Epiphanie IIe
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SERMON POUR
LE IIe DIMANCHE APRÈS L'EPIPHANIE (a).

 

Nuptiae fatae sunt in Cana Galilae, et erat mater Jesu ibi. Vocatus est autem et Jesus, et discipuli ejus. Joan., II, 1 et 2.

 

Jésus et sa sainte Mère avec ses disciples : chères sœurs, quelle compagnie ! Ils sont invités à un festin, ô festin pieux ! et à un festin nuptial, ô noces mystérieuses! Mais à ce festin le vin y manque ; le vin, que les délicats appellent l’âme des banquets. Est-ce avarice, est-ce pauvreté, est-ce négligence? ou bien n'est-ce pas plutôt quelque grand mystère que le Saint-Esprit nous

 

(a) Prêché à Metz, chez les Nouvelles Converties, probablement en 1657.

La maison des Nouvelles Converties recevait les juives et les protestantes que Bossuet ramenait en grand nombre à la vraie foi. L'orateur leur dit dans sa péroraison : « Voyez combien l'erreur est répandue par toute la ville. Dieu vous a triées deux ou trois..... Persévérez.....; n'écoutez ni les larmes ni les reproches de vos parents, » etc. Ces paroles désignent manifestement le lieu, et le mot triées révélerait à lui seul l'époque de notre sermon.

Dans une brillante improvisation, chez le brave et pieux maréchal de Schonberg, l'archidiacre de Metz avait tracé précédemment les caractères des deux alliances, montrant dans l'eau changée en vin la figure remplacée par la vérité, la lettre par l'esprit, la crainte par l'amour. Ce sont ces idées que l'auteur reproduit dans le sermon qu'on va lire.

 

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propose pour exercer nos intelligences? Certes il est ainsi, mes très-chères sœurs. Car je vois que le Sauveur Jésus, pour suppléer à ce défaut, change l'eau en vin excellent, et ce vin se sert à la fin du repas au grand étonnement de la compagnie. O vin admirable et plein de mystères, fourni par la charité de Jésus aux prières de la sainte Vierge ! Je vous demande, mes sœurs, quel intérêt prend le Maître de sobriété à ce que cette compagnie ne soit pas sans vin. Etait-ce chose qui méritât que sa toute-puissance y fût employée ? Etait-ce en une pareille rencontre où il devait commencer à manifester sa gloire, et un ouvrage de cette nature de voit-il être son premier miracle? Croyez-vous que ceci soit sans mystère? à Dieu ne plaise, âmes chrétiennes, que nous ayons une telle opinion de notre Sauveur! Il est la Sagesse et la Parole du Père : tous ses discours et toutes ses actions sont esprit et vie ; tout y est lumière, tout y est intelligence, tout y est raison. O Sagesse éternelle, éclairez par votre Esprit-Saint notre faible et impuissante raison, pour nous faire entendre la vôtre.

Dans cette histoire miraculeuse, tout me représente le Sauveur Jésus. Il y est lui-même en personne; mais si j'ose parler de la sorte, il y est encore plus en mystère. Il est invité selon la vérité de l'histoire ; et si nous le savons entendre, il est lui-même l'Epoux selon la vérité du mystère. C'est une chose connue que Jésus est l'Epoux des âmes fidèles. Et néanmoins si vous me le permettez, je vous déduirai sur ce point quelques vérités chrétiennes merveilleusement pieuses.

Dieu remplit le ciel et la terre, et il se trouve en tous lieux, comme l'enseigne la théologie; mais il sait encore se communiquer d'une façon toute particulière aux créatures intelligentes : Ad ipsum veniemus, et mansionem apud eum faciemus (1). Certes il est incompréhensible, mes sœurs, comment la nature divine s unit aux esprits purs par de chastes embrassements ; et bien que soit un secret ineffable, si est-ce toutefois que les Ecritures divines nous le représentent en diverses manières et par de différentes figures. Tantôt elles nous disent que Dieu est une fontaine de vie qui se répandant en nos âmes, les lave et les nettoie, leur

 

1 Joan., XIV, 23.

 

