Défense I - Livre I
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DÉFENSE DE LA TRADITION ET DES SAINTS PÈRES.

 

DÉFENSE DE LA TRADITION ET DES SAINTS PÈRES.

PREMIÈRE PARTIE,

LIVRE PREMIER.

CHAPITRE PREMIER.

CHAPITRE II.

CHAPITRE III.

CHAPITRE IV.

CHAPITRE V.

CHAPITRE VI.

CHAPITRE VII.

CHAPITRE VIII.

CHAPITRE IX.

CHAPITRE X.

CHAPITRE XI.

CHAPITRE XII.

CHAPITRE XIII.

CHAPITRE XIV.

CHAPITRE XV.

CHAPITRE XVI.

CHAPITRE XVII.

CHAPITRE XVIII.

CHAPITRE XIX.

CHAPITRE XX.

CHAPITRE XXI.

CHAPITRE XXII.

 

PREMIÈRE PARTIE,

 

Où l'on découvre les erreurs expresses sur la tradition et sur l'Eglise, le mépris des Pères avec l’affaiblissement de la foi, de la Trinité et de l'Incarnation, et la pente vers les ennemis de ces mystères.

 

LIVRE PREMIER.

 

ERREURS  SUR  LA TRADITION   ET  L'INFAILLIBILITÉ  DE   l'ÉGLISE.

 

CHAPITRE PREMIER.

La tradition attaquée ouvertement en la personne de saint Augustin.

 

Pour commencer par où il commence lui-même, c'est-à-dire par saint Augustin, il l'attaque sans déguisement, comme sans mesure, dès les premiers mots de sa Préface ; et il l'attaque sur la matière où il a le plus excellé, qui est celle de la grâce : ce que je remarque ici, non dans le dessein d'entamer ce sujet, que je viens de réserver pour la fin de cet ouvrage, mais seulement pour montrer dans le procédé de l'auteur un mépris manifeste de la tradition, qu'il fait semblant de vouloir défendre. Je dis donc avant toutes choses que M. Simon ne craint point d'accuser saint Augustin sur cette matière, « d'être l'auteur d'un nouveau système, de s'être éloigné des anciens commentateurs, et d'avoir inventé des explications dont on n'avait point entendu parler auparavant (1)»

 

1 Préface de M. Simon.

 

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Voilà comme il traite celui qu'il appelle en même temps le doc-leur de l'Occident, et il semble qu'il ne le relève que pour avoir plus de gloire à l'atterrer. Son ignorance est extrême, aussi bien que sa témérité. S'il avait lu seulement avec une médiocre attention les livres de ce saint docteur, il l'aurait toujours vu attaché à la doctrine qu'il avait trouvée, comme il dit lui-même, très-fondée et très-établie dans toute l'Eglise. Il n'y a aucune partie de son système, puisqu'il plaît à notre auteur de parler ainsi, que ce grand homme n'ait appuyée par le témoignage des Pères ses prédécesseurs, et des Grecs comme des Latins, où il ne les suive pour ainsi dire pas à pas, et qu'il ne trouve très-solidement et très-invinciblement établie dans les sacrements de l'Eglise et dans toutes les prières de son sacrifice.

M. Simon cependant l'accuse d'être un novateur : c'est ce qu'il avance dans sa Préface : c'est ce qu'il soutient dans tout son livre où, à vrai dire, il n'a en butte que saint Augustin. Il en revient à toutes les pages « aux nouveautés » de ce l'ère, « à ses opinions particulières » auxquelles a il accommode le texte sacré. » Il ne songe qu'aie rendre auteur des sentiments les plus odieux, comme de ceux de Luther et de Calvin. Il affecte de dire partout que ces impies qui font Dieu cause du péché, et Wiclef qui est l'auteur de ce blasphème, regardaient saint Augustin comme leur guide , sans avoir pris aucun soin de leur montrer qu'ils se trompent, et même sans l'avoir dit une seule fois, en sorte que nous pouvons dire que tout son ouvrage est écrit directement contre ce saint.

 

CHAPITRE II.

 

Que M. Simon se condamne lui-même en avouant que saint Augustin, qu'il accuse d'être novateur, a été suivi de tout l'Occident.

 

Il ne sera pas malaisé de le réfuter; mais en attendant que j'entreprenne une si facile et si nécessaire réfutation, il est bon de faire voir, en un mot, que ce téméraire censeur se réfute lui-même le premier. Car en attaquant si hardiment ce saint docteur, il est forcé d'avouer en même temps « qu'il est le docteur de l'Occident, et que c'est à sa doctrine que les théologiens latins se sont

 

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principalement attachés ; » ce qui s'entend de son aveu propre, de ce qu'il a enseigné sur la matière de la grâce, plus encore sans comparaison que de tout le reste ; car c'est à l'occasion de cette matière que notre auteur demeure d'accord, « que saint Augustin était devenu l'oracle de l'Occident (1). » Voici donc le prodige qu'il enseigne, qu'une nouveauté, « une opinion particulière, » une explication de l'Ecriture « dont on n'avait jamais entendu parler, » et encore « une explication dure et rigoureuse, » comme l'appelle M. Simon à toutes les pages, a gagné d'abord tout l'Occident.

Je n'en veux pas davantage; et sans ici disputer pour saint Augustin contre son accusateur, j'appelle son accusateur insensé devant l'Eglise d'Occident, à qui il fait suivre la doctrine d'un novateur, sans songer qu'avec l'Eglise d'Occident, il accuse d'innovation toute l'Eglise catholique, qu'elle a maintenant comme renfermée dans son sein. Mais afin qu'on pénètre mieux l'attentat de ce critique, non pas contre saint Augustin, mais contre l'Eglise, il faut tirer de son livre une espèce d'histoire abrégée des approbations de la doctrine de ce Père.

 

CHAPITRE III.

 

Histoire de l'approbation de la doctrine de saint Augustin, de siècle en siècle, de l'aveu de M. Simon : en passant, pourquoi cet auteur ne parte point de saint Grégoire.

 

Premièrement il lui donne en général pour approbateur tout l'Occident : et il est certain que ses livres contre Pelage, et en particulier ceux de la Prédestination et de la Persévérance, n'eurent pas plus tôt paru qu'on y reconnut une doctrine céleste. Tout fléchit, à la réserve de quelques prêtres d'un petit canton de nos Gaules. On sait que le pape saint Célestin leur imposa silence. Fauste de Riez s'éleva un peu après contre la doctrine de saint Augustin : son savoir, son éloquence et la réputation de sainteté où il était, n'empêchèrent pas que ses livres ne fussent flétris par le concile des saints Confesseurs relégués d'Afrique en Sardaigne, et

 

1 P. 337.

 

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même par le pape saint Gélase et par le pape saint Hormisdas, avec une déclaration authentique de ce dernier pape, « que ceux qui voudraient savoir la foi de l'Eglise romaine sur la grâce et le libre arbitre, n'avaient qu'à consulter les livres de saint Augustin, et particulièrement ceux qu'il avait adressés à Prosper et à Hilaire (1); » c'est-à-dire ceux contre lesquels les ennemis de ce Père s'étaient le plus élevés. Ainsi l'on ne peut nier que la doctrine de saint Augustin, et en particulier celle qu'il avait expliquée dans les Livres de la Prédestination et de la Persévérance, ne fût tout au moins, et pour ne rien dire de plus, sous la protection particulière de l'Eglise romaine. On ne niera pas non plus que le pape saint Grégoire, le plus savant de tous les papes, ne l'ait suivi de point en point, et avec autant de zèle que saint Prosper et saint Hilaire. J'ai remarqué que M. Simon a évité de parler de ce saint pape, quoiqu'il dût avoir un rang honorable parmi les commentateurs du Nouveau Testament; et il ne peut y en avoir d'autre raison, si ce n'est que d'un côté, ne pouvant nier qu'il n'eût été le défenseur perpétuel de la doctrine de saint Augustin, d'autre côté il n'a osé faire paraître que cette doctrine, qu'il voulait combattre, eût eu un tel défenseur dans la chaire de saint Pierre. Après donc avoir passé par-dessus un si grand homme, il nomme au siècle suivant le vénérable Bède, qui selon lui « s'est rendu recommandable, non-seulement dans la Grande-Bretagne, mais encore dans toutes les Eglises d'Occident ; (2) » et qui non-seulement faisait profession de suivre saint Augustin, mais encore ne faisait pour ainsi dire que le copier et que l'extraire. Pierre de Tripoli, plus ancien que Bède et plus estimé que lui par notre auteur (3), a publié un commentaire sur les Epîtres de saint Paul, dans lequel il se glorifie « de n'avoir fait que transcrire par ordre ce qu'il a trouvé dans les Œuvres de saint Augustin : » ce qui est vrai principalement de ce qu'il a dit sur la matière de la prédestination et de la grâce, comme tout le monde sait. Alcuin, le plus savant homme de son siècle et le maître de Charlemagne, de l'aveu de M. Simon (4) suit saint Augustin et Bède « sur l'Evangile de saint Jean, » où la matière de la grâce revient si souvent; et si notre

 

1 Epist. ad Poss. — 2 P. 339. — 3 P. 344. — 4 P. 348.

 

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auteur ajoute « qu'en s'attachant au sens littéral, » il ne fait pas toujours le choix des meilleures interprétations, c'est à cause poursuit-il, qu'il « est prévenu de saint Augustin (1). » On l'était donc dès ce temps, et ceux qui l'étaient le plus étaient les maîtres des autres, et les plus grands hommes. Quand notre auteur fait dire à Claude de Turin que saint Augustin était le « prédicateur de la grâce (2), » il aurait pu remarquer que ce n'est pas seulement ce fameux chef des iconoclastes d'Occident qui a donné ce titre à saint Augustin, mais encore tous les docteurs qui ont écrit depuis l'hérésie de Pelage. En un mot, dit M. Simon, « saint Augustin était le grand auteur de la plupart des moines de ce temps-là (3). » Il pouvait dire de tous à la réserve de ceux qui, en s'éloignant de saint Augustin sur cette matière, s'éloignaient en même temps des vrais sentiments de la foi, comme nous verrons. Au reste qui dit les moines, ne dit pas des gens méprisables, comme notre auteur l'insinue en beaucoup d'endroits, mais les plus savants et les plus saints de leur temps , et comme il les appelle lui-même, « les maîtres de la science en Occident (4). »

Les auteurs qu'on vient de nommer, étaient du septième et du huitième siècle. Au neuvième s'éleva la contestation sur le sujet de Gotescalc; et encore que le crime dont on accusait ce moine fût d'avoir outré la doctrine de la prédestination et de la grâce, les deux partis convenaient, non-seulement de l'autorité, mais encore de tous les principes de saint Augustin ; et sa doctrine ne parut jamais plus inviolable, puisqu'elle était la règle commune des deux partis.

