Toussaint Esq.
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ESQUISSE D'UN SERMON POUR
LA FÊTE DE TOUS LES SAINTS (a).

 

Beati misericordes, quoniam ipsi misericordiam consequentur. Bienheureux les miséricordieux, parce  qu'ils obtiendront miséricorde. Matth., V, 7.

 

La solennité de ce jour et la charge particulière qui m'est imposée, m'obligent à partager mon esprit en deux pensées bien contraires, et à vous faire arrêter les yeux sur deux objets bien différents. Et premièrement, chrétiens, c'est l'intention de la sainte Eglise que l'on prêche dans toutes ses chaires la gloire des esprits immortels qu'elle honore tous aujourd'hui par une même célébrité. Et pour suivre ses volontés, il faut que par cette clef admirable de la parole divine à laquelle rien n'est fermé, je vous ouvré les portes sacrées de la céleste Jérusalem, et que je vous fasse entrer dans ce sanctuaire adorable où tous ces esprits bienheureux se reposant de tous leurs travaux, sont rendus dignes de porter leur bouche à la source toujours féconde de félicité et de vie. C'est le premier objet que l'on me propose ; mais voici que d'un autre côté on me charge de recommander à vos charités de prendre soin

 

(a) Analyse, par Bossuet.

Liaison entre la miséricorde reçue et la miséricorde exercée.

Salut est une grâce. Comparaison : une pierre dans l'édifice. Adorer la miséricorde en l'imitant.

Deux sacrifices : à la justice, sacrifice de destruction; à la miséricorde, sacrifice de conservation. Les pauvres : Talibus hostiis promeretur (Hebr., XIII, 16).

 

Prêché le 1er novembre 1657, à Metz, devant une société de charité qui faisait distribuer chez les pauvres des remèdes et des aliments, à la nouvelle inauguration de l'Œuvre des bouillons.

Plusieurs indices révèlent l'époque indiquée : l'écriture négligée, bien qu'elle commence à se former; la description de la misère publique qui sévissait alors; le grand nombre des textes scripturaires; enfin les expressions plus imagées que justes. Nous usons, par exemple : « Il faut que je vous fasse entendre... la ravissante musique par laquelle les saints expriment leur joie, et l'on m'oblige en même temps de faire résonner à vos oreilles les gémissements des infirmes..... Comment sera-t-il possible de marcher dans le même moment en des lieux si différents et sur des chemins si contraires ?»

 

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des pauvres malades et de vous animer, si je puis, à vous joindre d'un zèle fervent à cette sainte société, qui ayant formé depuis quelques années le dessein de les soulager dans leur extrême misère, s'est liée et dévouée depuis peu à cette œuvre salutaire avec une ferveur nouvelle et un saint accroissement de dévotion. Que ferai-je ici, chrétiens, partagé entre deux matières qui paraissent si opposées? D'un côté il faut que je vous fasse entendre les cantiques harmonieux et la ravissante musique par laquelle les saints expriment leur joie, et l'on m'oblige dans le même temps de faire résonner à vos oreilles les gémissements des infirmes et les plaintes des languissants. Il faut élever nos esprits à cette cité bienheureuse et brillante d'une lumière immortelle, et en même temps il nous faut descendre dans les demeures tristes et obscures où sont gisants les pauvres malades. El comment sera-t-il possible de marcher dans le même moment en des lieux si différents et sur des chemins si contraires ? Toutefois nous nous trompons; chrétiens, ce n'est qu'une fausse apparence, et si nous savons pénétrer les mystères du christianisme et la doctrine de notre évangile, nous demeurerons convaincus que ces deux objets que l'on nous présente, quoiqu'ils semblent fort opposés, sont unis nécessairement d'une liaison très-étroite. Car, dites-moi, je vous prie, mes frères, qu'est-ce que le ciel? qu'est-ce que ce séjour glorieux? C'est le lieu que Dieu nous prépare pour y recevoir la miséricorde. Et les chambres des pauvres infirmes, les lits non de repos et de sommeil, mais d'inquiétudes et de veilles laborieuses où nous les voyons attachés? C'est le lieu que Dieu nous destine pour y faire la miséricorde. Et maintenant ne voyez-vous pas quelle liaison il va entre la miséricorde reçue et la miséricorde exercée? « Bienheureux les miséricordieux : » voilà ceux qui exercent la miséricorde; «parce qu'ils obtiendront la miséricorde : » et voilà ceux qui la reçoivent. Ne croyez donc pas, chrétiens, que ce soient deux choses fort éloignées de regarder en un seul discours les heureux et les misérables. Vous voyez que notre Sauveur met ensemble les uns et les autres, et cela pour quelle raison ? C'est qu'en nous montrant le lieu bienheureux où il répand sur nous la miséricorde, il nous fait voir où il nous faut tendre ; et en nous parlant du lieu où nous la

