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SECOND SERMON
POUR
LE IIe DIMANCHE DE CARÊME,
SUR LA PAROLE DE DIEU (a).
Hic est Filius meus dilectus in quo mihi bene complacui;
ipsum audite.
Celui-ci est mon Fils bien-aimé dans lequel je me suis plu
; écoutez-le. Matth., XVII, 5.
Je n'entreprends pas de vous
raconter toute la gloire du Thabor, ni toute la magnificence de la
transfiguration de notre
1 Matth., III, 10. — 2 Ibid.,
XXV, 30. — 3 Hebr., X, 28, 29.
(a) Exorde. — L'autel et la chaire :
alliance.
Premier point. — Dispositions du prédicateur. Et
si habes brachium sicut Deus, et si voce simili tonas (Job, XI., 4) ?
Second point. — Attention. Quelle elle doit être. Où
elle doit être. Non dans l'esprit , mais dans le coeur.
Troisième point. — On écoute la prédication comme si
c'était une comédie. Mouvement artiticiel, trompeur et de peu de durée.
Manière d'enseigner de Dieu. Se justifie par ses œuvres.
Modestie devant le sermon. Et noluerunt attendere, et
averterunt scapulam recedentem, et aures suas aggravaverunt ne audirent. Et cor
suum posuerunt ut adamantem, ne audirent legem, et verba quœm sit Domins
exercituum inspiritu suo per manum prophetarum priorum : et facta est indignatio
magna à Domino exercituum. Et factum est sicut locutus est, et non audierunt :
Sic clamabunt, et non exaudiam, dicit Dominus exercituum (Zach., VII,
11-13).
Ce sermon a été prêché dans le Carême du Val-de-Grace, en
1663, devant les religieuses de la communauté, Anne d'Autriche et plusieurs
personnes de la Cour.
Au milieu de l'analyse qu'on lisait tout à l'heure et qui
est tracée sur le dos d'une lettre imprimée, se trouvent ces mots : « Devant la
Reine. » La reine mère recherchait, comme nous l'apprennent les mémoires du
temps, les prédicateurs qui annonçaient la parole divine dans son austère
sévérité , sans ménagement pour l'orgueil et les passions. Répondant à ces
saintes dispositions, Bossuet dit dans le premier point que le prédicateur doit
être « un miroir où Jésus-Christ paroisse en sa vérité, un canal d'où sortent en
leur pureté les eaux vives de son Evangile. » Et dans l’exorde : « C'est
principalement aux rois de la terre qu'il faut apprendre à écouter Jésus-Christ
dans les saintes prédications, afin qu'ils entendent du moins en public cette
vérité qu'on leur déguise en particulier par tant de sortes d'artifices. »
113
Sauveur (a). Je ne vous dirai pas avec saint Basile
de Séleucie (1) que le soleil, plus surpris qu'au jour qu'il fut arrêté par
Josué, fut étonné d'apercevoir un autre soleil plus resplendissant que lui et ce
qu'il n'avait jamais vu jusqu'à ce temps, de se voir obscurci lui-même par une
lumière étrangère, lui devant qui toute autre lumière cède et disparaît.
Je m'arrête à écouter cette voix
du Père céleste : C'est ici mon Fils bien-aimé dans lequel je me suis plu ;
écoutez-le. Mais je ferai une remarque qui me semble très-importante. Moïse et
Elie avaient paru auprès du Sauveur en grande majesté : Visi in majestate
(2) : la loi et les prophètes viennent lui rendre témoignage (b) et le
reconnaître. Mais ce qui nous doit faire entendre l'autorité du Seigneur Jésus,
c'est que saint Marc et saint Luc ont observé qu'en même temps que fut entendue
cette voix du Père céleste qui nous commande d'écouter son Fils, Moïse et Elie
disparurent; ils entrèrent dans une nuée, et Jésus se trouva tout seul : Et
dùm fieret vox, inventus est Jesus solus (3). Que si vous me demandez d'où
vient que Moïse et Elie se cachent à cette parole, je vous en expliquerai le
mystérieux secret, tel qu'il nous est exposé par le Docteur des Gentils dans la
divine Epître aux Hébreux. « Dieu, dit le grand Apôtre (4), ayant parlé
autrefois à nos pères en différentes
1 Orat. in Transfigurat. Domini.
— 2 Luc, IX, 31. — 3 Ibid., 36; Marc, IX, 7. — 4 Hebr.,
I, 1.
(a) Var. : Dans le mystère de la transfiguration, je
ne m'arrêterai pas à cette lumière, à cette majesté, à cet éclat qui éblouit les
yeux des apôtres. — (b) Hommage.
114
manières par la bouche des prophètes (remarquez ces mots,
autrefois, maintenant, dans les derniers temps), il nous a parlé par son
propre Fils. » C'est pourquoi dans le même temps que Jésus-Christ paraît comme
maître, Moïse et Elie se retirent (a); la loi, tout impérieuse qu'elle
est, tient à gloire de lui céder; les prophètes , tout clairvoyants qu'ils sont,
se vont néanmoins cacher dans la nuée, comme s'ils disaient au divin Jésus par
cette action: Nous avons parlé autrefois au nom et par l'ordre de votre Père :
Olim Deus; maintenant que vous ouvrez votre bouche, et que « l'Unique qui
était dans le sein du Père (1) » vient lui-même expliquer les secrets du Ciel,
notre commission est expirée, notre autorité se confond dans l'autorité
supérieure ; et n'étant que les serviteurs, nous cédons humblement la parole au
Fils.
Chrétiens, c'est cette parole du
Fils qui résonne de tous côtés dans les chaires évangéliques. Ce n'est plus sur
la chaire de Moïse que nous sommes assis, mais sur la chaire de Jésus-Christ,
d'où nous faisons retentir sa voix et son Evangile. Venez apprendre dans quel
esprit on doit écouter notre parole, ou plutôt la parole du Fils de Dieu même,
par les prières de celle qui le conçut, dit saint Augustin, premièrement par
l'ouïe, et qui, par l'obéissance qu'elle rendit à la parole éternelle, se rendit
digne de la concevoir dans ses bénites entrailles. Ave, Maria.
Le temple de Dieu, chrétiens, a
deux places augustes et vénérables , je veux dire l'autel et la chaire, (b)
Là se présentent les requêtes, ici se publient les ordonnances ; là les
ministres des choses sacrées parlent à Dieu de la part du peuple, ici ils
parlent au peuple de la part de Dieu ; là Jésus-Christ se fait adorer dans la
vérité de son corps, il se fait reconnaître ici dans la vérité de sa parole (c).
Il y a une très-étroite alliance entre ces deux places sacrées, et les œuvres
qui s'y accomplissent ont un rapport admirable. De l'un et de l'autre de ces
deux endroits est distribuée aux enfants de Dieu une nourriture céleste :
Jésus-Christ prêche dans
1 Joan., I, 18.
(a) Var. : Disparaissent. — (b)
Note marg. : On peut ajouter le tribunal de pénitence. — (c) Var.
: Doctrine.
