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TROISIÈME SERMON
POUR
LA FÊTE DE L'ANNONCIATION (a).
Aaloumen sophian Theou en musterio,
ten apokekrummenen, en proorisen o Theos pro taioon eis doxan emoon. En oudeis
ton arkonton tou aionos toutou egnosken.
Vocavit nomen uxoris suae, Heva ; eo quòd mater esset
cunctorum viventium.
Adam donna à sa femme le nom d'Eve, parce qu'elle était la
mère de tous les vivants. Genes., III, 20.
Benedicta tu in mulieribus.
Vous êtes bénie entre toutes les femmes. Luc, I, 29.
C'est un trait merveilleux de
miséricorde, que la promesse de notre salut se trouve presque aussi ancienne que
la sentence de notre mort, et qu'un même jour ait été témoin de la chute de nos
premiers pères et du rétablissement de leur espérance. Nous voyons en la
Genèse, chapitre III, que Dieu en nous condamnant à la servitude, nous
promet en même temps le Libérateur; en prononçant la malédiction contre nous, il
prédit au serpent, qui nous a trompés, que sa tête sera brisée, c'est-à-dire que
son empire sera renversé et que nous serons délivrés de sa tyrannie ; les
menaces et les promesses se touchent, la lumière de la faveur nous paraît (b)
dans le feu même de la colère, afin que nous entendions, chrétiens , que Dieu se
fâche contre nous ainsi qu'un bon père, qui dans les sentiments les plus vifs
d'une juste indignation, ne peut oublier ses miséricordes ni retenir les effets
de sa tendresse. Bien
(a) Prêché vers 1659.
Ce sermon rappelle la première époque dans plusieurs
expressions, telles que celles-ci : « Si nous voulons recevoir l'assistance de
ses oraisons, souffrirons-nous pas? craindrons-nous pas? » etc. D'une autre part
la sobriété des citations, la juste mesure des développements, la vérité des
images, la noblesse du style et l'élévation des pensées présentent les
caractères de la deuxième époque. Il faut donc admettre la date intermédiaire
indiquée tout à l'heure, d'autant plus que l'écriture du manuscrit nous en fait
un devoir.
(b) Var. : Luit.
165
plus, ô incomparable bonté! Adam même qui nous a perdus, et
Eve qui est la source de notre misère, nous sont représentés dans les saintes
Lettres comme des images vivantes des mystères qui nous sanctifient;
Jésus-Christ ne dédaigne pas de s'appeler le nouvel Adam, Marie sa divine mère
est la nouvelle Eve, et par un secret ineffable nous voyons notre réparation
figurée même dans les auteurs de notre ruine.
C'est sans doute dans cette
pensée que saint Epiphane a considéré le passage de la Genèse que j'ai allégué
pour mon texte. Ce grand homme a remarqué doctement au livre III des Hérésies,
que c'est après sa condamnation qu'Eve est appelée Mère des vivants. « Qu'est-ce
à dire ceci, dit saint Epiphane? Elle n'avait pas ce beau nom, lorsqu'elle était
encore dans le paradis; et on commence à l'appeler Mère des vivants, après
qu'elle a été condamnée à n'engendrer plus que des morts ; » qui ne voit qu'il y
a ici du mystère ? Et c'est ce qui fait dire à ce grand évoque « qu'elle est
nommée ainsi en énigme et comme figure de la sainte Vierge, qui est la vraie
Mère de tous les vivants, » c'est-à-dire de tous les fidèles auxquels son
enfantement à rendu la vie.