 

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pouvons exercer, il nous montre le droit chemin par lequel nous y pouvons arriver. Ouvrez vos mains, dit notre Sauveur; ouvrez-les du côté de Dieu, ouvrez-les du côté des pauvres : ouvrez pour recevoir, ouvrez pour donner. Si vous fermez vos entrailles sur les nécessités de vos frères, la source de la miséricorde divine se tarira aussitôt sur vous; ouvrez-leur et votre cœur et vos mai us, elle coulera avec abondance. C'est, mes frères, cette liaison et cette concorde admirable entre la miséricorde que nous espérons et la miséricorde que nous exerçons, que j'espère traiter en deux points avec le secours de la grâce. Je vous représenterai avant toutes choses avec quelle libéralité Dieu exerce sur nous sa miséricorde, lorsqu'il nous reçoit dans son paradis ; et après je tâcherai devons faire voir combien cette abondance de miséricorde que le Père céleste témoigne envers nous, en nous appelant à sa gloire, nous oblige d'avoir de tendresse pour nos frères qui sont ses enfants et les membres de son Fils unique. C'est le sujet de tout ce discours.

 

PREMIER POINT.

 

Commençons avec allégresse à publier les miséricordes que notre bon Père exerce sur nous, lorsqu'il daigne nous appeler à la gloire de son royaume. Disons, confessons, publions, que nous n'y pouvons entrer que par grâce, par un pur effet de bonté, par un sentiment de miséricorde. Et le Sauveur nous le dit dans notre Evangile : Misericordiam consequentur (1). Quelle est cette miséricorde que le Fils de Dieu leur promet? Je soutiens que c'est la vie éternelle : Regnum cœlorum (2). Deum videbunt (3) ; possidebunt terram (4) ; terram viventium (5) ; saturabuntur (6) ; inebriabuntur (7) ; satiabor cùm apparuerit gloria tua (8); consolabuntur (9) ; absterget Deus omnem lacrymam (10). Ainsi, misericordiam consequentur.

En effet, que pouvons-nous espérer, misérables bannis, enfants a Eve, c'est-à-dire enfants de colère, enfants de malédiction, naturellement ennemis, chassés du paradis de délices? Si l'on nous rappelle a notre patrie, si l'on nous tire de l'abîme, que devons-nous

 

1 Matth., V, 7, — 2 Ibid., 3.  — 3 Ibid. 8. — 4 Ibid., 4. — 5 Psal., XXVI, 13. — 6 Matth., V, 6. — 7 Psal., XXXV, 9. — 8 Ibid., XVI, 15. — 9 Matth., V, 5. — 10 Apoc., XXI, 4.

 

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nous faire autre chose que de louer la miséricorde de ce charitable Pasteur qui nous a retirés du lac parle sang de son Testament, et nous a reportés au ciel chargés sur ses épaules? Misericordias Domini in œternum cantabo (1) : in œternum ; ce n'est pas seulement dans le temps, mais encore principalement dans l'éternité.

