers. 10 : car mettant tout son appui sur l'Epoux, si quelque raison l'oblige de relever ses propres vertus, c'est pour marquer qu'elle les a reçues de lui et non d'elle-même, comme saint Paul : « J'ai travaillé plus que tous les autres : ce n'est pas moi (2) toutefois, mais la grâce de Dieu avec moi ; » et un autre : « J'ai acquis une grande sagesse; j'ai fait de grands progrès en l'étudiant, et je rends gloire à celui qui me l'a communiquée (3). » Ajoutons que l'Eglise est véritablement le mur bâti sur la pierre, soutenu et paré du double précepte de la charité. Enfin l'Epoux invite l'Epouse à chanter le très-doux cantique de l'amour, afin que ses amis en soient enflammés. Elle chante donc : « Fuyez. » Ce que fait aussi l'Eglise, célébrant la gloire de l'ascension de Jésus-Christ dans l'espérance de son prochain retour : et encore l'âme sublime qui, ayant souvent éprouvé que l'Epoux se retire et s'échappe, lorsqu'elle pense le posséder pour toujours, la laissant par sa retraite dans les peines de l'amour, et qu'alors surtout il lui accorde plus de faveurs, elle l'exhorte à cette fuite pleine de miséricorde. Peut-être aussi que succombant à la ferveur de son amour, elle ne peut en porter le poids, comme il est arrivé à celui qui disait : « Ah ! Seigneur, c'en est assez, c'en est assez (4); » et à celle qui disait : « Ou souffrir ou mourir (5). » Il faut ici admirer les merveilleux changements que cause l'amour divin. Tantôt l'absence de l'Epoux plonge l'âme dans un abîme de douleur qui la fait écrier : « Revenez, mon bien-aimé, plus vite que le chevreuil et que le faon d'une biche, » au ch. II, vers. 17. Ici sa présence la noie dans un torrent de chastes délices, ou se noyant elle-même, elle pousse ce cri: « Fuyez, mon bien-aimé. » La fuite de l'Epoux est marquée sur les montagnes des aromates, c'est-à-dire que l'Epoux s'élevant toujours au-dessus de lui-même, semble enfin se cacher dans la gloire de ses perfections infinies, où l'Epouse ne pouvant atteindre comme à une montagne inaccessible, elle se console de sentir du moins quelque fumée de son odeur. Ce qui fait dire à saint Ambroise : « Il ne peut habiter que dans la sublimité des vertus; il ne peut demeurer qu'avec ces filles de l'Eglise, qui ont droit de dire : Nous sommes la bonne odeur de Jésus-Christ (6). »

 

1 Is., V, 2, 4, 7. — 2 I Cor., XV, 10. — 3 Eccli., LII, 22, 23. — 4 S. Franc. Xav. — 5 S. Ther. — 6 Ambr. lib. III de Virgin.

 

676

 

 

ABRÉGÉ ET CONCLUSION DE CET OUVRAGE.

 

Voici d'abord l'ordre des sept jours. L'Epouse y paraît toujours attachée à l'Epoux et l'aimant d'un amour constant, dont voici les degrés. Au premier jour l'âme se défie de sa beauté, elle en excuse les défauts : mais se laissant gagner aux attraits d'une dévotion sensible, elle se plaît trop à ce qui flatte les sens. Au second, dans ce commencement de sa conversion et parmi les exercices d'une vie plus réglée, affligée du souvenir des péchés de sa vie passée, soutenue toutefois par les consolations d'une vie nouvelle, elle suit l'Epoux qui la conduit dans la solitude, où elle mortifie les restes de la cupidité. Les épreuves de l'amour commencent au troisième jour ; l'âme en devient plus fervente et plus appliquée à sa perfection. Au quatrième, les épreuves continuent ; l'âme en souffre des douleurs plus vives, mais elle reçoit aussi de nouvelles grâces : une nouvelle force la rend victorieuse des attaques de ses ennemis ; elle s'élève au-dessus des âmes les plus parfaites. Au cinquième, elle est l'admiration de l'Epoux et de toutes ses compagnes. Mais au sixième jour, plus sa vertu est éclatante, plus elle cherche la solitude : elle-même y attire l'Epoux pour s'abandonner à son amour sans mesure et sans distraction, et pour y recevoir tous ses enseignements. Au septième, appuyée sur l'Epoux, elle se repose amoureusement dans son sein, comme au jour du sabbat.