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communique une divine fraîcheur et étanche leur soif ardente par les ondes de ses vérités : Fons aquœ salientis (1)... Quemadmodum desiderat cervus ad fontes aquarum (2). Tantôt elles nous le décrivent tout ainsi qu'une douce rosée qui arrosant nos esprits comme par une féconde humidité, y fait germer les semences célestes : Rorate, cœli, desuper (3). Quelquefois elles nous le représentent à la manière d'un l'eu consumant qui pénétrant toutes nos puissances, dévore toutes les affections étrangères et épure nos âmes comme l'or dans une fournaise : Ignis consumens est (4). Elles nous disent ailleurs que Dieu est une nourriture admirable : car de même que toutes les parties de nos corps attirent à elles une certaine substance sans laquelle elles défaudraient, et ensuite se l'incorporent par la vertu d'une secrète chaleur que la nature leur a donnée : ainsi seraient nos âmes destituées de toute vigueur, si par de fidèles désirs que le Saint-Esprit leur excite, elles n'attiraient à elles-mêmes cette vérité éternelle qui seule est capable de les sustenter. C'est ce qui nous est signifié par ce pain des anges qui est devenu le pain des hommes : « pain céleste que nous désirons par un appétit de vie éternelle, que nous prenons par l'ouïe , que nous ruminons par l'entendement, que nous digérons par la foi : » In causam vitœ appetendus, et devorandus auditu, et ruminandus intellectu, et fide digerendus (5). Telles sont à peu près les comparaisons dont se servent les Ecritures pour nous faire en quelque sorte comprendre cette sainte union de la nature divine avec les âmes élues. Mais de toutes ces comparaisons , la plus douce, la plus aimable et la plus ordinaire dans les saintes Lettres est celle où notre grand Dieu est comparé à un chaste époux, qui par un sentiment de miséricorde , épris de l'amour de nos âmes, après mille amoureuses caresses, après mille recherches de ses saintes inspirations , s'unit enfin à elles par des embrassements ineffables, et les ravissant d'une certaine douceur que le monde ne peut entendre, les remplit d'un germe divin qui fructifie en bonnes œuvres pour la vie éternelle.

Trois conditions du mariage. Union : Erunt duo in carne unâ  (6).

 

1 Joan.,  IV, 14. — 2 Psal., XLI, 2. — 3 Isa., XLV, 8. — 4 Deuter., IV, 24. — 5 Tertull., De Resurr. carnis, n. 37.— 6 Genes., II, 24.

 

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Douceur: Faciamus adjutorium (1); il est seul, «donnons-lui un aide ; » il est doux d'être aide. Fécondité : Crescite et multiplicamini (2). C'est ce que l'apôtre saint Paul nous enseigne, lorsqu'il dit aux chrétiens que de même que le mari et la femme ne sont qu'une même chair, ainsi « qui s'attache à Dieu est un même esprit avec lui : » Qui adhœret Domino unus spiritus est (3) ; doctrine que le saint Apôtre a trouvée si utile à nos âmes, qu'il la répète en divers endroits qu'il serait trop long de vous rapporter.

Or d'autant que nous sommes déchus de cette première pureté qui nous égalait aux anges dans l'innocence de notre origine, étant devenus charnels et grossiers, nous ne pourrions plus soutenir les approches de la nature divine, si elle ne s'était premièrement rai laissée. Et de là vient que le Fils de Dieu égal et consubstantiel à son Père, pour rappeler les âmes des hommes à cet heureux mariage avec Dieu dont elles avaient violé la sainteté par l'infamie de leur adultère, est descendu du ciel en la terre; il s'est revêtu de chair, il a déposé cette majesté terrible, ou plutôt il en a tempéré l'éclat ; il a pris nos faiblesses, afin d'être en quelque façon notre égal, et a voulu que par la nature humaine qu'il a daigné avoir commune avec nous , nous trouvassions un chemin assuré à la nature divine, de laquelle nous nous étions éloignés par une funeste désobéissance. C'est ce charitable Epoux de l'Eglise, c'est-à-dire des âmes fidèles, que l'Apôtre nous dépeint aux Ephésiens, chap. V. C'est le plus beau des enfants des hommes qui a aime sou épouse laide, afin de la faire belle. Il l'est venu chercher dans la terre, afin de la conduire en triomphe dans la céleste patrie. Il a donné son âme pour elle, il l'a lavée de son sang, il l'a nettoyée en l'eau du baptême par des paroles de vie ; son royaume est sa dot, ses grâces sont sa parure. C'est cet Epoux, chères sœurs, qui fait aujourd'hui son premier miracle, et représente en son premier miracle ce qu'il est venu faire en ce monde. Ses disciples croient en lui en ce jour : c'est le commencement Eglise. Il garde son meilleur vin pour la fin du repas : c'est l’Evangile pour le dernier âge, qui doit durer jusqu'à la consommation des siècles. Ce vin il le tire de l'eau, et il change cette eau

