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SERMON
POUR
LE MARDI DE LA SEMAINE DE LA PASSION,
SUR LA SATISFACTION (a).
Non potest mundus odisse vos; me autem odit, quia ego
testimonium perhibeo de illo, quòd opera ejus mala sunt.
Le monde ne saurait vous haïr; mais pour moi, il me hait,
parce que je rends témoignage contre lui, que ses œuvres sont mauvaises.
Joan., VII, 7.
L'évangile du jour nous apprend
que le Sauveur va en Jérusalem pour y célébrer la fête des Tabernacles. Cette
fête des Tabernacles était comme un mémorial éternel du long et pénible
pèlerinage des enfants d'Israël allant à la terre promise, et tout ensemble
représentait le pèlerinage des enfants de Dieu allant à leur céleste patrie.
Brève explication de cette fête.
Nous lisons au Lévitique que parmi le grand nombre de victimes qu'on offrait à
Dieu pendant le cours de cette solennité, on ne manquait pas de lui présenter
(a) Prêché à Metz, en 1688.
Ce sermon trahit son origine par des indices certains, mais il renferme moins de tours et de ternies surannés que d'autres essais du
jeune archidiacre ; c'est pourquoi notre date est fixée dans les derniers temps
de l'époque de Metz. Mais voici quelque chose de plus précis. Après avoir dit
que Dieu menaça de renverser Ninive, mais que Ninive elle-même se renversa
devant Dieu par le changement de sa conduite, l'auteur continue dans la
péroraison : « Armons-nous de zélé, que chacun renverse Ninive en soi-même.
Ville de Metz, que n'es-tu ainsi renversée !... Plût à Dieu que je visse à bas
et les tables de tes débauches, et les banquets de tes usuriers, et les
retraites honteuses de tes impudiques! Plût à Dieu que j'entende bientôt cette
bienheureuse nouvelle: Toute la ville de Metz est abattue, mais elle est
heureusement abattue aux pieds des confesseurs, devant les tribunaux de la
pénitence qui sont érigés de toutes parts dans ce temple auguste !» Ou a lu le
nom de la ville de Metz en toutes lettres. D'un autre côté, ces « tribunaux de
la pénitence qui sont érigés de toutes parts » indiquent assez clairement,
d'accord avec l'histoire, le temps de la mission qui fut donnée en 1638. Quant
aux usuriers de la ville de Metz, ils étaient passés en proverbe; c'étaient des
Juifs retors et fourbes, qui payaient par d'indignes exactions un généreux
asile.
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tous les jours un sacrifice pour le péché. Par là que
devons-nous apprendre, sinon que pendant le temps de notre voyage nous devons
offrir à Dieu tous les jours le sacrifice pour nos péchés? Et quel est ce
sacrifice pour nos péchés, sinon les satisfactions qui sont les vrais fruits de
la pénitence ? C'est de quoi nous parlerons... Assistance du Saint-Esprit.
Ce que dit le Fils de Dieu, que
le monde le liait à cause du témoignage qu'il rend que ses œuvres sont
mauvaises, se vérifie particulièrement dans le sacrement de la pénitence. C'est
principalement dans la pénitence que Jésus-Christ rend témoignage contre les
péchés. Il rend bien témoignage contre les péchés par la prédication de la
parole. Car sa parole n'est autre chose qu'une lumière que Dieu élève au milieu
de l'Eglise, afin que les œuvres de ténèbres soient découvertes et condamnées,
mais cela ne se fait qu'en général ; au lieu que dans le sacrement de la
pénitence, Dieu parle à la conscience d'un chacun de ses péchés particuliers ;
non-seulement il ordonne qu'on les accuse, mais encore qu'on les condamne et
qu'on les punisse. De là les satisfactions que l'on nous impose , les peines et
les pénitences qu'on nous commande. C'est aussi pour cette raison que plusieurs
fuient Jésus-Christ dans la pénitence : Quia testimonium perhibeo. Ils
évitent de se confesser, parce qu'ils appréhendent, disent-ils, de trouver
quelque confesseur fâcheux et sévère. Pour leur ôter cette pensée lâche qui
entretient leur impénitence, expliquons toute la matière de la satisfaction
selon les sentiments de l'Eglise et du saint concile de Trente : 1° la nécessité
de la satisfaction ; 2° quelle elle doit être ; 3° dans quel esprit nous la
devons faire.
