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PRÉPARATION A LA DERNIÈRE SEMAINE DU SAUVEUR.
PREMIÈRE JOURNÉE. Le mystère de la croix prédit par Jésus-Christ, et non
compris par les apôtres : combien on craint de suivre Jésus à la croix. Matth.,
XX, 17 jusqu'au 29; Marc, x, 32 jusqu'au 46; Luc, XVIII, 31 jusqu'au 35.
IIe JOURNÉE. Demande ambitieuse des enfant de Zébédée : calice et croix avant
la gloire. Matth., XX; 20 et suiv.; Marc, X, 35 et suiv.
III JOURNÉE. Victoire et puissance de Jésus-Christ contre la mort dans la
résurrection de Lazare. Joan., XI, 1 jusqu'au 46.
IVe JOURNÉE. Même sujet. Les trois morts ressuscites par Notre-Seigneur,
figures des trois états du pécheur. Joan., XI, 1 et suiv.; Matth., IX, 18, 25.;
Marc, V, 35, 42 ; Luc, VII, 12, 15.
Ve JOURNÉE. Amitié de Jésus modèle de la nôtre. Excellente manière de prier.
Joan., XI, 1 et suiv.
VIe JOURNÉE. Jésus-Christ mis en signe de contradiction : incrédulité des Juifs
après la résurrection de Lazare. Joan., XI, 46 et suiv.
VIIe JOURNÉE. Fausse et aveugle politique des Juifs dans la mort de
Jésus-Christ, figure de la politique du siècle. Joan., XI, 48 et suiv.
VIIIe JOURNÉE. Profusion des parfums sur la tête et les pieds de Jésus en
différents temps. Joan., XII, 1, 12.
Les sermons de Notre-Seigneur
dans sa dernière semaine sont des plus dignes d'être médités par la circonstance
de sa mort prochaine. Pour les lire avec ordre et avec fruit, il est bon de les
partager par journées, comme on a fait le sermon sur la montagne.
Avant que d'en venir à cette
semaine si pleine d'instructions et de mystères, pour en prendre l'esprit il
faut remonter un peu plus haut; et c'est à quoi nous donnerons huit jours.
L'heure de Jésus approchant, il
va volontairement à Jérusalem, où il savait qu'il devait mourir ; et il le
déclare à ses apôtres.
Saint Paul disait aux disciples
: « Et maintenant étant lié par le Saint-Esprit, » doucement contraint par son
impulsion particulière, « je m'en vais à Jérusalem, ne sachant ce qui m'y doit
arriver (1) : » mais Jésus va à Jérusalem, sachant très-bien ce qu'il y doit
souffrir, et le dénonçant aux apôtres : « Voilà, dit-il, que nous allons à
Jérusalem ; et le Fils de l'homme sera livré entre les mains des méchants (2). »
« Je ne sais, disait saint Paul, ce qui me doit arriver à Jérusalem, si ce n'est
que dans toutes les villes où
1 Act., XX, 22. — 2 Matth., XXII, 18.
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je passe, le Saint-Esprit me fait témoigner par les
prophètes qui y sont, que des chaînes et des afflictions m'y sont préparées (1).
» Mais au lieu qu'on ne montrait les choses qu'en confusion à saint Paul, Jésus
explique tout distinctement à ses apôtres, comme la seule lecture le fera
connaîre.
A ces mots, saint Luc observe que « les disciples
n'entendirent rien de ce que Jésus leur disait, » quoique Jésus leur parlât sans
aucune ambiguïté; que « cette parole leur était cachée, et qu'ils n'entendaient
point ce qu'on leur disait (2). » Cet évangéliste fait voir par le soin qu'il
prend de nous faire observer cette ignorance des apôtres, combien le mystère de
la croix a peine à entrer dans les esprits.
Jésus s'étant expliqué ailleurs
de ce mystère en termes moins clairs, le même saint Luc fait cette remarque : «
Les apôtres n'entendirent point cette parole, et elle était comme voilée devant
eux, en sorte qu'ils n'en sentaient point la force , et ils craignaient de
l'interroger sur cette parole (3). » Ils n'entendaient pas, parce qu'ils ne
voulaient pas entendre : ils virent bien qu'il faudrait suivre leur maître, et
ils ne voulaient pas savoir les souffrances où il allait, dans la crainte
d'avoir un sort semblable. C'est pourquoi Jésus leur disait : « Mettez bien ceci
dans vos cœurs, que le Fils de l'homme sera livré entre les mains des hommes (4)
: » ce qu'il avait soin de leur inculquer dans le temps que tout le monde était
en admiration des prodiges qu'il faisait; c'est que, flattés par sa gloire, ils
avaient le cœur bouché à ce qu'il leur enseignait sur l'opprobre qu'il avait à
souffrir, sans vouloir en entendre parler. Mais c'était là néanmoins ce que
Jésus voulait qu'ils sussent. Car il avait mis notre salut dans ses souffrances
et dans l'obligation de le suivre, et de porter sa croix après lui : « Mettez
bien cela dans vos cœurs, » leur disait-il.
Songez ici comme l'homme se
trompe lui-même, comme il fait le sourd quand on lui veut dire ce qui choque ses
passions et ses sens : comme, quelque clair qu'on lui parle, il détourne
l'oreille; il ne fait pas semblant d'entendre, et craint d'approfondir la
matière. Quitte ce commerce, renonce à ce plaisir, renonce à ta
1 Act., XX, 23. — 2 Luc., XVIII, 34. — 3
Luc., IX, 45. — 4 Ibid., 44.
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propre volonté : il n'entend pas ; il ne veut pas entendre,
ni savoir, ni interroger celui qui lui parle. C'est pour la même raison que
saint Marc raconte la même chose en ces termes : « Comme ils montaient à
Jérusalem, Jésus marchait devant eux, et ils en étaient étonnés et ils
craignaient en le suivant ; et appelant les douze, il leur dit : Nous allons à
Jérusalem (1), » pour y souffrir tout ce qu'il leur marque.
Le sujet de leur étonnement
était qu'ils savaient que les pharisiens et les docteurs de la loi le
cherchaient pour le faire mourir ; et ils ne pouvaient comprendre qu'il allât se
mettre en leurs mains ; et ils le suivaient en tremblant. On craint de suivre
Jésus à la croix.
