II Toussaint
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SECOND SERMON
POUR
LA FÊTE DE TOUS LES SAINTS (a).

 

Ut sit Deus omnia in omnibus. I Cor., XV, 28.

 

SIRE,

 

Ce que l'œil n'a pas aperçu, ce que l'oreille n'a pas ouï, ce qui jamais n'est entré (b)  dans le cœur de l'homme, c'est ce qui doit faire aujourd'hui le sujet de notre entretien. Cette solennité est instituée pour nous faire considérer les biens infinis que Dieu à préparés à ses serviteurs pour les rendre éternellement heureux, et un seul mot de l'Apôtre nous doit expliquer toutes ces merveilles. « Dieu, dit-il, sera tout en tous.» Que peut-on entendre de plus court ? Que peut-on imaginer de plus vaste ou de plus immense ? Dieu est un, et en même temps il est tout ; et étant tout à lui-même, parce que sa propre grandeur lui suffit, il est tout encore à tous les élus, parce qu'il remplit par sa plénitude leur capacité tout entière et tous leurs désirs (c). S'il leur faut un triomphe (d) pour honorer leur victoire, Dieu est tout; s'ils ont besoin de repos pour se délasser de leurs longs travaux, Dieu est tout; s'ils demandent la consolation après avoir saintement gémi parmi les amertumes de la pénitence, Dieu est tout. Dieu est la lumière qui les éclaire; Dieu

 

(a) Ce sermon parle de la chapelle royale, et renferme une allocution touchante à Louis XIV; il a donc été prêché en sa présence.

Or, comme on le voit dans la Gazette de France, Bossuet n'a prêché devant la cour, le jour de la Toussaint, qu'en 1669; d'une autre part, il n'y a qu'un sermon pour la fête de tous les Saints qui ait été prêché devant cet illustre auditoire : celui donc qui nous occupe date de 1669, année qui appartient à la plus grande époque du plus grand des orateurs. L'écriture du manuscrit, si belle, si terme, si nettement dessinée, atteste elle-même cette époque.

Louis XIV passa l'été et l'hiver de 1669 à Saint-Germain en Laye, dans le Château neuf ; c'est là que Bossuet fit entendre sa voix dans la station d'Avent, la dernière qu'il prêcha devant le roi.

Il avait été nommé évêque de Condom le mois précédent. Toute la cour, avide de l'entendre et de le féliciter en quelque sorte par sa présence, se rendait assidûment à ses sermons; et Louis XIV y conduisait par le bras Turenne, qui avait abjuré le protestantisme.

(b)  Var. : Monté.— (c) Parce qu'il remplit pleinement toute leur capacité et tous leurs désirs.— (d) Une couronne.

 

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est la gloire qui les environne ; Dieu est le plaisir qui les transporte ; Dieu est la vie qui les anime ; Dieu est l'éternité qui les établit dans un glorieux repos.

O largeur ! ô profondeur ! ô longueur sans bornes et inaccessible hauteur ! pourrai-je vous renfermer (a) dans un seul discours ? Allons ensemble, mes frères ; entrons en cet abîme de gloire et de majesté. Jetons-nous avec confiance sur cet océan (b) ; mais ayons notre guide et notre étoile, je veux dire la sainte Vierge, que nous allons saluer par les paroles de l'ange. Ave.

Sire, on peut mettre en question si l'homme pour être heureux n'a besoin de posséder qu'une seule chose, ou si sa félicité est un composé de plusieurs parties et le concours de plusieurs biens ramassés ensemble. Et premièrement il paraît qu'un cœur qui se partage à divers objets, confesse en se partageant que l'attrait qui le gagne est faible, et que celui qui est ainsi divisé cherche plutôt sa félicité qu'il ne l'a trouvée (c). Que s'il paraît d'un côté qu'un seul objet nous doit contenter, parce que nous n'avons qu'un cœur, il semble aussi d'autre part que plusieurs biens nous sont nécessaires, parce que nous avons plusieurs désirs. En effet nous désirons la santé, la vie, le plaisir, le repos, la gloire, l'abondance, la liberté, la science, la vertu ; et que ne désirons-nous pas? Comment donc peut-on espérer de satisfaire par un seul objet une si grande multiplicité de désirs et d'inclinations que nous nourrissons en nous-mêmes?

L'Apôtre a concilié ces contrariétés apparentes dans le texte que j'ai choisi, puisqu'il nous y fait trouver dans un même objet, premièrement la simplicité, parce qu'il est un, et tout ensemble la variété, parce qu'il est infini. « Dieu, dit-il, sera tout en tous. » Il est un, et il est tout. Il est tout, non-seulement en lui-même par l'immensité de son essence (d) mais encore il est tout en tous par l’incompréhensible fécondité avec laquelle il se communique à ses créatures : Erit Deus omnia in omnibus.

 

(a) Var. :  Comprendre. — (b) Mais implorons l'assistance du Saint-Esprit; et ayons notre guide et notre étoile… — (c) Il paraît qu’un cœur qui court à divers objets, cherche plutôt la félicité qu'il ne l’a trouvée. — (d) De sa nature.

 

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Mais ce que l'apôtre saint Paul nous a proposé dans une idée générale, le docte saint Augustin nous l'explique en particulier, lorsqu'interprétant ce passage de l’Epître aux Corinthiens, il fait ce beau commentaire : « Dieu, dit-il, sera toutes choses à tous les esprits bienheureux, parce qu'il sera leur commun spectacle, il sera leur commune joie, il sera leur commune paix : » Commune spectaculum erit omnibus Deus, commune gaudium erit omnibus Deus, communis pax erit omnibus Deus (1).