PREMIER POINT.
La nécessité. Il ne faudrait
point chercher d'autres preuves que les exemples des saints pénitents : faut en
rapporter quelques-uns. Si tous ceux auxquels Dieu a inspiré le désir de la
pénitence, il leur inspire aussi dans le même temps la volonté de le satisfaire,
on doit conclure nécessairement que ces deux choses sont inséparables ; et si
nous refusons de suivre les pas de ceux qui nous ont
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précédés dans la voie de la pénitence, nous ne devons
jamais espérer le pardon qu'ils ont obtenu : ce que nous verrons encore plus
évidemment, si nous concevons la raison par laquelle ils se sentaient pressés de
satisfaire à Dieu pour leurs crimes. C'est qu'ils étaient très-persuadés que
pour se relever de la chute où le péché nous a fait tomber, il ne suffit pas de
changer sa vie, ni de corriger ses mœurs déréglées. Car, comme remarque
excellemment le grand saint Grégoire, « ce n'est pas assez pour payer ses dettes
que de n'en faire plus de nouvelles, mais il faut acquitter celles qui sont
créées; et lorsqu'on injurie quelqu'un, il ne suffit pas pour le satisfaire de
mettre fin aux injures que nous lui disons, mais encore outre cela la justice
nous ordonne de lui en faire réparation; et lorsqu'on cesse d'écrire, il ne
s'ensuit pas pour cela qu'on efface ce qui est déjà écrit, il faut passer la
plume sur l'écriture que nous avons faite, ou bien déchirer le papier (1). » Il
en est de même de nos péchés. Tout autant de péchés que nous commettons, autant
de dettes contractons-nous envers la justice divine. Il ne suffit donc pas de
n'en faire plus de nouvelles, mais il faut payer les anciennes ; et lorsque nous
nous abandonnons au péché, quelle injure ne disons-nous pas contre Dieu? Nous
disons qu'il n'est pas notre créateur, ni notre juge, ni notre Père , ni notre
Sauveur, etc. Est-ce donc assez, chrétiens, de cesser de lui dire de telles
injures, et ne sommes-nous pas obligés de plus à lui en faire la satisfaction
nécessaire ? Enfin quand nous péchons, nous écrivons sur nos cœurs : Peccatum
Juda scriptum est stylo ferreo..... super latitudinem cordis eorum
(2). Ne croyons donc pas faire assez lorsque nous ne continuons pas d'écrire ;
cela n'efface pas ce qui est écrit. Il faut passer la plume, par les exercices
laborieux qui nous sont prescrits dans la pénitence, sur ces tristes et
malheureux caractères ; il faut déchirer le papier sur lequel ils ont été
imprimés, c'est-à-dire qu'il faut déchirer nos cœurs : Scindite corda vestra
(3); ainsi ils seront effacés.
Mais pour pénétrer jusque dans
le fond cette vérité catholique, considérons sérieusement quelle est la nature
de la pénitence. Le sacrement de la pénitence est un échange mystérieux qui se
fait,
1 Pastor., III part., cap.
XXX. — 2 Jerem., XVII, 1. — 3 Joel., II, 13.
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par la bonté divine, de la peine éternelle en une
temporelle : Quòd si ipsi sibi judices fiant et veluti suae iniquitatis
ultores, hic in se voluntariam pœnam severissimœ animadversionis exerceant,
temporalibus pœnis mutabunt œterna supplicia (1). Et la raison en est
évidente. Car par le sacrement de la pénitence se fait la réconciliation de
l'homme avec Dieu. Or, dans une véritable réconciliation, on se relâche de part
et d'autre. Voyez de quelle sorte Dieu se relâche ; dès la première démarche, il
nous quitte la peine éternelle. Quelle serait, pécheur, ton ingratitude, si tu
refusais de te relâcher, en subissant volontairement la peine temporelle qui
t'est imposée? Si tu rejettes cette condition, la réconciliation ne se fera pas.
