Ursulines Meaux IV
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QUATRIÈME EXHORTATION
AUX  URSULINES  DE  MEAUX (a).

 

J'étais fâché, mes Filles, de n'être pas venu hier solenniser les saints mystères de la Croix avec vous ; mais j'ai l'expérience que tous les jouis sont bons et saints, et que toutes les solennités de l'Eglise ont leurs lumières propres et particulières pour la sanctification des âmes. Ce sont autant d'astres lumineux et d'étoiles brillantes qui ornent l'Eglise, et qui nous illuminent par les influences de leurs lumières. Je trouve heureusement qu'aujourd'hui se rencontre la fête de sainte Monique, qui est votre modèle, mes Filles, en l'exercice de votre institut, dans son zèle, dans sa charité, dans le soin et la sollicitude qu'elle a eus et par les travaux qu'elle a soutenus, n'épargnant rien pour obtenir et pour procurer la conversion de son fils. Hé ! ne savez-vous pas que ce sont ses soupirs et ses gémissements, ses larmes et ses continuelles prières qui ont enfanté saint Augustin à la grâce? Que voilà une belle idée pour vous conduire dans vos emplois , et dans tout ce que vous avez à faire dans l'instruction des enfants !

Il est vrai que vous ne trouvez pas dans cette jeunesse, qui vous est confiée, les grands crimes qu'avait sainte Monique à combattre et à détruire (b) dans son fils ; quoique cela ne soit pas,

 

(a) Prononcée à la fin de la visite pastorale, le 4 mai 1685. Toujours d'après les indications et le rapport d'une religieuse.

(b) Var. : A combattre et à déraciner.

 

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elles ont néanmoins le principe de tous les vices, par cet héritage funeste que nous tenons d'origine. Notre mère Eve est la première qui a péché : le mal a commencé par une femme ; le péché s'est introduit par votre sexe ; il s'y achève, il s'y perpétue et se dilate dans tous les âges. Cette source maligne se trouve en ces jeunes filles, et se répand dans tout le cours de leur vie. Quand donc vous en voyez d'épanchées, sujettes à discourir, opiniâtres, rebelles, qui se portent à l'oisiveté, et surtout indociles , vous ne sauriez trop gêner celles que vous voyez enclines à ces mauvaises dispositions ; et ce doit être là le sujet de vos larmes et de vos gémissements (a). Vous devez prier et soupirer pour elles devant Notre-Seigneur, sur le préjugé des grands maux qui en peuvent arriver dans la suite : car l'indocilité est le commencement de tous les vices ; et cette charité, qui fait profiter dans le salut, doit non-seulement vous affliger et vous causer des gémissements en la présence de Dieu ; mais il faut encore qu'elle vous anime à travailler fortement pour déraciner jusqu'aux moindres semences du mal, parce que l'efficacité malheureuse du péché se développe avec l'âge.

Vous devez donc, mes Filles, veiller beaucoup sur elles et sur vous-mêmes dans l'exercice de votre institut, lorsque vous y êtes employées, pour faire en sorte qu'elles ne voient rien en vous qu1 ne les porte au bien et qui ne leur persuade la vertu; et surtout ne soyez point oisives devant elles, parce que vous leur devez l'exemple. Je vous recommande très-expressément de ne les point porter à avoir cet air de distinction des modes et des vanités du monde : car de la vanité qui les porte à l'immodestie, on tombe malheureusement dans l'impureté. Je sais bien qu'il y a des parents qui les aiment de la sorte, et qui les veulent voir ce qu'on appelle enjouées, agréables et jolies; mais, je vous prie, n'ayez point de condescendance pour eux, ne les écoutez point, tenez ferme ; et faites-leur entendre que le plus bel ornement d'une fille chrétienne est la modestie, la pudeur et l'humilité. Voilà les dispositions qu'elles doivent avoir sortant de chez vous; voilà ce qu elles doivent apprendre auprès des Epouses de Jésus-Christ et

 

(a) Var. ; Et de votre douleur.

 

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entre leurs mains : c'est de conformer leurs mœurs à la piété et aux maximes du christianisme, pour animer de cet esprit tous les états et toutes les actions de leur vie.

