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Plan - Théologie

 

REMARQUES HISTORIQUES.

 

I.

 

Avertissement aux protestants. — Comme on peut le voir dans les Remarques historiques du deuxième volume, les architectes et les premiers manœuvres de la Réforme faisaient du Pape l'Antéchrist, de l'Eglise romaine la Babylone idolâtre ; et ils annonçaient que l'Apocalypse allait recevoir dans un prochain avenir, par la chute du catholicisme, son accomplissement. C'est pour réfuter ces oracles et ces prophéties, je voulais dire ces grossiers blasphèmes et ces contes absurdes, que Bossuet fit son commentaire sur la Révélation du disciple bien-aimé. Dans cet ouvrage il prouve que la Babylone décrite par saint Jean, c'est Rome païenne, persécutrice des Saints, gorgée de rapines et de sang; si bien que l'Apocalypse s'est accomplie déjà, dans une de ses principales parties, par le démembrement de l'empire romain sous Alaric. Cette conclusion renverse de fond en comble tout l'échafaudage protestant.

Cependant Bossuet joignit à l'interprétation de l'Apocalypse comme un ouvrage supplémentaire, pour étendre la démonstration jusqu'aux dernières conséquences de ses principes. Dans l'Avertissement aux pro-testans, il prend corps à corps les faux prophètes de la Réforme; il déjoue leurs manœuvres, déroute leurs stratagèmes et renverse toutes leurs batteries ; il dénonce à la conscience chrétienne les calomnies qu'ils répandent contre les saints pour fomenter la haine religieuse, les outrages qu'ils font à l'Eglise pour étayer une secte chancelante, et les attentats qu'ils commettent sur un Livre sacré pour donner crédit

 

II

 

à des rêves ridicules. Le grand polémiste rencontre en première ligne Dumoulin et Jurieu, zélateurs d'une même souche comme d'une même doctrine ; Dumoulin ministre à Charenton, Jurieu professeur de théologie protestante à Rotterdam. Ces deux rêveurs avoient publié deux ouvrages qui parurent, l'un en 1624, l'autre en 1686, sous le titre commun d'Accomplissement des prophéties. La Réforme doit en outre à Jurieu les Préjugés légitimes contre te papisme et les Lettres pastorales.

Voilà les auteurs et les principaux écrits que l'évêque de Meaux réfute dans le supplément de l’Apocalypse. Si l'on veut connaître le résultat de la discussion, le voici ; d'abord les interprétations protestantes ont la haine pour principe ; ensuite elles heurtent de front les oracles sacrés; enfin elles se détruisent elles-mêmes par leur contradiction.

Bossuet publia l'Avertissement avec l'Apocalypse en 1689, chez la veuve Marbre Cramoisy, en un volume in-8°. Cette édition renferme des fautes importantes. L'auteur les signale à la fin d'un autre ouvrage, et nous les avons corrigées dans le collationnement.

Les grands écrivains de notre grand siècle littéraire admiraient les travaux de Bossuet sur l'Apocalypse ; un religieux d'Italie les traduisit dans sa langue, et l'on en donna plusieurs éditions dans la terre classique des hallucinations prophétiques, en Hollande. La décence et la raison, gagnant de proche en proche, recouvrèrent leur empire jusque dans ce dernier pays ; les protestants honnêtes, Vossius, Grotius, Hammond, se déclarèrent contre Jurieu; malgré la crainte qu'il inspirait aux ministres, en dépit de la pression qu'il faisait peser sur plusieurs consistoires, le professeur de Rotterdam vit ses écrits censurés par les synodes de Maddelbourg, de Bois-le-Duc, de Camdem et de Breda (1).

De Excidio Babylonis. — La Réforme, devenue prudente par sa défaite , demeura longtemps derrière ses retranchements, et ne reprit l'offensive qu'avec une extrême circonspection. Ce fut un professeur de l'académie de Bâle qui le premier recommença la lutte ; Samuel Werensfels attaqua l'interprète catholique dans une dissertation latine, dont on verra le titre plus loin; il l'attaqua, dis-je, non pas à la manière des visionnaires fanatiques, mais avec autant de convenance et de courtoisie que de science et de talent, montrant le plus grand respect pour son caractère et la plus juste admiration pour son génie.

