Elév. Semaine XX
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XXe SEMAINE.
LA VIE CACHÉE DE JÉSUS JUSQU'A SON BAPTÊME.

 

XXe SEMAINE.  LA VIE CACHÉE DE JÉSUS JUSQU'A SON BAPTÊME.

PREMIÈRE ÉLÉVATION.  L'accroissement de l'enfant, sa sagesse et sa grâce.

IIe ÉLÉVATION.  Jésus suit ses parents à Jérusalem et y célèbre la Pâque.

IIIe ÉLÉVATION.  Le saint enfant échappe à saint Joseph et à la sainte Vierge.

IVe ÉLÉVATION.  Jésus trouvé dans le temple parmi les docteurs, et ce qu'il y faisait.

Ve ÉLÉVATION.  Plainte des parents de Jésus et sa réponse.

VIe ÉLÉVATION.  Réflexions sur ta réponse du Sauveur.

VIIe ÉLÉVATION.  La réponse de Jésus n’est pas entendue.

VIIIe ÉLÉVATION.  Retour de Jésus à Nazareth : son obéissance et sa vie cachée avec ses parents.

IXe ÉLÉVATION.  La vie de Marie.

Xe ÉLÉVATION.  Comment nous devons imiter Jésus et Marie dans leur vie obscure.

XIe  ÉLÉVATION.  L'avancement de Jésus est le modèle du nôtre.

XIIe ÉLÉVATION.  Recueil des mystères de l’enfance de Jésus.

 

 

PREMIÈRE ÉLÉVATION.
L'accroissement de l'enfant, sa sagesse et sa grâce.

 

« L'enfant croissait et se fortifiait rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était en lui (1). » Il y en a qui voudraient que tout se fit en Jésus-Christ par des coups extraordinaires et miraculeux. Mais par là Dieu aurait détruit son propre ouvrage; et, comme dit saint Augustin, « s'il faisait tout par miracle, il effaceroit ce qu'il a fait par miséricorde : » Dum omnia mirabiliter facit, deleret quod misericorditer fecit. Ainsi il fallait que comme les autres enfants, il sentît le progrès de l'âge : la sagesse même dont il était plein, se déclaroit par degrés, comme l'évangéliste nous le dira bientôt. Cependant dès le berceau et dès le sein de sa mère, il était rempli de sagesse. Sa sainte aine dès sa conception unie à la sagesse éternelle en unité de personne, en était intimement dirigée ; et en reçut d'abord un don de sagesse éminent au-dessus de tout, comme étant l’âme du Verbe divin, une âme qu'il s'était rendue propre : en sorte que, selon l'humanité même, « tous les trésors de sagesse et de science étaient cachés en lui (2). » Ils y étaient donc mais cachés pour se déclarer dans leur temps. « Et la grâce de Dieu était en lui. » Qui en doute, puisqu'il était si étroitement uni à la source de la sainteté et de la grâce? Mais le saint évangéliste veut dire qu'à mesure que l'Enfant croissait et commençait à agir par lui-même, il reluisait dans tout son extérieur je ne sais quoi qui faisait rentrer en soi-même et qui attirait les âmes à Dieu : tant tout était simple, mesuré, réglé dans ses actions et dans ses paroles.

 

1 Luc., II, 40. — 2 Coloss., II, 3.

 

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Aimable Enfant, heureux ceux qui vous ont vu hors de vos langes développer vos bras, étendre vos petites mains, caresser votre sainte Mère et le saint vieillard qui vous avait adopté, ou à qui plutôt vous vous étiez donné pour Fils; faire, soutenu, vos premiers pas; dénouer votre langue et bégayer les louanges de Dieu votre Père! Je vous adore, cher Enfant, dans tous les progrès de votre âge, soit que vous suciez la mamelle, soit que par vos cris enfantins vous appeliez celle qui vous nourrissait, soit que vous vous reposiez sur son sein et entre ses bras. J'adore votre silence : mais commencez, il est temps, à faire entendre votre voix. Qui me donnera la grâce de recueillir votre première parole? Tout était en vous plein de grâce ; et n'eussiez-vous fait que demander votre nourriture, j'adore les nécessités où vous vous mettez pour nous : la grâce de Dieu est en vous; et je la veux ramasser de toutes vos actions. Encore un coup, faites-moi enfant en simplicité et en innocence.

 

IIe ÉLÉVATION.
Jésus suit ses parents à Jérusalem et y célèbre la Pâque.