Pour venir au siècle onzième (puisque dans le dixième on ne nomme point de commentateurs), M. Simon fait mention d'un commentaire publié sous le nom de saint Anselme, quoiqu'il ne soit point de ce grand auteur ; et dit-il (5) : « Tout ce commentaire est rempli des principes de la théologie de saint Augustin, qui a été le maître des moines d'Occident, comme saint Chrysostome l'a été des commentateurs de l'Eglise orientale. » On peut donc tenir pour certain que les autres auteurs célèbres étaient attachés à ce Père, et il serait inutile d'en marquer les noms; mais on ne peut taire saint Anselme et saint Bernard, deux docteurs si célèbres,

 

1 P. 348. — 2 p. 359. — 3 p. 360. — 4 P. 333. — 5 P. 387.

 

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encore que M. Simon n'en ait point parlé. Or il est constant qu'ils étaient tous deux grands disciples de saint Augustin, et que saint Bernard a transmis le plus pur suc de sa doctrine sur la grâce et le libre arbitre dans le livre qu'il a composé sur cette matière.

Quand M. Simon vient à saint Thomas, il avoue que saint Augustin a été le maître de ce maître des scholastiques, ce qui aussi est incontestable et avoué de tout le monde. « Nicolas de Lyra, dit-il, suit ordinairement saint Augustin et saint Thomas, qui étaient les deux grands maîtres des théologiens de son temps (1). » Il y a longtemps que cela dure, puisqu'après avoir vu ce respect profond pour la doctrine de saint Augustin commencer depuis le temps de ce Père, nous en sommes au siècle où vivait Nicolas de Lyra, ce docte religieux franciscain; c'est-à-dire, comme le remarque notre auteur,   «  au  commencement du quatorzième siècle (2). » Encore du temps d'Erasme, « on ne pouvait lui pardonner le mépris qu'il avait pour saint Augustin (3). Il n'y avait presque que saint Augustin qui fût entre les mains des théologiens, et il est même encore à présent leur oracle (4) » sans que les censures de M. Simon lui puissent faire perdre ce titre.

 

CHAPITRE IV.

 

Autorité de l'Eglise d'Occident : s'il est permis à M. Simon d'en appeler à l'Eglise orientale : Julien le pélagien convaincu par saint Augustin dans un semblable procédé.

 

Contre une si grande autorité de tout l'Occident, M. Simon nous appelle à l'Eglise orientale, comme plus éclairée et plus savante. C'est de quoi je ne conviens pas; mais sans commettre ici les deux Eglises et sans vouloir contredire nos critiques, qui s'imaginent qu'ils paraissent plus savants en louant les Grecs, je répondrai à M. Simon ce que saint Augustin répondit à Julien qui, comme lui, rabaissait l'autorité de l'Eglise occidentale : « Je crois que cette partie du monde vous doit suffire, où Dieu a voulu couronner d'un très-glorieux martyre le premier de ses apôtres (5), » par où il a établi dans l'Occident la principauté de la chaire

 

1 P. 477. — 2 Ibid. — 3 P. 530. — 4 P. 531. — 5 Cont. Jul., lib. I, cap. IV, n. 13.

 

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apostolique, comme lui-même il l'explique ailleurs en tant d'endroits. Que répondra M. Simon à une aussi grande autorité que celle de l'Eglise occidentale , qui a l'Eglise romaine à sa tête, la mère et la maîtresse de toutes les églises? Peut-on nier que cette partie du monde doive suffire à M. Simon aussi bien qu'à Julien et d'autant plus à M. Simon qu'à Julien, que toute l'Eglise catholique s'est enfin depuis renfermée dans l'Occident? Ainsi l'autorité de l'Occident, selon lui si favorable à saint Augustin et à sa doctrine , suffirait pour réprimer ses censures; et lorsqu'il nous menace de l'Orient à l'exemple des pélagiens, après que tout l'Occident se fut déclaré contre eux, nous continuerons à lui dire ce que le même saint Augustin dit encore à Julien dans le même endroit : « C'est en vain que vous en appelez aux évêques d'Orient, puisqu'ils sont sans doute chrétiens et que leur foi est la nôtre, parce qu'il n'y a dans l'Eglise qu'une même foi. » C'est donc en vain que vous alléguez la doctrine des anciens Pères d'Orient, comme si elle était contraire à celle de saint Augustin, que l'Occident approuvait : vous commettez les deux églises; vous faites voir de la partialité dans le corps de Jésus-Christ contre la doctrine de l'Apôtre, qui au contraire y fait voir un parfait consentement de tous les membres; et sans encore entrer dans la discussion des sentiments des Pères grecs, il vous doit suffire « que vous êtes né en Occident : que c'est en Occident que vous avez été régénéré par le baptême : » ne méprisez donc pas l'Eglise où vous avez été baptisé. C'est ce que saint Augustin disait à Julien, et nous en disons autant à M. Simon.

 

CHAPITRE V.

 

Idée de M. Simon sur saint Augustin, à qui il fait le procès comme à un novateur dans la foi, pur les régies de Vincent de Lérins : tout l'Occident est intéresse dans cette censure.

 

Il ne nous écoute pas, et il importe de bien remarquer l'idée qu'il donne partout de saint Augustin , et qu'il donne par conséquent de tout l'Occident qui l'a suivi. Pour trouver cette belle idée de M. Simon, il n'y a qu'à ouvrir son livre en quelqu'endroit

 

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qu'on voudra ; et dès le commencement on trouvera qu'en rapportant un passage de la Philocalie d'Origène, il déclare que « ceux qui ont d'autres sentiments de la prédestination favorisent l'hérésie des gnostiques, et détruisent avec eux le libre arbitre (1) ; » et pour ne point laisser en doute qui sont ceux à qui il en veut, il ajoute ces paroles : « Cette doctrine était non-seulement d'Origène, de saint Grégoire de Nazianze et de saint Basile, qui ont publié la Philocalie, mais généralement de toute l'Eglise grecque, ou plutôt de toutes les Eglises du monde avant saint Augustin, qui aurait peut-être préféré à ses sentiments une tradition si constante, s'il avait lu avec soin les ouvrages des écrivains ecclésiastiques qui l'ont précédé. »

Voilà saint Augustin un insigne novateur, qui a changé la doctrine de toutes les Eglises du monde, qui s'est opposé à une tradition constante, et qui, pour n'avoir pas lu avec assez d'attention les ouvrages des écrivains ecclésiastiques qui l'ont précédé, leur a préféré ses opinions nouvelles et particulières ; et cela sur une matière capitale, puisqu'il ne s'agit de rien moins que de favoriser l'hérésie des gnostiques, et de détruire avec eux le libre arbitre. Saint Augustin est donc novateur dans une matière aussi essentielle au christianisme que celle-là, M. Simon ne s'en cache pas, et c'est pourquoi il entreprend de lui faire son procès selon les règles de Vincent de Lérins; c'est-à-dire selon les règles par lesquelles on discerne les novateurs d'avec les défenseurs de l'ancienne foi, et en un mot les catholiques d'avec les hérétiques. Il se déclare d'abord dans sa Préface, où après avoir accusé saint Augustin « de s'être éloigné des anciens commentateurs, et d'avoir inventé des explications dont on n'avait point entendu parler auparavant, » il ajoute aussitôt après que « Vincent de Lérins rejette ceux qui forgent de nouveaux sens, et qui ne suivent point pour leur règle les interprétations reçues dans l'Eglise depuis les apôtres : » d'où il conclut que « sur ce pied-là on préférera le commun sentiment des anciens docteurs aux opinions particulières de saint Augustin. Il oppose donc à saint Augustin ces règles sévères de Vincent de Lérins, qui en effet sont les

 

1 P. 77.

 

 

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règles de toute l'Eglise catholique : il oppose, dis-je, ces règles à la doctrine de saint Augustin, sans se mettre en peine de tout l'Occident, dont il avoue que ce Père a été l'oracle. Il parle toujours sur le même ton; et non content d'avoir dit que ce furent en partie les nouveautés de saint Augustin, « qui donnèrent occasion au sage Vincent de Lérins de composer son Traité, où il indique ce docte Père comme un novateur qui avait des opinions particulières (1), » il continue en un autre endroit à lui faire son procès, même sur la matière de la grâce dont il a été le docteur. Car en rapportant un passage de Jansénius, évêque d'Ypres, où il dit avec un excès insoutenable, que « saint Augustin est le premier qui a fait entendre aux fidèles le mystère de la grâce (2), » c'est-à-dire le fondement de la religion, et avec la doctrine de la grâce chrétienne, le vrai esprit du Nouveau Testament, « cela, poursuit-il, ne nous doit pas empêcher d'examiner la doctrine de saint Augustin (sur la grâce , car c'est celle-là dont il s'agissait) selon les règles de Vincent de Lérins, qui veut avec toute l'antiquité, qu'en matière de doctrine elle soit premièrement appuyée sur l'autorité de l'Ecriture, et en second lieu sur la tradition de l'Eglise catholique : » d'où il conclut que « l'évêque d'Ypres, en publiant que ce docte Père a eu des sentiments opposés à tous ceux qui l'ont précédé, et même à tous les théologiens depuis plus de cinq cents ans, il le rendait suspect (3). »

Mais laissons Jansénius avec ses excès, dont il ne s'agit pas en cet endroit : laissons ces théologiens dont, au dire de M. Simon, la doctrine depuis cinq cents ans était opposée à celle de saint Augustin, ce que je crois faux et erroné, et disons à ce critique : Si Jansénius rend saint Augustin « suspect, en publiant que ce docte Père a eu des sentiments opposés à tous ceux qui l'ont précédé; » s'il lui fait combattre les règles de Vincent de Lérins contre les novateurs , vous qui dites la même chose que Jansénius, vous qui accusez partout saint Augustin d'avoir introduit des explications dont on n'avait jamais entendu parler et d'avoir suivi des sentiments opposés, non-seulement aux Pères grecs, mais encore à tous les auteurs ecclésiastiques qui avaient écrit

 

1 P. 269. — 2 P. 291. — 3 Ibid.

 

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devant lui, vous travaillez à le mettre, et avec lui tous les Latins qui l'ont suivi selon vous durant tant de siècles, au rang des « auteurs suspects » et des novateurs rejetés par les règles inviolables de Vincent de Lérins; en un mot, au rang des hérétiques ou des fauteurs des hérétiques, puisque vous lui faites favoriser l'hérésie des gnostiques et détruire avec eux le libre arbitre.