 

1 Genes. II, 18. — 2 Ibid., I, 28. — 3  I Cor., VI, 17.

 

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en vin : c'est qu'il change la loi en l'Evangile, c'est-à-dire, comme je m'en vais l'exposer, la figure en vérité, la lettre en esprit, la terreur en amour. Disons quelque chose de ces trois changements ; mais disons seulement les points capitaux à cause du peu de temps qui nous est donné, le reste demeurera à votre méditation.

 

PREMIER POINT.

 

C'est de lui qu'il est écrit en la Genèse, chap. II, «que l'homme laissera son père et sa mère afin de s'attacher à sa femme (1). » Car à parler selon l'usage des choses humaines, c'est plutôt la femme qui quitte la maison paternelle, pour habiter avec son mari. Mais selon l'intelligence spirituelle, Jésus est cet homme par excellence qui a quitté son Père et sa Mère pour s'attacher à sa chère épouse. Il a quitté en quelque sorte son Père, lorsqu'il est descendu du ciel en la terre, suivant ce qu'il a dit en plusieurs endroits, qu'il retournait à son Père. Il a quitté là Synagogue sa mère, qui l'avait engendré selon la chair, afin de s'attacher à l'Eglise son unique épouse , qu'il a ramassée des nations idolâtres.

Vous saurez donc, mes sœurs, que Jésus étant la fin de tous les ouvrages de Dieu, tout ce qui s'est fait d'extraordinaire depuis l'origine du monde ne regardait que lui seul. Lisez les Ecritures divines : vous verrez partout le Sauveur Jésus, si vous avez les yeux assez épurés. Il n'y a page où on ne le trouve. Il est dans le paradis terrestre, il est dans le déluge, il est sur la montagne, il est au passage de la mer Rouge, il est dans le désert, il est dans la Terre promise, dans les cérémonies, dans les sacrifices, dans l'arche, dans le tabernacle; il est partout, mais il n'y est qu'en figure. Ainsi a-t-il plu à notre grand Dieu, comme dit l'Apôtre aux Galates (2), de nous élever peu à peu comme des enfants à la connaissance de ses mystères. Par une infinité d'exemples sensibles, réitérés durant plusieurs siècles, par des similitudes de choses corporelles qui faisaient impression sur nos imaginations, il nous a doucement conduits à l'intelligence de ses vérités, il nous a fait entendre les grandes choses qu'il préparait pour notre

 

1 Genes., II, 24. — 2 Galat. IV, 3.

 

