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MÉDITATIONS POUR LE  TEMPS DU JUBILÉ.

 

 MÉDITATIONS POUR LE  TEMPS DU JUBILÉ.

MANDEMENT DE  MONSEIGNEUR  L’ILLUSTRISSIME  ET  RÉVÉRENDISSIME ÉVÈQUE DE  MEAUX.

AVERTISSEMENT.

PREMIÈRE  MÉDITATION. LA RIGUEUR DE L'ÉGLISE.

PREMIER POINT. Considérations générales sur la rigueur de l'Eglise,

PREMIÈRE  CONSIDÉRATION.

IIe CONSIDÉRATION.

IIIe CONSIDÉRATION.

PRIÈRES, AFFECTIONS  ET  RÉSOLUTIONS.

IIe POINT. Raisons des rigueurs de l'Eglise.

Première raison tirée de la justice divine.

PRIÈRES,  AFFECTIONS  ET  RESOLUTIONS.

IIIe POINT. Seconde raison de la rigueur de l'Eglise.

La miséricorde de Dieu.

PRIÈRES,  AFFECTIONS  ET  RÉSOLUTIONS.

IVe POINT. Troisième raison des rigueurs de l'Eglise.

La conformité avec Jésus-Christ.

PRIÈRES, AFFECTIONS  ET RÉSOLUTIONS.

Ve POINT. On en revient aux saintes rigueurs de la justice divine.

PRIÈRES, AFFECTIONS  ET  RÉSOLUTIONS.

SECONDE MÉDITATION. L'INDULGENCE DE L'ÉGLISE.

PREMIER POINT. On peut suppléer aux rigueurs de la pénitence par sa ferveur et par un amour ardent.

PREMIÈRE CONSIDÉRATION.

PRIÈRES,  AFFECTIONS ET RÉSOLUTIONS.

II. Sur la seconde partie de la parabole.

III. Application de la parabole.

IV. L'amour pénitent comprend toutes les peines satisfactoires.

IIe POINT. Autres exemples de l'indulgence du Sauveur.

PREMIÈRE CONSIDÉRATION. Le Paralytique.

IIe CONSIDÉRATION. La femme adultère.

IIIe  CONSIDÉRATION. Saint Pierre.

IVe CONSIDÉRATION. Réflexions des saints Pères sur les exemples précédents.

Ve CONSIDÉRATION. L'indulgence accordée au bon larron.

PRIÈRES, etc. Sur l'exemple du paralytique et de la femme adultère.

II. Sur l'exemple de saint Pierre et du bon larron.

IIIe  POINT. Indulgence de saint Paul après avoir exercé une juste rigueur.

PREMIÈRE CONSIDÉRATION. La rigueur de saint Paul.

IIe CONSIDÉRATION. Douceur et indulgence de l'Eglise de Corinthe et du saint Apôtre.

PRIÈRES, etc.

IVe POINT. Indulgence de l'apôtre et évangéliste saint Jean.

PRIÈRES, etc.

Ve POINT. Indulgence de l'ancienne Eglise durant les persécutions.

PREMIÈRE CONSIDÉRATION. Les Martyrs s'affligent dans leurs prisons de la chute des pécheurs, et intercèdent pour eux envers l'Eglise pour abréger le temps de leur pénitence.

IIe CONSIDÉRATION. L'Eglise avait égard à l'intercession des Martyrs, et usait d'indulgence en leur faveur.

IIIe CONSIDÉRATION. Les Martyrs sont regardés dans l'ancienne Eglise comme ayant part à l'œuvre de la rédemption.

IVe CONSIDÉRATION. C'est le sang de Jésus-Christ qui donne ce prix à l'intercession des Saints.

PRIÈRES,  etc.

VIe POINT. L'indulgence du concile de Nicée et de l'Eglise dans sa paix.

PREMIÈRE  CONSIDÉRATION. Deux canons de ce saint concile.

IIe CONSIDÉRATION. Ce que c'est, selon ce concile, que faire pénitence indifféremment

PRIÈRES, etc.

VIIe POINT. L'indulgence des siècles suivants, et de l'Eglise d'à présent.

PREMIÈRE CONSIDÉRATION. La doctrine du concile de Trente dans le décret rapporté ci-dessus, suffit pour renouveler, dans la pratique de la pénitence et de l'indulgence, l'ancien esprit de l'Eglise.

IIe  CONSIDÉRATION. Autres décrets importants du même concile.

IIIe  CONSIDÉRATION. Remarques sur ces décrets.

IVe  CONSIDÉRATION. Il ne faut point rechercher trop curieusement reflet précis des indulgences.

Ve CONSIDÉRATION. Le fidèle doit recevoir l'indulgence avec une sainte confiance qu'elle sert à la décharge des peines de l'autre vie.

PRIÈRES, etc.

VIIIe POINT. Que  l'indulgence nous  doit porter  à augmenter  notre amour, non-seulement envers Dieu, mais encore envers le prochain.

PREMIÈRE CONSIDÉRATION. L'amour fraternel se mesure par l'amour de Dieu.

IIe CONSIDERATION. Parabole du Roi qui pardonne.

IIIe CONSIDÉRATION. La bonté do Dieu envers nous, règle la mesure de la nôtre envers le prochain.

PRIÈRES, etc.

INSTRUCTIONS NÉCESSAIRES POUR LE JUBILÉ.

ARTICLE  I. Ce que c'est que le jubilé.

ARTICLE II. Ce qu'il faut faire pour gagner le Jubilé, et premièrement de la prière.

ARTICLE III. Du jeûne, des aumônes et de la visite des églises.

ARTICLE IV. De la Confession et de la Communion.

ARTICLE V. Du pouvoir des confesseurs durant le Jubilé.

ARTICLE VI. Quel est le fruit du Jubilé?

 

MANDEMENT DE  MONSEIGNEUR  L’ILLUSTRISSIME  ET  RÉVÉRENDISSIME ÉVÈQUE DE  MEAUX.

 

Jacques-Bénigne, par la permission divine, Evêque de Meaux : aux doyens ruraux de notre diocèse , au clergé et au peuple , salut et bénédiction en Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Nous vous annonçons la grâce qui nous a été accordée par notre saint Père le Pape Clément XI, à notre supplication, pour la consolation spirituelle et le salut des chrétiens commis à notre charge, qui n'ont pu aller à Rome pour y gagner le jubilé de l'année sainte. Cette grâce est accordée à tous les fidèles vraiment pénitents, confessés et communiés, qui visiteront quatre églises, chapelles, autels ou lieux pieux désignés une fois par nous, durant quinze jours de suite ou discontinués, et dans l'espace de deux mois pareillement marqués de nous : lequel nombre pourra être diminué en faveur des malades, des prisonniers et autres qui ne seront pas en état de satisfaire à ce que dessus , avec pouvoir à leurs supérieurs ou confesseurs de changer ces obligations en autres œuvres pieuses, suivant le besoin des âmes, religieux ou religieuses et autres, avec prudence et discrétion. Ils diront cinq Pater et cinq Ave à chaque église, chapelle, autel ou lieux pieux où les stations seront marquées pour la rémission de leurs péchés, la concorde des princes chrétiens, l'extirpation des hérésies, l'exaltation de l'Eglise, l'accomplissement des pieux désirs de notre saint Père le Pape, et pour les nécessités présentes. Par ce moyen ils

 

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gagneront l'indulgence plénière de l'année sainte, comme s'ils avoient été à Rome aux tombeaux des saints Apôtres, et qu'ils en eussent visité dévotement les quatre grandes églises qui sont les principales et comme les mères de toutes celles de la Chrétienté. Tous confesseurs approuvés de nous auront pouvoir d'absoudre des cas réservés à notre saint Père le Pape ou à nous, et de toutes peines et censures, à l'effet de gagner le présent jubilé, dont ceux mêmes qui l'auront déjà gagné à Rome pourront encore ici obtenir la grâce. Ceux qui voudront satisfaire ensemble aux devoirs du jubilé et de la confession annuelle ou communion pascale, le pourront en se présentant pour leurs pâques à leurs curés, afin d'en recevoir les avis et les permissions nécessaires. Nous avertissons les curés de se servir même en public des méditations, prières et autres instructions que nous avons publiées exprès pour le temps de cette indulgence : et nous exhortons les fidèles à profiler des avertissements paternels que nous leur donnons en ces livres en toute simplicité et charité. Les deux mois destinés à ce jubilé commenceront le dimanche de la Passion, 2 d'avril prochain, et finiront le dimanche de la Pentecôte, 4 de juin inclusivement. Nous vous demandons le secours de vos prières pour l'heureux accomplissement de notre charge pastorale, pour la gloire de Dieu par Jésus-Christ et le salut de vos âmes , pour lesquelles nous veillons nuit et jour. Et se fera la publication du jubilé, ensemble de notre présent mandement, le quatrième dimanche de carême, 26 mars, au prône et au sermon dans toutes les églises.

 

Donné à Meaux , dans notre palais épiscopal, le 15 de janvier 1702.

 

 

AVERTISSEMENT.

 

L'on pourra faire plusieurs sujets de méditation de la matière proposée dans celle-ci, en les divisant comme on voudra, et chacun selon son attrait ; mais on les réduit à deux, par rapport à la double puissance de l'Eglise : la puissance de lier et de retenir : la puissance de délier et de remettre.

Ces deux puissances qu'il faut ici présupposer comme connues par la foi, dans le fond n'en font qu'une seule, qui a un double exercice.

L’Eglise peut lier et délier, remettre et retenir, tant à l'égard de la coulpe qu'à l'égard de la peine.

Elle délie et remet, quand elle donne l'absolution ; elle lie et retient, lorsque par un sage discernement elle la diffère à ceux qu'elle n'en juge pas encore capables : et voilà ce qui regarde la coulpe.

Pour les peines , l'Eglise a droit d'en imposer de très-rigoureuses aux pénitents : et elle a droit aussi de les tempérer, de les relâcher , de les remettre avec prudence et discrétion. Le premier est l'effet de sa juste et salutaire rigueur; le second est l'effet de son indulgence. Ces deux parties de la puissance de l'Eglise, tant à l'égard de la coulpe qu'à l'égard des peines, sont également constantes par l'Ecriture et par la tradition. Le dessein de ces méditations n'est pas de considérer la puissance de l'Eglise par rapport à la coulpe, mais seulement par rapport à la peine, dans le dessein de tirer tout le profit que l'Eglise attend des pénitences qu'elle impose aux pécheurs, et tout ensemble

 

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de l'indulgence dont elle use pour les relâcher. De ces deux parties, la première qui est le fondement de l'autre ne peut être mieux expliquée que par la doctrine du concile de Trente, dans la session XIV, où il traite de la nécessité et du fruit de la satisfaction ; et la seconde n'est pas moins saintement et moins sagement exprimée dans le décret des indulgences, où ce concile en établit la foi et en règle l'usage. Qu'il me soit donc permis de proposer ces deux endroits aux chrétiens selon la simplicité de l'Evangile dans ce temps de jubilé , afin que chacun règle ses pratiques et ses oraisons selon les principes de la foi, conformément à cette parole du Prophète et de l'Apôtre : « Le juste vit de la foi (1). »

Pour marcher plus simplement dans cette voie de la foi, on s'attache ici à ce qu'il y a de certain : et tout le but de ces méditations est que, quelque opinion que l'on veuille suivre dans la manière d'expliquer l'effet des indulgences, soit qu'on se tienne à celle d'Adrien VI qu'on trouve si bien expliquée chez le cardinal Pallavicin (2), soit même qu'on aille plus loin : le chrétien demeure toujours convaincu qu'il doit tâcher d'augmenter son amour envers Dieu à proportion des grâces qu'il en reçoit, selon cette sentence de la parabole : « Qui est celui qui aime le plus ? C'est celui à qui on a le plus pardonné. » Luc. VII, 42, 43.

 

1 Habac. II, 4; Rom. I, 17. — 2 Hist. del conc. Trid., tom. I, cap. IV.

 

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PREMIÈRE  MÉDITATION. LA RIGUEUR DE L'ÉGLISE.

 

PREMIER POINT. Considérations générales sur la rigueur de l'Eglise,

 

PREMIÈRE  CONSIDÉRATION.

 

Paroles du concile de Trente, pour nous l'expliquer.

 

La rigueur de l'Eglise nous est expliquée par ces paroles du concile de Trente : « Le fruit du baptême est différent de celui de la pénitence : car par le baptême nous sommes revêtus de Jésus-Christ, et nous sommes faits en lui une nouvelle créature, en recevant une pleine et entière rémission de tous nos péchés. Mais nous ne pouvons parvenir dans le sacrement de pénitence à cette première nouveauté et intégrité sans de grands pleurs et de grands travaux, la justice l'exigeant ainsi; en sorte que ce n'est pas sans raison que la pénitence est appelée par les saints Pères un baptême laborieux (1). »

Ecoutez, enfants de l'Eglise, les paroles de votre mère; elle vous propose de grands pleurs et de grands travaux, un baptême laborieux; elle vous apprend que la justice divine l'exige ainsi. Cette rigueur de l'Eglise est de son esprit primitif, qui ne s'éteindra jamais, et qu'elle ne cessera d'opposer au relâchement. Que nous sert de détester avec le concile la mollesse des hérétiques, qui ont rejeté ces saintes rigueurs de la satisfaction, si nous tombons dans une semblable langueur, et que nous méprisions en effet ce que nous confessons en paroles ?

