Psaume  XXI
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Explication

 

EXPLICATION LITTÉRALE DU PSAUME XXI SUR LA PASSION ET LE DÉLAISSEMENT DE NOTRE-SEIGNEUR.

 

EXPLICATION LITTÉRALE DU PSAUME XXI SUR LA PASSION ET LE DÉLAISSEMENT DE NOTRE-SEIGNEUR.

§ I. Remarques préliminaires, où l'on présuppose quelques vérités constantes.

§ II. On met aux fidèles la clef de la prophétie à la main.

§ III. On va au-devant de quelques objections.

TRADUCTION  DU PSAUME  XXI  SELON L'HÉBREU ET LES SEPTANTE.

§ IV.

TRADUCTION    SELON    SAINT    JEROME , SUR L'HÉBREU.

TRADUCTION   SELON   LES  SEPTANTE ET LA VULGATE.

§ V. Observations sur les textes.

§ VI. Explication du Psaume XXI selon saint Jérôme, et sa division en deux parties.

§ VII. Première partie du Psaume, où est exprimé le délaissement de Jésus-Christ.

§ VIII. Seconde partie du Psaume : Jésus-Christ invoque Dieu de nouveau : à ce coup il est écouté : il ressuscite et convertit les gentils.

§ IX. Différence des Septante d'avec l'hébreu.

X. Réflexion sur le délaissement de Jésus-Christ.

 

§ I. Remarques préliminaires, où l'on présuppose quelques vérités constantes.

 

Pour conduire les plus ignorants et les plus simples, pourvu seulement qu'ils soient attentifs à la parfaite intelligence de ce divin Psaume et de toute la prophétie qu'il renferme, je remarquerai avant toutes choses quelques vérités qui y prépareront les voies.

La première, que ce Psaume est constamment de David, puisque de tout temps et dans tous les textes, et dans l'hébreu comme dans les Septante, il est toujours intitulé : Cantique de David.

La seconde présupposition, c'est qu'il est familier aux prophètes de parler en la personne de celui dont ils annoncent les événements, et principalement de Jésus-Christ : et c'est pourquoi cet eunuque si attaché à la lecture des saints Livres, lorsqu'il trouve ces mots dans Isaïe : « Il a été conduit à la mort comme une brebis,... et il n'a pas ouvert la bouche, » la première pensée qui lui vient, c'est de demander à son interprète : « Je vous prie, est-ce de lui-même que parle le prophète, ou de quelqu'autre (1) ? »

La troisième présupposition, c'est qu'il appartient à David plus qu'à tout autre, de parler au nom de Jésus-Christ, parce qu'il en est le père, la figure et le prophète.

C'est à peu près le raisonnement que fait l'apôtre saint Pierre, lorsque trouvant dans le Psaume XV ces mots prononcés en première personne : « J'avais toujours Dieu présent à mes yeux, parce qu'il est à ma droite pour me protéger :... Vous ne

 

1 Act., VIII, 28, 30, 32 ; Isa., LIII, 7.

 

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laisserez pas mon âme dans l'enfer, et vous ne permettrez pas que votre Saint éprouve la corruption : vous m'avez montré le chemin et le retour à la vie, » après avoir observé que cette incorruptibilité et cette résurrection ne conviennent pas à David , il conclut « que David étant prophète, et Dieu lui ayant promis d'établir quelqu'un de son sang sur son trône, a parlé dans sa prévoyance de la résurrection de Jésus-Christ (1). »

La quatrième présupposition et la plus importante de toutes, est que nous avons une raison particulière d'attribuer ce Psaume à Jésus-Christ, parce que lui-même étant à la croix, se l'est appliqué (2). » Qui ne respecterait un tel interprète, qui arrosé de son sang, attaché à la croix, déchiré de plaies et au milieu de ses tourments les plus cruels, pendant qu'il accomplit la prophétie, se l'applique en disant lui-même : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous délaissé ? »

Il est vrai qu'il ne répète que ces premières paroles : mais nous verrons bientôt qu'il le fait ainsi à cause que sous le seul délaissement, toutes les autres circonstances de sa passion sont renfermées, et à la fois tous les glorieux effets de sa mort.

 

§ II. On met aux fidèles la clef de la prophétie à la main.

 

J'appelle la clef et le dénouement de la prophétie, les versets qui caractérisent Jésus-Christ crucifié. Tels que sont ceux-ci, 17, 18 et 19 : « Ils ont percé mes mains et mes pieds : on compterait tous mes os ; » et encore : « Ils ont partagé mes vêtements, et ont jeté le sort sur ma robe. » J'appelle ces trois versets la clef de la prophétie, parce que tout le reste qui suit s'y rapporte et en fait le singulier et le merveilleux, n'y ayant rien de plus surprenant que de voir celui qui a dit qu'il était crucifié , et qui a marqué dans le partage de ses habits les circonstances précises de son crucifiement, dire après qu'il annoncera le nom de Dieu à ses frères et qu'il convertira à la fois, non-seulement un grand nombre de Juifs, mais encore tous les gentils, selon les termes exprès de la prophétie.

Voici donc ce que j'appelle le dénouement de cet oracle prophétique.

 

1. Act., II, 80, 31. — 2 Matth., XXVII, 46.

 

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Le délaissé de ce Psaume est poussé jusqu'à la mort de la croix : les soldats qui l'y avoient attaché et qui le gardaient ont suivi leur proie : comme ils l'avoient dépouillé pour le mettre en croix, ils regardaient aussi ses habits comme étant à eux : ils les partagent, ils les jouent : c'est là une circonstance de son crucifiement : on voit après qu'il ressuscite, puisqu'il raconte le nom de Dieu à ses frères ; et la conversion des gentils est la suite heureuse et prochaine de tous ces grands événements. Tout homme où ces caractères ne se trouvent pas, n'est pas le délaissé que nous cherchons.

Je pourrais encore ajouter que ce qui précède est comme un préparatoire à ces deux versets, parce que c'est là que le prophète en veut venir, comme au dernier effet du délaissement.

Voilà donc ce que j'appelle la clef et le dénouement de la prophétie , parce que c'est un caractère particulier qui est relatif à tout le reste, et qui détermine tout le Psaume à Jésus-Christ seul.

 

§ III. On va au-devant de quelques objections.

 

Ces fondements présupposés, j'entrerais d'abord dans l'explication de la prophétie, si ce n'était que je trouve plus à propos de faire connaître auparavant les absurdités tant des Juifs que des critiques judaïsants, afin qu'étant rejetées, notre explication coule d'elle-même naturellement et sans être interrompue d'aucune dispute. Il faut donc voir en peu de mots comment ils mettent leur esprit à la torture, pour éluder une prédiction si évidente.

Selon eux, percer les mains et les pieds, n'est autre chose qu'une métaphore, qui signifie détruire les forces : mais qui jamais a usé de celte figure ? Outre que le reste n'y convient pas, et que le dénombrement des os causé par la suspension de tout le corps n'appartient qu'au crucifiement véritable ; en un mot, le discours n'a rien de suivi, si l'on n'y entend la croix. Pourquoi donc chercher des allégories, lorsqu'on trouve en Jésus-Christ un sens littoral si propre et si suivi?

Aussi les Juifs et ceux qui les suivent, n'ont pu s'y arrêter; et il a fallu en venir à l'altération du texte, pour du moins le rendre douteux. Cette altération consiste en ce que par le retranchement

 

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d'un petit trait dans une lettre, au lieu de lire : « Ils ont percé, caru, » ils veulent lire : « Caari : comme un lion , mes mains et mes pieds. » Mais premièrement, la raison s'y oppose : car que veulent dire ces mots : comme un lion, mes mains et mes pieds ? et quand il faudrait suppléer qu'ils les ont mordus et déchirés le bon sens ne permettait pas d'introduire ici un lion. La comparaison du lion avait déjà eu tout son effet dans ces paroles du verset 14 : « Ils ont ouvert leur gueule sur moi comme un lion ravisseur et rugissant. »

Voilà un vrai lion avec ses caractères naturels, qui s'attaque à toute la personne. Pourquoi le faire revenir encore une fois, pour ne s'en prendre qu'aux mains et aux pieds? Mais laissons là le raisonnement, puisque nous avons pour nous les faits positifs.

Plusieurs siècles avant Jésus-Christ les Septante ont traduit tout simplement : « Ils ont percé, » etc. Etait-ce pour favoriser les chrétiens, ou pour suivre la vérité du texte qu'ils avoient devant les yeux? Disons plus : saint Justin, martyr, oppose aux Juifs ce verset: « Ils ont percé mes mains et mes pieds; » et quoiqu'il ait accoutumé de leur reprocher leurs altérations, il ne leur en dit mot en ce lieu; marque certaine que de son temps, c'est-à-dire au second siècle, elle n'avait pas été encore faite, et que les Juifs lisaient comme nous et comme ont lu les Septante. J'en dis autant des saints Pères qui ont écrit après lui ; et Aquila même, ce Juif perfide, qui a fait sa traduction expressément pour contredire les chrétiens, a tourné, non pas comme un lion, mais; « Ils ont déshonoré mes mains et mes pieds, » ce qui présuppose qu'il a lu comme les Septante. Mais il n'y a aucun sens dans ces paroles : « Ils ont déshonoré mes mains et mes pieds, » si ce n'est qu'on veuille dire que déshonorer les mains et les pieds, c'est y faire une plaie honteuse, telle qu'on la voit à la croix, qui est le plus ignominieux de tous les supplices. Enfin les Juifs n'ont osé nier que la leçon caru ne fût bonne et ancienne : ils se contentent de laisser la chose ambiguë, sans vouloir songer qu'entre deux textes il faudrait se déterminer à celui qui a un sens naturel, comme caru, par préférence à celui qui n'en a aucun, comme caari, ainsi qu'il à été dit.

 

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Concluons donc que la traduction : « Ils ont percé, » etc., est la seule qui peut être soufferte ; la seule aussi qui a été faite de bonne foi par les Septante , si longtemps avant la naissance du christianisme et sans aucune prévention, est la seule qui se trouve avoir un sens littéral et un manifeste accomplissement : au lieu qu'on ne sait qu'imaginer pour l'accommoder à David : mais quand on en aura trouvé le moyen, on n'aura pas pour cela éludé la prophétie : et ce que disent les judaïsants sur le partage des habits , est encore plus visiblement absurde.

