Saint Sulpice
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Henri de Gornay
Académie Française

 

PANÉGYRIQUE DE  SAINT SULPICE  (a).

 

Nos autem non spiritum hujus mundi accepimus, sed Spiritum qui ex Deo est, ut sciamus quae à Deo donata sunt nobis.

Pour nous, nous n'avons pas reçu l'esprit de ce monde, mais un Esprit qui vient de Dieu, pour connaître les choses qu'il nous a données. I Cor., II, 12.

 

Chaque compagnie a ses lois, ses coutumes, ses maximes et son esprit; et lorsque nos emplois ou nos dignités nous donnent place dans quelque corps, aussitôt on nous avertit de prendre l'esprit de

 

(a) Prêché le 19 janvier 1661, dans l'église de Saint-Sulpice à Paris   devant la reine mère. Avant le concordat, les fêtes patronales se célébraient en France, comme elles se célèbrent encore aujourd'hui dans tout le monde catholique, le jour de la fête du Saint. Or la fête de saint Sulpice tombe le 19 janvier.

L'église actuelle de Saiut-Sulpice, dont la reine Anne posa la première pierre en 1646, fut achevée vers la fin du règne de Louis XV; c'est dans l'ancienne église que Bossuet prêcha le panégyrique qu'on va lire.

En 1661, la reine mère avait déjà subi les atteintes mortelles du cancer qui devait la conduire au tombeau ; voilà pourquoi le zélé prédicateur lui dit dans la péroraison, que « Sa Majesté devait se rendre ordinaire et familière » la pensée de la mort. D'une autre part, de funestes dissensions s'étaient élevées qui troublaient l'union entre le souverain Pontife et Louis XIV; le ministre de la sainte parole conjure la reine de pacifier la discorde par son influence l'avertissant qu'elle rendra compte à Dieu « et de tout le bien qu'elle peut faire et de tout le mal qu'elle peut ou empêcher par autorité, ou modérer par conseils, ou détourner par prudence. »                                                         

 

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la compagnie dans laquelle nous sommes entrés. Cette grande société que l'Ecriture appelle le Monde a son esprit qui lui est propre, et c'est ce que l'apôtre saint Paul appelle dans notre texte « l'esprit du monde. » Mais comme la grâce du christianisme est répandue en nos cœurs pour nous séparer du monde et nous dépouiller de son esprit, un autre esprit nous est donné, d'autres maximes nous sont proposées; et c'est pourquoi le même saint Paul parlant de la société des enfants de Dieu, a dit ces belles paroles : « Nous n'avons pas reçu l'esprit de ce monde, mais un Esprit qui est de Dieu, pour connaître les dons de sa grâce : » Ut sciamus quœ à Deo donata sunt nobis.

Si le Saint que nous honorons et dont je dois prononcer l'éloge avait eu l'esprit de ce monde, il aurait été rempli des idées du monde et il aurait marché comme les autres dans la grande voie, courant après les délices et les vanités ; mais étant plein au contraire de l'Esprit de Dieu, il a connu parfaitement les biens qu'il nous donne : un trésor qui ne se perd pas, une vie qui ne finit pas, l'héritage de Jésus-Christ, la communication de sa gloire, la société de son trône. Ces grandes et nobles idées ayant effacé de son cœur les idées du monde, la Cour ne l'a point corrompu par ses faveurs, ni engagé par ses attraits, ni trompé par ses espérances; et il nous enseigne par ses saints exemples à nous défaire entièrement de l'esprit du monde, pour recevoir l'esprit du christianisme. Venez donc apprendre aujourd'hui.....

Jésus-Christ, ce glorieux conquérant, a eu à combattre le ciel, la terre et les enfers; je veux dire la justice de Dieu, la rage et la

 

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furie des démons, des persécutions inouïes de la part du monde : toujours grand, toujours invincible, il a triomphé dans tous ces combats. Tout l'univers publie ses victoires; mais celle dont il se glorifie avec plus de magnificence, c'est celle qu'il a gagnée sur le monde; et je ne lis rien dans son Evangile qu'il ait dit avec plus de force que cette belle parole : « Prenez courage, j'ai vaincu le monde : » Confidite, ego vici mundum (1).

