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QUATRIÈME SERMON
POUR
LA FÊTE DE L'ANNONCIATION (a).
Creavit Dominus novum super terram : Foemina circumdabit
virum.
Le Seigneur a créé une nouveauté sur la terre : Une femme
concevra un homme. Jerem., XXXI, 22.
De ce grand et épouvantable
débris où la raison humaine ayant fait naufrage, a perdu tout d'un coup toutes
ses richesses et particulièrement la vérité pour laquelle Dieu l'avait formée,
il est resté dans l'esprit des hommes un désir vague et inquiet d'en découvrir
quelque vestige, et c'est ce qui a fait naître dans tous les hommes un amour
incroyable de la nouveauté (b). Cet amour de la nouveauté paraît au monde
en plus d'une forme, exerce les esprits de plus d'une sorte. Il se contente de
pousser les uns à ramasser dans un cabinet mille raretés étrangères ; et les
autres, qu'il
(a) Exorde. — Amant de la nouveauté, naturel
dangereux. Ave.
Deux nouveautés : Le Souverain se fait un maître, l'Unique
se donne des compagnons.
Premier point. — Premier acte du Fils de Dieu est un
acte d'humilité. L'humilité en Marie attire le Fils de Dieu plus que la pureté.
Preuve par l'Evangile.
Second point. — Solitude de Dieu (Tertullien).
Ce Dieu unique se fait des compagnons : Semen Abrahœ
apprehendit, malgré l'éloignement.
Tout ce qui a contribué à notre ruine, employé à notre
salut.
Ad te clamamus, exules filii Evœ.
Prêché probablement dans le Carême de 1660, aux Minimes de
la place Royale.
Le style de l'ouvrage et l'écriture du manuscrit révèlent,
ce me semble, la période intermédiaire qui réunit la première et la deuxième
époque.
Les deux derniers sermons pour l'Annonciation se
ressemblent dans un grand nombre de passages; l'auteur avait le troisième sous
les yeux, lorsqu'il écrivit le quatrième.
Déforis a mêlé ces deux ouvrages pour n'en faire qu'un, et
Lebel a supprimé le second point du dernier. Nous avons suivi fidèlement, dans
cette édition, les manuscrits originaux.
(b) Var. : Et c'est ce qui a porté ensuite
dans le cœur de tous les hommes un amour incroyable de la nouveauté : — et ces
grandes connaissances s'étant retirées, elles ont laissé en leur place une
curiosité infinie qui ne se repaît que de nouveautés.
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trouve plus vifs et plus capables d'invention, il les
épuise (a) par de grands efforts pour trouver ou quelque adresse (b)
inconnue dans les ouvrages de l'art, ou quelque raffinement inusité dans la
conduite des affaires, ou quelque secret inouï dans l'ordre de la nature (c)
; enfin pour n'entrer pas plus avant dans cette matière infinie, je me
contenterai de vous dire qu'il n'est point dans le monde d'appât plus trompeur,
ni d'amusement plus universel, ni de curiosité moins bornée que celle de la
nouveauté (d). Pour guérir cette maladie qui travaille si étrangement la
nature humaine, Dieu nous présente aussi dans son Ecriture des nouveautés
saintes et des curiosités fructueuses, et le mystère de cette journée en est une
preuve invincible. Le Prophète nous en a parlé comme d'une nouveauté surprenante
: Creavit Dominus novum super terram; et comme il prépare nos attentions
à quelque chose d'extraordinaire, il nous oblige plus que jamais à demander par
la Mère le secours du Fils, et d'ailleurs c'est aujourd'hui le jour véritable
d'employer envers cette Vierge la salutation angélique et de lui dire avec
Gabriel, Ave.
Dans cet empressement universel
de toutes les conditions et de tous les âges pour la gloire et pour la grandeur,
il faut avouer, chrétiens, qu'une véritable modération est une nouveauté
extraordinaire, et dont le monde voit si peu d'exemples (e), qu'il la
pourrait justement compter parmi ses raretés les plus précieuses. Mais si c'est
un spectacle si nouveau de voir les hommes se contenir dans leur naturelle
bassesse, ce sera une nouveauté bien plus admirable de voir un Dieu se
dépouiller de sa souveraine grandeur, et descendre du haut de son trône par un
anéantissement volontaire. C'est, Messieurs, cette nouveauté que l'Eglise nous
représente dans le mystère du Verbe fait chair, et c'est ce qui fait dire à
notre Prophète : Creavit Dominus novum super , terram : « Dieu a fait
dans le monde une nouveauté, » lorsqu'il y a envoyé son Fils humilié et anéanti.