 

Jésus-Christ en venant au monde, sans se mettre en peine de naître dans une maison opulente, ni de se choisir des parents illustres pur leurs richesses ou par leur savoir, se contente de leur piété. Réjouissons-nous à son exemple, non point de l'éclat de notre famille, mais qu'elle ail été pleine d'édification et de bons exemples, et enfin une vraie école de religion, où l'on apprit à servir Dieu et à vivre dans sa crainte.

Joseph et Marie, selon le précepte de la loi, ne manquaient pas tous les ans « d'aller célébrer la Pâque dans le temple de Jérusalem (1) : » ils y menaient leur cher Fils, qui se laissait avertir de cette sainte observance, et peut-être instruire du mystère de cette fête. Il y était avant que d'y être : il en faisait le fond, puisqu'il était le vrai agneau qui devait être immolé et mangé en mémoire de notre passage à la vie future. Mais Jésus, toujours soumis à

 

1 Luc., II, 41.

 

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ses parents mortels durant son enfance, fit connaître un jour que sa soumission ne venait pas de l'infirmité et de l'incapacité d'un âge ignorant, mais d'un ordre plus profond.

Il choisit, pour accomplir ce mystère, l'âge de douze ans, où l'on commence à être capable de raisonnement et de réflexions plus solides, afin de ne point paraître vouloir forcer la nature, mais plutôt en suivre le cours et les progrès.

 

IIIe ÉLÉVATION.
Le saint enfant échappe à saint Joseph et à la sainte Vierge.

 

Jésus a divers moyens de nous échapper. L'un est quand il retire sa grâce dans le fond, ce qu'il ne fait jamais que par punition et pour quelque péché précédent ; l'autre, quand il retire non pas le fond de la grâce, mais quelques grâces singulières, ou qu'il en retire le sentiment pour nous exercer et accroître en nous ses faveurs par le soin que nous prendrons à le rechercher.

La soustraction de Jésus, qui échappe à sa sainte Mère et à saint Joseph, n'est pas une punition, mais un exercice. On ne lit point qu'ils soient accusés de l'avoir perdu par négligence ou par quelque faute : c'est donc une humiliation et un exercice. Jésus s'échappe quand il lui plait : son « esprit » va et vient : et « l'on ne sait ni d'où il vient, ni où il va (1) : il passe, » quand il lui plaît, « au milieu de ceux qui le cherchent (2) » sans qu'ils l'aperçoivent : apparemment il n'eut pas besoin de se servir de cette puissance pour échapper à Marie et à Joseph. Quoi qu'il en soit, le saint Enfant disparut; et les voilà premièrement dans l'inquiétude, et ensuite dans la douleur, parce « qu'ils ne le trouvèrent pas parmi leurs parents et leurs amis, avec lesquels ils le crurent (3). » Combien de fois, s'il est permis de conjecturer, combien de fois le saint vieillard se reprocha-t-il à lui-même le peu de soin qu'il avait eu du dépôt céleste? Qui ne s'affligerait avec lui et avec la plus tendre mère, comme la meilleure épouse qui fût jamais?

Les charmes du saint Enfant étaient merveilleux : il est à croire que tout le monde le voulait avoir, et ni Marie ni Joseph n'eurent

 

1 Joan., III, 8. — 2 Luc., IV, 30. — 3 Ibid., II, 43, 44.

 

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peine à croire qu'il fût dans quelque troupe des voyageurs. Car les gens de même contrée allant à Jérusalem dans les jours de fête, faisaient des troupes pour aller de compagnie. Ainsi Jésus échappa facilement : « et ses parents marchèrent un jour» sans s'apercevoir de leur perte.

Retournez à Jérusalem : ce n'est point dans la parenté ni parmi les hommes qu'on doit retrouver Jésus-Christ; c'est dans la sainte cité, c'est dans le temple qu'on le trouvera occupé des affaires de son Père. En effet «après trois jours» de recherche laborieuse, quand il eut été assez pleuré, assez recherché, le saint Enfant se laissa enfin «trouver dans le temple (1). »

 

IVe ÉLÉVATION.
Jésus trouvé dans le temple parmi les docteurs, et ce qu'il y faisait.