Et certes pour être heureux, selon les maximes de ce même Saint, il faut n'être point trompé, ne rien souffrir, ne rien craindre. Car comme la vérité est si précieuse, quelque bien que l'homme possède d'ailleurs, il n'est pas assez riche s'il est trompé, et manque d'un grand trésor. Encore qu'il connaisse la vérité, sans doute il n'est point content pour cela s'il souffre; et quoiqu'il ne souffre pas. il n'est point tranquille s'il craint. Là donc, dans le royaume des deux, dans la céleste Jérusalem, il n'y aura point d'erreur, parce qu'on y verra Dieu; là il n'y aura point de douleur, parce qu'on y jouira de Dieu ; là il n'y aura point de crainte ni d'inquiétude, parce qu'on s'y reposera à jamais en Dieu. Si bien (a) que nous y serons éternellement bienheureux, parce que (b) nous aurons dans cette vue le véritable et le plus noble exercice de nos esprits; nous goûterons dans cette jouissance le parfait contentement de nos cœurs; nous posséderons (c) dans cette paix l'immuable affermissement de notre repos. Voilà trois sublimes vérités que saint Augustin nous propose et que je tâcherai de rendre sensibles, si vous me donnez vos attentions, afin que vous soyez convaincus, que comme il n'y a rien de plus libéral que Dieu qui nous offre de si grands dons, il n'y a rien aussi de plus ingrat ni de plus aveugle que l'homme, qui ne sait pas profiter d'une telle munificence.

 

1 S.  August , in Psal. LXXXIV, n. 10.

(a) Var.: Tellement. — (b) Puisque.— (c) Nous trouverons.

 

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PREMIER POINT.

 

Si l'apôtre saint Paul a dit que les fidèles sont un spectacle au monde, aux anges et aux hommes (1), nous pouvons encore ajouter qu'ils sont un spectacle à Dieu même. Nous apprenons de Moïse que ce grand et sage architecte, diligent (a) contemplateur de son propre ouvrage, à mesure qu'il bâtissait ce bel édifice du monde, en admirait (b) toutes les parties : Vidit Deus lucem quôd esset bona (2) ; qu'en ayant composé le tout, parce qu'en effet la beauté de l'architecture paraît dans le tout et dans l'assemblage plus encore que dans les parties détachées, il avait encore enchéri et l'avait trouvé parfaitement beau ; et enfin qu'il s'était contenté lui-même, en considérant dans ses créatures les traits de sa sagesse et l'effusion de sa bonté. Mais comme le juste et l'homme de bien est le chef-d'œuvre de son art et le miracle de sa grâce (c), il est aussi le spectacle le plus agréable à ses yeux : Oculi Domini super justos (3) : « Les yeux de Dieu, dit le saint Psalmiste, sont attachés sur les justes, » non-seulement parce qu'il veille sur eux pour les protéger, mais encore parce qu'il se plaît à les regarder du plus haut des cieux comme le plus cher objet de ses complaisances. « N'avez-vous point vu, dit-il, mon serviteur Job , comme il est droit et juste et craignant Dieu, comme il évite le mal avec soin et n'a point son semblable sur la terre (4)? »

Que le soldat est heureux qui combat ainsi sous les yeux de son capitaine et de son roi, à qui sa valeur invincible prépare (d) un si beau spectacle ! Que si les justes sont le spectacle de Dieu, il veut aussi à son tour être leur spectacle; comme il se plaît à les voir, il veut aussi qu'ils le voient ; il les ravit par la claire vue de son éternelle (e) beauté, et leur montre à découvert sa vérité même, dans une lumière si pure qu'elle dissipe toutes les ténèbres et tous les nuages.

Mais qu'est-ce, direz-vous, que la vérité? Quelle image nous

 

1 I Cor., IV, 9. — 2 Gen., I,4. — 3 Psal. XXXIII, 15. — 4 Job, I, 8.

 

(aVar., Soigneux. — (b) Contemplait. — (c) Est le miracle de sa grâce et le chef-d’œuvre de sa main puissante. — (d) Devient. — (e) Immortelle!

 

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en donnez-vous? Sous quelle forme paraît-elle aux hommes? — Mortels grossiers et charnels, nous entendons tout corporellement : nous voulons toujours des images et des formes matérielles. Ne pourrai-je aujourd'hui éveiller ces yeux spirituels et intérieurs que vous avez tout au fond de votre âme (a), les détourner un moment de ces images vagues et changeantes que les sens impriment, et les accoutumer à porter la vue de la vérité toute pure? Tentons, essayons, voyons. Je vous demande pour cela, Messieurs, que vous soyez seulement attentifs à ce que vous faites et que vous pensiez à l'action qui nous rassemble dans ce lieu sacré. Je vous prêche la vérité, et vous l'écoutez ; et celle que je vous propose en particulier, c'est que celui-là est heureux qui n'est point sujet à l'erreur et qui ne se trompe jamais. Cette vérité est sûre et incontestable, elle n'a pas besoin de démonstration, et vous en voyez l'évidence. Mais, Messieurs, où la voyez-vous ? Est-ce peut-être dans mes paroles? Nullement, ne le croyez pas. Car où la vois-je moi-même? Sans doute dans une lumière intérieure qui me la découvre, et c'est là aussi que vous la voyez, (b)  Car comme si je vous montre du doigt quelque tableau ou quelque ornement de cette chapelle royale, j'adresse votre vue, mais je ne vous donne pas la clarté , ni je ne puis vous inspirer le sentiment. Je fais à peu près le même dans cette chaire. Je vous parle, je vous avertis, j'excite votre attention ; mais il y a mie voix secrète de la vérité qui me parle intérieurement, et la même vous parle aussi ; sans quoi toutes mes paroles ne feraient que battre l'air vainement et étourdir les oreilles. Selon la sage dispensation du ministère ecclésiastique , les uns sont prédicateurs et les autres sont auditeurs ; selon l'ordre de cette occulte (c) inspiration de la vérité, tous sont auditeurs, tous sont disciples : si bien qu'à ne regarder que l'extérieur, je parle, et vous écoutez; mais au dedans, dans le fond du cœur, et vous et moi écoutons la vérité qui nous parle et qui nous enseigne. Je la vois donc la vérité, et vous la voyez; et tous ensemble nous voyons la même, puisque la vérité est une ; et la

 

(a) Var. : Ouvrir ces yeux spirituels et intérieurs, qui sont cachés bien avant au fond de votre aine. — (b) Note marg. : Je vous prie, suivez-moi, Messieurs, et soyez un peu attentifs à l'état présent où vous êtes. — (c) Var.: Secrète.

 

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même se découvre encore par toute la terre à tous ceux qui ont les veux ouverts à ses lumières.