Bossuet composa la réponse, tout en se livrant à d'autres travaux, dans trois séjours qu'il fit à Germigny, à Versailles et à Paris, du 6 novembre 1701 au 2 février 1702. Il confronta les objections du savant professeur avec son explication de l'Apocalypse ; il recueillit dans de longs extraits les passages de l'Ecriture sur l'Antéchrist, avec

 

1 Bayle, lettre CVI, 6 octobre 1692.

 

 

les commentaires des catholiques et des protestants; il étudia de nouveau les premiers siècles du christianisme dans les auteurs contemporains, soit ecclésiastiques, soit profanes; enfin il consigna sur le papier le résultat de ses recherches et de ses méditations (1).

Son ouvrage renferme trois démonstrations : la première que la Babylone de saint Jean ne porte les caractères ni de l'Eglise romaine ni d'aucune église chrétienne ; la deuxième, que cette Babylone présente les traits de Rome idolâtre, persécutrice des saints, renversée par terre avec son féroce empire; la troisième, que cette interprétation se justifie par le texte de l’Apocalypse et par les faits de l'histoire.

A peine l'auteur avait-il fourni cette triple démonstration, que de nouvelles attaques contre la vérité vinrent l'appeler sur un nouveau terrain, si bien qu'il n'eut pas le temps de publier la dissertation sur la Chute de Babylone.

Son légataire universel, l'évêque de Troyes vit le manuscrit parmi les papiers qu'il reçut en héritage; mais il en trouva l'écriture difficile à lire, et l'abbé Ledieu lui dit qu'il «n'y avait à Meaux personne capable de le déchiffrer ni de l'entendre (2); » d'ailleurs ce Jacques-Bénigne Bossuet d'une nouvelle sorte se devait aux promenades, aux antichambres, aux festins; il laissa l'ouvrage dans la poussière des cartons.

Les bénédictins des Blancs-Manteaux le publièrent en 1772, et déposèrent le manuscrit à la Bibliothèque Royale. Alors on colla les feuilles sur des souches pour former des volumes, et souvent l'amidon joignit ensemble deux ou plusieurs feuillets. Nous les avons trouvés dans cet état, si bien qu'on ne les avait point ouverts depuis 1772. Néanmoins, de toutes les éditions postérieures à cette époque, il n'en est aucune qui ne porte écrit à son frontispice : « Faite d'après les manuscrits originaux ! »

En outre l'éditeur de Versailles promet de donner les textes des Livres saints tels que son auteur les présente, et non comme ils se trouvent dans nos Bibles (3); car on sait que Bossuet ne suivait pas toujours la Vulgate, mais souvent des versions plus anciennes ou les Pères, particulièrement saint Augustin. Cependant qu'on lise ce passage de l’Apocalypse : Ego Joannes, frater vester, particeps in tribulatione..., et l'explication : Quo se fratrem et socium professus est eorum qui (4)...; on verra que le particeps du texte biblique ne cadre pas avec le socium du commentaire; aussi Bossuet emploie-t-il ce dernier mot dans les deux cas. Autre passage: Ex tribus immundis spiritibus, ex ore draconis, et ex ore pseudoprophetœ, in modum ranarum (5). Il n'y a pas là trois

 

1 Ledieu, Journal, aux dates indiquées, du 16 novembre 1701 au 2 février 1702. — 2 Ibid. — 3 Edit. de Vers., vol. 1, p. XLVIII. —  4 Ibid., vol. IV, p. 24. — 5 Ibid., p. 160.

 

 

IV

 

esprits immondes; Bossuet dit :... Ex ore draconis, et ex ore bestiœ, et ex ore pseudoprophetœ. Continuons : Numerus equestris exercitùs vicies millies dena millia, et audivi numerum eorum (1). Bossuet : Audivi numerum equestris exercitùs vicies decies dena millia. Encore un exemple : Intelligentiam prophetarum, diligenter obsenanda, de longinquo et quœ de proximo nuntientur (2). Inintelligible; Bossuet : Ad intelligentiam prophetarum , diligenter observanda quœ de longinquo et quœ de proximo nuntiantur. L'espace nous oblige de finir; mais qu'on ne nous accuse pas d'infidélité, quand on ne trouvera pas dans cette édition les textes sacrés tels qu'ils se lisent dans la Vulgate.