Mais pour nous encourager il va
devant; et saint Luc remarque qu'il « affermit son visage pour aller à Jérusalem
(2), » voyant son heure venue. La nature craignait, comme il parut dans son
agonie au jardin. Car il a voulu porter nos faiblesses jusqu'à ce point, afin de
nous apprendre à les vaincre. Suivons-le donc, et à son exemple affermissons
notre visage, lorsqu'il faut aller à la pénitence, à la mortification et à la
croix.
Ce fut en cette occasion que ses
disciples lui dirent : « Maître, il n'y a qu'un peu de temps que les Juifs vous
cherchaient pour vous lapider; vous allez vous mettre encore entre leurs mains
(3) ! » Ils voulaient le détourner de ce voyage; et il n'y eut que Thomas qui
entendit le mystère, lorsqu'il dit courageusement : « Allons, allons aussi, et
mourons avec lui (4). » Belle parole, si elle eût été suivie de l'effet ! Mais
Thomas s'enfuit comme les autres, et fut le dernier à croire sa résurrection.
Voilà l'homme : celui qui parle le plus hardiment, le plus souvent est le plus
faible lorsque Dieu l'abandonne à lui-même. Entends, chrétien, combien il est
difficile d'aller à la croix avec Jésus, et combien on a besoin de sa grâce.
1 Marc, X, 32, 33. — 2 Luc,
IX, 51 — 3 Joan., XI, 8. — 4 Ibid., 16.
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La même lecture, et appuyez en
particulier sur la demande de la mère des enfants de Zébédée. Saint Marc dit
distinctement que ce ne fut pas seulement leur mère, mais les deux frères
eux-mêmes , c'est-à-dire saint Jacques et saint Jean qui firent cette demande.
Ce qui nous montre que leur mère agissait à l'instigation de ses enfants : et
peut-être même que dans la suite ils se joignirent eux-mêmes ouvertement à la
demande; c'est pourquoi aussi le Sauveur leur adresse sa réponse : « Vous ne
savez ce que vous demandez ; pouvez-vous boire mon calice (1) ? »
Il n'y a rien qui fasse sentir
combien on a de peine à entendre la parole de la croix. Jésus venait d'en parler
aussi clairement qu'on a vu; et loin de l'entendre, saint Jacques et saint Jean,
qui étaient des premiers entre les apôtres, lui viennent parler de sa gloire et
de la distinction où ils y voulaient paraître.
Pesez ces paroles de Jésus : «
Vous ne savez ce que vous demandez : » vous parlez de gloire : et vous ne songez
pas ce qu'il faut souffrir pour y parvenir. Là il leur explique ces souffrances
par deux similitudes : par celle d'un calice amer qu'il faut avaler, et par
celle d'un baptême sanglant où il faut être plongé. Avaler toute sorte
d'amertume ; être dans les souffrances jusqu'à y avoir tout le corps plongé,
comme on l'a dans le baptême : la gloire est à ce prix.
Les apôtres ambitieux
s'offrirent à tout ; mais Jésus, qui voyait bien qu'ils ne s'offraient à
souffrir que par ambition, ne voulut pas les satisfaire. Il accepta leur parole
pour la croix ; mais pour la gloire, il les renvoya aux décrets éternels de son
Père et à ses secrets conseils.
Il aurait bien pu leur dire ce qu'il dit dans la suite à
tous les
1 Matth., XX, 22; Marc, X, 38.
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apôtres: «Je dispose de mon royaume en votre faveur, comme
mon Père en a disposé en la mienne (1). » Mais des gens qui ne voulaient
souffrir que par ambition, n'étaient pas dignes encore d'entendre cette promesse
; et pour les attacher à la croix dont ils n'entendaient pas encore la vertu, il
remet à son Père ce qui regarde la gloire, et ne se réserve en ce lieu qu'à
prédire et à distribuer les afflictions.
Tout cela se faisait par cette
profonde économie si souvent pratiquée dans l'Evangile et dans toute l'Ecriture
; où, pour certaines raisons et convenances, des choses diverses sont attribuées
au Père et au Fils : mais il faut toujours se souvenir dans le fond de cette
parole, que le Sauveur adresse à son Père : « Tout ce qui est à vous est à moi,
et tout ce qui est à moi est à vous (2). »
« Tous les apôtres furent
indignés (3) » de la demande des deux frères. Aveugles, qui ne songeaient pas
qu'ils étaient tous dans les sentiments qu'ils reprenaient dans les autres,
puisqu'un peu auparavant et un peu après, Jésus-Christ les surprit pensant en
eux-mêmes et se disputant « qui d'entre eux serait le premier (1) » C'est ainsi
qu'on ne peut souffrir dans les autres le vice qu'on a en soi-même : éclairé
pour reprendre ; aveugle à se corriger et à se connaître.
Remarquez le changement
admirable que les instructions du Sauveur, et l'effusion du Saint-Esprit fit
dans les apôtres. Ces gens qui ne cessaient de disputer entre eux de la
primauté, la cèdent sans peine à saint Pierre. Ils lui cèdent la parole partout
: il préside à tous leurs conciles et à toutes leurs assemblées. Saint Jean, un
des deux enfants de Zébédée, qui venait de demander la première place avec son
frère saint Jacques, attend saint Pierre au tombeau du Sauveur, afin qu'il y
entre le premier; et l'empressement de voir les marques de la résurrection de
son maître, ne l'empêcha pas de rendre l'honneur qu'il de voit au prince des
apôtres.
Appuyez encore sur ces paroles
de saint Matthieu, XX, 25; Marc, x, 42, où il rabat toute ambition par son
exemple. Ne sois
1 Luc., XXII, 29. — 2 Joan., XVII, 10. — 3 Matth.,
XX, 24. — 4 Luc, IX, 46, 47; XXII, 24, 25.
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point ambitieux, ô chrétien, et ne désire point le
commandement, ni aucun avantage parmi les hommes, puisque tu es le disciple de
celui qui étant le Seigneur de tous, s'en est rendu le serviteur, et a mis sa
gloire à racheter des élus par la perte de sa vie. Racheté par l'humilité et la
croix de ton Sauveur, ne songe point à t'élever ni à enfler toi-même ton cœur.
Considérons combien nos passions
et surtout l'ambition nous aveuglent ; et crions à l'exemple de ces deux
aveugles et de Bartimée fils de Timée : « O Seigneur, rendez-nous la vue (1) ; »
faites-nous connaître nos défauts.