115
l'un et dans l'autre. Là rappelant en notre pensée la
mémoire dé sa passion et nous apprenant par même moyen à nous sacrifier avec
lui, il nous prêche d'une manière muette ; ici il nous donne des instructions
animées par la vive voix. Et si vous voulez encore un plus grand rapport, là par
l'efficace du Saint-Esprit et par des paroles mystiques auxquelles on ne doit
point penser sans tremblement, se transforment les dons proposés au corps de
notre Seigneur Jésus-Christ; ici par le même esprit et encore par la puissance
de la parole divine, doivent être secrètement transformés (a) les fidèles
de Jésus-Christ pour être faits son corps et ses membres.
C'est à cause de ce rapport
admirable entre l'autel et la chaire, que quelques docteurs anciens n'ont pas
craint de prêcher aux fidèles qu'ils doivent approcher de l'un et de l'autre
avec une vénération semblable; et sur ce sujet, chrétiens, vous serez bien aises
d'entendre des paroles remarquables de saint Augustin, qui sont renommées parmi
les savants (b) et que je rapporterai en leur entier dès le commencement
de ce discours, auquel elles doivent servir de fondement. Voici comme parle ce
grand évêque : « Je vous demande, mes frères, laquelle de ces deux choses vous
semble de plus grande dignité, la parole de Dieu ou le corps de Jésus-Christ? Si
vous voulez dire la vérité, vous répondrez sans doute que la parole de
Jésus-Christ ne vous semble pas moins estimable que son corps; ainsi donc,
autant que nous apportons de précaution pour ne pas laisser tomber à terre le
corps de Jésus-Christ qu'on nous présente, nous en devons autant apporter pour
ne pas laisser tomber de notre cœur la parole de Jésus-Christ qu'on nous
annonce, parce que celui-là n'est pas moins coupable qui écoute négligemment la
sainte parole, que celui qui laisse tomber par sa faute le corps même de
Jésus-Christ (1). «Voilà les propres termes de saint Augustin (c), qui me
donnent lieu, chrétiens, d'approfondir aujourd'hui ce secret rapport entre le
mystère de l'Eucharistie et le ministère de la parole, parce que je ne trouve
rien de plus efficace pour attirer
1 S. August., Serm. CCC, n. 2.
Append.
(a) Var. : Consacrés. — (a) Connues
des savants. — (c) Les critiques modernes disent, que le sermon qui
renferme ces paroles n'est pas de saint Augustin, mais de saint Césaire,
archevêque d'Arles, mort en 542. Les Bénédictins ont rejeté ce sermon dans
l'appendice des œuvres de saint Augustin.
116 SECOND SERMON
le respect à la sainte prédication, ni rien aussi de plus
convenable pour expliquer les dispositions avec lesquelles il la faut entendre.
Ce rapport dont nous parlons
consiste en trois choses que je vous prie d'écouter attentivement. Je dis
premièrement, chrétiens, qu'avec la même religion que vous désirez que l'on vous
donne à l'autel la vérité du corps de Notre-Seigneur, vous devez désirer aussi
que l'on vous prêche en la chaire la vérité de sa parole : c'est la première
disposition. Mais il faut encore passer plus avant. Car comme il ne suffit pas
que vous receviez au dehors la vérité de ce pain céleste, et que vous vous
sentez obligés d'ouvrir (a) la bouche du cœur plutôt même que celle du
corps ; ainsi pour bien entendre la sainte parole, vous devez être attentifs au
dedans et prêter l'oreille du cœur. Ce n'est pas assez, chrétiens , et voici la
perfection du rapport et la consommation du mystère. Comme en recevant dans le
cœur cette nourriture sacrée, vous devez tellement vous en sustenter qu'il
paroisse à votre bonne disposition que vous avez été nourris à la table du Fils
de Dieu, ainsi vous devez profiter de sorte de sa parole divine, qu'il paroisse
par votre vie que vous avez été instruits dans son école. Si vous vous mettez
aujourd'hui dans ces saintes dispositions, vous écouterez Jésus-Christ de la
manière qu'il veut qu'on l'écoute : Ipsum audite. Vous écouterez au
dehors la vérité de sa parole ; vous écouterez au dedans sa prédication
intérieure ; enfin vous l'écouterez par une fidèle pratique, en vous montrant
ses disciples par l'obéissance : Ipsum audite.
Madame, cette matière est digne
de l'audience que nous donne aujourd'hui Votre Majesté. C'est principalement aux
rois de la terre qu'il faut apprendre à écouter Jésus-Christ dans les saintes
prédications, afin qu'ils entendent du moins en public cette vérité qu'on leur
déguise en particulier par tant de sortes d'artifices, et que la parole de Dieu
qui est un ami qui ne flatte pas, les désabuse des flatteries de leurs
courtisans. Votre Majesté, Madame, y donne peu d'attention ; et comme elle est
déjà prévenue d'un grand amour pour la vérité, elle croira facilement ce que je
vais
(a) Var. : Car comme il ne suffit pas, en
recevant au dehors la vérité de ce pain céleste, que vous vous sentiez obligé
d'ouvrir.....
117
tâcher de prouver, qu'il ne faut chercher dans les chaires
que la vérité éternelle.
PREMIER POINT.
Les chrétiens délicats qui ne
connaissant pas la croix du Sauveur, qui est le grand mystère de son royaume ,
cherchent partout ce qui les flatte et ce qui les délecte, même dans le temple
de Dieu, s'imaginent être innocents de désirer dans les chaires les discours qui
plaisent et non ceux qui touchent et qui édifient, et énervent par ce moyen
toute l'efficace de l'Evangile. Pour les désabuser aujourd'hui de cette erreur
dangereuse, voici la proposition que j'avance, que comme il n'y a aucun homme
assez insensé pour ne chercher pas (a) à l'autel la vérité du mystère,
aussi aucun ne doit être assez téméraire pour ne chercher pas en la chaire la
pureté de la parole : c'est ce que j'ai à faire voir dans ce premier point.
J'espère que la preuve sera concluante.
Pour établir ce rapport, je pose
ce fondement nécessaire, que selon le conseil de Dieu dans la dispensation du
mystère du Verbe incarné, il devait se montrer aux hommes en deux manières
différentes. Premièrement il devait paraître en la vérité de sa chair,
secondement il devait paraître dans la vérité de sa parole. Et voici la raison
solide de ces différentes apparitions, c'est qu'étant le Sauveur du monde, il
devait nécessairement se manifester par tout le monde. Par conséquent il ne
suffit pas qu'il se montre dans la Judée et dans un coin de la terre ; il faut
qu'il paroisse par tous les endroits où la volonté de son Père lui a prédestiné
des élus : si bien que ce même Jésus qui s'est montré seulement dans la
Palestine par la vérité de sa chair, a été ensuite porté par tout l'univers par
la vérité de sa parole ; et c'est en cet état, chrétiens, qu'il se découvre
maintenant à nous, en attendant le jour bienheureux où nous le verrons dans sa
gloire.