Car Dieu use tellement de miséricorde, qu'il n'abandonne pas entièrement les
intérêts de sa justice, de peur de l'exposer au mépris : Nullus debitae
gravioris pœna accipit veniam, nisi qualemcumque etsi longe minorem quant
debebat, solverit pœnam ; atque ita impertitur à Deo largitas misericordiae, ut
non relinquatur etiam justitia disciplina (2).
Il faut donc peser la condition
sous laquelle Dieu oublie nos crimes et se réconcilie avec nous ; c'est à charge
que nous subirons quelque peine satisfactoire, pour reconnaître ce que nous
devons à sa justice infinie qui se relâche de l'éternelle. Aussi voyons-nous
clairement cette condition importante dans les paroles du compromis qu'il a
voulu passer avec nous pour se réconcilier. Car remarquez ici, chrétiens, le
mystère de la réconciliation dans le sacrement de la pénitence. Dans ce
différend mémorable entre Dieu et l'homme pécheur, afin d'accorder les parties,
on commence à convenir d'arbitre, et on passe le compromis. Cet arbitre, c'est
Jésus-Christ, grand pontife et médiateur de Dieu et des hommes. Mais
Jésus-Christ se retirant de ce monde, il subroge les prêtres en sa place et leur
remet le compromis en main. Toutes les deux parties conviennent de ces arbitres.
Dieu en convient, puisque c'est son autorité qui les établit ; les hommes aussi
en conviennent, lorsqu'ils se viennent jeter à leurs pieds. Il faut donc que ces
arbitres prononcent ; mais de quelle sorte prononceront-ils?
1 Julian. Pomer., De Vitâ contempl., lib. II, cap.
VII, n. 2. — 2 S. August., lib. De Contin.,
cap. VI, n. 15.
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Suivant les termes du compromis. Lisons donc les termes du
compromis, et voyons les conditions sous lesquelles Dieu se relâche.
Voici comme il est couché dans
les Ecritures : Quœcumque solveritis super terram, erunt soluta et in cœlo
(1). Voilà les paroles par lesquelles Dieu se relâche. Faites-donc, arbitres
établis de Dieu , ce que Jésus-Christ vous permet ; et déliez entièrement le
pécheur, sans lui rien imposer pour son crime. Chrétiens, cela ne se peut. Car
achevons de lire le compromis : Quaecumque ligaveritis super terram, erunt
ligata et in cœlo. Il lui est donc permis de délier ; mais il lui est
ordonné de lier : voilà l'ordre qui lui est prescrit, et cette loi doit être la
nôtre. Car ce mystérieux compromis ayant été signé des parties, il leur doit
servir de loi immuable. Jésus-Christ l'a signé de son sang au nom de son Père et
comme procureur spécial établi par lui pour cette réconciliation. Tu l'as aussi
signé, pécheur, quand tu t'es approché du prêtre en vertu de cette parole et de
ce traité. Jésus-Christ l'observe de son côté, et il te remet volontiers la
peine éternelle. Que reste-t-il donc maintenant, sinon que tu l'exécutes de ta
part avec une exacte fidélité? (Exhortation à satisfaire. Passage au second
point. ) Cette nécessité de la satisfaction étant solidement appuyée, voyons à
présent quelle elle doit être.
SECOND POINT.
Je dis, pour ne point flatter
les pécheurs, qu'elle doit être très-sévère et très-rigoureuse; et quand je
l'appelle très-rigoureuse, ce n'est pas qu'effectivement nous dussions l'estimer
telle. Car si nous considérons attentivement de quelle calamité nous délivre cet
échange miséricordieux qui se fait dans la pénitence, rien ne pourrait nous
paraître dur, si bien que cette pénitence n'est dure qu'à cause de notre lâcheté
et de notre extrême délicatesse. Mais afin de la surmonter, appuyons
invinciblement cette rigueur salutaire par le saint concile de Trente ; et vous
proposant trois raisons par lesquelles ce saint concile établit la nécessité de
satisfaire, faisons voir manifestement qu'elles prouvent la sévérité que je
prêche.