Que nul reproche des hommes ne
nous empêche de crier à Jésus pour en implorer le secours de sa grâce : quittons
nos habits : courons à lui : ouvrons les yeux : glorifions Dieu : cessons de
nous méconnaître et de nous glorifier nous-mêmes.
Jésus approche de Jérusalem : il
est déjà à Béthanie, bourgade qui en était à peine à six-vingts pas, à la racine
de la montagne des Oliviers. Sa mort approche en même temps ; et ce qu'il va
faire à cette approche , et pour nous y préparer, est admirable.
La première chose c'est la
résurrection de Lazare. Il allait mourir, et il semblait que l'empire de la mort
allait s'affermir plus que jamais, après qu'il y aurait été assujetti lui-même.
Mais il fait ce grand miracle de la résurrection de Lazare, afin de nous faire
voir qu'il est le maître de la mort.
Elle paraît ici dans tout ce
qu'elle a de plus affreux : Lazare est mort, enseveli, enterré, déjà pourri et
puant. On craint de lever la pierre de son tombeau, de peur d'infecter le lieu
et la personne de Jésus par cette insupportable odeur. Voilà un spectacle
horrible : Jésus en frémit : Jésus en pleure : dans la mort de Lazare,
1 Matth., XX, 30; Marc., X, 46,
51 ; Luc., XVIII, 42.
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son ami, il déplore le commun supplice de tous les hommes :
il regarde la nature humaine comme créée dans l'immortalité et comme condamnée à
mort pour son péché : il est l'ami de tout le genre humain : il vient le
rétablir : il commence par en pleurer le désastre : par en frémir : par se
troubler lui-même à la vue de son supplice. Ce qui lui paraît si horrible dans
la mort, c'est principalement qu'elle est causée par le péché; et c'est plutôt
le péché que la mort qui lui cause ce frémissement, ce trouble, ces pleurs. Il
est saisi d'un nouveau frémissement à mesure qu'il approche du tombeau. Envoyant
cette affreuse caverne, où le mort était gisant, on dirait qu'il n'y a point de
remède à un si grand mal : « Celui, dit-on, qui a éclairé l'aveugle-né, ne
pouvait-il pas empêcher que son ami ne mourût ' ? » On ne dit pis : Ne le
pourrait-il pas ressusciter? C'est à quoi on ne songeait seulement pas : on
croit que son pouvoir n'allait pas plus loin que de l'empêcher de mourir : mais
le tirer de la mort, quoiqu'il en eût déjà donné des exemples, on ne voulait ni
s'en souvenir, ni le croire. On croit qu'il n'a que des larmes et cette
frémissante horreur à donner à un tel mal. Voilà tout le genre humain dans la
mort; il n'y a qu'à pleurer son sort ; mais il n'y voit aucune ressource. C'est
le commencement de l'histoire et comme la première partie de ce tableau : tout y
est rempli d'horreur.
Mais voici la seconde, où tout
est plein au contraire de consolation. Il n'y paraît que puissance contre la
mort, et que victoire remportée sur elle.
Jésus dit : « Cette maladie
n'est pas pour la mort, mais pour la gloire de Dieu (2). » Lazare en mourut
pourtant : mais le Sauveur voulait dire que la mort serait vaincue et le Fils de
Dieu glorifié par cette victoire.
Il poursuit : « Lazare dort, mais je le vais réveiller (3)
: » appelant la mort un sommeil plutôt qu'une mort, et montrant qu'il lui est
aussi facile de ressusciter un mort que de réveiller un endormi.
A mesure qu'il avance, il paraît
de plus en plus le vainqueur de la mort. « Si vous aviez été ici, mon frère ne
serait pas mort ;
1 Joan., XI, 37. — 2 Ibid., 4. — 3 Ibid.,
11, 22.
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mais je sais que Dieu vous accordera tout ce que vous lui
demanderez. » Vous avez tout pouvoir, non-seulement pour prévenir la mort, mais
encore pour lui enlever la proie qu'elle a déjà entre ses mains.
« Votre frère ressuscitera (1).
Je le sais, dit Marthe, au dernier jour. » Elle ne doute pas que Jésus ne puisse
le ressusciter avant ce temps : mais elle ne se juge pas digne de cette grâce.
Goûtons ces paroles du Sauveur,
après lesquelles la mort n'a plus rien d'affreux : « Je suis la résurrection et
la vie : celui qui croit en moi, quand il serait mort, il vivra : celui qui vit
et qui croit en moi, ne mourra point éternellement (2). » Il ne mourra point
pour jamais : la mort ne sera pour lui qu'un passage : il n'y demeurera pas : et
il viendra à un état où il ne mourra jamais.
La foi de Marthe est grande. Les
Juifs disaient de Jésus : « Ne pouvait-il pas faire que Lazare ne mourût pas? »
Celle-ci dit, non-seulement qu'il le pouvait faire, mais qu'il l'aurait fait, et
qu'il pouvait encore le ressusciter s'il voulait. Elle voit en esprit la
résurrection générale, et confesse Jésus-Christ comme celui qui, étant au ciel
et dans le sein de son Père, est venu au monde. Jésus, Fils du Dieu vivant, est
vivant de la même vie que son Père: « Comme le Père, dit-il, a la vie en soi,
ainsi a-t-il donné au Fils d'avoir la vie en soi (3). » Il a donc raison de nous
dire « qu'il est « la résurrection et la vie (4) ; » et encore : « Je suis la
vie; » et encore : « Comme le Père ressuscite et vivifie, ainsi le Fils vivifie
qui il lui plaît (5). » Il est une source de vie, il est la vie même comme le
Père. La vie est venue à nous, quand il s'est fait homme : « Nous vous annonçons
la vie éternelle qui était dans le Père, et qui nous est apparue (6) » pour se
répandre sur nous, disait saint Jean.
Les larmes mêmes de Jésus nous remplissent d'espérance. Si
le médecin tout-puissant est touché de nos maux, s'il les pleure, s'il en
frémit, il les guérira.
« Otez la pierre (7) : » ouvrez
le tombeau : enlevez la porte de cette éternelle prison : c'est sans doute pour
en délivrer ceux qui y sont détenus.
1 Joan., XI, 23. — 2 Ibid.,
25, 26. — 3 Joan., X, 26. — 4 Joan., XI, 25. — 5 Joan., V,
21. — 6 1 Joan., I, 2. — 7 Joan., XI, 39,
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« Père, je sais que vous m'écoutez toujours (1). » Nous
sommes donc délivrés, puisqu'un tel intercesseur parle pour nous.