Pour vous, mes Filles, renouvelez-vous dans tous vos bons propos, je vous y exhorte par les entrailles de la miséricorde de Dieu ; renouvelez-vous et souvenez-vous de la sainteté de votre vocation, et pourquoi vous avez quitté le monde : c'a été pour vivre dans la retraite, dans la solitude et de la vie de Jésus-Christ, séparées du tumulte et des embarras (a) du siècle, et pour vous unir à Dieu dans cet heureux état de séparation de toutes les choses d'ici-bas. Mais souvenez-vous aussi que le démon travaille incessamment pour vous perdre (b), et pour détruire en vous l'œuvre de Dieu; et s'apercevant des bons effets qu'a déjà produits la visite, il fera comme il est dit dans l'Evangile (1) : étant sorti d'une demeure qu'il avait occupée, la trouvant nette et purifiée, il se propose d'y revenir; il lui donne de nouvelles attaques, et appelle ses semblables pour user même de violence. Ainsi après avoir été chassé et contraint de s'éloigner de ce lieu par les grâces que Dieu vous a conférées par notre ministère en cette visite, voulant s'approcher encore de cette maison qu'il avait tâché de troubler et d'inquiéter ci-devant par ses ruses, la trouvant, dis-je, maintenant dans le repos et dans le calme, ornée et parée, cet ennemi de la paix viendra, n'en doutez point, mes Filles, pour attaquer derechef la place. Cet ennemi (c) de votre salut redoublera ses suggestions, et fera tous ses efforts pour y rentrer par de nouvelles batteries.

Veillez donc et priez de peur de la tentation, car la chair est infirme : craignez, mes Sœurs, ce serpent qui entre et qui s'insinue par les sens, en glissant son venin malicieusement et imperceptiblement; défiez-vous de cet esprit rusé, ce n'est qu'un trompeur. Il vous dira comme à nos premiers païens : « Vous serez comme des dieux (2); » mais ne l'écoutez pas, ne vous laissez pas séduire. Car que prétend ce malin par ce langage, sinon de vous faire raisonner, de vous faire présumer et de vous élever, en vous

 

(a) Var. : Du tumulte et des emplois. — (b) A votre perte. — (c) Adversaire.

1 Matth., XII, 43 et seq. — 2 Genes., III, 5.

 

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persuadant ce qui serait contraire à la soumission et à la docilité? Il vous portera à vous imaginer que vous pouvez bien vous dispenser de cette humble obéissance, et de tant de renoncements à vous-mêmes. Vous serez comme des dieux : je veux dire qu'il vous fera croire que vous êtes au-dessus de tout, que vous avez des lumières, de bonnes raisons: tout cela tendra à vous jeter dans l'indépendance. Ne croyez point ce tentateur ; ne vous laissez point séduire par les suggestions de ce serpent. Non, mes Filles, ce n'est point comme des dieux que vous devez être; c'est comme Jésus-Christ humilié et obéissant; c'est comme Jésus-Christ souffrant et crucifié qu'il faut que vous soyez : ce doivent être là toutes vos prétentions, tous vos désirs ne doivent vous élever qu'à tendre sans cesse à vous rendre en tout semblables à lui par les humiliations (a) de la croix. L'ennemi de votre bien pourra même vous dire, pour vous décevoir et pour vous tromper : « Vous ne mourrez pas (1) ; » non, non, vous ne mourrez pas : ce n'est pas là grande chose, ce ne sera pas là un péché mortel (b) : quand je me dispenserai de cette soumission parfaite, de cette humble et paisible disposition, ce n'est point là si grande chose. Toutefois sachez, mes Filles, que tout péché volontaire dispose au péché mortel qui tue l’âme, et qu'il ne faut pas qu'une Epouse de Jésus-Christ se livre à aucune infidélité; quand même ce ne serait pas un péché, vous devez appréhender et fuir tout ce qui est capable d'offenser les yeux de votre divin Epoux.

Renouvelez-vous donc aussi, mes Filles, dans l'esprit de votre vocation: souvenez-vous de votre consécration, de l'oblation et du sacrifice de vos vœux de chasteté, de pauvreté et d'obéissance.