Ce mystère que je vous prêche
paraît assez clairement dans notre évangile de la Transfiguration. Car c'est une
chose digne de remarque, que dans le même moment que saint Pierre admirant
Jésus environné de lumière, se veut faire un docile sur le
(a) Var. : Pour n'exiger pas.
118
Thabor pour jouir éternellement de sa vue, dans le même
moment, chrétiens, adhuc eo loquente (1), « tandis qu'il parlait encore,
» la gloire de Jésus-Christ disparaît, un nuage couvre (a) les disciples,
d'où sortit cette voix du Père : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; écoutez-le.
» Comme s'il eût dit à saint Pierre, ou plutôt en sa personne aux fidèles qui
devaient suivre : Cette vie mortelle et caduque n'est pas le temps de voir
Jésus-Christ ; un nuage le dérobera à vos yeux lorsqu'il ira prendre sa place
dans la gloire du sein paternel (b). Mais ne croyez pas toutefois que
vous en perdiez tout à fait la vue. Car en cessant de le voir dans la vérité de
son corps, vous le pourrez toujours contempler dans la vérité de sa doctrine (c).
Ecoutez-le seulement, et regardez ce divin Maître dans son Evangile, dans lequel
il s'est lui-même renfermé : Ipsum audite. C'est ce qui a fait dire à
Tertullien dans le livre de la Résurrection, que la parole de vie est comme la
chair du Fils de Dieu : Itaque sermonem constituens vivificatorem..., eumdem
etiam carnem suam dixit (2); et au savant Origène, que la parole qui nourrit
les âmes est une espèce de second corps dont le Fils de Dieu s'est revêtu :
Panis quem Deus verbum corpus suum esse fatetur, verbum est nutritorium animarum
(3). Que veulent-ils dire, Messieurs, et quelle ressemblance ont-ils pu trouver
entre le corps de notre Sauveur et la parole de son Evangile ? Voici le fond de
cette pensée : c'est que le Fils de Dieu retirant de nous cette apparence
visible, et désirant néanmoins demeurer encore avec ses fidèles, a pris comme
une espèce de second corps, je veux dire la parole de son Evangile, qui est en
effet comme un corps dont la vérité est revêtue; et par le moyen de ce nouveau
corps, âmes saintes, il vit et il converse encore avec nous, il agit et il
travaille encore pour notre salut, il prêche et il nous donne tous les jours des
enseignements de vie éternelle, il renouvelle à nos yeux tous ses mystères.
Maintenant, pour ne rien
confondre, faisons cette réflexion sur toute la doctrine précédente. Si vous
l'avez assez entendue, vous
1 Matth., XVII, 5.— 2
De Resurrect. carn., n. 37, p. 406. — 3 Homil. XXXV in Matth.
(a) Var., Enveloppe.— (b) Lorsqu'il
viendra prendre sa place dans la gloire de Dieu son Père. —(c) Dans la
vérité de sa parole, dans laquelle il a renfermé pour nous toute sa doctrine.
119
devez maintenant être convaincus que les prédicateurs de
l'Evangile ne montent pas dans les chaires pour y faire de vains discours qu'il
faille entendre pour se divertir. A Dieu ne plaise que nous le croyions! Ils y
montent dans le même esprit qu'ils vont à l'autel; ils y montent pour y célébrer
un mystère, et un mystère semblable à celui de l'Eucharistie. Car le corps de
Jésus-Christ n'est pas plus réellement dans le sacrement adorable, que la vérité
de Jésus-Christ est dans la prédication évangélique. Dans le mystère de
l'Eucharistie, les espèces que vous voyez sont des signes ; mais ce qui est
enfermé dedans, c'est le corps même de Jésus-Christ. Et dans les discours
sacrés, les paroles que vous entendez sont des signes; mais la pensée qui les
produit et celle qu'elle porte dans vos esprits, c'est la doctrine même (a)
du Fils de Dieu.
Que chacun parle ici à sa
conscience et s'interroge soi-même en quel esprit il écoute. Que chacun pèse
devant Dieu si c'est un crime médiocre de ne faire plus, comme nous faisons,
qu'un divertissement et un jeu du plus grave, du plus important, du plus
nécessaire emploi de l'Eglise. Car c'est ainsi que les saints conciles nomment
le ministère de la parole. Mais pensez maintenant, mes. frères, quelle est
l'audace de ceux qui attendent ou exigent même des prédicateurs autre chose que
l'Evangile ; qui veulent qu'on leur adoucisse les vérités chrétiennes; ou que,
pour les rendre agréables, on y mêle les inventions de l'esprit humain. Ils
pourraient avec la même licence souhaiter de voir violer la sainteté de l'autel
en falsifiant les mystères. Cette pensée vous fait horreur ; mais sachez qu'il y
a pareille obligation de traiter en vérité la sainte parole et les mystères
sacrés : d'où il faut tirer cette conséquence qui doit faire trembler tout
ensemble et les prédicateurs et les auditeurs, que tel que serait le crime de
ceux qui feraient ou exigeraient la célébration des divins mystères autrement
que Jésus-Christ ne les a laissés, tel est l'attentat des prédicateurs et tel
celui des auditeurs, quand ceux-ci désirent et que ceux-là donnent la parole de
l'Evangile autrement que ne l'a déposé entre les mains de son Eglise le céleste
Prédicateur que le Père nous ordonne aujourd'hui d'entendre : Ipsum audite.
(a) Var. : La vérité même.
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C'est pourquoi l'apôtre saint
Paul enseigne aux prédicateurs qu'ils doivent s'étudier non à se faire renommer
par leur éloquence, « mais à se rendre recommandables à la conscience des hommes
par la manifestation de la vérité (1) ; » où il leur enseigne deux choses, en
quel heu et par quel moyen ils doivent se rendre recommandables. Où? Dans les
consciences. Comment? Par la manifestation de la vérité; et l'un est une suite
de l'autre. Car les oreilles sont flattées par l'académie (a) et
l'arrangement des paroles, l'imagination réjouie par la délicatesse des pensées,
l'esprit gagné quelquefois par la vraisemblance du raisonnement : la conscience
veut la vérité ; et comme c'est à la conscience que parlent les prédicateurs,
ils doivent rechercher non un brillant et un feu d'esprit qui égaie, ni une
harmonie (b) qui délecte, ni des mouvements qui chatouillent, mais des
éclairs qui percent, un tonnerre qui émeuve, un foudre qui brise les cœurs. Et
où trouveront-ils toutes ces grandes choses, s'ils ne font luire la vérité et
parler Jésus-Christ lui-même? Dieu a les orages en sa main ; il n'appartient
qu'à lui de faire éclater dans les nues le bruit du tonnerre, il lui appartient
beaucoup plus d'éclairer et de tonner dans les consciences, et de fendre les
cœurs endurcis par des coups de foudre; et s'il y avait un prédicateur assez
téméraire pour attendre ces grands effets de son éloquence, il me semble que
Dieu lui dit comme à Job : Et si habes brachium sicut Deus, et si voce simili
tonas (2) : « Si tu crois avoir un bras comme Dieu et tonner d'une voix
semblable, » achevé et fais le Dieu tout à fait : « élève-toi dans les nues,
parois en ta gloire, renverse les superbes en ta fureur, » et dispose à ton gré
des choses humaines : Circumda tibi decorem, et in sublime erigere , et esto
gloriosus...... Disperge superbos in furore tuo
(3) Quoi! avec cette
faible voix imiter le tonnerre du Dieu vivant! N'affectons
pas d'imiter la force toute-puissante de la voix de Dieu par notre faible
éloquence (c).