 

Il était « assis au milieu des docteurs : il les écoutait, et il les interrogeait, et tous ceux qui l'écoutaient étaient étonnés de sa prudence et de ses réponses (2). » Le voilà donc d'un côté assis avec les docteurs, comme étant docteur lui-même et né pour les enseigner ; et de l'autre, nous ne voyons pas qu'il y fasse comme dans la suite des leçons expresses : il écoutait, il interrogeait ceux qui étaient reconnus pour maîtres en Israël, non pas juridiquement, pour ainsi parler, ni de cette manière authentique dont il usa lorsqu'il disait : « De qui est cette image et cette inscription (3) ? » ou : « De qui était le baptême de Jean (4) ?» ou : « Si David est le père du Christ, comment l'appelle-t-il son Seigneur (5)? » Ce n'était point en cette manière qu'il interrogeait; mais, si je l'ose dire, c’était un enfant et comme s'il eût voulu être instruit. C'est pour cria qu'il est dit qu'il écoutait, et répondait à son tour aux docteurs qui l'interrogeaient; «et on admirait ses réponses» comme d'un enfant modeste, doux et bien instruit ; en y ressentant pourtant . comme il était juste, quelque chose de supérieur, en sorte qu'on lui laissait prendre sa place parmi les maîtres.

 

1 Luc., II, 44-46. — 2 Ibid., 46, 47. — 3 Matth., XXII, 20. — 4 Ibid., XXI . — 5 Ibid., XXII, 42, 43.                                                                             

 

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Admirons comme Jésus, par une sage économie, sait ménager toutes choses, et comme il laisse éclater quelque chose de ce qu'il était sans vouloir perdre entièrement le caractère de l'enfance. Allez au temple, enfants chrétiens; allez consulter les docteurs; interrogez-les; répondez-leur; reconnaissez dans ce mystère le commencement du catéchisme et de l'Ecole chrétienne. Et vous, parents chrétiens, pendant que l'Enfant Jésus ne dédaigne pas d'interroger, de répondre et d'écouter, comment pouvez-vous soustraire vos enfants au catéchisme et à l'instruction pastorale?

Admirons aussi avec tous les autres la prudence de Jésus : une prudence non-seulement au-dessus de son âge, mais encore tout à fait au-dessus de l'homme, au-dessus de la chair et du sang : une prudence de l'esprit. Nous pourrions ici regretter quelques-unes de ces réponses de Jésus, qui firent admirer sa prudence : mais en voici une qui nous fera assez connaître la nature et la hauteur de toutes les autres.

 

Ve ÉLÉVATION.
Plainte des parents de Jésus et sa réponse.

 

Ses parents « furent étonnés de le trouver parmi les docteurs (1), » dont il faisait l'admiration : ce qui marque qu'ils ne voyaient rien en lui d'extraordinaire dans le commun de la vie ; car tout était comme enveloppé sous le voile de l'enfance; et Marie, qui était la première à sentir la perte d'un si cher fds, fut aussi la première à se plaindre de son absence. Et, « mon fils, dit elle, pourquoi nous avez-vous fait ce traitement? Votre père et moi affligés vous cherchions (2). » Remarquez : « Votre père et moi : » elle l'appelle son père; car il l'était, comme on a vu, à sa manière : père, non-seulement par l'adoption du saint Enfant ; mais encore vraiment père par le sentiment, par le soin, par la douleur : ce qui fait dire à Marie : « votre père et moi affligés : » pareils dans l'affliction puisque sans avoir part dans votre naissance, il n'en partage pas moins avec moi la joie de vous posséder et la douleur de vous

 

1 Luc., V, 48. — 2 Ibid.

 

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perdre. Cependant, femme obéissante et respectueuse, elle nomme Joseph le premier : « votre père et moi, » et lui fait le même honneur que s'il était père comme les autres. O Jésus, que tout est réglé dans votre famille ! Comme chacun, sans avoir égard à sa dignité, y fait ce que demande l'édification et le bon exemple! Bénite famille, c'est la sagesse éternelle qui vous règle.

«Pourquoi me cherchiez-vous? Ne saviez-vous pas qu'il faut que je sois occupé de ce qui regarde mon Père (1) ? » Voici donc cette réponse sublime de l'Enfant, que nous avions à considérer : mais elle mérite bien une attention distincte et particulière.

 

VIe ÉLÉVATION.
Réflexions sur ta réponse du Sauveur.