(a) Var.: Il les fatigue. — (b)
Quelque route. — (c) Dans la nature. — (d) Je me contenterai de
vous dire du désir de la nouveauté qu'il n'est point,... ni de curiosité moins
bornée. — (e) Et qu'on voit si peu dans le monde.
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Et en effet je remarque dans cet
abaissement du Dieu-Homme deux choses tout à fait extraordinaires (a).
Dieu est le Seigneur des seigneurs, et ne voit rien au-dessus de lui ; Dieu est
unique dans sa grandeur, et ne voit rien autour de lui qui l'égale. Et voici, ô
nouveauté surprenante ! que celui qui n'a rien au-dessus de lui se fait sujet et
se donne un maître ; celui que rien ne peut égaler se fait homme et se donne des
compagnons. Ce Fils dans l'éternité égal à son Père, s'engage à devenir sujet de
son Père ; ce Fils relevé infiniment au-dessus des hommes, se met en égalité
avec les hommes. Quelle nouveauté, chrétiens ! et n'est-ce pas avec raison que
le Prophète s'écrie que Dieu a fait une nouveauté? O Père céleste, ô hommes
mortels, vous recevez aujourd'hui un honneur nouveau dont je ne puis parler sans
étonnement. Père, vous n'avez jamais eu un tel sujet; hommes, vous n'avez jamais
eu un tel associé (b).
Venez, mes Frères, venez tous
ensemble contempler cette nouveauté que le Seigneur a créée aujourd'hui ; mais
en admirant ce nouveau mystère que nous annonce le saint Prophète, n'oublions
pas ce qu'il y ajoute, «qu'une femme concevra un fils, » Fœmina circumdabit
virum; et apprenant de ces paroles mystiques que la bienheureuse Marie a été
appelée en société de cet ouvrage admirable, pour la comprendre dans cette fête
à laquelle nous savons qu'elle a tant de part, disons que ce Dieu, qui se fait
sujet, l'a choisie pour être le temple où il rend à son Père son premier hommage
; et que ce Dieu, qui s'unit aux hommes, l'a choisie comme le canal par lequel
il se donne à eux. Et afin de nous expliquer en termes plus clairs, considérons
attentivement combien Dieu honore cette sainte Vierge, en ce que c'est en elle
qu'il s'anéantit et devient soumis à son Père, c'est ce que nous dirons dans le
premier point; en ce que c'est par elle qu'il se communique et entre en société
avec les hommes, c'est ce que nous verrons dans le second. Et voilà en peu de
paroles le partage de ce discours, pour lequel je vous demande vos attentions.
(a) Var. : Inouïes. — (b) Un tel
compagnon.
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PREMIER POINT.
C'est une vérité assez
surprenante et néanmoins très-indubitable, que dans les moyens infinis que Dieu
a d'établir sa gloire , le plus efficace de tous se trouve joint nécessairement
avec la bassesse. Il peut renverser toute la nature, il peut faire voir sa
puissance aux hommes par mille nouveaux miracles ; mais par un secret
merveilleux il ne peut jamais porter sa grandeur plus haut, que lorsqu'il
s'abaisse et s'humilie. Voici une nouveauté bien étrange, je ne sais si tout le
monde entend ma pensée ; mais la preuve de ce que j'avance paraît bien
évidemment dans notre mystère. Saint Thomas a très-bien prouvé (a) que le
plus grand ouvrage de Dieu, c'est de s'unir personnellement à la créature comme
il a fait dans l'incarnation (1). Et sans m'arrêter à toutes ses preuves, qu'il
vaut mieux laisser à l'Ecole parce qu'elles nous emporteraient ici trop de
temps, il n'y a personne qui n'entende assez que Dieu, dans toute l'étendue de
sa puissance, ne pouvait rien faire de plus relevé que de donner au monde un
Dieu-Homme, un Dieu incarné. Domine, opus tuum (2) : «C'est là, Seigneur,
votre grand ouvrage ; » et je ne crains point d'assurer que vous ne pouvez rien
faire de plus admirable. Que si c'est là son plus grand ouvrage, c'est aussi par
conséquent sa plus grande gloire. Cette conséquence est certaine, parce que Dieu
ne se glorifie que dans ses ouvrages : Gloriabitur Dominus in operibus suis
(3) : « Le Seigneur se glorifie dans ses œuvres. » Or ce miracle si grand et si
magnifique, Dieu ne le pouvait faire qu'en se rabaissant selon ce que dit
l'apôtre saint Paul (4) : « Il s'est lui-même épuisé et anéanti : »
Exinanivit semetipsum, en prenant la forme d'esclave.
