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CINQUIÈME SERMON
POUR
LA FÊTE DE LA CIRCONCISION (a).
Vocabis nomen ejus Jesum : ipse enim salvum fuciet
populum suum à peccatis eorum.
Vous donnerez à l'enfant le nom de Jésus, c'est-à-dire
celui de Sauveur; car c'est lui qui sauvera le peuple de ses péchés. Matth., I,
21.
Un nom donné par l'ordre de Dieu
doit aussi être expliqué par le même ordre; jamais nous ne serons capables
d'entendre les mystères admirables du nom de Jésus, si le Saint-Esprit ne nous
les découvre. Il le fait aussi, chrétiens; et il nous apprend dans mon texte que
la raison précise et essentielle pour laquelle ce divin nom est dû par
excellence au Fils de Marie, c'est qu'il est envoyé pour sauver son peuple de la
tyrannie du péché. De même
(a) Prêché probablement en 1669.
Les premiers éditeurs avaient supprimé l'exorde, fait du
premier point un morceau détaché, mêlé le troisième point avec le même point du
sermon précédent et mis bout à bout les deux péroraisons, auxquelles Déforis
avait joint une autre péroraison qu'on trouvera plus loin, et l'allocution au
prince de Condé.
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que s'il disait : Il y a plusieurs Jésus et plusieurs
Sauveurs. Les uns ont mérité ce beau titre pour avoir délivré les peuples d'une
longue captivité, les autres pour les avoir sauvés ou des périls de la guerre ou
des horreurs de la famine. Celui-ci est Sauveur par un autre titre; son
caractère particulier, c'est qu'il nous sauve de tous nos péchés; et c'est pour
cela que nous délivrant du plus grand de tous les malheurs, il mérite d'être
nommé et le Sauveur véritable, et l'unique libérateur, et le Jésus par
excellence : Ipse enim salvum faciet populum suum à peccatis eorum (1).
Ainsi toute la grandeur du nom de Jésus, c'est de nous désigner personnellement
celui qui est envoyé de Dieu pour ôter les péchés du monde, et c'est aussi cette
délivrance que j'ai dessein de vous faire entendre pour célébrer dignement la
gloire d'un nom si auguste.
Or, Messieurs, j'ai appris de
saint Augustin que cette grâce de délivrance de tous nos péchés a trois parties
principales et essentielles. Jésus, dit-il, est l'Agneau de Dieu, et il ôte les
péchés du monde en trois façons différentes, « et parce qu'il remet ceux qu'on a
commis, et parce qu'il nous aide pour n'en plus commettre, et parce que par
plusieurs périls et par plusieurs exercices il nous mène enfin à la vie où nous
ne pouvons plus en commettre aucun : » Et dimittendo quœ facta sunt, et
adjuvando ne fiant, et perducendo ad vitam ubi fieri omnino non possint (2).
Et en effet, chrétiens, si nous
méditons attentivement comment le péché nous tient captifs, il nous sera aisé de
connaître que cette misérable servitude consiste en trois choses. Lorsque nous
l'avons commis, il a sa tache inhérente en nous et sa coulpe qui nous infecte.
Et quand elle est effacée, il a encore ses appas trompeurs et ses tentations qui
nous attirent. Et dans la plus grande rigueur de la résistance, voire même dans
le sanctuaire et dans l'honneur du triomphe, encore que nous vivions sans péché,
nous ne vivons pas sans péril, ayant toujours en nous-mêmes non-seulement la
liberté malheureuse, mais encore la facilité tout entière, et certainement
très-entière, de céder à cet ennemi. Ainsi ce divin Jésus, pour être notre Jésus
et nous sauver du péché dans toute
1 Matth., I, 21. — 2 Oper.
Imperf. Cont. Julian., lib. II, n. 84.