On ne peut donc déterminer où elle est, quoiqu'elle ne manque nulle part. Elle se présente à tous les esprits, mais elle est en même temps au-dessus de tous. Que les hommes tombent dans l'erreur, la vérité subsiste toujours ; qu'ils profitent ou qu'ils oublient , que leurs connaissances croissent ou décroissent, la vérité n'augmente ni ne diminue. Toujours une, toujours égale, toujours immuable, elle juge de tout et ne dépend du jugement de personne. «Chaste et fidèle, propre à chacun, quoiqu'elle soit commune à tous, » et omnibus communis est et singulis casta est, dit saint Augustin (1), on est heureux quand on la possède; on ne nuit qu'à soi-même quand on la rejette. Elle fait donc également la béatitude et le supplice de tous les hommes, parce que « ceux qui se tournent vers elle sont rendus heureux par ses lumières, et que ceux qui refusent de la regarder sont punis parleur propre aveuglement (a) : » Cùm intégra et incorrupta, et conversos latificet et lumine et aversos puniat cœcitate (2).

Voilà ce que c'est que la vérité ; et, mes frères, cette vérité, si nous l'entendons, c'est Dieu même. O vérité! ô lumière ! ô vie ! quand vous verrai-je? quand vous connaîtrai-je? Connaissons-nous la vérité parmi les ténèbres qui nous environnent? Hélas! durant ces jours de ténèbres, nous en voyons luire de temps en temps quelque rayon imparfait. Aussi notre raison incertaine ne sait à quoi s'attacher, ni à quoi se prendre parmi ces ombres i Si elle se contente de suivre ses sens, elle n'aperçoit que l'écorce; si elle s'engage plus avant, sa propre subtilité la confond. Les plus doctes à chaque pas ne sont-ils pas contraints de demeurer court? Ou ils évitent les difficultés, ou ils dissimulent et font bonne mine, ou ils hasardent ce qui leur vient (c) sans le bien entendre, ou ils se trompent visiblement et succombent sous le faix.

Même dans les affaires du monde, à peine la vérité est-elle

 

1 De lib. arbit., lib. II, n. 37. — 2 Ibid., n. 34.

 

(a) Var.: Par leurs ténèbres.— (b) Ne sait à quoi s'adresser dans une nuit si profonde. — (c) Ce qu’ils disent.

 

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connue. Les particuliers ne la lavent pas, quoique toutefois ils se mêlent de juger de tout, parce qu'ils n'ont pas l'étendue et les relations nécessaires. Les grands, qui sont élevés plus haut, découvrent sans doute de plus loin les choses (a) ; mais aussi sont-ils exposés à des déguisements plus artificieux. « Que vous êtes heureux , disait un ancien à son ami tombé en disgrâce ; oui, que vous êtes heureux encore une fois, de n'avoir plus rien (b) en votre fortune qui oblige à vous mentir et à vous tromper! » Felicem te, qui nihil habes propter quod tibi mentiatur (1)! Que ferai-je ? Où me tournerai-je, assiégé de toutes parts par l'opinion ou par l'erreur ? Je me défie des autres, et je n'ose croire moi-même mes propres lumières. A peine crois-je voir ce que je vois et tenir ce que je tiens, tant j'ai trouvé souvent ma raison fautive.

Ah ! j'ai trouvé un remède pour me garantir de l'erreur. Je suspendrai mon esprit ; et retenant en arrêt sa mobilité indiscrète et précipitée, je douterai du moins, s'il ne m'est pas permis de connaître au vrai les choses. Mais, ô Dieu! quelle faiblesse et quelle misère ! De crainte de tomber, je n'ose sortir de ma place ni me remuer. Triste et misérable refuge contre l'erreur, d'être contraint de se plonger dans l'incertitude et de désespérer de la vérité ! O félicité de la vie future ! Car écoutez ce que promet Isaïe à ces bienheureux citoyens de la Jérusalem céleste : Non occidet ultrà sol tuus, et luna tua non minuetur (2) : « Votre soleil n'aura jamais de couchant, et votre lune ne décroîtra pas; » c'est-à-dire non-seulement que la vérité vous luira toujours, mais encore que votre esprit sera toujours uniformément et également éclairé. O quelle félicité de n'être jamais déçu, jamais surpris, jamais détourné, jamais ébloui par les apparences, jamais prévenu ni préoccupé !

Je ne m'étonne pas, chrétiens, si saint Grégoire de Nazianze les appelle dieux (3), puisque ce titre leur est bien mieux dû qu'aux

 

1 Senec., Epist. XLVI ad Lucil.— 2 Isa., LX, 20. — 3 Orat. XL.

 

(a) Var.: Ceux qui sont dans les grandes places, étant élevés plus haut, découvrent sans doute de plus loin les choses.— (b)  C'est pourquoi cet ancien disait à son ami tombé en disgrâce : « Que vous êtes heureux maintenant de n'avoir plus rien ! »

 

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princes et aux rois du monde à qui David l'attribue. « Je l'ai dit : Vous .les des dieux, et vous êtes tous enfants du Très-Haut : » Ego dixi : Dii estis et filii Excelsi omnes (1). Mais remarquez ce qu'il dit ensuite. Toutefois, ajoute-t-il, ô dieux de chair et de sang, ô dieux de terre et de poussière, ne vous laissez pas éblouir par cette divinité passagère et empruntée. « Car enfin vous mourrez comme des hommes, et vous descendrez du trône au tombeau : » Verumtamen sicut homines moriemini; et sicut unus de principibus cadetis (2). La majesté, je l'avoue, n'est jamais dissipée ni anéantie, et on la voit tout entière aller revêtir leurs successeurs. Le roi, disons-nous, ne meurt jamais, l'image de Dieu est immortelle; mais cependant l'homme tombe, meurt, et la gloire ne le suit pas dans le sépulcre. Il n'en est pas de la sorte des citoyens immortels de notre céleste patrie. Ils sont des dieux, ils ne mourront plus; ils sont des dieux, ils ne pourront plus tromper ni être trompés (a).