Disons donc avec le Prophète :
Dieu a fait une nouveauté. Quelle nouveauté a-t-il faite? Il a voulu porter sa
grandeur en son plus haut point ; pour cela il s'est rabaissé ; il a voulu nous
montrer sa gloire dans sa plus grande lumière : Vidimus gloriam ejus; et
1 III part., quaest. I, art. 1. — 2
Habac., III, 2. — 3 Psal. CIII, 31. — 4 Philip., II, 7.
(a) Var. : Prouve doctement.
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pour cela il s'est revêtu de notre faiblesse (a) :
Et habitavit in nobis, et vidimus gloriam ejus (1). Jamais il ne s'est vu
plus de gloire, parce qu'il ne s'est jamais vu plus de bassesse.
Ne croyez pas, mes Frères, que
je vous prêche aujourd'hui cette nouveauté, pour repaître seulement vos esprits
par une méditation vaine et curieuse. Loin de cette chaire de tels sentiments !
Ce que je prétends par tous ces discours, c'est de vous faire aimer l'humilité
sainte, cette vertu fondamentale du christianisme : je prétends, dis-je, vous la
faire aimer en vous montrant l'amour que Dieu a pour elle. Il ne peut pas
trouver l'humilité en lui-même; car sa souveraine grandeur ne lui permet pas de
s'abaisser, demeurant en sa propre nature; il faut qu'il agisse toujours en
Dieu, et par conséquent qu'il soit toujours grand. Mais-ce qu'il ne peut pas
trouver en lui-même, il le cherche dans une nature étrangère. Celte nature
infiniment abondante ne refuse point d'aller à l'emprunt : pourquoi? Pour
s'enrichir par l'humilité. C'est ce que le Fils de Dieu vient chercher au monde
; c'est pour cette raison qu'il se fait homme, afin que son Père voie en sa
personne un Dieu soumis et obéissant.
Et que ce soit là son dessein,
mes Frères, vous le pouvez aisément juger par le premier acte qu'il fit en
venant au monde au moment de sa bienheureuse incarnation (b). Peut-être
serez-vous bien aises d'apprendre aujourd'hui quel fut le premier acte de ce
Dieu-Homme, quelle fut sa première pensée et le premier mouvement de sa volonté
? Je réponds, et je ne crains point de vous assurer que ce fut un acte
d'obéissance. Par où ai-je appris ce secret? qui m'a découvert ce mystère ?
C'est le grand Apôtre, c'est saint Paul lui-même dans la divine Epître aux
Hébreux (c'est au chapitre X), où il parle ainsi du Fils de Dieu : « Entrant
au monde il a dit : » Ingrediens; voilà, mes Frères, ce que nous
cherchons, ce qu'a dit le Fils de Dieu en entrant au monde ; et par ce qu'il a
dit nous savons ce qu'il pense. Donc entrant au monde il a dit : « Père, les
holocaustes et les sacrifices pour le péché ne vous ont pas plu : »
1 Joan., I, 14.
(a) Var. : De notre bassesse, — (b)
Par le premier acte qu'il fit aussitôt qu'il descendit du ciel en la terre.
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Holocautomata pro peccato non tibi placuerunt ; «
alors j'ai dit : J'irai moi même, » pourquoi? « pour accomplir, ô Dieu, votre
volonté : » Tunc dixi : Ecce venio : in capite libri scriptum est de me, ut
faciam, Deus, voluntatem tuam ». N'est-ce pas nous dire en termes formels
que le premier acte du Fils de Dieu c'est un acte de soumission et d'humilité,
et qu'il est descendu du ciel en la terre pour pratiquer l'obéissance : Ecce
venio, ut faciam, Deus, voluntatem tuam ?