 

II

 

Avertissement sur le livre des RÉFLEXIONS MORALES. — Quesnel, qui fut directeur de l'Oratoire, auteur de livres ascétiques et chef du jansénisme, publia les Réflexions morales sur les Evangiles en 1693. Le cardinal de Noailles, alors évêque de Châlons, approuva cet écrit, l'offrant aux fidèles de son diocèse « comme le pain des forts et le lait des faibles. »

Trois ans plus tard, en 1696, l'abbé Barcos, neveu du fameux abbé de Saint-Cyran, fit paraître une Exposition de la foi catholique touchant la grâce. On reconnut dans ce livre les erreurs de Jansénius ; et M. de Noailles, devenu archevêque de Paris, le condamna.

L'ordonnance de condamnation fut composée, dans sa partie dogmatique, par l'évêque de Meaux; mais l'archevêque de Paris y mêla des adoucissements plus prudents qu'utiles ; en sorte qu'elle semblait, tout en défendant la vérité catholique, ménager les erreurs jansénistes. Au milieu de la guerre qui se poursuivait avec acharnement, elle souleva un blâme égal, quoique contraire, dans les deux camps ; elle tourna contre son auteur les combattants qu'elle devait séparer. D'une autre part on disait que Quesnel enseignait, dans les Réflexions morales, la même doctrine que Barcos dans l'Exposition, et l'on avait peine à comprendre pourquoi le cardinal avait approuvé l'un et condamné l'autre. Cette contradiction, plus apparente que réelle, donna le jour au Problème ecclésiastique, qui parut en 1699. L'auteur du libelle opposait M. de Noailles évêque de Châlons à M. de Noailles archevêque de Paris : « Il demandait lequel des deux on devait croire, ou l'approbateur des Réflexions morales, ou le censeur du livre de l'Exposition; il se jouait... entre l'approbation de ce qu'on appelait la jansénisme dans le P. Quesnel, et la condamnation du même jansénisme dans l'Exposition (3). »

 

1 Edit. de Vers., vol. IV, p. 46. — 2 Ibid., p. 41. — 3 Mém. du chanc. D’Aques-eau, vol. XIII, p. 163.

 

V

 

Au milieu de ces conjonctures, les amis de Quesnel demandaient la réimpression des Réflexions morales. Cette fois le cardinal de Noailles, avant de donner son approbation, exigea que le livre fût examiné par plusieurs théologiens. Bossuet, voulant prévenir de nouveaux troubles, ne refusa pas une place dans la commission. Il découvrit bientôt les erreurs cachées dans l'ouvrage du novateur ; il déclara qu'il « n'était pas possible de le corriger, mais qu'il fallait le refondre :.....ce sont ses propres expressions, poursuit son successeur immédiat sur le siège de Meaux : nous le savons par le témoignage de personnes exemptes de soupçons et dignes de toute vénération ; nous le savons aussi des jansénistes mêmes, par les reproches piquants qu'ils firent à feu M. de Meaux (1). » En conséquence Bossuet proposa, dans la commission, de nombreux amendements qui détruisaient le venin des Réflexions morales (2) ; puis il composa un Avertissement qui devait comme préface en fixer nettement la doctrine. Dans cet écrit, « il prit occasion de combattre le jansénisme et d'établir les principes qui y sont le plus opposés : la grâce générale offerte à tous, les grâces suffisantes avec leurs véritables pouvoirs, le secours divin toujours présent aux fidèles dans les plus grandes tentations (3). »

L'archevêque de Paris se servit de l’Avertissement pour sa justification; il en fit extraire par deux de ses théologiens quatre lettres, qu'il opposa au Problème ecclésiastique (4). Il accueillit avec moins d'empressement les rectifications qui devaient faire disparaître les erreurs des Réflexions morales; comme il avait approuvé la première édition de ce livre, il craignit de se condamner lui-même en corrigeant la seconde. De leur côté les jansénistes repoussaient tout amendement, et Quesnel disait qu'on ne pouvait mettre tant de cartons à un ouvrage imprimé. Alors Bossuet retira l'Avertissement, et M. de Noailles refusa son approbation.