Toutefois on me pourrait dire que cela n'est pas de la sorte : la gloire leur étant donnée comme récompense, il semble que c'est plutôt la justice qui la distribue au mérite, que la miséricorde qui la donne gratuitement. Esprits saints, esprits bienheureux, ne fais-je point tort à vos bonnes œuvres ? J'entends un de vous qui dit : Bonum certamen certavi (2). On vous rend la couronne, mais lorsque vous avez combattu ; on vous honore, mais vous avez servi; on vous donne le repos, mais vous avez fidèlement travaillé : ce n'est donc pas miséricorde. A Dieu ne plaise! mais c'est cette doctrine qui fait éclater la miséricorde. Expliquons cette doctrine. Saint Augustin : Reddet omnino Deus, et mala pro malis quoniam justus est, et bona pro malis quoniam bonus est, et bona pro bonis quoniam bonus et justus est (3). A cela se rapporte toute la conduite de Dieu envers les hommes. L'une semble diminuer les autres, non point en Dieu : les ouvrages de Dieu ne se détruisent point les uns les autres. Cette justice n'est pas moins justice pour être mêlée de miséricorde; cette grâce n'est pas moins grâce pour être accompagnée de justice; au contraire, c'est le comble de la grâce et de la miséricorde.

        Pour l'entendre encore plus profondément, considérons avec le même saint Augustin de quelle sorte les âmes saintes se présentent devant la justice (a) : Redde quod promisisti ; fecimus quod jussisti (4). Nulle obligation de justice entre Dieu et l'homme. La promesse et l'alliance l'a faite. Elle a mis quelque égalité. Qui a fait l'alliance et qui a donné la promesse ? La miséricorde. La justice la tient, mais la miséricorde la donne. Mais pénétrons encore plus loin. Cette promesse était conditionnelle. Je vous ai promis le ciel : oui, si vous veniez à moi sans péché et vous fructifiiez dans les

 

1 Psal. LXXXVIII, 1. — 2 II Tim., IV, 7. — 3S. August., De Grat. et lib. arb., cap. XXIII, n. 45.— 4 Serm. CLVIII, n. 2.

(a) Var. : Devant leur juge.

 

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bonnes œuvres. Seriez-vous sans péchés, si les miséricordes iules avaient remis? Auriez-vous des bonnes œuvres, si la grâce ne les avait faites? Et hoc tu fecisti, quia laborantes juvisti (1).

Ne voyez-vous donc pas que la justice cherche à récompenser? Mais elle ne trouve rien à récompenser que ce qu'a fait la miséricorde. Il a l'habit nuptial, il est juste qu'il soit du banquet ; mais cet habit nuptial lui a été donné par présent : Datum est illis ut cooperiant se byssino splendenti et candido (2). Il faut qu'ils entrent au royaume, parce qu'ils en sont dignes, mais c'est Dieu qui les a faits dignes ; leurs œuvres les suivent, mais Dieu les a faites. Dieu ne peut avec justice les rejeter de devant sa face, parce qu'ils sont revêtus de sainteté; mais saint Paul, aux Hébreux : Aptet vos in omni bono, ut faciatis ejus voluntatem, faciens in vobis quod placeat coràm se in Christo Jesu (3)... quod placeat coràm se..., in omni bono. C'est une suite de la loi étemelle par laquelle Dieu aime le bien, c'est justice ; mais, aptet nos, faciat in nobis. Il est juste que cette pierre soit mise au plus haut de cet édifice, qu'elle fasse le chapiteau de cette colonne, qu'elle soit mise en vue sur ce piédestal ; mais c'est parce qu'il a plu à l'ouvrier de la façonner de la sorte. Plus il y a de mérite, plus il y a de grâce; plus il y a de justice, plus il y a de miséricorde. C'est pourquoi les vingt-quatre vieillards jettent leurs couronnes aux pieds de l'Agneau (4). Combat de Dieu et de l'homme. Dieu leur donne : voilà la justice ; ils la lui rendent par actions de grâces : c'est qu'ils reconnaissent la miséricorde : Gratias Deo qui dedit nobis victoriam (5). Ravissement des saints en voyant la miséricorde divine : Benedic, anima mea, Domino, qui coronat te in misericordiâ et miserationibus (6). Voyez la miséricorde encore plus évidemment reconnue au couronnement : Qui replet in bonis desiderium (7). Amour prévenant dès l'éternité, par lequel il les a choisis ; par quels secrets il a touché leurs cœurs ; le soin qu'il a eu de détourner les occasions, les périls infinis du voyage se connaîtront à la fin, lorsqu'ils seront arrivés, voyant les damnés, et que la seule miséricorde les a triés : Misericordia ejus subsequetur me (9). — Misericordia ejus subsequetur me (9). Le peu de