« Lazare, sortez, paraissez. »
Les prophètes avaient ressuscité quelques morts ; mais on n'avait point encore
traité la mort d'une manière si impérieuse. C'est que « le temps de voit venir,
et déjà il était venu, disait le Sauveur, que ceux qui sont dans le tombeau
entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l'entendront recevront la vie
(2). » Ce qui se fait maintenant pour le seul Lazare, se fera un jour pour tous
les hommes.
« Lazare sortit à l'instant, » quoique « lié de
bandelettes, » à peu près comme un enfant dans le berceau, « le visage
enveloppé d'un linge (3) : » un homme vivant ne pourrait se remuer en cet état :
cependant un mort se lève, et paraît : tant il y a d'efficace dans la parole du
Sauveur.
Il importe de bien méditer toutes ces choses, afin de nous
affermir contre Ja crainte de la mort, qui est si extrême dans les hommes,
qu'elle est capable de leur faire perdre l'esprit, quand on leur annonce qu'il
faut mourir, comme l'expérience le fait voir. On a grand besoin de se munir
contre cette crainte : ce qui se fait principalement, en méditant les promesses
de l'Evangile contre la mort, et s'attachant par une vive foi à la vie que nous
attendons. On a besoin d'une grande grâce contre une si vive terreur. On ne la
sent pas, tant qu'on a de la santé et de l'espérance : mais quand il n'y en a
plus, le coup est terrible. Il est faible pourtant, si nous croyons bien que
Jésus a vaincu la mort.
Il l'a encore vaincue dans une
jeune fille de douze ans, qui ne faisait que d'expirer et qui était encore dans
son lit (4). Il l'a encore vaincue dans un jeune homme qu'on portait en terre
(5). Enfin il l'a vaincue dans le tombeau et au milieu de la pourriture en la
personne du Lazare (6). Il restait qu'il empêchât même la corruption. Il avait
vaincu la mort en des personnes qui étaient mortes naturellement : il fallait
encore la vaincre lorsqu'elle serait venue par violence. Ceux à qui il avait
rendu la vie, demeuraient mortels ; il restait qu'avec la mort, il vainquit même
la mortalité. C'était
1 Ibid., 42. — 2 Joan., V, 25. — 3 Joan.,
XI, 44. — 4 Matth., IX, 18, 25; Marc, V, 35, 40, 42. — 5 Luc, VII,
12, 14, 15. — 5 Joan., XI, 41-44.
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en sa personne qu'il devait faire voir une victoire si
complète. Après qu'on l'eut fait mourir, il ressuscite pour ne mourir plus, sans
même avoir jamais vu la corruption, comme avait chanté le Psalmiste : « Vous ne
permettrez pas que votre Saint voie la corruption (1); » Ce qui s'est fait dans
le chef s'accomplira dans les membres. L'immortalité nous est assurée en
Jésus-Christ à meilleur titre qu'elle ne nous avait d'abord été donnée en Adam.
Notre première immortalité était de pouvoir ne mourir pas : notre dernière
immortalité sera de ne pouvoir plus mourir.
La vraie mort de l'homme c'est
le péché, parce que c'est la mort de l’âme. Dans les trois morts que le Sauveur
a ressuscites, les saints ont considéré le péché vaincu en trois états : dans
son commencement en la personne de cette jeune fille : dans son progrès en la
personne de celui qu'on portait en terre : dans sa consommation et dans l'état
d'endurcissement et d'habitude invétérée en la personne de Lazare. La corruption
dans un mort de quatre jours, fait voir un homme qui croupit et pourrit, pour
ainsi parler, dans son péché. La mauvaise odeur, c'est le scandale et la
diffamation qui suit cet état. La caverne où le mort est enterré, fait voir
l'abîme où le pécheur s'est enfoncé. La pierre sur le tombeau, c'est la dureté
dans le cœur. Les bandes dont le mort est lié, sont les liens du péché qu'il ne
peut rompre. Il ne paraît plus de ressource : les gens de bien même n'espèrent
plus rien : « Maître, disait Marthe, il sent mauvais et il y a quatre jours
qu'il est mort (2). »
C'est ce qui cause dans Jésus ce frémissement réitéré par
deux fois avec ces larmes amères; ce qui signifie l'effort et comme le
1 Psal. XV, 10, 11; Act.,
II, 27. — 3 Joan., XI, 39.
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travail de l'Eglise pour enfanter de nouveau ce mort tout
pourri. Le grand cri de Jésus montre encore la même chose : ressusciter un tel
mort, c'est quelque chose de plus miraculeux que la résurrection de Lazare.
Ame malheureuse, ne fais point
pleurer Jésus, ne le fais point tant crier, ni tant frémir ; empêche-toi de
tomber dans ce péché d'habitude. Mais si tu y es, ne perds pas toute espérance :
il te reste une ressource infaillible dans les cris et dans les larmes de Jésus.
« Déliez-le (1), » dit le
Sauveur : ôtez-lui ces bandelettes dont il est serré. C'est le ministère des
apôtres : mais il faut auparavant que Jésus ait parlé ; que le mort ait ouï sa
voix ; qu'il se soit déjà réveillé de son profond assoupissement, et qu'il
commence à vivre en recevant l'inspiration qui l'appelle à la pénitence. Les
apôtres peuvent alors user du pouvoir qui leur est donné de délier : mais si le
pécheur n'a déjà reçu aucun principe de vie, en un mot s'il n'est déjà
sérieusement converti, c'est en vain qu'on le délierait : il est tout mort au
dedans et les sacrements ne peuvent rien pour lui. Convertissez-vous donc, ô
pécheurs, et vivez.
Voilà les grands mystères de cet
Evangile. Mais à ne rien regarder que l'histoire, elle est ravissante.
« Lazare notre ami (2), » dit
Jésus. Quel bonheur à des mortels de pouvoir avoir Jésus pour ami ! « Notre ami
: » Lazare aimait et lui et sa compagnie : ses disciples avaient part à son
amitié.
« Jésus aimait Marthe, et Marie
sa sœur, et Lazare (3) » qui était malade. Voilà les amis de Jésus ; leur maison
était toujours ouverte à lui et aux siens ; ce sont ses hôtes et ses amis.