Ainsi les Réflexions morales parurent sans changement et sous la

 

1 Mandem, de M. de Bissy, 20 avril 1714. Voir aussi Instruct. past., des évêques de Luçon et de la Rochelle, 14 mai 1711. — 2 Voici quelques-uns de ces amendements : Jean, XV, 5 : « La grâce de Jésus-Christ, principe efiicace, » ôter « efficace. » — I Cor., XII, 3 : « Cette grâce, » etc., au lieu de quoi mettre : « Il faut demander la grâce souveraine, sans laquelle on ne confesse point Jésus-Christ. » — Jean, VIII, 58 : « Devant qu'Abraham fût, » mettre « Avant qu'Abraham fût fait, » etc. — Ephes., III, 17 : « La charité opérante, » etc., mettre : « La charité commencée à la charité habitante et justifiante qui est, » etc. — II Cor., V, 21 : « Etait une suite, » etc., mettre : « Eloit attachée à la création, puisqu'eu formant la nature, Dieu en même temps donna la grâce. » — I Cor., X, 13 : « Dieu permet, » etc., mettre à la place : « Dieu a promis à ses serviteurs le ne les abandonner jamais, s'ils ne l'abandonnent les premiers. Il est fidèle, et par une suite de cette promesse il ne permet pas qu'ils soient al laqués par tant de tentations extérieures ou intérieures qui passent leurs forces. » — Apoc., XI, 1 : « Unie personnellement, » ôter « personnellement, » etc., etc. — » Ledieu, Déclar. du 27 mars 1812. — 4 Journal, 24 juin 1703.  

 

VI

 

seule garantie de Quesnel; le souverain Pontife Clément XI les condamna par un décret spécial en 1708, et plus solennellement encore dans la constitution Unigenitus en 1713.

Cependant l'abbé Ledieu avait conservé dans ses portefeuilles une copie de l’Avertissement. En 1709 il la confia, sous la promesse qu'on n'en prendrait pas le double, au successeur de Bossuet, par l'intermédiaire du théologal Treuvé. Alors se trouvoit à Meaux, logeant à l'évêché, l'abbé le Brun, doyen de Tournay, qui avait quitté cette dernière ville reprise sur les François par les alliés. Quelques jours après la communication du manuscrit, M. de Bissy dit à l'abbé Ledieu : « Les jansénistes veulent le faire imprimer. Ce discours, poursuit l'ancien secrétaire de Bossuet, ne pouvait regarder que le doyen de Tournay et le théologal de Meaux, les seuls docteurs jansénistes que l'évêque vit à Meaux, avec qui il était tous les jours en conférence; ce qui suppose qu'il avait fait part de cet écrit au doyen de Tournay (1). On crut bientôt après que l'abbé le Brun avait envoyé à Quesnel une copie de l’Avertissement.

Quoi qu'il en soit, l'ouvrage fut imprimé d'abord en Flandre, puis secrètement à Paris en 1710, sous la fausse rubrique de « Lille, chez Jean-Baptiste Brovellio. » Cette édition reproduit-elle fidèlement l'original ? On peut répondre négativement sans crainte d'erreur. Dès les premiers mots, l'éditeur littéraire changea le titre d'Avertissement en celui-ci : Justification des Réflexions sur le Nouveau Testament, comme si Bossuet avait voulu justifier le grand prêtre du jansénisme, et non l'archevêque de Paris, comme s'il avait approuvé les Réflexions non corrigées. Et dans la longue préface qu'il joignit à l'Avertissement, après avoir dit comment sa copie a été faite sur une autre copie, Quesnel ajoute : « Ce qu'on y a fait de plus est seulement de numéroter les titres, de mettre par-ci par-là. de petits sommaires à la marge, d'y rectifier quelques passages fautifs, d'y en ajouter quelques autres hors du texte, pour fortifier les pensées de l'auteur. » Quand un sectaire avoue de pareilles interpolations, on doit s'attendre à tout. D'ailleurs Bossuet combattait, comme on l'a vu, le jansénisme dans l’Avertissement : Quesnel ne pouvait publier cet écrit sans altérations.