Théodore de Mopsueste, un hérétique du IV° siècle, éludait cette prophétie, comme il faisait toutes les autres : et disait que ce malheur était arrivé à David, lorsqu'Absalom entra dans sa maison, la pilla et se saisit de ses vêtements. Je ne dirai pas qu'il fit horreur au pape Vigile et aux Pères du V° concile : je ne m'attacherai qu'au ridicule qui saute aux yeux dans cette interprétation : car aussi, dans le pillage universel d'une maison, n'a-t-on à considérer que les habits enlevés ? Mais quel besoin en ce cas de distinguer les habits qu'on partage d'avec la robe qu'on jette au sort sans la partager, à cause « qu'elle était sans couture, et depuis le haut jusqu'en bas de même tissu (1) ? » On voit bien que cet endroit de la prophétie n'a aucun rapport à David, et qu'elle ne peut convenir qu'à Jésus-Christ notre Sauveur.

C'est donc avec raison que nous en avons donné pour clef ou pour dénouement les versets 17, 18 et 19, que nous venons de réciter, puisque d'un côté il est visible qu'ils ne conviennent qu'à Jésus-Christ, et que de l'autre ils y attirent tout le reste, ainsi qu'on a pu voir.

Mais quand on aurait détourné un sens si clair à un autre qu'à Jésus-Christ, il faudra encore venir à la conversion des gentils, qui ne peut être ignorée, ni déguisée ou dissimulée, quand elle arrive, à cause qu'en la niant, on aurait l'univers entier pour témoin contre soi.

On peut donc aisément trouver quelque particularité de la vie de David, où il se plaindrait d'être délaissé, comme lorsque poursuivi par Saül dans toute la terre d'Israël, il se voyait à chaque

 

1 Joan., XIX, 23.

 

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moment en état d'être livré entre les mains d'un si puissant et si implacable ennemi : ou lorsqu'il fut obligé de prendre la fuite devant son fils Absalom, qui n'oubliait rien pour l'outrager. On peut aussi trouver des endroits où il sera chargé d'opprobres par des personnes méprisables, tel que fut un Sémeï, qui même lui jeta des pierres, tant il fut emporté et violent. Quand donc on aura trouvé toutes ces choses, et qu'on voudra supposer que David les aura enflées et exagérées dans son discours, 'si l'on ne trouve des faits positifs, tel que celui des mains et des pieds percés, des habits joués et partagés, et, ce qui est encore plus évident, celui de la gentilité convertie, l'on n'aura pas découvert le délaissé que nous cherchons. Mais il sera maintenant aisé de le découvrir par la seule lecture du psaume dont nous allons représenter la traduction ; nous ne laisserons pas d'y ajouter une explication , mais si précise et si littérale, qu'il n'y restera pas le moindre embarras.

 

 

TRADUCTION  DU PSAUME  XXI
SELON L'HÉBREU ET LES SEPTANTE.

 

§ IV.

 

 

TRADUCTION    SELON    SAINT    JEROME , SUR L'HÉBREU.

 

1 Cantique de David : au vainqueur, victori; d'autres traduisent : Au chantre, prœcentori : au maître du chœur, au modérateur du choeur : pour le cerf ou pour la biche du matin (sur le ton d'un air connu, qui commençait en cette sorte).

  

2. Mon Dieu, mon Dieu! pourquoi m'avez-vous délaissé? La voix de mon rugissement est bien éloignée de mon salut (la voix de mon rugissement ne suffit pas pour empêcher que mon salut ne s'éloigne).

 

3.  Mon Dieu, je crierai pendant le jour, et vous ne m'écouterez point : et la nuit je ne garderai pas le silence.

  

4.   Et vous, ô saint, qui habitez (au milieu de nous), et qui êtes la louange d'Israël ( qui en faites le perpétuel sujet) :

 

5.  Nos pères se sont confiés en vous ; ils s'y sont confiés, et vous les avez sauvés.

 

6. Ils ont poussé leurs cris jusqu'à vous, et ils ont été sauvés : ils ont mis en vous leur confiance, et ils n'ont point été confondus.

 

7.  Mais pour moi je suis un ver de terre, et non pas un homme : l'opprobre des hommes, et le mépris (ou le rebut) du peuple.

 

 8.  Tous ceux qui me voient, se moquent de moi avec insulte : ils remuent leurs lèvres (par un ris moqueur) : ils branlent la tête (d'une manière insultante).

  

9.  lia eu recours au Seigneur; qu'il le sauve : qu'il le délivre, puisqu'il l'aime.

  

10.  Vous êtes néanmoins mon défenseur dès le ventre de ma mère : ma confiance dès le temps que j'en suçais la mamelle.

  

11. (En sortant) du sein de ma mère , j'ai été jeté entre vos bras : vous êtes mon Dieu dès le ventre de ma mère.

 

12. Ne vous éloignez pas de moi, maintenant que la tribulation (la grande affliction) approche, et que je n'ai aucun secours.

 

13.   De jeunes taureaux m'ont environné : des taureaux gras m'ont assiégé.

 

14. Ils ont ouvert leur gueule sur moi, comme un lion ravisseur et rugissant.

 15. J'ai été épanché comme de l'eau, et tous mes os ont été séparés (les uns des autres) : mon cœur est devenu comme une cire fondue au milieu de mes entrailles.

 

16. Ma force s'est desséchée comme un têt de pot cassé ; et ma langue s'est attachée à mon palais : et vous m'avez réduit à la poussière de la mort.

 

17.  Des veneurs m'ont entouré : le conseil des méchants m'a assiégé : ils ont percé mes mains et mes pieds.

 

18.  On compterait tous mes os [de mot à mot : j'ai compté tous mes os) : voilà ce qu'ils ont vu en moi, lorsqu'ils m'ont regardé.

 

19. Ils ont partagé mes vêtements entre eux : et ils ont jeté le sort sur ma robe.

 

20.  Mais vous, Seigneur, ne vous éloignez pas : vous qui êtes ma force, hâtez-vous de venir à mon secours.

 

21.   Tirez mon âme de l'épée ( d'une mort violente ) : et mon unique de la main du chien.

 

22.  Sauvez-moi de la gueule du lion : et exaucez-moi contre les cornes de la licorne.

 

23.  Je raconterai votre nom à mes frères : je vous louerai au milieu de l'Eglise.

 

24.  Louez le Seigneur, vous qui le craignez : glorifiez-le, races de Jacob, partout où vous êtes étendues : craignez-le, vous tous qui composez la postérité d'Israël.

 

25. Parce qu'il n'a point dédaigné ni rebuté la modestie du pauvre (c'est-à-dire son humilité, son humble prière) : et qu'il ne lui a point caché sa face, et qu'il l'a exaucé quand il criait (quand il réclamait son secours).

 

26. Ma louange sera devant vous dans la nombreuse (ou grande) Eglise (on y publiera la louange que je dois à vos immenses bontés) : je rendrai mes vœux en la présence de ceux qui craignent Dieu.

 27. Les pauvres (selon l’hébreu de mot à mot : Ceux qui sont doux et humbles de cœur, mires, pauperes) mangeront et seront rassasiés : ceux qui cherchent le Seigneur, le loueront : votre cœur vivra à jamais.

 28.  Toutes les extrémités de la terre se ressouviendront du Seigneur, et se convertiront à lui : et toutes les familles des gentils l'adoreront.

 

29.  Parce que le règne appartient au Seigneur : et il dominera sur les gentils.

 

30.  Tous les riches de la terre (mot à mot : les gras de la terre) ont mangé et adoré devant sa face : tous ceux qui se réduisent en poussière (c'est-à-dire tous ceux qui sont sujets à la mort, en un mot, tous les mortels fléchiront le genou ( devant lui), et son âme ne vivra pas.

 31.  Sa postérité le servira dans la race suivante : on racontera (ses louanges) au Seigneur (on les célébrera dans les assemblées solennelles du peuple de Dieu).

 32. Ils viendront, et ils annonceront sa justice au peuple qui naitra, et qu'il a fait.

 

TRADUCTION   SELON   LES  SEPTANTE ET LA VULGATE.

 

1. Psaume de David : à la fin, in finem : les Pères entendent : Au Christ, qui est la fin de la loi : pour la réception du malin, pro susceptione matutinâ (soit que ce soit une offrande pour implorer dès le matin le secours divin, comme l'entend le chaldaïque ou quelqu'autre chose qui ne soit point venu à notre connaissance).

 

2.  O Dieu, mon Dieu! regardez-moi; pourquoi m'avez-vous délaissé ? Les paroles de mes péchés sont bien éloignées de mon salut.

   

3.  Mon Dieu, je crierai pendant le jour, et vous ne m'écouterez pas : et (je crierai encore) pendant la nuit, et ce n'est point à moi une folie.

 

4. Mais vous habitez dans le sanctuaire : vous qui êtes la louange d'Israël.

 5. Nos pères ont espéré en vous ; ils y ont espéré, et vous les avez délivrés.

 

6.  Ils ont poussé leurs cris jusqu'à vous, et ils ont été sauvés : ils ont mis en vous leur confiance, et ils n'ont point été confondus.

 

7.  Mais pour moi je suis un ver de terre, et non pas un homme : l'opprobre des hommes et le mépris ( ou le rebut) du peuple.

 

8. Tous ceux qui me voient se moquent de moi avec insulte : ils ont fait sortir de leurs lèvres ( des paroles outrageantes ), et ils ont branlé la tête (d'une manière insultante).

 

9. Il a espéré au Seigneur; qu'il l'arrache de nos mains : qu'il le sauve, puisqu'il l'aime.

 

10.   C'est vous néanmoins qui m'avez tiré du ventre de ma mère : vous êtes mon espérance dès le temps que je suçais sa mamelle.

 

11. (En sortant) de son sein, j'ai dé jeté entre vos bras : vous êtes mon Dieu dès que je suis sorti de ses entrailles.

 

12. Ne m'abandonnez pas, parce que l'affliction s'approche, et que je   n'ai personne qui me secoure.

  

13. De jeunes taureaux m'ont environné : des taureaux gras m'ont assiégé.

 

14. Ils ont ouvert leur gueule sur moi, comme un lion ravisseur et rugissant.

 

15. J'ai été épanché comme de l'eau, et tous mes os ont été séparés (les uns des autres) : mon cœur est devenu comme une cire fondue au milieu de mes entrailles.

 

16.    Ma force s'est desséchée comme un têt de pot cassé; et ma langue s'est attachée à mon palais : et vous m'avez conduit à la poussière de la mort.

 

17.  Un grand nombre de chiens m'a environné : le conseil des méchants m'a assiégé : ils ont percé mes mains et mes pieds.

 

18.  Ils ont compté tous mes os : ils m'ont considéré et regardé attentivement.

 

 

19. Ils ont partagé mes vêtements entre eux : et ils ont jeté le sort sur ma robe.

 

20.   Mais vous, Seigneur, n'éloignez pas de moi votre secours : pourvoyez à ma défense.

 

21.   Tirez mon âme de l'épée ( d'une mort violente ) : et mon unique de la main du chien.

 

22.  Sauvez-moi de la gueule du lion : et sauvez ma faiblesse des cornes de la licorne.

 

23.  Je raconterai votre nom à mes frères : je vous louerai au milieu de l'Eglise.

 

24.  Louez le Seigneur, vous qui le craignez : glorifiez-le, races de Jacob, partout où vous êtes étendues : craignez-le, vous tous qui composez la postérité d'Israël.