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son étendue, doit nous délivrer par sa grâce, premièrement
de la coulpe, secondement de l'attrait, troisièmement du péril. C'est ce qu'il
fait, chrétiens; et il efface la coulpe par la grâce de la rémission, il nous
sauve de l'attrait du crime par la grâce de son soutien, il nous tire de tout
péril en nous conduisant à la vie heureuse où nous n'avons plus à craindre
aucune faiblesse. C'est pourquoi le même saint Augustin rapporte toujours à ces
trois effets les trois opérations de la grâce qui nous sauve de la tyrannie du
péché ; et il dit que la coulpe en est effacée par la grâce qui nous régénère (a),
que l'attrait et sa puissance est bridée par la grâce qui nous assiste, enfin
qu'il est guéri sans retour et déraciné tout à fait par la grâce qui nous
récompense. (b) Voilà, Messieurs, les trois grâces par lesquelles le Fils
de Dieu nous délivre de nos péchés et se montre notre Sauveur : par la première
il nous justifie, par la seconde il nous exerce, par la troisième il nous
couronne. En ces trois grâces est renfermé tout le salut que nous espérons en
Notre-Seigneur. Voyons donc aujourd'hui, Messieurs, combien chacun de ces trois
bienfaits nous rend redevables au Sauveur des âmes, et célébrons-les par ordre
dans les trois points de ce discours.
PREMIER POINT.
Quand nous considérons la
première idée que jette dans nos esprits le nom de Sauveur, rien ne nous paraît
ni plus beau, ni plus grand, ni plus désirable. Ce nom met tous les hommes aux
pieds de Jésus, lui donne autant de sujets et de créatures nouvelles qu'il
délivre de captifs et qu'il affranchit d'esclaves, les attache à sa personne
sacrée par les plus aimables de tous les liens, c'est-à-dire par les bienfaits,
le fait les délices du genre humain et l'objet éternel de notre amour, (c)
Mais certes quand on regarde à quoi
(a) Var. : Justifie. — (b) Note
marg. : Dei gratiâ regenerante impetrandum, Dei gratiâ jurante frenandum,
Dei gratiâ remunerante sanandum (Lib. II Cont. Julian., cap. IV). — (c)
Il naît comme un banni. Il va à la cité de David, à la source de son extraction
royale ; mais les siens ne l'ont pas reçu. Une table..... Comparatus est
jumentis. Il s'égale aux animaux par la demeure, parce que les bommes se
sont ravilis jusqu'à leur condition par leurs brutales convoitises..... Il ne se
sauve point à main armée, il se sauve comme un esclave par la fuite. (Cette note
sert à ramener le discours à la fête de Noël.)
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engage ce nom, on est saisi de frayeur et on trouve qu'il y
a de quoi frémir. Car la rémission de nos péchés ne nous a pas été accordée par
une simple abolition, mais par une satisfaction actuelle. Vous savez que la
justice divine a voulu être payée; et comme les pécheurs devaient à Dieu tout
leur sang, lorsque Jésus a entrepris de les sauver il a obligé tout le sien, et
il ne peut plus s'en réserver une seule goutte (a).
C'est pourquoi, dès le même jour
qu'il reçoit le nom de Sauveur, il commence à verser du sang par cette
douloureuse circoncision. Mais s'il faut qu'il en donne tant pour avoir
seulement le nom, à quoi se doit-il attendre quand il en faudra opérer l'effet?
Sans doute il faudra un déluge entier pour noyer les péchés du monde; et nous ne
devons regarder ce premier sang que verse la circoncision, que comme un léger
commencement, comme un gage que Jésus-Christ donne à la justice divine qui
l'oblige à la dette entière, enfin comme des prémices qui lui consacrent toute
la masse et la lui dévouent. Ainsi la circoncision et la qualité de Sauveur nous
mène à la croix : c'est là que la victime est immolée, c'est là que le sang se
déborde par toutes les veines, c'est là que s'accomplit la rémission des péchés
et l'expiation du monde. Ecoutez ici les belles paroles du philosophe martyr, je
veux dire de saint Justin (1) : « Un seul est frappé, dit-il, et tous sont
guéris (b) ; le juste est déshonoré, et les criminels sont rétablis dans
leur honneur. Cet innocent subit ce qu'il ne doit pas, et il acquitte tous les
pécheurs de ce qu'ils doivent (c). Car qu'est-ce qui pouvait mieux
couvrir nos péchés que sa justice (d) ? Comment pouvait être mieux expiée
la rébellion des serviteurs que par l'obéissance du Fils? L'iniquité de
plusieurs est cachée dans un seul juste, et
1 Epist. ad Diognet., n. 9, p.
238.