 

1 S. Aug. Serm. CLVIII, n.2. — 2 Apoc. XIX, 8.— 3 Hebr., XIII, 21.— 4  Apoc., IV, 10. — 5 I Cor., XV, 57. — 6 Psal., CII, 1, 4. — 7 Ib., 5. — 8 Psal., LVIII, 11. — 9 Ib., XXII, 6.

 

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proportion de leurs œuvres avec leur gloire : Supra modum, in sublimitate œternum gloriœ pondus (1); ils ne peuvent comprendre comment une créature chétive a été capable de tant de grandeur. Alleluia : Dieu les loue, ils louent Dieu (2). Vous avez bien fait, leur dit Dieu : Quia digni sunt (3). C'est vous qui l'avez fait : Omnia opera nostra operatus es in nobis, Domine (4). C'est à ce lieu de paix que nous aspirons ; c'est après cette patrie bienheureuse que notre pèlerinage soupire ; c'est à cette miséricorde que nous espérons. Se peut-il faire que nous attendions tant de grâces sans en vouloir faire à nos frères? La miséricorde nous environne de toutes parts : Misericordia ejus circumdabit me (5). Cet exemple de notre Dieu ne nous attendrit-il pas? Si un maître est indulgent à ses domestiques, il ne peut souffrir les insolents et les fâcheux ; il veut que sa douceur serve de loi à toute sa famille. Sous un père si bon que Dieu, quelle douceur pouvons-nous prétendre, si nous sommes durs et inexorables? Vous voyez donc déjà, chrétiens, la liaison qu'il y a entre la miséricorde reçue et la miséricorde exercée ; mais entrons plus profondément dans cette matière, et expliquons notre seconde partie.

 

SECOND POINT.

 

Je crois que vous voyez aisément que de tous les divins attributs celui que nous devons reconnaître dans un plus grand épanchement de nos cœurs, c'est sans doute la miséricorde. C'est celui dont nous dépendons le plus; nous ne subsistons que par grâce: il faut la reconnaître en la publiant, la publier en l'imitant : Estote misericordes, sicut et Pater vester misericors est (6). Nous ayant faits à son image, il n'aime rien plus, en nous que l'effort que nous faisons de nous conformer à ses divines perfections. Saint Paul aux Colossiens, après leur avoir montré la miséricorde divine dans la grâce de leur élection, conclut en ces termes : Induite vos ergo sicut electi Dei, sancti et dilecti (7) : electi par miséricorde et par grâce ; dilecti par pure bonté ; sancti par la rémission gratuite de tous vos péchés : Induite vos ergo viscera misericordiœ.

 

1 II Cor., IV, 17. —  2 Apoc., XIX, 1, 3, 4, 6. — 3 Ibid., III, 4. — 4 Isa., XXVI, 12. — 5 Psal., XXXI, 10. — 6 Luc.,  VI, 36. —7 Coloss., III, 12.