 

1 Sess. XIV, cap. II.

 

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IIe CONSIDÉRATION.

 

Par les travaux de la pénitence on revient, selon le concile, à la pureté du baptême.

 

Le concile nous a fait entendre la rigueur de l'Eglise. Elle est juste; car elle imite la justice de Dieu, le pécheur vengeant sur lui-même l'injure qu'il a faite à cette bonté, à cette majesté infinie. Elle est sainte, parce que la justice de Dieu, que l'Eglise exerce, est sainte aussi : ce qui fait dire au Psalmiste : « Son nom est saint et terrible (1). » Elle est salutaire, parce que c'est un nouveau baptême, pénible à la vérité et laborieux ; mais enfin toujours un baptême par lequel, comme dit le saint concile, en pleurant nos péchés dans l’amertume de notre cœur et en subissant une pénitence proportionnée à leur énormité, nous recouvrons cette première nouveauté et intégrité baptismale que nous avions perdue : tant est grande l'efficace des peines que nous portons pour nos crimes sous les ordres de l'Eglise, et en esprit de componction et d'obéissance à ses prêtres.

 

IIIe CONSIDÉRATION.

 

Désirs des saintes âmes que les rigueurs de l'Eglise leur soient appliquées.

 

C'est ce qui a inspiré à toutes les âmes pénitentes un désir intime, qu'on leur appliquât les saintes rigueurs de l'Eglise. On leur voyait demander à genoux cette grâce à leurs évêques, à leurs pasteurs, à leurs confesseurs, avec une humilité et une ardeur admirable. Je ne m'en étonne pas : elles étaient toutes pénétrées de l'amour de Jésus-Christ ; et sentant la séparation que met le péché entre l’âme et l'Epoux céleste, elles désiraient, quoi qu'il leur en coûtât, de lui être réunies par ce laborieux baptême de la pénitence. Il a été institué pour nous ramener à la pureté que nous avions reçue aux fonts baptismaux; et il détruit tellement le péché, qui seul met la division entre Dieu et nous, que nous serions avec lui dans une union consommée, si nous mourions en cet état de parfait renouvellement où la pénitence nous peut

 

1 Psal. CX, 9.

 

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rétablir. Ainsi il ne faut pas s'étonner qu'on la demandât, et qu'on la reçût comme une grâce.

 

PRIÈRES, AFFECTIONS  ET  RÉSOLUTIONS.

 

Disons donc avec le Sauveur : « J'ai à être baptisé d'un baptême (1). » O mon Sauveur! ce baptême, dont vous deviez être baptisé, était le baptême de votre sang, où vous deviez être plongé pour nos péchés dans votre douloureuse passion; et vous ajoutiez : « Ah ! combien me sens-je pressé jusqu'à ce qu'il s'accomplisse?» Pécheur que je suis, j'ai aussi à être baptisé dans le baptême de la pénitence, qui est un baptême de larmes et en quelque sorte un baptême de sang, s'il est vrai, comme dit un Père, que les larmes qu'on y doit répandre soient une espèce de sang; et encore un baptême de sang, parce que c'est un baptême d'une véritable et parfaite mortification. Ah! que je me sens pressé à porter les saintes rigueurs de ce baptême laborieux, pour y être entièrement renouvelé! O mon Sauveur, appliquez-moi ces saintes rigueurs du baptême de la pénitence : inspirez à vos ministres, qui sont mes pères, une sainte inflexibilité pour m'imposer les peines que j'ai méritées. Je reçois en esprit de pénitence les maux que vous m'envoyez, les pertes, les afflictions de corps et d'esprit. les maladies : dans ce temps rempli de misères, loin de murmurer je baisse la tête sous vos fléaux : mais comme vous me faites ressentir la grâce et la bénédiction particulière qu'il y a à vous obéir en la personne de vos ministres, lorsque vous me liez par leur autorité qui est la vôtre, inspirez-moi une parfaite docilité et à eux en même temps une discrète et paternelle, mais aussi une sévère et sainte rigueur, afin qu'ils me donnent une pénitence digne de ce nom et convenable à mes péchés; et que lié par leur ordre, dans lequel je reçois le vôtre, en portant ces peines salutaires, je puisse espérer de revenir par ce moyen à la parfaite nouveauté de vie et à l'intégrité de mon baptême.

O mon Sauveur, je le dis encore une fois en union avec vous : J'ai à être baptisé d'un baptême, du baptême laborieux de la pénitence. Ah! que mon âme est pressée! Qu'elle souffre, qu'elle

 

1 Luc., XII, 50.

 

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est dans l'angoisse, jusqu'à ce qu'il s'accomplisse ! Tout à l'heure, et sans plus tarder, j'irai au tribunal de la pénitence avec un esprit chrétien, c'est-à-dire avec un esprit soumis au rigoureux jugement que l'Eglise daignera exercer sur moi en votre nom.

 

IIe POINT. Raisons des rigueurs de l'Eglise.

 

Première raison tirée de la justice divine.

 

Le même concile de Trente nous explique excellemment les raisons de cette rigueur, dont la première se tire de la justice divine en cette manière : « Et certainement, dit ce saint concile, il paraît que l'ordre de la justice de Dieu exige de lui qu'il reçoive d'une autre manière en sa grâce ceux qui auront péché dans leur ignorance avant le baptême ( avant que d'avoir connu et goûté Dieu ), que ceux qui, après avoir été une fois délivrés de la servitude du péché et du démon et avoir reçu le don du Saint-Esprit, n'ont pas craint de violer avec connaissance et de propos délibéré le temple de Dieu, et d'attrister son Saint-Esprit (1). »

Le saint concile nous propose en abrégé toutes les raisons qui aggravent le crime de ceux qui ont péché depuis le baptême. Elles sont tirées de saint Paul (2), qui nous apprend que ceux qui pèchent de cette sorte, « attristent le Saint-Esprit dont ils ont reçu le sceau » par le baptême, pour conserver l'esprit de grâce « et de rédemption. » Qu'est-ce qu'attrister le Saint-Esprit, si ce n'est le chasser d'une aine dont il avait pris possession en mettant son sceau dessus, et en disant : Elle est à moi ; c'est mon bien. Mais celui qui pèche après le baptême viole ce sceau sacré, le rompt en lui-même, et en disant au Saint-Esprit : Je ne veux plus être à vous; il lui fait un outrage capable d'affliger cet Esprit, s'il n'était d'une nature inaltérable.

C'est ce que le même saint Paul exprime en disant « qu'on fait outrage à l'esprit de la grâce (3); » car par la grâce de la rémission des péchés «on avait été fait participant du Saint-Esprit (4); » et par

 

1 Sess. XIV, cap. VIII. — 2 Ephes., IV, 30. — 3 Hebr., X, 29. — 4 Hebr., VI, 4.

 

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le péché on repousse outrageusement cet Esprit de grâce et de bonté qui avait effacé nos crimes.

Les pécheurs qui ont violé leur baptême, passent plus avant selon le même saint Paul ; ils crucifient de nouveau et foulent aux pieds le Fils de Dieu (1) ; ils profanent le sang de son Nouveau Testament, par lequel ils ont été sanctifiés, et tournent ses souffrances en dérision, comme ont fait les Juifs. Mais les Juifs ne le connaissaient pas; et « s'ils l'avoient connu, jamais ils n'auraient crucifié le Seigneur de gloire (2). » Et nous qui le connaissons, qui avons reçu le baptême en son nom, mais qui après en avoir perdu la grâce, l'avons recouvrée par la pénitence, et qui avons reçu tant de fois son sacré corps ; nous avons violé tous les sacrements, le baptême, la pénitence, l'Eucharistie : et nous avons traité notre Sauveur et notre Dieu, le sachant et le connaissant, avec plus d'indignité que ceux qui ne le connaissaient pas. Quelle augmentation de supplices nous sommes-nous attirée par notre ingratitude !

Telles sont donc les raisons qui aggravent le péché de ceux qui ont manqué à la grâce, et l'ont volontairement perdue : voilà ce qui les rend si redevables à la justice de Dieu. D'où le concile conclut (3), « que l'Eglise a toujours cru qu'il n'y avait point une voie plus sûre pour détourner le coup de la main de Dieu, et les maux qui sont prêts à fondre sur nous, que de subir humblement et nous rendre familières ces œuvres de pénitence avec une sincère douleur. »

 

PRIÈRES,  AFFECTIONS  ET  RESOLUTIONS.

 

Je me soumets donc, mon Sauveur, à ces œuvres de pénitence que votre Eglise veut qu'on m'impose en réparation de l'outrage que j'ai fait à votre grâce : je souhaite de les subir avec un cœur percé de douleur. Mon Sauveur, je le reconnais, il n'est pas juste que vous me receviez comme ceux qui vous offensent dans leur ignorance : je confesse la vérité qu'a annoncée le Prince des apôtres : « Il vaudrait mieux n'avoir point connu la voie de la justice que de retourner en arrière après l'avoir connue (4). » Votre

 

1 Hebr., X, 29. — 2 I Cor., II, 8. — 3 Sess. XIV, cap. VIII. — 4 II Petr., II, 21.

 

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Prophète a dit aussi à Jérusalem qui vous connaissait : « Sodome et Samarie, tes sœurs, sont justifiées, à comparaison de tes abominations ; tu les a surmontées par tes crimes '. » Faites-moi donc entrer, ô Seigneur, dans les rigoureuses règles de votre justice, qui multiplie les châtiments à proportion de la connaissance qu'on a de la vérité. Faites-moi entrer dans votre sainte jalousie, qui vous fait punir l'épouse infidèle plus que celle que vous n'avez jamais admise à votre lit nuptial. O Seigneur, je reconnais mon péché : ma honte et ma confusion sont sur moi. Armez contre moi le zèle de votre Eglise ; que vos ministres entrent avec vous dans cet esprit de jalousie contre les âmes qui vous ont quitté et se sont prostituées à votre ennemi. De quelle pénitence ne suis-je pas digne? O Seigneur, je veux tout subir, et prendre contre moi-même le parti de votre justice, afin de la fléchir par ma soumission. Mais je ne puis rien sans vous; vous qui m'avez mis dans le cœur ces saintes pensées, donnez-moi la force de les accomplir.

 

IIIe POINT. Seconde raison de la rigueur de l'Eglise.

 

La miséricorde de Dieu.

 

S'il est digne de la justice de Dieu de recevoir autrement ceux qui l'ont offensé après le baptême ( ajoutons après la pénitence et après la communion ) que ceux qui n'avoient point encore reçu de pareilles grâces : « Il est digne de sa clémence, poursuit le même concile, de ne remettre pas les péchés sans satisfaction, de peur que les croyant trop légers, nous ne tombions dans de plus grandes fautes, et ne fassions de nouveaux outrages au Saint-Esprit, nous amassant un trésor de colère pour le jour de la vengeance, par notre endurcissement et notre impénitence (2). »

Ce n'est donc pas seulement par un effet de sa justice, mais c est encore par un effet de sa miséricorde, que Dieu veut qu'on soit rigoureux aux pécheurs, parce qu'ajoute le même concile : « Il n'y a point de doute que ces peines satisfactoires ne nous retirent du péché; qu'elles ne nous soient comme un frein, et ne

 

1 Ezech., XVI, 48. — 2 Sess. XIV, cap. VIII.

 

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nous rendent à l'avenir plus attentifs sur nous-mêmes. Elles remédient aussi, dit le saint concile, aux restes des péchés, et ôtent les mauvaises habitudes que nous avons contractées par une mauvaise vie, en nous faisant pratiquer les vertus contraires. »

 

PRIÈRES,  AFFECTIONS  ET  RÉSOLUTIONS.

 

O  Seigneur, les saintes rigueurs que vous inspirez à votre Eglise contre les pécheurs pénitents, ne sont donc pas seulement un effet de votre justice, mais encore un exercice de votre miséricorde paternelle. O sage et bon médecin! c'est un régime que vous prescrivez à vos malades pour achever leur guérison et déraciner tous les principes du mal. C'est une sage et miséricordieuse précaution que vous prenez contre nos faiblesses, pour exciter notre vigilance dans les occasions qui nous font tomber. Appliquez-moi donc, ô Sauveur, par un conseil de miséricorde, les salutaires rigueurs de votre Eglise. Qu'on fasse durer longtemps le souvenir de mon péché; qu'on le rende horrible à nies yeux en m'imposant des œuvres vraiment pénales, qui mortifient ma chair, qui la crucifient, qui humilient mon esprit, qui m'impriment la crainte de la rechute, et ne me permettent pas de me relâcher dans l'exercice de la pénitence. O rigueur, que vous êtes douce ! O peines, qui êtes un frein à la licence et aux emporte-mens, que vous êtes aimables! O saintes précautions qu'on me fait prendre contre moi-même, je vous embrasse de tout mon cœur, et j'adore la miséricorde qui me les impose !

 

IVe POINT. Troisième raison des rigueurs de l'Eglise.

 

La conformité avec Jésus-Christ.