Chrétiens, enfants de Marie, je
vous prêche aujourd'hui l'accomplissement d'une excellente figure. Cette haute
dignité de Mère de Dieu a des grandeurs trop impénétrables, et ma vue faible et
languissante ne peut soutenir un si grand éclat. Mais si les splendeurs qui vous
environnent, ô Femme revêtue du soleil et couverte de la vertu du Très-Haut,
nous empêchent d'arrêter la vue sur cette éminente qualité de Mère de Dieu qui
vous élève si fort au-dessus de nous, du moins nous sera-t-il permis de vous
regarder en la qualité de Mère des hommes, par laquelle vous condescendez à
notre faiblesse ; et c'est, fidèles, ce que vous verrez avec le secours de la
grâce. Vous verrez, dis-je, que la sainte Vierge par le mystère de cette journée
est faite la Mère de tous les vivants, c'est-à-dire de tous les fidèles; et
cette vérité étant supposée, nous examinerons dans la suite ce qu'exige de ses
enfants cette bienheureuse et divine Mère.
166
PREMIER POINT.
Tertullien explique fort
excellemment le dessein de notre Sauveur dans la rédemption de notre nature,
lorsqu'il parle de lui en ces termes : Le diable s'étant emparé de l'homme qui
était l'image de Dieu, « Dieu, dit-il, a regagné son image par un dessein
d'émulation : » Deus imaginent suam à diabolo captam œmulâ operatione
recuperavit (1). Entendons quelle est cette émulation, et nous verrons que
cette parole enferme une belle théologie. C'est que le diable se déclarant le
rival de Dieu, a voulu s'assujettir son image; et Dieu aussi devenu jaloux se
déclarant le rival du diable, a voulu regagner son image; et voilà jalousie
contre jalousie, émulation contre émulation. Or le principal effet de
l'émulation, c'est de nous inspirer un certain désir de l'emporter sur notre
adversaire dans les choses où il fait son fort et où il croit avoir le plus
d'avantage. C'est ainsi que nous lui faisons sentir sa faiblesse, et c'est le
dessein que s'est proposé la miséricordieuse émulation du Réparateur de notre
nature. Pour confondre l'audace de notre ennemi, il fait tourner à notre salut
tout ce que le diable a employé à notre ruine, il renverse tous ses desseins sur
sa tête, il l'accable de ses propres machines, et il imprime la marque de sa
victoire partout où il voit quelque caractère de son rival impuissant. Et d'où
vient cela? C'est qu'il est jaloux et poussé d'une charitable émulation. C'est
pourquoi la foi nous enseigne que si un homme nous perd, un homme nous sauve ;
la mort règne dans la rare d'Adam, c'est de la race d'Adam que la vie est née;
Dieu fait servir de remède à notre péché la mort qui en était la punition ;
l'arbre nous tue, l'arbre nous guérit; et pour accomplir toutes choses, nous
voyons dans l'Eucharistie qu'un manger salutaire répare le mal qu'un manger
téméraire avait fait. L'émulation de Dieu a fait cet ouvrage.
Et si vous me demandez,
chrétiens, d'où lui vient cette émulation contre sa créature impuissante, je
vous répondrai en un mot qu'elle vient d'un amour extrême pour le genre humain.
Pour relever notre courage abattu, il se plaît de nous faire voir toutes
1 De Carn. Chr., n. 17.
167
les forces de notre ennemi renversées ; et voulant nous
faire sentir que nous sommes véritablement rétablis, il nous montre tous les
instruments de notre malheur miséricordieusement employés au ministère de notre
salut. Telle est l'émulation du Dieu des armées. Et de là vient que nos anciens
Pères voyant, par une induction si universelle, que Dieu s'est résolument
attaché d'opérer notre bonheur par les mêmes choses qui ont été le principe de
notre perte, ils en ont tiré cette conséquence. Si tel est le dessein de Dieu,
que tout ce qui a eu part à notre ruine doive coopérer à notre salut, puisque
les deux sexes sont intervenus en la désolation de notre nature, il fallait
qu'ils se trouvassent en sa délivrance ; et parce que le genre humain est
précipité à la damnation éternelle par un homme et par une femme, il était
certainement convenable que Dieu prédestinât une nouvelle Eve aussi bien qu'un
nouvel Adam, afin de donner à la terre au lieu de la race ancienne qui avait été
condamnée, une nouvelle postérité qui fût sanctifiée par la grâce.