Que si vous voulez savoir maintenant quelle part peut donc
1 II Cor., IV, 2. — 2 Job,
XL, 4. — 3 Ibid., 5, 6.
(a) Var. : L'harmonie.— (b) Musique.—
(c) Et le prédicateur téméraire qui attend ces grands effets de son
éloquence, ressemble à ce prince audacieux qui attenta d'imiter le bruit du
tonnerre et de lancer la fondre avec de trop faibles mains.
121
avoir l'éloquence dans les discours chrétiens, saint
Augustin vous dira qu'il ne lui est pas permis d'y paraître qu'à la suite de la
sagesse : Sapientiam de domo suà, id est, pectore sapientis procedere
intelligas, et tanquam inseparabilem famulam etiam non vocatam sequi eloquentiam
(1). Il y a ici un ordre à garder : la sagesse marche devant comme la
maîtresse; l'éloquence s'avance après comme la suivante. Mais ne remarquez-vous
pas, chrétiens, la circonspection de saint Augustin, qui dit qu'elle doit suivre
sans être appelée? Il veut dire que l'éloquence, pour être digne d'avoir quelque
place (a) dans les discours chrétiens, ne doit pas être recherchée avec
trop d'étude; il faut qu'elle vienne comme d'elle-même (b), attirée par
la grandeur des choses et pour servir d'interprète à la sagesse qui parle. Mais
quelle est cette sagesse, Messieurs, qui doit parler dans les chaires, sinon
notre Seigneur Jésus-Christ qui est la sagesse du Père, qu'il nous ordonne
aujourd'hui d'entendre? Ainsi le prédicateur évangélique, c'est celui qui fait
parler Jésus-Christ; mais il ne lui fait pas tenir un langage d'homme, il craint
de donner un corps étranger à sa vérité éternelle. C'est pourquoi il puise tout
dans les Ecritures, il en emprunte même les termes sacrés, non-seulement pour
fortifier, mais pour embellir son discours. Dans le désir qu'il a de gagner les
âmes, il ne cherche que les choses et les sentiments. Ce n'est pas, dit saint
Augustin (2), qu'il néglige quelques ornements de l'élocution, quand il les
rencontre en passant et qu'il les voit comme fleurir devant lui par la force des
bonnes pensées qui les poussent, mais aussi n'affecte-t-il pas de s'en trop
parer ; et tout appareil lui est bon , pourvu qu'il soit un miroir où
Jésus-Christ paroisse en sa vérité, un canal d'où sortent en leur pureté les
eaux vives de son Evangile (c) ; ou s'il faut quelque chose de plus
animé, un interprète fidèle qui n'altère, ni ne détourne, ni ne mêle, ni
n'affaiblisse (d) sa sainte parole.
Vous voyez par là, chrétiens, ce
que vous devez attendre des prédicateurs. J'entends qu'on se plaint souvent
qu'il s'en trouve
1 S. August., De Doctrin. christ., lib. IV, n. 10. —
2 Ibid., n. 57.
(a) Var. : De paraître. — (b) Qu'elle
semble venir d'elle-même. — (c) D'où sorte son Evangile en sa pureté. —
(d) Ni ne diminue, — ni ne falsifie.
122
peu de la sorte : mais, mes frères, s'il s'en trouve peu,
ne vous en prenez qu'à vous-mêmes, car c'est à vous de les faire tels. Voici un
grand mystère que je vous annonce : oui (a), mes frères, c'est aux
auditeurs de faire les prédicateurs. Ce ne sont pas les prédicateurs qui se font
eux-mêmes. Ne vous persuadez pas qu'on attire du ciel quand on veut cette divine
parole. Ce n'est ni la force du génie, ni le travail assidu, ni la véhémente
contention qui la font descendre. On ne peut pas la forcer, dit un excellent
prédicateur; il faut qu'elle se donne elle-même : Non.... exigitur, sed....
donatur (1). Dieu n'a pas résolu de parler toujours quand il plaira à
l'homme de lui commander. « Il souffle où il veut (2), » quand il veut; et la
parole de vie qui commande à nos volontés, ne reçoit pas la loi de leurs
mouvements (b) : Dominatur divinus sermo, non servit; et ideo non, cùm
jubetur, loquitur, sed jubet (3). Voulez-vous savoir , chrétiens, quand Dieu
se plaît de parler? Quand les hommes sont disposés à l'entendre. Cherchez en
vérité la saine doctrine, Dieu vous suscitera des prédicateurs. Que le champ
soit bien préparé, ni le bon grain, ni le laboureur, ni la rosée du ciel (c)
ne manqueront pas. Que si au contraire vous êtes de ceux qui détournent leur
oreille de la vérité et qui demandent des fables et d'agréables rêveries : Ad
fabulas autem convertentur (4) Dieu commandera à ses nues (5) ; il retirera
la saine doctrine de la bouche de ses prédicateurs ; il enverra en sa fureur des
prophètes insensés et téméraires « qui disent : La paix, où il n'y a point de
paix (6); qui disent : Le Seigneur, le Seigneur, et le Seigneur ne leur a point
donné de commission (7). » Voilà le mystère que je promettais. Ce sont les
auditeurs fidèles qui font les prédicateurs évangéliques, parce que les
prédicateurs étant pour les auditeurs, les uns reçoivent d'en haut ce que
méritent les autres (d) : Hoc doctor accipit, quod meretur auditor
(8). Aimez donc la vérité, chrétiens, et elle vous sera annoncée ; ayez appétit
de ce pain céleste,
1 S. Petr. Chrysol., Serm.
LXXXVI. — 2 Joan., III, 8. — 3 S. Petr. Chrysol., Serm.
LXXXVI.— 4 II Timoth., IV,4.— 5 Isa., V, 6.— 6 Jerem.,
VIII, 11.— 7 Ezech., XIII, 6.— 8 S. Petr. Chrysol., Serm. LXXXVI.
(a) Var.: Voici une chose incroyable :
oui.....— (b) Ne dépend pas de leurs
mouvements. — (c) Ni la pluie du ciel. — (d)
Ceux-là reçoivent d'en haut ce que méritent ceux-ci.
123
et il vous sera présenté ; souhaitez d'entendre parler
Jésus-Christ, et il vous fera résonner sa voix jusqu'aux oreilles de votre cœur.
C'est là que vous devez vous rendre attentifs, et c'est ce que je tâcherai de
vous faire voir dans ma seconde partie.
SECOND POINT.