 

« Il faut encore considérer, poursuit le concile, qu'en souffrant et satisfaisant pour nos péchés, nous sommes rendus semblables à Jésus-Christ, qui a satisfait pour nos crimes, et de qui vient toute notre force et tout le pouvoir qui nous rend capables du bien (1) : ce qui nous est un gage certain qu'ayant part à ses souffrances,

 

1  II Cor., III, 5.

 

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nous aurons part à sa gloire. Mais il ne faut pas penser que cette satisfaction que nous faisons à Dieu pour nos pochés, soit tellement nôtre, qu'elle ne soit point par Jésus-Christ, puisque nous qui ne pouvons rien de nous-mêmes, comme de nous-mêmes, pouvons tout avec la coopération de celui qui nous fortifie (1). Ainsi l'homme n'a pas de quoi se glorifier (2); mais toute notre gloire est en Jésus-Christ, en qui nous vivons, en qui nous méritons, en qui nous satisfaisons, faisant de dignes fruits de pénitence, qui tirent leur force de lui, qui sont offerts par lui-même à son Père, et en lui sont acceptés par son Père (3). »

 

PRIÈRES, AFFECTIONS  ET RÉSOLUTIONS.

 

Je crois, mon Dieu, la sainte doctrine que votre Eglise catholique a si bien expliquée par ces paroles : j'adore la vérité que vous y avez imprimée, et je reconnais qu'elle vient uniquement de vous. Que votre Eglise est sainte! Que sa foi est pure! Que l'Esprit qui la conduit est véritable !

Je crois donc , ô mon Dieu, avant toutes choses, que je suis obligea m'unir aux satisfactions de Jésus-Christ, en les imitant selon mafaiblesse. A Dieu ne plaise que je croie qu'une indigne et criminelle créature puisse satisfaire comme lui. Il a satisfait comme un Dieu, et je satisfais comme un pécheur. Il a satisfait pleinement et infiniment, et moi je satisfais, comme je puis, en vous offrant mon néant, qui n'a aucune valeur que celle que lui donnent le sang, les souffrances, la satisfaction et le sacrifice infiniment digne de votre Fils. Recevez donc de ce Fils, qui est votre égal, la juste satisfaction qui vous est due : et recevez d'un vil esclave le peu qu'il fait, qu'encore il ne fait point de lui-même, et qu'il ne peut espérer que vous acceptiez, qu'à cause qu'il est uni à ce que fait votre Fils unique, mon Sauveur, mon Médiateur, mon sacrificateur, et ma victime tout ensemble.

Faites-moi donc, ô mon Dieu, faites-moi trouver dans la pénitence, non pas de la complaisance, de la flatterie, des peines légères; mais puisqu'il faut ici me rendre conforme à la passion de Jésus-Christ, faites-moi trouver une croix, des clous qui me

 

1 Philipp., IV, 13.— 2 I Cor., I, 29. — 3 Conc. Trid., sess. XIV, cap. VIII.

 

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percent, une flagellation qui me déchire, du vinaigre, du fiel dont l’amertume me dégoûte des pernicieuses douceurs que j'ai trop goûtées en suivant ma volonté, en flattant mes sens, en me plaisant en moi-même. Mon Sauveur, je tends le dos aux flagellations, je présente mon visage aux crachats; qu'on me reprenne avec force, qu'on me confonde ; plongez-moi par la pénitence dans votre passion et dans vos douleurs.

 

Ve POINT. On en revient aux saintes rigueurs de la justice divine.

 

Le saint concile de Trente, après avoir exposé des vérités si solides et si touchantes, conclut en cette manière : « Il faut donc que les prêtres du Seigneur, autant que le Saint-Esprit et la prudence le suggéreront, imposent des pénitences salutaires et convenables, selon la qualité des crimes et le pouvoir des pénitents : de peur que, s'ils connivent aux péchés, et traitent leurs pénitents avec trop d'indulgence, en leur imposant, pour de très-griefs péchés , des peines et des œuvres très-légères, ils ne participent aux péchés d'autrui et ne s'en rendent complices. Qu'ils aient donc devant les yeux la nécessité d'imposer une satisfaction qui ne serve pas seulement de précaution contre les péchés à venir et de remède à la faiblesse, mais encore de vengeance et de châtiment aux péchés passés, puisque les anciens Pères croient et enseignent que les clefs qui sont mises entre les mains des ministres de Jésus-Christ, ne leur sont pas seulement données pour absoudre , mais encore pour lier (1) ; » et on ne doit pas penser pour cela que le sacrement de pénitence soit un tribunal de colère ou de peine : ce que le concile ajoute, parce qu'on a vu selon sa doctrine précédente, que ces peines que l'on subit avec une humble et sincère obéissance, sont au fond un trésor de grâce et un gage de la divine miséricorde.

Le concile de Trente ajoute encore : « Que Dieu par un témoignage admirable de son amour, veut que nous puissions le satisfaire par Jésus-Christ, non-seulement par les peines que l'on

 

1 Conc. Trid., sess. XIV, cap. VIII.

 

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s'impose à soi-même et par celles que les prêtres nous ordonnent selon la mesure de nos péchés, mais encore par les fléaux temporels que sa justice nous envoie (1) : » ce qui est pour les pécheurs pénitents un dernier trait de miséricorde, puisqu'il change les supplices en remèdes.

 

PRIÈRES, AFFECTIONS  ET  RÉSOLUTIONS.

 

Malheur à moi, mon Dieu, si je cherche dans le sacrement de pénitence un flatteur et un complice plutôt qu'un juge! O mon Dieu, inspirez des paroles fortes à vos ministres, afin de confondre mon orgueil : inspirez-leur une sainte et invincible rigueur, de peur qu'ils ne connivent à mon péché : donnez-leur le zèle d'Elie, celui de saint Jean-Baptiste, celui de Jésus-Christ même; qu'ils aient à sou exemple, le fouet à la main pour chasser tout ce qui profane la maison de Dieu, qui est mon âme et mon corps même. Mon Sauveur, si Tyr et Sidon avoient su ce que nous savons, elles auraient fait pénitence dans le sac et dans la cendre (2). Mais aussi avez-vous dit que Tyr et Sidon seront traitées plus doucement que nous au jugement. Et vous n'avez pas seulement prononcé cette sentence contre les villes qui vous ont vu en personne ; vous avez dit à vos disciples : « Qui vous reçoit, me reçoit; qui vous méprise, me méprise. Si l'on ne vous reçoit pas dans une ville, allez dans une autre; mais je vous le dis en vérité, le traitement que recevront Sodome et Gomorrhe, dans le jugement de Dieu, sera plus supportable que celui de cette ville (3). » Qu'y a-t-il là à répondre? Rien, mon Dieu; je suis confondu : il faut se taire. Et comme disait Esdras : « Seigneur, vous êtes juste : nous sommes devant vous dans notre péché, et il n'y a pas moyen de soutenir votre face (4) »

Mais, ô Seigneur, soyez loué à jamais de la manière dont vous nous aidez à vous satisfaire. O Dieu! nous n'avons pas le courage de nous imposer à nous-mêmes des austérités; au contraire le peu d'abstinences et le peu de jeûnes que votre Eglise nous ordonne nous est à charge, et nous ne cessons de nous en plaindre; nous

 

1 Sess. XIV, cap. 9. —  2 Matth., XI, 21, 22. — 3 Matth., X, 14, 15. — 4I Esdr., IX, 15.

 

 

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transgressons ses observances, et nous ne marchons point dans ses préceptes. Nos confesseurs nous trouvent si lâches, qu'ils craignent de nous accabler par les moindres pénitences; mais vous, Seigneur, qui avez pitié de notre faiblesse, vous nous envoyez des peines plus proportionnées à votre justice. Vous avez multiplié vos fléaux d'une manière terrible. La guerre vient contre nous avec toutes ses suites funestes (a) : nous n'avons jamais vu tant d'ennemis aussi acharnés à notre perte : vous nous soutenez toutefois de votre bras tout-puissant ; mais cependant le sang coule comme l'eau autour de Jérusalem : nos familles sont désolées : le nombre de nos païens et de nos amis diminue tous les jours : et celui des morts qui nous étaient chers, s'accroît sans mesure. Nous avons vu la famine : ô Dieu ! avec quelle horreur nous apparut-elle il y a quelques années. La mortalité est venue à sa suite : nos villes et nos campagnes pleurent la perte de leurs habitants : la rareté nous en étonne : combien de villages sont ravagés , et en combien de manières la diminution du peuple se fait-elle sentir! Vous êtes juste, Seigneur! Les prospérités aveuglent les hommes, et vous leur ouvrez les yeux par vos fléaux et par tant de coups redoublés. Mais que ces peines qui nous font pousser vers le ciel de si grandes plaintes, sont douces en comparaison de celles que vous réservez dans vos trésors ! Vous nous épargnez, Seigneur, et vous ne déployez pas toutes vos vengeances. Car aussi qui les pourrait supporter? Adoucissez encore vos justes rigueurs : donnez-nous la paix tant  désirée, que vous  seul pouvez nous donner. Mais puisque la saine doctrine vient de nous apprendre qu'il n'y a point de plus sur moyen de détourner vos coups que de subir les peines de la pénitence, faites-nous pratiquer cet admirable moyen de vous apaiser : faites-nous d'humbles, de véritables, de courageux pénitents, qui sachent s'irriter implacablement contre eux-mêmes et ne se rien pardonner, afin que vous leur pardonniez.

 

(a) Au lieu de la guerre dont Dieu affligeait son peuple lorsque M. Bossuet écrivait ces Méditations, comme elle a cessé, les chrétiens doivent s'occuper devant Dieu d'autres fléaux qu'il leur envoie pour les punir de leurs péchés et les exciter à la pénitence, par exemple la peste, les maladies, etc. (Note de l'édit. de 1741.)

 

 

SECONDE MÉDITATION. L'INDULGENCE DE L'ÉGLISE.

 

PREMIER POINT. On peut suppléer aux rigueurs de la pénitence par sa ferveur et par un amour ardent.

 

Il pourrait sembler qu'après ces sévères et saintes maximes que le concile de Trente a tirées de l'Ecriture et de la plus pure antiquité, il n'y a plus de lieu à l'indulgence : mais le contraire paraît par des exemples admirables, et premièrement par ceux du Sauveur.

 

PREMIÈRE CONSIDÉRATION.

 

Indulgence de Jésus, et premièrement envers celle qui oignit ses pieds.

 

Parabole de Notre-Seigneur, en saint Luc, chap. VII, 41, 17.

 

Considérez à ses pieds la sainte pécheresse, et voyez comme elle y reçoit en un instant une entière rémission de ses péchés : c'est que sa ferveur et un amour ardent lui avait fait souffrir tout d'un coup dans le cœur tout le martyre de la pénitence : vous le voyez par ses pleurs et par ses regrets, par la honte où elle s'expose et par la bassesse de ses humbles prosternements. — Jésus lui « remet beaucoup parce qu'elle a beaucoup aimé : » et il nous assure en même temps que recevant beaucoup par un grand amour, elle apprenait à aimer encore plus. « De deux débiteurs, demande Jésus, lequel est-ce qui aime le plus? Celui à qui on remet cinq cents deniers, ou celui à qui on en remet cinquante?» Celui à qui on remet une plus grande dette, ou celui à qui on en remet une moindre? On lui répond : « C'est celui à qui on donne le plus : » et Jésus dit : « Vous avez bien jugé. » Ainsi cette pécheresse aimait d'autant plus, qu'elle attendait une plus grande grâce ; et après

 

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l'avoir reçue, elle redoubla son amour. C'est là le vrai caractère et le propre effet de l'indulgence, à proportion qu'elle est grande, de préparer le cœur à la recevoir avec un plus grand amour , et d'être suivie encore d'un plus grand amour, après que la grâce est accordée. Jésus-Christ confirme l'un et l'autre : Beaucoup de pèches lui sont remis, parce qu'elle a beaucoup aimé: voilà un grand amour, qui précède la grâce du pardon : Celui à qui on donne le plus, aime le plus : voilà un plus grand amour, qui suit une plus grande rémission et une grâce plus abondante.

 

PRIÈRES,  AFFECTIONS ET RÉSOLUTIONS.

 

Sur la première partie de la parabole.

 

Mon Sauveur, permettez-moi d'écouter encore une fois à vos pieds, avec la sainte pécheresse, l'instruction admirable que vous y donnez à Simon le pharisien pour la consolation de vos serviteurs.