 

«Pourquoi me cherchiez-vous? » Et quoi? Ne vouliez-vous pas qu'ils vous cherchassent? Et pourquoi vous retiriez-vous, sinon pour vous faire chercher? Est-ce peut-être qu'ils vous cherchaient, du moins Joseph, avec un empressement trop humain? Ne jugeons pas; mais concevons que Jésus parle pour notre instruction. Et en effet, il veut exclure ce qu'il y peut avoir de trop empressé dans la recherche qu'on fait de lui. Qui ne sait que ses apôtres, quand il les quitta, étaient attachés à sa personne d'une manière qui n'était pas autant épurée qu'il le souhaitait? Ames saintes et spirituelles, quand il vous échappe, quand il retire ses suavités, modérez un empressement souvent trop sensible : quelquefois il veut revenir tout seul; et s'il le faut chercher, ce doit être doucement et sans des mouvements inquiets.

« Ne saviez-vous pas que je dois être occupé des affaires de mon Père? » Est-ce qu'il désavoue Marie, qui avait appelé Joseph son père? Non sans doute; mais il leur rappelle le doux souvenir de son vrai Père qui est Dieu, dont la volonté, qui est l'affairé dont il leur veut parler, doit faire son occupation. Croyons donc avec une ferme foi que Dieu est le père de Jésus-Christ; et que sa volonté seule est sa règle en toutes choses, soit qu'il se montre,

 

1 Luc., II, 49.

 

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soit qu'il se cache, soit qu'il s'absente ou qu'il revienne, qu'il

nous échappe ou qu'il nous console par un retour consolant.

La volonté de son Père était qu'il donnât alors un essai de la sagesse dont il était plein et qu'il venait déclarer, et tout ensemble de la supériorité avec laquelle il devait regarder ses parents mortels, sans suivre la chair et le sang, leur maître de droit, soumis à eux par dispensation.

 

VIIe ÉLÉVATION.
La réponse de Jésus n’est pas entendue.

 

«Et ils ne conçurent pas ce qu'il leur disait (1). » Ne raffinons point mal à propos sur le texte de l'Evangile. On dit non-seulement de Joseph, mais encore de Marie même, qu'ils ne conçurent pas ce que voulait dire Jésus. Marie concevait sans doute ce qu'il disait de Dieu son Père, puisque l'ange lui en avait appris le mystère : ce qu'elle ne conçut pas aussi profondément qu'il le méritait, c'était ces affaires de son Père dont il fallait qu'il fut occupé. Apprenons que ce n'est pas dans la science, mais dans la soumission que consiste la perfection. Pour nous empêcher d'en douter, Marie même nous est représentée comme ignorant le mystère dont lui parlait ce cher Fils. Elle ne fut point curieuse : elle demeura soumise : c'est ce qui vaut mieux que la science. Laissons Jésus-Christ agir en Dieu, faire et dire des choses hautes et impénétrables : regardons-les comme fit Marie avec un saint étonnement et conservons-les dans notre cœur pour les méditer et les tourner de tous côtés en nous-mêmes, et les entendre, quand Dieu le voudra, autant qu'il voudra.

Jésus préparait  la voie dans l'esprit des Juifs à la sagesse dont il devait être le docteur : il posait de loin les fondements de ce qu'il devait prêcher , et accoutumait le monde à lui entendre dire qu'il avait un Père dont les ordres le réglaient et dont les affaires étaient son emploi. Quelles étaient en particulier ces affaires ? Il ne le dit pas, et il nous le faut ignorer jusqu'à ce qu'il nous le

 

1 Luc., II, 50.

 

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révèle selon la dispensation dont il use dans la distribution des vérités éternelles et des secrets du ciel. Plongeons-nous humblement dans notre ignorance ; reposons-nous-y ; et faisons-en un rempart à l'humilité. O Jésus, je lirai votre Ecriture : j'écouterai vos paroles, aussi content de ce qui me sera caché que de ce que vous voudrez que j'y entende. Tournons tout à la pratique, et ne recherchons l'intelligence qu'autant qu'il le faut pour pratiquer et agir. « Crains Dieu et observe ses commandements, c'est là tout l'homme (1). Celui qui fera la volonté de celui qui m'a envoyé, connaîtra si ma doctrine vient de Dieu (2). »

 

VIIIe ÉLÉVATION.
Retour de Jésus à Nazareth : son obéissance et sa vie cachée avec ses parents.

 

« Et il partit avec eux , et alla à Nazareth (3). » Ne perdons rien de la sainte lecture : le mot de l'évangéliste est « qu'il descendit avec eux à Nazareth. » Après s'être un peu échappé pour faire l'ouvrage et le service de son Père, il rentre dans sa conduite ordinaire , dans celle de ses parents, dans l'obéissance. C'est peut-être mystiquement ce qu'il appelle « descendre : » mais quoi qu'il en soit, il est vrai que remis entre leurs mains jusqu'à son baptême, c'est-à-dire jusqu'à l'âge d'environ trente ans, il ne fit plus autre chose que leur obéir.