 

25. Que toute la race d'Israël le craigne, parce qu'il n'a pas méprisé ni dédaigné la prière du pauvre : et qu'il n'a point détourné de moi sa face, et qu'il m'a écouté pendant que je le réclamais.

  

 

26. Ma louange sera devant vous dans la grande Eglise : je rendrai mes vœux en la présence de ceux qui craignent Dieu.

  

27.   Les pauvres mangeront et seront rassasiés : ceux qui recherchent le Seigneur, le loueront : leurs cœurs vivront à jamais.

  

28.  Toutes les extrémités de la terre se ressouviendront du Seigneur, et se convertiront à lui : et toutes les familles des gentils l'adoreront.

 

29. Parce que le règne appartient au Seigneur : et il dominera sur les gentils.

 

30.  Tous les riches de la terre (mot à mot : Les gras de la terre) ont mangé et adoré : tous ceux qui descendent dans la terre (tous ceux qui descendent dans le tombeau, c'est-à-dire tous les mortels) tomberont a ses pieds.

  

31. Et mon âme vivra pour lui : et ma postérité le servira.

  32. La race qui doit venir sera annoncée au Seigneur (on en récitera la conversion devant lui et dans l'assemblée du peuple saint) : et les cieux annonceront sa justice au peuple qui naîtra, et que le Seigneur a fait lui-même.

 

 

 

§ V. Observations sur les textes.

 

1.  Ceux qui seraient surpris des diversités de l'hébreu et des Septante, peuvent entendre aisément que les Septante auront vu des exemplaires où il y aura quelque différence, et même quelque chose d'ajouté par manière d'interprétation : mais que ces différences étant légères et n'altérant en aucune sorte le sens, on les a laissées passer sans croire y devoir apporter beaucoup d'attention.

2.  On doit donc ici observer que les diversités qu'on a remarquées , tant dans le titre que dans le texte, laissent, non-seulement la même substance, mais encore les mêmes mots essentiels, sans qu'il y ait le moindre changement.

3.  Ce qu'il y a d'important dans le titre , c'est que d'un côté on y trouve que ce psaume est un Cantique et un Psaume de David : Canticum David, Psalmus David, comme il a déjà été dit; et d'autre part, que le reste du titre n'est d'aucune conséquence, et n'a rien de clair ni de certain.

4.  On verra aussi d'un coup d'œil que ce qu'il y a d'essentiel, c'est-à-dire les mains et les pieds percés, le dénombrement des os, les habillements partagés ou joués , les louanges que le délaissé jusqu'à la mort de la croix doit donner à Dieu dans l'assemblée des fidèles et au milieu de l'Eglise, et la conversion des gentils, se trouvent également, dans les deux textes, exprimés par les mêmes termes.

5.   Il est remarquable que Jésus - Christ en commençant ce psaume à la croix, l'a prononcé selon l'hébreu : il n'a pas dit avec les Septante : « 0 Dieu, mon Dieu ! regardez-moi : pourquoi m'avez-vous délaissé? » mais il a dit simplement selon l'hébreu : « Mon Dieu, mon Dieu ! pourquoi m'avez-vous délaissé ? » Ce qui

 

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nous donnera lieu de conformer à l'hébreu toute notre explication, comme étant plus net et plus précis, sans néanmoins omettre entièrement les Septante , dont nous donnerons en peu de mots une explication à part. Nous allons donc commencer par l'explication du texte hébreu selon saint Jérôme, pour le suivre sans interruption jusqu'à la fin.

6. Et comme nous avons prouvé par la conférence des textes que ce psaume se rapporte à une seule et môme personne , nous ferons aussi voir que tout regarde naturellement, littéralement et uniquement Jésus-Christ.

 

§ VI. Explication du Psaume XXI selon saint Jérôme, et sa division en deux parties.

 

Chargé des péchés du monde, Jésus-Christ qui voulait nous faire sentir que ce divin psaume était tout à lui, depuis le premier mot jusqu'au dernier, le commença sur la croix avec un grand cri, pour nous apprendre à le continuer dans le même sens, et pour ainsi dire sur le même ton ; et poussa en son propre nom jusqu'au ciel, qui lui paraissait implacable, cette plainte : « Mon Dieu, mon Dieu ! pourquoi m'avez-vous délaissé (1) ? »

Les évangélistes remarquent expressément cette violente clameur , lorsqu'ils disent a qu'à la neuvième heure Jésus-Christ s'écria : Mon Dieu, mon Dieu (2) ! » et le reste que nous venons de réciter. Saint Paul dans l’Epitre aux Hébreux, joint les larmes à ses cris (3) ; et si Jésus a pleuré si amèrement sur la ruine prochaine de Jérusalem, s'il a pleuré Lazare mort, encore qu'il l'allât ressusciter, on doit bien croire qu'il n'aura pas épargné ses larmes sur la croix, où il déplorait les péchés et les misères du genre humain. Ce fut donc « avec un grand cri et beaucoup de larmes (4), » qu'il prononça ces paroles : « Mon Dieu, mon Dieu ! pourquoi m'avez-vous délaissé (5) ? »

Ces mots contenaient aussi en abrégé tout l'essentiel de son supplice dans le personnage qu'il faisait alors de pécheur, puisque la propre punition du pécheur, c'est d'être délaissé de Dieu qu'il

 

1 Matth., XXVII, 46.— 2 Marc, XV, 34.— 3 Hebr., V, 7.— 4 Ibid. — 5 Matth., VII, 46; Marc, XV, 34.

 

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a quitté le premier, pour être livré à ses ennemis et à soi-même. Or, pour entendre comment Jésus-Christ qui était la sainteté même, a pu devenir pécheur, il faut se souvenir avant toutes choses qu'il ne l'est pas devenu par une sainte fiction, mais selon la vérité de cette parole : « Dieu a mis sur lui l'iniquité de nous tous (1) ; » et encore : « Il a porté nos péchés dans son corps sur le bois » de la croix, « afin que, morts au péché, nous vivions à la justice (2); » et encore : « Celui qui n'a pas connu le péché, Dieu l'a fait péché pour nous, afin que nous fussions faits en lui justice de Dieu (3). »

Quiconque se rend caution, se rend véritablement débiteur : Jésus-Christ s'est obligé à nous acquitter envers la justice de Dieu, en sorte qu'aucuns péchés ne seront remis, que ceux dont il aura porté la peine; ni aucuns pécheurs réconciliés , sinon ceux pour qui il aura, non-seulement répondu, mais encore payé la dette en toute rigueur de justice. Ainsi il a exprimé tout le fond de son supplice, quand il a crié avec tant de force : « Pourquoi m'avez-vous délaissé ? » et ces paroles emportent qu'il va être livré à ses ennemis et à soi-même. Il est débiteur : il est tenu de tous les péchés du monde : il est pécheur en ce sens très-véritable : tous les péchés des hommes sont les siens : il est victime pour le péché : tout pénétré de péchés, péché lui-même pour ainsi dire. Dieu ne voit plus en lui que le péché dont il s'est entièrement revêtu ; il ne peut plus le regarder que de l'œil d'un exacteur rigoureux, qui selon l'ordre de la justice, lui redemande la dette dont il s'est chargé ; et dans cette vue, il ne lui est plus désormais qu'un objet d'horreur.

Il ne faut donc pas s'étonner si nous allons voir Jésus-Christ abandonné au dedans et au dehors : au dehors, à la cruauté de ses ennemis ; au dedans, à ses propres passions dont il avait la vivacité et le sentiment, quoiqu'il n'en eût pas le désordre , c'est-à-dire à une tristesse mortelle , à ses frayeurs, à son épouvante incroyable : à une longue et accablante agonie : à une entière désolation , que nous pouvons bien appeler découragement, par rapport à ce courage sensible qui soutient l'âme parmi les

 

1 Isa., LIII, 6. — 2 I Petr., II, 24. — 3 II Cor., V, 21.

 

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souffrances : telles sont les plaies intérieures de Jésus-Christ, bien plus rudes, et pour ainsi dire plus insupportables que celles de ses mains et de ses pieds. Les évangélistes les ont rapportées, et nous verrons que David ne les oublie pas ; car il a tout vu, et il a aussi bien connu les circonstances du délaissement de Jésus-Christ, que s'il avait été présent à toutes ses actions et à toutes ses paroles.

Mais quelque délaissé que soit le juste, il revient toujours à Dieu. Il semble que le Fils de Dieu soit poussé à bout ; mais ce n'est pas sans retour : il persiste à prier son Père : quoique son Père paraisse déterminé à sa perte, à ce coup il exauce sa prière : il lui rend la vie : et en récompense de la soumission qu'il a pratiquée parmi les horreurs de son délaissement, il lui accorde, non-seulement la conversion de ses frères, mais encore celle des gentils, l'établissement de l'Eglise et l'exaltation de son nom par toute la terre.

C'est ce qu'exécute David dans ce psaume plutôt historique que prophétique ; tant sont précises les circonstances du crucifiement de Jésus-Christ, que Dieu lui montre en esprit, et tant sont fidèlement rapportées les suites glorieuses d'un délaissement si étrange : c'est ce que nous allons voir plus expressément, en pesant toutes les paroles de ce divin psaume.

Et comme Jésus-Christ y mêle sa mort douloureuse avec sa glorieuse résurrection, il faudrait, pour entrer dans son esprit, faire succéder au ton plaintif de Jérémie, qui seul a pu égaler les lamentations aux calamités, le ton triomphant de Moïse , lorsqu'après le passage de la mer Rouge , il a chanté Pharaon défait en sa personne, avec son armée ensevelie sous les eaux. Heureux ceux qui en récitant ce divin psaume, se trouveront avec Jésus-Christ, si saintement contristés et si divinement réjouis ! C'est tout le dessein de cette interprétation.

 

§ VII. Première partie du Psaume, où est exprimé le délaissement de Jésus-Christ.

 

Verset 2 : « Mon Dieu, mon Dieu ! pourquoi m'avez-vous délaissé? » On ne saurait trop remarquer que ce sont les propres

 

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paroles par où Jésus-Christ a commencé le psaume , et qu'il les a proférées selon l'hébreu.