David a dit en son excès : « Tout homme est menteur (3); » tout homme peut être trompeur et trompe; il est capable de mentir aux autres et de mentir à soi-même. Vous donc, ô bienheureux esprits, qui régnez avec Jésus-Christ, vous n'êtes plus simplement des hommes, puisque vous êtes tellement unis à la vérité qu'il n'y aura plus désormais ni aucune ambiguïté, aucune ignorance qui vous l'enveloppe, ni aucun nuage qui vous la couvre, ni aucun faux jour, aucune fausse lumière qui vous la déguise, ni aucune erreur qui la combatte, ni même aucun doute qui l'affaiblisse. Aussi dans cet état bienheureux ne faudra-t-il point la chercher par de grands efforts, ni la tirer de loin comme par machines et par artifice, par une longue suite de conséquences et par un grand circuit de raisonnements. Elle s'offrira d'elle-même et toute pure, toute manifeste, sans confusion, sans mélange; « et nous rendra, dit saint Jean, semblables à Dieu, parce que nous le verrons tel qu'il est : » Cùm apparuerit, similes ei erimus, quia videbimus cum sicuti est (4) .

Mais écoutez la suite de ce beau passage : « Celui qui a en Dieu

 

1 Psal. LXXXI, 6. — 2 Ibid., 7. — 3 Psal   CXV, 11. — 4 I Joan., III, 2.

 

(a) Var. : Non-seulement ils sont des dieux, parce qu'ils ne sont plus sujets à la mort; mais ils sont des dieux d’une autre manière, parce qu'ils ne sont plus sujets au mensonge et ne pourront plus tromper ni être trompés.

 

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cette espérance, se conserve pur, ainsi que Dieu même est (a) pur : » Omnis qui habet hanc spem in eo, sanctifient semetipsum, sicut et ille sanctus est (1). Rien de souillé n'entrera dans le royaume de Dieu. Il faudra passer par l'épreuve (b) d'un examen rigoureux, afin qu'une si pure beauté ne soit vue ni approchée que des esprits purs; et c'est ce qui fait dire au Sauveur des âmes dans l'évangile de ce jour : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu (2)! » Ecoutez, esprits téméraires et follement curieux, qui dites : Nous voudrions voir, nous voudrions entendre toutes les vérités de la foi; — c'est ici le temps de se purifier, et non encore celui de voir. Laissez traiter vos yeux malades ; souffrez qu'on les nettoie, qu'on les fortifie ; après, si vous ne pouvez pas encore porter le grand jour, vous jouirez du moins agréablement de la douceur accommodante d'une clarté tempérée. Que si toutes les lumières du christianisme sont des ténèbres pour vous, faites-vous justice à vous-mêmes. De quoi vous occupez-vous? Quel est le sujet ordinaire de vos rêveries et de vos discours (c) ? Oserai-je le dire dans cette chaire, retenu par le saint Apôtre : « Que ces choses ne soient pas même nommées parmi vous (3)? » Pendant que vous ne méditez que chair et que sang, comme parle l'Ecriture sainte, les discours spirituels prendront-ils en vous? Par où s'insinueront les lumières pures et les chastes vérités du christianisme? La sagesse que vous ne cherchez pas, descendra-t-elle de son trône pour vous enseigner ? Allez, hommes corrompus et corrupteurs, purifiez vos yeux et vos cœurs, et peu à peu vos esprits s'accoutumeront aux lumières de l'Evangile.

Vivons donc chrétiennement, et la vérité nous sera un jour découverte. Jamais vous n'aurez respiré un air plus doux ; jamais votre faim n'aura été rassasiée par une manne plus délicieuse, ni votre soif étanchée par un plus salutaire rafraîchissement. Rien de plus harmonieux que la vérité ; nulle mélodie plus douce, nul concert mieux entendu, nulle beauté plus parfaite et plus ravissante. Quoi! me vanterez-vous toujours l'éclat de ce teint? Vous vous

 

1 I Joan., III, 3. — 2 Matth., V, 8. — 3 Ephes., V, 3.

 

(a) Note marg. : agnizei agnos.— (b) Var. — Par le feu. — (c) De vos pensées et de vos discours?

 

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dites chrétienne, et vous étalez avec pompe cette fragile beauté, piège pour les autres, poison pour vous-même, qui se vante de traînes après soi les âmes captives et qui vous fait porter à vous-même un joug plus honteux. Jetez, jetez un peu les yeux, chrétiens, sur cette immortelle beauté que le chrétien doit servir. Cette beauté divine ne montre à vos yeux ni une grâce artificielle, ni des ornements empruntés, ni une jeunesse fugitive, ni un éclat, une vivacité toujours défaillante. Là se trouve la grâce avec la durée, là se trouve la majesté avec la douceur, là se trouve le sérieux avec l'agréable, là se trouve l'honnêteté avec le plaisir et avec la joie. C'est ce que nous avons à considérer dans la seconde partie.

 

SECOND POINT.

 

De toutes les passions, la plus pleine d'illusion c'est la joie ; et le Sage n'a jamais parlé avec plus de sens, que quand il a dit dans l'Ecclésiaste qu'il « estimait le ris une erreur et la joie une tromperie : » Risum repulavi errorem; et gaudio dixi : Quid frustra deciperis (1)? Depuis notre ancienne désobéissance, Dieu a voulu retirer à soi tout ce qu'il avait répandu de solide contentement sur la terre; et cette petite goutte de joie qui nous est restée pour rendre la vie supportable et tempérer par quelque douceur (a) ses amertumes infinies, n'est pas capable de satisfaire un esprit solide. Et certes il ne faut pas croire que ce lieu de confusion, où les lions sont mêlés avec les mauvais, puisse être le séjour des joies véritables. « Autres sont les biens que Dieu abandonne pour la consolation des captifs, autres ceux qu'il a réservés pour faire la félicité de ses enfants (b) : » Aliud solatium captivorum, aliud gaudium liberorum (2).

Mais pour vous donner une forte idée de ces plaisirs véritables qui enivrent les bienheureux, philosophons un peu avant toutes choses sur la nature des joies du monde. Car, mes frères, c'est une

 

1 Eccl., II, 2. — 3 S. August., in Psal. CXXXVI, n. 5.

 

(a) Var. : Et corriger tant soit peu. — (b) Autres sont les biens qu'i répand pour la consolation des captifs, autres les plaisirs solides qu'il réserve à ses enfants.