 

 

Pouvez-vous mieux confesser la miséricorde que vous recevez, qu'en la faisant aux autres en simplicité de cœur? Si vous êtes durs et superbes sur les misérables, il semble que vous ayez oublie votre misère propre. Si vous la faites aux autres dans un sentiment de tendresse, vous ressouvenant des grâces, c'est alors que vous honorez ces bienfaits; c'est là le sacrifice que demande sa miséricorde : Talibus hostiis promeretur (1). Il y a un sacrifice de destruction, c'est le sacrifice de la justice divine, en témoignage qu'elle détruit les pécheurs. Mais le propre de la miséricorde, c'est de conserver; il lui faut pour sacrifice conserver les pauvres et les miserai îles : voilà l'oblation qui lui plaît. Vous prétendez au royaume céleste; Dieu vous en a donné la connaissance, il vous y appelle par son Evangile, il vous y conduit par sa grâce : Quid retribuam Domino (2)? Quelle victime lui offrirez-vous? Voyez tous ces pauvres malades : offrez-lui ces victimes vivantes et raisonnables, conservées et soulagées par vos charités et par vos aumônes. Ils sont dans la fournaise de la pauvreté et delà maladie; que ne descendez-vous avec la rosée de vos aumônes? O sacrifice agréable! Viscera sanctorum requieverunt per te, frater (3). A qui cela convient-il mieux, sinon aux pauvres malades? Je ne néglige pas pour cela les autres ; mais je prête ma voix à ceux-ci, parce qu'ils n'en ont point. Voyez quelle est leur nécessité. Nous naissons pauvres; Dieu a commandé à la terre de nous fournir notre nourriture ; ceux qui n'ont point ce fonds imposent un tribut à leurs mains, ils exigent d'elles ce qui est nécessaire au reste du corps : voilà le second degré de misère. Quand ce fonds leur manque par l'infirmité, mais encore y a-t-il quelque recours; la nature leur a donné une voix, des plaintes, des gémissements; dernier refuge des pauvres affligés pour attirer le secours des autres, ceux dont je parle n'ont pas ces moyens : ils sont contraints d’être renfermés; leurs plaintes ne sont entendues que de leur pauvre famille éplorée et de quelques-uns de leurs voisins, peut-être encore plus misérables qu'eux. Mais dans l'extrême misère. quand on a l'usage de son esprit libre, la nécessite fait trouver des inventions ; le leur est accablé par la maladie, par les inquiétudes

 

1 Hebr., XIII, 16. — 2 Psal., CXV, 12. — 3 Philem., vers. 7.

 

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et souvent par Le désespoir. Dans une telle nécessité, puis-je leur refuser ma voix?

Combien de malades dans Metz ! Il semble que j'entends tout autour de moi un cri de misère : ne voulez-vous pas avoir pitié? Leur voix est lasse, parce qu'elle est infirme ; moins je les entends, et plus ils me percent le cœur. Mais si leur voix n'est pas assez forte, écoutez Jésus-Christ qui se joint à eux. Ingrat, déloyal! nous dit-il, tu manges et tu te reposes à ton aise ; et tu ne songes pas que je suis soutirant en telle maison, que j'ai la fièvre en cette autre, et que partout je me.urs de faim si tu ne m'assistes ! Qu'attendez-vous, cruels ! pour subvenir à la pauvreté de ce misérable ? Quoi ! attendez-vous que les ennemis de la foi en prennent le soin pour les gagner à eux par une cruelle miséricorde? Voulez-vous que votre dureté leur serve d'entrée? Ah! qu'un homme se fait bien entendre, quand il vient donner la vie à un désespéré ! Faiblesse d'esprit dans la maladie. Vous voulez qu'ils soient secourus ; favorisez donc de tout votre pouvoir cette confrérie charitable qui se consacre à leur service. Aidez ces filles charitables dont toute la gloire est d'être les servantes des pauvres malades ; victimes consacrées pour les soulager. Et ne me dites point : Les pauvres sont de mauvaise humeur, on ne peut les contenter. — C'est une suite nécessaire de la pauvreté. Sont-ils de plus mauvaise humeur que ceux auxquels Jésus-Christ disait : O generatio perversa, usquequo patiar vos? Adduc hùc filium tuum (1). — Mais ils ne se contentent pas de ce que nous leur donnons; ils veulent de l'argent, et non des bouillons, et non des remèdes. — Qui le veut? C'est l'avarice. Vous n'êtes pas assemblées pour satisfaire à ce que leur avarice désire, mais à ce qu'exige leur nécessité. Mais il n'y a point de fonds? C'est la charité des fidèles; et c'est à vous à l'exciter. C'est pour cela, mesdames, que vous vous êtes toutes données à Dieu pour faire la quête.