Mais d'autant que cette doctrine
est le fondement assuré de la dévotion pour la sainte Vierge, il importe que
vous sachiez quels sont les docteurs qui me l'ont apprise. Je vous nomme
premièrement le grand Irénée et le grand Tertullien, et croyez que vous entendez
en ces deux grands hommes les deux plus anciens auteurs ecclésiastiques. Donc le
saint martyr Irénée, cet illustre évoque de Lyon, l'ornement de l'Eglise
gallicane, qu'il a fondée par son sang et par sa doctrine, parle ainsi de la
sainte Vierge :« Il fallait, dit-il (1), que le genre humain condamné à mort par
une vierge, fût aussi délivré par une vierge. » Remarquez ces mots : Ut genus
humanum morti adstrictum per virginem, salvaretur per virginem. Et ce
célèbre prêtre de Carthage, je veux dire Tertullien : « Il était, dit-il (1),
nécessaire que ce qui avait été perdu parce sexe, fût ramené au salut par le
même sexe : » Ut quod per ejusmodi sexum abierat in perditionem, per eumdem
sexum redigeretur ad salutem. Et après eux l'incomparable saint Augustin,
dans le livre du Symbole aux catéchumènes : « Par une femme la mort, nous
dit-il, et par une femme la vie ; par Eve la ruine, par Marie le salut : »
1 Contr. Hœres., lib. V, cap. XIX. — 2 De Carn.
Chr., n. 17.
168
Per fœminam mors, per fœminam vita;
per Evam interitus, per Mariam salus (1).
Tous les autres ont parlé dans le même sens ; et de là il est aisé de conclure
que de même que le Sauveur prend le titre de second Adam, Marie sans difficulté
est la nouvelle Eve : d'où il s'ensuit invinciblement que de même que la
première Eve est la mère de tous les mortels, la seconde qui est Marie est la
mère de tous les vivants selon la pensée de saint Epiphane, c'est-à-dire de tous
les fidèles.
Et certainement, chrétiens,
cette doctrine si sainte et si ancienne n'est pas une invention de l'esprit
humain, mais un secret découvert par l'esprit de Dieu ; et afin que nous en
demeurions convaincus, conférons exactement Eve avec Marie dans le mystère que
nous honorons aujourd'hui, et considérons en nous-mêmes cette merveilleuse
émulation du Dieu des armées et les conseils impénétrables de sa providence dans
la réparation de notre nature.
L'ouvrage de notre corruption
commence par Eve, l'ouvrage de la réparation par Marie; la parole de mort est
portée à Eve, la parole de vie à la sainte Vierge ; Eve était vierge encore, et
Marie est Vierge; Eve encore vierge avait son époux, et Marie la Vierge des
vierges avait son époux ; la malédiction est donnée à Eve, la bénédiction à
Marie : « Vous êtes bénite entre toutes les femmes (2) ; » un ange de ténèbres
s'adresse à Eve, un ange de lumière parle à Marie ; l'ange de ténèbres veut
élever Eve à une fausse grandeur, en lui faisant affecter la divinité : « Vous
serez comme des dieux, lui dit-il (3); » l'ange de lumière établit Marie dans la
véritable grandeur par une sainte société avec Dieu : « Le Seigneur est avec
vous, lui dit Gabriel (4); » l'ange de ténèbres parlant à Eve lui inspire un
dessein de rébellion : « Pourquoi est-ce que Dieu vous a commandé de ne point
manger de ce fruit si beau (5)? » l'ange de lumière parlant à Marie lui persuade
l'obéissance : « Ne craignez point, Marie, lui dit-il, et, rien n'est impossible
au Seigneur (6). » Eve croit au serpent, et Marie à l'ange : de cette sorte, dit
Tertullien (7), une foi pieuse efface la faute d'une téméraire crédulité ,
1 De Symb. ad Catechum., serm.
III, cap. IV. — 2 Luc, I, 42. — 3 Genes.,
III, 5.— 4 Luc., I, 28.— 5 Genes., III, 4.— 6 Luc,
I, 30, 37. — 7 De Carne Chr., n. 17.