Mais poussons encore plus loin,
et voyons combien Dieu aime l'humilité. O divin acte d'obéissance par lequel
Jésus-Christ commence sa vie, nouveau sacrifice d'un Dieu soumis, en quel temple
serez-vous offert au Père éternel ? où est-ce qu'on verra la première fois cet
auguste, cet admirable spectacle d'un Dieu humilié et obéissant? Ah! ce sera
dans les entrailles de la sainte Vierge ; ce sera le temple, ce sera l'autel où
Jésus consacrera à son Père les premiers vœux de l'obéissance. Et d'où vient, ô
divin Sauveur, que vous choisissez cette Vierge (a) pour être le temple
sacré où vous rendrez à votre Père céleste vos premières adorations avec une
humilité si profonde? C'est l'amour de l'humilité qui l'y oblige, c'est à cause
que ce divin temple est bâti sur l'humilité, sanctifié par l'humilité. Le Verbe
abaissé et humilié a voulu que l'humilité préparât son temple, et il n'y a point
pour lui de demeure au monde sinon celle que l'humilité aura consacrée.
Le voulez-vous voir par
l'Ecriture, renouvelez, Messieurs, vos attentions, pour y voir que l'humilité de
Marie a mis la dernière disposition que le Fils de Dieu attendait, pour établir
sa demeure en ce nouveau temple. Je remarque dans l'évangile de ce jour que,
dans cet admirable entretien de la sainte Vierge avec l'ange, elle ne lui parle
que deux fois. Mais, ô admirables paroles ! Dieu a voulu qu'en ces deux réponses
nous vissions paraître dans un grand éclat deux vertus d'une beauté souveraine
et capables de charmer le cœur de Dieu même : l'une est la pureté virginale,
l'autre une humilité très-profonde.
L'ange Gabriel annonce à Marie
qu'elle concevra le Fils du
1 Hebr., X, 5-7.
(a) Var. : Ces entrailles.
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Très-Haut, le Roi et le Libérateur d'Israël. Qui pourrait
s'imaginer, chrétiens, qu'une femme put être troublée d'une si heureuse nouvelle
? Quelle espérance plus glorieuse lui peut-on donner? quelle promesse plus
magnifique? mais quelle assurance plus grande, puisque c'est un ange qui lui
parle de la part de Dieu? Et néanmoins Marie est troublée, elle craint, elle
hésite, peu s'en faut qu'elle ne réponde que la chose ne se peut faire : «
Comment cela se pourrait-il faire, puisque j'ai résolu de demeurer vierge (a)
?» Quomodò (1) ? Voyez, mes Frères, qu'elle s'inquiète pour sa pureté
virginale. Si je conçois le Fils du Très-Haut, ce me sera à la vérité une grande
gloire ; mais, ô sainte virginité, que deviendrez-vous? je ne puis consentir à
vous perdre. O pureté admirable, qui n'est pas seulement à l'épreuve de toutes
les promesses des hommes, mais encore, et voici bien plus, de toutes les
promesses de Dieu ! Qu'attendez-vous, ô Verbe divin, chaste amateur des âmes
pudiques? Qu'est-ce qui vous fera venir sur la terre, si cette pureté ne vous y
attire? Attendez, attendez, son heure n'est pas encore arrivée, et son temple
n'a pas reçu sa dernière disposition.
En effet l'ange répond à Marie :
« Le Saint-Esprit surviendra en vous : » Spiritus sanctus superveniet in te
(2). Il surviendra, dit-il ; il n'était donc pas encore venu. Telle est (b)
la première parole de la sainte Vierge, qui a été prononcée par la pureté.
Ecoutez maintenant la seconde : Ecce ancilla Domini (3) : « Voici la
servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon ta parole. » Vous voyez (c)
assez de vous-mêmes sans qu'il soit nécessaire que je vous le dise, que c'est
l'humilité qui parle en ce lieu ; voilà le langage (d) de l'obéissance.
Marie ne s'élève pas par sa nouvelle dignité de Mère de Dieu ; et sans se
laisser emporter aux transports d'une joie si juste, elle déclare seulement sa
soumission. Et aussitôt les cieux sont ouverts, tous les torrents des grâces
tombent sur Marie, l'inondation du Saint-Esprit la pénètre toute ; le Verbe se
fait un corps de son sang très-pur ; a le Père la couvre de sa vertu : »
Virtus Altissimi obumbrabit tibi (4) ; et ce Fils qu'il
1 Luc, I, 34. — 2 Ibid.,
35. — 3 Ibid., 38. — 4 Ibid., 35.