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salut. Considérez, je vous prie, tout ce grand attirail de la loi mosaïque. Pourquoi charger ce peuple de tant de différentes cérémonies, qui étaient toutes fort laborieuses, et néanmoins d'elles-mêmes incapables de rendre l'homme plus agréable à Dieu? Car il est évident, mes très-chères sœurs, que ni tant de purifications corporelles, ni tous ces bains externes, ni ce nombre infini de pénibles observations, ni l'odeur de l'encens ou de la graisse brûlée, ni le sang des animaux égorgés n'étaient pas choses qui par elles-mêmes pussent plaire à notre grand Dieu, qui étant un pur esprit, veut être adoré en esprit et en vérité. Mais il ordonnait toutes ces choses, afin que tout ce pompeux appareil et que toute cette majesté extérieure de la religion judaïque fussent des figures de son cher Fils; et c'était cette considération qui lui rendait ces choses agréables pour un temps, bien qu'elles fussent indifférentes de leur nature. Donc, comme l'enseigne l'Apôtre, depuis l'origine du monde jusqu'à la résurrection du Sauveur Jésus. « tout arrivait en figure à nos pères : » Omnia in figuris contingebant illis (1). C'est pourquoi l'admirable saint Augustin dit que ni dans la loi de nature, ni dans la loi mosaïque, il n'y voit rien de doux, s'il n'y lit le Sauveur Jésus. Tout cela est sans goût; c'est une eau insipide, si elle n'est changée en ce vin céleste, en ce vin évangélique que l'on garde pour la fin du repas, ce vin que Jésus a fait et qu'il a tiré de sa vigne élue. Voulez-vous que nous rapportions quelques traits de l'histoire ancienne, et vous verrez combien elle est insipide, si nous n'y entendons le Sauveur. Nous en dirons quelques-uns des plus remarquables avec le docte saint Augustin (2); car de raconter en détail tout ce qui nous parle de notre Sauveur, les années n'y suffiraient pas.

Voyez dans le paradis terrestre, voyez cet homme nouveau que Dieu a fait selon son plaisir. Il lui envoie un profond sommeil, pour former d'une de ses côtes la compagne qu'il lui destinait. Dites-moi, dit saint Augustin, qu'était-il nécessaire de l'endormir pour lui tirer cette côte? Etait-ce point peut-être pour lui diminuer la douleur? Ah! que cette raison serait ridicule! Mais que cette histoire est peu agréable, que cette eau est fade, si Jésus

 

1 I Cor., X, 11. — 2 De Genes. Ad litter., lib. IX, cap. XIII, n. 23.

 

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ne la change en vin ! Ajoutez-y le sens spirituel, vous verrez le Sauveur dont la mort fait naître l'Eglise; mort qui est semblable au sommeil, à cause de sa prompte résurrection et de la tranquillité avec laquelle il la subit volontairement. Sa mort fait donc naître l'Eglise. On tire une cote au premier Adam, pour former sa femme pendant un sommeil tout mystérieux; et pendant le sommeil du nouvel Adam, après qu'il a fermé les yeux avec la même paix que les hommes sont gagnés du sommeil, on lui ouvre son côté avec une lance, et incontinent sortent les sacrements par lesquels l'Eglise est régénérée. Que dirai-je ici de Noé, qui seul rétablit le monde enseveli dans les eaux du déluge, qui repeuple le genre humain avec le petit nombre d'hommes qui restait dans sa famille. N'était-ce pas le Sauveur, l'unique réparateur des hommes, qui par le moyen de douze hommes qu'il envoie par toute la terre, peuple le royaume de Dieu et remplit le monde d'une race nouvelle? Que dirai-je du petit Isaac, qui porte lui-même le bois sur lequel il doit être immolé, pendant que son propre père se prépare selon les ordres de Dieu de le sacrifier sur la montagne? O spectacle d'inhumanité ! mais si j'y considère le Sauveur Jésus, il devient un spectacle de miséricorde. C'est Jésus qui porte sa croix pour être immolé sur le mont de Calvaire, livré par son propre Père es mains de ses ennemis, afin d'être une hostie vivante pour l'expiation de nos crimes. Et le chaste Joseph vendu par ses frères et emprisonné par les Egyptiens, devenu par cette disgrâce le sauveur de ses frères et des Egyptiens, n'est-ce pas le Sauveur Jésus mis à mort par les Juifs ses frères et par les Egyptiens, c'est-à-dire par les idolâtres, et devenu par sa mort Sauveur des Juifs et des idolâtres? Si je passe la mer Rouge avec les Israélites, si je demeure dans le désert avec eux, combien de fois y verrai-je le Fils de Dieu, seul guide de son peuple dans le désert de ce monde, qui les retirant de l'Egypte par l'eau du baptême, les conduit à la Terre promise? Cette manne si délicieuse, qu'est-ce qu'une viande corporelle, si je n'y goûte le Sauveur? Elle est fade, elle est insipide ; peu s'en faut que je ne dise avec les Juifs : « Notre cœur se soulève sur cette viande légère (1). »