169
et « Marie répare en croyant à Dieu ce qu'Eve a gâté en
croyant au diable : » Quod illa credendo deliquit, hœc credendo delevit.
Et pour achever le mystère , Eve séduite par le démon est contrainte de fuir
devant la face de Dieu; et Marie instruite par l'ange est rendue digne de porter
Dieu : afin, dit l'ancien Irénée (écoutez les paroles de ce grand martyr), «
afin que la vierge Marie fût l'avocate de la vierge Eve : » Ut virginis Evœ
virgo Maria fieret advocata (1).
Après un rapport si exact, qui
pourrait douter que Marie ne fût l'Eve de la nouvelle alliance et la mère du
nouveau peuple ? Non certainement, chrétiens , ce ne sont point les hommes qui
nous persuadent une vérité si constante; c'est Dieu même qui nous convainc par
l'ordre de ses conseils très-profonds, par la merveilleuse économie de tous ses
desseins, par la convenance des choses si évidemment déclarée , par le rapport
nécessaire de tous ses mystères.
Et je ne puis plus ici retenir
les secrets mouvements de mon cœur. Je ne puis que je ne m'écrie avec toute
l'Eglise catholique: O sainte, ô incomparable Marie, nous crions, nous gémissons
après vous, misérables bannis, enfants d'Eve. Car à qui auront leur recours les
enfants captifs d'Eve l'exilée, sinon à la Mère des libres ? Et si telle est la
doctrine des anciens Pères, si telle est la foi des martyrs, que vous soyez
l'avocate d'Eve, ne prendrez-vous pas aussi la défense de sa postérité condamnée
? Si donc Eve inconsidérée nous a présenté autrefois le fruit empoisonné qui
nous tue, est-il rien de plus convenable que nous recevions de vos mains le
fruit de vos bénites entrailles, qui nous donne la vie éternelle? O merveille
incompréhensible des secrets de Dieu! ô convenance de notre foi !
Mais il n'est pas temps encore
de nous arrêter, il faut entrer plus profondément dans une méditation si pieuse
; il faut rechercher dans les Ecritures et dans le mystère de cette journée
quelle est cette fécondité de Marie, qui lui donne tous les chrétiens pour
enfants.
Pour cela nous distinguerons
deux sortes de fécondité : il y a la
1 Cont. Hœr., lib. V, cap. XIX.
170
fécondité de nature; il y a la fécondité de la charité.
C'est la fécondité de nature qui donne les enfants naturels; mais ceux qui ont
entendu l'apôtre saint Paul écrivant ainsi aux Galates (1) : « Mes petits
enfants, que j'enfante encore jusqu'à ce que Jésus-Christ soit formé en vous, »
savent bien que la charité est féconde, et c'est pourquoi saint Augustin dit
souvent que la charité est une mère, Charitas mater est (2).
Et pour porter plus haut nos
pensées, cette double fécondité, que nous voyons dans les créatures, est émanée
de celle de Dieu , qui est la source de toute fécondité, et a duquel, comme dit
l'Apôtre aux Ephésiens (3), toute paternité prend son origine. » La nature de
Dieu est féconde et lui donne dès l'éternité son Fils naturel, égal et
consubstantiel à son Père. Son amour et sa charité est féconde aussi ; et c'est
de là, fidèles, que nous sommes nés avec tous les enfants d'adoption. Or
d'autant que la bienheureuse Marie est la mère du Fils unique de Dieu, je ne
craindrai point de vous dire qu'il faut que le Père céleste ait laissé tomber
sur cette Princesse quelque rayon ou quelque étincelle de sa fécondité infinie.
Car vous m'avouerez qu'il est impossible qu'une créature soit mère de Dieu, si
elle ne participe en quelque manière à cette divine fécondité. Et c'est ce que
l'ange nous fait entendre, lorsqu'il dit que la bienheureuse Marie est couverte
de la vertu du Très-Haut.