 

CHAPITRE VI.

 

Que cette accusation de M. Simon contre uni ut Augustin retombe sur le Saint-Siège, sur tout l'Occident, sur toute l'Eglise, et détruit l'uniformité de ses sentiments et de sa tradition sur la foi : que ce critique renouvelle les questions précisément décidées par les Pères, arec le consentement de toute l'Eglise catholique : témoignage du cardinal Bellarmin.

 

Si l'on souffre de tels excès, on voit où la religion est réduite. L'idée que nous en donne M. Simon est, non-seulement que l'Orient et l'Occident ne sont pas d'accord dans la foi, mais encore qu'un novateur a entraîné tout l'Occident après lui : que l'ancienne foi a été changée : qu'il n'y a plus par conséquent de tradition constante, puisque celle qui l'était jusqu'à saint Augustin a cessé de l'être depuis, et que les seuls Grecs ayant persisté dans la doctrine de leurs Pères, il ne faut plus chercher la foi et l'orthodoxie que dans l'Orient.

On voit donc bien qu'il ne s'agit pas de saint Augustin seulement ou de sa doctrine, mais encore de l'autorité et de la doctrine de l'Eglise, puisque s'il a été permis à saint Augustin de la changer dans une matière capitale, et que pendant qu'il la changeait les papes et tout l'Occident lui aient applaudi, il n'y a plus d'autorité, il n'y a plus de doctrine fixe ; il faut tolérer tous les errants, et ouvrir la porte de l'Eglise à tous les novateurs.

        Car il faut bien observer que les questions où M. Simon veut commettre saint Augustin avec les anciens, ne sont pas des questions légères ou indifférentes, mais des questions de la foi, où il s'agissait du libre arbitre : savoir s'il le fallait soutenir avec Origène contre « les hérésies des gnostiques; » s'il était « contraint ou forcé, » ou seulement « tiré par persuasion : » si Dieu permet seulement le mal, ou s'il en est l'auteur; ou en d'autres termes,

 

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si lorsqu'il livre les hommes à leurs désirs, « il est cause en quelque manière de leur abandonnement ou de l'aveuglement de leur cœur : » s'il y avait de la faute de Judas dans sa trahison , ou s'il « n'a fait qu'accomplir ce qui avait été déterminé (1). » C'est, dis-je, dans toutes ces choses que notre auteur met partout celle différence entre la doctrine des anciens et celle de saint Augustin; comme si les anciens étaient les seuls qui eussent évité tous ces inconvénients, et qu'au contraire en suivant saint Augustin, il ne fût pas possible de n'y pas tomber. Car il prétend qu'ils étaient la suite de la doctrine nouvelle et particulière, qu'il a enseignée sur la prédestination ; et c'est ce que prétendaient, aussi bien que lui, les anciens semi-pélagiens. Cependant saint Augustin n'en a pas moins insisté sur cette doctrine; et quel a été l'événement de cette dispute, si ce n'est que le pape saint Célestin , devant qui elle fut portée, imposa silence aux adversaires de saint Augustin, et qu'après que cette querelle eut été souvent renouvelée, le pape saint Hormisdas en vint enfin à cette solennelle déclaration, que « qui voudrait savoir les sentiments de l'Eglise romaine sur la grâce et le libre arbitre, n'avait qu'à consulter les ouvrages de saint Augustin, et en particulier ceux qu'il a adressés à saint Prosper et à saint Hilaire (2); » c'est-à-dire ceux de la prédestination et du don de la persévérance , qui sont ceux que les adversaires de saint Augustin trouvaient les plus excessifs, et où l'on voit encore aujourd'hui ce que M. Simon ose accuser de nouveauté et d'erreur.

Ainsi ce que remue ce vain critique, est précisément la même question qui a déjà été vidée par plusieurs décisions de l'Eglise et des papes. M. Simon accuse saint Augustin d'être novateur dans la matière delà prédestination et de la grâce; c'était aussi la prétention des anciens adversaires de saint Augustin, qui « se défendaient, dit saint Prosper, par l'antiquité, et soutenaient que les passages de l’Epître aux Romains , » dont ce Père appuyait sa doctrine, « n'avaient jamais été entendus, comme il faisait, par aucun auteur ecclésiastique (3). » Saint Augustin persiste dans ses

 

1 P. 77, 170, 306, 380  419, 420, 421. —  2 Epist. ad Tom. — 3 Epist. Protp. Ad August., n. 3.

 

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sentiments ; et non-seulement il persiste dans ses sentiments, mais encore il n'hésite point à soutenir que la prédestination, de la manière dont il l'enseignait, appartenait à la foi, à cause de la liaison qu'elle avait avec les prières de l'Eglise et avec la grâce qui fait les élus. Le cardinal Bellarmin a rapporté les passages où ce Père parle en ces termes : « Ce que je sais, dit-il, c'est que personne n'a pu disputer, sinon en errant, contre cette prédestination que je défends par les Ecritures ; » et encore : « l'Eglise n'a jamais été sans cette foi de prédestination , laquelle nous défendons avec un nouveau soin contre les nouveaux hérétiques. » Ce qui fait dire à ce grand cardinal, que « si le sentiment de saint Augustin sur la prédestination était faux, on ne pourrait excuser ce Père d'une insigne témérité, puisque non-seulement il aurait combattu avec tant d'ardeur pour une fausseté, mais encore qu'il aurait osé la mettre au rang des vérités catholiques. » D'où ce cardinal conclut que la doctrine enseignée par saint Augustin , « n'est pas la doctrine de quelques docteurs particuliers, mais la foi de l'Eglise catholique (1). »

M. Simon n'a pu ignorer ces passages ni les sentiments de Bellarmin, puisqu'il l'a expressément nommé sur cette matière en parlant de Catharin. Il n'a pas pu ignorer non plus, que saint Augustin n'ait prétendu enseigner une doctrine de foi dans les livres que ce critique reprend. Je ne dispute point encore quelle est cette doctrine : je demande seulement à M. Simon si, nonobstant cette doctrine qu'il ose faire passer pour nouvelle et excessive, le pape saint Célestin, devant lequel on porta les accusations qu'on faisait contre, au lieu de la reprendre comme excessive et nouvelle, n'a pas fermé la bouche aux contradicteurs en les appelant des téméraires, imposito improbis silentio : s'il n'a pas mis saint Augustin au rang des maîtres les plus excellents, inter magistros optimos ; au rang de ceux que les papes ont toujours aimés et révérés, ut pote qui omnibus et amori fuerit et honori; enfin au rang des docteurs les plus irrépréhensibles, nec eum sinistrœ suspicionis saltem rumor adspersit (2); s'il n'a pas permis à saint Prosper, ou à l'auteur des Capitules attachés à sa décrétale, quel

 

1 Lib. De Don. persev., cap. XIX. — 2 Cœlest. epist. ad Episc. Gall., cap. II.

 

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qu'il soit, de blâmer ceux qui accusent nos maîtres, c'est-à-dire saint Augustin et ceux qui l'ont suivi, d'avoir excède , ce sont les mots dont il se sert : Magistris etiam nostris, tanquam necessarium modum excesserint, obloquuntur; enfin s'il n'est pas vrai que cette doctrine est celle où le pape saint Hormisdas renvoie ceux qui veulent savoir ce que croit l'Eglise romaine sur la grâce et le libre arbitre. Que si tout cela est incontestable , comme il l'est, et que personne ne l'ait jamais pu ni osé révoquer en doute, on ne peut nier que M. Simon, qui fait profession d'être catholique, ne renouvelle aujourd'hui contre saint Augustin la même accusation que les papes ont réprimée ; et il ne peut éviter d'être condamné, puisque non-seulement il regarde saint Augustin comme un novateur, et sa doctrine comme pleine d'excès, mais qu'il ose encore la proscrire comme contraire au sentiment unanime de toute l'Eglise, comme tendante à renouveler et à favoriser l'hérésie des gnostiques, et à détruire le libre arbitre.

 

CHAPITRE VII.

 

Vaine réponse de M. Simon, que saint Augustin n'est pas la régie de notre foi : malgré cette cavillation, ce critique ne laisse pas d'être convaincu d'avoir condamné les papes et toute l'Eglise qui les a suivis.

 

Il n'est donc pas ici question de savoir si les sentiments de saint Augustin sont la règle de notre créance , qui est le tour odieux que M. Simon veut donner à la doctrine de ceux qui défendent l'autorité de ce Père. Non, sans doute, saint Augustin n'est pas la règle de notre foi, et aucun docteur particulier ne le peut être : il n'est pas même encore question en quel degré d'autorité les papes ont mis ses ouvrages en les approuvant ; car nous réservons cet examen à la suite de ce traité. Il s'agit ici de savoir si, après que saint Augustin « est devenu l'oracle de l'Occident, » on peut le traiter de novateur, sans accuser les papes et toute l'Eglise d'avoir au moins appuyé et favorisé des nouveautés, d'avoir changé la doctrine qu'une tradition constante avait apportée, et si cela même n'est pas renverser les fondements de l'Eglise.