Il l'a vaincu en effet, lorsque crucifié sur le Calvaire, il a couvert pour ainsi dire la face du monde de toute l'horreur de sa croix, de toute l'ignominie de son supplice. Non content de l'avoir vaincu par lui-même, il le surmonte tous les jours par ses serviteurs. Il est sorti de ses plaies un esprit victorieux du monde, qui animant le corps de l'Eglise, la rend saintement féconde pour engendrer tous les jours une race spirituelle qui triomphe (a) glorieusement de la pompe, des vanités et des délices mondaines.

Cette grâce victorieuse des attraits du monde n'agit pas de la même sorte dans tous les fidèles. Il y a de saints solitaires qui se sont tout à fait retirés du monde; il y en a d'autres non moins illustres, lesquels y vivant sans en être l'ont pour ainsi dire vaincu dans son propre champ de bataille. Ceux-là entièrement détachés semblent désormais n'user plus du monde; ceux-ci non moins généreux en usent comme n'en usant pas, selon le précepte de l'Apôtre (2) : ceux-là s'en arrachant tout à coup, n'ont plus rien à démêler avec lui; ceux-ci sont toujours aux mains, et gagnent de jour en jour par un long combat ce que les autres emportent tout à une fois par la seule fuite. Car ici la fuite même est une victoire, parce qu'elle ne vient ni de surprise ni de lâcheté, mais d'une ardeur de courage qui rompt ses liens, force sa prison et assure sa liberté par une retraite glorieuse.

Ce n'est pas assez, chrétiens : et il y a dans l'Eglise une grâce plus excellente; je veux dire une force céleste et divine, qui nous fait non-seulement surmonter le monde par la fuite ou par le combat, mais qui en doit inspirer le mépris aux autres : c'est la grâce de l'ordre ecclésiastique. Car comme on voit dans le monde une

 

1 Joan., XVI, 33.— 2 I Cor., VII, 31.

(a) Var. : Née pour triompher.

 

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efficace d'erreur qui fait passer de l'un à l'autre par une espèce de contagion l'amour des vanités de la terre, il a plu au Saint-Esprit de mettre dans ses ministres une efficace de sa vérité pour détacher tous les cœurs de l'esprit du monde (a), pour prévenir la contagion qui empoisonne les âmes, et rompre les enchantements par lesquels il les tient captives.

Voilà donc trois grâces qui sont dans l'Eglise pour surmonter le monde et ses vanités : la première, de s'en séparer tout à fait et de s'éloigner de son commerce; la seconde, de s'y conserver sans corruption et de résister à ses attraits ; la troisième, plus éminente, est d'en imprimer le dégoût aux autres et d'en empêcher la contagion. Ces trois grâces sont dans l'Eglise; mais il est rare de les voir unies dans une même personne, et c'est ce qui me fait admirer la vie du grand saint Sulpice. Il l'a commencée à la Cour, il il l'a finie dans la solitude, le milieu en a été occupé dans les fonctions ecclésiastiques. Courtisan, il a vécu dans le monde sans être pris de ses charmes : évoque, il en a détaché (b) ses frères : solitaire, il a désiré de finir ses jours dans une entière retraite. Ainsi successivement, dans les trois états de sa vie, nous lui verrons surmonter le monde de toutes les manières dont on le peut vaincre : car il s'est opposé généreusement (c) à ses faveurs dans la Cour, au cours de sa malignité dans l'épiscopat, à la douceur de son commerce dans la solitude : trois points de ce discours.

 

PREMIER  POINT.

 

Quoique les hommes soient partagés en tant de conditions différentes, toutefois selon l'Ecriture il n'y a que deux genres d'hommes, dont les uns composent le monde et les autres la société des enfants de Dieu. Cette solennelle division est venue, dit saint Augustin (1), de ce que l'homme n'a que deux parties principales : la partie animale et la raisonnable ; et c'est par là que nous distinguons deux espèces d'hommes, parce que les uns suivent la chair et les autres sont gouvernés par l'esprit. Ces deux races d'hommes ont

 

1 De Civit. Dei, lib. XIV, cap. IV.

 

(a) Var. : Pour répandre dans tous les cœurs le mépris du monde. — (b) Détrompé. — (c) Il a heureusement résisté.

 

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paru d'abord en figure dès l'origine des siècles en la personne et dans la famille de Caïn et de Seth : les enfants de celui-ci étant toujours appelés les enfants de Dieu, et au contraire ceux de Caïn étant nommés constamment les enfants des hommes, afin que nous distinguions qu'il y en a qui vivent comme nés de Dieu selon les mouvements de l'esprit, et les autres comme nés des hommes selon les inclinations de la nature.