Simon, j'ai une chose à vous dire. — Maître, dites. — « Un créancier avait deux débiteurs; l'un lui devait cinq cents deniers, et l'autre cinquante ; comme ils n'avoient pas de quoi le payer, il leur quitta la dette à tous deux (1). »

Je m'arrête à cette parole, pour considérer premièrement que l'un devait cinq cents deniers et l'autre cinquante : l'un devait beaucoup, et l'autre peu; mais cependant ils étaient tous deux également insolvables. Ainsi était tout le genre humain. Il y a de plus grands pécheurs les uns que les autres : les uns doivent moins, les autres plus. Ceux qui doivent moins, sont ceux qui pèchent dans leur ignorance, sans connaître Dieu : ils ont péché en Adam, et leurs péchés se sont accrus à mesure que la convoitise dont ils avoient apporté le fond en naissant s'est déclarée : ils périssent dans leur péché, et ils sont entièrement insolvables. Tels sont les Gentils, les Juifs et tous les infidèles : les uns plus, les autres moins, selon les degrés de lumière qu'ils ont reçus; mais tous sont dans l'ignorance, parce qu'ils n'ont pas connu le Père céleste, ni Jésus-Christ qu'il a envoyé. Lorsque vous les appelez,

 

1 Luc., VII, 41.

 

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mon Sauveur, à la grâce du saint baptême, vous leur quittez tout ce qu'ils doivent : mais il y a de bien plus grands débiteurs, et ce sont ceux qui ont reçu de plus grandes grâces. Ceux qui ont été baptisés et illuminés, comme parle saint Paul (1), qui ont cru en l'Evangile , qui ont recule Saint-Esprit, qui ont été lavés plusieurs fois dans le sacrement de pénitence, qui ont goûté le don céleste et les délices de votre table sacrée, et après cela ont péché et multiplié leurs iniquités par-dessus leur tête : ceux-ci doivent cinq cents deniers, au lieu que les autres n'en doivent que cinquante : cependant, ô Seigneur, et grands et petits pécheurs, s'il y en a de petits, si l'on peut parler de cette sorte, nous sommes tous insolvables ; et si vous ne nous quittez tous, nous périssons tous également.

 

II. Sur la seconde partie de la parabole.

 

Passons outre dans la lecture de cet évangile : « Comme ils n'avoient point de quoi payer, il leur remit la dette à tous deux : lequel des d eux l'aime le plus? C'est celui à qui on remet davantage (2). » O mon Dieu, je suis du nombre des grands débiteurs , moi qui ai reçu tant de grâces et qui suis coupable de tant de péchés ! Il faut donc que je vous aime davantage. Plus vous exercez envers moi vos miséricordes, plus il faut que je vous donne mon cœur : et dans une indulgence plénière, si je n'ai pour ainsi parler un amour plénier, je ne réponds pas aux desseins de votre bonté.

 

III. Application de la parabole.

 

Mon Sauveur, je n'attendrai pas à vous aimer que j'aie reçu la grâce et l'indulgence. L'attente de vos bontés m'attendrit le cœur. Tout le monde est étonné de cette admirable facilité avec laquelle vous vous laissez approcher d'une pécheresse. Elle touche vos pieds sacrés : elle pleure dessus aussi longtemps qu'il lui plaît; elle les oint de ses parfums : elle les essuie de ses cheveux : elle

 

1 Hebr., VI, 4-6. — 2 Luc. VII, 42, 43.

 

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les baise tant qu'elle veut : « Elle n'a cessé, dites-vous, de baiser mes pieds (1). » Le pharisien en murmure, et toute la compagnie en est surprise. Mais personne n'en est plus surpris qu'elle. Votre bonté, vos facilités, lui percent le cœur : elle fond en larmes : elle n'a pas la force de prononcer une parole : ses larmes, ses cheveux épars, ses parfums répandus, ses humbles et tendres baisers parlent assez : plus son amour est vif, plus ses regrets sont amers; car qui ne sait que plus on vous aime, plus on regrette de vous avoir offensé? Si l'indulgence augmente l'amour, elle augmente par conséquent la douleur. Ne parlons plus à cette sainte pécheresse des rigueurs et du martyre de la pénitence, son amour et sa douleur lui font tout sentir : elle souffre plus dans le cœur, que les plus austères pénitents.

 

IV. L'amour pénitent comprend toutes les peines satisfactoires.

 

Donnez-moi, mon Sauveur, comme à cette sainte pécheresse, un cœur pénétré d'amour à la vue de votre indulgence : je ramasserai avec elle en un instant toute l'action de la pénitence : la confusion, la confiance, la réparation du mal, celle du scandale. Pénitents des premiers siècles, vous fondiez en larmes à l'entrée de l'église ; notre pécheresse fond en larmes aux pieds de Jésus. Vous baisiez les pieds des fidèles, elle baise ceux du Sauveur ; et ce sont les pieds que les pénitents cherchent encore dans ceux de leurs frères. Pénitents des siècles passés, vous quittiez toutes les marques de la vanité; voilà notre pécheresse qui répand tous ses parfums. Vous paraissiez les cheveux épars, négligés, couverts de cendre et de poussière; notre pécheresse n'estime les siens qu'à cause qu'elle en essuie les pieds du Sauveur, et les lui consacre. Heureuse l'indulgence, si elle produit tout son effet! elle augmentera l'amour de Dieu; car celui à qui on remet plus, doit plus aimer : si elle augmente l'amour de Dieu, elle augmente la douleur de l'avoir offensé. Ah! que cette douleur est douce, puisque c'est l'amour qui l'excite! Mais cependant, qu'elle est vive,

 

1 Luc., VII, 45.

 

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qu'elle est pénétrante, qu'elle est déchirante et perçante, si l'amour qui la fait naître est véritable! Mon Sauveur, que je coure donc à l'indulgence : mon extrême misère a besoin de la plus grande; mais que j'y coure comme à un moyen d'augmenter en mon cœur votre saint amour, et par mon amour la douleur d'avoir péché contre le ciel et contre vous.

 

IIe POINT. Autres exemples de l'indulgence du Sauveur.

 

PREMIÈRE CONSIDÉRATION. Le Paralytique.

 

Je vois ce paralytique que quatre hommes portent à peine sur son grabat : ils ne savaient par où aborder Jésus qu'un grand peuple environnait. On ne pouvait entrer dans la maison où il s'était retiré : on découvre le toit, et on descend ce pauvre impotent avec des cordes aux pieds de Jésus. « Et Jésus voyant leur foi, dit au paralytique : Mon fils, prenez confiance : vos péchés vous sont remis (1). » Il ne lui impose point de pénitence, content de la foi avec laquelle il se fait porter à ses pieds.

 

IIe CONSIDÉRATION. La femme adultère.

 

Jésus n'est pas moins indulgent envers la femme adultère. « Femme, personne ne vous a condamnée? Personne, Seigneur : je ne vous condamnerai pas non plus : allez, et ne péchez plus (2). » Il venait de la délivrer du dernier supplice (car on l'allait lapider) ; combien fut-elle touchée de cette grâce! Sa pénitence fut faite en un moment. La douceur de Jésus-Christ lui inspira plus de confusion et de douleur que n'auraient fait les plus rigoureuses corrections , les plus longs jeûnes et les plus insupportables austérités. On ne passe point d'une si grande frayeur à une si grande paix, sans une extrême reconnaissance.

 

1 Matth., IX, 2 ; Marc., II, 3 ; Luc., V, 18. — 2 Joan., VIII, 10, 11.

 

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IIIe  CONSIDÉRATION. Saint Pierre.

 

Mais que dirons-nous de saint Pierre après qu'il eut renié trois fois? « Jésus se retournant de son côté le regarda (1). » Quelle force dans ce regard? Combien renfermait-il de doux reproches de Jésus ! Combien était-il puissant pour émouvoir son faible et infidèle disciple ? Pierre aussi « se ressouvint de la prédiction de Jésus; et se retirant, il pleura amèrement. » Nous voyons ici deux effets de sa pénitence : le premier est de se retirer de la maison qui lui avait été une occasion de péché ; il ne dit plus comme auparavant à Notre-Seigneur : « Pourquoi dites-vous que je ne puis pas vous suivre? J'exposerai ma vie pour vous (2). » Il confesse sa faiblesse en se retirant de l'occasion du mal. C'est par où il faut commencer, et c'est le premier effet de la pénitence : et le second, c'est « que s'étant retiré, il pleura amèrement. » Admirons la douceur de Jésus après sa résurrection; il reproche à Pierre aussi bien qu'aux autres son incrédulité : mais il ne lui reproche plus ses reniements. C'était assez qu'il eût pleuré, qu'il eût été attendri au seul regard de Jésus : ce bon Sauveur a oublié sa faute.

 

IVe CONSIDÉRATION. Réflexions des saints Pères sur les exemples précédents.

 

Je ne sais s'il est permis de penser que Jésus-Christ ait usé de quelque réserve dans les rémissions qu'on vient de voir. Je ne puis croire que l'indulgence sortie de la propre bouche de ce grand Pontife, de ce Pontife tout-puissant dont le sacerdoce est éternel et incomparable, qui ne succède à personne, à qui personne ne succède; de ce Pontife miséricordieux et compatissant : je ne puis croire, encore un coup, que son indulgence ait pu n'avoir pas été très-parfaite et sans aucune réserve de peine. Néanmoins ce Pontife tout-puissant a pu faire ce qu'il a voulu ; et quoi qu'il en soit, je ne doute point que ceux à qui il a pardonné, sans leur imposer

1 Luc., XXII, 61, 62. — 2 Joan., XIII, 37.

 

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aucune peine, n'aient été dans la suite d'autant plus rigoureux envers eux-mêmes pour mortifier leur corps et leur esprit, que le Sauveur les aura épargnés. Mais de quelque manière qu'il faille entendre des indulgences dont l'effet a été si prompt, les saints Pères ne veulent pas qu'on les tire à conséquence. Car Jésus-Christ, disent-ils, est le maître qui peut tout : les règles ordinaires auxquelles il a astreint ses ministres, ne sont pas pour lui. Il voit et met dans les cœurs des dispositions que nul autre que lui, je ne dis pas n'y peut mettre, mais n'y peut voir quand elles y sont. Ce que nous apprennent ces exemples, c'est que Dieu peut tout d'un coup inspirer aux hommes la foi et la charité dans un si haut degré, qu'elle suffirait pour obtenir en un moment la totale rémission et de la coulpe et de la peine. Telle est l'indulgence de Jésus, que nul que lui ne peut donner. Ne laissons pas de recevoir celle qu'il donne par son Eglise, et servons-nous-en pour obtenir de Jésus-Christ du moins un commencement de cette haute disposition de l'amour de Dieu, qui ferait en nous un parfait renouvellement.

 

Ve CONSIDÉRATION. L'indulgence accordée au bon larron.

 

Ne disons rien du bon larron : celui-là est à la croix avec Jésus-Christ, et il satisfait quoiqu'en un moment, lorsqu'il dit au compagnon de son crime et de son supplice, qui ne le fut pas de sa pénitence : « Vous ne craignez pas Dieu, quoique vous vous trouviez condamné au même supplice? Encore pour nous, c'est avec justice, puisque nous souffrons la peine que nous avons méritée ; mais celui-ci n'a rien fait (1). » Il fut absous à l'instant par la bouche de Jésus-Christ, et le paradis lui fut promis dans le même jour. Que Jésus pardonne aisément à ceux qui souffrent avec lui, et qui font un sacrifice volontaire de leurs maux quoique forcés !

 

PRIÈRES, etc. Sur l'exemple du paralytique et de la femme adultère.

 

Qui ne serait touché de cette parole de l'Evangile: «Jésus voyant

 

1 Luc., XXIII, 40, 41.

 

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leur foi » (celle de ceux qui descendirent le paralytique par le toit), il lui dit : « Ave confiance, mon fils, tes péchés te sont remis (1). » Il pardonne au malade : mais il est expressément marqué que c'est à la considération, non-seulement de sa foi, mais encore de celle des autres.

A quelque prix que ce soit, ô mon Sauveur, je veux vous aborder pour obtenir votre indulgence : si je ne puis entrer par la porte, je me ferai descendre par le toit : je tenterai les voies les plus difficiles : je ne vous aborderai pas seul : j'aurai avec moi des intercesseurs semblables à ceux qui descendirent ce paralytique aux pieds du Sauveur, et dont la foi le toucha.

« Tous les saints, disait David, prieront au temps convenable pour la rémission de mon péché (2). » Prions donc les uns pour les autres ; ce temps convenable est le temps de l'indulgence et de la miséricorde, et c'est alors plus que jamais que les saints prient pour les pécheurs. Ah ! si je ne puis approcher moi-même, je me ferai porter au Sauveur par mes frères et par les saints : peut-être qu'ayant égard à leur foi plutôt qu'à la mienne, il me fera miséricorde.

Si je puis jamais concevoir de quelle mort Jésus retire mon âme infidèle, plus touché de reconnaissance et de la douleur de mon crime que cette femme adultère, j'obtiendrai un prompt pardon par l'excès de ma douleur.

 

II. Sur l'exemple de saint Pierre et du bon larron.

 

Jésus, vous me regardez. Vous me reprochez secrètement que, comme saint Pierre, par un excès de témérité, je me suis jeté dans le péril malgré vos menaces et vos défenses, et malgré le juste sentiment que vous vouliez m'inspirer de ma faiblesse. Je veux toujours croire, en me flattant, que ces entretiens, que ces occasions qui m'ont si souvent été funestes, ne me nuiront pas: je demeure dans ces conversations dangereuses où règnent la corruption, la médisance, le libertinage et l'impiété, et je croirai ne brûler

 

1 Matth., IX, 2; Luc, V, 20. — 2 Psal. XXXI, 6.

 

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pas en me jetant au milieu des flammes ? O mon Sauveur, je fuirai à l'exemple de saint Pierre, quoi qu'il m'en coûte, le dangereux commerce de ceux avec qui je me suis perdu. Je le fuirai avec cet apôtre, et pour éviter les occasions du mal, et pour pleurer seul en liberté mon âme perdue et mon innocence souillée. Puisse ce baptême de larmes être si abondant, que tous mes péchés y soient noyés et que j'y expie la peine, comme j'espère y effacer la coulpe.