(a) Note marg. : Voyez les sacrifices
anciens; comme on prodigue le sang! Il faut que tout nage dans le sang, et les
victimes, et l'autel, et les prêtres, et les peuples, et le livre même ; qu'on
répande le sang comme l'eau. Je ne m'étonne pas quon prodigue celui des animaux;
mais celui du Fils de Dieu ne doit-il pas être épargné?... Après que toutes ses
veines seront épuisées, s’il y a encore dans le fond du cœur quelque secret
réservoir, on le percera par une lance. Sine sanguinis effusione non fit
remissio (Hebr., IX, 22).— (b) Var. : Délivrés.— (c)
Dieu frappe son Fils innocent pour l'amour des bommes coupables, et pardonne aux
bommes coupables pour l'amour de son Fils innocent. — (d) Si ce n était
sa justice.
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la justice d'un seul fait que plusieurs sont justifiés. »
C'est ce que dit saint Justin, c'est ce qu'il a appris de l’Apôtre des Gentils.
Voilà, mes frères, ce grand conseil de la sagesse de Dieu; conseil profond,
conseil inconnu aux plus hautes puissances du ciel, que le Père, dit ce saint
martyr, n'avait communiqué qu'à son Fils; ajoutons, et à l'Esprit éternel qui
procède de l'un et de l'autre; conseil qui s'est découvert dans les derniers
temps et qui a fait dire à l'Apôtre que « la sagesse de Dieu a été manifestée
par l'Eglise aux célestes intelligences (1). » Oui, les anges sont étonnés de ce
secret admirable, de cet échange incompréhensible, qui fait que Dieu en même
temps se venge et s'apaise, exige et remet, punit nos péchés et les oublie,
frappe son Fils innocent pour l'amour des hommes coupables, et pardonne aux
hommes coupables pour l'amour de son Fils innocent. Mais nous que cette grâce
regarde, nous ne devons pas seulement l'admirer avec les anges; plutôt nous
devons penser à quoi elle nous oblige envers notre aimable Sauveur; et je vous
prie, chrétiens, de vous y rendre attentifs.
Je ne puis mieux, ce me semble,
vous représenter cette obligation que par l'exemple d'un criminel à qui le
prince accorde sa grâce. Regardez, chrétiens, ce criminel qui, enfermé dans un
cachot, n'attend plus que la dernière heure, qui ne sait s'il est vivant ou
mourant, et « ne croit point à sa propre vie : » Non credes vitœ tuœ (2),
comme dit l'Ecriture sainte. Il est condamné, il est lié, il voit à ses côtés
l'exécuteur armé du funeste tranchant qui doit dans un moment abattre sa tête.
Ou bien s'étant échappé, il se fie à peine à soi-même; fugitif, errant,
vagabond, il croit que tout ce qui luit le décèle, que tout ce qui parle
l'accuse, que tout ce qui remue machine sa perte. Au milieu de cet effroi et de
ces alarmes, pendant qu'il fuit tout le monde et que tout le monde le fuit,
qu'il ne sait où se retirer, parce qu'il enveloppe tous ceux qui le servent dans
sa honte et dans ses malheurs; quand on lui apporte son abolition, il croit
sortir du tombeau et recevoir une nouvelle naissance. Il considère le prince
comme un second père qui lui rend la vie, la lumière, la société des hommes, en.
effaçant, de dessus son front la tache honteuse qui le condamnait à une
1 Ephes., III, 10. — 2 Deuter., XXVIII, 66.
387
éternelle infamie. Il entre pour ainsi dire dans une
nouvelle sujétion ; il n'a plus rien à lui-même, tout est au prince qui le sauve
et qui le délivre. Tels, nies frères, devons-nous être en sortant du tribunal de
la pénitence, après que les clefs de L'Église nous ont ouvert les prisons. Nous
devons regarder le divin Jésus au nom duquel nous sommes absous, comme celui par
qui seul nous vivons. C'est là qu'il faut éclater en actions de grâces (a)
et dire avec le prophète Isaïe : « O cieux, louez Dieu avec nous; que les
extrémités de la terre retentissent du bruit de nos louanges ; que les montagnes
tressaillent de joie; que les déserts, les bois, les rivages et en-tin toute la
nature se réjouisse, parce que le Seigneur nous a fait miséricorde : »
Laudate, cœli, quoniam misericordiam fecit Dominus ; jubilate, extrema terrœ;
resonate, montes, laudationem, saltus et omne lignum ejus, quoniam redemit
Dominus Jacob, et Israël gloriabitur (1).