Puisque Jésus n'a pas dédaigné
d'avoir des amis sur la terre,
1 Joan., XI, 44. — 2 Ibid., 11. — 3 Ibid.,
5.
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suivons ce modèle dans nos amitiés : aimons ceux qui sont
charitables et qui exercent volontiers l'hospitalité : car en la personne de
leurs hôtes, c'est Jésus-Christ qu'ils reçoivent. Aimons une Marthe si zélée
pour servir Jésus, qu'elle passe jusqu'à un empressement excessif, et jusqu'à
une inquiétude dont elle est reprise. Si nos amis ont des défauts, que ce soit
des défauts fondés sur le bien. Mais aimons surtout une Marie qui est toujours
aux pieds de Jésus, toujours attentive à sa parole, et à « la bonne part qui ne
pouvait lui être ôtée (1). » Voilà ceux que Jésus-Christ honorait d'une amitié
particulière.
« Celui que vous aimez est
malade (2) : » c'est ce que mandent à Jésus les sœurs de Lazare. Excellente
manière de prier : sans rien demander, on expose à celui qui aime le besoin de
son ami. Prions ainsi : soyons persuadés que Jésus nous aime : présentons-nous à
lui comme des malades, sans rien dire, sans rien demander. Prions ainsi pour
nous-mêmes, prions ainsi pour les autres : c'est une manière de prier des plus
excellentes.
Souvent on dit à Jésus dans son
Evangile : Venez, Seigneur, et guérissez : imposez vos mains : touchez le malade
: ici on dit simplement : « Celui que vous aimez est malade. » Jésus entend la
voix du besoin, d'autant plus que cette manière de le prier a quelque chose,
non-seulement de plus respectueux et de plus soumis, mais encore de plus tendre.
Qu'elle est aimable cette prière ! Pratiquons-la principalement pour les
maladies de l’âme.
Marthe et Marie conservent
toujours leur caractère : Marthe est toujours la plus empressée : elle parle
plus, elle agit plus : Marie arrive : d'abord « elle tombe aux pieds de Jésus
(3) : » elle ne dit qu'un mot : et c'est assez.
« Le Maître vous demande (4), »
lui disait Marthe. Jésus était content de la foi de Marthe : mais pour achever
d'être touché, il voulait voir les pleurs, la tendresse intime et la douceur de
Marie toujours attachée du fond de son cœur à sa parole.
« Jésus pleura. (5)» Où sont ces
faux sages qui veulent qu'on soit insensible? Ce n'est pas là la sagesse de
Jésus.
« Voyez comment il l'aimait (6).
» Soyez loué, ô Seigneur Jésus !
1 Luc., X, 39,40,42.— 2 Joan.,
XI, 3.— 3 Ibid., 32.— 4 Ib., 28.— 5 Ib., 35— 6 Ib.,
30.
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d'avoir bien voulu qu'on put remarquer la tendresse que
vous avez pour vos amis : qu'il nous soit permis de l'imiter et d'aimer à votre
exemple : les cœurs durs et insensibles ne sont pas ceux qui vous plaisent :
mais réglez nos amitiés et soyez-en le modèle : ne flattons point nos amis :
corrigeons-en, comme vous, les empressements inconsidérés : aimons dans nos amis
le bon et le solide comme vous.
O Seigneur, que je sois du
nombre de ceux à qui vous dites : « Vous êtes mes amis (1) ; » et encore : « Je
vous dirai à vous qui êtes mes amis (2) : » O bon et parfait ami, qui, pour
exercer envers eux l'amour que vous avez dit vous-même être le plus grand de
tous, avez donné votre vie pour eux : je ne veux d'ami que vous ou qu'en vous. O
bon ami, ressuscitez-moi : je suis plus mort que Lazare.
« Marthe appelle Marie en
secret. Le Maître, dit-elle, vous demande (3). » Il y a un certain secret entre
Jésus-Christ et les âmes intérieures qui sont figurées par Marie ; il faut
entrer dans ce secret et ne le pas troubler en y mêlant le monde. Entends,
chrétien, ce doux secret : ce secret entre le Verbe et l’âme détachée des sens,
qui l'écoute au dedans et qui ne connaît que sa voix.
« A l'instant Marie se lève et
vient à Jésus (4) : » quand il appelle, on ne peut y apporter trop de
promptitude. Les Juifs la voyant partir si vite, disaient : « Elle va pleurer au
tombeau » : on connoissait son bon naturel et son cœur tendre : mais Jésus avait
réglé ses tendresses, dont le principal objet était sa parole.
« Déliez-le, et laissez-le aller
(5). » On n'a point dit ni où il alla, ni ce qu'il fit, ni ce qu'il dit, ni ce
qu'on lui dit, ni où il avait été, ni comment il se trouvait : toutes questions
superflues : Dieu qui, dès le moment de sa mort, savait ce qu'il en voulait
faire, avait tout réglé : il savait par où nous devaient venir les vérités de
l'autre vie : Jésus notre docteur savait tout et avait tout vu dans la source.
La simplicité du narré nous apprend ce qu'on doit considérer dans les grandes
choses, et comme il y faut mépriser les minuties.
1 Joan., XV, 14, 15. — 2 Luc,
XII, 4. — 3 Joan., XI, 28. — 4 Ibid., 29, 31. — 5 Ibid.,
44.
82
Ce qui fut dit du Sauveur à sa
bienheureuse Mère par le saint vieillard Siméon est bien vrai : « Celui-ci est
posé en ruine et en résurrection à plusieurs en Israël et en signe de
contradiction, afin que les pensées de leurs cœurs soient découvertes (1). » On
n'avait point encore vu la profonde malice du cœur de l'homme, ni jusqu'à quel
point il est capable de résister à Dieu.
Après un si grand miracle, il
semble qu'il ne faut pas s'étonner que plusieurs crussent. La résurrection de
Lazare était arrivée en présence de tout le monde, à la porte de Jérusalem ,
avec le concours qu'attire un deuil dans les maisons considérables : « Plusieurs
crurent, » dit l'évangéliste. C'était là l'effet naturel d'un si grand miracle
(2). Mais d'autres qui sa voient la haine des pontifes et des pharisiens contre
Jésus et qui y entraient, leur allèrent dire ce qu'ils avaient vu. Sur cela on
assembla le conseil, et la résolution en fut étrange.