1 Matth., XVIII, 18.
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La première raison des Pères de
Trente, c'est que si la justice divine abandonnait entièrement tous ses droits,
si elle relâchait aux pécheurs tout ce qui leur est dû pour leurs crimes, ils
n'auraient pas l'idée qu'ils doivent avoir du malheur dont ils ont été délivrés
; « et estimant leur faute légère par la trop grande facilité du pardon, ils
tomberaient aisément dans de plus grands crimes. » De là vient que dans ce
penchant et sur le bord de ce précipice, pour ne point lâcher la bride à la
licence des hommes, Dieu en leur quittant la peine éternelle, « les retient
comme par un frein par la satisfaction temporelle : » quasi fraeno quodam,
dit le saint concile de Trente (1).
Et certainement, chrétiens, il
est bien aisé de connaître que tel est le conseil de Dieu et l'ordre qu'il lui
plaît de tenir avec les hommes. Car il n'y a aucune apparence que ce Père
miséricordieux en relâchant la peine éternelle, en voulût réserver une
temporelle, s'il n'y était porté par quelque raison importante. Et quelle raison
y aurait-il qu'après s'être relâché si facilement d'une dette si considérable,
c'est-à-dire la damnation et l'enfer , il fit le dur et le rigoureux sur une
somme de si peu de valeur comme est la satisfaction temporelle ? il quitte
libéralement cent millions d'or, et il fait le sévère pour cinq sous? Il fait
quelque chose de plus; car il y a bien moins de proportion entre l'éternité de
peines dont il nous tient quittes, et la satisfaction qu'il exige dans le temps.
D'où vient donc cette sévérité dans une si grande indulgence ? Dieu est-il
contraire à lui-même, et celui qui donne tant pourquoi veut-il réserver si peu
de chose ? C'est par un conseil de miséricorde qui l'oblige à retenir les
pécheurs, de peur qu'ils ne retombent dans de nouveaux crimes. Il sait que la
nature des hommes portée d'elle-même au relâchement, abuse de la facilité du
pardon pour passer au libertinage. Il sait que s'il laissait agir sa miséricorde
toute seule, sans laisser aucune marque de sa justice , il exposerait l'une et
l'autre à un mépris tout visible à cause de la dureté de nos cœurs. Ainsi donc
en se relâchant, il ne se relâche pas tout à fait. La justice ne quitte pas tous
ses droits ; et s'il ne l’emploie plus à punir les pécheurs comme ils le
méritent, par
1 Sess. XIV,
cap. VIII.
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une damnation éternelle, il l'emploie du moins à les
retenir dans le respect et dans la crainte par quelque reste de peine qu'il leur
impose. Que si ces peines sont si légères qu'elles ne soient pas capables de
donner de l'appréhension aux pécheurs, qui ne voit que par cette lâcheté nous
éludons manifestement le conseil de Dieu? Un Pater, un Ave Maria,
un Miserere peut-il faire sentir à un pécheur qui a commis de grands
crimes quelle est l'horreur de son péché, quel est le péril d'où il est tiré et
la peine qui lui était due? Il faut quelque chose de plus rigoureux.
Prenez donc garde, ô confesseurs
; ce n'est pas moi qui vous parle, c'est le concile de Trente qui vous avertit,
c'est Dieu même qui vous ordonne de prendre garde à ses intérêts : Je les
remets, dit-il, en vos mains. Déliez, je vous le permets ; mais liez, puisque je
l'ordonne. Vous êtes les juges que j'ai établis, vous êtes les ministres de ma
bonté et de ma justice. Usez de ma miséricorde, mais ne l'abandonnez pas au
mépris des hommes par une molle condescendance. Faites sentir aux pécheurs
l'horreur du crime qu'ils ont commis, par quelque satisfaction convenable; et
tâchez par là de les retenir dans la voie de perdition dans laquelle ils se
précipitent , de peur que votre facilité ne leur soit une occasion de
libertinage et qu'abusant de votre indulgence, ils ne fassent une nouvelle
injure au Saint-Esprit par leurs fréquentes rechutes.