Je me pâme d'étonnement à cette parole : est-ce là donc tout l'emploi d'un Jésus-Christ, du Fils de Dieu? Tout son emploi, tout son exercice est d'obéir à deux de ses créatures. Et en quoi leur obéir? dans les plus bas exercices, dans la pratique d'un art mécanique. Où sont ceux qui se plaignent, qui murmurent, lorsque leurs emplois ne répondent pas à leur capacité, disons mieux à leur orgueil? Qu'ils viennent dans la maison de Joseph et de Marie, et qu'ils y voient travailler Jésus-Christ. Nous ne lisons point que ses parents aient jamais eu de domestiques, semblables aux pauvres gens dont les enfants sont les serviteurs. Jésus a dit

 

1 Eccle. XII, 23. — 2 Joan., VII, 17.— 3 Luc., II, 51.

 

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de lui-même qu'il « était venu pour servir (1) : » les anges furent obligés pour ainsi dire à le venir servir eux-mêmes dans le désert (2), et l'on ne voit nulle part qu'il eût de serviteurs à sa suite. Ce qui est certain, c'est qu'il travaillait lui-même à la boutique de son père (3). Le dirai-je? Il y a beaucoup d'apparence qu'il le perdit avant le temps de son ministère. A sa passion il laisse sa mère en garde à son disciple bien-aimé, qui la reçut dans sa maison (4) ; ce qu'il n'aurait pas fait, si Joseph son chaste époux eût été en vie. Dès le commencement de son ministère, on voit Marie conviée avec Jésus aux noces de Cana (5) : on ne parle point de Joseph. Un peu après on le voit aller à Capharnaüm , lui, sa mère, ses frères et ses disciples (6) : Joseph ne paraît pas dans un dénombrement si exact. Marie paraît souvent ailleurs ; mais depuis ce qui est écrit de son éducation sous saint Joseph, on n'entend plus parler de ce saint homme. Et c'est pourquoi au commencement du ministère de Jésus-Christ, lorsqu'il vint prêcher dans sa patrie, on disait : « N'est-ce pas là ce charpentier, fils de Marie (7) : » comme celui, n'en rougissons pas, qu'on avait vu, pour ainsi parler, tenir la boutique , soutenir par son travail une mère veuve et entretenir le petit commerce d'un métier qui les faisait subsister tous deux? « Sa mère ne s'appelle-t-elle pas Marie? N’avons-nous pas parmi nous ses frères Jacques et Joseph, et Simon et Jude, et ses sœurs (8) ? » On ne parle point de son père ; apparemment donc qu'il l'a voit perdu : Jésus-Christ l'avait servi dans sa dernière maladie : heureux père, à qui un tel fils a fermé les yeux ! Vraiment il est mort entre les bras et comme dans le baiser du Seigneur. Jésus resta à sa mère pour la conserver, pour la servir ; et ce fut là encore un coup son exercice.

O Dieu! je me pâme, encore un coup! Orgueil! viens crever à ce spectacle ! Jésus, fils d'un charpentier, charpentier lui-même, connu par cet exercice sans qu'on parle d'aucun autre emploi, ni d'aucune autre action. On se souvenait dans son Eglise naissante des charrues qu'il avait faites, et la tradition s'en est conservée dans les plus anciens auteurs. Que ceux qui vivent d'un art

 

1 Matth., XX, 28. — 2 Ibid., IV, 11. — 3 Ibid., XIII, 55 ; Marc., VI, 3. — 4 Joan., XIX, 26, 27.—  5 Ib., II, 1. — 6 Ib., 12. — 7 Marc., VI, 3.— 8 Matth., XIII, 55, 57.

 

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mécanique se consolent et se réjouissent : Jésus-Christ est de leur corps : qu'ils apprennent en travaillant à louer Dieu et à chanter des psaumes et de saints cantiques : Dieu bénira leur travail, et ils seront devant lui comme d'autres Jésus-Christs.