(a) Var. : Puisque je ne veux point
connaitre d'homme. — (b) Voilà. — (c) Vous entendez. — (d)
Vous entendez le langage.
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gendre toujours dans son sein , parce qu'il est si grand ,
si immense, si je puis parler de la sorte , qu'il n'y a que l'infinité du sein
paternel qui soit capable de le contenir, il l'engendre dans le sein de la
sainte Vierge. Comment s'est pu faire un si grand miracle? C'est que l'humilité
l'a rendue capable de contenir l'immensité même. C'est à cause de l'humilité, ô
heureuse Vierge, que vous recevez en vous la première celui qui est destiné pour
tout le monde : Ecce Domini mei per tanta retrò sœcula promissum, prima
suscipere mereris adventum (1). Vous devenez le temple d'un Dieu incarné ;
et l'humilité qui vous a remplie lui rend cette demeure si agréable, que par une
grâce particulière il veut que « vous possédiez toute seule, durant l'espace de
neuf mois entiers, le bien commun de tout l'univers : » Spem terrarum, decus
sœculorum, commune mundi gaudium peculiari munere sola possides (2). Tant il
est vrai que l'humilité est la source de toutes les grâces, et qu'elle seule
peut attirer Jésus-Christ en nous.
Ah ! je ne m'étonne pas,
chrétiens, si Dieu paraît si fort éloigné des hommes, ni s'il retire de nous ses
miséricordes : c'est que l'humilité est bannie du monde. Un homme humble, je
l'ai déjà dit, mais il faut le redire encore, un homme retenu et modeste, c'est
une rareté presque inouïe. Eh bien, néant superbe, que faut-il pour te
rabaisser, si un Dieu anéanti n'y suffît pas? Il n'a rien au-dessus de lui, et
il se donne un maître en se faisant homme ; et toi, resserré (a) de
toutes parts dans les chaînes de ta dépendance, tu ne peux prendre un esprit
soumis. Mais peut-être que vous me direz : Je suis si souple, je suis si soumis,
je fais ma cour si adroitement, et je sais si bien m'abaisser. Ah! ne croyez pas
m'imposer par cette apparence modeste. Est-ce que je ne vois pas clairement que
tu ne te soumets que par un principe d'orgueil? Est-ce que je ne lis pas dans
ton cœur que tu ne t'abaisses sous ceux que Ton nomme les tout-puissants (b),
tant la vanité est aveugle, qu'afin de dominer sur les autres? Il faut que
l'orgueil soit enraciné bien profondément dans vos âmes, puisque même vous ne
pouvez vous
1 Euseb., homil. II, De Nativit. Domin. — 2 Ibid.
(a) Var. : Accablé. — (b) Sous les
grandes puissances.
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humilier (a) que par un sentiment d'arrogance. Mais
cette arrogance que vous nous cachez parce qu'elle nuirait à votre fortune, s'il
vient à luire sur vous un petit rayon de faveur, paraîtra bientôt dans toute sa
force.
O cœur plus léger que la paille
! cette prospérité inopinée t'emporte jusqu'à ne pouvoir plus te reconnaitre. Et
comment as-tu si fort oublié et la boue dont tu sors peut-être, et toutes les
faiblesses qui t'environnent? Rentre, ô superbe (b) ! dans ton néant ; et
apprends de la sainte Vierge à ne te pas laisser éblouir par l'éclat et par la
douceur d'une grandeur nouvelle et imprévue. Cette haute dignité de Mère de Dieu
ne fait que l'abaisser davantage ; mais cet abaissement fait sa gloire. Dieu
ravi d'une humilité si profonde, vient lui-même s'humilier dans ses entrailles.
Mais ce n'est pas encore toute sa grandeur. Si ce Dieu résolu de s'anéantir veut
s'anéantir dans Marie (c), ce même Dieu qui veut se donner aux hommes
leur fait ce présent par Marie. C'est ce que j'ai à vous dire dans ce second
point, qui finira bientôt ce discours.
SECOND POINT.