De là ces deux cités renommées dont il est parlé si souvent dans les saintes Lettres : Babylone charnelle et terrestre : Jérusalem divine et spirituelle, dont l'une est posée sur les fleuves, c'est-à-dire dans une éternelle agitation, super aquas multas (1), dit Y Apocalypse, ce qui a fait dire au Psalmiste : « Assis sur les fleuves de Babylone (2); » et l'autre est bâtie sur une montagne, c'est-à-dire dans une consistance immuable. C'est pourquoi le même a chanté : « Celui qui se confie en Dieu est comme la montagne de Sion, celui qui habite en Jérusalem ne sera jamais ébranlé : » Qui confidunt in Domino sicut mons Sion (3). Or encore que ces deux cités soient mêlées de corps, elles sont, dit saint Augustin (4), infiniment éloignées d'esprit et de mœurs : ce qui nous est encore représenté dès le commencement des choses, en ce que les enfants de Dieu s'étant alliés par les mariages avec la race des hommes, ayant trouvé, dit l'Ecriture (5), leurs filles belles, ayant aimé leurs plaisirs et leurs vanités : Dieu irrité de cette alliance résolut en sa juste indignation d'ensevelir tout le monde dans le déluge, afin que nous entendions que les véritables enfants de Dieu doivent fuir entièrement le commerce et l'alliance du monde, de peur de communiquer, comme dit l'Apôtre (6), à ses œuvres infructueuses.

C'est pourquoi le Sauveur Jésus « l'illuminateur des antiquités, » Illuminator antiquitatum (7), parlant de ses véritables disciples dont les noms sont écrits au ciel : « Ils ne sont pas du monde , dit-il, comme je ne suis pas du monde (8); » et quiconque veut être du monde, il s'exclut volontairement de la société de ses prières

 

1 Apoc, XVII, 1. — 2 Psal. CXXXVI, 1. — 3 Psal. CXXIV, 1. — 4 De catech. rud. cap. XIX, n. 31.— 5 Genes., VI, 2. — 6 Ephes., V, 11. — 7 Tertull., adv.  Marc., lib. IV, n. 40. — 8 Joan., XVII, 16.

 

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et de la communion de son sacrifice, Jésus-Christ ayant dit décisivement : « Je ne prie pas pour le monde (1). »

J'ai dit ces choses, mes Frères, afin que vous connaissiez que ce n'est pas une obligation particulière des religieux de mépriser le monde; mais que la nécessité de s'en séparer est la première, la plus générale, la plus ancienne obligation de tous les enfants de Dieu.

Si nous en croyons l'Evangile, rien de plus opposé que Jésus-Christ et le monde; et de ce monde, Messieurs, la partie la plus éclatante et par conséquent la plus dangereuse, chacun sait assez que c'est la Cour. Comme elle est le principe et le centre de toutes les affaires du monde, l'ennemi du genre humain y jette tous ses appâts, y étale toute sa pompe.

Saint Sulpice nourri à la Cour dès sa jeunesse.....

Sulpice, chaste dans un âge..... O sainte chasteté, fleur de la

vertu, ornement immortel des corps mortels, marque assurée d'une âme bien faite, protectrice de la sainteté et de la foi mutuelle dans les mariages, fidèle dépositaire de la pureté du sang des races, et qui seul en sait conserver la trace, quoique tu sois si nécessaire au genre humain, où te trouve-t-on sur la terre? O grand opprobre de nos mœurs ! l'un des sexes a honte de te conserver ; et celui auquel il pourrait sembler que tu es échue en partage, ne se pique guère moins de te perdre dans les autres que de te conserver en soi-même. Confessez-vous à Dieu devant ces autels, vaines et superbes beautés, dont la chasteté n'est qu'orgueil ou affectation et grimace. Quel est votre sentiment, lorsque vous vous étalez avec tant de pompe pour attirer les regards? Dites-moi seulement ce mot : Quels regards désirez-vous attirer? Sont-ce des regards indifférents? Ah! quel miracle que saint Sulpice, jeune et agréable, n'ait jamais été pris dans ces pièges! Sachant qu'il ne devait l'amour qu'à son Dieu, jamais il n'a souillé dans son cœur la source de l'amour. Ange visible, ses autres vertus n'étaient pas de ces vertus du monde et de commerce, ajustées non point à la règle (elle serait trop austère), mais à l'opinion et à l'humeur des hommes : ce sont là les vertus des sages mondains, ou

 

1 Joan., XVII. 9.

 

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plutôt c'est le masque spécieux sous lequel ils cachent leurs vices.