Il ne faut pas que M. Simon s'imagine qu'on lui souffre ces

 

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excès, ni que sous prétexte que quelques-uns auront abusé dans ces derniers siècles du nom et de la doctrine de saint Augustin, il lui soit permis d'en mépriser l'autorité. C'est déjà une insupportable témérité de s'ériger en censeur d'un si grand homme, que tout le monde regarde comme une lumière de l'Eglise, et d'écrire directement contre lui; c'en est une encore plus grande et qui tient de l'impiété et du blasphème, de le traiter de novateur et de fauteur des hérétiques; mais le blâmer d'une manière qui retomberait sur toute l'Eglise et la convaincrait d'avoir changé de croyance, c'est le comble de l'aveuglement : de sorte que dorénavant je n'ai pas besoin d'appeler à mon secours ceux qui respectent, comme ils doivent, un Père si éclairé; ses ennemis, s'il en a, sont obligés de condamner M. Simon, à moins de vouloir condamner l'Eglise même, la faire varier dans la foi et imiter les hérétiques, qui par toutes sortes de moyens tâchent d'y trouver de la contradiction et de l'erreur.

 

CHAPITRE VIII.

 

Autre cavillation de M. Simon dans la déclaration qu'il a faite de ne vouloir pas condamner saint Augustin : que sa doctrine en ce point établit la tolérance et l'indifférence dis religions.

 

Il ne sert de rien à M. Simon de dire qu'il ne prétend point condamner saint Augustin, ni empêcher que ses sentiments n'aient un libre cours, mais seulement d'empêcher que sous prétexte de défendre ce docte Père, on ne condamne les Pères grecs et toute l'antiquité. J'avoue qu'il parle souvent en ce sens; mais ceux qui se paieront de cette excuse, n'auront guère compris ses adresses. Il veut débiter ses sentiments hardis; mais il se prépare des subterfuges, quand il sera trop pressé. Il a de secrètes complaisances pour une secte subtile, qui veut laisser la liberté de tout dire et de tout penser. Je ne parle pas en vain, et la suite fera mieux paraître cette vérité; mais il voudrait bien nous envelopper ce dessein. Qu'y a-t-il de plus raisonnable que de tolérer saint Augustin? Mais accordez-lui cette tolérance, avec les principes qu'il pose et avec les propositions qu'il avance, il vous forcera de tolérer

 

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une doctrine opposée à toute l'Eglise ancienne, proscrite par conséquent selon les règles de Vincent de Lérins, c'est-à-dire selon les règles qui sont les marques certaines de la catholicité. Il vous fera voir que la foi peut être changée : que les papes et tout l'Occident peuvent approuver ce qui était inouï auparavant : qu'on peut tolérer une doctrine qui renverse le libre arbitre, qui fait Dieu auteur de l'aveuglement et de l'endurcissement des hommes qui introduit des questions «qui mettent les bonnes âmes au désespoir (1); » c'est-à-dire celle de la prédestination, sans laquelle on ne saurait expliquer à fond ni les prières de l'Eglise, ni la grâce chrétienne. Passez cette tolérance et accordez une fois qu'on a varié dans la foi, il n'y a plus de tradition ni d'autorité, et il en faudra venir à la tolérance. Voilà ce qui résulte clairement du livre de notre auteur.

Qu'il étale tant qu'il lui plaira sa vaine science et qu'il fasse valoir sa critique, il ne s'excusera jamais, je ne dirai pas d'avoir ignoré avec tout son grec et son hébreu, les éléments de la théologie (car il ne peut pas avoir ignoré des vérités si connues qu'on apprend dans le catéchisme) ; mais je dirai d'avoir renversé le fondement de la foi, et avec le caractère de prêtre d'avoir fait le personnage d'un ennemi de l'Eglise.

 

CHAPITRE IX.

 

La tradition combattue par M. Simon, sous prétexte de la défendre.

 

Quoi donc! nous répondra-t-il, vous m'attaquez sur la tradition que je vante dans tout mon livre. Il la vante, je l'avoue, et il semble en vouloir faire tout son appui; mais je sais il y a longtemps, comment il vante les meilleures choses. Quand par sa critique de l'Ancien Testament il renversait l'authenticité de tous les livres dont il est composé, et même de ceux de .Moïse, il faisait semblant de vouloir par là établir la tradition et réduire les hérétiques à la reconnaître, pendant qu'il en renversait la principale partie et le fondement avec l'authenticité des Livres saints. C'est ainsi qu'il défendait la tradition et qu'il imposait à ceux qui

 

1 P. 155.

 

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n'étaient pas assez instruits dans ces matières, ou qui ne se donnaient pas le loisir de s'y appliquer : mais c'est une querelle a part Tenons-nous-en au troisième tome sur le Nouveau Testament et voyons comment la tradition y est défendue. Déjà on voit qu’elle est sans force, puisque toute constante et universelle qu’elle était dès l'origine du christianisme jusqu'au temps de saint Augustin, sur des matières aussi importantes que celles de la grâce et du libre arbitre, ce Père a eu le pouvoir de la changer, et d’entraîner dans ses sentiments les papes et l'Occident. Vantez-nous après cela la tradition que vous venez de détruire! Mais venons à d'autres endroits.

 

CHAPITRE X.

 

Manière méprisante dont les nouveaux critiques traitent les Pères et méprisent la tradition : premier exemple de leur procédé dans la question de la nécessité de l'Eucharistie : M. Simon avec les hérétiques accuse l'Eglise ancienne d'erreur, et soutient un des arguments par lesquels ils ont attaqué la tradition.

 

Il faut apprendre à connaître les décisions de nos critiques, et la manière dont ils tranchent sur les Pères. C'est faiblesse de s'étudier à les défendre et à les expliquer en un bon sens, il en faut parler librement, c'est quelque chose de plus savant et de plus fin que de prendre soin de les réduire au chemin battu. Au reste on n'a pas besoin de rendre raison de ce qu'on prononce contre eux. Le jugement d'un critique, formé sur un goût exquis, doit s'autoriser de lui-même, et il semblerait qu'on doutât si l'on s'amusait à prouver. On va voir un exemple de ce procédé et tout ensemble une preuve de ses suites pernicieuses, dans les paroles suivantes de M. Simon.

« La preuve, dit-il, que saint Augustin tire du baptême et de l'Eucharistie pour prouver le péché originel, comme s'ils étaient également nécessaires, même aux enfants, pour être sauvés ne paraît pas concluante; elle était cependant fondée sur la créance de ce temps-là qu'il appuie sur ces paroles : Si vous ne mandez la chair du Fils de l'homme, et si vous ne buvez son sang, vous n'aurez pas la vie en vous (1). » Voilà ce qui s'appelle décider :

 

1 P. 287.

 

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autant de paroles, autant d'arrêts. Le reste du passage est du même ton. En un autre endroit il prend la peine d'alléguer le cardinal Tolet, qui explique saint Augustin d'une manière solide et qui est suivie de toute l'Ecole ; mais c'est encore pour prononcer un nouvel arrêt : « Il paraît bien de la subtilité dans cette interprétation, et toute l'antiquité a inféré de ce passage : Si vous ne mangez la chair, etc., la nécessité de donner actuellement l'Eucharistie aux enfants, aussi bien que le baptême (1), » Il ne faut point de raison : M. Simon a parlé. Saint Augustin s'est trompé dans une matière de foi, et comme lui toute l'antiquité était dans l'erreur : la créance de ce Père, quoiqu'elle soit celle de son temps, n'en est pas moins fausse. Ainsi en quatre paroles M. Simon conclut deux choses : l'une, que les preuves de saint Augustin, qui sont celles de l'Eglise, ne sont pas concluantes; l'autre, que la créance de l'Eglise est erronée. Si M. Simon le disait grossièrement, on s'élèverait contre lui ; parce qu'il donne à son discours un tour malin et un air d'autorité, on lui applaudit.

Cependant on ne peut pas nier qu'il ne soutienne ici les sentiments des protestants. Le principal objet de leur aversion est l'infaillibilité de l'Eglise, qui entraîne la certitude de ses traditions. Pour attaquer ce fondement de la foi, ils ont cherché de tous côtés des exemples d'erreur dans l'Eglise, et celui qu'ils allèguent le plus souvent est le même où M. Simon leur applaudit. Dumoulin dans son Bouclier de la Foi, et tous les autres sans exception, n'ont rien tant à la bouche que cet argument : Saint Augustin et toute l'Eglise de son temps croyaient la nécessité de l'Eucharistie pour le salut des enfants ; la tradition en était constante alors : cependant elle était fausse : il n'y a donc ni tradition certaine, ni aucun moyen d'établir l'infaillibilité de l'Eglise : la conséquence est certaine. M. Simon établit l'antécédent, qui est que l'Eglise a erré en cette matière. Il n'y a donc plus moyen de sauver la vérité, qu'en condamnant ce critique.

C'est ce qui nous réduit à examiner une fois les jugements qu'il prononce avec tant d'autorité ; et encore que selon les lois d'une dispute réglée, à qui affirme sans raison il suffise de nier de

 

1 P. 610.

 

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même, ce ne sera pas perdre le temps que de montrer l'ignorance, la témérité, ou plutôt la mauvaise foi de ce censeur.

 

CHAPITRE XI.

 

Artifice de M. Simon pour ruiner une des preuves fondamentales de l’Eglise sur le péché originel, tirée du baptême des enfants.