 

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erreur de croire qu'il faille indifféremment recevoir la joie, quelque main qui nous la présente (a). Que m'importe, dit l'épicurien, de quoi je me réjouisse, pourvu que je sois content? Soit erreur, soit vérité, c'est toujours être trop chagrin que de refuser la joie, de quelque part qu'elle vienne. (b) Mais le Saint-Esprit prononce au contraire que celui-là est insensé, qui se réjouit dans les choses vaines; que celui-là est abandonné (c) de Dieu, qui se réjouit dans les mauvaises; et qu'enfin on est malheureux (d) quand on n'aime que les plaisirs que la raison condamne ou qu'elle méprise.

Il faut donc avant toutes choses considérer d'où nous vient la joie, et quel en est le sujet. Et premièrement, chrétiens, toutes les joies que nous donnent les biens de la terre sont pleines d'illusion et de vanité. C'est pourquoi dans les affaires du monde, le plus sage est toujours celui que la joie emporte le moins. Ecoutez la belle sentence que prononce l'Ecclésiastique : « Le fou, dit-il, indiscret, inconsidéré, fait sans cesse éclater son ris; et le sage à peine rit-il doucement : » Fatuus in risu exaltat vocem suam, vir autem sapiens vix tacitè ridebit (1). En effet quand on voit un homme emporté qui, ébloui de sa dignité ou de sa fortune, s'abandonne à la joie sans se retenir, c'est une marque certaine d'une âme qui n'a point de poids, et que sa légèreté rendra le jouet éternel de toutes les illusions du monde. Le sage, au contraire, toujours attentif aux misères et aux vanités de la vie humaine, ne se persuade jamais qu'il puisse avoir trouvé sur la terre, en ce lieu de mort, aucun véritable sujet de se réjouir. C'est pourquoi il rit en tremblant, comme disait l’ Ecclésiastique ; c'est-à-dire qu'il supprime lui-même sa joie indiscrète par une certaine hauteur d'une âme qui désavoue sa faiblesse et qui, sentant qu'elle est née pour les biens

 

1 Eccli., XXI, 23.

 

(a) Var. : De quelque côté qu'elle naisse. — (b) Note marg. : Ceux qui le pensent ainsi, ennemis du progrès de leur raison, qui leur fait voir tous les jours la vanité de leurs joies, estiment leur âme trop peu de chose, puisqu'ils croient qu'elle peut être heureuse sans posséder aucun bien solide, et qu'ils mettent son bonheur et par conséquent sa perfection dans un songe. Remarquez qu'il ne faut pas distinguer le bonheur de l'âme d'avec sa perfection : grand principe! — (c) Var. : Maudit. — (d) On n'est pas heureux.

 

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célestes, a honte de se voir si fort transportée par des choses si méprisables.

Après avoir regardé d'où nous vient la joie, il faut encore considérer où elle nous mène. Car, ô plaisirs, où nous menez-vous? à quel oubli de Dieu et de nous-mêmes? à quels malheurs et à quels désordres? Ne sont-ce pas les plaisirs déréglés qui ont conseillé tous les crimes? Car quel en est le principe universel, sinon qu'on se plaît où il ne faut pas? Donc la raison nous oblige à nous défier des plaisirs ; flatteurs pernicieux, conseillers infidèles, qui ruinent tous les jours en nous l’âme, le corps, la gloire, la fortune, la religion et la conscience.

Enfin il faut méditer combien la joie est durable. Car Dieu, qui est la vérité même, ne permet pas à l'illusion de régner longtemps. C'est lui, dit le Roi-Prophète, qui se plait, pour punir l'erreur volontaire de ceux qui ont pris plaisir à être trompés, « d'anéantir dans sa cité sainte toutes les félicités imaginaires, comme un songe s'anéantit quand on se réveille, et qui fait succéder des maux trop réels à la courte imposture d'une agréable rêverie : » Velut somnium surgentium, Domine, in civitate tuà imaginem ipsorum ad nihilum rediges (1).

Concluons donc, chrétiens, que si la félicité est une joie, c'est une joie fondée sur la vérité, gaudium de veritate, comme la définit saint Augustin (2). Telle est la joie des bienheureux, non une joie seulement, mais une joie solide et réelle, dont la vérité est le fond, dont la sainteté est l'effet, dont l'éternité est la durée. Telle est la joie des bienheureux, dont la plénitude est infinie, dont les transports sont inconcevables et les excès tout divins. Loin de notre idée les joies sensuelles qui troublent la raison et ne permettent pas à l'âme de se posséder ; en sorte qu'on n'ose pas dire qu'elle jouisse d'aucun bien, puisque sortie d'elle-même elle semble n'être plus à soi pour en jouir. Ici elle est vivement touchée dans son fond le plus intime, dans la partie la plus délicate et la plus sensible; toute hors d'elle, toute à elle-même; possédant celui qui la possède, la raison toujours attentive et toujours contente.

 

1 Psal. LXXII, 20. — 2 Confess., lib. X, cap. XXIII.

 

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Mais, mes frères, ce n'est pas à moi de publier ces merveilles (a), pendant que le Saint-Esprit nous représente si vivement la joie triomphante de la céleste Jérusalem par la bouche du prophète Isaïe. « Je créerai, dit le Seigneur, un nouveau ciel et une nouvelle terre, et toutes les angoisses seront oubliées et ne reviendront jamais : » Oblivioni traditœ sunt angustiœ priores, et non ascendent super cor (1). « Mais vous vous réjouirez, et votre âme nagera dans la joie (b) durant toute l'éternité dans les choses que je crée pour votre bonheur : » Gaudebitis et exultabitis usque in sempiternum in his quœ ego creo. « Car je ferai que Jérusalem sera toute transportée d'allégresse et que son peuple sera dans le ravissement : » Quia ecce ego creo Jerusalem exultationem et populum ejus gaudium. «Et moi-même je me réjouirai en Jérusalem, et je triompherai de joie dans la félicité de mon peuple : » Et exultabo in Jerusalem, et gaudebo in populo meo.