Voici, Messieurs, une nouveauté
qui n'est pas moins surprenante que la première ; et si vous avez été étonnés de
voir un Souverain qui se fait sujet, je crois que vous ne le serez pas moins de
voir l'Unique et l'Incomparable qui se donne des compagnons, et qui entre en
société avec les hommes. Et habitavit in nobis : c'est le mystère de
cette journée. Pour bien entendre cette nouveauté , formez-vous en votre esprit
une forte idée de cette parfaite unité de Dieu, qui le rend infini,
incommunicable et unique en tout ce qu'il est. Il est le seul sage , le seul
bienheureux , Roi des rois, Seigneur des seigneurs, unique en sa majesté,
inaccessible en son trône, incomparable en sa puissance. Les hommes n'ont point
de termes assez énergiques pour parler dignement de cette unité; et voici
néanmoins, Messieurs, des paroles de Tertullien qui nous en donnent, ce me
semble, une grande idée, autant que
(a) Var. : Dans ton âme, puisque même tu ne
t'humilies... — (b) Malheureux! — (c) Par Marie.
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le peut permettre la faiblesse humaine. Il appelle Dieu «
le souverain grand, » Summum magnum: «mais il n'est souverain, dit-il,
qu'à cause qu'il surmonte tout le reste : » Summum Victoriâ suâ constat
(1). « Et ainsi, ne souffrant rien qui l'égale, il laisse tellement au-dessous
de soi tout ce qu'on pourrait mettre à l'égal de lui (a), qu'il se fait
lui-même une solitude par la singularité de son excellence : » Atque ex
defectione œmuli solitudinem quamdam de singularitate prœstantiœ suœ possidens,
unicum est (2).
Voilà une manière de parler
étrange; mais cet homme accoutumé aux expressions fortes, semble chercher des
termes nouveaux pour parler d'une grandeur qui n'a point d'exemple. Est-il rien
de plus majestueux ni de plus auguste que cette solitude de Dieu ? Pour moi, je
me représente, Messieurs, cette majesté infinie toute resserrée en elle-même,
cachée dans ses propres lumières, séparée de toutes choses par sa propre
étendue, qui ne ressemble pas les grandeurs humaines, où il y a toujours quelque
faible, où ce qui s'élève d'un côté s'abaisse de l'autre ; mais qui est de tous
côtés également forte et également inaccessible. Qui ne s'étonnerait donc,
chrétiens, de voir cet Unique, cet Incomparable, qui sort de cette auguste
solitude pour se faire des compagnons, ô nouveauté admirable I et encore quels
compagnons ? Des hommes mortels et pécheurs. Non angelos apprehendit (3)
: « Il ne s'est point arrêté aux anges (b), » quoiqu'ils fussent pour
ainsi dire les plus proches de son voisinage. Il est venu à pas de géant, «
sautant, dit l'Ecriture (4), toutes les montagnes, » c'est-à-dire passant tous
les chœurs des anges ; il a cherché la nature humaine que sa mortalité avait
reléguée au plus bas étage de l'univers, et qui avait encore ajouté
l'éloignement du péché à l'inégalité de la condition : néanmoins il se l'est
unie, apprehendit ; il l'a saisie en l’âme et au corps, il s'est fait une
chair semblable à la nôtre; enfin ô bonté, ô miséricorde ! enfin ce Dieu en
devenant homme, ut et nos societatem habeamus cum eo (5), est venu
traiter d'égal avec
1 Advers. Marcion., lib. I, n. 3.
— 2 Ibid., n. 4. — 3 Hebr., II, 16. — 4 Cant., II, 8. — 5 I
Joan., I, 3, 6.
(a) Var. : Lui égaler. — (b) Il n'a
point pris les anges.
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nous, et cela pour nous donner le moyen de traiter d'égal
avec lui : Ex œquo agebat Deus cum homine, ut homo agere ex œquo cum Deo
posset (1). Chrétiens, quelle nouveauté ! Qui a jamais ouï un pareil
miracle? « Quelle nation de la terre a des dieux qui s'approchent d'elle, comme
notre Dieu s'approche de nous (2) ? »
Une telle condescendance
mériterait bien , chrétiens, d'occuper plus longtemps nos esprits, si le mystère
de cette journée ne m'obligeait à jeter les yeux sur la bienheureuse Marie. Vous
avez vu un Dieu qui se donne à nous ; c'est un grand bonheur pour notre nature ;
mais quelle gloire pour la sainte Vierge qu'il se donne à nous par son entremise
! C'est par elle qu'il entre au monde, c'est par elle qu'il lie avec nous cette
société bienheureuse ; non content de l'avoir choisie pour ce ministère, il
envoie un des premiers de ses anges pour lui en porter la parole, et comme pour
demander son consentement. Chrétiens, quel est ce mystère ? Tâchons d'en
découvrir le secret, et lisons-le dans l'ordre des décrets de Dieu, selon que
Dieu nous les a révélés.