Mais que faire aujourd'hui? Peut-on rétablir avec certitude le texte original? Il existe encore une ancienne copie de l'ouvrage, il est vrai ; mais si elle ne doit pas le jour aux jansénistes, elle a passé par les mains de plusieurs. A tout prendre, mieux vaut encore l'imprimé que la copie: car l'éditeur, destin int l'ouvrage à une publicité prochaine, devait redouter l'animadversion des contemporains ; mais le copiste, manœuvrant dans l'ombre en vue d'un avenir éloigné, pouvait se promettre l'impunité. — On s'est servi,  dans  le  collationnement,

 

1 Déclar. du 27 mars 1712.

 

VII

 

de l'édition de Quesnel. Le lecteur est prévenu; cela  doit suffire.

Après l'ouvrage on donne les Extraits de l'Ordonnance de l'archevêque de Paris, et parce que Bossuet l'a composée pour la plus  grande partie, et parce qu'il en parle plusieurs fois dans l'Avertissement.

 

III.

 

Instruction sur la version de Trévoux. — Richard Simon fut, comme Quesnel, membre de l'Oratoire. Homme d'une imagination vive, mais d'un jugement peu sûr; versé dans les langues orientales, mais jaloux d'étaler son érudition; exégète savant, mais plus ami du bruit que de la vérité, il appuyoit de singulières nouveautés sur les rêves des rabbins, de bizarres paradoxes sur des livres qui n'avoient d'autre mérite que leur obscurité. Un de ses premiers ouvrages, l'Histoire critique de l'Ancien Testament souleva la réprobation générale. Bossuet s'efforça vainement dans de nombreuses conférences de dissiper les ténèbres qui offusquaient son esprit; vainement il déploya toutes les séductions de la charité, de la science et du génie pour le ramener de ses égaremens ; il poursuivit la voie de l'erreur et mit au jour un ouvrage non moins dangereux que le premier, la Version du Nouveau Testament, qui parut à Trévoux en 1702. Simon avait obtenu l'approbation des censeurs, dont l'un était M. Bourret. Ce nom reviendra dans la réfutation.

Le duc de Maine, qui exerçait à Trévoux les droits de la souveraineté, fit remettre a Bossuet, par son secrétaire Malezicu, un exemplaire de la nouvelle traduction. Le prélat en fit l'examen dans la fin de mars et dans le commencement de mai 1702, a travaillant toute la matinée jusqu'à deux heures, aussi actif qu'il l'eût jamais été; » déclarant « nettement que cette affaire était plus importante pour l'Eglise que celle de M. de Cambray, puisqu'il s'agissait d'un livre fait pour le peuple (1). »

Vers la fin de mai il envoya 89 Remarques critiques avec trois lettres, à M. de Noailles, à M. de Malezieu, et à l'abbé Bertin zélé défenseur de Richard Simon. On trouvera ces lettres avant les Instructions. Après avoir signalé les nouveautés du traducteur, « tant de singularités affectées et de pensées particulières mises à la place du texte sacré ; un si grand nombre d'affaiblissements des vérités chrétiennes ou dans leur substance , ou dans leurs preuves, ou dans leurs expressions, » il indique les moyens de sauver tout ensemble et les droits de l'Eglise et les intérêts du traducteur. « Je vous laisse, dit-il à l'abbé Bertin, le soin de ménager l'esprit de l'auteur avec toute votre discrétion ; je ferai valoir sa bonne foi autant qu'il le pourra souhaiter... Je ne lui veux

 

1 Journal, du 19 mars au 1er mai, et 29 mai 1702.

 

VIII

 

que du bien et rendre utiles à l'Eglise ses beaux talents, qu'il a lui-même rendus suspects par la hardiesse et les nouveautés de ses critiques. Toute l'Eglise sera ravie de lui voir tourner son esprit a quelque chose de meilleur... La chose peut s'exécuter en deux manières très-douces : l'une, que j'écrive à l'auteur une lettre honnête,... et qu'il y réponde pour une lettre d'acquiescement; l'autre, que s'excitant de lui-même à une révision de ses ouvrages de critique,... il y fasse les changemens, corrections et explications que demande l'édification do l'Eglise. Il n'y aura rien de plus doux ni de plus honnête. » Voilà comment Bossuet, cet homme dur, inflexible, persécutait ses adversaires! De longues négociations se poursuivirent entre Simon et ses amis. Après des promesses peu sincères, le vaniteux traducteur refusa toute rétractation de ses erreurs; il répondit « avec mépris que ses querelles avec M. de Meaux étaient des querelles d'auteur à auteur, que chacun avait ses sentiments, qu'il n'avait besoin de prendre aucun ménagement pour soutenir ses opinions (1). » Et dans une autre occasion, parlant encore de Bossuet : « Il faut, dit-il, le laisser mourir; il n'ira pas loin ! » Dans le même temps la Version de Trévoux se vendait publiquement en Hollande, à Lyon, a Paris, partout (2).