Voilà de quelle manière le Saint-Esprit nous représente les joies de ses enfants bienheureux. Puis se tournant à ceux qui sont sur la terre, à l'Eglise militante, il les invite en ces termes à prendre part aux transports de la sainte et triomphante Jérusalem. « Réjouissez-vous, dit-il, avec elle, ô vous qui l'aimez : réjouissez-vous avec elle d'une grande joie, et sucez avec elle par une foi vive la mamelle de ses consolations divines, afin que vous abondiez en délices spirituelles, parce que le Seigneur a dit : Je ferai couler sur elle un fleuve de paix, et ce torrent se débordera avec abondance : toutes les nations de la terre y auront part ; et avec la même tendresse qu'une mère qui caresse son enfant (c), ainsi je vous consolerai, dit le Seigneur. » (d) Quel cœur serait insensible à ces divines tendresses? Aspirons à ces joies célestes, qui seront d'autant plus touchantes qu'elles seront accompagnées d'un parfait repos, parce que nous ne les pourrons jamais perdre. Quittons, mes

 

1 Isa., LXV, 16 et seq.

 

(a) Var. : Ces divines joies. — (b) Tressaillera d'allégresse. — (c) Et de même qu'une mère flatte son enfant. — (d) Note marg. : Laetamini cum Jerusalem, et exultate in eâ omnes qui diligitis eam ; gaudete cum eâ gaudio....., ut sugatis et repleamini ab ubere consolationis ejus, ut mulgeatis et deliciis affluatis ab ommmodâ gloriâ ejus. Quia haec : dicit Dominus : Ecce ego declinabo super eam quasi fluvium pacis et quasi torrentem inundantem gloriam gentium..... Quomodo si cui mater blandiatur, ita ego consolabor vos (Isa., LXVI; 10 et seq.).

 

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frères, tous nos vains plaisirs; c'est la maladie qui les désire. (a) Que de désirs différents sentent les malades! La Santé revient et tous ces appétits déréglés s'évanouissent. Ne mettons point notre bonheur à contenter ces appétits irréguliers que la maladie a fait naître. Qu'a le monde de comparable? Mais s'il se vante de donner des joies, il n'ose pas même promettre de vous y donner du repos : c'est l'héritage des saints, c'est le partage des bienheureux; et c'est par où je m'en vais conclure.

 

TROISIÈME POINT.

 

Le repos éternel des bienheureux nous a été figuré dès l'origine du monde, lorsque Dieu ayant tiré du néant ses créatures et les ayant disposées dans un si bel ordre (b) durant six jours, établit et sanctifia le jour du repos dans lequel, comme dit la sainte Ecriture, « il se reposa de tout son ouvrage (1). » Vous savez assez, chrétiens, que Dieu qui fait tout sans peine par sa volonté, n'a pas besoin de se délasser de son travail ; et vous n'ignorez pas non plus qu'en consacrant ce jour de repos, il n'a pas laissé depuis d'agir sans cesse. « Mon Père, dit le Fils de Dieu, agit sans relâche (2). » Et s'il cessait un moment de soutenir l'univers par la force de sa puissance (c), le soleil s'égarerait de sa route, la mer forcerait toutes ses bornes, la terre tremblerait sur son axe ; en un mot, toute la nature serait en un moment replongée, je ne dis pas dans l'ancien chaos, mais dans une perte totale et dans le non-être. Quand donc il a plu à Dieu de sanctifier le septième jour et d'y établir son repos, il a voulu nous faire comprendre qu'après la continuelle action par laquelle il développe tout l'ordre des siècles, il a désigné un dernier jour qui est le jour, immuable de l'éternité, dans lequel il se reposera avec ses élus ; disons mieux, que ses élus se reposeront éternellement en lui-même. Tel est le sabbat mystérieux, tel est « « jour de repos qui est réservé au peuple de Dieu, » selon la

 

1 Gen., n, 2.— 2 Joan., y, 17.

(a) Note marg. : « Hélas ! que cet artisan de tromperies nous joue d'une manière bien puérile..., pour nous empêcher, malgré toute notre avidité pour la joie, de discerner d'où nous vient la véritable joie !» Heu! Quàm puérilitér nos ille decipiendi artifex fallit…, ut non discernamus, gaudeamus (Julian. Pomer., De Vitâ contemplat., lib. II, cap. XIII). — (b) Var.: Arrangées dans une si belle ordonnance. — (c) De sa parole.

 

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doctrine de l'Apôtre : Itaque relinquitur sabbatismus populo Dei, dit la savante Epître aux Hébreux (1).

Le fondement de ce repos des prédestinés, c'est que l'éternité leur est assurée. Car, mes frères, l'Eternel médite des choses éternelles ; et tout l'ordre de ses conseils, par diverses révolutions et par divers changements, se doit enfin terminer à un état immuable. C'est pourquoi après ces jours de fatigue, après ces jours de l'ancien Adam, jours pénibles, jours laborieux, jours de gémissement et de pénitence, où nous devons subsister et gagner le pain de vie par nos sueurs, nous serons conduits à « la cité sainte que Dieu, dit le même Apôtre, nous a préparée (2), » et où le Saint-Esprit nous assure que « nous nous reposerons à jamais de toutes nos peines (3). »

C'est en vue de l'éternité de cette cité triomphante, que saint Paul l'appelle « une cité ferme et qui a un fondement, » fundamenta habentem civitatem (4). Nul fondement sur la terre. Nous pensons nous reposer ; et cependant le temps nous enlève, et nous sommes la proie de notre propre durée. Fixez un peu vos yeux, et vous verrez tout en mouvement autour de vous. Est-ce donc que tout tourne, ou bien si nous-mêmes nous tournons? Tout tourne, et nous tournons tout ensemble, parce que la figure de ce monde passe. Et si nous ne sentons pas toujours cette violente agitation, c'est que nous sommes emportés avec tout le reste par une même rapidité. Où est donc la solidité et la consistance? En vous, ô sainte Sion, cité éternelle « dont Dieu est l'architecte et le fondateur, » cujus artifex et conditor Deus (5). En vous est la consistance, parce que sa main souveraine est votre soutien immuable et sa puissance invincible votre inébranlable fondement. « Efforçons-nous donc, dit le saint Apôtre, d'entrer dans ce repos éternel (6). » Qui de nous ne désire pas le repos? Et celui qui agit dans sa maison, et celui qui travaille à la campagne, et celui qui navigue sur les mers, et celui qui négocie sur la terre, et celui qui sert dans les armées, et celui qui s'intrigue et s'empresse dans les cours, tous aspirent de loin à quelque repos; mais nous le voulons honnête, mais surtout nous le voulons assuré.