Là nous devons commencer une vie
nouvelle qui soit toute pour Jésus-Christ ; et lui-même nous y excite par ces
paroles touchantes du même prophète : « O Jacob, souvenez-vous de ces choses; ô
Israël, ô chrétien, ô homme nouveau, n'oubliez jamais mes bontés; vous êtes mon
serviteur, et c'est moi qui vous ai formé de mes mains. Mais j'ai fait beaucoup
davantage : C'est moi, dit ce grand Sauveur, qui ai effacé vos iniquités comme
un nuage qui s'évanouit, et qui les ai dissipées comme une tapeur qui ne laisse
plus dans l'air aucun vestige : retournez donc à moi, parte que je vous ai
racheté, dit le Sauveur. » (b) Que si vous voulez savoir quelle
doit être la mesure de l'amour qu'il attend de vous, connaissez-la par vos
crimes. « Un homme avait deux créanciers, dont l'un lui devait cinq cents
deniers et l'autre en devait cinquante; comme ils étaient tous deux insolvables,
il leur quitta la dette entière. Lequel est-ce des deux qui l'aime le plus? Sans
1 Isa., XLIV, 23.
(a) Var. : Comme le seul par lequel nous
vivons. C'est là qu'il faut éclater en actions de grâces et animer avec le
prophète toute la nature pour prendre part à notre joie et pour la faire entrer
dans les sentiments de notre éternelle reconnaissance. — (b) Note marg. :
Memento horum, Jacob et Israël, quoniam servus meus es tu ; formavi te,
servus meus es tu; Israël, ne obliviscaris mei, delevi ut nubem iniquitates
tuas, et quasi nebulam peccata tua ; revertere ad me, quia redemi te (Isa.,
XLIV, 21 et 22).
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doute que c'est celui auquel il a remis davantage : allez
et faites semblablement (1). » Où trouverez-vous assez d'amour pour le
reconnaître?
Mais surtout quelle serait votre
ingratitude, si vous retombiez dans les mêmes crimes! Je laisse les
raisonnements recherchés; je veux vous représenter les obligations de cette
amitié si saintement réconciliée. Souvenez-vous dans quels sentiments vous avez
demandé pardon à votre Sauveur. Un pécheur pressé en sa conscience voit la main
de Dieu armée contre lui (a), il voit l'enfer ouvert sous ses pieds pour
l'engloutir dans ses abîmes : quel effroyable spectacle! Dans la crainte qui le
saisit, pressé de ce glaive vengeur tout prêt à frapper le dernier coup, il
s'approche de ce trône de miséricorde, qui jamais n'est fermé à la pénitence.
Ah! il n'attend pas qu'on l'accuse, il se rend dénonciateur de ses propres
crimes, et il sait bien qu'il faut avouer le crime quand on demande sa grâce. Il
est prêt à passer condamnation pour prévenir l'arrêt de son juge : la justice
divine se lève, il prend son parti contre lui-même, il confesse qu'il mérite
d'être sa victime, et toutefois il demande grâce au nom du Sauveur. A ce nom qui
calme les flots et les tempêtes, qui fait cesser les vents les plus orageux, qui
apaise le ciel et la terre, on commence à l'écouter; on lui propose la condition
de corriger sa vie déréglée, de renoncer à ses amours criminels, à cet aveugle
désir de plaire, à toutes ses intelligences avec l'ennemi. Il promet, il accorde
tout : — Faites la loi, j'obéis. Vous l'avez fait, mes frères, souvenez-vous-en;
ou jamais vous n'avez fait pénitence, ou votre confession a été un sacrilège.