Alors ou jamais, le moment était venu de protéger les droits de la vérité. Bossuet se disposait à publier la sentence de condamnation, lorsque le chancelier M. de Pontchartrain défendit de la mettre au jour sans l'approbation d'un censeur, qu'il nommait dans la personne du docteur Pirot. Etrange renversement d'idées! quoi! soumettre l'enseignement des évêques au contrôle des docteurs! Dans un conflit mémorable , dont nous devrons parler ailleurs, le dernier des Pères défendit l'autorité épiscopale avec une fermeté digne des Ambroise et des Chrysostome; entre son indépendance apostolique et l'accusation de servilisme acceptée sur la foi des prétendus philosophes, quel contraste! Le chancelier fut obligé de retirer la défense qui protégeait l'erreur, et ce prélat publia l'ordonnance qui vengeait les droits de la vérité.

Déjà le savant auteur avait corrigé, en y ajoutant un grand nombre de Remarques critiques, la réfutation du socinien français. Un de ses amis lui demanda plusieurs modifications, il les obtint; pendant l'impression le docteur Pirot désira un carton sur Maldonat, il l'obtint; l'archevêque de Paris demanda un changement dans son propre éloge, il l'obtint. «C'est ainsi que M. de Meaux, écrivait alors son secrétaire, est payé de ses peines : les autres, qui laisseraient tout passer et n'osent rien entreprendre s'ils ne sont excités ou avertis et instruits par lui, se croient après cela nécessaires pour l'instruire lui-même, le corriger, lui conduire la main (3) ! »

 

1 Journal, 14 septembre 1702. — 2 Ibid., 10 et 31 juillet 1702. — 3 Ibid., 19 décembre 1702.

 

 

IX

 

Les Instructions renferment deux parties : dans la première l'auteur dévoile les desseins perfides, les ruses et les artifices de Simon ; dans la seconde, il discute les passages particuliers de sa version pour en montrer l'inexactitude et le danger. En étudiant le sujet, il passa en revue les ouvrages des sociniens, parce qu'il y retrouvait les interprétations de son adversaire. Delà la dissertation, qui précède la seconde partie, sur la doctrine et la critique do Grotius.

L'Instruction sur la version du Nouveau Testament imprimée à Trévoux parut chez Anisson le 29 décembre 1702, et l'Instruction sur les passages particuliers de la même version parut semblablement chez Anisson, le 9 août 1703. — Ces deux éditions ont servi de type à la nôtre.

 

IV.

 

Plan d'une théologie.— Avant toutes choses l'auteur nous indique les ouvrages que nous devons étudier pour nous former « une idée générale » de la religion ; il nous recommande les symboles de l'Eglise , les décrets des conciles, les écrits des Pères et particulièrement ceux de saint Augustin; n'oublions jamais ces précieuses indications. Ensuite il nous apprend comment nous devons ranger les livres dans notre bibliothèque, prescrivant cet ordre d'indications : l'Ecriture sainte, la théologie, les prédicateurs, le droit, la littérature, l'histoire, la géographie. Enfin notre Plan présente sous le même coup d'oeil, dans l'unité d'une seule idée générale, tout l'ensemble de la science divine, et nous montre en même temps les matières qu'embrassait au XVIIe siècle l'enseignement de la théologie. A côté de ce vaste système, en présence de ces vastes conceptions qui descendent jusqu'aux dernières profondeurs du dogme pour remonter jusqu'aux sublimités de la foi, qui vantera les manuels fabriqués dans une époque de décadence; ces recueils de propositions jetées pêle-mêle, sans liaison, sans ensemble, qui mutilent la science et dépècent les doctrines ; ces indigestes compilations censurées par l'autorité souveraine, ou simplement tolérées dans l'Eglise, ou frappées d'une désolante nullité.

Bossuet composa le Plan d'une théologie pour lui servir de guide à lui-même, et nous l'avons imprimé d'après une copie faite en 1683 par l'abbé Ledieu.

 

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