 

1 Numer., XXI, 5.

 

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Mais quand j'y considère le Sauveur Jésus, vrai pain des anges . vraie nourriture des âmes fidèles, dont nous nous repaissons à la sainte table, ah! qu'elle est douce, qu'elle est savoureuse! Voyez ta pavé du temple; voyez les habits sacerdotaux: voyez l'autel et le sanctuaire tout trempé du sang des victimes, et le peuple Israélite lavé tant de fois de ce même sang : que tout cela est froid, chères sœurs, si la foi ne m'y montre le sang de l'Agneau répandu pour la rémission de nos crimes, ce sang du Nouveau Testament que nous offrons à Dieu sur ces terribles autels, et dont nous nous rassasions pour la vie éternelle!

En un mot, dit saint Augustin (1), si nous ne regardons Jésus-Christ , toutes les Ecritures prophétiques n'ont pas de goût ; elles sont apparemment pleines de folie, du moins en quelques endroits. Que nous y goûtions le Sauveur, tout y est lumière, tout y est intelligence, tout y est raison. Voyez ces deux disciples qui vont en Emmaüs. Ils s'entretenaient de la rédemption d'Israël; c'est le sujet de toute la loi ancienne, mais ils n'y entendaient pas les mystères du Rédempteur. C'était une eau sans force et sans goût; aussi sont-ils froids et languissants. « Nous espérions, disaient-ils, qu'il rachèterait Israël (2). » Nous espérions, ô la froide parole ! Jésus approche d'eux; il parcourt toutes les prophéties; il les introduit au secret, au sens profond et mystérieux; il change l'eau en vin, ta ligures en vérité et les obscurités en lumières. Les voilà incontinent transportés : Nonne cor nostrum ardens erat in nobis (3)? C'est qu'ils avaient commencé à boire le vin nouveau de Jésus, c'est-à-dire la doctrine de l'Evangile. Cependant admirez, mes très-chères sœurs, les sages conseils delà Providence, qui par une telle richesse d'exemples nous enseigne une seule vérité, qui est le Verbe fait chair. Ah! si nous avions les yeux bien ouverts, combien doux serait ce spectacle, de voir qu'il n'y a page, il n'y a  parole. Il n'y a pour ainsi dire ni trait ni virgule de la loi ancienne qui ne parle du Sauveur Jésus! La loi est un Evangile caché. L'Evangile est la loi expliquée. Les philosophes nous disent que Le vin n'est qu'une eau colorée, qui prend en passant par la vigne une certaine impression de ses qualités, parce que cet élément

 

1 Tract. IX, in Joan., n. 3 — 2 Luc., XXIV, 21. — 3 Ibid., 32..

 

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est susceptible de sa nature de toutes altérations étrangères. Ainsi l'eau de la loi ancienne devient le vin de la loi nouvelle. C'est cette même eau de la loi mosaïque, qui étant appropriée à Jésus-Christ, vraie vigne du Père éternel, prend une nouvelle forme et une nouvelle vigueur. Donc, mes soeurs, passons les nuits et les jours à méditer la loi du Seigneur. Cherchons Jésus partout, et il n'y aura endroit où il ne se montre à nos yeux. Et puisqu'il a plu à notre grand Dieu de nous présenter ce vin nouveau de son Evangile, mais de le présenter pur et sans mélange, débrouillé de la lie des figures et de l'eau des expressions prophétiques, n'ayons point désormais d'autre breuvage que cette sainte et immortelle liqueur; que notre esprit soit toujours à goûter la parole divine. Mais ne nous arrêtons point à la lettre; suçons l'esprit vivifiant que Jésus y a coulé par sa grâce. C'est notre seconde partie, et pour une plus grande brièveté, nous y attacherons aussi la troisième dans une même suite de raisonnement.

 

SECOND ET TROISIÈME  POINT.