Seigneur, vous m'attachez à votre croix par ces pertes de biens, par ces afflictions, par ces maladies : faites dans mon cœur une si vive impression de votre justice, que j'obtienne par une sainte société avec vos souffrances une pleine miséricorde.

 

IIIe  POINT. Indulgence de saint Paul après avoir exercé une juste rigueur.

 

PREMIÈRE CONSIDÉRATION. La rigueur de saint Paul.

 

Un Corinthien avait contracté mariage avec la femme de son père : saint Paul reprend d'une manière terrible l'Eglise de Corinthe, qui avait souffert cet inceste. «Quoi, dit-il, après cela vous êtes encore enflés d'orgueil, au lieu de verser des pleurs, et de retrancher du milieu de vous celui qui a commis un tel crime (1) ! » Il s'en prend à toute l'Eglise de Corinthe : le crime de l'incestueux est devenu le crime commun par la complaisance qu'on a eue pour le coupable. Saint Paul commence donc par faire voir aux Corinthiens la juste rigueur dont on devait avoir usé envers ce pécheur en le retranchant de la communion; et il ajoute cette terrible parole : « Pour moi, quoique absent de corps, mais présent en esprit, j’ai porté ce jugement, comme présent, qui est que, mon esprit liant uni à votre assemblée au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, celui qui a commis ce crime soit par la puissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ livré à Satan pour mortifier sa chair, afin que son âme soit sauvée au jour de Notre-Seigneur Jésus-Christ (2). »

 

1 I Cor., V, 2.— 2 Ibid., 3-5.

 

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Voilà toute la rigueur de l'Eglise, puisqu'on retranche de la communion le membre gâté, et outre cela qu'on lui fait sentir une vengeance telle que pouvait être celle que Satan, à qui on le livre, exercerait sur lui, soit par quelque maladie, selon qu'on voit souvent dans l'Ecriture qu'il y en avait dont le démon était l'auteur, soit par d'autres moyens dont il n'est pas question ici. Voilà donc la double rigueur de l'Eglise : l'excommunication et la peine sensible ; mais néanmoins c'est une rigueur qui tend à miséricorde, puisque la chair n'est affligée qu'afin de sauver l'esprit.

 

IIe CONSIDÉRATION. Douceur et indulgence de l'Eglise de Corinthe et du saint Apôtre.

 

Telle fut la sentence de saint Paul, qu'il prononça, comme il dit lui-même, « le cœur serré et avec beaucoup de larmes (1). » C'est ainsi qu'en doivent user les pasteurs de l'Eglise, lorsqu'ils sont contraints par la charité à se servir du pouvoir que Jésus-Christ leur a mis en main pour humilier les pécheurs superbes. A cette sentence apostolique , l'incestueux conçut un tel regret de son crime et fut tellement outré de douleur, qu'on craignit qu'il ne tombât dans le désespoir. Ainsi l'Eglise de Corinthe adoucit la peine de ce pénitent : non-seulement elle en abrégea le temps, mais encore elle en diminua le poids : et pour ne point manquer envers l'Apôtre qui avait condamné le crime et imposé la pénitence, on le pria d'approuver l'indulgence dont l'Eglise avait usé. Et le saint Apôtre attendri : « C'est assez, dit-il , que le coupable ait subi la correction qui lui a été faite par plusieurs (2) ; » c'est-à-dire par la multitude et par l'Eglise assemble. Après donc avoir ainsi ratifié l'indulgence que les pasteurs de l'Eglise avoient accordée devant tout le peuple , selon la coutume de ce temps, il ajoute : « Loin d'improuver le pardon que vous avez accordé au coupable, je souhaite au contraire que vous le traitiez de plus en plus avec indulgence et que vous le consoliez, de peur qu'il ne soit accablé par un excès de tristesse (3). » Tel est le pardon apostolique : voilà ceux qui sont jugés dignes par saint Paul de l'indulgence de l'Eglise. Ce sont

 

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ceux qu'on voit tellement pressés des douleurs de la pénitence, qu'il est à craindre qu'ils n'y succombent : et c'est pourquoi saint Paul n'use plus envers ce pécheur d'aucun reproche : il n'a plus que des paroles de consolation, de charité, de douceur : « Ce que vous avez accordé, dit-il, je l'accorde aussi; et si j'use moi-même d'indulgence, c'est à cause de vous en la personne de Jésus-Christ, afin que Satan ne nous trompe pas et n'emporte rien sur nous : car nous n'ignorons pas ses pensées, et nous savons qu'il se prévaut de tout (1). »

 

PRIÈRES, etc.

 

On demande à Dieu la douleur qui porta l'apôtre saint Paul à accorder l'indulgence à l'incestueux de Corinthe.

 

Qui ramènera ces heureux temps où les pécheurs qu'on mettait en pénitence, au premier avertissement des pasteurs étaient tellement plongés et comme abîmés dans la tristesse , que l'Eglise craignant pour eux, était obligée aussitôt à se relâcher? On n'aurait presque plus besoin d'autre correction, d'autre satisfaction, d'autre pénitence : il n'y aurait plus que de la consolation et du baume pour les pécheurs. Sainte douleur de la pénitence que je cherche il y a longtemps, quand vous trouverai-je ? « Les afflictions et l'angoisse m'ont trouvé, disait David (2). » Pendant que je les fuyais, elles ont bien su me trouver sans que je les cherchasse. Mais il y a une affliction, et c'est celle de la pénitence, que je voudrais bien pouvoir trouver afin de dire : « J'ai trouvé l'affliction et la douleur, et j'ai invoqué le nom du Seigneur (3). » Sainte douleur, quand vous trouverai-je? Quand viendrez-vous m'attendrir le cœur ? Larmes de la pénitence, si souvent recherchées, venez, il est temps : venez me préparer à l'indulgence : si mon péché ne me touche pas, si je suis insensible aux menaces de Dieu et de l'Eglise, que l'indulgence, la bonté, la facilité de Jésus-Christ et de l'Eglise, sa chère épouse, me fende le cœur et que je commence à sentir combien il est horrible et combien il doit être douloureux d'avoir offensé un Dieu si bon.

 

1 II Cor., II, 10, 11. — 2 Psal.  CXVIII, 143 . — 3 Psal., CXIV, 3, 4.

 

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IVe POINT. Indulgence de l'apôtre et évangéliste saint Jean.

 

Elle est célèbre dans l’Histoire ecclésiastique : tout le monde connaît le jeune homme que saint Jean, en revenant de son exil de Pathmos, avait converti et confié à l'évêque qui lui donna le baptême, et ensuite pour le mieux garder, le sceau du Seigneur, c'est-à-dire la confirmation. Ce jeune homme entraîné par les plaisirs et les mauvaises compagnies, se plongea peu à peu dans le désordre, jusqu'à devenir enfin capitaine de voleurs. Le saint apôtre revenu à Ephèse fut assez longtemps sans retourner à la ville où il l'avait laissé ; et y ayant été rappelé pour y régler les affaires de l'Eglise, il les commença par redemander à l'évêque le sacré dépôt qu'il lui avait confié. L'évêque lui répondit en soupirant, que le jeune homme était mort ; et le saint qui savait bien quelle mort les chrétiens déploraient, apprit bientôt que cette mort n'était autre chose que le crime de son disciple. Après en avoir amèrement déploré la perte et l'avoir reprochée au bon évêque , tout cassé qu'il était, car il avait près de cent ans, il se fait mettre sur un cheval, et en cet état il court après sa brebis perdue. Il fut bientôt pris par les compagnons de ce voleur : car c'était ce qu'il voulait, et il les priait avec grande ardeur de le mener à leur chef. Le jeune homme n'eut pas plutôt reconnu saint Jean, que ne pouvant eu soutenir la vue, il prit la fuite ; mais l'apôtre le poursuivait en lui criant : « Mon fils, pourquoi me fuyez-vous ? Votre salut n'est pas désespéré, je rendrai compte pour vous à Dieu ; et s'il faut mourir pour vous comme Jésus-Christ est mort pour nous tous, je donnerai mon âme pour la vôtre ; arrêtez-vous, croyez : Jésus-Christ m'a envoyé à vous. » A ces mots, le farouche jeune homme demeure étonné ; ses yeux étaient attaches à la terre : à l'instant il jeta ses armes et fit de grands cris, versant un torrent de larmes. Puis il embrassa le saint vieillard qui accourait à lui ; et baptisé une seconde fois par les larmes qu'il répandait, il cachait sa main meurtrière : mais l'apôtre la voyant lavée par la pénitence, de tout le sang qu'elle avait répandu, la baisa, et ramena

 

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son disciple à l'église, où ayant demandé pour lui pardon à Dieu et s’étant  affligé avec lui par des jeûnes continuels, il n'eut point de cesse qu'il ne l'eût rétabli dans l'Eglise, avant même que de partir de cette ville : tant les larmes de son pénitent, mêlées avec les siennes, furent efficaces. Ainsi il donna à toute l'Eglise par de belles marques un fameux exemple d'une seconde régénération et de la prompte résurrection d'une aine perdue. C'est ce qu'Eusèbe raconte dans son Histoire ecclésiastique (1), comme tiré du livre de saint Clément d'Alexandrie : Quel est le riche qui se sauve ? où nous le lisons encore au chap. XLII. Telle fut l'indulgence de saint Jean, où il ne faut pas oublier qu'elle fut accompagnée de jeûnes, comme c'a toujours été l'esprit de l'Eglise.

 

PRIÈRES, etc.

 

On demande à Dieu pour les pasteurs de l'Eglise et pour les pécheurs l'esprit de gémissement et de componction.

 

Mon Dieu, donnez-moi ces larmes qui abrègent le temps de la pénitence : inspirez aux pasteurs de votre Eglise cet esprit de gémissement pour les pécheurs, sur qui ils exercent l'autorité que vous leur avez donnée. Nous avons vu un saint Paul prononcer avec larmes la triste sentence du Corinthien incestueux ; les larmes du saint apôtre qui excitèrent celles du pécheur, attirèrent en même temps au pécheur l'indulgence apostolique : il en arriva de même au pénitent de saint Jean. O Seigneur, qui avez inspiré à votre disciple bien-aimé ces larmes paternelles, et le désir de jeûner et de s'affliger avec celui qu'il voulait rétablir dans l'Eglise : renouvelez dans les pasteurs et dans le peuple cet esprit de componction et de larmes, qui prépare si bien les cœurs à l'indulgence.

 

1 Euseb., lib. III, cap. VII.

 

383

 

Ve POINT. Indulgence de l'ancienne Eglise durant les persécutions.

 

PREMIÈRE CONSIDÉRATION. Les Martyrs s'affligent dans leurs prisons de la chute des pécheurs, et intercèdent pour eux envers l'Eglise pour abréger le temps de leur pénitence.

 

Durant les persécutions les martyrs intercédaient pour les pénitents : et on regardait leur intercession comme une espèce de sentence prononcée en leur faveur, pour leur faire rendre la paix et la communion : c'est ce qui paraît dans une lettre de saint Denis d'Alexandrie (1).

On voit dans quelques lettres des martyrs les larmes qu'ils versaient dans leurs prisons pour ceux qui étaient tombés durant la persécution : plus affligés de la chute de leurs frères que de leurs propres souffrances, à la veille d'expirer par la faim, ils ne s'occupaient que du soin de la conversion de ces malheureux. Un des martyrs écrit à un autre : Je vous prie de vous affliger avec moi de la perte de ma sœur, qui est tombée dans ce ravage, pour laquelle je passe en deuil la joie de Pâques et suis nuit et jour à verser des larmes dans la cendre et dans le cilice. Les peines qu'ils enduraient dans leur affreuse prison , ne les empêchaient pas de sentir la joie de la solennité pascale, mais la chute de leurs frères leur en ôtait toute la douceur; et comme si la souffrance de ces victimes de Jésus-Christ n'eût pas été assez violente , ils y ajoutaient avec de continuels gémissements l'humilité de la cendre et l'austérité du cilice. C'est ce qui paraît dans les lettres de Célerin et de Lucien , parmi celles de saint Cyprien (2).

 

IIe CONSIDÉRATION. L'Eglise avait égard à l'intercession des Martyrs, et usait d'indulgence en leur faveur.

 

L'Eglise avait égard aux intercessions des martyrs à l'exemple du Sauveur qui, comme nous avons vu, accorda au paralytique la

 

1 Euseb., Hist. eccles., VI, 4. — 2 Epist. XVI, 20, 21.

 

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rémission de ses péchés en vue, non-seulement de sa foi, mais encore de la foi de ceux qui le portaient à ses pieds : et telle était l'indulgence qu'on accordait si souvent au nom des martyrs.

On résistait néanmoins à ceux qui entreprenaient de communier, sans être auparavant soumis aux lois de la pénitence : les lettres mêmes des martyrs le portaient ainsi, et ils ne promettaient la paix et l'indulgence qu'à ceux dont la cause serait connue par l'évêque, c'est-à-dire après qu'il aurait examiné comment ils s'étaient conduits depuis leur chute (1). Si l'on trouvait que leur zèle se fût ranimé, qu'ils eussent abandonné leurs maisons et leurs biens qu'ils avoient voulu conserver au préjudice de leur foi, et enfin qu'ils se fussent soumis à l'Eglise, on leur pardonnait volontiers à la considération des martyrs.