Tel est le progrès d'une âme parfaite, qui étant dans l'alliance du Verbe, ayant reçu son saint baiser et ses plus douces faveurs, s'avance de plus en plus vers Jésus-Christ, comme saint Paul : « Oubliant ce qui est derrière moi, et m'avançant vers ce qui est devant moi (1). » Ne croyez pas toutefois qu'elle monte nécessairement et avec méthode les sept degrés l'un après l'autre, pour

 

1 Philipp., III, 13.

 

677

 

s'arrêter enfin en un certain état. On remarque au contraire dans tout ce Cantique, que l'aine possédée de l'Esprit de Dieu se sent continuellement excitée à faire de nouveaux progrès : de sorte que la charité même, que l'Ecriture appelle parfaite, se perfectionnant toujours, s'élève enfin jusqu'à Dieu par de continuels efforts. Ce qui s'accorde avec la fin du Cantique : « Fuyez, mon bien-aimé, sur les montagnes des aromates : » parce que l'âme voyant l'Epoux s'élever à mesure qu'elle s'élève elle-même à sa connaissance, elle espère toujours d'avoir assez de force pour l'atteindre lorsqu'il semble s'enfuir.

L'Eglise, à l'exemple des saints Pères, applique à la Sainte Vierge, plusieurs choses de ce Cantique : comme la voix de la tourterelle, à cause de la réponse de Marie : « Voici la servante du Seigneur ; » et de son cantique : « Mon âme magnifie le Seigneur *; » cantique si touchant, que saint Jean, caché dans le sein de sa mère, en fut excité pour ainsi dire à rendre par ses tressaillements son hommage au Seigneur et à sa sainte mère. On lui applique encore : « Le roi étant sur son lit, mon nard a répandu son odeur : » ma pureté, qui surpasse les plus excellents parfums, l'a attiré en moi. Et encore : « Qui est celle-ci qui s'élève appuyée sur son bien-aimé?» Et cette autre parole : «Vous êtes toute belle. » Celle-ci encore : « Filles de Sion, considérez le roi Salomon avec le diadème dont sa mère l'a couronné. » Elle l'a couronné, dit saint Ambroise, quand elle l'a enfanté : car au moment qu'elle l'a conçu et enfanté pour le salut de tous les hommes, elle lui a mis sur la tête la couronne de sa miséricorde éternelle (2). Plusieurs endroits conviennent encore aux grandes âmes, et à plus forte raison à Marie, même à la lettre, et non-seulement par une application pieuse, puisqu'entre les âmes les plus élevées et les plus parfaites, elle est la plus sublime et la plus parfaite.

Enfin il n'était pas nécessaire de faire ici aucune mention de Dieu ni de Jésus-Christ, puisque toute l'Eglogue est une allégorie continuelle sur Jésus-Christ, et qu'il ne conviendrait pas dans une pièce de cette nature de nommer la personne qu'on veut cacher

 

1 Luc, I, 38, 46. — 2 Ambr., de Instit. virgin., cap. VII.

 

678

 

sous la parabole. D'ailleurs il est constant qu'il est la fin de cette allégorie, et par la tradition commune de la Synagogue et de l'Eglise, et par saint Paul, et par saint Jean dans son Evangile et dans son Apocalypse, et par Jésus-Christ même; puisque tous ensemble célébrant le mystère de l'Epoux et de l'Epouse, ils rapportent ce qu'ils en disent au sens et aux paroles mêmes de ce divin Cantique. De sorte que cette parabole semble s'expliquer dans toute l'Ecriture sainte, et non-seulement en quelques endroits particuliers. Mais puisque le fruit du Cantique est que nous aimions Jésus-Christ, j'ajouterai ici les paroles de saint Ambroise, qui inspirent cet amour, et je finirai le poème de l'amour divin par les tendres expressions de celui qui en était tout enflammé. « Nous possédons tout, dit-il, en Jésus-Christ ; que toute âme s'approche de lui, soit qu'elle languisse sous le péché, soit qu'elle ait des imperfections, pourvu qu'elle travaille à son avancement avec une attention continuelle; soit qu'il s'en trouve quelqu'une ornée de toutes les vertus. Elles sont toutes en la puissance du Seigneur, et Jésus-Christ nous est tout à tous : il sera votre médecin, si vous voulez guérir de vos plaies : si la fièvre vous brûle, il est une source, d'eau : si le poids de l'iniquité vous accable, il est la justice : si vous êtes faible, il est la force : si vous craignez la mort, il est la vie : si vous désirez le ciel, il en est la voie : si vous fuyez les ténèbres, il est la lumière : si vous avez besoin de nourriture, il est une viande. Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux. Heureux l'homme qui met en lui son espérance ! »

 

FIN   DU   VOLUME  PREMIER.

 

 

 

Précédente Accueil