Sa bonne foi. — Sa probité. — Sa justice. — Sa candeur et son innocence.—Admirable modération! Mais peut-être ne durera-t-elle que jusqu'à ce qu'elle ait gagné le dessus : car le génie de l'ambition, c'est d'être tremblante et souple lorsqu'elle a des prétentions ; et quand elle est parvenue à ses fins, la faveur la rend audacieuse et insupportable : Pavida cùm quœrit, audax cùm pervenerit (1). Un habile courtisan disait autrefois qu'il ne pouvait souffrir à la Cour l'insolence et les outrages des favoris et encore moins, disait-il, leurs civilités superbes et dédaigneuses, leurs grâces trop engageantes, leur amitié tyrannique, qui demande d'un homme libre une dépendance servile, coutumeliosam humanitatem (2).

Sulpice toujours modéré, sut se tenir dans les bornes que l'humilité chrétienne lui prescrivait. Pour se détromper du monde , il allait se rassasier de la vue des opprobres de Jésus-Christ dans les hôpitaux et dans les prisons. Image de la grandeur de Dieu dans le prince ; image de la bassesse de Jésus-Christ et de ses humiliations dans les pauvres. Le favori de Clotaire aux pieds d'un pauvre ulcéré, adorant Jésus-Christ sous des haillons et expiant la contagion des grandeurs du monde, quel beau spectacle ! Mais il évitait le plus qu'il était possible les regards des hommes, et ne cherchait qu'à leur cacher.....Ces vertus trompeuses, qui

se rendent elles-mêmes captives des yeux qu'elles veulent captiver.....

 

SECOND   POINT.

 

La grâce du baptême porte une efficace pour nous détacher du monde ; la grâce de l'ordination porte une efficace divine pour imprimer ce détachement dans tous les cœurs.

Le royaume de Jésus-Christ n'est pas de ce monde. Il y a guerre déclarée entre Jésus-Christ et le monde, une inimitié immortelle : le monde le veut détruire, et il veut détruire le monde. Ceux qu'il établit ses ministres doivent donc entrer dans ses intérêts : s'il y a en eux quelque puissance, c'est pour détruire la puissance qui

 

1 S. Greg. M., Past., part. I, cap. IX. — 2 Senec, epist. IV.

 

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lui est contraire. Ainsi toute la puissance ecclésiastique est destinée à abattre les hauteurs du monde : Ad deprimendam altitudinem sœculi hujus.

On reçoit le Saint-Esprit dans le baplème dans une certaine mesure ; mais on en reçoit la plénitude dans l'ordination sacrée, et c'est ce que signifie l'imposition des mains de l'évêque. Car, comme dit un ancien écrivain (1), ce que fait le pontife mù de Dieu, animé de Dieu, c'est l'image de ce que Dieu fait d'une manière plus forte et plus pénétrante. L'évêque ouvre les mains sur nos tètes ; Dieu verse à pleines mains dans les âmes la plénitude de son Saint-Esprit. C'est ce qui fait dire à un saint Pape : « La plénitude de l'Esprit-Saint opère dans l'ordination sacrée : » Plenitudo Spiritûs in sacris ordinationibus operatur (2). Le Saint-Esprit dans le baptême nous dépouille de l'esprit du monde : Non enim spiritum hujus mundi accepimus. La plénitude du Saint-Esprit doit faire dans l'ordination quelque chose de beaucoup plus fort : elle doit se répandre bien loin au dehors pour détruire dans tous les cœurs l'esprit et l'amour du monde. Animons-nous, mes Frères ; c'est assez pour nous d'être chrétiens, trop d'honneur de porter ce beau caractère : Propter nos nihil sufficientius est. Si donc nous sommes ecclésiastiques, c'est sans doute pour le bien des autres.

Que n'a pas entrepris le grand saint Sulpice pour détruire le règne du monde? Mais c'est peu de dire qu'il a entrepris : ses soins paternels opéraient sans cesse de nouvelles conversions. Il y avait dans ses paroles et dans sa conduite une certaine vertu occulte, mais toute-puissante, qui inspirait le dégoût du monde. Nous lisons dans l'histoire de sa vie que, durant son épiscopat, tous les déserts à l'entour de Bourges étaient peuplés de saints solitaires. Il consacrait tous les jours à Dieu des vierges sacrées.