 

Je dis donc premièrement qu'il affaiblit la preuve de l'Eglise. Sa preuve fondamentale pour établir le péché originel, était le baptême des petits enfants. Ses autres preuves étaient solides, mais il y fallait de la discussion : le baptême des petits enfants était une preuve de fait, pour laquelle il ne fallait que des yeux : le peuple en était capable comme les savants ; et c'est pourquoi saint Augustin l'établit dans un sermon en cette sorte : « Il ne faut point, disait-il, mettre en question s'il faut baptiser les enfants : c'est une doctrine établie il y a longtemps, avec une souveraine autorité dans l'Eglise catholique. Les ennemis de l'Eglise [les pélagiens) en demeurent d'accord avec nous, et il n'y a point eu cela de question (1). » Voilà donc une première vérité qui n'était pas contestée. Il faut baptiser les enfants : le baptême leur est nécessaire; mais à quoi leur est-il nécessaire? Le baptême le montrait; puisque constamment il était donné en rémission des péchés, c'était une seconde vérité, qui n'était pas moins constante que la première. « L'autorité, dit saint Augustin, de l'Eglise notre mère le montre ainsi; la règle inviolable de la vérité ne permet pas d'en douter : quiconque veut ébranler cet inébranlable rempart, cette forteresse imprenable, il ne la brise pas, il se brise contre elle (2). » Et un peu après : « C'est une chose certaine, c'est une chose établie. On peut souffrir les errants dans les autres questions, qui ne sont point encore examinées, qui ne sont point affermies par la pleine autorité de l'Eglise : on peut dans cette occasion supporter l'erreur; mais il ne faut pas permettre d'en venir jusqu'à renverser le fondement de la foi (3). »

Ce fondement de la foi était la déclaration solennelle que faisait

 

1 Serm. CCXCIV, aliàs XIV De Verb. Apost., cap. I, n. 12. — 2 Ibid. 17. — 3 ibid., cap. XXI, n. 20.

 

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l'Eglise, qu'on baptisait les enfants, qu'on les lavait de leurs péchés : par où il fallait croire de nécessité qu'ils naissaient pécheurs; et que n'ayant point de péchés propres à expier, on ne pouvait laver en eux que ce grand péché que tous avaient commis en Adam. Il ne fallait point argumenter, l'action parlait : le péché originel si difficile à persuader aux incrédules, devenait sensible dans la forme du baptême, et la preuve de l'Eglise était dans son sacrement.

Cet admirable sermon de saint Augustin fut prononcé dans l'église de Carthage, le jour de. la nativité de saint Jean-Baptiste, au commencement de l'hérésie de Pelage et avant que ses sectateurs eussent été condamnés; mais l'Eglise qui les tolérait jusqu'alors et les attendait à pénitence, leur dénonçait par ce sermon dans la capitale de l'Afrique qu'elle ne les tolérerait pas longtemps, et jetait les fondements de leur prochaine condamnation. En effet quelque temps après, dans la même église de Carthage où ce sermon avait été prononcé, on tint un concile approuvé de toute l'Eglise où l'on condamna les pélagiens par le baptême des petits enfants. En voici le canon : « Quiconque dit qu'il ne faut point baptiser les petits enfants nouvellement nés, ou qu'il les faut baptiser à la vérité en la rémission des péchés, mais cependant qu'ils ne tirent pas d'Adam un péché originel qu'il faille expier par la régénération, d'où il s'ensuit que la forme du baptême qu'on leur donne en la rémission des péchés n'est pas véritable, mais qu'elle est fausse; qu'il soit anathème (1). »

On voit par là que cette preuve du péché originel qu'on tirait de la nécessité et de la forme du baptême, était celle de toute l'Eglise catholique dans les conciles universellement reçus. Les Pères du même concile de Carthage, dans la lettre qu'ils écrivirent au pape saint Innocent pour lui demander la confirmation de leur jugement, insistent sur cette preuve comme sur celle qu'on ne pouvait «rejeter sans renverser le fondement de la foi (2), » qui était précisément ce que saint Augustin avait prêché, encore qu'il n'assistât point à ce concile; et le pape la reçut aussi comme incontestable , en disant que c'est vouloir anéantir le baptême que

 

1 Conc. Carth., can. II. — 2 Epist. Conc. Carth., ad Inn. in fine.

 

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de dire « que ses eaux sacrées ne servent de rien aux enfants (1). »

C'est donc là ce fondement de la foi sur lequel les pélagiens ne pouvaient pas dire que l'Orient ne fût pas d'accord avec l'Occident, puisque les deux églises en convenaient avec un si grand consentement, que «les peuples même, dit saint Augustin dans le sermon déjà cité, auraient couvert de confusion ceux qui auraient osé le renverser (2). » C'est aussi ce qui fermait la bouche aux pélagiens, qui ne faisaient que biaiser quand on en venait à cet argument, et paraissaient évidemment déconcertés, comme les réponses de Julien le pélagien le font connaître (3). Mais aujourd'hui M. Simon entreprend de les délivrer d'un argument si pressant et si important ; et n'osant pas le détruire ouvertement, de peur d'attirer sur lui le cri de tout l'univers, il l'affaiblit indirectement, en joignant la nécessité de l'Eucharistie avec celle du baptême, comme si saint Augustin et toute l'Eglise l'avait crue égale. Mais on voit ici manifestement le malicieux artifice de cet auteur. La preuve que l'on tirait du baptême subsistait par sa propre force, indépendamment de celle qu'on tirait de l'Eucharistie, comme on le peut voir par le sermon de saint Augustin qu'on a rapporté, et encore par le canon du concile de Carthage où l'argument du baptême, même seul, fait le sujet de l'anathème de l'Eglise, sans qu'il y soit fait mention de celui de l'Eucharistie. Quand donc M. Simon fait marcher ensemble ces deux preuves, c'est qu'il espère d'affaiblir l'une en l'embarrassant avec l'autre : il voulait faire ce plaisir aux nouveaux pélagiens dont il est le perpétuel défenseur, aussi bien que des anciens partisans de cette hérésie, comme la suite de ce discours le fera paraître. En effet la preuve tirée du baptême n'a aucune difficulté. Si donc il a senti qu'il y en avait dans celle qu'on tirait de l'Eucharistie, et qu'il fallait un plus long discours pour la faire entendre, la bonne foi voulait qu'il les séparât. Il devait dire, non pas comme il fait, « que la preuve que saint Augustin tire du baptême et de l'Eucharistie ne paraît pas concluante ; » mais que la preuve de l'Eucharistie est plus difficile à pénétrer que l'autre, qui va toute

 

1 Epist. Inn. ad Conc. Milev. — 2 Serm. CCXCIV, alias XIV, cap. XVII, n. 17. — 3 August., Cont. Jul., lib. III, cap. III.

 

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seule et qui n'a aucun embarras. Mais s'il eût parlé de cette sorte, la victoire de l'Eglise était manifeste et sa preuve très-évidente. Il fallait donc, pour favoriser les pélagiens anciens et modernes, affaiblir ou plutôt détruire la preuve la plus manifeste du péché originel, et avec elle renverser le fondement de l'Eglise, comme les Pères, dont nous avons vu les autorités, l'ont démontré.

 

CHAPITRE XII.

 

Passages des Papes et des Pères qui établissent la nécessité de l’Eucharistie en termes aussi forts que saint Augustin : erreur inexcusable de M. Simon qui accuse ce saint de s'être trompé dans un article qui, de son aveu, lui était commun avec toute l'Eglise de son temps.

 

Quant à la preuve de l'Eucharistie, le dessein de l'affaiblir se trouve uni avec celui de montrer que, dans le temps de saint Augustin, et lui et toute l'Eglise étaient dans l'erreur. La raison en est évidente. On fonde cette erreur de saint Augustin sur la manière dont il parle contre les pélagiens de la nécessité de l'Eucharistie, appuyée sur ce passage de saint Jean : « Si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme et ne buvez son sang, vous n'aurez point la vie en vous (1).» Or cette preuve n'est pas seulement de saint Augustin, mais encore du pape saint Innocent (2) dans sa réponse au concile de Milève, que toute l'Eglise a rangé dans ses canons; et elle est encore du pape saint Gélase, dans sa lettre aux évoques de la province qu'on appelait Picène en Italie (3). Elle est donc si clairement du Saint-Siège, que saint Augustin ne craint point de dire, dans son Epitre à saint Paulin, que ceux qui la rejettent malgré la décision du pape saint Innocent, s'élèvent contre l'autorité du Siège apostolique (4) ; et il montre ailleurs (5) que le décret de ce Siège, par où cette preuve est établie, est si inviolable, que Célestius même, un autre Pelage, a été obligé de s'y soumettre. On ne peut donc pas nier que cette preuve ne soit celle du Saint-Siège et de toute l'Eglise catholique. Elle est encore celle des autres Pères contemporains de saint Augustin ; entre autres

 

1 Joan., VI, 54. — 2 Epist. ad Conc. Milev. — 3 Ad Episc. Per Pic. — 4 Epist. CLXXXVI, alias CVI, ad Paulin., cap. VIII, n. 28. — 5 Lib. II ad Bonif., cap. IV.

 

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de Mercator (1), ce grand adversaire de l'hérésie pélagienne, et d'Eusèbe, évoque de l'Eglise gallicane (2), dont on a publié les Homélies sous le nom d'Eusèbe, évêque d'Emèse. Pour joindre les Grecs aux Latins, elle est encore de saint Isidore de Damiette, qui prouve ensemble la nécessité du baptême et de l'Eucharistie par ces deux passages : « Si vous ne mangez, etc., et si vous ne renaissez, etc. (3). » Et afin qu'on ne pense pas que cette doctrine soit nouvelle, on la trouve dans saint Cyprien aussi clairement que dans les Pères qui l'ont suivi.

Je rapporterais ces autorités, si le fait n'était avoué par notre auteur (4) qui reconnaît que, « si saint Augustin a établi la nécessité de l'Eucharistie, égale à celle du baptême, c'était en suivant la créance de son temps (5). » Afin qu'on n'en doute pas, il répète encore, que « toute l'antiquité a inféré de ce passage (de saint Jean, VI) la nécessité de donner actuellement l'Eucharistie, aussi bien que le baptême (6). » Mais ce n'est pas le langage d'un homme qui veut défendre la tradition de l'Eglise : c'est au contraire le langage d'un homme qui a entrepris de la détruire, et qui veut faire conclure aux protestants que, si l'Eglise s'est trompée dans la créance qu'elle avait de la nécessité de l'Eucharistie et est aujourd'hui obligée de se dédire, elle peut aussi bien s'être trompée, non-seulement sur la nécessité du baptême, mais encore sur toutes les autres parties de sa doctrine, n'y ayant aucune raison de la rendre plus infaillible dans une partie de la doctrine révélée de Dieu que dans l'autre.

 

CHAPITRE XIII.

 

M. Simon, en soutenant que l'Eglise ancienne a cru la nécessité absolue de l'Eucharistie, favorise des hérétiques manifestes, condamnés par deux conciles œcuméniques, premièrement par celui de Bâle et ensuite par celui de Trente.