 

1 Hebr., IV, 9.— 2 Ibid., XI, 16.— 2 Apoc., XIV, 13.— 4 Hebr., XI, 10.— 5 Ibid., — 6 Ibid., IV, 11.

 

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S'il est ainsi, chrétiens, ne le cherchez pas sur la terre. « Levez-vous, marchez sans relâche, dit le prophète Michée, parce qu'il n'y a point ici de repos pour vous (a) : » Surgite et ite, quia non habetis hic requiem (1). Entrez un peu avec moi en raisonnement sur cette matière importante, ou plutôt entrez-y avec vous-mêmes; et pendant que je parlerai, consultez votre expérience, le laisse les grandes paroles, j'abandonne les grands mouvements de l'art oratoire, pour peser avec vous les choses froidement et de sens rassis.

Dans cette inconstance des choses humaines et parmi tant de violentes agitations qui nous troublent ou qui nous menacent, celui-là me semble heureux (b) qui peut avoir un refuge; et sans cela, chrétiens, nous sommes trop exposés aux attaques de la fortune pour pouvoir trouver du repos (c). Par exemple, vous vivez ici dans la Cour ; et sans entrer plus avant dans l'état de vos affaires, je veux croire que la vie vous y semble douce ; mais certes vous n'avez pas si fort oublié les tempêtes dont cette mer est si souvent agitée, que vous osiez vous fier tout à fait à cette bonace. Et c'est pourquoi je ne vois point d'homme sensé qui ne se destine un lieu de retraite, qu'il regarde de loin comme un port dans lequel il se jettera quand il sera poussé par les vents contraires. Mais cet asile que vous vous préparez contre la fortune, est encore de son ressort; et si loin que vous étendiez votre prévoyance, jamais vous n'égalerez ses bizarreries. Vous penserez vous être muni d'un côté, la ruine (d), viendra de l'autre. Vous aurez tout assuré aux environs, l'édifice manquera (e) tout à coup par le fondement. Si le fondement est solide, un coup de foudre viendra d'en haut qui renversera tout de fond en comble. Je veux dire simplement et sans figure que les malheurs nous assaillent et nous pénètrent par trop d'endroits, pour pouvoir être prévus et arrêtés de toutes parts. Il n'y a rien sur la terre où nous mettions notre appui (f), enfants, amis, dignités, emplois, qui non-seulement ne puisse manquer, mais encore ne puisse nous tourner en une amertume

 

1 Mich., II, 10.

 

(a) Var., : Parce que vous n'avez point de repos. — (b)  Celui-là m'a toujours semblé heureux. — (c) Nous sommes trop découverts aux attaques de la fortune pour espérer du repos. — (d) La disgrâce.— (e) Fondra.— (f) Notre confiance.

 

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infinie; et nous serions trop novices dans l'histoire de la vie humaine, si nous avions encore besoin qu'on nous prouvât cette Vérité. Posons (a) donc que ce qui peut arriver, ce que vous avez vu mille fois arriver aux autres, vous arrive aussi à vous-mêmes. Car sans doute, mes frères, vous n'avez point parmi vos titres (b) de sauvegarde contre la fortune : vous n'avez ni de privilèges, ni d'exemptions contre les communes faiblesses. Qu'il arrive donc (c) que l'espérance de votre fortune, que votre bonheur et vos établissements soient minés (d) par quelque disgrâce imprévue, votre famille désolée par quelque mort désastreuse, votre santé ruinée par quelque cruelle maladie ; si vous n'avez quelque lieu d'abri où vous vous mettiez à couvert, vous essuierez tout du long la fureur des vents et de la tempête. Mais où trouverez-vous cet abri? Jetez les yeux de tous côtés, le déluge a inondé toute la terre, les maux en couvrent toute la surface, et vous ne trouverez pas même où mettre le pied (e). Il faut donc chercher le moyen de sortir de toute l'enceinte du monde.

Il est vrai qu'il y a en nous une secrète partie (f) sur laquelle la fortune n'avait aucun droit : notre esprit, notre raison, notre intelligence. Et c'est la faute que nous avons faite ; ce qui était libre et indépendant, nous l'avons été engager dans les biens du monde, et par là nous l'avons soumis comme tout le reste aux prises de la fortune. Imprudents ! la nature même a enseigné aux animaux poursuivis, quand le corps est découvert, de cacher la tête ; nous dont la partie principale était naturellement à couvert de toutes les insultes, nous la produisons toute au dehors, et nous exposons aux coups ce qui était inaccessible et invulnérable! Que reste-t-il donc maintenant, sinon que démêlant du milieu du monde cette partie immortelle, nous l'allions établir dans la cité sainte que Dieu nous a préparée?

Peut-être que vous penserez que vous ne pouvez vous établir où vous n'êtes pas, et que je vous parle en vain de la terre et de

 

(a) Var. : Pour : supposons, posons le cas que. — (b) Dans vos titres. —

(c) Faisons donc qu'il arrive que l'espérance de votre fortune..... — (d) Troublés, ou : renversés. — (e) Les maux sont répandus de toutes parts, et vous ne trouverez pas où vous arrêter. — (f) Il est vrai qu'il y a une partie de nous-mêmes sur laquelle.....

 

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la sûreté du port, pendant que vous voguez au milieu des ondes. Eh quoi ! ne voyez-vous pas ce navire qui, éloigné de son port, battu par les vents et par les flots, vogue dans une mer inconnue ? Si les tempêtes l'agitent, si les nuages couvrent le soleil, alors le sage pilote craignant d'être emporté contre des écueils, commande qu'on jette l'ancre ; et cette ancre fait trouver à son vaisseau la consistance parmi les flots, la terre au milieu des ondes et une espèce de port assuré dans l'immensité et dans le tumulte de l'océan. Ainsi, dit le saint Apôtre, « jetez au ciel votre espérance, laquelle sert à votre âme comme d'une ancre ferme et assurée, » quam sicut anchoram habemus animœ tutam ac firmam (1). Jetez cette ancre sacrée, dont les cordages ne rompent jamais, dans la bienheureuse terre des vivants ; et croyez qu'ayant trouvé un fond si solide, elle servira de fondement assuré à votre vaisseau, jusqu'à ce qu'il arrive au port.