 

IIIe CONSIDÉRATION. Les Martyrs sont regardés dans l'ancienne Eglise comme ayant part à l'œuvre de la rédemption.

 

C'est dans cette vue qu'Origène n'a pas craint d'écrire « que les martyrs administrent la rémission des péchés : que leur martyre, à l'exemple de celui de Jésus-Christ, est un baptême où les péchés de plusieurs sont expiés ; et que nous pouvons en quelque sorte être rachetés par le sang précieux des martyrs, comme parle sang précieux de Jésus (2).» En quoi il ne fait qu'expliquer les endroits de l'Ecriture, qui associent les saints à l'empire de Jésus-Christ (3), et le passage où saint Paul dit qu'il accomplit ce qui manque à la passion de Jésus-Christ pour l'Eglise qui est son corps (4).

Ce qui est écrit des martyrs se doit entendre de tous les saints, qui tous sont martyrs de la mortification et de la pénitence, et tous aussi sont disposés à donner leur vie pour Jésus-Christ et pour leurs frères, afin d'exercer l'amour dont le même Jésus a dit qu'il n'y en a point de plus grand (5) : ainsi ils sont tous associés aux martyrs; et devenus avec eux des intercesseurs efficaces

 

1 Ap. Cypr. Epist. XVI, 20, 21.— 2 Orig., De exhort. Mart.— 3 Apoc., II, 26, 27, 28, 29. — 4 Coloss., I, 24. —  5 Joan., XV, 13.

 

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pour les pénitents, ils augmentent le trésor des indulgences de l'Eglise.

 

IVe CONSIDÉRATION. C'est le sang de Jésus-Christ qui donne ce prix à l'intercession des Saints.

 

Cette grâce que Dieu fait aux saints est un effet de l'efficace du sang de Jésus-Christ. Ce sang est si puissant et d'un si grand prix, qu'il communique sa valeur, et au sang et aux souffrances des saints qui sont unies avec les siennes. C'est ce qui fait une partie de la communion des saints : il n'y a aucun bien dans un membre du corps de Jésus-Christ, où les autres par sa bonté ne puissent avoir part. Ainsi fléchi par les uns, il s'adoucit envers les autres : c'est une erreur trop grossière de s'imaginer que cette doctrine diminue le prix des satisfactions infinies de Jésus-Christ, puisqu'au contraire elle nous en fait voir les richesses ; et en Dieu une si grande bonté, qu'il a égard non-seulement à l'intercession infinie et toute-puissante du sang de son Fils, mais encore à celle de tous ses membres , à cause de l'union qu'ils ont avec lui : ce qui fait l'accomplissement de cette prière du Sauveur lui-même, lorsqu'il dit : « Je veux, mon Père, que l'amour par lequel vous m'avez aimé, soit en eux , comme je suis moi-même en eux (1) »

 

PRIÈRES,  etc.

 

On demande à Dieu d'être associé aux mérites des saints Martyrs et de tous les Saints, pour obtenir l'indulgence de l'Eglise.

 

Associez-moi, mon Sauveur, aux souffrances de vos martyrs et de tous vos saints ; c'est aux vôtres que je désire d'être associé en m'associant aux leurs, puisque c'est des vôtres qu'en vient l'efficace, la sainteté et le mérite. Mon Sauveur, je reconnais votre plénitude, qui s'étend sur moi et par elle-même, et par les grâces qu'elle répand pour moi sur tous vos membres dans la sainte société que j'ai avec eux.

Quand je m'enrichis, ô Sauveur, des mérites de vos saints, que vous daignez m'appliquer par leurs pieuses intercessions, je

 

1 Joan., XVII, 26.

 

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m'associe à vos trésors et aux richesses immenses de votre sang-, dont votre Eglise me dispense le prix infini par ma pénitence telle quelle, et par sa grande indulgence, qui est la vôtre.

 

VIe POINT. L'indulgence du concile de Nicée et de l'Eglise dans sa paix.

 

PREMIÈRE  CONSIDÉRATION. Deux canons de ce saint concile.

 

La bonté de l'Eglise est si grande, qu'elle a même de l'indulgence pour ceux qui en méritent le moins, pourvu qu'ils commencent de bonne foi leur pénitence. C'est ce qui paraît dans deux canons du concile de Nicée : le canon 11 parle ainsi : « Pour ceux qui sont tombés sans nécessité, sans perte de biens, sans péril ou autre chose semblable, ainsi qu'il est arrivé sous la tyrannie de Licinius; encore qu'ils soient indignes de toute douceur, il a plu néanmoins au saint concile qu'on en usât envers eux. » Cette douceur allait néanmoins à les laisser douze ans en pénitence, à cause de l'énormité de leur chute, en les déchargeant du reste que la rigueur de la discipline exigeait alors ; tant était vive l'impression des saintes rigueurs de l'Eglise où le jugement de Dieu s'exerçait. Mais le canon 12 s'explique plus clairement sur l'indulgence, et il déclare : « Qu'en toutes ces choses qui regardent la pénitence (tant dans le canon 11 que dans celui-ci), pour tous ceux qui auront montré par les effets, c'est-à-dire, comme ils l'expliquent, par la crainte des jugements de Dieu, par leurs larmes, leur patience et leurs bonnes œuvres, que leur conversion est véritable et non pas feinte ; après certains exercices de plusieurs années, qu'il serait trop long d'expliquer, il sera permis à l'évêque d'ordonner pour eux quelque plus grande douceur et humanité. Mais pour ceux qui auront fait pénitence indifféremment , croyant (remarquez ces mots ) que c'est assez d'entrer dans l’Eglise pour être converti, ils achèveront leur temps et on ne leur fera aucune grâce. » Ainsi la douceur et l'humanité, c'est-à-dire l'indulgence selon l'esprit de l'Eglise et de ce grand concile,

 

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est attachée à la ferveur avec laquelle on aura subi les travaux de la pénitence.

 

IIe CONSIDÉRATION. Ce que c'est, selon ce concile, que faire pénitence indifféremment

 

Pesons ces paroles des Pères de Nicée : Ceux qui feront pénitence indifféremment, croyant que c'est assez d'entrer dans l'Eglise pour être converti, achèveront leur temps. Que veulent dire ces Pères par cette pénitence indifférente, sinon une pénitence et des œuvres satisfactoires pratiquées avec mollesse, avec nonchalance, sans componction, sans courage, sans sentiment, sans prendre rien sur soi-même, sans éviter les occasions qui nous induisent au mal : qui rendent la tentation victorieuse de notre faiblesse. Pour sortir de cette funeste indifférence, il faut s'attacher à la prière, au jeune, aux aumônes, aux bonnes œuvres, et travailler sérieusement à l'œuvre de son salut, à la durée permanente de sa conversion : autrement on prend trop indifféremment la pénitence; on est de ces tièdes que Jésus-Christ vomit de sa bouche (1), et l'indulgence n'est pas faite pour de tels états, selon le concile de Nicée.

 

PRIÈRES, etc.

 

On demande à Dieu la ferveur intérieure où l'Eglise nous veut porter par l'indulgence.

 

O Dieu, ôtez de mon cœur cette nonchalance qui me fait prendre la pénitence indifféremment : il faut avoir oublié ses péchés ses obligations, son salut, vos jugements, vos miséricordes, vos grâces, pour faire nonchalamment et avec mollesse et indifférence une action aussi importante que celle de la pénitence.

Mon Sauveur, je tremble à cette terrible menace de vomir les tièdes, c'est-à-dire ceux qui font lâchement votre œuvre. Mais quelle œuvre doit être faite moins lâchement que l'œuvre de la pénitence, où il s'agit de réparer ses lâchetés et ses négligences passées ?

O mon Dieu, dans la pénitence il faut vaincre sa faiblesse et ses

 

1 Apoc., III, 16.

 

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mauvaises habitudes : quelle action demande plus d'effort, plus de violence que celle-là? N'est-ce pas ici l'occasion où le royaume des cieux souffre violence, et doit être enlevé par force, afin que la coutume de mal faire cède, comme dit saint Augustin, à la violence du repentir? Ut violentiœ pœnitendi cedat consuetudo peccandi.

Seigneur, pour éviter cette nonchalance, donnez-nous ce que votre Eglise, dans le concile de Nicée, demandait aux pénitents: la crainte qui nous fait fuir les occasions du péché dans l'appréhension de notre faiblesse et de vos jugements : les larmes qu'un tendre amour et une douleur pénétrante tire des yeux : une patience capable de tout porter et des œuvres qui fassent voir une conversion véritable, sans quoi l'indulgence est une illusion et la conversion est imaginaire.

O Seigneur, que l'indulgence m'excite à aimer, qu'au lieu de me relâcher, elle m'anime : que je ne sois pas de ceux qui croient avoir tout fait, et s'être parfaitement convertis, pourvu qu'ils entrent extérieurement dans l'Eglise, qu'ils fassent leurs stations et qu'ils approchent de la sainte table avec les autres, sans travailler sérieusement à la conversion de leur cœur. Délivrez-moi, Seigneur, de cette écorce trompeuse de dévotion : donnez-moi dans la pénitence une si grande ferveur, qu'elle me rende vraiment digne de l'indulgence : et faites que je profite tellement de l'indulgence , qu'elle excite ma ferveur.

 

VIIe POINT. L'indulgence des siècles suivants, et de l'Eglise d'à présent.

 

PREMIÈRE CONSIDÉRATION. La doctrine du concile de Trente dans le décret rapporté ci-dessus, suffit pour renouveler, dans la pratique de la pénitence et de l'indulgence, l'ancien esprit de l'Eglise.

 

Il ne s'agit pas ici de faire une histoire curieuse des indulgences, ni de marquer tous les degrés par lesquels on s'est relâche de l'ancienne rigueur des canons. Il n'est pas même besoin

 

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d'examiner si ces canons subsistent encore d'une certaine manière et si l'Eglise y a quelque égard dans les indulgences, comme les docteurs le pensent communément. Les indulgences plénières opposées aux indulgences de sept ans, de quatorze ans, de vingt ans, de vingt jours, de quarante jours, de soixante jours, de cent jours, et autres pareilles, semblent faire voir que les canons pénitentiaux ne sont pas entièrement oubliés, puisque l'Eglise y regarde encore dans ces indulgences. Mais en laissant ces questions à l'Ecole et pour ne méditer ici que ce qui sert à l'édification, le concile de Trente suffit pour nous faire voir que l'Eglise conserve le droit et l'intention d'exercer ses saintes rigueurs dans la pénitence; d'y donner des pénitences convenables et proportionnées; des pénitences qui nous rendent conformes à Jésus-Christ crucifié, et satisfaisant pour nous à la justice de son Père; des pénitences qui servent de frein à la licence, et qui soient non-seulement par rapport à nous un remède des habitudes vicieuses, mais encore par rapport à Dieu une vengeance et un châtiment des péchés passés : voilà l'abrégé et le précis des paroles du concile de Trente, que nous avons rapportées de la Sess. XIV, ch. 2 et 8. C'en est assez pour nous faire voir que l'intention de l'Eglise est toujours de conserver l'ancien droit qu'elle a d'exercer sévèrement sur les pénitents la justice que Dieu a remise entre ses mains. Cette doctrine du concile contient en vertu toute l'austérité des anciens canons : l'énormité des péchés que commettent les chrétiens, n'est pas moins grande : leur ingratitude qui outrage le Saint-Esprit qu'ils ont reçu dans le baptême, n'est pas moins horrible : la justice de Dieu n'a pas changé ses règles : la pente des mauvaises habitudes contractées par le péché, n'est pas moins dangereuse, et la licence de pécher n'est pas moins à craindre que dans les premiers siècles. L'Eglise appuie toutes ces raisons dans le concile de Trente, avec une force qui ne cède en rien à celle des Pères : la pénitence n'est un second baptême qu'à ce prix ; et comme dit le concile, s'il n'est accompagné de grands pleurs et de grands travaux, ce ne sera point ce baptême laborieux qui nous ramène à notre première pureté et intégrité. Que si la vigueur de l'ancien esprit du christianisme subsiste dans toute sa

 

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force, on a toujours le même besoin de la clémence et de l'indulgence de l'Eglise.

 

IIe  CONSIDÉRATION. Autres décrets importants du même concile.

 

C'est pourquoi ce même concile entrant dans l'esprit et dans le zèle de l'antiquité, pour conserver les indulgences contre la témérité des hérétiques et déterminer ce qu'il en faut croire, parle ainsi : « La puissance de conférer les indulgences, ayant été donnée à l'Eglise par Jésus-Christ, et la même Eglise ayant usé de cette puissance dès les premiers temps, le saint concile enseigne que l'usage des indulgences très-salutaire au peuple chrétien et approuvé par l'autorité des saints conciles, doit être conservé. Le même concile frappe d'anathème tous ceux qui assurent, ou qu'elles sont inutiles, ou que la puissance de les accorder n'est pas dans l'Eglise. Elle souhaite pourtant qu'on apporte à les accorder la modération qui est établie par la coutume ancienne et approuvée dans l'Eglise, de peur que la discipline ecclésiastique ne soit énervée par une excessive facilité (1). » Le reste de ce décret ne regarde que les évoques et le soin qu'ils doivent prendre de déraciner la superstition, les gains illicites, et les abus qui se pourraient trouver dans la dispensation et l'usage des indulgences : ce qui revient au décret du même concile où il est réglé « que les indulgences et les autres grâces spirituelles dont il n'est pas juste de priver les fidèles de Jésus-Christ, sous prétexte qu'on en abuse, seront publiées, avec les circonspections prescrites dans ce décret : en sorte enfin, conclut le concile, qu'on entende que ces célestes trésors d'Eglise sont dispensés, non pas pour le gain, mais pour la piété (2). »

 

IIIe  CONSIDÉRATION. Remarques sur ces décrets.