« Cet homme fait beaucoup de
miracles (3). » Ils ne nient point le fait, il est trop constant. « Que
ferons-nous? » La réponse paraît aisée : Croyez en lui. Mais leur avarice, leur
faux zèle, leur hypocrisie, leur ambition, leur domination tyrannique sur les
consciences, que Jésus découvrait, encore qu'ils la cachassent sous le masque du
zèle de la religion, les aveuglait. En cet état, « ils ne peuvent croire (4) »
comme nous verrons bientôt ; et ils aiment mieux résister à Dieu que de renoncer
à leur empire.
Ailleurs ils disent encore : «
Que ferons-nous à ces hommes ? car le miracle qu'ils viennent de faire est
public : tout Jérusalem en est témoin et nous ne saurions le nier (5) » La
réponse naturelle était : Il y faut croire : mais si nous y croyons, nous ne
1 Luc., II, 34, 35. — 2 Joan.,
XI, 45. — 3 Ibid., 47. — 4 Joan., XII, 37-39. — 5 Act., IV,
16,
83
serons plus rien, et c'est à quoi ils ne pouvaient se
résoudre.
Les incrédules s'écrient :
Comment tout le monde n'a-t-il pas cru, s'il y a eu tant et de si grands
miracles? Ils n'entendent pas le profond attachement du cœur humain à ses sens
et aux affaires qui les flattent : d'où suit une indifférence prodigieuse pour
le salut : ce qui fait qu'on ne daigne s'appliquer à ce qui se passe qui y a
rapport, ni s'en enquérir, et que ceux qui l'ont vu s'étourdissent eux-mêmes
pour n'y pas croire; de peur d'être forcés en y croyant de renoncer à tout ce
qu'ils aiment, et d'embrasser une vie qui leur paraît si insupportable et si
triste.
Il faut donc entendre qu'outre
les miracles du dehors il en fallait un au dedans, pour y changer la mauvaise
disposition des cœurs, et c'est là l'effet de la grâce. De là vient que si peu
de gens ont cru, encore qu'on ait vu tant de prodiges, et qu'ils eussent été
écrits dès le commencement avec des circonstances si particulières, qu'il n'y
avait rien de plus aisé que d'en découvrir la vérité; comme il n'y eût rien eu
de plus impudent, ni de plus capable de détromper les plus crédules que de leur
avancer tant de faits positifs , dont le contraire eût été si constant. Il n'y a
eu que ceux qui ont assez aimé leur salut et la vérité, pour prendre soin ou de
s'enquérir des choses qui se passaient en Judée à la vue de tout le monde, ou
d'y faire, s'ils les voyaient, les réflexions nécessaires, afin de les voir d'un
autre œil que le vulgaire attaché aux sens et aux préventions.
Ce qu'il y a ici de plus
étonnant, c'est que ceux qui ne voient pas la volonté de Dieu dans les miracles
qui la déclaraient si évidemment , sont les plus savans du peuple, les pontifes,
les pharisiens et les docteurs de la loi ; parce que des hypocrites comme eux,
qui n'employaient le nom de Dieu qu'à tromper le monde des avares, des
orgueilleux, qui faisaient servir la religion à leurs intérêts, devaient être
naturellement les plus opposés à la vérité et les plus incapables de ses
secrets. C'est donc ainsi que les pensées de plusieurs furent découvertes, parce
qu'on devait voir jusqu'à quel point l'intérêt devait animer les hommes les plus
sages en apparence, comme les plus considérables du peuple, contre Dieu et la
vérité.
84
Loin de profiter du miracle de
la résurrection de Lazare, « ils résolurent, non-seulement de tuer Jésus, » qui
était l'auteur du miracle, « mais encore Lazare (1) » même, en qui il s'était
accompli. Trop de monde le venait voir, et c'était un témoin trop vivant contre
eux. Ils voulurent donc le tuer, croyant obscurcir par là le miracle de sa
résurrection, en montrant du moins que le Sauveur n'avait pas pu le faire vivre
longtemps. Ils songèrent donc à le tuer, comme si par cette sorte de mort ils
pouvaient lier les mains à Dieu. Et il fallait encore que la gloire de
Jésus-Christ révélât au monde ce prodige de malignité et de folie.
Il ne faut donc plus s'étonner
de l'aveuglement des Juifs. Celui des impies et des hérétiques est à peu près de
même genre : les secrètes dispositions de tous ces gens-là devaient être
découvertes. C'est que l'effort qu'il faut faire contre ses sens et contre
soi-même , pour se donner tout entier à la vérité et à Dieu, est si grand, que
plutôt que de le faire, ils aiment mieux étouffer la grâce et l'inspiration qui
les y porte et s'aveugler eux-mêmes.
Nous sommes aussi de ceux pour
qui Jésus-Christ est un signe de contradiction; et une de ces pensées du cœur
humain, que Jésus-Christ venu au monde devait découvrir, c'est la prodigieuse
insensibilité de ceux qui élevés dans la foi, et au milieu des lumières,
préfèrent encore leurs sens et les plaisirs qui les enchantent, à la vérité qui
luit dans leur cœur; et ne craignent pas de vivre comme les impies et les
infidèles.
« Les Romains viendront et ils
détruiront notre ville, notre temple et toute notre nation (2) » C'est le
prétexte dont ils couvraient leur intérêt caché et leur ambition. Le bien public
impose aux hommes; et peut-être que les pontifes et les pharisiens en
1 Joan., XI, 50, 53; XII, 10, 11. — 2 Ibid.,
48.
85
étaient véritablement touchés ; car la politique mal
entendue est le moyen le plus sûr pour jeter les hommes dans l'aveuglement, et
les faire résister à Dieu.
On voit ici tous les caractères
de la fausse politique et une imitation de la bonne, mais à contre-sens.
La véritable politique est
prévoyante , et par là se montre sage. Ceux-ci font aussi les sages et les
prévoyants : « Les Romains viendront : » ils viendront, il est vrai, non pas
comme vous pensez , parce qu'on aura reconnu le Sauveur ; mais au contraire
parce qu'on aura manqué de le reconnaître. « La nation périra : » vous l'avez
bien prévu ; elle périra en effet, mais ce sera par les moyens dont vous
prétendiez vous servir pour la sauver : tant est aveugle votre politique et
votre prévoyance.
La politique est habile et
capable : ceux-ci font les capables : voyez avec quel air de capacité Caïphe
disait : « Vous n'y entendez rien : » il n'y entendait rien lui-même : « Il faut
qu'un homme meure pour le peuple (1) : » il disait vrai ; mais c'était d'une
autre façon qu'il ne l'entendait.