Et premièrement la chasteté. La perfection de cette noble (c) vertu est un retranchement général de tous plaisirs des sens. Je n entends pas parler ici de ces vices grossiers qui ne se doivent pas seulement nommer parmi nous, ni de la privation des plaisirs légitimes du monde : mais vous devez surtout la faire consister dans cette pureté intérieure de l’âme, dans cette mortification

 

1 Genes. III, 4.

 

(a) Var. : Dans les abaissements. — (b) Un grand péché. — (c) Belle.

 

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parfaite des sentiments de la nature ; ne souffrir nulle attache ni aucun désir de satisfaire les sens, pas le plus petit plaisir hors de Dieu; et de plus ne souffrir (a) aucun amour étranger, qui puisse partager vos cœurs. Car des épouses de Jésus-Christ ne le doivent jamais partager ni diviser pour la créature. Ce cœur est à lui : vous le lui avez donné tout entier lorsque vous vous êtes consacrées à son service. Fuyez donc, mes Filles, et ayez en horreur ces amitiés qui le divisent. Evitez comme un très-grand mal ces liaisons particulières ; fuyez comme la peste les partialités, ces liens particuliers qui vous désunissent du général; c'est à quoi vous devez penser sérieusement. Qu'il n'y en ait donc point entre vous, mes Filles, à l'avenir, si vous voulez être parfaitement à Jésus-Christ votre Epoux.

Le vœu de pauvreté vous oblige premièrement à être pauvres en commun; c'est-à-dire, mes Filles, qu'il faut que vous ménagiez toutes le bien de la communauté, prenant garde à ne le point consommer sans véritable besoin. Que toutes aient le nécessaire, mais rien de superflu et d'inutile, non point par épargne ni par une avarice sordide, mais par un esprit de pauvreté et de vrai dénuement intérieur, qui vous fasse passer légèrement sur les choses de la vie humaine et qui vous rende fidèles à ne vous y pas répandre et attacher, mais plutôt à vous en dégager pour l'amour de Jésus-Christ, en qui vous avez toutes choses. Que l'esprit de cette humble pauvreté soit donc parmi vous : ayez soin de ne rien perdre, de ne rien dissiper et de ne rien laisser gâter. Epargnez le bien de la maison, parce que vous êtes des pauvres, et parce que c'est le bien de Dieu, dont il vous donne l'usage seulement pour votre besoin, et non pour vous permettre aucunes superfluités ni satisfactions inutiles. Les gens pauvres ne portent leurs pensées qu'aux choses expressément nécessaires dans leur état d'indigence, où nous voyons que le moindre déchet leur est de conséquence. Dans un triste ménage, un pot cassé est une perte considérable. Souvenez-vous donc, mes Filles, que vous êtes des pauvres et que vous devez par conséquent ménager le bien de la religion, qui appartient à Dieu; et qu'étant les Epouses

 

(a) Var. : Ne conserver.

 

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de Jésus-Christ pauvre, vous devez chérir sa pauvreté. Il y a des occasions qui sont de légitimes objets de libéralité et où la piété l'inspire, comme la charité envers les pauvres, le soulagement misérables et des affligés, et encore le zèle pour la décoration mils autels, selon les moyens que Dieu en donne.

Mais il y a une seule chose, mes Filles, où vous devez toujours être libérales : c'est envers vos pauvres Sœurs infirmes et malades. Il ne faut point craindre ici de l'être trop à leur égard, puisque vous devez même prévenir jusqu'à leurs petits besoins pour éviter les sujets de plaintes et de murmures, quoiqu'il faille toujours mortifier la nature; mais quand elle est surchargée et accablée par la maladie, c'est alors qu'il faut la soulager avec douceur et charité, sans rien négliger ni épargner pour son soulagement. Toutefois il ne faut pas avoir égard aux petites délicatesses : il ne faut rien accorder à la nature, mais tout au besoin. Estimez donc, mes Filles, les malades; aimez-les, respectez-les et les honorez, comme étant consacrées par l'onction de la croix et marquées du caractère de  Jésus-Christ souffrant. Comme il faut représenter les vrais besoins à la mère supérieure, c'est à elle aussi à y pourvoir charitablement; mais il se faut abandonner, et se dégager des trop grands empressements de la nature. Faites état, mes Filles, de la pauvreté que vous avez vouée et que vous professez; aimez-la, même dans le temps de la maladie; et partout accoutumez-vous à faire tous les jours une circoncision spirituelle , qui vous fasse éviter l'inutilité et retrancher le superflu. C'est à quoi vous devez tendre, et ce que votre saint état vous demande et vous prescrit.