Comprenez ceci, chrétiens. Quand
l'ange lui dit qu'elle enfantera : « Et comment cela, répond-elle, puisque j'ai
résolu d'être vierge, » et par conséquent que je suis stérile? Sur quoi l'ange
lui repartit aussitôt, « que la vertu du Très-Haut l'environnerait.»
C'est-à-dire, Ne craignez point, ô Marie, que la stérilité bienheureuse que
votre virginité vous apporte vous empêche de devenir mère ; « la vertu du
Très-Haut vous couvrira toute (4) ; » la fécondité du Père éternel, de laquelle
vous serez remplie, tiendra la place et fera l'effet de la fécondité humaine : «
et c'est pourquoi celui que vous concevrez sera nommé le Fils du Très-Haut (5),
» parce que vous le concevrez par une fécondité qui passe la nature et
1 Gal., IV, 19. — 2 In
Epist. Joan., tract. II, n. 4; Enar. in Psal.
CXLVII, n. 14. — 3 Ephes., III, 15. — 4 Luc, I, 34, 35. — 5
Ibid., 32.
171
qui est découlée de celle de Dieu. Marie participe donc en
quelque manière, et autant que le peut souffrir la condition d'une créature, à
la fécondité infinie de Dieu. Et de même qu'il lui a donné quelque écoulement de
sa fécondité naturelle (a) afin qu'elle conçût le vrai Fils de Dieu, je
dis aussi qu'il lui a fait part de la fécondité de son amour pour la rendre mère
de tous les fidèles.
Saint Augustin, dans le livre de
la sainte Virginité : Carne mater capitis nostri, spiritu mater membrorum
ejus ; quia cooperata est charitate ut filii Dei nascerentur in Ecclesià
(1); Elle a coopéré par sa charité à la naissance des enfants de Dieu dans
l'Eglise. Si bien que la chair virginale de la très-pure Marie, remplie de la
fécondité du Très-Haut, a engendré Jésus-Christ son Fils naturel, qui est notre
chef; et sa charité féconde a coopéré à la naissance spirituelle de tous ses
membres, afin qu'il fût vrai, chrétiens, que Marie en qualité de la nouvelle Eve
est la mère de tous les vivants, et unie spirituellement au nouvel Adam en la
chaste et mystérieuse génération des enfants de la nouvelle alliance. Et c'est
peut-être ce que veut dire saint Jean dans un beau passage de l'Apocalypse (2),
où cet apôtre nous représente cette femme revêtue du soleil, qui est sans doute
la sainte Vierge, selon l'interprétation de saint Augustin (3) : il nous
représente, dis-je, cette femme dans les douleurs de l'enfantement : Clamabat
parturiens, et cruciabatur ut pareret (4).
Que dirons-nous ici, chrétiens?
avouerons-nous à nos hérétiques que Marie a été sujette à la malédiction de
toutes les femmes, qui mettent leurs enfants au monde au milieu des gémissements
et des cris? Au contraire ne savons-nous pas qu'elle a enfanté sans douleur
comme elle a conçu sans corruption? Quel est donc le sens de saint Jean, dans
cet enfantement douloureux qu'il attribue à la sainte Vierge? Ne devons-nous pas
entendre, fidèles, qu'il y a deux enfantements en Marie? Elle enfante
Jésus-Christ sans peine; mais elle ne nous enfante pas sans douleur, parce
qu'elle nous enfante par la charité. Et qui ne sait que les empressements
1 De sanct. Virginit.,
n. 6. — 2 Apoc., XII, 1. — 3 De Symbol, ad Catechum., serm. IV,
cap. I. — 4 Apoc., XII, 2.
(a) Var. : Qu'il lui a fait part de sa
fécondité naturelle.
172
de la charité et la sainte inquiétude qui la travaille pour
le salut des pécheurs, est comparée dans les Ecritures aux douleurs de
l'enfantement? Ecoutez l'apôtre saint Paul : Filioli mei, quos iterùm
parturio (1). Tellement que nous pouvons dire que le disciple bien-aimé de
notre Sauveur, qui est lui-même le premier fils de la charité de Marie, nous
veut représenter en mystère l'enfantement spirituel de cette sainte mère que
Jésus lui avait donnée à la croix, afin qu'à l'exemple de ce cher disciple tous
les autres pussent apprendre que par la vertu féconde de la charité, Marie est
la mère de tous les fidèles.