D'où lui venait ce bonheur, cette bénédiction, cette grâce d'inspirer si puissamment le mépris du monde ? Qu'y avait-il dans sa vie et dans sa personne qui fût capable d'opérer de si merveilleux changements ? C'est ce qu'il faut tâcher d'expliquer en faveur de

 

1 Dionys., de Eccles. Hierarch., cap. V, p. 127 et seq. — 2 Innocent. I, ad Alex., ep. XXIV, p. 853, Epist. Rom. Pont.

 

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tant de saints ecclésiastiques qui remplissent ce séminaire et cette audience. Deux choses produisaient un si grand effet : la simplicité ecclésiastique, qui condamnait souverainement la somptuosité, les délices, les superfluités du monde ; un gémissement paternel sur les âmes qui étaient captives de ses vanités.

La simplicité ecclésiastique, c'est un dépouillement intérieur qui, par une sainte circoncision , opère au dehors un retranchement effectif de toutes superfluités. En quoi le monde paraît-il grand ? Dans ses superfluités : de grands palais, de riches habits, une longue suite de domestiques. L'homme si petit par lui-même, si resserré en lui-même, s'imagine qu'il s'agrandit et qu'il se dilate, en amassant autour de soi des choses qui lui sont étrangères. Le vulgaire est étonné de cette pompe et ne manque pas de s'écrier : Voilà les grands, voilà les heureux. C'est ainsi que la puissance du monde tâche de faire voir que ses biens sont grands. Une autre puissance est établie pour faire voir qu'il n'est rien : c'est la puissance ecclésiastique.

Toutes nos actions jusqu'aux moindres gestes du corps, jusqu'au moindre et plus délicat mouvement des yeux, doivent ressentir le mépris du monde. Si la vanité change tout, le visage , le regard, le son de la voix, car tout devient instrument de la vanité : ainsi la simplicité doit tout régler ; mais qu'elle ne soit jamais affectée, parce qu'elle ne serait plus simplicité. Entreprenons, Messieurs, de faire voir à tous les hommes que le monde n'a rien de solide ni de désirable; et pour cela, la frugalité, la modestie et la simplicité du grand saint Sulpice. « Ayons donc de quoi nous nourrir et de quoi nous couvrir, nous devons être contents : » Habentes alimenta et quibus tegamur, his contenti simus (1). Que nous servent ces cheveux coupés, si nous nourrissons au dedans tant de désirs superflus, pour ne pas dire pernicieux ? « Car la dignité sacerdotale exige, de ceux qui en sont revêtus, une gravité de mœurs peu commune, une vie sérieuse et appliquée, une vertu toute singulière : » Sobriam à turbis gravitatem, seriam vitam, singulare pondus, dignitas sibi vindicat sacerdotalis (2). Sont-ils jaloux de soutenir en eux l'autorité du sacerdoce

 

1 I Timoth., VI, 8. — 2 S. Ambr., ad Iren., épist., XXVIII, n. 2.

 

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qu'ils pensent à l'assurer par le mérite de leur foi et la sainteté de leur vie : Dignitatis suœ auctoritatem fidei et vitœ meritis quœrant (1). « Le vrai ecclésiastique s'étudie à prouver sa profession par son habit, sa démarche et toute sa conduite : il n'a garde de chercher à se donner un faux éclat par des ornements empruntés : » Clericus professionem suam, et in habita, et in incessu probet, et nec vestibus, nec calceamentis decorem quœrat (2).

La simplicité de sa vie, lorsqu'il nous dit : « Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids et des retraites, mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête ! » Vulpes foveas habent et volucres cœli nidos, Filius autem hominis non habet ubi caput reclinet (3) : des sentiments de pitié, donner du courage ; et malheur à ceux qui poussés du désir de s'élever, cherchent dans l'honneur attaché au sacerdoce un moyen de se procurer les avantages du monde, qu'il avait pour objet de détruire : Mundi lucrum quœritur sub ejus honoris specie, quo mundi destrui lucra debuerunt (4).