Pour ce qui est de l'obéissance, c'est le fondement solide de la vie religieuse. C'est en cette vertu, mes Filles, où l'on trouve la joie, la paix véritable du cœur et la sûreté entière dans l'état que vous avez embrassé. Ainsi vous devez mettre en cette vertu toute votre perfection. De plus vous devez y trouver le repos de vos âmes, et chercher en elle un véritable contentement. Car hors de là vous ne rencontrerez qu'incertitude, qu'égarement et que trouble. Reposez-vous donc, mes Filles, entièrement sur l'obéissance , et regardez-la toujours comme le principe de votre avancement

 

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et de votre salut. Obéissez à vos supérieurs avec un esprit de douceur, d'humilité et de soumission parfaite, sans murmure ni chagrin. En toutes choses soumettez votre jugement à celui de l'obéissance, avec une entière docilité, ne donnant point lieu à votre esprit propre de raisonner et de réfléchir sur ce que les supérieurs vous ordonnent et sur les dispositions qu'ils font de vous. Obéissez-leur comme à Jésus-Christ : cherchez, mes Filles, la paix et le repos dans l'obéissance; vous ne la trouverez pas ailleurs.

Je vous l'ai dit au commencement, et je vous le dis encore : soyez soumises, soyez dociles et parfaitement résolues de travailler à votre perfection ; vous y devez tendre et aspirer incessamment par la fidélité en la pratique de ces vertus. C'est votre état qui vous y oblige expressément, pour remplir dignement les devoirs de votre vocation, et vous acquitter de vos promesses et de vos vœux. Voilà l'unique désir que vous devez avoir : votre salut en dépend. Car rarement, faites attention à ceci, fait-on son salut en religion, si on ne tend à la perfection? Non, je ne crois pas; et ce n'est point mon opinion qu'une religieuse se sauve quand elle n'est point dans la résolution de tendre à cette perfection, quand elle n'y aspire point, et qu'elle n'y veut point travailler. Portez-y donc, mes Filles, tous vos désirs, aspirez-y de tout votre cœur; travaillez-y sans relâche jusqu'à la mort : envisagez toujours le plus parfait; ayez à cœur de garder les plus petites règles, sans toutefois trop de scrupule. Attachez-vous aux pratiques solides qui conduisent à la perfection, et non pas à ces craintes scrupuleuses qui ne sont point la véritable vertu. Ne craignez point de vous soumettre à certains petits soulagements, aux jours de jeune, que l'obéissance ordonne de prendre à celles qui sont dans l'emploi de l'institut. Ce n'est pas pour satisfaire la nature que l'on désire cela et qu'on vous l'ordonne, mais pour soulager et subvenir à la faiblesse et pour mieux supporter la fatigue et le travail de l'instruction. Vos règles sont bien faites; elles ont été examinées et approuvées : celles qui vous ont précédées en ont usé de même. Allez en esprit de confiance ; marchez avec sûreté en obéissant, et quittez ces appréhensions frivoles : je vous décharge

 

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de toutes ces vaines craintes; je lève tous les scrupules : ce n'est point sur ces sujets que vous devez tant craindre, mais vous devez toujours appréhender la négligence en l'acquit de vos devoirs. Estimez et embrassez toutes les pratiques de la vie religieuse avec ferveur et amour. Car toutes ces choses vous conduiront infailliblement à la plus haute perfection : ce sont des degrés qui vous y doivent acheminer tous les jours. C'est dans l'exacte observance de vos vœux et de vos règles, où vous devez faire consister toute votre perfection. Ce n'est pas dans ces entretiens, ni dans ces belles paroles, ni même dans ces sublimes contemplations, vaines et apparentes, qu'elle consiste: non, ce n'est point dans toutes ces élévations de l'esprit, mais elle est uniquement et très-assurément dans la pratique d'une profonde humilité et parfaite obéissance.