Reconnaissons donc, chrétiens,
cette sainte et divine Mère; voyons dans le mystère de cette journée quelle part
lui donne en notre salut cette charité maternelle. Jésus est notre amour et
notre espérance, Jésus est notre force et notre couronne, Jésus est notre vie et
notre salut. Mais ce Jésus que le Père veut donner au monde pour être son salut
et sa vie, il le donne par les mains de la sainte Vierge. Elle est choisie dès
l'éternité pour être celle qui le donne aux hommes. Cette chair qui est ma
victime tire d'elle son origine, ou emprunte de son sacré flanc le sang qui a
purgé mes iniquités. Et ce n'est pas assez au Père céleste de former dans les
entrailles de la sainte Vierge le trésor précieux qu'il nous communique (a)
: il veut qu'elle coopère par sa volonté à l'inestimable présent qu'il nous
fait. Car comme Eve a travaillé à notre ruine par une action de sa volonté, il
fallait que la bienheureuse Marie coopérât de même à notre salut. C'est pourquoi
Dieu lui envoie un ange ; et l'incarnation de son Fils, ce grand ouvrage de sa
puissance, ce mystère incompréhensible qui tient depuis tant de siècles le ciel
et la terre en suspens, ce mystère, dis-je, ne s'achève qu'après le consentement
de Marie, tant il a été nécessaire au monde que Marie ait désiré son salut.
Mais ne croyons pas, chrétiens,
que ses premiers désirs se soient refroidis. Ah ! elle est toujours la même pour
nous, elle est toujours bonne, elle est toujours mère. Cet amour de notre salut
vit encore en elle, et il n'est ni moins fécond, ni moins efficace, ni
1 Galat., IV, 19.
(a) Var. ; Que Marie ait donné Jésus-Christ
au monde.
173
moins nécessaire qu'il était alors. Car Dieu ayant une fois
voulu que la volonté de la sainte Vierge coopérât efficacement à donner
Jésus-Christ aux hommes, ce premier décret ne se change plus, et toujours nous
recevons Jésus-Christ par l'entremise de sa charité. Pour quelle raison? C'est
parce que cette charité maternelle qui fait naître, dit saint Augustin, les
enfants de l'Eglise, ayant tant contribué au salut des hommes dans l'incarnation
du Dieu Verbe, elle y contribuera éternellement dans toutes les opérations de la
grâce qui ne sont que des dépendances de ce mystère.
Donc, mes Frères, dans tous vos
desseins, dans toutes vos difficultés, dans tous vos projets, recourez à la
charité de Marie. Etes-vous traversés, allez à Marie ; si les tempêtes des
tentations se soulèvent, élevez vos cœurs à Marie. Si la colère, si l'ambition,
si la convoitise vous troublent, pensez à Marie, implorez Marie (1). Ses prières
toucheront le cœur de Jésus, parce que le cœur de Jésus est un cœur de fils,
sensible à la charité maternelle. Et que n'attendrons-nous point de Marie, par
laquelle Jésus même s'est donné à nous? « Mais si nous voulons, nous dit saint
Bernard (2), recevoir l'assistance de ses oraisons, suivons les leçons de sa
vie. » Et que choisirons-nous dans sa vie? Suivons toujours les mêmes principes
: entendons que notre ruine étant un ouvrage d'orgueil, le mystère qui nous
répare devait être l'œuvre de l'humilité ; et afin que nous évitions la
malédiction de la rébellion orgueilleuse d'Eve, obéissons avec Marie pour être
les véritables enfants de cette Mère commune de tous les fidèles. C'est ce que
j'ai à vous exposer en peu de paroles pour le fruit de cet entretien.
SECOND POINT.