Il y en a eu qui ont eu honte pour le Sauveur de le voir dans cet exercice, et dès son enfance ils le font se jouer avec des miracles. Une ne dit-on point des merveilles qu'il fit en Egypte ? Mais tout cela n'est écrit que dans des livres apocryphes. L'Evangile renferme durant trente ans toute la vie de Jésus-Christ dans ces paroles : « Il leur était soumis (1) ; » et encore : « C'est ici ce charpentier, fils de Marie (2). » Il y a dans l'obscurité de saint Jean-Baptiste quelque chose apparemment de plus grand : il ne parut point parmi les hommes, et « le désert fut sa demeure (3). » Mais Jésus dans une vie si vulgaire, connu à la vérité mais par un vil exercice, pouvait-il mieux cacher ce qu'il était? Que dirons-nous, que ferons-nous pour le louer? il n'y a en vérité qu'à demeurer dans l'admiration et dans le silence.

 

IXe ÉLÉVATION.
La vie de Marie.

 

Ceux qui s'ennuient pour Jésus-Christ et rougissent de lui faire passer sa vie dans une si étrange obscurité, s'ennuient aussi pour la sainte Vierge et voudraient lui attribuer de continuels miracles. Mais écoutons l'Evangile : « Marie conservait toutes ces choses en son cœur (4). » L'emploi de Jésus était de s'occuper de son métier : et remploi de Marie, de méditer nuit et jour le secret de Dieu.

Mais quand elle eut perdu son fils, changea-t-elle d'occupation? Où la voit-on paraître dans les Actes, ou dans la tradition de l'Eglise? On la nomme parmi ceux qui entrèrent dans le cénacle et reculent le Saint-Esprit (5) : et c'est tout ce qu'on en rapporte. N'est-ce pas un assez digne emploi que celui de conserver dans son cœur tout ce qu'elle avait vu de ce cher Fils, et si les mystères

 

1 Luc., II, 52. — 2 Matth. XIII, 5. — 3 Luc. I, 80. — 4 Luc., II, 51. — 5 Act. I, 13, 14; II, 1,2.                                                                                                   

 

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de son enfance lui furent un si doux entretien, combien trouva-t-elle à s'occuper de tout le reste de sa vie? Marie méditait Jésus : Marie avec saint Jean , qui est la figure de la vie contemplative , demeurait en perpétuelle contemplation, se fondant, se liquéfiant, pour ainsi parler, en amour et en désir. Que lit l'Eglise au jour de son Assomption glorieuse? L'Evangile de Marie sœur de Lazare, assise aux pieds du Sauveur et écoutant sa parole (1). Depuis l'absence du Sauveur, l'Eglise ne trouve plus rien pour Marie mère de Dieu dans le trésor de ses Ecritures, et elle emprunte pour ainsi dire d'une autre Marie l'Evangile de la divine contemplation. Que dirons-nous donc à ceux qui inventent tant de belles choses pour la sainte Vierge ? Que dirons-nous, si ce n'est que l'humble et parfaite contemplation ne leur suffit pas ? Mais si elle a suffi à Marie, à Jésus même durant trente ans, n'est-ce pas assez à la sainte Vierge de continuer cet exercice ? Le silence de l'Ecriture sur cette divine mère est plus grand et plus éloquent que tous les discours. O homme, trop actif et inquiet par ta propre activité, apprends à te contenter, en te souvenant de Jésus, en l'écoutant au dedans, et en repassant ses paroles.

 

Xe ÉLÉVATION.
Comment nous devons imiter Jésus et Marie dans leur vie obscure.

 

Voici donc quel est mon partage : « Marie conservait ces choses dans son cœur (2) : Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera point ôtée ; » et : « Il n'y a qu'une seule chose qui soit nécessaire (3). » Orgueil humain, de quoi te plains-tu avec tes inquiétudes? de n'être de rien dans le monde? Quel personnage y faisait Jésus? Quelle figure y faisait Marie? C'était la merveille du monde, le spectacle de Dieu et des anges : et que faisaient-ils? De quoi étaient-ils? Quel nom avaient-ils sur la terre ? Et tu veux avoir un nom et une action qui éclate ! Tu ne connais pas Marie, ni Jésus. — Je veux un emploi pour faire connaître mes talents qu'il ne faut pas enfouir. —Je l'avoue, quand Jésus

 

1 Luc., X, 39, 41. — 2 Ibid., II, 51. — 3 Luc., X, 39, 42.

 

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t’emploie et te donne de ces utiles talents, dont il te déclare qu'il te redemande compte. Mais ce talent enfoui avec Jésus-Christ et caché en lui, n'est-il pas assez beau à ses yeux? Va, tu es un homme rempli de vanité, et tu cherches dans ton action, que tu crois pieuse et utile, une pâture à ton amour-propre. — Je sèche, je n'ai rien à faire; ou mes emplois trop bas me déplaisent : je m'en veux tirer et en tirer ma famille. — Et Marie et Jésus songent-ils à s'élever? Regarde ce divin charpentier avec la scie, avec le rabot, durcissant ses tendres mains dans le maniement d'instru-mens si grossiers et si rudes. Ce n'est point un docte pinceau qu'il manie : il aime mieux l'exercice d'un métier plus humble et plus nécessaire à la vie : ce n'est point une docte plume qu'il exerce par de beaux écrits : il s'occupe , il gagne sa vie, il accomplit, il loue , il bénit la volonté de Dieu dans son humiliation.