La politique sacrifie le bien particulier au bien public,
et cela est juste jusqu'à un certain point : « Il faut qu'un homme meure pour le
peuple : » il entendait qu'on pouvait condamner un innocent au dernier supplice
sous prétexte du bien public : ce qui n'est jamais permis. Car au contraire le
sang innocent crie vengeance contre ceux qui le répandent.
La grande habileté des
politiques, c'est de donner de beaux prétextes à leurs mauvais desseins. Il n'y
a point de prétexte plus spécieux que le bien public, que les pontifes et leurs
adhérents font semblant de se proposer. Mais Dieu les confondit; et leur
politique ruina le temple, la ville, la nation qu'ils faisaient semblant de
vouloir sauver. Et Jésus-Christ leur dit à eux-mêmes : « Vos maisons seront
abandonnées, vous et vos enfants porteront votre iniquité (2) ; » et tout périra
par les Romains que vous faites semblant de vouloir ménager.
Sans être dans les affaires
publiques, chacun peut ici considérer ce que c'est que la fausse prudence ou la
prudence de la chair : ses
1 Joan., XI, 49, 50. — 2
Matth., XXIII, 38; Luc., XIX, 43, 44; III, 20, 23, 24.
86
artifices pour cacher aux autres et souvent à elle-même ses
mauvais desseins : les vains prétextes dont elle se sert pour cela : sa
présomption à faire l'habile, pendant qu'en effet elle est dans la souveraine
ignorance : ses fausses maximes pour décider de ce qu'on appelle cas de
conscience, et l'abus qu'elle fait des bonnes : l'abus qu'elle fait aussi de son
autorité, lorsqu'elle en a; et même quelquefois de la grâce de son ministère,
comme fit Caïphe « de la prophétie (1) » en quelque sorte annexée au pontificat,
comme saint Jean le remarque. Tout cela peut découvrir à chacun les fautes qu'il
fait dans la conduite de sa famille, de sa communauté, de soi-même en
particulier : comme on s'entête du bien des communautés à qui souvent on
sacrifie des particuliers innocents : encore « croit-on rendre service à Dieu
(2) » comme Jésus-Christ le dit distinctement des pontifes et des autres ennemis
de la vérité.
Pour venir à quelque chose de
plus tendre, unissez-vous en esprit à « tous ces enfants de Dieu dispersés par
tout l'univers, » que la mort du Sauveur devait « recueillir (3). »
Le V/. 53 nous fait voir le
résultat du conseil, et la mort du Fils de Dieu résolue : ce qui l'obligea à se
cacher jusqu'au temps qu'il avait résolu.
Cependant la pâque approchait,
vers le temps de laquelle il devait mourir : tout se préparait à cette pâque, et
en même temps à la mort du Sauveur : puisque déjà l'ordre était donné à tous
ceux qui sauraient où il était, de le déclarer afin qu'on le prît.
Demeurez en attente de ce qui
doit arriver à Jésus : et en voyant comment on venait plusieurs jours devant la
pâque pour s'y disposer, considérez la disposition que vous devez apportera la
pâque véritable, qui est la communion.
1 Joan., XI, 51. — 2 Joan., XVI, 2. — 3 Joan.,
XI, 52 et seq.
87
Comme le temps approchait, Jésus
sort de sa retraite autour d'Ephrem (1), et revient à Béthanie , c'est-à-dire ,
comme on a vu, aux portes de Jérusalem, six jours devant Pâques.
Ce qui s'y passa d'abord de plus
remarquable, fut un festin où Lazare était à table avec lui dans sa maison :
Marthe gardait son caractère et servait : Marie aussi, pour garder le sien, se
mit selon sa coutume « aux pieds de Jésus, qu'elle oignit d'un parfum exquis et
les essuya de ses cheveux (2). » Il est arrivé trois fois au Sauveur d'être oint
par de pieuses femmes : ce qui paraît outre ce chapitre, par le vue de saint
Luc, verset 36, et par les XXIVe et XIVe de saint Matthieu et de saint Marc,
versets 6 et 3.
En saint Luc la femme n'est pas
nommée, et il paraît seulement que c'était une pécheresse pénitente. Ses larmes
dont elle arrosait les pieds de Jésus, sont le caractère de sa pénitence ; et
Jésus-Christ lui ayant donné expressément la rémission de ses péchés, confirme
ce caractère. C'en est aussi une belle confirmation, d'avoir expliqué comme il a
fait, la nature et les devoirs de l'amour pénitent, et de montrer jusqu'où le
porte la reconnaissance.
Ce caractère d'amour pénitent ne
se trouve pas dans ce chapitre de saint Jean, où il est dit seulement que Marie
répandit son parfum sur les pieds et les essuya de ses cheveux : mais sans y
parler de larmes ni des doux et pieux baisers de la pénitente. En saint Matthieu
et en saint Marc, le parfum est répandu sur la tête, pendant que Jésus était à
table : ce qui était très-facile en ces temps où les conviés étaient à table
couchés. Il est dit dans ces deux derniers endroits, que « la maison fut toute
remplie de la bonne odeur du parfum (3) » Les lieux comme les temps de ces
onctions sont marqués : la pécheresse pénitente fit son onction longtemps avant
la dernière pâque, dans la maison de Simon le
1 Joan., XI, 54. — 2 Joan.,
XII, 3. — 3 Ibid., 3.
88
pharisien (1) : la seconde onction qui est clairement
attribuée à Marie, sœur de Lazare et de Marthe, se fit à Béthanie, six jours
devant Pâques, dans la maison de Lazare et de ses sœurs (2). Et la troisième
encore à Béthanie, mais chez Simon le lépreux, et seulement deux jours avant
Pâques ou un peu après, comme le marquent saint Matthieu et saint Marc (3). Dans
la première et dans la troisième onction, la femme n'est pas nommée : dans la
seconde il est porté expressément dans saint Jean que celle qui la fit fut
Marie, sœur de Lazare. Et soit que les trois différentes onctions aient été
faites par différentes personnes, selon l'opinion de quelques-uns , ou par la
même, selon quelques autres, en divers temps et avec différentes circonstances,
il faut profiter de chaque caractère qui nous y paraît.
Il faut aussi remarquer que ces
profusions de parfums scandalisèrent deux fois les hypocrites, et même les
disciples qui n'en savaient pas le mystère; et que Jésus aussi prit deux fois la
défense de ces pieuses profusions.