Il faut honorer ses ministres, pour l'amour de celui qui a dit : « Qui vous reçoit me reçoit (5) » La simplicité ecclésiastique suit cette belle règle ecclésiastique : « Elle se montre un exemple de patience et d'humilité, en recevant toujours moins qu'on ne lui offre; mais quoiqu'elle n'accepte jamais le tout, elle a la prudence de ne point tout refuser : » Seipsum prœbeat patientiœ atque humilitatis exemplum, minus sibi assumendo quàm offertur; sed tamen ab eis qui se honorant nec totum nec nihil accipiendo (6). Il ne faut pas recevoir tout ce qu'on nous offre, de peur qu'il ne paroisse que nous nous repaissons de cette fumée ; il ne faut pas le rejeter tout à fait à cause de ceux à qui on ne pourrait se rendre utile, si l'on ne jouissait de quelque considération : Propter illos accipiatur quibus consulere non potest, si nimià dejectione vilescat.

Gémissements. — L'état de l'Eglise durant cette vie c'est un état de désolation, parce que c'est un état de viduité : Non possunt filii sponsi lugere, quamdiù cum illis est sponsus (7). Elle est

 

1 Conc. Carthag. IV, cap. XV. — 2 Ibid., cap. XLV. — 3 Matth., VIII, 20. — 4 S. Gregor. Magn., Past., I part., cap. VIII. — 5 Matth., X, 40. — 6 S. August., ad Aurel., epist. XXII, n. 7. — 7 Matth., IX, 15.

 

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séparée de son cher Epoux, et elle ne peut se consoler d'avoir perdu plus de la moitié d'elle-même. Cet état de désolation et de viduité de l'Eglise doit paraître principalement dans l'ordre ecclésiastique. Le sacerdoce est un état de pénitence pour ceux qui ne font pas pénitence; les prêtres doivent les pleurer, avec saint Paul, d'un cœur pénétré de la plus vive douleur : Lugeam multos qui non egerunt pœnitentiam (1). « Non-seulement il ne commet aucun crime, mais il déplore encore et travaille à expier ceux des autres, comme s'ils lui étaient personnels : » Nulla illicita perpetrat, sed perpetrata ab aliis ut propria deplorat (2). Aussi les joies dissolues du monde portaient-elles un contre-coup de tristesse sur le cœur de saint Sulpice : car il écoutait ces paroles comme un tonnerre : « Malheur à vous qui riez maintenant, parce que vous serez réduits aux pleurs et aux larmes : » Vœ vobis qui ridetis nunc, quia lugebitis et flebitis (3). Il s'effrayait pour son peuple; et tâchait par ses discours , non d'exciter ses acclamations, mais de lui inspirer les sentiments d'une componction salutaire : Docente te in ecclesià, non clamor populi, sed gemitus suscitetur (4).

Jésus-Christ, mes Frères, en choisissant ses ministres, leur dit encore comme à saint Pierre : « M'aimes-tu? pais mon troupeau.» En effet « il ne confierait pas des brebis si tendrement aimées à celui qui ne l'aimerait pas : » Neque enim non amanti committeret tam amatas. Cet amour, source des larmes de saint Sulpice. — Jésus-Christ, gémissant pour nous. — Ses prières : « Il avait éprouvé par sa propre expérience qu'il pouvait obtenir du Seigneur tout ce qu'il lui demanderait : » Orationis usu et experimento jam didicit, quod obtinere à Domino quœ poposcerit possit (5). Il l'avait expérimenté, priant en faveur du roi réduit à l'extrémité, puisqu'il l'avait emporté contre Dieu : combien plus en devait-il avoir pour le soutien et le renouvellement de la vie spirituelle!

Mais quel était son gémissement sur les ecclésiastiques mondains! Oui, nous devons le dire avec douleur et confusion : « ceux qui semblent porter la croix, la portent de manière qu'ils ont

 

1 II Cor., XII, 21. — 2 S. Greg. Mag., Past., part. I, cap. X. — 3 Luc., VI, 25. — 5 S. Hieron., ad Nepot., epist. XXXIV. — 5 S. Greg. Mag., Past., part. I, cap. X.

 

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plus de part à sa gloire que de société avec ses souffrances : » Hi qui putantur crucem portare, sic portant ut plus habeant in crucis nomine dignitatis quàm in passione supplicii (1). S'ils avaient de la foi, pourraient-ils y songer sans sécher d'effroi?