Le second rapport, chrétiens,
que nous avons remarqué entre la parole de Dieu et l'Eucharistie, c'est que
l'une et l'autre doit aller au cœur, quoique par des voies différentes ; l'une
par la bouche, l'autre par l'oreille. C'est pourquoi comme celui-là boit et
mange son jugement, qui approchant du mystère prépare seulement la bouche du
corps et ferme à Jésus-Christ la bouche du cœur ; ainsi celui-là reçoit sa
condamnation, qui écoutant parler Jésus-Christ, lui prête l'oreille au dehors et
bouche l'ouïe au dedans à cet enchanteur céleste (a) : Incantantis
sapienter (1).
Que si vous me demandez ici,
chrétiens, ce que c'est que prêter l'oreille au dedans, je vous répondrai en un
mot que c'est écouter attentivement. Mais l'attention dont je parle n'est pas
peut-être celle que vous entendez ; et il nous faut ici expliquer deux choses,
combien est nécessaire l'attention, et en quelle partie de l’âme elle doit être.
Pour bien entendre, mes sœurs,
quelle doit être votre attention à la divine parole , il faut s'imprimer bien
avant cette vérité chrétienne, qu'outre le son qui frappe l'oreille, il y a une
voix secrète qui parle intérieurement, et que ce discours spirituel et
intérieur, c'est la véritable prédication, sans laquelle tout ce que disent les
hommes ne sera qu'un bruit inutile : Intus omnes auditores sumus (2). Le
Fils de Dieu ne nous permet pas de prendre le titre de maîtres : « Que personne,
dit-il, ne s'appelle maître. Car il n'y a qu'un seul maître et un seul docteur :
» Unus est enim magister vester (3). Si nous entendons cette parole, nous
trouverons, dit saint Augustin (4), que nul ne nous peut enseigner que Dieu ; ni
les hommes, ni les anges n'en sont point capables : ils
1 Psal. LVII, 6 — 2 S. August.,
Serm. CLXXIX, n. 7. — 3 Matth., XXIII, 8.— 4 De Peccat.
merit. et remiss., lib. I, n. 37.
(a) Var. : Qui écoutant la sainte parole, lui
ouvre l'oreille du corps et bouche l'oreille du cœur.
124
peuvent bien nous parler de la vérité, ils peuvent pour
ainsi dire la montrer au doigt ; Dieu seul la peut enseigner, parce que lui seul
nous éclaire pour discerner les objets : ce que saint Augustin éclaircit par la
comparaison de la vue. C'est en vain que l'on désigne avec le doigt les
peintures de cette église, en vain que l'on remarque la délicatesse des traits
et la beauté des couleurs, où notre œil ne distingue rien, si le soleil ne
répand sa clarté dessus. Ainsi parmi tant d'objets qui remplissent notre
entendement, quelque soin que prennent les hommes de démêler le vrai d'avec le
faux, si celui dont il est écrit «qu'il éclaire tout homme venant au monde (1),
» n'envoie une lumière invisible sur les objets et l'intelligence, jamais nous
ne ferons le discernement. Je puis bien vous montrer au doigt l'objet de la vue
et adresser votre vue; puis-je vous donner des yeux pour les regarder? C'est
donc en sa lumière que nous découvrons la différence; des choses : c'est lui qui
nous donne un certain sens qui s'appelle le « sens de Jésus-Christ (2), » par
lequel nous goûtons (a) ce qui est de Dieu ; c'est lui qui ouvre le cœur
et qui nous dit au dedans : C'est la vérité qu'on vous prêche ; et c'est là,
comme je l'ai dit, la prédication véritable. C'est ce qui a fait dire à saint
Augustin : « Voici, mes frères, un grand secret : » Magnum sacramentum,
fratres. « Le son de la parole frappe les oreilles, le maître est au dedans
; » on parle dans la chaire, la prédication se fait dans le cœur : Sonus
verborum nostrorum mires percutit, magister intus est (3). Car il n'y a
qu'un maître qui est Jésus-Christ, et lui seul enseigne les hommes. C'est
pourquoi ce Maître céleste a dit tant de fois : « Qui a des oreilles pour ouïr,
qu'il écoute (4). » Certainement, chrétiens, il ne parlait pas à des sourds;
mais il savait, ce divin Docteur, qu'il y en a « qui en voyant ne voient pas, et
qui en écoutant n'écoutent pas (5) ; » qu'il y a des oreilles intérieures où la
voix humaine ne pénètre pas et où lui seul a droit de se faire entendre. Ce sont
ces oreilles qu'il faut ouvrir pour écouter la prédication. Ne vous contentez
pas d'arrêter vos yeux sur cette chaire matérielle ; « celui
1 Joan., I, 9. — 2 I Cor.,
II, 16.— 3 Tract., III in Epist. Joan.,
n. 13.— 4 Matth., XIII, 9. — 5 Ibid., 13.
(a) Var. : Nous connaissons.
125
qui enseigne les cœurs a sa chaire au ciel (1) ; » il y est
assis auprès de son Père, et c'est lui qu'il vous faut entendre : Ipsum
audite.
Ne croyez pas toutefois que vous
deviez mépriser cette parole sensible et extérieure que nous vous portons de sa
part. Car, comme dit excellemment saint Jean Chrysostome (2), Dieu nous ayant
ordonné deux choses, d'entendre et d'accomplir sa sainte parole , quand aura le
courage de l'accomplir celui qui n'a pas la patience de l'entendre (a) ?
quand lui donnera son cœur celui qui lui refuse jusqu'à ses oreilles ? C'est une
loi établie pour tous les mystères du christianisme, qu'en passant à
l'intelligence, ils se doivent premièrement présenter aux sens; et il l'a fallu
en cette sorte, pour honorer (b) celui qui étant invisible par sa nature,
a voulu paraître pour l'amour de nous sous une forme sensible. C'est pourquoi
nous respectons et l'eau qui nous lave, et l'huile sacrée qui nous fortifie, et
la forme sensible du pain spirituel qui nous nourrit pour la vie éternelle. Pour
la même raison, chrétiens, vous devez entendre les prédicateurs en bénissant ce
grand Dieu, qui a tant voulu honorer les hommes que, sans avoir besoin de leur
secours, il les choisit néanmoins pour être les instruments de sa puissance.
Assistez donc saintement et fidèlement à la sainte prédication. Mais cette
assistance extérieure n'est que la moindre partie de notre devoir. Il faut
prendre garde que de vains discours, ou des pensées vagues, ou une imagination
dissipée ne fassent tomber du cœur la sainte parole. Si, dans la dispensation
des mystères, il arrive par quelque malheur que le corps de Jésus-Christ tombe à
terre, toute l'Eglise tremble, tout le monde est frappé (c) d'une sainte
horreur ; et saint Augustin vous a dit que ce n'est pas un moindre mal de
laisser perdre inutilement la parole de vérité.
Et en effet, chrétiens,
Jésus-Christ qui est la vérité même, n'aime pas moins la vérité que son propre
corps ; au contraire c'est pour sceller de son propre sang la vérité de sa
parole, qu'il a bien voulu sacrifier son propre corps. Un temps il a souffert
1 S. August., loco mox cit. — 2 S. Chrysost., De Mutat,
nomin., tom. III, p. 107 et seq.