Vous avez fait quelque chose de plus, vous avez donné Jésus-Christ pour caution
de votre parole. Car étant le médiateur de la paix, il est . aussi le
dépositaire des paroles des deux parties : il est caution de celle de Dieu par
laquelle il promet de vous pardonner, il est caution de la vôtre par laquelle
vous promettez de corriger votre vie. "Voilà le traité qui a été fait, et pour
plus authentique confirmation, vous avez pris à témoin son Corps et son Sang qui
a scellé
1 Luc, VII, 41.
(a) Var. : Un pécheur pressé par sa
conscience, qui voit qu'il n'y a plus rien entre lui et la damnation éternelle
qu'une vie qui est emportée par le premier souffle, voit la main de Dieu armée
contre lui...
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la réconciliation à la sainte table. Et après la grâce
obtenue, vous cassez un acte si solennel! Vous vous êtes repentis de vos péchés,
vous vous repentez de votre pénitence. Vous aviez donné à Dieu des larmes et des
regrets, gages précieux de votre foi; vous les retirez de ses mains; vous
désavouez vos promesses, et Jésus-Christ qui en est garant, et son Corps et son
Sang, mystère sacré et inviolable, lequel certes ne devait pas être employé en
vain : qu'y aurait-il de plus outrageux et de plus indigne? Après la grâce qui
remet les crimes, soyons fidèles à user de celle qui nous aide à n'en plus
commettre. C'est la seconde partie.
SECOND POINT.
(Comme au sermon précédent).
TROISIÈME POINT.
C'est donc ici, chrétiens, la
dernière grâce, l'assurance, le prix, la perfection et le comble de toutes les
autres (a), d'être menés à la vie où nous serons impeccables, où nous
jouirons éternellement avec les saints anges de cette heureuse nécessité de ne
pouvoir plus être soumis au péché. C'est là le bonheur parfait, c'est le salut
accompli, c'est enfin le dernier repos qui nous est promis en Notre-Seigneur. Le
commencement de notre repos, c'est de pouvoir ne plus pécher ; la fin de notre
repos, c'est de ne pouvoir plus pécher. Le commencement de notre repos, c'est de
pouvoir être justes ; la fin de notre repos, c'est d'avoir une assurance
infaillible (b) de ne déchoir jamais aux siècles des siècles de
la grâce ni de la justice.
Pour entendre profondément la
différence de ces deux repos, dont l'un est la consolation de la vie présente et
l'autre est la félicité de la vie future, il faut remarquer, Messieurs, que par
la grâce du christianisme nous sommes très-assurés que notre Dieu ne nous
délaissera pas, mais nous ne sommes pas assurés que nous ne délaisserons pas
notre Dieu ; c'est-à-dire, si nous l'entendons , que nous sommes assurés de
Dieu, mais toujours incertains de nous et de notre propre faiblesse. Nous sommes
assurés
(a) Var. : Et le comble et la couronne de
toutes les autres. — (b) Certaine.