Croyez-moi, mes Filles, et ne pensez donc plus qu'à votre perfection. Laissez-vous conduire sans résistance, je vous en conjure par les entrailles de la miséricorde de Dieu. Jusqu'à présent je ne vous ai parlé qu'avec douceur, charité, bénignité et miséricorde : je n'ai fait peine à personne ; j'ai tout ménagé, tout épargné ; j'ai même tout pardonné et tout oublié. Je n'ai point voulu faire confusion à personne ; il n'y en a pas une qui puisse se plaindre d'avoir été traduite devant les autres; personne ne peut dire qu'on ait diminué sa réputation , ni qu'on l'ait déshonorée en la présence de ses Sœurs. Mais que dis-je, déshonorée? Serait-ce un déshonneur pour une religieuse, de lui faire trouver et pratiquer l'humilité? Bien loin donc de reprendre et corriger personne, je vous ai toutes mises à couvert jusqu'à présent; j'ai usé de toutes sortes de douceur : mais si à l'avenir il y en avait, à Dieu ne plaise ! quelques-unes indociles, désobéissantes à nos ordres, rebelles à nos lois, et qui ne fussent pas disposées à profiter de notre douceur et bénignité , qu'elles prennent garde d'irriter la colère de Dieu et de nous contraindre de changer notre première douceur en sévérité et en rigueur ; qu'elles ne nous obligent pas à exercer sur elles la puissance ecclésiastique. Nous savons le pouvoir que l'Eglise nous donne par notre autorité épiscopale : nous n'ignorons pas que Dieu nous met en main cette puissance de

 

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l'Eglise , pour châtier les esprits rebelles et pour leur faire sentir

toute sa sévérité.

Voulez-vous, disait saint Paul à des gens opiniâtres (1), que je vienne à vous avec la verge en main et en esprit de rigueur, ou bien avec douceur et suavité? J'en dis de même; si vous m'obligez de prendre cette verge de correction, cette verge, dis-je, qui est capable de confondre, d'abattre et d'écraser en vous anéantissant jusqu'au centre de la terre. Lorsque nous sommes contraints d'en frapper les désobéissants et contumaces et d'exercer ce pouvoir redoutable , cela est capable de faire trembler, et je frémis moi-même quand j'y pense ; car c'est le commencement du jugement de Dieu, et même c'est l'exécution de la sentence qu'il prononcera intérieurement contre une âme rebelle et indocile. Au nom de Dieu, mes Filles , ne me contraignez pas de vous traiter de la sorte ; soyez dociles et parfaitement soumises à toutes nos ordonnances ; ne méprisez pas la grâce ; ne l'outragez point indignement : prenez-y garde, mes Sœurs. Quoi ! serait-il possible qu'il y en eût quelqu'une de vous qui voulût nous percer le cœur et en même temps le sien, et me navrer de douleur par sa perte et sa rébellion? Ne me donnez pas ce déplaisir, et celui de me voir obligé d'accuser et citer au jugement de Dieu celles qui n'auraient point fait profit de nos paroles et de nos instructions. Pour éviter ce malheur, gravez-les, je vous conjure, au milieu de vos cœurs et de votre esprit ; imprimez-les dans votre âme et généralement dans toute votre conduite intérieure et extérieure , et ne les oubliez jamais. Croyez, mes Filles, que tous nos soins, nos peines, nos veilles, nos sollicitudes, nos regards, nos paroles et enfin toutes nos actions sont formées et animées par l'esprit et la charité de Jésus-Christ, qui réside en nous par la dignité de notre caractère et sortent même des entrailles de la miséricorde de Dieu, pour vous conférer la grâce à laquelle il faut que vous soyez fidèles ; en sorte que vous ne pensiez plus qu'à servir Dieu avec tranquillité et perfection.

Ainsi, mes Filles, à présent que vous m'avez toutes déchargé vos cœurs, soyez en paix; et comme je vous disais au commencement

 

1 I Cor., IV, 21.

 