Au reste ce n'est pas ici une plainte comme on la peut faire dans l'approche d'un grand mal : Jésus-Christ parle sur la croix, où il est effectivement enfoncé dans l'abîme des souffrances les plus accablantes : et jamais le délaissement n'a été si réel, ni poussé plus loin, puisqu'il l'a été jusqu'à la mort, et à la mort de la croix, qui par une horreur naturelle faisait frémir en Jésus-Christ son humanité tout entière. « La voix de mon rugissement est bien éloignée de mon salut. » ( La voix de mon rugissement ne suffit pas pour empêcher que mon salut ne s'éloigne. ) Mes cris, quoique semblables par leur violence au rugissement du lion, n'avancent pas le salut que je demande, et rien ne me peut sauver de la croix : Dieu demeure toujours inexorable, sans se laisser adoucir par les cris de l'humanité désolée..

Verset 3 : « Mon Dieu, je crierai pendant le jour , et vous ne m'écouterez point; et la nuit je ne garderai pas le silence. » L'état du délaissé est déplorable : dans les approches de sa mort, il passe les jours et les nuits à réclamer le secours d'un Dieu irrité ; il n'obtient rien par ses cris, et à la croix il se sent tellement délaissé de Dieu, qu'il semble qu'il n'ose plus l'appeler son Père comme auparavant : il ne le nomme que son Dieu. Eli, Eli : « Mon Dieu , mon Dieu (1) ! » Ce n'est plus celui qui disait : « Mon Père , je sais que vous m'écoutez toujours (2) : » c'est un Dieu offensé qui refuse de l'entendre, et il demeure destitué de toute assistance.

Verset 4 : « Mais vous, ô Saint, qui habitez (au milieu de nous ) et qui êtes la louange d'Israël ( qui en faites le perpétuel sujet ) : » c'est-à-dire, vous qui demeurez au milieu de votre peuple et qui faites le sujet perpétuel de ses louanges. Il ne cesse de célébrer vos miséricordes : toutes les prières abordent à vous des extrémités de la terre et des mers les plus éloignées : nos pères y ont eu recours, et ce n'a pas été inutilement, et je suis le seul que vous ne voulez plus entendre. C'est ce qu'il explique dans la suite de la manière du monde la plus touchante.

 

1. Matth., XXVII, 46. — 2 Joan., XI, 42.

 

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Verset 5 : « Nos pères se sont confiés en vous : ils s'y sont confiés, et vous les avez sauvés. »

Verset 6. « Ils ont poussé leurs cris jusqu'à vous, et ils ont été sauvés : ils ont mis en vous leur confiance , et ils n'ont point été confondus. »

Verset 7. « Mais pour moi je suis un ver de terre , et non pas un homme : l'opprobre des hommes et le mépris ( ou le rebut ) du peuple. » Comme s'il eût dit : Notre père Abraham a réclamé votre secours, et vous avez livré entre ses mains les dépouilles des cinq rois qui avoient mis au pillage ses alliés , et qui enlevaient son neveu Lot : notre père Isaac vous a réclamé , et vous l'avez délivré de l'oppression des rois et des peuples de la Palestine : notre père Jacob vous a réclamé, et vous l'avez délivré lui et sa famille des mains de son beau-père Laban et de son frère Esaü : notre père Joseph a pareillement réclamé votre saint nom, et vous l'avez retiré de la prison pour le faire gouverneur de l'Egypte : nos pères les Israélites ont poussé leurs cris vers vous, et vous les avez affranchis du joug de fer des Egyptiens et de la tyrannie de Pharaon : enfin nul n'a imploré votre secours, qu'il n'ait ressenti des effets de votre bonté : mais pour moi, dans ce jour de désolation et d'horreur, je ne suis plus considéré comme un homme ; on ne garde avec moi aucune mesure ; je ne suis qu'un ver de terre, qu'on croit pouvoir écraser impunément et sans qu'il ait droit de se plaindre : je suis l'opprobre des hommes, et vous les laissez tout entreprendre contre moi : mon juge, même en reconnaissant mon innocence, ne laisse pas de m'envoyer à la croix, et de me sacrifier à sa politique comme un sujet odieux et qui n'est d'ailleurs d'aucun prix parmi les hommes. C'est ce qu'il va encore exprimer par les paroles suivantes.

Verset 8 : « Tous ceux qui me voient se moquent de moi avec insulte : ils remuent leurs lèvres ( par un ris moqueur ) : ils branlent la tête ( d'une manière insultante ). » C'est ce qui fut accompli, lorsque par une dérision sanglante, « ceux qui passaient devant sa croix blasphémaient contre lui, et branlaient la tête , » en lui criant : « Toi qui détruis le temple de Dieu et qui le rebâtis en

 

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trois jours, sauve-toi toi-même, » et le reste, qui est rapporté par les évangélistes!.

Verset 9 : « Il a eu recours au Seigneur , qu'il le sauve : qu'il le délivre, puisqu'il l'aime. » C'est le reproche que met David en la bouche des ennemis de Jésus-Christ. Nous ne lisons pas dans l'histoire de ce prince qu'on lui ait jamais fait un tel reproche quoique nous y voyions tout au long les sanglants outrages ou les imprécations d'un Séméi. Il n'y a que Jésus-Christ seul en qui cette plainte ait un accomplissement littéral : car David ne fait autre chose en cet endroit, que de rapporter en abrégé ce qu'ont écrit de Jésus-Christ les évangélistes, que «les princes des prêtres se moquèrent aussi de lui avec les docteurs de la loi et les sénateurs, en disant : Il a sauvé les autres, et il ne saurait se sauver lui-même. S'il est le roi d'Israël, qu'il descende présentement de la croix, et nous croirons en lui : il met sa confiance en Dieu; si donc Dieu l'aime, qu'il le délivre, puisqu'il a dit : Je suis le Fils de Dieu (2). »

Il faut ici remarquer en particulier ces paroles : « Qu'il le délivre, puisqu'il l'aime, » que David n'a pas oubliées, et qui contiennent tout l'essentiel du reproche qu'on faisait à Jésus-Christ.

Dieu a permis que ce prophète ait vu en esprit toute la substance des blasphèmes que ces bouches impies vomissaient contre Jésus-Christ ; mais le Saint-Esprit, qui a voulu que David les rapportât en abrégé, les a étendues plusieurs siècles avant Jésus-Christ dans le livre de la Sapience, qui fait prononcer ces paroles aux impies contre le juste : « Il se glorifie d'avoir Dieu pour Père : voyons donc si ses discours sont véritables, et quelle sera l'issue de ses entreprises : s'il est vraiment le Fils de Dieu, il saura bien le protéger et le délivrer des mains de ses ennemis (3) ; » et le reste. C'est aussi ce que disaient les Juifs : « S'il est le Fils de Dieu, qu'il descende de la croix, et nous croirons en lui : » ils croyaient avoir forcé Dieu à le désavouer pour son Fils, et même ils lui font un crime de sa confiance. Dieu a voulu que les anciens justes, qui ont précédé Jésus-Christ, aient vu ces cruels reproches comme

 

1 Matth., XXVII, 39, 40; Marc, XV, 29, 30; Luc., XXIII, 35. — 2 Matth., XXVII, 41-43 et seq. — 3 Sap., II, 16, 17, 18.

 

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l'expiation de leurs crimes, et pour être leur consolation dans leurs souffrances.

Après avoir exprimé l'abandonnement de Jésus-Christ, en le comparant avec les pères qui n'ont pas invoqué Dieu inutilement, David vient à Jésus-Christ même, et il remarque qu'il n'a pas toujours été traité avec cette dureté; c'est le sujet de ces paroles du psaume :

Verset 10 : « Vous êtes néanmoins mon défenseur dès le ventre de ma mère, ma confiance dès le temps que j'en suçais la mamelle. »

Verset 11 : (En sortant) « du sein de ma mère, j'ai été jeté entre vos bras : dès le ventre de ma mère, vous êtes mon Dieu. »

Verset 12 : « Ne vous éloignez pas de moi, maintenant que la tribulation (la grande affliction) approche, et que je n'ai aucun secours ; » comme s'il eût dit : D'où vient ce changement ? vous ne m'avez pas toujours délaissé de cette sorte. En effet, à peine était-il entré au monde, qu'il causa de la jalousie à de grands rois, et le vieil « Hérode le chercha pour le perdre (1) : » mais Dieu ne le délaissa pas alors, et son ange lui fit trouver un asile dans l'Egypte : « le même ange ne le rappela dans la terre d'Israël qu'après la mort de ceux qui en voulaient à la vie de l'enfant (2). » Car Hérode avait laissé des instructions contre lui dans sa famille : c'est pourquoi comme Archélaüs son fils régnait en Judée, l'ange prit soin de le soustraire à sa vue, et lui fit faire son séjour à Nazareth (3), qui n'était pas du royaume de ce prince. Qui jamais avait reçu tant de marques dans son enfance de la protection divine, et qui fut jamais plus abandonné à la fin de sa vie?

Il veut donc ici qu'on observe distinctement qu'il n'est sorti du sein de sa mère, que pour être comme jeté entre les bras de Dieu : et après le tendre souvenir de cette protection passée, il va entrer dans le récit de ses maux présents, où, comme il vient de le dire, à la lettre, il ne trouvait aucun secours, parce que « c'était l'heure de ses ennemis et de la puissance des ténèbres (4). »

Les ennemis de Jésus étaient tous les hypocrites et tous les méchants; de sorte que jamais haine ne fut plus envenimée, ni plus

 

1 Matth., II, 13, 16. — 2 Ibid., 14, 19, 20, 22, 23. — 3 Ibid. — 4 Luc, XXII, 53.

 

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allumée que la leur; et c'est pourquoi il les représente sous ces affreuses figures.

Verset 13 : « De jeunes taureaux m'ont environné : des taureaux gras m'ont assiégé : » ce qui montre les dérisions sanglantes, les insultes et l'emportement dans les uns, avec une affreuse fureur et férocité dans les autres.

Verset 14 : (Mes ennemis) « ont ouvert sur moi leur gueule (dévorante), comme un lion ravisseur et rugissant : » ce qui montre leurs déchirements et l'atrocité de leurs cris. Mais voyons l'état pitoyable où ils l'ont mis.

Verset 15 : « J'ai été épanché comme de l'eau, et tous mes os ont été séparés (les uns des autres) : » mes chairs se sont fondues et atténuées : mon sang a coulé à terre comme celui des victimes : mes os ne se tiennent plus les uns aux autres : j'ai été comme un squelet (a) encore un peu animé, mais qui pourtant n'a plus qu'un souffle : c'est l'état de Jésus-Christ à la croix, que David commence pour ainsi dire à désigner, et qu'il représentera bientôt par des traits plus vifs et par des termes propres et précis : mais écoutons auparavant la fin du verset.