 

Que ne puis-je vous transporter en esprit sur cette terrible montagne où paraît la majesté du Seigneur !  c'est la montagne de Sina sur laquelle Dieu donne sa loi à Moïse. Là je vois ce grand Dieu tout-puissant qui grave sur de la pierre ses saintes lois, dignes d'être écrites dans le ciel le plus élevé avec les rayons du soleil. Et après cela, par la bouche de son serviteur Moïse, il fait publier à son peuple ses ordonnances, et menace les transgresseurs de peines dont le seul récit fait horreur. Certes cette loi est très-sainte; mais ne vous persuadez pas, mes très-chères sœurs, qu'elle contienne la vie. Toutes ces paroles majestueuses et cette Ecriture du doigt de Dieu ne sont qu'un instrument de mort, si elles ne sont accompagnées de l'esprit de la grâce. « C'est une lettre qui tue,» dit le grand apôtre saint Paul (1). Combien d'âmes présomptueuses ont été précipitées dans la mort éternelle par ces augustes commandements ! Ne vous étonnez pas de cette parole : c'est la doctrine de l'apôtre saint Paul, et en voici la véritable

 

1 II Cor., III, 6.

 

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explication. La loi montrait bien ce qu'il fallait faire, mais elle ne subvenait pas à l'impuissance de notre nature. Elle frappait les oreilles, mais elle ne touchait pas le cœur. Ce n'était pas assez que Dieu, d'une voix tonnante et impérieuse, fit annoncer au peuple ses volontés : il fallait qu'il parlât intérieurement et que par une opération toute-puissante il amollit notre dureté. Grand Dieu éternel, vous me commandez; il est juste que vous soyez obéi ; mais ce n'est rien faire que me commander, si vous ne me donnez la grâce par laquelle je puisse observer vos commandements. Or cette grâce n'est point par la loi : c'est le propre don de l'Evangile, selon ce que dit l'apôtre saint Jean (1), que « la loi a été donnée par Moïse, et la grâce et la vérité a été faite par Jésus-Christ. » Qu'est-ce donc que faisait la loi? Elle ordonnait, elle commandait, elle liait les transgresseurs d'éternelles malédictions , parce que « maudit est celui qui n'observe pas les paroles qui sont écrites en ce livre (2); » mais elle ne soulageait en rien nos infirmités. C'était une eau faible et sans vigueur, capable de nous agiter, incapable de nous soutenir.

C'est pourquoi le Sauveur Jésus ayant compassion de notre impuissance , vient nous donner un vin d'une céleste vigueur ; c'est sa grâce, c'est son Esprit-Saint dont les apôtres furent enivrés au jour de la Pentecôte. C'est ce saint et divin Esprit qui porte la loi au fond de nos cœurs et l'y grave par des caractères de flamme. Là il l'anime intérieurement et la remplit d'une force vivifiante ; il change la lettre en esprit, et c'est la nouvelle alliance que Dieu contracte avec nous par son Evangile. C'est pour cette raison que, parlant par la bouche de Jérémie : « Voici, dit-il (3), que j'établirai avec la maison de Juda un nouveau testament, non selon le testament que j'ai établi avec leurs pères; ils ne sont point demeurés dans mon testament, et moi je les ai rejetés, dit le Seigneur. Mais voici le testament que je disposerai à la maison d'Israël, » c'est-à-dire aux vrais enfants d'Israël et au peuple de la nouvelle alliance : « J'inspirerai, dit-il, ma loi dans leurs âmes; et je l’écrirai non en des tables de pierre, mais je l'écrirai en leurs cœurs; et ils seront mon peuple, et je serai leur Dieu. » Quelle

 

1 Joan., I, 17. — 2 Deuter., XXVII, 26. — 3 Jerem., XXXI, 31 et seq.

 

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est donc cette vertu merveilleuse qui entre si profondément dans nos cœurs? D'où vient à cette loi nouvelle cette force si pénétrante? Chères sœurs, elle vient de l'Esprit de Dieu, qui est le vrai moteur de nos âmes, qui tient nos cœurs en sa main, qui est le maître de nos inclinations. Mais par quelle sorte d'opérations la porte-t-il ainsi au fond de nous-mêmes? C'est par une charité très-sincère, par un puissant amour qu'il nous inspire, par une chaste délectation, par une sainte et ravissante douceur.