La seconde raison du concile,
c'est que la satisfaction est très-nécessaire pour remédier aux restes des
péchés et déraciner les habitudes vicieuses. Pour entendre profondément cette
excellente raison, il faut remarquer que le péché a une double malignité. Il a
de la malignité en lui-même, et il en a aussi dans ses suites. Il a de la
malignité en lui-même, parce qu'il nous sépare de Dieu. Il a de la malignité
dans ses suites, parce qu'il abat les forces de l’âme et y laisse une certaine
impression pour retomber dans de nouvelles fautes. C'est ce qu'on appelle
l'habitude vicieuse; et cette vicieuse habitude ne s'éteint pas, encore que le
péché cesse. Elle demeure donc dans nos cœurs comme une pépinière de nouveaux
péchés; c'est un germe que le péché effacé laisse dans les âmes, par lequel il
espère revivre bientôt ; c'est une racine empoisonnée, qui dans peu fera
repousser cette mauvaise herbe.
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C'est pour détruire ces restes maudits, c'est pour arracher
ces habitudes mauvaises, que le concile de Trente a déterminé que la
satisfaction était nécessaire. Et la raison en est évidente. Car qu'est-ce autre
chose qu'une habitude, sinon une forte inclination ? Et comment la peut-on
combattre, sinon en faisant effort sur soi-même par les exercices mortifiants de
la pénitence ? D'où je conclus, en passant plus outre, que cette pénitence doit
être sévère, parce que l'inclination est puissante. C'est ce qui fait dire à
saint Augustin qu'il faut faire une pénitence rigoureuse, « afin, dit ce grand
personnage, que la coutume de pécher cède à la violence de la pénitence : »
Ut violentiœ pœnitendi cedat consuetudo peccandi (1).
Il faut donc nécessairement que
la pénitence ne soit pas molle; il faut qu'elle ait de la violence pour
surmonter la mauvaise habitude, parce que la mauvaise habitude donne une
nouvelle force et une nouvelle impétuosité à l'inclination naturelle que nous
avons au mal par la convoitise : si bien que l'habitude est un nouveau poids
ajouté à celui de la convoitise. Que si nous apprenons par les Ecritures qu'il
faut que nous nous fassions violence pour résister à la convoitise, combien plus
en devons-nous faire à une convoitise fortifiée par une longue habitude ! Ne
t'imagine donc pas, ô pécheur, que tu puisses résister à un si grand mal par une
pénitence légère ; que tu puisses te dépouiller de cette ivrognerie si enracinée
par quelque petite application à une prière courte et souvent mal faite? Il faut
avoir recours nécessairement à cette violence salutaire de la pénitence; il faut
se mortifier par des jeûnes et réprimer les dépenses excessives de tes débauches
par l'abondance de tes aumônes : Ut violentiae pœnitendi cedat consuetudo
peccandi.