Parfumer Jésus, c'est lui donner
des louanges. Parfumer la tête de Jésus, c'est louer et adorer sa divinité : car
« la tête de Jésus-Christ, comme parle saint Paul, c'est Dieu (4) » Parfumer ses
pieds, c'est adorer son humanité et ses faiblesses. Essuyer les pieds de Jésus
avec ses cheveux, c'est mettre à ses pieds sacrés son ornement et sa tète même,
avec toutes les vanités et la parure du siècle. Tout est sacrifié à Jésus : on
ne veut plaire qu'à lui : des cheveux qui ont touché les pieds de Jésus,
pourront-ils jamais servir à la vanité ? C'est ainsi que Jésus veut être aimé :
il est digne d'un tel amour et de tels hommages.
On ne répand pas seulement ces
riches parfums sur Jésus : « on rompt la boîte d'albâtre » où ils étaient
renfermés, afin qu'il ait tout : Fracto alabastro (5), dit saint Marc. Sa
tête et ses pieds ruisselèrent donc de ces admirables parfums, et toute la
maison en fut embaumée. L'exemple de la piété de ces saintes femmes a rempli
toute l'Eglise de sa bonne odeur.
Quand la pécheresse approcha des
pieds de Jésus, on disait :
1 Luc, VII, 36-40. — 2 Joan.,
XII, 4. — 3 Matth., XXVI, 8; Marc., XIV, 8. — 4 I Cor., XI,
3. — 5 Marc, XIV, 3.
89
« S'il était prophète, il » ne se laisserait pas « toucher
par cette » pécheresse (1). Ici on ne lui reproche rien contre celles qui le
touchent, soit qu'elles n'eussent jamais été pécheresses, soit qu'il y eût déjà
si longtemps, que la mémoire en fût effacée par leur pénitence : on leur fit ici
un autre reproche, et c'est celui de leur profusion : « On pouvait vendre ces
parfums trois cents deniers et plus : » tant ils étaient précieux : tant
l'effusion en fut abondante : « et les donner aux pauvres (2). » L'amour des
pauvres fut le prétexte dont on se servit, pour condamner la piété de ces femmes
qu'on appelait indiscrète ; et pour couvrir l'envie qu'on avait contre Jésus, et
des honneurs qu'on lui faisait : et Judas se signala parmi ces faux charitables
et ces faux dévots. Les plus méchants sont les plus sévères censeurs de la
conduite des autres ; soit par le dérèglement de leur esprit, soit par leur
hypocrisie ou par un faux zèle. Judas avait encore une autre raison, c'est qu'il
gardait et volait ce qu'on donnait au Sauveur ; et il croyait qu'on ôtait à son
avarice ce qu'on ne mettait pas entre ses mains. Que l'avarice parle haut, quand
elle peut se couvrir du prétexte de la charité !
Ses insolents discours
n'attaquaient pas seulement les femmes dont il accusait la profusion, mais
encore Jésus-Christ qui la souffrait ; mais il prit en main leur défense, en
disant qu'elles « l'avaient fait pour l'ensevelir (3), » se considérant comme
mort à cause que l'heure approchait et qu'il s'était mis dans l'esprit et dans
l'état de victime.
Il voulait en même temps nous
faire considérer de quel honneur était digne ce corps virginal, formé par le
Saint-Esprit et où la divinité habitait par lequel la mort devait être vaincue
et le règne du péché aboli : quels parfums assez exquis pouvaient en marquer
assez la pureté !
Il voulait aussi que les parfums
qui servaient à la mollesse et au luxe, servissent à cette fois à la piété, et
que la vanité fût sacrifiée à la vérité.
« Vous aurez toujours des
pauvres avec vous; et quand vous voudrez, vous leur pouvez faire du bien (4). »
1 Luc, VII, 39. — 5 Joan., XII, 5; Marc.,
XIV, 5. — 3 Marc., XIV, 8; Joan., XII, 7. — 4 Marc, XIV, 7.
90
Les onctions étaient salutaires
au corps : on s'en servait non-seulement par délicatesse, mais encore par
précaution et par remède. On faisait nager les corps morts dans le baume et dans
les parfums pour les conserver et en prévenir la corruption même après la mort :
et c'était tout le bien dont le corps était capable alors. On pouvait toujours
faire ces sortes de biens aux pauvres, disait le Sauveur: « mais pour lui, on
n'aurait pas toujours son corps présent» pour lui faire ce bien : il fallait
donc le lui faire pendant qu'on l'avait, et quand on ne l'aurait plus, se
consoler en le faisant aux pauvres, dont il imputait le soulagement et le bien
comme fait à sa personne. Combien donc les pauvres nous doivent-ils être chers,
puisqu'ils nous tiennent la place de Jésus-Christ! Baisons leurs pieds : prenons
part à leurs humiliations et à leurs faiblesses : versons des larmes sur leurs
pieds : pleurons leur misère : compatissons à leurs souffrances : répandons des
parfums sur leurs pieds, des consolations sur leurs peines et sur leurs
infirmités, un baume adoucissant sur leurs douleurs : essuyons-les de nos
cheveux : donnons-leur notre superflu et privons-nous des vains ornements pour
les soulager.
En même temps parfumons Jésus :
laissons exhaler de nos cœurs de tendres désirs, un amour chaste, une douce
espérance, de continuelles louanges : et si nous voulons l'aimer et le louer
dignement, louons-le par toute notre vie, gardons sa parole.
Disons-lui dans l'épanchement de
nos cœurs ce que lui disait saint Paul (1), « qu'il nous est justice, sainteté,
sagesse, rédemption et toutes choses : » comme il est dit aux Corinthiens.
Disons-lui tout ce que lui dit le même saint Paul aux Colossiens (2).
Chantons-lui tous les doux cantiques que lui chante dans l'Apocalypse tout le
peuple racheté : « L'Agneau qui a été immolé pour nous est digne de recevoir la
vertu, la divinité, les richesses, la sagesse, la force, la gloire, la
bénédiction (3). » C'est ce que lui doit chanter toute créature : c'est là le
parfum que nous répandons sur lui dans l'épanchement de nos cœurs.
1 I Cor., I, 30. — 2 Coloss.,
I, 12, 13 et seq. — 3 Apoc., V, 12, 13; VII, 10-12.
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