(a) Var. : Combien est éloigné de la pratique
celui qui s'ennuie de l'explication. — (b) Et cela pour honorer. — (c)
Saisi.
126
que son corps fût infirme et mortel, et c'est
volontairement qu'il l'a exposé à tant d'outrages; il a voulu que sa vérité fût
toujours immortelle et inviolable. Tremblons donc, chrétiens, tremblons (a),
quand nous laissons tomber à terre la parole de vérité que l'on nous annonce; et
comme il n'y a que nos cœurs qui soient capables de la recevoir, ouvrons-lui-en
toute l'étendue, écoutons attentivement Jésus-Christ qui parle : Ipsum audite.
Mais il me semble que vous me
dites que nous n'avons pas sujet de nous plaindre du peu d'attention de nos
auditeurs ; bien loin de laisser perdre les sentiments, ils pèsent exactement
toutes les paroles : non-seulement ils sont attentifs, mais ils mettent tous les
discours à la balance, et ils en savent remarquer au juste le fort ou le faible
(b). Pendant que nous parlons, dit saint Chrysostome (1), on nous compare
avec les autres et avec nous-mêmes, le premier discours avec les suivants, le
commencement avec le milieu ; comme si la chaire était un théâtre où l'on monte
pour disputer le prix du bien dire. Ainsi je confesse qu'on est attentif, mais
ce n'est pas l'attention que Jésus demande. Où doit-elle être, mes frères ? où
est ce lieu caché dans lequel Dieu parle ? où se fait cette secrète leçon dont
Jésus-Christ a dit dans son Evangile : « Quiconque a ouï de mon Père et a
appris, vient à moi (2) ? » où se donnent ces enseignements et où se tient cette
école dans laquelle le Père céleste parle si fortement de son Fils, où le Fils
enseigne réciproquement à connaître son Père céleste ? Ecoutez saint Augustin
là-dessus dans cet ouvrage admirable de la Prédestination des Saints : Valde
remota est à sensibus carnis hœc schola, in quà Pater auditur vel docet, ut
veniatur ad Filium (3) : « Que cette école céleste dans laquelle le Père
apprend à venir au Fils, est éloignée des sens de la chair ! Encore une fois,
nous dit-il, qu'elle est
1 De Sacerd., lib. V, n. 1.— 2 Joan., VI, 45.
— 3 De Prœdest. Sanct., n. 13.
(a) Var. : En effet,, chrétiens, Jésus-Christ
qui est lu vérité même, n'aime pas moins sa vérité que son propre corps ; au
contraire il a sacrifié son corps pour la confirmation de sa vérité. Un temps il
a souffert que son corps fût infirme et mortel; il a voulu que sa vérité fût
toujours immortelle et inviolable. Par conséquent il ne faut pas croire qu'il se
sente moins outragé quand ou écoute sa vérité avec moins d'attention, que quand
on manie son corps avec peu de soin. Tremblons donc, chrétiens, tremblons.....—
(b) Et ils en savent dire à point nommé le fort et le faible.
127
éloignée des sens de la chair, cette école où Dieu est le
Maître ! » Valde, inquam, remota est à sensibus carnis hœc schola, in quâ
Deus auditur et docet.
Mais quand Dieu même parlerait à
l'entendement par la manifestation de la vérité, il faut encore aller plus
avant. Tant que les lumières de Dieu demeurent simplement à l'intelligence, ce
n'est pas encore la leçon de Dieu , ce n'est pas l'école du Saint-Esprit, parce
qu'alors, dit saint Augustin (1), Dieu ne nous enseigne que selon la loi, et non
encore selon la grâce ; selon la lettre qui tue, non selon l'esprit qui vivifie.
Donc , mes frères, pour être attentif à la parole de l'Evangile, il ne faut pas
ramasser son attention (a) au lieu où se mesurent les périodes, mais au
lieu où se règlent les mœurs ; il ne faut pas se recueillir au lieu où l'on
goûte les belles pensées, mais au lieu où se produisent les bons désirs; ce
n'est pas même assez de se retirer au lieu où se forment les jugements, il faut
aller à celui où se prennent les résolutions. Enfin s'il y a quelque endroit
encore plus profond et plus retiré où se tienne le conseil du cœur, où se
déterminent tous ses desseins, où se donne le branle à ses mouvements, c'est là
qu'il faut se rendre attentif pour écouter Jésus-Christ. Si vous lui prêtez
cette attention, c'est-à-dire si vous pensez à vous-mêmes, au milieu du son qui
vient à l'oreille et des pensées qui naissent dans l'esprit, vous verrez partir
quelquefois comme un trait de flamme qui viendra tout à coup vous percer le cœur
et ira droit aux principes de vos maladies. Car ce n'est pas en vain que saint
Paul a dit que « la parole de Dieu est vive, efficace, plus pénétrante qu'un
glaive tranchant des deux côtés ; qu'elle va jusqu'à la moelle du cœur et
jusqu'à la division de l’âme et de l'esprit ; c'est-à-dire, comme il l'explique,
qu'elle discerne toutes les pensées et les plus secrètes intentions du cœurs. »
Et c'est ce qui fait dire au même Apôtre que la prédication est une espèce de
prophétie : Qui prophetat, hominibus loquitur ad œdificationem, et
exhortationem, et consolationem (3), parce que Dieu fait dire quelquefois
aux prédicateurs je ne
1 De Grat. Christ., n. 15. — 2 Hebr., IV, 12.
— 3 I Cor., XIV, 3.
(a) Var. : Pour rencontrer cette école et
pour écouter cette voix, il faut se retirer au plus grand secret et dans le
centre du cœur; il ne faut pas ramasser.....
128
sais quoi de tranchant qui, à travers nos voies tortueuses
et nos passions compliquées, va trouver ce péché que nous dérobons et qui dort
dans le fond du cœur. C'est alors, c'est alors, mes frères, qu'il faut écouter
attentivement Jésus-Christ qui contrarie nos pensées, qui nous trouble dans nos
plaisirs, qui va mettre la main sur nos blessures ; c'est alors qu'il faut faire
ce que dit l’ Ecclésiastique : Verbum sapiens quodcumque audierit scius,
laudabit et ad se adjiciet (1). Si le coup ne va pas encore assez loin,
prenons nous-mêmes le glaive et enfonçons-le plus avant. Que plût à Dieu que
nous portassions le coup si avant, que la blessure allât jusqu'au vif, que le
sang coulât par les yeux, je veux dire les larmes, que saint Augustin appelle si
élégamment le sang de l’âme (2) ! Mais encore n'est-ce pas assez ; il faut que
de la componction du cœur naissent les bons désirs ; en sorte que les bons
désirs se tournent en résolutions déterminées, que les saintes résolutions se
consomment par les bonnes œuvres, et que nous écoutions Jésus-Christ par une
fidèle obéissance à sa parole. C'est mon troisième point.