La troisième raison du concile,
et qui me semble la plus touchante, c'est que nous devons satisfaire à Dieu par
les peines salutaires de la pénitence, pour nous rendre conformes à
Jésus-Christ. C'est lui en effet, chrétiens, qui est ce parfait pénitent qui a
porté la peine de tous les péchés, en se faisant la victime qui les expie. Si
bien que pour lui être semblables dans le sacrement de la
1 Tract, XLIX in Joan., n. 19.
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pénitence, il faut que nous nous rendions des victimes
mortifiées par les peines salutaires qu'elle nous impose. Car, mes frères, il
faut remarquer que les sacrements de l'Eglise, comme ils tirent toute leur vertu
de la passion de notre Sauveur, aussi en doivent-ils porter en eux-mêmes et
imprimer sur nous une vive image. Ainsi dans le sacrement de la sainte table
nous annonçons la mort de Notre-Seigneur, comme dit le divin Apôtre (1). Ainsi
dans la pensée du même docteur nous sommes « ensevelis avec Jésus-Christ dans le
saint baptême (2); » et c'est pourquoi l'Eglise ancienne plongeait entièrement
dans les eaux tous les fidèles qu'elle baptisait, pour représenter plus
parfaitement cette sépulture spirituelle. Ainsi dans la confirmation on imprime
sur nos fronts la croix du Sauveur, pour nous marquer d'un caractère éternel qui
nous doit rendre semblables à Jésus-Christ crucifié. N'y aura-t-il donc,
chrétiens, que le sacrement de la pénitence qui ne gravera point sur nous
l'image de la mort de notre Sauveur? Non, il n'en sera pas de la sorte, dit le
saint concile de Trente. La pénitence étant un second baptême, il faut que ce
qui a été dit du premier soit encore vérifié dans le second; que. «tout autant
que nous sommes qui sommes baptisés en Jésus-Christ, soyons baptises en sa mort
: » In morte ipsius baptizati sumus (3). Et comment est-ce que la
pénitence imprime sur nos corps la mort de Jésus? Ecoutez parler le sacré
concile : C'est alors, dit-il, que nous subissons quelque peine pour nos péchés,
que nous nous baptisons dans nos larmes et dans les exercices laborieux que l'on
nous impose, « d'où vient aussi que la pénitence est nommée un baptême laborieux
(4). » Et par là ne voyez-vous pas combien la pénitence doit être sévère?
Nous apprenons du sacré concile
que nous devons nous rendre conformes à Jésus-Christ crucifié par les pénitences
que nous subissons. Ah! mon Sauveur, quand je considère votre tête couronnée
d'épines, votre chair si cruellement déchirée, etc., je dis aussitôt en moi-même
: Pauvre ver écorché, quoi! une courte prière, un Pater, un Ave Maria,
un Miserere sont-ils capables
1 I Cor., XI, 20. — 2
Rom., VI, 1.— 3 Ibid.,
3. — 4 Sess. XIV De Pœnit.,
cap. II.
447
de nous crucifier avec vous ? Ne faut-il point d'autres
clous pour percer nos pieds qui tant de fois ont couru au crime, et nos mains
qui se sont souillées du bien d'autrui par tant d'usures cruelles ? Il faut
quelque chose de plus pénible, et c'est pourquoi le sacré concile avertit
sagement les confesseurs qu'ils donnent des pénitences proportionnées. Debent
ergo sacerdotes Domini, quantum spiritus et prudentia suggesserit, pro qualitate
criminum et pœnitentium facultate, salutares et convenientes satisfactiones
injungere (1). Et ce qu'il leur prescrit d'user de prudence, sachez et
entendez, ô pécheurs, que ce n'est pas pour les faire relâcher à cette
condescendance molle et languissante que votre cœur insensible et impénitent
exige d'eux. Car cette prudence qu'on leur ordonne, n'est pas cette fausse
prudence de la chair qui flatte les vices et les désirs corrompus des hommes ;
c'est une prudence spirituelle qui sacrifie la chair pour sauver l'esprit. C'est
pourquoi le concile dit : Quantum spiritus et prudentia suggesserit :