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de cette visite, que tout ce que vous me diriez ma conscience en demeurerait chargée; au contraire ce que vous me tairiez vous en demeureriez chargées vous-mêmes : vous y avez tout déposé, vous m'avez parlé toutes avec simplicité et ouverture de cœur. Demeurez à présent paisibles, soumises et dans la douceur, comme de véritables servantes de Dieu. Je vous puis rendre ce témoignage , pour votre consolation, qu'il y a dans cette maison de bonnes âmes qui ont de la vertu , qui veulent la perfection et désirent beaucoup de se renouveler encore. Vivez donc en repos et dans le silence : ayez un soin et une vigilance toute spéciale de vous avancer de jour en jour dans les plus hautes vertus : marchez à grands pas à la perfection de votre état. Si vous continuez, mes Filles, dans les bonnes dispositions où je vous vois toutes, vous serez vraiment ma joie, ma consolation et ma couronne au jour du Seigneur. Voilà, mes chères Filles, ce que j'attends et espère de vous. Donnez-moi cette consolation, respectez-vous les unes les autres : je vous le dis et vous le recommande derechef. Car enfin, mes Filles, vous êtes l'ornement de l'Eglise, vous en faites la plus belle partie, vous êtes la portion et le troupeau de Jésus-Christ. Ne dégénérez pas de ces nobles et sublimes dignités ; ne démentez pas aussi cette qualité si auguste d'être les Epouses de Jésus-Christ ; ne déshonorez pas votre mère la sainte Eglise, et ne blessez pas le cœur de son Epoux, qui serait percé de douleur s'il ne vous voyait pas tendre (a) à la pratique des vertus solides.

Après vous avoir exhortées à la perfection de votre état, comme j'y suis obligé par mon ministère, quoiqu'en perfectionnant les autres nous nous laissions tomber malheureusement tous les jours dans des fautes et qu'en veillant sur autrui nous ne prenions pas assez garde à nous-mêmes, je vous dirai comme saint Paul que je crains qu'après avoir enseigné et prêché les autres, je ne sois moi-même condamné de Dieu (1). Demandez donc pour moi sa miséricorde, dont j'ai tant de besoin pour opérer mon salut, afin Que je ne sois pas jugé au dernier jour à la rigueur. Je m'en vais,

 

1  Cor., IX, 27.

 

(a) Var. : Aspirer.

 

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mais ce ne sera pas pour longtemps ; et si les affaires de l'Eglise m'obligent à m'éloigner un peu de vous, c'est par nécessité ; et je puis dire avec saint Paul que si je m'absente de corps, je demeure en esprit avec vous (1). Je ne vous oublierai point; vous serez toutes aussi présentes à mon esprit, et encore plus particulièrement de-' puis cette visite que devant.

Mais faites en sorte que j'aie la consolation d'entendre dire à mon retour qu'il n'y a plus dans cette maison qu'un même cœur en l'esprit de Jésus-Christ, par le lien d'une très-étroite charité ; que je ne trouve ici rien de bas, rien de rampant, point d'amusements; en un mot, faites que j'apprenne que l'on a profité de nos avis, de nos instructions et de nos ordonnances. Ah ! que je souhaiterais, mes Filles, que vous pussiez toutes parvenir à cette parfaite conformité que vous devez avoir avec votre Epoux ! Ce serait pour lors que vous seriez remplies d'une abondance de grâces que l'on ne peut pas exprimer. Quelle gloire pour vous d'être ainsi pénétrées de Dieu! Quel bonheur, quelle félicité, quel excès, quelle joie et consolation! Quelle exultation et quel triomphe au jour du Seigneur, auquel vous parviendrez toutes, comme j'espère et désire, par la miséricorde de Jésus-Christ, lequel je prie de vous remplir de grâce en ce monde et de gloire en l'autre; et en son nom je vous bénis toutes.

 

Monseigneur ayant fini son exhortation, étant debout et près de monter au parloir pour revoir en particulier une seconde fois la communauté, dit encore, avant que de nous quitter, ce peu de mots, dignes d'être remarqués :

 

Ressouvenez-vous de la dignité et de l'état de votre profession, de la sainteté de votre vocation et des saintes obligations de votre baptême; et répandez continuellement l'esprit de ces grandes grâces dans toutes vos dispositions intérieures et extérieures.

Ne vous occupez, mes Filles, que de votre perfection , allant toujours en avant vers votre patrie, oubliant les choses qui sont en arrière pour vous hâter de parvenir jusqu'à Jésus-Christ, parce

 

1 I Cor., V, 3.

 

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que la distance est grande et le chemin est long pour arriver à ce terme qui est Jésus-Christ (a).

(a) Déforis dit ici : « A la fin du manuscrit on lit ces paroles : Les vierges sont le fruit sacré de la chasteté féconde des évêques. »

 

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