 

Voilà donc l'erreur manifeste de M. Simon, d'admettre comme certain un fait qui renverse le fondement et l'infaillibilité de

 

1 Vide Mar. Merc., edit. Garn., sub. not. inscr. Jul., cap. VIII, n. 4, p. 53. — 2 Euseb., Epist. Gall., hom. V, tom. V, Bibl. SS. PP. —  3 Lib. II, Epist. LII — 4 Lib. III, testim. XXV. — 5 P. 287.— 6 P. 610.

 

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l'Eglise ; mais sa faute n'est pas moins grande en ce que dans un article particulier, il donne gain de cause à des hérétiques qui ont été réprouvés par le concile de Bâle.

On sait avec quelle obstination les Bohémiens soutenaient la nécessité de communier les petits enfants. Ils se fondaient sur ce passage de saint Jean, VI, 54, et ils soutenaient que saint Augustin et toute l'Eglise ancienne l'avaient entendu comme eux (1). C'est ce que le concile de Bâle ne put souffrir; et dans l'accord qui fut fait avec eux par les légats de ce concile, on les obligea expressément à se départir de la communion des enfants. Ils y revenaient pourtant toujours et ce concile, en ce point approuvé de toute l'Eglise et du pape même, ne cessait de s'y opposer, parce que l'Eglise n'entendait point que la communion des enfants fût autorisée comme nécessaire. Mais aujourd'hui M. Simon vient soutenir ces hérétiques et condamner le concile, puisqu'il assure que les hérétiques suivaient l'ancienne doctrine, et que le concile et toute l'Eglise s'y opposait.

On voit donc déjà un concile œcuménique qui condamne M. Simon : c'est le concile de Bâle dans les actes qu'il a passés avec une pleine autorité, du consentement du pape; car l'accord dont il a été parlé est de l'an 1432, durant les premières sessions qui ont été, comme on sait, autorisées par Eugène IV ; et depuis même les contestations, ce pape a toujours maintenu l'accord, qui n'a jamais souffert aucune atteinte.

Mais si M. Simon a ignoré la décision du concile de Bâle, il n'a pas dû ignorer celle du concile de Trente , qui, en parlant de la coutume ancienne de donner la communion aux petits enfants, décide en termes formels « que comme les Pères ont eu de bonnes raisons de faire ce qu'ils ont fait, aussi faut-il croire sans aucun doute qu'ils ne l'ont fait par aucune nécessité de salut (2) : » ce qui se trouvera faux, si la nécessité de salut, égale dans l'Eucharistie et dans le baptême, a été le fondement de leur pratique, ainsi que le soutient M. Simon. Sa critique est donc opposée à celle de deux conciles œcuméniques, et expressément condamnée par celui de Trente ; à quoi il n'y a autre réponse à faire pour lui,

 

1 Aen. Sylv., Hist. Bohem.— 2 Sess. XXI, cap. IV.

 

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sinon que ce n'est pas ici le seul endroit où il méprise l'autorité des plus grands conciles.

 

CHAPITRE XIV.

 

Mauvaise foi de M. Simon, qui, en accusant saint Augustin et toute l’antiquité d'avoir erré sur la nécessite de l'Eucharistie, dissimule le sentiment de saint Fulgence, auteur du même siècle que saint Augustin, et qui faisait profession d'être son disciple, même dans cette question, où il fonde sa résolution sur la doctrine de ce Père.

 

Il suppose contre ces conciles, comme un fait constant, que saint Augustin et toute l'Eglise enseignaient la nécessité de l'Eucharistie égale à celle du baptême; mais il n'y a nulle bonne foi dans son procédé, puisqu'il dissimule toutes les raisons dont le sentiment contraire est appuyé.

Il est vrai qu'il rapporte la réponse du cardinal Tolet, « que les enfants étaient censés recevoir l'Eucharistie dans le baptême, parce qu'ils devenaient alors membres du corps mystique de Jésus-Christ, et qu'ainsi ils participaient en quelque manière au sacrement de l'Eucharistie (1) : » mais il méprise cette réponse qui est la seule qu'on puisse opposer à l'hérésie des Bohémiens, et il croit la détruire par cette seule parole : « Il y a bien de la subtilité ( c'est-à-dire dans son style bien de la chicane et du raffinement) dans cette interprétation, et toute l'antiquité reconnaît la nécessité de donner actuellement l'Eucharistie aux enfants (2). »

Il dissimule que cette réponse du cardinal Tolet est celle non-seulement des cardinaux Bellarmin et du Péron, de tous ceux qui ont entrepris de soutenir la tradition contre les protestants et de toute l'Ecole, mais encore celle de saint Fulgence, qui, consulté sur la question dont il s'agit, a expliqué saint Augustin comme a fait Tolet et comme fait encore aujourd'hui toute la théologie (3). Cette autorité de saint Fulgence n'est ignorée de personne. On le consultait sur le salut d'un Ethiopien, qui, après avoir longtemps demandé le baptême en bonne santé, le reçut enfin fort malade et sans connaissance dans l'église même, et mourut dans l'intervalle

 

1 P. 609. — 2 P. 610. — 3 Epist. Ferrandi diac. ad Fulgent. et Fulg. resp., cap. II.

 

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qu'il y avait entre la cérémonie du baptême et le temps de la communion. Ainsi il ne fut pas communié. Le diacre Ferrand, dont le nom est célèbre dans l'Eglise, consulte saint Fulgence, le plus grand théologien et le plus saint évêque de son temps, sur le salut de l'Ethiopien, et ce grand docteur n'hésite pas à prononcer en faveur du baptisé. Personne ne l'a repris, et au contraire on acquiesce à sa décision.

Le cas n'était pourtant pas extraordinaire. Il y avait assez de distance entre le baptême et la communion, puisque ce temps comprenait la consécration des mystères avec tout le sacrifice de l'Eucharistie; et saint Fulgence parle de la mort qui arrivait dans cet intervalle à quelques-uns comme d'une chose assez commune, sans que pourtant on fût en peine de leur salut. Ce n'était donc pas alors le sentiment de l'Eglise, que la nécessité de l'Eucharistie fût égale à celle du baptême : mais si ce ne l'était pas alors, ce ne l'était pas auparavant, ni du temps de saint Augustin. Saint Fulgence en était trop proche et trop fidèle disciple de ce grand saint. On voit en effet qu'il résout la question par saint Augustin et sur le même principe dont nous nous servons encore aujourd'hui, que dès qu'on est baptisé, «on est par le baptême même rendu participant du corps et du sang de Jésus-Christ, » d'où saint Fulgence conclut, « qu'on n'est donc pas privé de la participation de ce corps et de ce sang, lorsqu'on a été baptisé, encore qu'on sorte de cette vie avant que de les avoir reçus. »

Voilà ce principe tant méprisé par M. Simon dans sa critique sur Tolet. C'est pourtant le principe de saint Fulgence : c'est le principe de saint Augustin, que saint Fulgence établit par un sermon de ce Père, qu'il récite entier et que tout le monde a reconnu après lui : c'est la doctrine constante de saint Augustin dans tous ses ouvrages. Il y a encore un sermon (1) où il établit expressément que le chrétien est fait membre de Jésus-Christ, premièrement par le baptême et avant la communion actuelle, «lui est la même vérité que saint Fulgence avait établie par le sermon qu'il a rapporté. Le même saint Augustin enseigne la même chose dans le livre du Mérite et de la Rémission des péchés.

 

1 Serm. Pasc., serm. CCXXIV.

 

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« On ne fait, dit-il, autre chose dans le baptême des petits enfants que de les incorporer à l'Eglise, c'est-à-dire de les unir au corps et aux membres de Jésus-Christ (1). » Cent passages du même Père justifieraient cette vérité, si elle pouvait être contestée. On a vu la conséquence que saint Fulgence a tirée de ce beau principe. Il paraît même que saint Augustin l'a tirée lui-même, puisqu'il présuppose qu'un enfant malade « qu'on se presserait de porter aux eaux baptismales, si on lui prolongeait tant soit peu la vie, en sorte qu'il mourût incontinent après son baptême, serait de ceux dont il est écrit qu'ils ont été enlevés de peur que la malice ne les changeât (2); » c'est-à-dire qu'il serait sauvé, bien qu'il paroisse par tous les termes de ce Père qu'il présupposait la mort de cet enfant si proche, qu'on n'aurait pas eu le loisir de le communier.

On voit donc la mauvaise foi de M. Simon, qui dissimule les décisions de Bâle et de Trente, et qui passe si hardiment comme un fait constant, que saint Augustin avec toute l'antiquité était dans l'erreur; comme si saint Fulgence, qui florissait dans le siècle où saint Augustin est mort, ne faisait pas partie de l'antiquité; ou qu'il eût pu mépriser la doctrine de saint Augustin, dont il faisait une si haute profession d'être le disciple ; ou qu'il n'eût pas résolu la difficulté dont il s'agit par les principes de ce Père ; ou que la solution que nous y donnons ne fût pas la même que celle de saint Augustin ; ou enfin que saint Augustin n'eût pas lui-même parlé en conformité de ce principe dans le passage qu'on vient de rapporter. Mais sans nous arrêter à un seul passage, toute la théologie de saint Augustin concourt avec celle de saint Fulgence, à nier dans l'Eucharistie une nécessité égale à celle du baptême.

 

CHAPITRE XV.

 

Toute la théologie de saint Augustin tend à établir la solution de saint Fulgence, qui est celle de toute l'Eglise.

 

Le même saint Augustin enseigne partout que les enfants baptisés sont mis au nombre des croyants, lorsque ceux qui les portent au baptême répondent pour eux et que dès lors ils sont du

 

1 De pecc. mer. et remisa., lib. III, cap. IV.— 2 De anim. et ejus origin., lib. III, cap. X.

 

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nombre de ceux dont il est écrit : « Qui croira et qui sera baptisé sera sauvé; » mais maintenant il faudra dire qu'il sera damné sans avoir reçu la communion.