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de Dieu ; car nous sommes très-assurés « qu'il ne quitte
point, si on ne le quitte : » Non deserit, nisi deseratur (1). C'est la
doctrine de tous les saints Pères, c'est la foi de tous les conciles, c'est
l'espérance de tous les fidèles : si quelqu'un le nie, qu'il soit anathème ! La
foi de Dieu nous est engagée, ainsi qu'il l'a assuré par son saint prophète : «
Je vous ai épousée en foi : » Despondi te mihi in fide (2) ; ci cette
parole est sacrée, cette foi est inviolable; c'est à Jésus-Christ qu'elle est
donnée, et son sang nous est le gage de sa vérité infaillible. C'est pourquoi
tous les oracles divins nous assurent que le traité qu'il fait avec nous est un
traité éternel : Feriam vobiscum pactum sempiternum (3) ; c'est-à-dire
que notre grand Dieu, toujours fidèle à sa vérité et à ses saintes promesses, ne
quitte jamais de lui-même ceux qu'il a une fois admis à la nouvelle alliance, à
la société de son Fils et à l'unité de ses membres. Mais si nous sommes bien
assurés qu'il ne rompra pas le traité , nous ne sommes pas assurés de ne le pas
rompre. Il est vrai, cet Epoux toujours fidèle ne fera jamais de divorce ; (a)
mais cette âme, perfide et ingrate épouse, l'obligera peut-être à se séparer ;
et ainsi, dit le prophète Isaïe, « elle dissipe, elle viole le pacte éternel : »
Dissipaverunt fœdus sempiternum (4). Comment est-il dissipé, s'il est
éternel? « C'est à cause, dit ce prophète, que les hommes ont transgressé la loi
ancienne et qu'ils ont changé le droit établi : » Transgressi sunt leges,
mutaverunt jus (5) ; c'est-à-dire, si nous l'entendons , que le pacte était
éternel de la part de Dieu, mais qu'il a été rompu de la part des hommes. Celui
qui est immuable est toujours prêt à demeurer ferme, mais celui qui est
changeant a tout renversé en manquant à la foi donnée. Voilà donc, âmes
chrétiennes, quelle est notre assurance durant cette vie; voilà quel est notre
repos durant cet exil. Grand et admirable repos ! car qu'y a-t-il de plus grand
que d'être assuré de Dieu? Mais incertitude terrible ! car qu'y a-t-il de plus
misérable que de n'être pas assurés de nous? Viendra donc enfin le dernier repos
et l'assurance parfaite, où nous serons assurés de Dieu et non moins
1 S. August., In Psal. CXLV, n.
9.— 2 Ose., II, 20. — 3 Isa., LV, 3. — 4 Ibid., XXIV, 5. —
5 Ibid.
(a) Note marg. — Mais fidélité réciproque:
que son amour est délicat! que sa jalousie est scrupuleuse !
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assurés de nous. Nous sommes déjà certains que Dieu ne peut
pas nous manquer de lui-même ; alors nous serons certains que nous ne pourrons
jamais manquer à Dieu (a) ; et notre fidélité, je l'oserai dire, ne sera
pas moins assurée ni moins inébranlable que la sienne propre. Tel est ce jour de
repos et de sabbat éternel qui nous est promis; voilà quels nous serons à la
fin, sans fin, immuables comme Dieu même, saints comme Dieu même , impeccables
comme Dieu même.
Comment, mes frères, pourra
arriver à des hommes toujours changeants cet état de félicité immuable, si ce
n'est que ce même Dieu, qui a fait la créature raisonnable dans la loi des
changements, ne cesse de la rappeler à la loi de son éternité ? Car qui ne sait
qu'il nous a créés pour être participants de lui-même? Il commence en nous cette
grâce dans ce lieu de pèlerinage, c'est pourquoi nous y pouvons être saints ;
mais il ne fait encore que la commencer, c'est pourquoi nous pouvons devenir
pécheurs. Alors nous serons saints sans changement et délivrés du péché sans
aucun retour, lorsque nous serons élevés à la parfaite unité, à la pleine
participation du bien immuable : Plenâ participatione incommutabilis boni
(1).
Combien libre sera alors notre liberté, combien
vive notre vie, combien tranquille notre paix ! « Là nous n'aurons plus aucun
vice, ni dont il nous faille secouer le joug, ni dont il nous faille effacer les
restes, ni dont il nous faille combattre les attraits trompeurs : » Nullum
habens vitium, nec sub quojaceat, nec cui cedat, nec cum quo saltem laudabiliter
dimicet (2). Rien ne pourra nous plaire que le vrai bien, rien ne pourra
nous délecter que la justice. Pourquoi ? parce que, pour parler selon
l'Evangile, « nous serons alors pleinement entrés dans la joie de Notre-Seigneur
: » Intra in gaudium (3). Quelle est cette joie du Seigneur, si ce n'est
l'amour de la vérité et la chaste délectation de la justice? Cette joie entre en
nos cœurs (b) durant cette vie ; mais elle y entre, mes frères, comme
dans un vaisseau corrompu et déjà rempli d'autres joies
1 S. August., Epist. CXL ad Honorat., n. 74.
— 2 S. August., De Civit. Dei, lib. XXII, cap. XXIV — 3 Matth.,
XXV, 21.