Et qu'a-t-il fait au seul moment où il s'échappa d'entre les mains de ses parents pour les affaires de son Père céleste? Quelle œuvre fit-il alors, si ce n'est l'œuvre du salut des hommes? Et tu dis : Je n'ai rien à faire, quand l'ouvrage du salut des hommes est en partie entre tes mains. N'y a-t-il point d'ennemis à réconcilier, de différends à pacifier, de querelles à finir , où le Sauveur dit : « Vous aurez sauvé votre frère (1) ? » N'y a-t-il point de misérable qu'il faille empêcher de se livrer au murmure, au blasphème , au désespoir ? Et quand tout cela te serait ôté, n'as-tu pas l'affaire de ton salut, qui est pour chacun de nous la véritable œuvre de Dieu ? Va au temple : échappe-toi, s'il le faut, à ton père et à ta mère: re nonce à la chair et au sang, et dis avec Jésus: « Ne faut-il pas que nous travaillions à l'œuvre que Dieu notre Père nous a confiée (2) ? » Tremblons, humilions-nous de ne trouver rien dans nos emplois qui soit digne de nous occuper.

 

XIe  ÉLÉVATION.
L'avancement de Jésus est le modèle du nôtre.

 

Peut-on dire d'un Jésus, du Fils de Dieu, d'un Homme-Dieu, à

 

1 Matth., XVIII, 15. — 2 Joan., IX, 4.

 

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qui la sagesse même était unie en personne, « qu'il croissait en sagesse et en grâce comme en âge devant Dieu et devant les hommes (1) ? » N’avons-nous pas vu qu'en entrant au monde, il se dévoua lui-même à Dieu pour accomplir sa volonté, en prenant la place des sacrifices de toutes les sortes (2)? N'est-il pas appelé dès sa naissance « le Sage, le conseil, l'auteur de la paix (3)?» N'a voit-il pas la sagesse dès le ventre de sa mère ? et n'est-ce pas en vue de cette sagesse accomplie que le prophète avait prédit, comme une merveille, «qu'une femme environnerait un homme (4) : » Virum : enfermerait dans ses lianes un homme fait ? Entendons donc que la sagesse et la grâce , qui était en lui dans sa plénitude, par une sage dispensation se déclarait avec le temps, et de plus en plus, par des œuvres et par des paroles plus excellentes devant Dieu et devant les hommes.

Parlons donc, non par impatience , ni par faiblesse, ni par vanité et pour nous faire paraître, mais quand Dieu le veut : car Jésus dans son berceau n'a parlé ni aux bergers, ni aux mages qui étaient venus de si loin pour le voir. La sagesse humaine apprend beaucoup, si elle apprend à se taire. Aimons donc à demeurer dans le silence , quand Jésus est encore enfant en nous. Car s'il s'y formait tout d'un coup en son entier, son apôtre n'au-roit pas dit : « Mes petits enfants, que j'enfante encore jusqu'à ce que Jésus-Christ soit formé en vous (5). » Jusqu'à ce qu'il y soit formé, fortifions-nous avec Jésus : allons au temple interroger les docteurs : supprimons une sagesse encore trop enfantine : apprenons de Jésus, la Sagesse même, que c'est souvent la sagesse qui fait cacher la sagesse.

Mais quel docteur pouvons-nous interroger, sinon Jésus, la sagesse même ? En toutes choses, en toute affaire, en toute action, consultons la sagesse de Jésus , la lumière de sa vérité, la doctrine de son Evangile.