Mais, Messieurs, pour espérer, il faut croire. Et c'est ce qu'on nous dit tous les jours : Donnez-moi la foi, et je quitte tout ; persuadez-moi de la vie future, et j'abandonne tout ce que j'aime pour une si belle espérance. — Eh quoi! homme, pouvez-vous penser que tout soit corps et matière en vous? Quoi ! tout meurt, tout est enterré? Le cercueil vous égale aux bêtes, et il n'y arien en vous qui soit au-dessus? Je le vois bien, votre esprit est infatué de tant de belles sentences, écrites si éloquemment en prose et en vers, qu'un Montaigne (je le nomme) vous a débitées; qui préfèrent les animaux à l'homme, leur instinct à notre raison, leur nature simple, innocente et sans fard, c'est ainsi qu'on parle, à nos raffinements et à nos malices. Mais, dites-moi, subtil philosophe, qui vous riez si finement (a) de l'homme qui s'imagine être quelque chose, compterez-vous encore pour rien de connaître Dieu? Connaitre une première nature, adorer son éternité, admirer sa toute-puissance, louer sa sagesse, s'abandonner à sa providence, obéir à sa volonté, n'est-ce rien qui nous distingue des bêtes? Tous les saints, dont nous honorons aujourd'hui la glorieuse mémoire, ont-ils vainement espéré en Dieu, et n'y a-t-il que les épicuriens brutaux

 

1 Hebr., VI, 19.

 

(a) Var. : Si Moquenanent, ou : si galamment.

 

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faux et Les sensuels qui aient bien connu les devoirs de l'homme? Plutôt ne voyez-vous pas que si une partie de nous-mêmes tient à la nature sensible, celle qui connaît et qui aime Dieu, qui en cela est semblable à lui, puisque lui-même se connaît et s'aime, dépend nécessairement de plus hauts principes (a)? Et donc! que les éléments nous redemandent tout ce qu'ils-nous prêtent, pourvu que Dieu puisse aussi nous redemander cette âme qu'il a faite à sa ressemblance. Périssent toutes les pensées que nous avons données aux choses mortelles; mais que ce qui était né capable de Dieu soit immortel comme lui! Par conséquent, homme sensuel, qui ne renoncez à la vie future que parce que vous craignez les justes supplices, n'espérez plus au néant; non, non, n'y espérez plus; voulez-le, ne le voulez pas, votre éternité vous est assurée. Et certes il ne tient qu'à vous de la rendre heureuse; mais si vous refusez ce présent divin, une autre éternité vous attend; et vous vous rendrez digne d'un mal éternel, pour avoir perdu volontairement un bien qui le pouvait être.

Entendez-vous ces vérités? Qu'avez-vous à leur opposer? Les croyez-vous à l'épreuve de vos frivoles raisonnements et de vos fausses railleries? Murmurez et raillez tant qu'il vous plaira : le Tout-Puissant a ses règles qui ne changeront ni pour vos murmures ni pour vos bons mots ; et il saura bien vous faire sentir, quand il lui plaira, ce que vous refusez maintenant de croire (b). Allez, courez-en les risques, montrez-vous brave et intrépide, en hasardant tous les jours votre éternité. Ah! plutôt, chrétiens, craignez de tomber en ses mains terribles (c). Remédiez aux désordres de cette conscience gangrenée. Pécheurs, il y a déjà trop longtemps que « l'enflure de vos plaies est sans ligature, que vos blessures invétérées n'ont été frottées d'aucun baume : » Vulnus, et livor, et plaga tumens ; non est circumligata, nec curata medicamine, neque fota oleo (1). Cherchez un médecin qui vous traite; cherchez (d) un confesseur qui vous lie par une discipline

 

1 Isa., I, 6.

(a) Var. : Doit avoir de plus liants principes. — (b)  Ce que vous ne voulez pas croire.— (c) Puissantes. — (d) Pécheur, il y a déjà trop longtemps que l'enflure de tes plaies est sans ligature, que tes blessures.....Cherche un confesseur qui te traite, cherche un confesseur qui te lie, etc.

 

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salutaire ; que ses conseils soient votre huile, que la grâce du sacrement soit un baume bénin sur vos plaies. Ou si vous vous êtes approchés de Dieu, si vous avez fait pénitence dans une si grande solennité : allez donc désormais et ne péchez plus. Quoi! ne voulez-vous rien espérer que dans cette vie? Ah ! ce n'est point la raison , c'est le dépit et le désespoir qui inspirent de telles pensées. S'il était ainsi, chrétiens, si toutes nos espérances étaient renfermées dans ce siècle, on aurait quelque raison de penser que les animaux l'emportent sur nous. Nos maladies, nos inimitiés, nos chagrins, nos ambitieuses folies, nos tristes et malheureuses prévoyances qui avancent les maux, bien loin d'en empêcher le cours, mettraient nos misères dans le comble. Eveillez-vous donc, ô enfants d'Adam ; mais plutôt éveillez-vous, ô enfants de Dieu, et songez au lieu de votre origine.

 

SIRE, celui-là serait haï de Dieu et des hommes, qui ne souhaiterait pas votre gloire même en cette vie (a), et qui refuserait d'y concourir de toutes ses forces par ses fidèles services. Mais certes je trahirais Votre Majesté et je lui serais infidèle, si je bornais mes souhaits pour elle dans cette vie périssable. Vivez donc toujours heureux, toujours fortuné, victorieux de vos ennemis, père de vos peuples; mais vivez toujours bon, toujours juste, toujours humble et toujours pieux, toujours attaché à la religion et protecteur de l'Eglise. Ainsi nous vous verrons toujours roi, toujours auguste, toujours couronné, et en ce monde et en l'autre. Et c'est la félicité que je vous souhaite, avec le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

 

(a) Var.: Qui ne souhaiterait pas de vous voir heureux même en cette vie.

 

 

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