Oui, fidèles, il est véritable
que le mystère que nous honorons est l'ouvrage de l'humilité, et il importe à
l'édification de nos âmes que nous méditions quelque temps cette vérité
chrétienne. Considérez donc attentivement qu'encore crue la toute-puissance de
Dieu lui fournisse des moyens infinis d'établir sa gloire, néanmoins il ne peut
la porter plus haut que par celui de l'humilité ;
1 S. Bern., sup. Missus, hom. II,
n. 17. — 2 Append. Oper. S. Bernard., in Salve Regina, serm. I, n. 1.
174
tellement que par un secret merveilleux le plus haut degré
de sa gloire se trouve joint nécessairement à l'humilité, et la preuve en est
bien aisée par le mystère que nous célébrons. Le plus grand ouvrage de Dieu,
c'est de s'unir personnellement à la créature comme il a fait dans l'incarnation
; et sa toute-puissance qui n'a point de bornes, ne pouvait rien faire de plus
relevé que de donner au monde un Dieu-Homme. Si donc c'est là son plus grand
ouvrage, c'est aussi par conséquent sa plus grande gloire. Or ce miracle si
grand et si magnifique, Dieu ne le pouvait faire qu'en se rabaissant selon ce
que dit l'apôtre saint Paul, qu'il s'est anéanti en se faisant homme. Donc
l'ouvrage le plus glorieux d'un Dieu tout-puissant ne pouvait jamais être fait
que par le moyen de l'humilité (a), et voyez combien est extrême l'amour
que Dieu a pour cette vertu. Car ne la pouvant trouver en lui-même et en sa
propre nature, il l'a cherchée dans une nature étrangère. Cette nature
infiniment abondante ne refuse pas d'aller à l'emprunt, afin de s'enrichir de
l'humilité. C'est pourquoi le Fils de Dieu se fait homme, afin que son Père voie
en sa personne un Dieu soumis et obéissant. Et de là vient que le premier acte
qu'il fit, ce fut un acte d'obéissance. Qui est-ce qui nous l'apprend? C'est
l'Apôtre, qui nous assure qu'en entrant au monde Jésus-Christ parla ainsi à son
Père : « Puisque les holocaustes ne vous plaisent pas, je viens au monde
moi-même pour accomplir votre volonté « (1). N'est-ce pas afin que nous
entendions que ce qui tire du plus haut des cieux le Verbe de Dieu, c'est un
dessein d'humilité et d'obéissance ?
Mais où est-ce qu'on verra la
première fois cet auguste, cet admirable spectacle d'un Dieu soumis et obéissant
(b) ? Ah ! ce sera dans les entrailles de la sainte Vierge ; ce sera le
temple , ce sera l'autel, où Jésus-Christ consacrera à son Père les premiers
vœux de l'obéissance. Et d'où vient, ô divin Jésus, que vous choisissiez
l'humble Marie, afin d'être le temple sacré où vous rendrez à votre Père céleste
les premières adorations par un acte d'humilité
1 Hebr., X, 5, 6, 7.
(a) Var. : Que par l'humilité. — (b) Mais, ô
divin acte d'obéissance par lequel Jésus-Christ commence sa vie, nouveau
sacrifice d'un Dieu soumis, en quel temple serez-vous offert au Père éternel ?
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si profonde ? C'est à cause, dit-il, que ce divin temple
est bâti sur l'humilité, sanctifié par l'humilité. Car l'humilité du Verbe fait
chair a voulu que l'humilité préparât son temple, et il n'y a point pour lui de
demeure au monde, sinon celle que l'humilité aura consacrée.