Le même Père enseigne encore que Jésus-Christ « est mort une seule fois ; mais qu'il meurt pour chacun de nous, lorsqu'on quelqu'âge que ce soit nous sommes baptisés en sa mort, et que c'est alors que sa mort nous profite (1), » c'est-à-dire qu'elle nous est appliquée : en quoi il ne fait que répéter ce que saint Paul avait dit deux fois en mêmes paroles, de peur qu'on ne l'oubliât, «que nous sommes ensevelis avec Jésus-Christ dans le baptême, etc. (2) ; » et on veut que ce Père, qui a si bien entendu cette doctrine, damne ceux qui ont été baptisés et à qui la mort de Jésus-Christ est appliquée, s'ils ne communient aussitôt !

Le même saint Augustin enseigne après le prophète, que « rien ne peut mettre de séparation entre Dieu et nous que le péché (3). » Sur ce principe incontestable, il décide qu'une innocente image de Dieu ne peut être privée de son royaume, selon les règles de justice qu'il a établies. On trouvera dans saint Augustin, sans exagérer, cinq cents passages de cette nature, et cinq cents autres pour dire que la rémission des péchés s'accomplit par le baptême. On demande donc à M. Simon et à ses semblables : Veut-il présupposer qu'après le baptême on demeure encore pécheur, et qu'un si grand sacrement n'ait aucun effet? Ce serait en rejeter la vertu : ou bien est-ce qu'après avoir reçu la grâce, un enfant la perd s'il n'est communié? Mais quand, et dans quel moment, et par quel crime ? La grâce se retire-t-elle toute seule sans aucune infidélité précédente ? Ou bien admettra-t-on dans un enfant une infidélité précédente, dont son âge n'est point capable ? Dans quelle absurdité veut-on jeter l'ancienne Eglise, en lui faisant égaler le nécessité de l'Eucharistie qui suppose l'enfant en état de grâce, à celle du baptême qui le suppose en état de péché ?

Voici encore un autre principe qui n'est pas moins clair. Toute l'Eglise et saint Augustin avec elle croit, sans qu'on en ait jamais douté, que l'Eucharistie était pour les saints, c'est-à-dire pour ceux

 

1 Cont, Jul., lib. VI cap. V. — 2 Rom , VI, 4; Coloss., II, 12. —  3 De spiritu et litt., cap. XXV, n. 42.

 

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qui étaient justifiés. Personne n'ignore ce cri terrible avant la communion : « Les choses saintes pour les saints ! » On était donc sanctifié quand on communiait; et si avant la communion on pouvait être damné, on pouvait être tout ensemble damné et saint. Si le baptême n'avait pas remis pleinement tous les péchés, l'on communiait en péché, lorsque l'on communiait après le baptême; et la première communion était un sacrilège. Qui aurait pu digérer ces absurdités ? Mais cependant on veut supposer que c'était la foi de l'Eglise du temps de saint Augustin. Bien plus, on veut supposer que l'Eglise ne savait pas la différence du baptême et de l'Eucharistie. Sans doute l'Eucharistie, qui est établie pour nourrir le chrétien, le suppose régénéré ; mais s'il est régénéré, il est enfant de Dieu : on appelle aussi l'Eucharistie le pain des enfants, le pain des saints, le pain des justes; mais, dit saint Paul, « si l'on est enfant, on est héritier et cohéritier de Jésus-Christ (1) : on est tiré de la puissance des ténèbres pour être transféré au royaume du bien-aimé Fils de Dieu (2). » On est donc en voie de salut incontinent après le baptême et avant la communion : on n'y est pas avant le baptême, parce que n'ayant encore rien reçu de Dieu on n'a avec son péché que sa propre condamnation. L'état n'est donc pas le même, la nécessité n'est pas égale.

 

CHAPITRE XVI.

 

Vaine réponse des nouveaux critiques.

 

Sont-ce là des subtilités, comme les appelle M. Simon, et des réponses tirées par les cheveux, ou des vérités solides et évangéliques? On sait les finesses de nos critiques. Je ne raisonne pas, disent-ils, j'avance un fait : ils croient se mettre à couvert par cette défaite, et qu'on n'a plus rien à leur dire; mais au contraire on leur dit alors : C'est donc un fait que l'Eglise a ignoré les premiers principes de la religion, le langage de saint Paul, la définition du baptême et celle de l'Eucharistie, avec leurs effets primitifs et essentiels. Quiconque admet de tels faits peut, s'il veut, être protestant, mais il ne peut pas être catholique ; et aussi venons-nous de

 

1 Rom., VIII, 17. — 2 Coloss., 1, 13.

 

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lire dans le concile de Trente, après le concile de Bâle, la condamnation expresse de ce sentiment, que notre auteur a dissimulée avec tout le reste.

 

CHAPITRE XVII.

 

Pourquoi saint Augustin et les anciens ont dit que l'Eucharistie était nécessaire; et quelle l'est en effet, mais en son rang et à sa manière.

 

Mais d'où vient donc que saint Augustin a établi la nécessité de l'Eucharistie ? La question n'est pas difficile. Il en a établi la nécessité, parce qu'en effet elle est nécessaire. Jésus-Christ n'a pas dit en vain : « Si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme et ne buvez son sang, vous n'aurez point la vie en vous (1). » L'Eucharistie est donc nécessaire, mais à sa manière. La chose (a) de ce sacrement, qui est l'incorporation au corps mystique de Jésus-Christ, est nécessaire de nécessité de salut, mais saint Augustin nous a fait voir qu'on la trouve dans le baptême ; et le sacrement de l'Eucharistie établi pour signifier plus expressément une chose si nécessaire, est nécessaire aussi, mais toujours, comme on a dit, à sa manière de nécessité de précepte, et non pas de nécessité de moyen, ainsi que parle l'Ecole ; ou si l'on veut s'expliquer en termes plus simples, l'Eucharistie sera nécessaire comme nourriture dans la suite pour conserver la vie chrétienne ; mais elle suppose auparavant une autre première nécessité, qui est celle de naître en Jésus-Christ par le baptême. On peut être quelques moments sans manger, mais on ne peut être un seul moment sans être né ; car ce serait être avant que d'être. Ainsi la première nécessité est celle de recevoir la vie avec la naissance ; et la seconde qui en approche, qui est de même ordre, mais toutefois moindre et inférieure, est celle de recevoir des aliments, afin de conserver la vie. Appliquez cette comparaison à l'Eucharistie, vous trouverez la difficulté très-clairement résolue. Il faudra seulement penser que comme les comparaisons des choses naturelles avec les morales ne sont jamais parfaitement justes, la nécessité de recevoir le céleste aliment de l'Eucharistie aura une latitude que la

 

1 Joan., VI, 54.

(a) L'effet.

 

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nourriture naturelle n'aura pas ; et la connaissance en dépend des principes constitutifs de l'homme spirituel régénéré par le baptême, à qui l'Eglise, qui lui est donnée pour mère et pour nourrice tout ensemble, doit prescrire les temps convenables pour recevoir cette divine nourriture.

 

CHAPITRE XVIII.

 

La nécessite de l'Eucharistie est expliquée selon les principes de saint Augustin par la nécessité du baptême.

 

Ainsi il ne fallait pas abuser des passages où l'Eucharistie est posée comme nécessaire. Saint Augustin a donné lui-même les ouvertures pour les expliquer. Il a dit en cent endroits, et nous disons après lui, que le baptême est nécessaire (1). En disons-nous moins pour cela, et lui et nous, qu'on est sauvé sans baptême en certains cas ; par exemple, par le martyre et par la seule conversion du cœur? Que si cela n'empêche pas que le baptême ne soit jugé nécessaire, parce qu'il en faut du moins avoir le vœu, n'en peut-on pas dire autant de l'Eucharistie, dont le vœu est en quelque façon renfermé dans le baptême ? Car quiconque est baptisé en Jésus-Christ reçoit avec le baptême, non-seulement un droit réel sur le corps et sur le sang de Jésus-Christ, mais encore une tendance secrète à cette viande céleste et une intime disposition à la désirer.

Elle est donc dans le baptême par le désir, comme le baptême est par le désir dans la conversion du cœur et dans le martyre ; et ainsi la nécessité de l'Eucharistie est comprise en quelque façon dans celle du baptême même.

Ainsi au lieu de chercher querelle à l'Eglise de propos délibéré, et de la faire, errer dans ses plus beaux jours, dès son origine et encore dans le temps de saint Augustin, sur une matière si claire, il n'y avait qu'à dire en trois mots que le baptême et l'Eucharistie à la vérité sont nécessaires, mais non pas en même degré, ni de la même manière, parce qu'au défaut de l'Eucharistie les petits enfants

 

1 De pecc. mer. et remis., lib. I, cap. XX ; lib. III, cap. XII; Contra Jul., lib. V, cap. m; De anim et ej. orig., lib. I, cap. IX ; lib. II, cap. XII; De Civit. Dei, lib. XIII, cap. VII; De Baptis. contra Donat., lib. IV, cap. XXII.

 

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ont le baptême, qui les incorpore à Jésus-Christ ; au lieu que si le baptême leur manquait, comme il n'y a point de sacrement précédent qui en supplée le défaut, le baptême sera pour eux d'une première et inévitable nécessité ; ce qui ne peut convenir à l'Eucharistie, qui aura été prévenue par la sanctification du baptême.

 

CHAPITRE XIX.

 

Raison pour laquelle saint Augustin et les anciens n'ont pas été obligés de distinguer toujours si précisément la nécessité de l'Eucharistie d'avec celle du baptême.

 

Après cela on n'a plus besoin de rendre raison du changement qui est arrivé dans l'Eglise sur la communion des enfants. Tout le monde le voit de soi-même que l'Eglise a pu, et la leur donner dans leur enfance, comme un bien dont le baptême les rendait capables, et ensuite sans leur rien ôter de nécessaire au salut, la leur différer pour un temps plus propre selon les vues différentes que sa prudence lui peut inspirer. Qu'y avait-il de plus aisé à M. Simon que de conclure de là que c'était ici une affaire, non de créance , comme il dit, mais de discipline, où la dispensât ion des mystères peut varier? Il pouvait voir à la fois et avec la même facilité que, dans le temps où la discipline portait qu'on donnât ensemble les deux sacrements, il n'était pas nécessaire d'en distinguer toujours si précisément la vertu, non plus que la nécessité : il ne fallait qu'un peu de lumière, ou au défaut de la lumière un peu de bonne intention pour concilier par ces moyens les premiers et les derniers temps, l'ancienne église avec la moderne. Mais les critiques à la mode de M. Simon, qui ne sont que des grammairiens, n'ont point de lumière; et l'esprit de contradiction qui domine en eux contre l'Eglise et les Pères, leur ôte cette bonne intention.