« Mon cœur a été comme une cire fondue au milieu de mes entrailles. » C'est ce qui s'accomplit à la lettre en Jésus-Christ, lorsqu'il fut plongé dans la tristesse, qui lui fit dire : « Mon âme est triste jusqu'à la mort (1), » lorsqu'il tomba dans le trouble, qui lui fit dire : « Mon âme est troublée (2) : » et dans l'irrésolution marquée par ces paroles : « Que dirai-je? » C'est qu'alors toutes les forces étant retirées dans le plus intime de l'âme, le reste fut livré à l'épouvante : Cœpit pavere, à la faiblesse, à cette étrange désolation que saint Marc appelle ademonein, c'est-à-dire à l'exprimer dans toute sa force, « se laisser abattre, se décourager (3), » jusque-là que, dans ses frayeurs, « il lui vint une sueur comme des gouttes de sang qui découlaient jusqu'à terre, et il tomba en agonie, » dit saint Luc (4).

Ce n'est donc plus ce Jésus-Christ qui transporté du désir de se

 

1 Matth., XXVI, 38; Marc, XIV, 34. — 2 Joan., XII, 27. — 3 Marc, XIV, 33. — 4 Luc ,  XXII, 43, 44.

(a) Bossuet a remplacé dans l’errata, squelette par squelet.

 

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plonger promptement pour notre salut dans ce baptême de sang qui lui était préparé : « Je dois, disait-il, être baptisé d'un baptême : et combien me sens-je pressé jusqu'à ce que je l'accomplisse (1) ? » Maintenant il semble vouloir reculer, et ne s'arracher à lui-même que par vive force le consentement qu'il donne aux ordres du ciel : tout le sensible est livré à la désolation et à la faiblesse; et ce n'est qu'un commandement absolu de la partie haute qui lui fait dire à la fin de sa prière : « Que ma volonté ne se fasse pas, mais la vôtre (2) ? »

Ce n'est pas à moi à traiter ici tout le fond d'un si grand mystère; et il me suffit de dire en un mot que Jésus-Christ paraissant comme un pécheur délaissé à lui-même, il convenait à cet état qu'il parût aussi une espèce d'opposition entre sa volonté et celle de Dieu. David exprime en un mot tout ce grand mystère des foi-blesses de Jésus-Christ et de son découragement, lorsqu'il lui fait dire, ainsi qu'on l'a récité dans le verset 15 : « Mon cœur s'est fondu et liquéfié au milieu de mes entrailles : » je ne sens plus de courage, et je ne me trouve ni force, ni hardiesse, ni résolution, ni consistance : suivons.

Verset 16 : « Ma force s'est desséchée comme le têt d'un pot cassé : ma langue s'est attachée à mon palais : et vous m'avez réduit à la poussière de la mort. » Comme David nous va faire voir en termes formels Jésus-Christ attaché à la croix au verset 17, et qu'il en a déjà ébauché le tableau dans le verset 15, il n'a pas dû oublier ce prodigieux dessèchement qui doit arriver à ceux qui sont condamnés à ce supplice, dans un corps épuisé de sang et des membres comme disloqués par une torture et suspension violente. De là vient la brûlante soif que David exprime par ces mots : « Ma langue s'est attachée à mon palais : » c'est peut-être le plus grand tourment des crucifiés et la plus certaine disposition à la mort : Jésus-Christ a voulu la ressentir, lorsqu'il s'écria : Sitio, « J'ai soif (1) » et rendit l'âme un moment après.

« Vous m'avez réduit à la poussière de la mort : » c'est-à-dire à la mort même ; et si l'on veut, au tombeau, à la poussière, à la corruption,

 

1 Luc, XII, 50.— 2 Matth., XXVI, 39; Marc, XIV, 36; Luc, XXII, 42. — 3 Joan. XIX, 28.

 

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quant à la disposition, quoique non quant à l'effet. Jésus-Christ devait naturellement être poussé jusque-là, si Dieu ne l'eût voulu ressusciter, comme David le va exprimer dans un moment, et comme il l'avait déjà prédit ailleurs dans le psaume XV, où il faut principalement remarquer ces paroles : « Vous ne permettrez point que votre Saint voie la corruption : » Non dabis Sanctum tuum videre corruptionem (1) ; comme s'il disait : Naturellement il devait éprouver la corruption, ainsi que les autres morts : mais vous ne l'avez pas permis ; et au contraire il vous a plu de me prévenir, en me montrant le chemin et le retour à la vie. C'est en cette sorte que David fit parler Jésus-Christ en cet endroit-là, et nous allons voir qu'il ne s'exprimera pas moins exactement en celui-ci : mais il faut auparavant le considérer attaché à la croix.

Verset 17 : « Des veneurs m'ont environné. » Les Juifs étaient ces rudes veneurs qui pressaient et poursuivaient Jésus-Christ avec d'horribles clameurs, en s'écriant : « Crucifiez-le, crucifiez-le : » Crucifige, crucifige eum (2) !

« Le conseil des méchants m'a assiégé : » il se plaint ici de la conjuration des Juifs et des gentils pour sa perte, les premiers demandant qu'on le crucifiât, et les Romains l'ayant mis effectivement à la croix, qui était un supplice ordinaire parmi eux : « Ils ont percé mes mains et mes pieds. »

Verset 18 : « J'ai compté moi-même tous mes os : voilà ce qu'ils ont vu en moi, lorsqu'ils m'ont considéré. »

Verset 10 : « Ils ont partagé mes vêtements entre eux; et ils ont jeté le sort sur ma robe. » A ce coup il n'y a pas moyen de méconnaître Jésus-Christ : et pour exprimer son crucifiement, il n'y avait point de termes plus propres que ceux-ci : « Ils ont percé mes mains et mes pieds : » ni rien de plus expressif que ce dénombrement des os dans un corps décharné et qui n'était plus qu'un squelet (a), pour signifier cette extension violente des membres suspendus, qui pesaient sur leurs plaies et ne pouvaient, pour ainsi parler, que se disloquer eux-mêmes par leur propre poids.

 

1 Psal. XV, 10. — 2 Luc, XXII, 21.
(a) Même observation que ci-dessus.

 

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Mais pesons en particulier ces paroles du verset 18 : « Voilà ce qu'ils ont vu en moi, lorsqu'ils m'ont considéré : » c'est-à-dire, ils ont vu mes mains et mes pieds percés : ils ont vu mon corps étendu : et mes os qu'on pouvait compter : ils m'ont vu exposé nu aux yeux du peuple et aux leurs : ils ont considéré attentivement ma nudité ignominieuse; et après m'avoir dépouillé, «ils ont partagé mes vêtements entre eux, et ont jeté le sort sur ma robe. » Il faut ici remarquer qu'il parlait de ceux-là mêmes qui ont percé ses mains et ses pieds; et cette circonstance des habits partagés n'est pas indifférente au crucifiement, car elle en fait voir une suite; et cette suite, c'est que les soldats qui l'ont mis en croix, où ils devaient le garder, et qui lui avoient ôté ses habits, les ont regardés comme leurs dépouilles, et les ont partagés1, comme on fait ceux d'un homme mort et qui n'a plus rien sur la terre.

Qu'on dise maintenant en quel endroit de la vie de David on peut placer des événements si précis? quand est-ce qu'il a été mis en cet état de suspension violente? mais quand est-ce qu'il a vu jouer ses habits avec cette distinction de jeter le sort sur sa robe? quand est-ce encore un coup qu'il s'est vu dépouillé, et qu'il a vu du haut d'une croix jouer ses habits à des soldats qui venaient de lui percer les mains et les pieds? Toute l'infidélité des hommes ne peut que demeurer court, et avoir la bouche fermée en cet endroit du Psalmiste.

C'est ainsi que le délaissé fut poussé à l'extrémité : il est enfin à la croix, d'où parmi les horreurs du dernier supplice, il voit partager ses habits; et après une si sanglante exécution, il paraît qu'il ne reste aucune ressource à l'humanité désolée : mais il n'en est pas ainsi ; et au contraire c'est là que commencent les merveilles de Dieu, dans la seconde partie de ce divin psaume.

 

§ VIII. Seconde partie du Psaume : Jésus-Christ invoque Dieu de nouveau : à ce coup il est écouté : il ressuscite et convertit les gentils.

 

Je rapporterai d'abord en abrégé ces merveilles de Dieu sur Jésus-Christ. Conduit au supplice de la croix, contre lequel il

 

1 Matth., XXVII, 35, 36.

 

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s'était tant récrié, il paraissait déchu de toute espérance; mais comme h s'était soumis, il retourne à Dieu par une nouvelle prière; et celui qui n'a pas été tiré de la croix, demande d'être -délivré des mains de ses ennemis d'une manière plus haute par sa glorieuse résurrection. A ce coup il est écouté : il ressuscite : il se représente comme « racontant à ses frères la gloire de Dieu : » Narrabo nomen tuum fratribus meis, verset 23 ; et les Juifs qui furent témoins de ses plaintes, lorsqu'il avait crié si haut à la croix : « Mon Dieu, mon Dieu! pourquoi m'avez-vous délaissé? » sont invités maintenant à reconnaître que « Dieu a exaucé ses vœux, » versets 2i et 25. Aussitôt après on voit les gentils coup sur coup venir « s'agréger à son Eglise, » verset 28, etc. ; et par ses délaissements il entre dans la plénitude de sa gloire, comme il l'avait si souvent prédit, et comme tous les prophètes l'avoient attesté. C'est ce que nous allons voir verset à verset, et ce qu'on découvrira clairement pour peu qu'on soit attentif.

Verset 20 : « Ne vous éloignez pas, Seigneur : vous qui êtes ma force, hâtez-vous de venir à mon secours. »

Verset 21 : «Tirez mon âme de l'épée, et mon unique de la main du chien. »

Verset 22 : « Sauvez-moi de la gueule du lion, et exaucez-moi contre les cornes de la licorne. »

Verset 23 : « Je raconterai votre nom à mes frères. »

On connaît bien que par son unique, il entend sa vie et son âme, comme la chose qui nous est uniquement chère. A l'égard de la licorne, je n'ai pas besoin de rechercher curieusement quel animal c'est ; et il me suffit qu'il en soit souvent parlé dans les psaumes mêmes, comme d'un animal cruel et furieux.