(a) Var.: Que Dieu ne nous manquera jamais de
lui-même, alors nous serons certains que nous ne manquerons jamais à Dieu. — (b)
Entre en nous.
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sensibles qui altèrent la pureté de cette sainte et divine
joie. C'est pourquoi le cœur humain est partagé ; et les entrées étant ouvertes
à la joie du monde, elle ne gagne que trop souvent le dessus. Là, dans cet état
bienheureux, la joie de Notre-Seigneur n'entrera pas tant dans notre âme que
notre âme entrera tout entière , comme dans un abîme de félicité, dans cette
joie du Seigneur. Elle en sera pénétrée, elle y sera absorbée ; «là tout ce qui
est mortel sera englouti par la vie (1) ; » et l'ardeur des folles joies de la
terre étant tout à fait éteinte, il ne restera dans les cœurs que le plaisir
immortel et le chaste attrait de la vérité, et un amour suprême, un amour
constant, un amour immuable pour la justice : Gaudium de veritate, dit
saint Augustin (2).
« Donc, mes frères, dit le saint
Apôtre, hâtons-nous d'entrer dans ce repos éternel : » Festinemus ergo
ingredi in illam requiem (3). Quel serait votre repos, si l'on vous disait
que vos richesses sont si assurées que jamais vous n'aurez à craindre aucune
indigence, votre fortune si bien établie que jamais vous ne souffrirez aucune
disgrâce, vos forces et votre santé si bien réparée qu'elle ne sera jamais
altérée par aucune maladie : quelle serait votre joie ! quel votre repos !
Combien donc serez-vous heureux, et quelle sera la tranquillité, mais quelle
sera la gloire et la dignité de votre repos, lorsque vous ne pourrez plus être
injustes, vous ne pourrez plus être déshonnêtes, vous ne pourrez plus être
pécheurs, vous ne pourrez plus perdre Dieu, vous ne pourrez plus déchoir de
votre justice, ni par conséquent de votre bonheur! O vie sainte ! ô vie heureuse
! ô vie désirable ! Jésus a commencé de nous délivrer, parce que nous pouvons ne
pécher pas ; oui, mes frères, nous pouvons ne pécher pas ; sa miséricorde est
toujours prête, sa grâce est toujours présente. Je puis ne pécher pas : que ma
liberté est grande ! mais, hélas ! je puis encore pécher : que ma faiblesse est
déplorable ! Malheureuse puissance de pécher, que ne puis-je te déraciner tout à
fait ! que ne puis-je te retrancher de mon franc-arbitre ! Mes frères, il n'est
pas temps, il faut suivre tous les degrés des présents divins et tous les
progrès de la grâce. Usons bien de la liberté que nous possédons pour pouvoir
1 II Cor., V, 4. — 2 Confess.,
lib. XXIII, n. 33. — 3 Hebr., IV, 11.
303
pécher et ne pécher pas; c'est-à-dire ne péchons plus, et
cette autre liberté nous sera donnée par laquelle nous ne pourrons jamais
pécher. Celle-là qui est imparfaite nous est accordée pour notre mérite :
celle-ci qui est parfaite est réservée pour la récompense. Usons donc bien de la
liberté qui peut se dégager de la servitude ; et la liberté nous sera donnée
très-pleine, très-entière et très-puissante, par laquelle nous ne pourrons
jamais être soumis à aucune servitude de nos passions, ni à aucun attrait du
péché. Jésus-Christ Sauveur nous offre ses biens : Seipsum dabit, quia
seipsum dedit (1). Jésus-Christ mortel est à nous : la grâce d'expier nos
crimes... Jésus-Christ immortel est à nous; et nous pouvons arriver à sa
sainteté parfaite, à son état impeccable, c'est-à-dire à sa gloire consommée. La
grâce personnelle de Jésus-Christ, c'est d'être impeccable ; la grâce de
médiateur, c'est d'expier les péchés. Usons bien de cette grâce pour combattre,
pour éviter, pour expier les péchés ; et ainsi nous arriverons à son état
impeccable (a).
1 S. August., In Psal. XLII, n.
2.
(a) Note marg. : Vid. serm. de
Annuntiatione : Beatus venter, etc.
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