 

Tout ressent l'antiquité et la piété dans ces décrets du concile, et l'on ne peut assez admirer la sagesse de l'Eglise, ni la pureté de sa doctrine.

 

1 Contin. Sess. XXV, Decr. de Indulg. — 2 Sess. XXI, cap. IX, De Reform.

 

391

 

On voit premièrement que le saint concile ramène tout aux usages anciens et approuvés dans l'Eglise et dans les conciles : or est-il que l'esprit des anciens conciles, et entre autres du concile de Nicée, est d'accorder l'indulgence à ceux qui récompenseront par la ferveur ce qui sera relâché de l'austérité; par conséquent il paraît que c'est encore aujourd'hui l'intention de l'Eglise que les fidèles entrent dans cet esprit, et qu'ils aiment davantage , lorsqu'on leur remet davantage, selon que Jésus-Christ l'a prononcé de sa bouche.

Secondement le concile souhaite qu'on modère les indulgences, de peur d'énerver la discipline ecclésiastique : et sans nous jeter dans des discussions qui regardent le soin des pasteurs, il n'y a rien de plus efficace pour prévenir ce funeste affaiblissement de la discipline que de faire entrer les fidèles, par le moyen des indulgences , dans cet esprit de ferveur si conforme à l'Evangile et à toute l'antiquité.

 

IVe  CONSIDÉRATION. Il ne faut point rechercher trop curieusement reflet précis des indulgences.

 

Ce qu'il y a de plus remarquable dans le décret du concile, c'est que sans déterminer en quoi consiste précisément l'utilité de l'indulgence, il se contente de décider qu'elle est utile et salutaire. Ce n'est point pour en rabaisser le prix qu'il en a parlé avec cette réserve, comme les profanes et les hérétiques le pourraient soupçonner; à Dieu ne plaise! mais c'est au contraire qu'une des plus saintes préparations qu'on puisse apporter à recevoir l'indulgence , c'est d'entrer dans cet esprit d'humilité, et d'accepter les grâces de l'Eglise, comme elle les donne, sans rechercher trop avant ce qu'elle ne trouve pas à propos d'expliquer. Il y a dans cette réserve une retenue qui plaît à Dieu, qui honore son Eglise, qui exerce la foi; et s'il faut pousser plus loin la recherche, c'est un soin qu'on doit laisser aux théologiens, le simple fidèle demeurant content des largesses de l'Eglise et croyant d'une ferme foi avec le concile qu'il ne se peut qu'on ne tire une très-grande utilité d'une grâce si authentique et si solennelle.

 

392

 

Ve CONSIDÉRATION. Le fidèle doit recevoir l'indulgence avec une sainte confiance qu'elle sert à la décharge des peines de l'autre vie.

 

Je parlerai au Seigneur mon Dieu, quoique je ne sois que poudre et cendre, et sans sonder son secret, j'oserai lui demander : Seigneur, qui avez parlé dans les saints conciles, dans celui de Nicée, dans celui de Trente, comme dans toutes les autres assemblées de votre Eglise catholique, c'est en votre nom et par votre autorité que le premier a nommé l'indulgence une humanité, une douceur : j'ai aussi entendu la doctrine du saint concile de Trente, concile des derniers temps; mais vous présidez par votre Esprit-Saint aux derniers comme aux premiers temps de votre Eglise catholique, dans laquelle et avec laquelle vous avez promis d'être toujours. La doctrine de ce concile est que l’indulgence est très-utile et très-salutaire : mais, ô Seigneur, quelle serait cette humanité et cette douceur, si en exemptant les fidèles des rigueurs de la justice de l'Eglise, ce n'était que pour les soumettre à de plus grandes rigueurs dans la vie future? O Dieu, j'ai appris de vos saints, que tous les supplices de cette vie ne sont rien en comparaison de ceux que vous préparez dans le purgatoire aux âmes qui ne sont pas encore assez épurées pour entrer dans ce royaume éternel où rien de souillé ne trouve place (1). Mais d'ailleurs il est véritable par la sainte et inviolable doctrine de votre Eglise catholique , qu'en subissant les travaux de la pénitence avec toutes les dispositions que vous demandez, on est ramené, comme par un second baptême, à la pureté de sa première régénération. Si l'on peut par ces salutaires rigueurs parvenir à un si heureux et si parfait renouvellement, ce serait mal récompenser la ferveur des pénitents, que de leur épargner les peines qui les auraient si parfaitement régénérés, sans leur laisser l'espérance de venir par leurs regrets et en profitant de l'indulgence, à un semblable état. Ainsi on ne peut douter raisonnablement que l'indulgence ne serve à nous décharger des peines de l'autre vie et du purgatoire.

 

1 August., in Psal. XXXVII.

 

393

 

Que sert de nous objecter que les pénitences qu'on exige dans les indulgences et les jubilés, sont trop légères pour faire une raisonnable compensation des peines de l'autre vie, puisque tant de graves auteurs, dont on a vu quelques-uns élevés à la chaire de saint Pierre, ont enseigné que les œuvres pénitentielles qu'on donne, comme pour matière nécessaire à l'indulgence, quoique petites en elles-mêmes, sont tellement rehaussées par l'accroissement de ferveur que l'indulgence inspire aux saints pénitents, qu'associés au prix infini du sang de Jésus-Christ et aux mérites des saints, par la grâce de l'indulgence elles peuvent être relevées jusqu'à produire une parfaite purification?

Dans quel degré il faut que soit cette ferveur, pour produire un si grand effet, nous n'avons pas besoin de le savoir : il suffit à l'homme, sans vouloir être plus savant ni plus sage qu'il ne faut, d'allumer autant qu'il peut dans son cœur cette sainte ardeur et d'abandonner le reste à la divine miséricorde, qui sait la mesure qu'elle a donnée à ses bienfaits. Saint Jean dit que la parfaite charité bannit la crainte (1). Cela est certain, puisqu'il est prononcé par un apôtre. Mais si l'on voulait raisonner sur le degré où la charité atteint à cette perfection, on se jetterait dans une curiosité, non-seulement inutile, mais encore dangereuse. Qui sait aussi à quel degré doit être un acte d'amour pour unir l’âme si parfaitement avec Jésus-Christ, qu'il soit capable de la transporter au ciel, sans passer par le purgatoire ? Il y a pourtant un degré où cela est ; mais il n'est pas nécessaire qu'il nous soit connu. Il y a aussi dans l'exécution des œuvres pénales auxquelles on attache l'indulgence, un degré de ferveur qui absorberait toutes les peines de la vie future. C'est ce degré de ferveur que ces mêmes docteurs ne permettent pas de déterminer: et quoi qu'il en soit, il est certain qu'on a toujours besoin d'indulgence; qu'elle a toujours son utilité; qu'en elle-même elle est toujours efficace, et qu'on ne peut attribuer le manquement ou la diminution de son effet qu'à sa propre indisposition et à sa propre langueur.

Quiconque voudra donner un effet encore plus grand à l'indulgence, il le pourra, pourvu qu'il n'en fasse pas une occasion de

 

1 I Joan., IV, 18.

 

394

 

relâchement; mais qu'il soit toujours attentif, selon le précepte de l'Evangile, à aimer d'autant plus qu'il croira qu'on lui accorde un grand pardon.

 

PRIÈRES, etc.

 

On demande à Dieu son amour, avec protestation d'observer ses commandements.

 

Mon Sauveur, pontife éternel selon l'ordre de Melchisédech, toujours vivant dans le ciel afin d'intercéder pour nous : je viens à l'indulgence de votre Eglise qui est la vôtre, en toute humilité et simplicité, sans disputer sur vos dons et avec une ferme foi que cette indulgence m'est très-utile, très-nécessaire, et en même temps qu'elle est très-puissante et très-efficace : j'y viens avec le dessein d'accroître en moi votre amour. Usera toujours véritable qu'en remettant davantage, vous voulez qu'on vous aime davantage. C'est le canon fondamental de la pénitence : c'est la règle que vous avez prononcée de votre sainte et divine bouche dans votre Evangile. Vous en avez tiré la confession de la bouche froide et dédaigneuse d'un pharisien, plus lépreux encore dans l’âme que dans le corps ; ce superbe ne voulait pas laisser approcher de vous les pécheurs humiliés et pénitents : mais moi je fends la presse, je viens à vos pieds, et ne vous quitterai pas que vous ne m'ayez béni, que je n'entende de vous cette douce et inestimable parole : « Plusieurs péchés lui sont remis, parce qu'elle a beaucoup aimé; « et encore : « Celui à qui l'on pardonne plus, aime plus (1). »

Mais vous avez dit que si l'on vous aime, il faut garder vos commandements, et les garder par amour. C'est par les œuvres et non point par les paroles, ni même par les sentiments que l'on montre qu'on vous aime. Ainsi je m'attacherai à votre loi : je la repasserai nuit et jour dans ma pensée : en m'endormant, en me réveillant, soit que «je sois dans ma maison, ou que je marche dans le chemin (2) : » c'est-à-dire, soit que j'agisse, soit que je demeure en repos, je ne la perdrai jamais de vue : « elle m'accompagnera dans mes voyages : elle me gardera dans mon sommeil : à mon réveil, dès le point du jour, je m'entretiendrai avec elle,

 

1 Luc., VII, 47. — 2 Deuter., VI, 7.

 

395

 

comme disait Salomon, parce que votre commandement est un flambeau devant mes yeux : votre loi est une lumière qui me réjouit et me guide, et les corrections que j'y reçois de votre boucha paternelle sont ma vie (1). »

Percez-moi le cœur des traits de votre divin amour : brisez ce cœur endurci par une sincère et parfaite contrition : ôtez-lui ce qu'il a du sien, et créez en moi un cœur pur, un cœur nouveau qui soit tout à vous , afin que je dise nuit et jour : Votre volonté soit faite : car c'est là le vrai exercice de l'amour divin.

 

VIIIe POINT. Que  l'indulgence nous  doit porter  à augmenter  notre amour, non-seulement envers Dieu, mais encore envers le prochain.

 

PREMIÈRE CONSIDÉRATION. L'amour fraternel se mesure par l'amour de Dieu.

 

Il n'y a que deux préceptes où se réduisent la loi et les prophètes : le premier est d'aimer Dieu de tout son cœur, et le second , qui lui est semblable, d'aimer son prochain comme soi-même : le second est dérivé du premier, et c'est une des raisons pourquoi il est dit qu'il lui est semblable. Tout le monde est d'accord que plus on aime Dieu, plus on aime le prochain. C'est donc assez d'avoir établi l'augmentation de l'amour divin dans l'indulgence , pour y établir en même temps celle de l'amour fraternel. Mais pour nous rendre cette vérité plus claire , Jésus-Christ nous a proposé cette parabole.

 

IIe CONSIDERATION. Parabole du Roi qui pardonne.

 

Un roi avait fait compter ses serviteurs, et avait miséricordieusement relâché à l'un d'eux dix mille talents : mais voyant que ce serviteur ingrat exerçait les dernières rigueurs envers un de ses compagnons, il lui parla en cette sorte : « Mauvais serviteur, je

 

1 Prov., VI, 22, 23.

 

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vous ai remis toute votre dette, parce que vous m'en aviez prié : je n'ai rien exigé de vous, et je me suis contenté de votre prière : ne fallait-il donc pas que vous eussiez pitié de votre conserviteur comme j'ai eu pitié de vous (1) ? Si vous ne le faites, mon indulgence n'aura en vous aucun effet ; il faudra vous jeter pieds et poings liés entre les mains des bourreaux, qui exigeront de vous la dette entière sans en rien remettre (2). »

Justice de mon Sauveur, je vous adore dans cette parole : c'est à nous tous, c'est à moi en particulier que vous l'adressez : « Vous deviez avoir eu pitié de votre frère, comme j'ai eu pitié de vous : » vous vous deviez sentir obligé à une compassion égale à celle que vous aviez éprouvée, et ne rien garder sur votre cœur de l'offense que vous aviez reçue, comme de mon côté je vous avais remis dans l'indulgence toute celle que vous m'aviez faite.

 

IIIe CONSIDÉRATION. La bonté do Dieu envers nous, règle la mesure de la nôtre envers le prochain.

 

« Ne craignez point, petit troupeau, parce qu'il a plu à votre Père de vous donner son royaume : vendez tout ce que vous avez, et donnez l'aumône (3). » En mémoire de la grande aumône que Dieu vous a faite en vous transportant des ténèbres à son admirable lumière, et en vous donnant son royaume par un effet si visible d'une dilection et d'une grâce si gratuite, faites l'aumône à vos frères : Vendez tout, et donnez l'aumône ; vendez-vous vous-même au prochain , en vous faisant par la charité serviteur de tous : n'ayez rien à vous : possédez vos biens comme ne les possédant pas : ne croyez à vous véritablement que ce que vous aurez donné à ces amis qui vous recevront dans les tabernacles éternels, et ce que vous faites passera au ciel par leurs mains. Mettez votre cœur où vous avez votre trésor. Estimez-vous plus heureux de donner que de recevoir, selon la parole du Seigneur Jésus, dont saint Paul nous a ordonné de nous souvenir (4).