Mais pour entendre la suite de ces quatre versets, c'est ici que commence la seconde partie du psaume, parce que, dès les premiers mots, si on y prend garde, David insinue la résurrection de Jésus-Christ. Car que lui servait après le dernier supplice « de tant hâter le secours de Dieu? » Celui qui a dit : « Ils ont percé mes mains et mes pieds, » et qui s'est représenté lui-même comme condamné et exécuté à mort, qu'a-t-il désormais à demander à Dieu, sinon de ressusciter et d'être glorifié? Certainement on voit

 

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bien qu'il ne restait plus qu'à le tirer du tombeau, et à défendre sa gloire contre les outrages des Juifs : il a déjà été passé au fil de l'épée, qui signifie dans l'Ecriture une mort violente : comment peut-il être tiré de l'épée qu'en ressuscitant? comment peut-on autrement le retirer de la gueule du lion, de la main du chien, et des cornes de la furieuse licorne, après que le lion l'a englouti, que le chien l'a dévoré et que la licorne, pour ainsi parler, l'a mis en pièces : c'est-à-dire après que ses bourreaux l'ont déchiré comme par morceaux, et lui ont ôté la vie? Ainsi cette seconde prière ne peut aboutir à autre chose, sinon à demander qu'après avoir été délaissé jusqu'à la mort de la croix, Dieu le ressuscite, «en arrêtant, comme dit saint Pierre, les douleurs de l'enfer, étant impossible qu'il y fût retenu (1) : » c'est aussi ce que le Psalmiste exprime ici, en ajoutant aux autres versets le verset 23, dont les paroles sont décisives pour la résurrection.

Verset 23 : « Je raconterai votre nom à mes frères. » Ces paroles en elles-mêmes et détachées de tout le reste du discours, n'ont rien d'extraordinaire : mais aussi faut-il remarquer que celui qui s'est plaint qu'on « avait percé ses mains et ses pieds : » qui s'est vu dépouillé pour être attaché à la croix, et ses habits joués par les soldats qui l'y gardaient : celui qui par conséquent s'est vu condamné et exécuté à mort, ainsi qu'il vient d'être dit, et a subi le dernier et le plus infâme de tous les supplices, c'est le même qui dit maintenant : « Je raconterai votre nom à mes frères : » par ce moyen tout le mystère est développé : celui qui a été délaissé jusqu'à la mort de la croix, est le même qui a été exaucé pour être ramené à la vie, pour de nouveau glorifier Dieu parmi ses frères : et sa résurrection n'est pas moins clairement exprimée que sa mort.

Qu'on parcoure les quatre évangélistes, et qu'on voie où Jésus-Christ a donné de sa propre bouche à ses apôtres le nom de ses frères : on ne trouvera que le seul endroit où il ordonne aux Maries de leur annoncer sa résurrection : « Ne craignez point, leur dit-il, allez, et annoncez à mes frères qu'ils aillent en Galilée : ils me verront là (2). » Saint Jean remarque aussi que cette parole,

 

1 Act., II, 24. — 2 Matth., XXVIII, 10.

 

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qui annonce la résurrection, est spécialement portée à Marie-Magdeleine en cette manière : « Va trouver mes frères, et leur dis : Je vais monter à mon Père et à votre Père, à mon Dieu et à votre Dieu (1) : » où il explique distinctement la fraternité des apôtres avec Jésus-Christ, comme elle peut convenir à de purs hommes.

Mais d'où vient que dans tous les Evangiles il ne se sert que cette fois seulement de cette expression : « Dites à mes frères? » si ce n'est que David ayant exprimé la résurrection de Jésus-Christ par ces mots : « Je raconterai votre nom à mes frères : » le même Jésus-Christ a voulu nous faire entendre que lorsqu'il a dit : « Dites à mes frères, » c'était précisément cette prophétie qu'il avait dessein d'accomplir. Si donc David lui fait dire au même verset : « Je vous louerai au milieu de l'Eglise : » par l'Eglise où il loue le nom de Dieu, nous devons entendre l'assemblée des apôtres, qui une fois « s'est augmentée, » comme dit saint Paul, «jusqu'à cinq cents frères, et au-delà (2), » à qui Jésus-Christ ressuscité a annoncé la gloire de son Père. Qui peut parler de cette sorte, sinon celui qui a dit dans l’ Apocalypse : « J'ai été mort, et je suis vivant (3)? »

Je ne veux pourtant pas nier que la signification de ce mot : frères, dans la prophétie de David, verset 23, ne comprenne les Juifs, qui aussi étaient frères de Jésus-Christ, selon que dit saint Paul, que « Jésus-Christ est sorti d'eux (4), » et à qui il a annoncé le nom de son Père par le ministère de ses apôtres. Mais en ce sens Jésus-Christ est toujours regardé comme vivant, puisqu'il est regardé comme l'auteur véritable de la prédication des apôtres, à cause qu'elle est faite, non-seulement par son ordre, mais encore par le Saint-Esprit, qu'il envoie actuellement du plus haut des cieux, conformément à cette parole : « Si je ne m'en vas, le Paraclet ne viendra point; mais si je m'en vas, je vous l'enverrai (5) : » ainsi l'envoi du Saint-Esprit est une preuve que Jésus-Christ est vivant, et même vivant dans les cieux, puisqu'il est par cet Esprit l'auteur de la prédication apostolique. Mais elle ne devait pas se borner aux Juifs, et la gloire annoncée à ce peuple élu devait bientôt après être portée aux gentils. C'est ce que David nous

 

1 Joan., XX, 17. — 2 1 Cor., XV, 6.— 3 Apoc., I, 18. — 4 Rom., IX, 5.— 5 Joan., XVI, 7.

 

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expliquera distinctement et par ordre, comme nous allons voir.

Mais à présent il faut reprendre le texte.

Verset 24 : « Louez le Seigneur, vous qui le craignez : races de Jacob, glorifiez-le partout où vous êtes étendues : craignez-le, ô vous tous qui composez la postérité d'Israël. »

Verset 25 : « Parce qu'il n'a point méprisé, ni dédaigné la modestie (l'humilité, l'humble prière) du pauvre (du délaissé, du dépouillé) : et il ne lui a point caché sa face : et quand il criait à lui, il l'a exaucé. »

Quoi donc! celui qui se plaint avec tant de larmes de n'être point exaucé, invite maintenant les Israélites sous ces deux titres : O Races de Jacob, » et « postérité d'Israël, » à rendre grâces à Dieu d'avoir exaucé sa prière : c'est visiblement que les choses sont changées : le dépouillé, le délaissé ne l'est plus : abandonné une fois à la mort, il est ressuscité à jamais, et il entre par ce moyen dans sa gloire : c'est ce qui devait être annoncé à toute la race d'Israël, selon les paroles du Psalmiste. C'est ce qui le fut en effet par cette déclaration de saint Pierre : « Sache toute la maison d'Israël, que Dieu a fait Seigneur et Christ ce Jésus que vous avez crucifié (1). »

Par ce moyen les Israélites sont en effet invités; tant par David que par les apôtres, à croire que le même qui avait été délaissé, était maintenant élevé au comble de la gloire, puisqu'il était « fait Seigneur et Christ. » Les gentils viendront à leur tour : mais il fallait commencer par les Juifs, à qui le salut devait être premièrement annoncé ; or voici ce qui devait encore arriver selon le Psalmiste.

Verset 26 : « Ma louange sera devant vous dans la nombreuse ou grande Eglise» (on y publiera la louange que je dois à votre immense bonté) : pour m'avoir rendu « la gloire que j'avais devant vous avant la constitution du monde. » La grande ou la nombreuse Eglise signifie naturellement la grande assemblée de tout le peuple : mais dans cet endroit du psaume, il y a une raison particulière d'employer ce terme, comme s'il disait : L'Eglise aura bientôt toute sa grandeur, quand elle aura enfermé dans son sein

 

1 Act., II, 36.

 

289

 

la gentilité convertie : mais en attendant, il faut comprendre que l'Eglise de Jésus-Christ n'a commencé d'être vraiment nombreuse, même parmi les Juifs, qu'après son crucifiement/conformément à cette parole qu'il avait lui-même prononcée : « Lorsque vous aurez élevé de terre le Fils de l'homme, vous connaîtrez qui je suis (1) : » car alors, dès la première prédication, trois mille hommes furent convertis, qui furent aussitôt après suivis de cinq mille autres (2); et saint Jacques dit à saint Paul : «Vous voyez, mon frère, combien de milliers de Juifs ont cru (3). »

Voilà donc parmi les Juifs une grande et nombreuse Eglise : elle aura parmi les gentils un bien autre accroissement, comme on va voir : mais il fallait avant toutes choses expliquer ce qui devait arriver aux Juifs; et le voici.

Verset 26 : « Je rendrai mes vœux en la présence de ceux qui craignent Dieu. » Il ne s'agit pas de David : c'est toujours le crucifié et le ressuscité qui parle, c'est lui qui rend ses vœux. Rendre ses vœux, selon l'Ecriture, c'est offrir à Dieu un sacrifice d'action de grâces ou d'Eucharistie, quand on a obtenu ce qu'on demandait : comme si Jésus-Christ crucifié et ressuscité eût dit : Je me suis dévoué moi-même pour le genre humain : j'ai fait vœu d'immoler ma vie pour le monde, afin d'en effacer les péchés : Dieu qui avait déclaré « qu'il n'agréait point les holocaustes et les victimes pour le péché (4), » m'a reçu seul à la place de toutes les autres hosties : je me suis offert moi-même à la croix, et j'ai obtenu le salut des hommes : que reste-t-il donc aujourd'hui, sinon que, pour avoir obtenu l'effet de mes vœux, je lui offre le sacrifice qui soit principalement d'action de grâces? C'est ce qu'a fait Jésus-Christ après sa résurrection : et parce que le propre de ce sacrifice est de se tourner en banquet sacré, le Prophète le désigne aussi par ce caractère.