J'ai appris par son Ecriture et
par le consentement unanime de tous les siècles, que dans le mystère adorable de
la rédemption de notre nature, c'était une résolution déterminée de la
Providence divine, de faire servir à notre salut tout ce qui avait été employé à
notre ruine. Ne me demandez pas ici les raisons de ce conseil admirable, qu'il
serait trop long de vous expliquer; et contentez-vous d'entendre en un mot que
par une charitable émulation Dieu a voulu détruire notre ennemi, en lui
renversant sur la tête ses propres machines et le défaisant pour ainsi dire par
ses propres armes.
C'est pourquoi la foi nous
enseigne que si un homme nous perd, un homme nous sauve ; la mort règne dans la
race d'Adam, c'est de la race d'Adam que la vie est née ; Dieu tait servir de
remède à notre péché la mort qui en était la punition ; l'arbre nous tue,
l'arbre nous guérit ; et nous voyons dans l'Eucharistie qu'un manger salutaire
répare le mal qu'un manger téméraire avait fait. Selon cette merveilleuse
dispensation que Dieu a voulu marquer si visiblement dans tout l'ouvrage de
notre salut, il faut conclure
1 Tertul., advers. Marcion., lib. II, n. 27. — 2
Deut., IV, 7.
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nécessairement que comme les deux sexes sont intervenus
dans la désolation de notre nature, ils devaient aussi concourir à sa
délivrance. Tertullien l'a enseigné dès les premiers siècles dans le livre de la
Chair de Jésus-Christ, où parlant de la sainte Vierge : « Il était,
dit-il (1), nécessaire que ce qui avait été perdu par ce sexe fût ramené au
salut par le même sexe : » Ut quod per ejusmodi sexum abierat in perditionem,
per eumdem sexum redigeretur ad salutem. Le martyr saint Irénée l'a dit
devant lui (2), le grand saint Augustin l'a dit après (3), tous les saints Pères
unanimement nous ont enseigné la même doctrine; d'où je tire cette conséquence,
qu'il était certainement convenable que Dieu prédestinât une nouvelle Eve aussi
bien qu'un nouvel Adam, afin de donner à la terre au lieu de la race ancienne
qui avait été condamnée, une nouvelle postérité qui fut sanctifiée par la grâce.
Et certainement, chrétiens, si
nous méditons en nous-mêmes les conseils impénétrables de la Providence dans la
réparation de notre nature, et que nous conférions exactement Eve avec Marie
dans le mystère de cette journée, nous serons bientôt convaincus de cette
doctrine si sainte et si ancienne. Voici le rapport qu'en font les saints Pères,
et je ne fais que répéter ce qu'ils en ont dit.
L'ouvrage de notre corruption
commence par Eve , l'ouvrage de la réparation par Marie : la parole de mort est
portée à Eve, la parole de vie à la sainte Vierge : Eve était vierge encore, et
Marie est Vierge : Eve encore vierge avait son époux, et Marie la Vierge des
vierges a aussi le sien : la malédiction est donnée à Eve, la bénédiction à
Marie : Benedicta tu (4) : un ange de ténèbres s'adresse à Eve, un ange
de lumière parle à Marie : l'ange de ténèbres veut élever Eve à une fausse
grandeur, en lui faisant affecter la divinité : « Vous serez , lui dit-il, comme
des dieux (5) ; » l'ange de lumière établit Marie dans la véritable grandeur par
une sainte société avec Dieu : « Le Seigneur est avec vous, lui dit Gabriel (6)
; » l'ange de ténèbres parlant à Eve lui inspire un dessein
1 De Carn. Chr., n. 17. — 2 Cont. Hœres.,
lib. V, cap. XIX. — 3 De Symb. ad Catech. serm. III, cap. IV. — 4 Luc,
I, 42. — 5 Genes., III, 5. — 6 Luc., I, 28.