TROISIÈME POINT.
Le Fils de Dieu a dit dans son
Evangile : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi, et moi
en lui (3) » C'est-à-dire que si nous sortons de la sainte table dégoûtés des
plaisirs du siècle, si une sainte douceur nous attache constamment et fidèlement
à Jésus-Christ et à sa doctrine, c'est une marque certaine que nous y avons
goûté véritablement combien le Seigneur est doux. Il en est de même, Messieurs,
de la parole céleste, qui a encore ce dernier rapport avec la divine
Eucharistie, que comme nous ne connaissons si nous avons reçu dignement le corps
du Sauveur, qu'en nous mettant en état qu'il paroisse qu'un Dieu nous nourrit ;
ainsi nous ne remarquons que nous ayons bien écouté sa sainte parole, qu'en
vivant de telle manière qu'il paroisse qu'un Dieu nous enseigne. Car il s'élève
souvent dans le cœur certaines imitations des sentiments véritables par
lesquelles un homme se trompe lui-même ; si bien qu'il n'en
1 Eccli., XXI, 18. — 2 Serm.
CCCLI, n. 7. — 3 Joan., VI, 57.
129
faut pas croire certaines ferveurs, ni quelques désirs
imparfaits ; et afin de bien reconnaître si l'on est touché véritablement, il ne
faut interroger que ses œuvres : Operibus credite (1).
J'ai observé à ce propos qu'un
des plus illustres prédicateurs, et sans contredit le plus éloquent qui ait
jamais enseigné l'Eglise, je veux dire saint Jean Chrysostome (2), reproche
souvent à ses auditeurs qu'ils écoutent les discours ecclésiastiques de même que
si c'était une comédie (a). Comme je rencontrais souvent ce reproche dans
ses divines prédications, j'ai voulu rechercher attentivement quel pouvait être
le fond de cette pensée, et voici ce qu'il m'a semblé : c'est qu'il y a des
spectacles qui n'ont pour objet que le divertissement de l'esprit, mais qui
n'excitent pas les affections, qui ne remuent pas les ressorts du cœur. Mais il
n'en est pas de la sorte de ces représentations animées qu'on donne sur les
théâtres, dangereuses en ce point, qu'elles ne plaisent point si elles
n'émeuvent, si elles n'intéressent le spectateur, si elles ne lui font jouer
aussi son personnage, sans être de l'action (b) et sans monter sur le
théâtre. C'est en quoi ces spectacles sont à craindre, parce que le cœur apprend
insensiblement à se remuer de bonne foi. Il est donc ému, il est transporté, il
se réjouit, il s'afflige de choses qui au fond sont indifférentes. Mais une
marque certaine que ces mouvements ne tiennent pas au cœur, c'est qu'ils
s'évanouissent en changeant de lieu. Cette pitié qui causait des larmes, cette
colère qui enflammait et les yeux et le visage, n'étaient que des images et des
simulacres par lesquels le cœur se donne la comédie en lui-même, qui
produisaient toutefois les mêmes effets que les passions véritables ; tant il
est aisé de nous imposer, tant nous aimons à nous jouer nous-mêmes.
Saint Augustin appréhende que «
les choses inutiles ne deviennent agréables : » Ne fiant delectabilia quœ
sunt inutilia ; combien plus que les objets ne plaisent, « s'ils sont
dangereux : » si periculosa (3) ! Et on ne veut pas que nous disions que
ces représentations sont très-dangereuses ! Combien de plaisirs et de
1 Joan., X, 38. — 2 De Sacerd., lib. V, n.
1.— 3 S. August., De Anim. et ejus orig., lib. I, n. 3.
(a) Var.: Qu'ils écoutent la prédication
comme si c'était une comédie. — (b) Sans être de la tragédie.
130
charmes imagine-t-on dans la chose dont l'imitation même
est si agréable ! Les impressions demeurent des passions du théâtre : celles de
la parole spirituelle sont bien plus tôt enlevées, le temporel les étouffe. Ou
nous écoutons froidement, ou il s'élève seulement en nous des affections
languissantes, faibles imitations des sentiments véritables, désirs toujours
stériles et infructueux. La forte émotion s'écoule bientôt; la secrète
impression demeure, qui dispose le cœur par une certaine pente. L'impression des
sermons, qui ne trouve rien de sensible à quoi elle puisse se prendre, est bien
plus tôt emportée. De telles émotions faibles, imparfaites, qui se dissipent en
un moment, sont dignes d'être formées dans un théâtre où l'on ne voit que des
choses feintes, plutôt que devant les chaires évangéliques où la sainte vérité
de Dieu paraît dans sa pureté. Quand le docte saint Chrysostome craignait que
ses auditeurs n'assistassent à ses sermons de même qu'à la comédie, c'est que
souvent ils semblaient émus ; il s'élevait souvent dans son auditoire des cris
et des voix confuses qui marquaient que ses paroles excitaient les cœurs (a).
Un homme un peu moins expérimenté aurait cru que ses auditeurs étaient convertis
; mais il appréhendait, chrétiens, que ce ne fussent des affections de théâtre
excitées par ressorts et par artifices ; il attendait à se réjouir quand il
verrait les mœurs corrigées, et c'était en effet la marque assurée que
Jésus-Christ était écouté.
Ne vous fiez donc pas,
chrétiens, à ces émotions sensibles, si vous en expérimentez quelquefois dans
les saintes prédications. Si vous en demeurez à ces sentiments, ce n'est pas
encore Jésus-Christ qui vous a prêché ; vous n'avez encore écouté que l'homme ;
sa voix peut aller jusque-là; un instrument bien touché peut bien exciter les
passions. Comment saurez-vous, chrétiens, que vous êtes véritablement enseignés
de Dieu ? Vous le saurez par les œuvres. Car il faut apprendre de saint Augustin
la manière d'enseigner de Dieu, cette manière si haute, si intérieure, etc. Elle
ne consiste pas seulement dans la démonstration de la vérité, mais dans
l'infusion de la charité ; elle ne fait pas seulement que vous sachiez ce qu'il
faut aimer, mais que vous aimiez ce que
(a) Var. : Que l'âme était agitée.
131
vous savez : Si doctrina dicenda est..., altiùs et
interiùs..., ut non ostendat tantummodo veritatem, verùm etiam impertiat
charitatem (1). De sorte que ceux qui sont véritablement de l'école de
Jésus-Christ, le montrent bientôt par leurs œuvres. Et c'est la marque certaine
que saint Paul nous donne, lorsqu'il écrit aux fidèles de Thessalonique : De
charitate autem fraternitatis non necesse habemus scribere vobis : « Pour la
charité fraternelle, vous n'avez pas besoin que l'on vous en parle ; » ipsi
enim vos a Deo didicistis ut diligatis invicem : « car vous avez vous-mêmes
appris de Dieu à vous aimer les uns les autres ; » et il en donne aussitôt la
preuve : « En effet vous le pratiquez fidèlement envers les frères de Macédoine
: » Etenim illud facitis (2). Ainsi la marque très-assurée que le Fils de
Dieu vous enseigne, c'est lorsque vous pratiquez ses enseignements ; c'est le
caractère de ce divin Maître. Les hommes qui se mêlent d'enseigner les autres,
leur montrent tout au plus ce qu'il faut savoir; il n'appartient qu'à ce divin
Maître, que l'on nous ordonne d'entendre, de nous donner tout ensemble et de
savoir ce qu'il faut et d'accomplir ce qu'on sait : Simul donans et quid
agant scire, et quod sciunt agere (3). Si donc vous voulez être de ceux qui
l'écoutent, écoutez-le véritablement et obéissez à ses paroles : Ipsum audite.