Le plaisir me trompe, et me fait croire innocent ce qui m'agrée : nous croyons en être quittes, pour dire avec Eve trop ignorante : « Le serpent m'a déçu (6). » Mais si nous consultons la

 

1 Luc., II, 52. — 2 Hebr., X, 5-7. — 3 Isa., IX, 6. — 4 Jerem., XXXI, 22. — 5 Galat., IV, 19. — 6 Genes., III, 13.

 

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sagesse et la raison éternelle, nous verrons qu'elle maudit ce serpent qui se glisse sous les fleurs, et nous en fait connaître le poison. Les grands du monde nous flattent par leurs vaines et artificieuses paroles : vous croyez être quelque chose ; et tout rempli de leur faveur, votre cœur s'enfle : ouvrez Les yeux : consultez Jésus qui vous fera regarder et ouvrir vos mains vides. Où est cette imaginaire grandeur et cette enflure d'un cœur aveuglé? C'est Jésus qui vous répond : écoutez-le avec ces docteurs, et admirez ses réponses.

Vous vous mêlez dans les grandes choses : vous croyez que tout le monde vous admire, et vous pensez devenir l'oracle de l'Eglise : consultez Jésus et la sagesse éternelle : examinez-vous sur ces grandes œuvres, que vous aimez comme éclatantes, plutôt que comme solides et utiles : vous travaillez peut-être pour votre ambition, sous prétexte de travailler pour la vérité. Eh bien donc, je quitterai tout, et j'irai me cacher dans le désert. Arrêtez-vous, consultez Jésus : la vanité mène quelquefois au désert aussi bien que la vérité : on aime mieux mépriser le monde que de n'y pas être comme on veut et au gré de son orgueil. Que ferai-je donc? Eaites taire toutes vos pensées : consultez Jésus : écoutez la voix qui éclate sur la montagne : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le; » et: « Ils ne trouvèrent que Jésus seul (1).» Quand Jésus reste seul et que renonçant à vous-même , vous n'écoutez que sa voix, c'est lui qui répond, et sa réponse vous édifie.

 

XIIe ÉLÉVATION.
Recueil des mystères de l’enfance de Jésus.

 

En ramassant dans son esprit avec Marie ce qu'on vient devoir de l'enfance de Jésus-Christ, on y voit Les profondeurs d'une sagesse cachée et d'autant plus admirable, que renfermée en elle-même elle n'éclate en Jésus-Christ par aucun endroit. Il se déclare avec mesure ; il suit les progrès de l'âge ; il parait comme un autre enfant. S'il a fallu une fois marquer ce qu'il était, ce n'est

 

1 Luc., IX 35, 36.

 

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que pour un moment : un intervalle de trois jours n'est pas une interruption de l'obscurité de Jésus : au contraire, une si courte illumination ne fait que mieux marquer le dessein précis de se cacher.

Si Jésus s'abaisse lui-même en se plongeant dans l'humilité d'un art mécanique, en même temps il révèle le travail des hommes, et change en remède l'ancienne malédiction de manger son pain dans la sueur de son corps. Pendant que Jésus, en se soumettant à cette loi, prend le personnage de pécheur, il montre aux pécheurs à se sanctifier par cette voie.

Pendant que la sagesse divine prend un si grand soin de se cacher, toutes les conditions, tous les âges et enfin toute la nature se réunit pour publier ses louanges : une étoile paraît au ciel : les anges y font retentir leur musique : les mages apportent au saint Enfant la dépouille de l'Orient et tous les trésors de la nature , ce qu'elle a de plus riche dans l'or, ce qu'elle a de plus doux dans les parfums. Les sages du monde et les riches viennent l'adorer en leur personne : les simples et les ignorants en celle des bergers. Un prêtre, aussi vénérable par sa vertu que par sa dignité, prévient la lumière qui s'allait lever et le reconnaît sous le nom de l'Orient : sa femme se joint à une mère vierge pour le célébrer : un enfant le sent dans le sein de sa mère : d'autres enfants depuis l'âge de deux ans lui sont immolés, et ces victimes innocentes vont prévenir la troupe de ses martyrs. Si une vierge, si une femme l'ont honoré , une veuve prophétise avec elles, et une vieillesse consumée dans le service de Dieu veut s'exhaler : Siméon à qui l'Evangile ne donne point de caractère que celui d'un commun fidèle qui attend l'espérance d'Israël, se joint aux sacrificateurs et aux docteurs de la loi, pour reconnaître Jésus-Christ dans son saint temple : il prophétise les contradictions qui commencent à paraître. La manière d'honorer ces vérités nous est montrée dans une profonde considération, qui nous les fait repasser en silence dans notre cœur. Que désirons-nous davantage , et qu'attendons-nous pour célébrer les mystères de la sainte enfance et de la vie obscure du Sauveur?

 

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