Dieu exerce deux sortes d'opérations sur nos âmes, qui font la différence des deux lois. Premièrement il les effraie, il les remplit de la terreur de ses jugements ; et en second lieu il les attire, il les enflamme d'un saint amour. La première opération, qui est la crainte, ne peut pénétrer au fond de nos âmes : elle les étonne, elle les ébranle; mais elle ne les change pas. Par exemple, que vous rencontriez des voleurs, si vous êtes le plus fort, ils ne vous abordent qu'avec une apparence de civilité feinte; ils n'en sont pas moins voleurs, ils n'en ont pas l’âme moins avide de carnage et de pillerie. La crainte étouffe les sentiments, elle semble les réprimer; mais elle n'en coupe pas la racine. Voyez cette pierre sur laquelle Dieu écrit sa loi : en est-elle changée pour avoir en soi de si saintes paroles? en est-elle moins dure ? Rien moins. Ces saints commandements ne tiennent qu'à une superficie extérieure. Ainsi en est-il de la loi de Dieu : quand elle n'entre dans nos âmes que par la terreur, elle ne touche que la surface ; tant qu'il n'y a que cette crainte servile, le fond ne peut être changé comme il faut. Il n'y a que l'amour qui entre au plus secret de nos cœurs; lui seul en a la clef, lui seul en modère les mouvements. Vous avez de méchantes inclinations, vous avez des affections déréglées : jamais elles ne pourront être chassées que par des inclinations contraires, que par un saint amour, que par de chastes affections du vrai bien; ainsi l’âme sera tout autre. L'amour la dilate par  une certaine ferveur; il l'ouvre jusqu'au fond pour recevoir la rosée des grâces célestes. Ce n'est plus une pierre sur laquelle on écrit au dehors, c'est une cire pénétrée et fondue par une divine chaleur. C'est ainsi que le Sauveur Jésus est véritablement gravé dans toutes les facultés de nos âmes. Il est dans nos

 

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volontés toutes transportées de son saint amour. Il est dans la mémoire, car on ne peut oublier ce qu'on aime. Il est dans l'entendement, car l'amour curieux et diligent n'a point d'autre satisfaction que celle de contempler les perfections du bien-aimé qui l'attire. De là il passe dans les corps par l'exercice des vertus et par de saintes opérations, qui prenant leur origine de l'amour de Jésus, en conservent les traits et les caractères.

Tel est, mes très-chères sœurs, l'esprit de la loi nouvelle. C'est pourquoi Dieu ne vient point à nous avec cette apparence terrible qu'il avait sur le mont de Sina. Là cette montagne fumait de la majesté du Seigneur, qui « fait distiller les montagnes comme de la cire (1) ; » ici il ne rompt pas seulement un roseau à demi brisé (2), il est tout clément et tout débonnaire. Là on n'entend que le bruit d'un long et effroyable tonnerre ; ici c'est une voix douce et bénigne : « Apprenez de moi, dit-il, que je suis doux et humble de cœur (3). » Là il est défendu d'approcher sous peine de la vie : « N'approchez pas, dit-il, de peur que vous ne mouriez ; et les hommes et les animaux qui approcheront de la montagne, ils mourront de mort (4). » Ici il change bien de langage : « Venez, venez, dit-il (5), approchez, ne craignez pas, mes enfants ; venez, oppressés, je vous soulagerai, je vous aiderai à porter vos fardeaux; venez, malades, je vous guérirai ; pécheurs, publicains, approchez, je suis votre libérateur ; ne chassez pas ces petits enfants, à de tels appartient le royaume de Dieu (6). » D'où vient ce changement, mes très-chères sœurs? Ali! c'est qu'il se veut faire aimer. Il vient changer la terreur en amour, cette eau froide de la crainte qui resserrait le cœur par une basse et servile timidité, en un vin d'une divine ferveur qui le dilatera, qui l'encouragera, qui réchauffera par de bienheureuses ardeurs. C'est l'esprit de la loi nouvelle. Je vous ai dit les changements qu'a faits le Sauveur. L’eau, vous ai-je dit, est fade et insipide. Ainsi était la loi dans ses ombres et dans ses figures, si Jésus ne la change en la vérité de son Evangile, vin doux et savoureux qui nous remplit de délices célestes. L'eau n'a point de force pour nous émouvoir. Ainsi