Ayez de la prudence, dit ce saint concile, non pas une prudence qui suive la
chair, mais une prudence guidée par L'esprit : spiritus et prudentia. Et
afin de leur faire craindre un relâchement excessif, il les avertit sagement que
s'ils agissent trop indulgemment avec les pécheurs, en leur ordonnant des peines
très-légères pour des péchés très-griefs, ils se rendent participais des crimes
des autres. O sentence vraiment terrible! One répondront devant Dieu ces
confesseurs lâches et complaisants, qui auront corrompu par leur facilité
criminelle la sévérité de la discipline, lorsqu'ils verront d'un côté s'élever
contre eux les Pères qui ont fait les canons, et particulièrement ceux de
Trente, qui les ont avertis si sérieusement du péril où les engageait leur
fausse et cruelle miséricorde ; et de l'autre les pécheurs mêmes dont ils auront
lâchement flatté les inclinations corrompues? C'est vous, diront-ils, qui nous
avez damnés; c'est votre pitié inhumaine, c'est votre indulgence pernicieuse. O
Seigneur, faites-nous justice contre ces ignorants médecins, qui pour trop
épargner le membre pourri, ont laissé couler le venin au cœur; contre ces lâches
conducteurs, qui ont mieux aimé nous abandonnera la licence par une flatterie
1 Concil. Trident., Sess. XIV, cap. VIII.
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dangereuse, que de nous retenir sur le penchant par une
discipline salutaire. Que reste-t-il donc, chrétiens, sinon que les prêtres et
les confesseurs évitent cette double accusation des pontifes et des conciles qui
les reprendront d'avoir méprisé leurs lois, et des pécheurs qui se plaindront
justement de ce qu'ils n'ont pas guéri leurs blessures? Ahl disait à ce sujet
autrefois un très-saint évêque de France, je ne me sens pas assez innocent pour
me vouloir charger des péchés des autres, et je n'ai pas assez d'éloquence pour
pouvoir répondre aux accusations qu'intenteront un jour contre moi tant de
saints et admirables prélats qui ont fait les lois des conciles : Ego me in
hoc periculo mittere omnino non audeo, quia nec talia sunt merita mea, ut
aliorum peccata in me excipere prœsumam, nec tantam eloquentiam habeo, ut ante
tribunal Christi contra tot ac tantos sacer dotes qui canones statuerunt, dicere
audeam. Voilà quels doivent être les sentiments des confesseurs. Achevons et
disons un mot de la disposition des pénitents.
TROISIÈME POINT.
Deux dispositions qui semblent
contraires, avec lesquelles il faut accomplir sa pénitence, la joie et la
douleur : la joie, en considérant non la peine qu'elle nous fait souffrir, mais
celle d'où elle nous tire; la douleur amère pour plusieurs raisons, mais nous
dirons en particulier une qui regarde la satisfaction. C'est que les confesseurs
inclinent toujours à la miséricorde; et quelque soin qu'ils aient de ne se point
écarter des bornes d'une juste sévérité, néanmoins l'amour paternel que Dieu
leur inspire pour leurs pénitents et l'expérience qu'ils ont par eux-mêmes de
l'infirmité, fait qu'ils penchent toujours beaucoup plus du côté de la douceur.
Eh donc! y a-t-il rien de plus nécessaire que de suppléer le défaut de la peine
corporelle par l'abondance de la douleur? C'est cette douleur qui a apaisé Dieu
sur les Ninivites; c'est elle qui prenant en main la cause de Dieu, a détourné
le cours de sa vengeance. Dieu les menaçait de les renverser, et ils se sont
renversés eux-mêmes en détruisant par les fondements toutes leurs inclinations
corrompues. De quoi vous plaignez-vous, ô Seigneur? Voilà votre
449
parole accomplie ; vous avez dit que Ninive serait
renversée, elle s'est en effet renversée elle-même. Ninive est véritablement
renversée, en tournant en bien ses mauvais désirs. Ninive est véritablement
renversée, puisque le luxe de ses habits est changé en un sac et en un cilice,
la superfluité de ses banquets en un jeune austère, la joie dissolue de ses
débauches aux saints gémissements de la pénitence : Subvertitur plané Ninive,
dum calcatis deterioribus studiis in meliora convertitur; subvertitur plané, dùm
purpura in cilicium, affluentia injejunium, laetitia mutatur in fletum (1).
O ville utilement renversée!
Chrétiens, armons-nous de zèle;
que chacun renverse Ninive en soi-même, etc. Ville de Metz, que n'es-tu ainsi
renversée! Je désire ta grandeur et ton repos autant qu'il se peut, et plut à
Dieu que je visse descendre sur toi les bénédictions que je te souhaite !
Toutefois ne t'offense pas, si j'ose désirer aujourd'hui que tu sois entièrement
renversée. Plût à Dieu que je visse à bas et les tables de tes débauches, et les
banquets de tes usuriers, et les retraites honteuses de tes impudiques! Plût à
Dieu que j'entende bientôt cette bienheureuse nouvelle : Toute la ville de Metz
est abattue, mais elle est heureusement abattue aux pieds des confesseurs,
devant les tribunaux de la pénitence qui sont érigés de toutes parts dans ce
temple auguste! Que tardes-tu, ô ville? Renverse-toi par la pénitence; cette
chute te relèvera jusqu'à la gloire éternelle.
1 S. Eucher., homil. De Pœnit. Niniv.,
tom. VI Biblioth. Patr., p. 646.
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