Et voulez-vous voir, chrétiens,
que c'est l'humilité de Marie qui attire aujourd'hui Jésus-Christ des cieux,
lisez attentivement l'Evangile. Marie ne parle que deux fois à l'ange dans
l'entretien qu'il lui fait, et Dieu a voulu qu'en ces deux réponses nous
vissions paraître dans un grand éclat deux vertus d'une beauté souveraine et
capable de charmer le cœur de Dieu même. L'une, c'est sa pureté virginale ;
l'autre , son humilité très-profonde. Gabriel aborde Marie; il lui annonce
qu'elle concevra le Fils du Très-Haut, le Roi et le Libérateur d'Israël. Qui
pourrait s'imaginer , chrétiens, qu'une femme put être troublée d'une si
heureuse nouvelle? Quelle espérance plus glorieuse lui peut-on donner ? Quelle
promesse plus magnifique ? Mais quelle assurance plus grande, puisque c'est un
ange qui lui parle de la part de Dieu? Elle craint toutefois, elle hésite, peu
s'en faut qu'elle ne réponde que la chose ne se peut faire : « Comment cela se
fera-t-il, puisque je ne veux connaître aucun homme (1)? » O pureté vraiment
virginale, qui n'est pas seulement à l'épreuve de toutes les promesses des
hommes, mais encore de toutes celles de Dieu ! Qu'attendez-vous, ô Verbe, divin
amateur des âmes pudiques? Quand est-ce que vous viendrez sur la terre, (a)
si cette pureté ne vous y attire? Attendez, attendez, dit-il; mon heure n'est
pas encore arrivée. En effet l'ange répond à Marie : « Le Saint-Esprit
surviendra en vous (2). » Il surviendra ? Il n'est donc pas encore venu. Voilà
la première parole de la sainte Vierge, qui est celle de la pureté.
Ecoutez maintenant son autre
parole : « Je suis la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon ta parole
(3). » Qui est-ce qui parle ici, chrétiens? C'est l'humilité, c'est
l'obéissance. Elle ne s'élève pas par sa nouvelle dignité, elle ne se laisse pas
emporter à la
1 Luc., I, 34. — 2 Ibid., 35. — 3 Ibid.,
38.
(a) Note marg. ; Qu'est-ce qui vous fera
venir sur la terre?
176
joie , elle déclare seulement son obéissance. Et aussitôt
les cieux sont ouverts, tous les torrents des grâces tombent sur Marie,
l'inondation du Saint-Esprit la pénètre toute ; le Verbe se revêt de son sang
très-pur, et il emprunte d'elle ce sang pour le lui rendre un jour en la croix.
Celui qui se donne à tous les hommes veut que Marie le possède seule neuf mois
tout entiers, c'est qu'il aime converser avec les humbles. Le Père la couvre de
sa vertu ; et la faisant la Mère de son Fils unique, il la tire au-dessus de
toutes les créatures pour l'associer en quelque façon à sa génération éternelle
; ce Fils qu'il engendre toujours dans son sein , parce qu'il est si grand et si
immense qu'il n'y a que l'infinité du sein paternel qui soit capable de le
contenir , il l'engendre dans le sein de la sainte Vierge. Et comment se peut
faire un si grand miracle ? C'est que l'humilité l'a rendue capable de contenir
l'immensité même. Voyez donc que l'humilité est la source de toutes les grâces,
et qu'elle seule peut attirer Jésus-Christ en nous.
Ah ! je ne m'étonne pas,
chrétiens, si Dieu paraît si fort éloigné des hommes et s'il retire de nous ses
miséricordes. Ah ! c'est que l'humilité est bannie du monde. Car, fidèles , si
nous étions humbles, aimerions-nous tant les honneurs du siècle , que Jésus a
tellement méprisés ? Si nous étions vraiment humbles, souffririons-nous pas les
injures avec patience? et nous y sommes si délicats ! Et si nous étions vraiment
humbles, voudrions-nous rabaisser les autres pour bâtir sur leur ruine notre
estime propre? Et pourquoi donc tant de médisances ? Et si nous étions vraiment
humbles, craindrions-nous pas les rencontres dans lesquelles nous savons assez
par une expérience funeste que notre intégrité fait toujours naufrage ? Et nous
allons aux occasions du péché, nous nous jetons au milieu des périls comme si
nous étions impeccables. Combien notre orgueil est grand ! Il a fallu pour le
guérir l'humilité d'un Dieu, et encore l'humilité d'un Dieu ne peut nous
apprendre l'humilité.
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