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de rébellion : « Pourquoi est-ce que Dieu vous a commandé
de ne point manger de ce fruit si beau (1) ? » l'ange de lumière parlant à Marie
lui persuade l'obéissance : « Ne craignez point, Marie, » lui dit-il, et, « Rien
n'est impossible au Seigneur (2) : » Eve crut au serpent , et Marie à l'ange. De
cette sorte, dit Tertullien (3), une foi pieuse efface la faute d'une téméraire
crédulité, et « Marie répare en croyant à Dieu ce qu'Eve avait ruiné en croyant
au diable : » Quod illa credendo deliquit, hœc credendo delevit. Enfin
pour achever le mystère, Eve séduite par le démon est contrainte de fuir devant
la face de Dieu, et Marie instruite par l'ange est rendue digne de porter Dieu ;
Eve nous ayant présenté le fruit de mort, Marie nous présente le vrai fruit de
vie, afin, dit saint Irénée (écoutez les paroles de ce grand martyr), « afin que
la Vierge Marie fût l'avocate de la vierge Eve : » Ut virginis Evœ Virgo
Maria fieret advocata (4).
Un rapport si exact n'est pas
une invention de l'esprit humain. Après cela on ne peut douter que Marie ne soit
l'Eve bienheureuse de la nouvelle alliance ; qu'elle n'ait la même part à notre
salut qu'Eve a eue à notre ruine, c'est-à-dire la seconde après Jésus-Christ; et
qu'Eve étant la mère de tous les mortels, Marie ne soit la mère de tous les
vivants. C'est Dieu même qui nous persuade une vérité si constante par l'ordre
admirable de tous ses desseins, par la convenance (a) des choses si
évidemment déclarée, par le rapport nécessaire de tous ses mystères.
Et nos frères qui nous ont
quittés ne peuvent pas endurer notre dévotion pour Marie, ni que nous la
croyions après Jésus-Christ la principale coopératrice de notre salut ! Qu'ils
détruisent donc ce rapport de tous les mystères divins ; qu'ils nous disent pour
quelle raison Dieu envoie son ange à Marie. Ne pouvait-il pas faire son ouvrage
en elle sans en avoir son consentement? Ne, paraît-il pas plus clair que le jour
que c'a été un conseil du Père (b), qu'elle coopérât à notre salut et à
l'incarnation de son Fils par son obéissance et sa charité ? Et si cette charité
maternelle a tant
1 Genes., III, 1. — 2 Luc, I, 30, 37. — 3
De Carne Christi, n. 17. — 4 Cont. Hœr., lib. 5, cap. XIX.
(a) Var. : Par les convenances. — (b)
De sa Providence.
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opéré pour notre bonheur dans le mystère de l'incarnation,
sera-t-elle devenue stérile et ne produira-t-elle plus rien en notre faveur ?
Ah! Messieurs, qui le pourrait croire? Et si maintenant nous attendons d'elle
qu'elle nous assiste de son secours, quel crime faisons-nous de le demander?
Est-ce pour cela, nos chers Frères, que vous avez rompu l'unité et abandonné la
communion dans laquelle vos pères sont morts en la charité de Notre-Seigneur?
Mais peut-être n'y en a-t-il pas qui nous entendent. Revenons à vous, chrétiens.
Je ne puis plus retenir les
secrets mouvements de mon cœur. Je ne puis que je ne m'écrie avec toute l'Eglise
catholique : O sainte, ô incomparable Marie, nous crions, nous gémissons après
vous, misérables bannis enfants d'Eve; Ad te clamamus. Car à qui auront
leur recours les enfants captifs d'Eve l'exilée, sinon à la Mère des libres? Et
si telle est la doctrine des anciens Pères, si telle est la foi des martyrs que
vous soyez l'avocate d'Eve, ne prendrez-vous pas aussi la défense de sa
postérité condamnée ? Si donc Eve inconsidérée nous a présenté autrefois le
fruit empoisonné qui nous tue, ô Marie notre protectrice, que nous recevions de
vos mains le fruit de vos bénites entrailles, qui nous donne la vie éternelle!
Et Jesum, etc. O merveille des secrets de Dieu ! ô convenance de notre
foi ! Car c'est l'accomplissement du mystère, que nous recevions Jésus-Christ
des mains de Marie; elle nous le présente pour entrer en société avec nous.
Vivons comme des hommes avec qui Jésus-Christ s'est associé : Conversabatur
Deus, ut homo divine agere doceretur (1).
1 Tertull., advers. Marcion.,
lib. II, n. 27.
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