 

1 Psal. XCVI, 5. — 2 Matth., XII, 20. — 3 Ibid., XI, 29. — 4 Exod., XIX, 12, 13. — 5 Matth., XI, 28, et alibi. — 6 Marc., X, 14.

 

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était la loi par sa lettre inutile et impuissante, si elle n'est accompagnée du vin de la loi nouvelle, c'est-à-dire de l'esprit de la grâce. Ces deux premiers changements ne sont que pour le troisième. Assez et trop longtemps nous avons été abreuvés de cette froide terreur; il est temps que nos cœurs soient échauffés de l'amour de Dieu.

Mes sœurs, nous ne sommes plus sous la loi de crainte; nous sommes sous la loi d'amour, parce que nous ne sommes plus dans la servitude; nous sommes dans la liberté des enfants de Dieu. Jésus, qui est la vérité, nous a délivrés. Partant servons notre Dieu d'un amour libéral et sincère. Aimons la justice, aimons la vérité, aimons la vraie et solide raison , aimons l'unique repos. Tout cela c'est Jésus : aimons donc Jésus de toute l'affection de nos âmes. Qui n'aime pas Jésus, je l'ose dire, il n'est pas chrétien. Un chrétien, c'est un homme renouvelé : nous ne pouvons être renouvelés sans l'esprit de la loi nouvelle ; l'esprit de la loi nouvelle, c'est la charité : qui n'a pas la charité n'est pas chrétien. Ah! que le siècle se réjouisse dans les débauches et dans les banquets , dans les vins friands et délicieux ! Nous avons un vin dont il nous est permis de nous enivrer; vin qui nous échauffe, mais d'une ardeur toute spirituelle ; qui nous fait chanter, mais des cantiques d'amour divin; qui nous ôte la mémoire, mais du monde et de ses vanités; qui nous excite une grande joie, mais une joie que le monde ne comprend pas. Buvons de ce vin, mes très-chères sœurs. Jour et nuit ne respirons que Jésus. Vous particulièrement qu'il a retirées du siècle, goûtez Jésus dans la solitude ; c'est là qu'il se communique aux âmes fidèles.

Et vous, chères sœurs, que par sa miséricorde infinie il a miraculeusement délivrées des ténèbres de l'hérésie, c'est à vous, c'est à vous que je parle ; et quelles paroles pourraient vous exprimer la tendresse que mon cœur a pour vous ! Rendez-lui à jamais vos actions de grâces. Voyez combien l'erreur est répandue par toute la ville. Dieu vous a triées deux ou trois qu'il a appelées à sa sainte Eglise : donc ne soyez pas ingrates à cet inestimable bienfait. Persévérez dans cette bienheureuse vocation. Voyez la pureté, voyez l'innocence et la candeur de ces saintes filles avec lesquelles vous

 

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conversez. O Dieu, quelle différence de cette véritable dévotion qu'elles vous enseignent en toute humilité et simplicité, avec le faste et l'orgueil et la piété contrefaite de l'hérésie ! Persévérez, mes très-chères sœurs : n'écoutez ni les larmes ni les reproches de vos parents. Dieu vous fasse la grâce d'expérimenter combien sa sainte maison est plus douce que la maison paternelle ! Voyez ces redoutables autels : les sacrements que nous y distribuons, ce ne sont pas des ombres ni des figures : nous ne sommes plus sous la loi judaïque; c'est la réalité, c'est la vérité, c'est la propre chair de Jésus autrefois pour nous déchirée; c'est son sang vivifiant épanché pour l'amour de nous. Jouissez des délices de cette chair de laquelle l'hérésie s'est privée pour se repaître de la vanité d'une cène imaginaire, etc.

 

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