« Songez à votre éternelle prédestination si pleine de

 

1 Matth., XVIII, 32, 33. — 2 Ibid. — 3 Luc., XII, 32, 33. — 4 Act., XX, 35.

 

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miséricorde, et revêtez-vous comme des élus de Dieu saints et bien-aimés, d'entrailles de compassion, de bénignité, d'humilité, de modestie et de patience : vous supportant les uns les autres, et pardonnant l'un à l'autre tout ce qu'on aura contre son frère : comme Jésus-Christ vous a donné, donnez de même (1). » Enfants de dilection et de grâce, aimez à faire plaisir : donnez, pardonnez, rendez à vos frères l'indulgence que Dieu vous accorde : ne croyez perdus que les jours que vous passez sans donner, et regrettez jusqu'à l'infini, non-seulement d'avoir offensé un Dieu si bon, mais encore d'avoir contristé votre prochain dans lequel Dieu se tient offensé.

 

PRIÈRES, etc.

 

On résout sous les yeux de Dieu d'aimer plus que jamais et lui et le prochain après l'indulgence.

 

Mon Dieu, faites-moi la grâce de parvenir à cette ferveur que votre Eglise attend de ses enfants dans la distribution de ses indulgences.

Mais, ô mon Dieu, mon Seigneur, qui ne vous louerait dans l'opération de votre grâce ? En même temps que vous attirez mon cœur à votre bonté infinie, vous m'apprenez à répandre sur mon prochain le chaste et pur amour qui m'unit à vous : je ne puis plus demeurer désuni d'avec aucun de mes frères, ni en froideur ou indifférence avec les plus petits. Que ne puis-je, à l'exemple de saint Paul, me donner moi-même à mes frères qui sont vos enfants et les membres de votre Fils ! Et en effet, comme disait le disciple bien-aimé : « Si je n'aime pas mon frère que je vois, comment aimerai-je Dieu que je ne vois pas (2)?» Attendrissez mon cœur sur les maux et sur les besoins temporels et spirituels de mes frères. Heureux progrès du saint amour, qui de nos frères s'élève à Dieu, et de Dieu se répand encore avec une nouvelle douceur sur nos frères !

Mon Dieu, je veux entrer dans cet esprit, qui est l'esprit de votre Evangile : je porterai les rigueurs de la pénitence, autant que ma faiblesse le pourra permettre. Si vos ministres, qui sont

 

1 Coloss., III, 13. — 2 I Joan., IV, 20.

 

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mes pères, trouvent à propos d'épargner mon infirmité, je tâcherai d'augmenter mon amour et ma douleur au dedans. Je ne ménagerai rien d'un côté, que je ne tâche de récompenser de l'autre. On ne peut jamais me tenir trop de rigueur ; car il n'y en a point que je ne mérite : mais quelle que soit celle qu'on me tiendra , je n'aurai toujours que trop de besoin d'indulgence. Ainsi je profiterai de toute celle de votre Eglise, et toujours plein du dessein d'y augmenter mon amour, aidé par votre grâce, je tâcherai d'arriver à ce bienheureux renouvellement où vous voulez me conduire. L'indulgence ne me peut être que très-salutaire, puisqu'elle est également propre à apaiser votre colère et à exciter mon amour. Très-puissante et très-efficace par elle-même, elle ne peut manquer son effet que par ma langueur. O Jésus, ô Epoux céleste, dans l'extrême besoin où je suis , j'accepte en esprit de foi, d'humilité et de componction les indulgences de votre Eglise, dans le dessein de m'unir à vous plus parfaitement, et s'il se peut de ne rien laisser entre vous et moi, pas même le moindre reste ou du péché ou de la peine, qui me puisse séparer de vous un seul moment! Car, ô mon Dieu, mon refuge et mon appui, je veux être à vous : je vous consacre mon cœur pour vous aimer de toutes mes forces, à cause que vous êtes mon Dieu, mon créateur, très-aimable, très-bon et très-parfait, à qui tout honneur et gloire appartient aux siècles des siècles. Amen.

 

INSTRUCTIONS NÉCESSAIRES POUR LE JUBILÉ.

 

ARTICLE  I. Ce que c'est que le jubilé.

 

Le jubilé est une indulgence plénière d'autant plus certaine et d'autant plus efficace, qu'elle est accordée par notre saint Père le Pape pour cause publique, avec une réflexion plus particulière

 

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sur les besoins de la chrétienté, et qu'elle est universelle ; ce qui faisant un concours entier de tout le corps de l'Eglise à faire pénitence de ses péchés , et h offrir de saintes et humbles prières en unité d'esprit, il se répand sur tous les membres particuliers de ce corps une grâce plus abondante à cause du sacré lien de la société fraternelle et de la communion des saints.

Les indulgences sont instituées pour relâcher la rigueur des peines temporelles dues au péché : c'est pourquoi le saint concile de Trente a eu grande raison de définir que l'usage en est très-salutaire au peuple chrétien (1).

Il ne faut pas rechercher curieusement comment cette rigueur est relâchée, mais être persuadé du grand pouvoir de l'Eglise à lier et à délier, ainsi que Jésus-Christ l'a prononcé de sa propre bouche , et croire certainement qu'une mère si charitable ne propose rien à ses enfants, qui ne serve véritablement à les soulager en cette vie et en l'autre.

Mais il se faut bien garder de s'imaginer que l'intention de l'Eglise soit de nous décharger par l'indulgence de l'obligation de satisfaire à Dieu : au contraire l'esprit de l'Eglise est de n'accorder l'indulgence qu'à ceux qui se mettent en devoir de satisfaire de leur côté à la justice divine, autant que l'infirmité humaine le permet : et l'indulgence ne laisse pas de nous être fort nécessaire en cet état, puisqu'ayant comme nous avons, tout sujet de croire que nous sommes bien éloignés d'avoir satisfait selon nos obligations, nous serions trop ennemis de nous-mêmes, si nous n'avions recours aux grâces et à l'indulgence de l'Eglise.

En un mot l'esprit de l'Eglise dans la dispensation des indulgences , n'est pas de diminuer le zèle qui nous doit porter à venger sur nous la justice de Dieu offensée par nos péchés, mais d'aider les hommes de bonne volonté et de suppléer à leur faiblesse; et le moyen de gagner le jubilé et toutes les autres indulgences, est de faire de bonne foi tout ce qu'on peut pour les bien gagner, et d'en attendre l'effet de la miséricorde de Dieu, qui seul connaît le secret des cœurs.

Le fondement des indulgences est la satisfaction infiniment

 

1 Sess. XXV; Decr. de Indulg.

 

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surabondante de Jésus-Christ, à quoi on ajoute aussi les satisfactions des saints, à cause de la bonté de Dieu, qui veut bien en faveur des plus pieux de ses serviteurs, se laisser fléchir envers les autres.

Ainsi pour gagner les indulgences, il faut s'unir en esprit aux larmes, aux soupirs, aux gémissements, aux mortifications, aux travaux, aux souffrances de tous les martyrs et de tous les Saints, et surtout à l'agonie, aux délaissements, enfin à la passion et au sacrifice de Jésus-Christ, en qui et par qui toutes les satisfactions et bonnes œuvres des Saints sont acceptées par son Père.

 

ARTICLE II. Ce qu'il faut faire pour gagner le Jubilé, et premièrement de la prière.

 

La fin générale de l'Eglise dans le jubilé universel, est d'exciter les fidèles à prier aussi pour tous ses besoins en général, et premièrement pour notre saint Père le Pape, pour les évêques, les prêtres et les pasteurs ; pour tous les états ; et chacun en particulier pour la rémission de ses péchés et de ceux de ses frères; pour l'extirpation des hérésies, l'exaltation de la sainte Eglise, la paix des princes chrétiens et généralement pour toutes les nécessités présentes.

Les autres sujets de prières sont marqués dans les oraisons de l'Eglise, et il ne reste qu'à vous avertir de ne prier pas seulement de bouche, mais encore de cœur, de peur que vous ne soyez du nombre de ces hypocrites dont il est écrit : « Ce peuple m'honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. »

 

ARTICLE III. Du jeûne, des aumônes et de la visite des églises.

 

Encore qu'en particulier la bulle de notre saint Père le Pape ne parle pas dans ce jubilé , ni du jeune ni des aumônes, c'est la coutume d'en prescrire dans tous les autres ; et c'est aussi l'esprit de l'Eglise de les joindre ensemble, conformément à cette parole : « L'oraison est bonne avec le jeune et l'aumône (1). » Jeûnons donc

 

1 Tob., XII, 8.

 

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avec un esprit de componction et d'humilité ; retirons-nous des jeux et des divertissements; pleurons nos péchés et songeons que le jeune que Dieu a choisi et qui lui est agréable, est que mortifiant nos sens et notre propre volonté, nous accomplissions la sienne.

Pour l'aumône, il est écrit qu'elle prie pour nous. Que chacun la fasse donc selon son pouvoir et par-dessus son pouvoir, comme dit l'Apôtre. Mais que les pauvres qui ne peuvent rien donner, se souviennent de l'obole de la veuve et du verre d'eau donné pour l'amour de Jésus-Christ à l'indigent, dont il nous promet de nous tenir un si grand compte au jour de son jugement.

On visite les églises pour adorer Dieu dans sa maison, et pour s'unir aux mérites et aux prières des saints à la mémoire desquels les temples sont érigés. Songeons donc à la parole de notre Sauveur : « Ma maison est une maison de prières, et n'en faisons pas une caverne de voleurs, » en y portant des mains souillées de vengeances, de rapines et du bien d'autrui, ravi ou convoité dans notre cœur.

 

ARTICLE IV. De la Confession et de la Communion.

 

L'œuvre principale du jubilé est une sainte communion à laquelle on soit préparé par une confession et une pénitence sincère.

On est toujours obligé à s'exciter à l'amour de Dieu toutes les fois qu'on se confesse, parce que Dieu ne remet les péchés qu'à ceux qui l'aiment ou qui s'efforcent de l'aimer de tout leur cœur, ce qui est déjà un commencement d'amour. Mais cette obligation augmente au temps du jubilé et des indulgences, parce que plus Dieu se montre miséricordieux, plus nous sommes étroitement obligés à lui rendre amour pour amour , conformément à cette parole de notre Sauveur : « Celui à qui on donne moins, aime moins ; » ce qui veut dire manifestement que celui à qui on donne plus, aime plus; et plus on attend de Dieu, plus on doit l'aimer : ce qui est aussi la disposition la plus nécessaire pour la communion, puisqu'elle n'est autre chose que la consommation du saint «mour.

 

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Les confesseurs sont bien avertis qu'ils peuvent bien différer en un autre temps, le plus proche néanmoins qu'il se pourra, et même changer en d'autres œuvres aux religieuses, aux captifs et aux malades, les œuvres du jubilé, que leur état présent ou même leur vocation ne leur permettra pas d'accomplir. Mais il est important qu'on sache encore qu'ils peuvent différer l'absolution, la communion et le jubilé à ceux qu'ils ne trouveront pas assez disposés, pourvu néanmoins qu'ils y remarquent un véritable désir de se convertir.

 

ARTICLE V. Du pouvoir des confesseurs durant le Jubilé.

 

Les confesseurs approuvés peuvent durant le temps du jubilé absoudre de tous cas réservés aux évêques et même au Saint-Siège, et de toutes excommunications et suspensions au for de la conscience, et pour cette fois seulement. Mais il faut toujours se souvenir que plus l'Eglise est indulgente, plus on doit être sévère à soi-même et exact à satisfaire à ses frères.

 

ARTICLE VI. Quel est le fruit du Jubilé?

 

Le vrai fruit du jubilé est d'en venir à une sincère et parfaite conversion, et d'obliger les fidèles à éviter les rechutes avec plus de soin que jamais, de peur qu'il ne leur arrive pis; et que, comme dit le Sauveur, « leur dernier état ne soit pire que le premier. »

Le sentiment que doit inspirer la grâce reçue, c'est de dire avec l'Epouse : « Je me suis lavée, me souillerai-je de nouveau? » Serai-je « comme le chien qui ravale ce qu'il a vomi, et comme un pourceau qui, après avoir été lavé, se vautre de nouveau dans la boue, » ainsi que parle saint Pierre? A Dieu ne plaise !

Nous vous admonestons en Notre-Seigneur, nos chers frères les curés, prédicateurs et confesseurs, de faire de ces vérités le principal sujet de vos instructions dans le temps du jubilé; et vous, nos chers frères et nos chers enfants, pour lesquels nous

 

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sommes nuit et jour dans le travail de l'enfantement, tâchant de vous engendrer en Jésus-Christ, d'être attentifs à notre parole et du nombre de ces brebis dont il est écrit : « Mes brebis écoutent ma voix et me suivent. » Car en vain écouteriez-vous la voix du pasteur, si vous ne le suiviez aux pâturages où il vous conduit pour y avoir la véritable vie.

 

 

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