Verset 27 : « Les pauvres (selon l'hébreu, de mot à mot : « Ceux qui sont doux et humbles de cœur : » Miles, pauperes) mangeront et seront rassasiés : ceux qui cherchent le Seigneur le loueront : votre cœur vivra à jamais. » Il indique ici le sacrifice de l'Eucharistie, qui commença alors d'être célébré dans l'Eglise naissante

 

1 Joan., VIII, 28. — 2 Adct., II, 41 ; IV, 4. — 3 Act., XXI, 20. — 4 Psal., XXXIX, 7.                                                                               

 

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en simplicité de cœur : et on sait que c'est Jésus-Christ qui le célèbre toujours, puisqu'il se fait non-seulement en son nom, mais par ses propres paroles : comprenons donc que les pauvres, les humbles de cœur, mangeront : que mangeront-ils si ce n'est selon la coutume les chairs immolées dans le sacrifice de l'Eucharistie, qui sont en effet celles de Jésus-Christ? Car il n'y a plus pour nous d'autre victime que celle-là : « Et ils seront rassasiés : » de quoi, sinon des opprobres, des souffrances de Jésus-Christ, et de ses humiliations? Mais ils ne doivent pas pour cela murmurer, ni se rebuter de ce sacrifice, puisque c'est par les opprobres de Jésus-Christ que nous devons avoir part à sa vie et à sa gloire, et qu'en effet le psaume leur dit sous le nom de Jésus-Christ : « Vos cœurs vivront aux siècles des siècles : » et vous aurez part à la nourriture dont j'ai prononcé : a Qui me mange vivra pour moi, et il ne mourra jamais (1). »

Verset 28 : « Toutes les extrémités de la terre se ressouviendront du Seigneur, et se convertiront à lui : et toutes les familles des gentils l'adoreront. »

Verset 29 : « Parce que le règne appartient au Seigneur, et il dominera sur les gentils. »

Verset 30 : « Tous les riches et puissants de la terre (mot à mot : Les gras de la terre) ont mangé et adoré devant sa face : tous ceux qui se réduisent en poussière (tous ceux qui sont sujets à la mort, en un mot, tous les mortels) fléchiront le genou (devant lui). »

La première et la plus ancienne connaissance du genre humain est celle de la Divinité : l'idolâtrie répandue depuis tant de siècles par toute la terre, n'était autre chose qu'un long et profond oubli de Dieu : rentrer dans cette connaissance, et revenir à soi-même après un si mortel assoupissement pour reconnaître Dieu qui nous a faits, c'est ce que David appelle s'en ressouvenir, et il explique dans ces trois versets que ce devait être l'heureuse et prochaine suite du crucifiement de Jésus-Christ. C'est donc ici le dernier accroissement qui rend complète la grande Eglise , et lui donne son étendue tout entière. Jésus-Christ avait dit cette parole : «J'ai d'autres brebis qui ne sont pas de ce bercail, et il faut que je les

 

1 Joan., VI, 58, 59.

 

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amène, et qu'il se fasse un seul bercail et un seul pasteur (1) : on sait qu'il entendait les gentils, qui unis aux Juifs convertis, composèrent le grand bercail de l'Eglise catholique.

Mais pour accomplir cet ouvrage, il devait arriver deux choses : la première, le crucifiement de Jésus-Christ et sa résurrection ; et la seconde, la conversion des Juifs qui devaient croire.

La première vérité est établie par la parole du Sauveur, à qui l'on vint dire près de sa fin que quelques gentils le voulaient voir (2) ; alors étendant sa vue sur la gentilité qui allait être convertie, il dit ces mots : « Si le grain de froment ne meurt en tombant à terre, il demeure seul ; mais s'il meurt, il portera un grand fruit? (3) » Ce fruit n'est autre chose que la gentilité convertie : ce qu'il confirme en disant: « Quand j'aurai été élevé de terre, » c'est-à-dire crucifié, «je tirerai tout à moi (4), » et non-seulement ceux des Juifs qui seront prédestinés à la vie éternelle , mais encore tous les gentils tirés des extrémités du monde. Avant que de convertir les gentils, Jésus-Christ devait mourir sur la croix : et saint Paul a prouvé par les Ecritures, « qu'il serait le premier qui, ressuscité des morts, annoncerait la lumière aux gentils (5). » Mais la seconde vérité n'est pas moins certaine, que les gentils ne devaient être appelés à l'Evangile qu'après qu'il aurait été prêché aux Juifs (6), et qu'un grand nombre l'aurait cru.

Il est admirable que David non-seulement ait vu des choses si éloignées, mais encore qu'il les ait vues dans l'ordre qu'elles devaient arriver : car il a vu premièrement le crucifié avec ses mains et ses pieds percés, aussi bien qu'avec ses os comptés, et le partage de ses habits entre ses bourreaux : ensuite il l'a vu ressusciter et annoncer le nom de Dieu à ses frères, à commencer par les Juifs , et enfin finir par les gentils, selon l'ordre de la prédestination éternelle, ainsi que nous l'avons montré distinctement.

Et remarquez qu'il ne dit pas que tous les Juifs doivent croire, mais seulement que la parole devait être adressée à toute la race d'Israël : et au contraire pour les gentils, il dit clairement que toutes les nations, toutes les familles des gentils se convertiraient,

 

1 Joan., X, 16. — 2 Joan., XII, 20, 21. — 3 Ibid., 24. — 4 Ibid. 32. — 5 Act., XXVI, 23. — 6 Ad., XIII, 46.

 

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pour montrer que leur conversion actuelle et leur abord en foule dans l'Eglise, devait être l'effet principal de la prédication de l'Evangile.

C'est ici la grande merveille : car qui s'étonnerait que les gentils depuis tant de siècles, plus sourds et p}us muets que les idoles qu'ils servaient, et qui avoient si profondément oublié Dieu ( ils semblaient n'en avoir retenu le nom que pour le profaner ), tout d'un coup se soient réveillés au nom de Jésus-Christ ressuscité, et qu'ils soient venus les uns sur les autres de toutes les parties du monde, comme pour composer la grande Eglise, qui était destinée au Sauveur du monde? C'est de quoi on ne peut jamais s'étonner assez, ni assez remercier celui qui a fait prédire ce grand événement par David en la personne de Jésus-Christ, lorsqu'il n'y paraissait pas encore, ni du temps de David, ni tant de siècles après, du temps de Jésus-Christ même, la moindre disposition, mais plutôt un éloignement extrême et prodigieux.

Au reste l'on a pu voir que David parle deux fois du festin sacré : car après avoir dit, verset 27 : « Les pauvres ( ceux qui sont doux et humbles de cœur : Mites, pauperes, qui sont termes équivalents) mangeront» le pain de vie, il dit encore, verset 30 : « Les gras de la terre ( les riches et les puissants du monde ) ont mangé et adoré, » pour insinuer que les riches, pingues terrœ, et même les rois de la terre viendront les derniers, et comme entraînés par les autres, au banquet de Jésus-Christ.

Verset 30 : « Son âme ne vivra pas : » son âme, c'est un hébraïsme connu pour signifier sa personne, et c'est-à-dire, en un mot, il perdra la vie.

Verset 31 : « Sa postérité le servira dans la race suivante : on racontera ( ses louanges ) au Seigneur ( on les célébrera dans les assemblées solennelles du peuple de Dieu). »

Verset 32 : « Ils viendront, et ils annonceront sa justice au peuple qui naîtra, et qu'il a fait. »

Voilà les trois derniers versets, où encore que le Psalmiste change de personne, il les faut pourtant rapporter au même dont il est parlé dans tout le psaume, qui ne peut être, comme on a vu, que Jésus-Christ. C'est donc lui dont il est écrit : « Il perdra la

 

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vie, et une longue postérité le servira : » c'est constamment Jésus-Christ, à qui sa mort donnera une longue suite d'enfants; et c'est la même chose qu'Isaïe prédit en ces mots : « S'il donne sa vie pour le péché, il verra une longue race; et la volonté du Seigneur sera disposée en sa main (1) : » sera exécutée par sa puissance.

Verset 32 : « Ils viendront : » ce sont les apôtres : « et ils annonceront sa justice : » c'est celle de Jésus-Christ : «au peuple qui naîtra : » au peuple du Nouveau Testament, qui naîtra principalement parmi les gentils par sa mort, et qu'il a fait en donnant sa vie.

C'est la fin de la prophétie selon l'hébreu, où les chrétiens ont l'avantage : premièrement, que s'il y a quelque verset qui puisse en quelque façon être adapté à David comme étant une excellente figure de Jésus-Christ, il y a aussi les grands caractères plus clairs que le soleil, qui ne lui peuvent convenir en aucune sorte ; et en second lieu, pour ce qui regarde Jésus-Christ, non-seulement ces grands caractères qu'on a donnés pour la clef de la prophétie lui conviennent de mot à mot, mais encore tous les versets lui conviennent effectivement, et dans un sens naturel et propre, ainsi qu'il a paru dans cette explication : de sorte que si on considère le total, tout est manifestement à Jésus-Christ, qui aussi commence par se l'appliquer, en s'écriant à la croix : « Mon Dieu, mon Dieu ! pourquoi m'avez-vous délaissé ? »

 

§ IX. Différence des Septante d'avec l'hébreu.

 

Il est bon maintenant de considérer ce que nous diront les Septante. Nous en avons déjà rapporté le titre. Au lieu qu'au second verset, l'hébreu porte simplement : « Mon Dieu, mon Dieu ! pourquoi m'avez-vous délaissé ? » ainsi que nous le trouvons récité par Jésus-Christ même sur la croix, les Septante ont inséré : «Regardez-moi , » pour expliquer que Jésus-Christ accoutumé aux tendres regards de son Père, ne peut souffrir d'en être prive , lui qui est l'objet éternel de ses complaisances. Mais il importe de bien remarquer dans les évangélistes que Jésus-Christ n'a point prononcé cette parole, et qu'il n'a fait que suivre l'hébreu, en disant : « Mon Dieu , Mon Dieu ! » sans dire : « Regardez-moi. »

 

1 Isa., LIII, 10.

 

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Au même verset, au lieu de ces mots : « Les paroles de mon rugissement , » les Septante ont lu : « Les paroles de mes péchés, » c'est-à-dire les péchés du monde, qui étaient devenus les siens, comme on a dit.

Au verset 3 ils ajoutent que « ce n'est pas à lui une folie » de recourir à Dieu sans se rebuter, parce que le fidèle , quelque dédain qu'il éprouve du côté de Dieu, doit toujours y avoir recours, ainsi qu'a fait Jésus-Christ, en retournant par trois fois à la prière dans le sacré jardin des Olives.

Au verset 4 les Septante traduisent : « Vous habitez dans le sanctuaire, vous qui êtes la louange d'Israël : » où le sanctuaire est marqué comme le lieu où Dieu écoute toutes les prières et reçoit les louanges de tout Israël, qui célébrait éternellement ses miséricordes. C'est donc pour nous les marquer que les Septante ont traduit de cette sorte.

Au verset 20 les Septante ajoutent : « Pourvoyez à ma défense : » par où nous pouvons entendre que Jésus-Christ demandait à Dieu, qu'il défendit sa personne et sa doctrine de tous les outrages que les Juifs lui faisaient.

Jusqu'ici on voit clairement que les différences des Septante ne changent rien dans le sens ; mais en voici une qui paraîtra plus considérable : l'hébreu lit au verset 30 : « Son âme ne vivra pas; » au lieu que les Septante ont traduit : « Mon âme vivra pour lui, » verset 31, selon la Vulgate. Ceux qui ont seulement appris les premiers éléments de la langue hébraïque , savent qu'ici la différente leçon de l'hébreu ne vient que d'un trait qui fait le changement de personne, et d'une simple lettre qui aura échappé dans l'exemplaire des Septante : mais au fond, si l'on prend la peine de se souvenir que celui dont il est écrit : « Mon âme vivra pour Dieu, » ayant dit auparavant qu'il était mort, ainsi que nous l'avons remarqué, s'il vit à présent, c'est qu'il ressuscite : aussi ne vit-il que pour Dieu, et comme dit le saint Apôtre, « s'il est mort une fois, c'est pour le péché ; et s'il vit maintenant, c'est pour Dieu (1). »

Ce que les Septante ajoutent : « Que la postérité de Jésus-Christ

 

1 Rom., VI, 10.

 

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servira Dieu, et qu'on annoncera devant le Seigneur une race future, » n'est qu'une plus claire explication du peuple que la résurrection de Jésus-Christ fera naître; et tout cela ne fait visiblement qu'un seul et même sens avec le texte original, sans qu'il y ait le moindre changement qui mérite qu'on le considère, comme il a déjà été remarqué.