Si la pauvreté dans le christianisme est honorable, vous devez être honorées de faire pour Jésus-Christ l'action de pauvres. Quoi! rougirez-vous de demander l'aumône pour Jésus-Christ? Quand est-ce que vous donnerez, si vous ne pouvez vous résoudre à

 

1 Luc., IX, 41.

 

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demander? Vous devriez ouvrir vos bourses, et vous refusez de tendre la main ! — Mais on ne me donne rien. — O vanité, qui te mêles jusque dans les actions les plus humbles, ne nous laisseras-tu jamais en repos? Jésus se contente d'un liard, Jésus se contente d'un verre d'eau ; bien plus, il ne laisse pas de demander aux plus rebelles, aux plus incrédules. Animez-vous donc les unes les autres ; mais persévérez. Quelle honte d'avoir commencé ! Ce serait une hypocrisie. Rien de plus saint; tout le monde y devrait concourir. N'écoutez pas ceux qui disent : Cet œuvre ne durera pas. — Il ne durera pas si vous êtes lâches ; il ne durera pas si vous manquez de foi, si vous vous défiez de la Providence. Dieu suscitera l'esprit de personnes pieuses pour vous fournir des secours extraordinaires, mais ce sera si vous faites ce que vous pouvez. Quelle consolation! je n'ai qu'un écu à donner; il se partagera entre tous les pauvres, comme la nourriture entre tous les membres. C'est l'avantage de faire les choses en union. Si chaque membre prenait sa nourriture de lui-même, confusion et désordre ; la nature y a pourvu : une même bouche. Comme les membres s'assistent les uns les autres, prêtez-leur vos mains, prêtez-leur vos voix. La main prend un bâton pour soutenir le corps au défaut du pied.

Exhortation. En considérant la miséricorde que nous recevons de Jésus-Christ, que lui rendrons-nous ? Il n'a que faire de nous. Empressement de la reconnaissance. Sauveur, je meurs de honte de recevoir vos bienfaits sans rien rendre ; donnez-moi le moyen de les reconnaître. Pressé par ces raisons que la gratitude inspire, il dit : Je te donne les pauvres; ce que tu leur feras, je le tiens pour reçu aux mêmes conditions qu'eux ; je veux entrer en leur place. Ne le crois-tu pas? C'est lui qui le dit : Il a dit que du pain c'était son corps; tu le crois et tu l'adores. Il a dit qu'une goutte d’eau lavait nos péchés; tu le crois et tu conduis tes enfants à cette fontaine. Il a dit qu'il était en la personne des pauvres; pourquoi refuses-tu de le croire? Situ refuses de le croire, tu le croiras et tu le verras lorsqu'il dira : Infirmus, et non visitastis me (1). L'homme devant Dieu, demandant de le voir dans sa gloire : — Tu ne m'as

 

1 Matth., XXV, 13.

 

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pas voulu voir dans mon infirmité ! Une troupe de misérables s'élèvera : Seigneur, c'est un impitoyable! C'est pour cela que le mauvais riche voit Lazare au sein d'Abraham. Au contraire, ces pauvres recipient vos in œterna tabernacula (1).

Employer à cela le crédit et l'autorité. Elle s'évanouira en l'autre monde. Voulez-vous qu'elle vous y serve, employez-la au ministère des pauvres.

 1 Luc, XVI, 9

 

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