Ne vous contentez pas de ces affections stériles et infructueuses qui ne se
tournent jamais en résolutions déterminées; de ces fleurs qui trompent toujours
les espérances, qui ne se nouent jamais pour donner des fruits; ou de ces fruits
qui ne mûrissent point, qui sont le jouet des vents et la proie des animaux.
Dieu ne veut point de tels arbres dans son jardin de délices; Jésus-Christ
rejette de tels disciples de son école et de tels soldats de sa milice. Ecoutez
comme il s'en moque, si je l'ose dire, par la bouche du divin Psalmiste :
Filii Ephrem intendentes et mittentes arcum, conversi sunt in die belli
(4) : « Les enfants d'Ephrem qui bandaient leurs arcs et préparaient leurs
flèches, ils ont été rompus et renversés (a) au jour de la bataille. » En
écoutant la prédication, ils semblaient aiguiser
1 S. August., De Grat. Christ.,
n. 14. — 2 I Thessal., IV, 9, 10.— 3 S. August., loco mox cit. — 4
Psal. LXXVII, 9.
(a) Var. : Ils ont lâché le pied.
132
leurs traits et préparer leurs armes contre leurs vices; au
jour de la tentation, ils les ont rendues honteusement. Ils promettaient
beaucoup (a) dans l'exercice, ils ont plié d'abord dans le combat; ils
semblaient animés quand on sonnait la trompette, ils ont tourné le dos tout à
coup quand il a fallu venir aux mains : Filii Ephrem intendentes et mittentes
arcum, conversi sunt in die belli.
Mais concluons enfin ce
discours, duquel vous devez apprendre que pour écouter Jésus-Christ il faut
accomplir sa sainte parole : il ne parle pas pour nous plaire, mais pour nous
édifier dans nos consciences : il n'établit pas des prédicateurs pour être les
ministres de la volupté, de la délicatesse et les victimes de la curiosité
publique ; c'est pour affermir le règne de sa vérité, de sorte qu'il ne veut pas
voir dans son école des contemplateurs oisifs, mais de fidèles ouvriers; enfin
il y veut voir des disciples qui honorent par leur bonne vie l'autorité d'un tel
Maître. « Je suis le Seigneur, dit-il, qui vous enseigne des choses utiles et
qui vous conduis dans la voie : » Ego dominus Deus tuus docens te utilia,
gubernans te in via quâ ambulas (1). Et afin que nous craignions désormais
de sortir de son école sans être meilleurs, écoutons comme il parle à ceux qui
ne profitent pas de ses saints préceptes : Ipsum audite : Ecoutez, c'est
lui-même qui vous parle : « Si quelqu'un écoute mes paroles et n'est pas
soigneux de les accomplir, » non judico eum; « je ne le juge pas, car je
ne viens pas pour juger le monde, mais pour sauver le monde : » non enim veni
ut judiceni mundum, sed ut salvificem mundum (2). Qu'il ne s'imagine pas
toutefois qu'il doive demeurer sans être jugé : « Celui qui me méprise et ne
reçoit pas mes paroles, il a un juge établi, » habet qui judicet eum.
Quel sera ce juge? « La parole que j'ai prêchée le jugera au dernier jour : »
Sermo quem locutus sum, ille judicabit eam in novissimo die (3);
c'est-à-dire que ni on ne recevra d'excuse, ni on ne cherchera de tempérament.
La parole, dit-il, vous jugera ; la loi elle-même fera la sentence selon sa
propre teneur, dans l'extrême rigueur du droit; et de là vous
1 Isa., XLVIII, 17. — 2 Joan.,
XII, 47. — 3 Ibid., 48.
(a) Var. : Tout.
133
devez entendre que ce sera un jugement sans miséricorde.
Ceci nous manquait encore pour établir l'autorité sainte de la parole de Dieu;
il fallait encore ce nouveau rapport entre la doctrine sacrée et l'Eucharistie.
Celle-ci s'approchant des hommes, vient discerner les consciences avec une
autorité de juge; elle couronne les uns, elle condamne les autres : ainsi la
divine parole, ce pain des oreilles, ce corps spirituel (a) de la vérité,
ceux qu'elle ne touche pas, elle les juge; ceux qu'elle ne convertit pas, elle
les condamne; ceux qu'elle ne nourrit pas, elle les tue.
Je ne pense pas qu'il soit
nécessaire que je vous exhorte maintenant par un long discours. Ceux qui ont des
oreilles chrétiennes préviennent par leurs sentiments ce que je puis dire ; et
je m'assure que ces vérités évangéliques sont entrées bien avant dans leurs
consciences. Mais si j'ai éprouvé quelque chose, si je vous ai fait voir
aujourd'hui cette alliance sacrée qui est entre la chaire et l'autel, au nom de
Dieu, mes frères, n'en violez pas la sainteté. Quoi! pendant qu'on s'assemble
pour écouter Jésus-Christ, pendant que l'on attend sa sainte parole, des
contenances de mépris, un murmure et quelquefois un ris scandaleux déshonore
publiquement la présence de Jésus-Christ ! Temples augustes, sacrés autels, et
vous saints tabernacles du Dieu vivant, faut-il donc que la chaire évangélique
fasse naître une occasion de manquer à l'adoration qui vous est due ! Et nous,
chrétiens, à quoi pensons-nous? Quoi ! voulons-nous commencer d'honorer la
chaire par le mépris de l'autel? Est-ce pour nous préparer à recevoir la sainte
parole, que nous manquons de respect à l'Eucharistie ? Si vous le faites
désormais, j'ai parlé en l'air, et vous ne croyez rien de ce que j'ai dit. Mes
frères, ces mystères sont amis; ne soyons pas assez téméraires pour en rompre la
société. Adorons Jésus-Christ avant qu'il nous parle ; contemplons en respect et
en silence ce Verbe divin à l'autel, avant qu'il nous enseigne dans cette
chaire. Que nos cœurs seront bien ouverts à la doctrine céleste par cette sainte
préparation ! Pratiquez-la, chrétiens ; ainsi notre Seigneur Jésus-Christ puisse
être votre docteur ; ainsi les eaux sacrées de son Evangile puissent tellement
arroser vos âmes,
(a) Var. : Mystique.
134
qu'elles y deviennent une fontaine qui rejaillisse à la vie
éternelle, que je vous souhaite, au nom du Père, et du Fils, et du
Saint-Esprit ! Amen.
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