Je n'en dirai pas davantage ; et je n'ai plus qu'à louer Dieu qui nous a donné dans ce psaume une si claire prophétie, ou plutôt une histoire si précise des souffrances et de la gloire de Jésus-Christ. 11 n'y a rien là pour David, qui n'a pas été crucifié, qui n'a pas vu jouer ses habits du haut d'une croix, qui n'est point ressuscité pour annoncer à ses frères la gloire de Dieu, qui n'a point converti les Juifs par sa mort, ni rappelé à la connaissance de Dieu toute la gentilité; tout cela ne convient qu'à Jésus-Christ. David n'a pas oublié l'Eucharistie; et c'est avec consolation qu'on la voit paraitre par deux fois dans un psaume où sont racontés par ordre les mystères du crucifié; et il n'y a qu'à conclure ce raisonnement par où il a commencé, en reconnaissant que David, comme père, comme prophète et comme figure de Jésus-Christ, a pu dire sous son nom tant de choses merveilleuses et précises, qui sans aucun doute ne conviennent pas à David lui-même.

 

§ X. Réflexion sur le délaissement de Jésus-Christ.

 

Si nous voulons tirer maintenant de la doctrine précédente toute l'utilité possible, il faut encore élever plus haut notre pensée, et pour dernière considération, songer que celui qui vient de se plaindre avec tant de gémissements d'être délaissé de Dieu, est Dieu lui-même; mais un Dieu, qui se faisant homme pour nous rapprocher de lui, a voulu prendre la nature humaine, non pas telle qu'elle était avant le péché, heureuse, immortelle et invulnérable, mais telle que le péché l'a faite, couverte de plaies, et attendant à chaque moment le dernier coup de la mort, afin que portant pour nous les peines du péché sans en avoir la tache et le démérite, il pût être le libérateur de tous les pécheurs. C'est pourquoi Isaïe « l'a vu comme un lépreux, comme un homme frappé de Dieu et humilié ; » c'est par là « qu'il est devenu l'homme de

 

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douleurs, et qui sait l'infirmité (1) ; » qui la sait non-seulement par science, mais encore par une expérience réelle, et qui est, comme dit saint Paul, le plus tendre et le plus compatissant de tous les hommes, parce qu'il a été le plus affligé et mis à de plus rudes épreuves (2).

Ce n'est donc point par faiblesse qu'il a pris nos infirmités : à Dieu ne plaise ! c'est par puissance et par choix : c'est par puissance qu'il est mortel et souffrant : c'est par puissance qu'il est mort, et nul ne lui a pu arracher son âme : mais il la donne de son bon gré (3) : on le voit sur la croix considérer ce qui manquait encore à son ouvrage, et ne rendre l'âme qu'après avoir dit : «Tout est consommé (4) ; » et après avoir en effet « consommé l'œuvre que son Père lui avait mise en main (5). »

Comme donc il est mort par puissance; qu'il a pris aussi par puissance toutes les passions, qui sont des appartenances et des apanages de la nature humaine : nous avons dit qu'il en a pris la vivacité, la sensibilité, la vérité, tout ce qu'elles ont d'affligeant et de douloureux. Jamais homme n'a dû ressentir plus d'horreur pour la mort que Jésus-Christ, puisqu'il l'a regardée par rapport au péché, qui étant étranger au monde, y a été introduit par le démon : il voyait d'ailleurs tous les blasphèmes et tous les crimes qui devaient accompagner la sienne : c'est pourquoi il a ressenti cette épouvante, ces frayeurs, ces tristesses que nous avons vues.

Nul homme n'a jamais eu un sentiment plus exquis; mais pour cela il ne faut pas croire que l'agitation de ses passions turbulentes ait pénétré la haute partie de son âme : ses agonies n'ont pas été jusque-là, et le trouble même n'a pas troublé cet endroit intime et imperturbable : il en a été à peu près comme de ces hautes montagnes qui sont battues de l'orage et des tempêtes dans leurs parties basses, pendant qu'au sommet elles jouissent d'un beau soleil et de la sérénité parfaite.

Ceux qui ont osé retrancher de l'Evangile de saint Luc « l'Ange que Dieu envoya à Jésus-Christ pour le fortifier (6), » n'ont pas compris

 

1 Isa., LIII, 3, 4.— 2 Hebr., II, 17, 18. — 3 Joan., X, 17, 18. — 4 Joan., XIX, 30. — 5 Joan., XVII, 4. — 6 Luc, XXII, 43.

 

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ce mystère, et que Dieu, en retirant dans le plus intime toute la force de l'âme, et lui envoyant son saint ange pour le consoler dans ses détresses, n'a pas prétendu par là déroger à sa dignité, mais seulement lui faire éprouver qu'il était homme, « abaissé » par sa nature humaine « un peu au-dessous de l'ange : » Minuisti eum paulo minus ab angelis, et expiant le désordre de nos passions, loin de le prendre, lorsqu'il en a voulu souffrir le tourment.

Avec l'expiation des péchés que les passions nous font commettre, nous avons encore dans les siennes la parfaite instruction de l'usage que nous devons faire des nôtres. Considérez Jésus-Christ dans ses dernières et terribles transes, qu'il ressentit à sa mort et à sa passion : il prend avec lui trois de ses disciples qu'il estimait les plus fidèles : il leur ordonne de veiller, et va faire sa prière dans son agonie : il revient à eux par trois fois (1) : vous diriez qu'il ait besoin du soutien de leur présence, et que ses allées et ses venues sont les effets de l'inquiétude qui accompagne les passions : mais non ; cette apparence d'inquiétude est en effet une instruction.

Quand il fait ce reproche à ses disciples : « Vous n'avez pu veiller une heure avec moi, » il leur enseigne ce qu'ils doivent faire à l'égard de ceux qui se trouveraient dans la détresse : ce n'est pas qu'il eût besoin de leur veille ; mais il a voulu leur montrer qu'ils avoient besoin de veiller eux-mêmes, et qu'il leur était utile de penser que « l'esprit » doit être « prompt » et vif, « quoique la chair soif infirme. »

Cependant le Verbe divin, qui était le modérateur caché de toutes les actions et de tous les mouvements de Jésus-Christ, y inspirait au dedans une valeur infinie, ce qui les rendait dignes de Dieu et nous donnait une victime capable seule de racheter mille et mille mondes.

C'est ce que voient tous ceux qui reconnaissent que le délaissé est Dieu : c'est ce qu'ont vu en esprit les anciens justes : c'est ce qu'a vu David, lorsqu'il appelle Jésus-Christ son Seigneur, encore qu'il soit son Fils (2) : c'est ce qu'a vu Isaïe, lorsqu'il dit si expressément

 

1 Matth., XXVI, 37, 38 et seqq.; Marc, XIV, 33, 34 et seq. — 2 Psal. CIX, 1 ; Matth., XXII, 43, 44, 45.

 

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que le petit enfant qui nous est donné, est Dieu (1) : c'est ce qu'a vu Michée, lorsqu'on voyant naître dans Bethléem le chef d'Israël, tout d'un coup il est élevé jusqu'à voir que son origine est éternelle et divine (2) : c'est ce qu'ont vu tous les prophètes et tous les anciens patriarches : « Abraham a vu son jour, et il s'en est réjoui (3) : » il a vu ce jour si clair de l'éternité, « et la gloire que Jésus-Christ avait auprès de son Père avant l'établissement du monde (4) : » il a vu que « Jésus-Christ était avant que lui Abraham eût été fait (5) : » on peut juger des autres par ceux-là; et l'avantage que nous avons, c'est de voir plus expressément et de près ce qu'ils ont vu de loin et sous des ombres.

C'est ainsi que Jésus-Christ a accompli toute justice : tout l'homme sera sauvé, parce qu'il a pris tout ce qui appartient à la nature humaine et s'en est servi pour expier le péché : il a aussi accompli tout ce qu'il fallait pour être le parfait modèle du genre humain, et nous a appris à faire un bon usage de nos passions.

Il nous montre à craindre la mort, parce qu'elle est la peine du péché, dont on ne peut avoir trop d'horreur. Il nous montre qu'il ne faut jamais abandonner Dieu, lors même qu'il semble le plus nous abandonner : car celui qui dit : « Mon Dieu, mon Dieu ! pourquoi m'avez-vous délaissé? » ne laisse pas malgré ce délaissement de se souvenir que ce Dieu qui le délaisse, est son Père, puisqu'il retourne à lui, en disant : « Mon Père, pardonnez-leur; » et encore : « Mon Père, je recommande mon esprit entre vos mains (6). »

Venez, âmes délaissées, malgré toutes vos sécheresses et votre abandon ; venez toujours mettre en lui votre confiance, assurées que Dieu peut même vous ressusciter des morts, comme il a fait Jésus-Christ; et dans cette foi dites à l'exemple du saint homme Job : « Quand il me donnerait la mort, je mettrai toujours en lui mon espérance (7). » « Humiliez-vous sous la puissante main de Dieu, » et, comme ajoute l'apôtre saint Pierre (8), « rejetez sur lui toute votre sollicitude. »

 

1 Isa., IX, 6. — 2 Mich., V, 2. — 3 Joan., VIII, 56.— 4 Joan., XVII, 5. — 5 Joan., VIII, 58. — 6 LUC., XXIII, 34, 40. — 7 Job, XIII, 15. —  8 I Petr., V, 6, 7.

 

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Ne cessons donc pas de regarder, avec saint Paul, « Jésus qui est l'auteur et le consommateur de notre foi (1); » lorsque notre âme sera troublée, et que nous serons poussés jusqu'à l'agonie, apprenons à dire avec lui la prière du sacré jardin, c'est-à-dire cette courageuse prière : « Que ma volonté ne se fasse pas, mais la vôtre (2) : » et louons celui qui nous donne part à ses délaissements, pour ainsi nous donner part à sa gloire, si nous savons imiter son obéissance.

 

1 Hebr.,  XII, 2. — 2 Matth., XXVI, 39; Marc, XIV, 36; Luc, XXII, 42.

 

FIN  DE  LA  PROPHÉTIE  D’ISAÏE  ET  DU   PSAUME   XXI.

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