 

CHAPITRE XX.

 

Que M. Simon n'a pas dû dire que les preuves de saint Augustin et de l'ancienne église contre les pélagiens ne sont pas concluantes.

 

Au reste tout ceci fait voir le but qu'il a eu de dire que les preuves de saint Augustin et de l'Eglise sur le péché originel ne sont pas concluantes, puisque celle du baptême prise en elle-même

 

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ne souffre aucune réplique, et que celle de l'Eucharistie, qui a sa difficulté particulière , ne laisse pas de conclure ce que voulait saint Augustin, et avec lui l'ancienne église. Leur dessein était de détruire la chimérique distinction que les pélagiens voulaient introduire entre le royaume des cieux, que Jésus-Christ promet par le baptême en saint Jean, chapitre III, verset 5, et la vie éternelle qu'il promet en saint Jean, chapitre VI, par le moyen de l'Eucharistie. Mais étant d'une vérité incontestable que la vie, que l'Eucharistie qui est notre nourriture nous conserve, est la même que celle que le baptême qui est notre renaissance nous avait donnée, par conséquent ces deux passages que les pélagiens opposaient l'un à l'autre ne tendent visiblement qu'à la même fin, et nous promettent sous différons noms la même vie éternelle : d'autant plus qu'au même endroit de l'évangile où le royaume des cieux nous est promis dans le baptême, il est aussi expliqué quelques versets après (1) que c'est la vie éternelle qui est promise sous ce nom, puisqu'il y est dit que le Fils de Dieu est mort pour la donner à tous ceux qui croient, parmi lesquels il faut compter les petits enfants baptisés, selon la tradition constante de l'Eglise, comme nous l'avons démontré par saint Augustin.

Le passage de saint Jean, au chapitre III, est évident : « Dieu a tant aimé le monde, dit le Sauveur, qu'il a donné son Fils unique, afin que ceux qui croient en lui aient la vie éternelle. » Visiblement la vie éternelle n'est ici que la même chose que Jésus-Christ avait exprimée par le royaume des cieux quelques versets auparavant. Saint Augustin l'a prouvé par la suite de ces passages dans ce célèbre sermon que nous avons tant allégué, où il a si solidement établi la nécessité du baptême (2). Il était donc de la dernière absurdité de distinguer la vie éternelle d'avec le royaume des cieux ; et comme dit le même Père , le recours des pélagiens à cette frivole et imaginaire distinction était la marque de leur faiblesse.

J'ai voulu m'étendre un peu sur cette matière, et pour tirer d'embarras ceux que M. Simon y voulait jeter, et ensemble pour lui montrer qu'il vient mal-à-propos à l'appui d'une doctrine

 

1 Joan., III, 16, 18. — 2 Serm. CCXCIV, alias XIV.

 

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foudroyée par le concile de Bâle et par le concile de Trente, en disant que la doctrine contraire était celle de saint Augustin et de toute l'antiquité. Que s'il répond qu'il n'est pas le seul catholique qui ait entendu saint Augustin comme il a fait, nous lui répliquons, ou que ces auteurs ne parlent pas comme lui, ni ne s'élèvent pas aussi clairement contre l'infaillibilité de l'Eglise, ou qu'ils demeurent avec lui frappés de ses anathèmes.

 

CHAPITRE XXI.

 

Autre exemple où M. Simon méprise la tradition, en excusant ceux qui contre tous les saints Pères n'entendent pas de l'Eucharistie le chapitre VI de saint Jean.

 

Il y a encore une autre critique de M. Simon à l'occasion des mêmes paroles du chapitre sixième de saint Jean : « Si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme, etc. » Ce critique présuppose avant toutes choses, « que les anciens Pères entendaient de l'Eucharistie le chapitre sixième de l'évangile de saint Jean (1) ; » ce qui était une suite de ce qu'il venait de dire, qu'ils avaient inféré de ce passage la nécessité de ce sacrement. Il est vrai que toute l'antiquité entend ce passage de l'Eucharistie, sans qu'on trouve un seul Père qui y soit contraire; et même la plupart s'en servent pour établir dans ce saint mystère la parfaite et substantielle communication et présence du corps et du sang de Jésus-Christ. Le fait est constant et notre auteur qui l'avance, remarque encore que le cordelier Férus, fameux prédicateur du siècle passé, « suit plutôt les luthériens que les anciens écrivains ecclésiastiques (2), » en entendant ce chapitre sixième de la manducation spirituelle seulement. Ailleurs il observe encore « que Cajetan a pu croire, sans être hérétique, que ces paroles de Jésus-Christ, nisi manducaveritis, etc., ne s'entendent point à la rigueur de la lettre de la manducation sacramentale, bien qu'il soit opposé en cela au sentiment commun des anciens et des nouveaux interprètes de l'Ecriture (3). » Enfin il rapporte ailleurs les raisons de Maldonat, qui ne peuvent pas être plus fortes, « pour condamner du moins d'imprudence et de témérité ceux qui contre le consentement

 

1 P. 288.— 2 P. 561. — 3 P. 542

 

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universel des Pères, approuvé généralement de toute l'Eglise dans le concile de Trente (1) » comme il le fait remarquer à Maldonat, osent suivre L'interprétation qui exclut l'Eucharistie du chapitre sixième de saint Jean.

Maldonat a raison de dire que le concile de Trente suit expressément le sens contraire dans la session XXI, chapitre I. Il y pouvait ajouter le concile d'Ephèse (2), qui en approuvant les anathématismes de saint Cyrille (3) approuve par conséquent celle explication qui y est contenue.

Après avoir vu ces choses et avoir pris tant de soin à prouver que l'explication des luthériens, de Férus et. de Cajetan répugne au sentiment commun de tous les Pères, il semblera que M. Simon devait s'en être éloigné, selon la règle qu'il pose comme inviolable, qu'il faut expliquer l'Ecriture d'une manière conforme aux sentiments de l'antiquité. Mais ceux qui le concluraient ainsi, ne connaîtraient guère cet auteur ; car il ne lui faut qu'un seul endroit , et un petit mot pour détruire et affaiblir ce qu'il semble dire partout ailleurs avec plus de force. Et en effet, malgré tout ce qu'il avance en faveur de l'explication qui trouve l'Eucharistie dans ce chapitre de saint Jean, le même M. Simon en parlant de Théodore d'Héraclée, qui l'expliquait de l'incarnation, en a fait ce jugement : « Ce sens paraît assez naturel, quoiqu'il ne soit pas commun; car il semble qu'il s'agisse plutôt en cet endroit du mystère de l'incarnation ou de Jésus-Christ considéré en lui-même, que de l'Eucharistie (4). » Comme si dans L'Eucharistie Jésus Christ n'était pas aussi considéré en lui-même, ou qu'il n'y fût pas véritablement présent; mais ne le pressons pas là-dessus; demandons-lui seulement si ces expressions : « Il paraît assez naturel, il semble qu'il s'agisse plutôt, » etc., ne sont pas visiblement des manières d'insinuer un sentiment et de lui donner la préférence, « bien qu'il ne soit pas commun. » Ainsi Théodore d'Héraclée, un arien (car M. Simon convient qu'il l'était), l'emporte par l'avis de ce critique, sur tous les Pères, sur tous les interprètes anciens et modernes, et sur deux conciles œcuméniques , celui d'Ephèse et celui de Trente. Est-ce là un défenseur

 

1 P. 630. — 2 Sess., XXI cap. I. — 3 Cyrill., Anath. II. — 4 P. 439.

 

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de la tradition, ou plutôt n'en est-ce pas l'ennemi et le destructeur secret?

 

CHAPITRE XXII.

 

Si c'est assez, pour excuser un sentiment, de dire qu'il n'est pas hérétique.

 

Le principal avantage que M. Simon veut tirer ici contre l'autorité de la tradition, c'est que « Cajetan a pu croire sans être hérétique, que ces paroles, nisi manducaveritis, etc., ne s'entendent point à la lettre de la manducation sacramentale, bien qu'en cela il soit opposé, au sentiment commun des anciens et des nouveaux interprètes (1). » Mais c'est proposer la chose d'une manière peu équitable. Il ne s'agit pas de savoir si Cajetan est hérétique, en s'opposant à une interprétation autorisée par tous les saints. On peut penser mal sans être hérétique, si l'on est soumis et docile. Tout ce qui est mauvais en matière de doctrine n'est pas pour cela formellement hérétique. On ne qualifie pour l'ordinaire d'hérésie formelle que ce qui attaque directement un dogme de foi; mais de là il ne s'ensuit pas qu'on doive souffrir ceux qui l'attaquent indirectement, en affaiblissant les preuves de l'Eglise, et en affectant des opinions particulières sur les passages dont elle se sert pour établir sa doctrine. C'est ce que font ceux qui détournent les paroles de Notre-Seigneur, dont il s'agit : ils privent l'Eglise du secours qu'elle en tire contre l'hérésie : ils accoutument les esprits à donner dans des figures violentes, qui affaiblissent le sens naturel des paroles de l'Evangile : ils inspirent un mépris secret de la doctrine des Pères. Cajetan, qui ne savait guère la tradition et qui écrivait devant le concile de Trente, peut être excusé; mais M. Simon qui a tout vu et qui après avoir reconnu le consentement des saints Pères, ne laisse pas d'insinuer avec ses adresses ordinaires le sens opposé au leur, n'en sera pas quitte pour dire que cela n'est pas hérétique. L'amour de la vérité doit donner de l'éloignement pour tout ce qui l'affaiblit ; et je dirai avec confiance qu'on est proche d'être hérétique lorsque sans se mettre en peine de ce qui favorise l'hérésie, on n'évite que ce qui est précisément hérétique et condamné par l'Eglise.

 

 

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