Saint Sulpice touché de cette pensée se retire, pour régler ses comptes avec la justice divine. Il connaît la charge d'un évêque ; il sait « que tous doivent comparaître devant le tribunal de Jésus-Christ, afin que chacun reçoive ce qui est dû aux bonnes ou mauvaises actions qu'il aura faites pendant qu'il était revêtu de son corps : » Ut referat unusquisque propria corporis, prout gessit (2). « Si le compte est si exact de ce qu'on fait en son propre corps, ô combien est-il redoutable de ce qu'on fait dans le corps de Jésus-Christ, qui est son Eglise? » Si reddenda est ratio de his quœ quisque gessit in corpore suo, quid fiet de his quœ quisque gessit in corpore Christi (3)! Il ne se repose pas sur sa vocation si sainte, si canonique ; il sait que Judas a été élu par Jésus-Christ même, et que cependant par son avarice il a perdu la grâce de l'apostolat.

Justice de Dieu, que vous êtes exacte ! vous comptez tous les pas, vous mettez en la balance tous les grains de sable. Il se retire donc pour se préparer à la mort, pour méditer la sévérité de la justice de Dieu. Il récompense un verre d'eau; mais il pèse une parole oiseuse, particulièrement dans les prêtres, où tout jusqu'aux moindres actions doit être une source de grâces. Tout ce que nous donnons au monde, ce sont des larcins que nous faisons aux âmes fidèles.

A quoi pensons-nous, chrétiens? Que ne nous retirons-nous pour nous préparera ce dernier jour? N'avons-nous pas appris de l'Apôtre que nous sommes tous ajournés, pour comparaître personnellement devant le tribunal de Jésus-Christ? Quelle sera cette surprise, combien étrange et combien terrible, lorsque ces saintes vérités auxquelles les pécheurs ne pensaient jamais, ou qu'ils laissaient inutiles et négligées dans un coin de leur mémoire, leur paraîtront tout d'un coup pour les condamner! Aigre, inexorable,

 

1 Salvian., De Gub. Dei, lib. III, n. 3. — 2 II Cor., V, 10. —  3 Serm. ad Cler., in Conc. Rem., in Ap. op. S. Bern., tom. II, col. 735.

 

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inflexible, armée de reproches amers, te trouverons-nous toujours, ô vérité persécutante? Oui, mes Frères, ils la trouveront : spectacle horrible à leurs yeux, poids intolérable sur leurs consciences, flamme dévorante dans leurs entrailles! Se retirer quelque temps afin d'écouter ses conseils avant que d'être convaincus par son témoignage, jugés par ses règles, condamnés par ses arrêts et par ses sentences suprêmes. Accoutumons-nous aux yeux et à la présence de notre juge. Solitude effroyable où l’âme se trouvera réduite devant Jésus-Christ, pour lui rendre compte ! Le remède le plus efficace, c'est une douce solitude devant lui-même, pour lui préparer ses comptes. Attendre à la mort, combien dangereux ! c'est le coup du souverain : Dieu presse trop violemment.

— Mais cette solitude est ennuyeuse. — «Oh! que le père du mensonge, ce malicieux imposteur, nous trompe subtilement (a), pour empêcher que nos cœurs avides de joie, ne fassent le discernement des véritables sujets de se réjouir! » Heu ! quàm subtiliter nos ille decipiendi artifex fallit, ut non discernamus, gaudendi avidi, undè veriùs gaudeamus (1) ! Tous les autres divertissements, charme de notre chagrin,... qu'un amusement d'un cœur enivré. Vous sentez-vous dans ce tumulte, dans ce bruit, dans cette dissipation , dans cette sortie de vous-mêmes? Avec quelle joie, dit David, « votre serviteur a trouvé son cœur pour vous adresser sa prière ! » Invenit servus tuus cor suum, ut oraret te oratione hâc (2).

Mais l'on craint de passer pour un homme inutile et de rendre sa vie méprisable : Sed ignavam infamabis. Il faut faire quelque figure dans le monde (b)...

Madame, Votre Majesté doit penser sérieusement à ce dernier jour. Nous n'osons y jeter les yeux ; cette pensée nous effraie et fait horreur à tous vos sujets, qui vous regardent comme leur Mère, aussi bien que comme celle de notre Monarque. Mais, Madame, autant qu'elle nous fait horreur, autant Votre Majesté se

 

1 Julian. Pom., de vitâ contempl., lib. II., cap. XIII; int. oper S Prosp — 2 II Reg., VII, 27.

 

(a) Var. : En impose adroitement à nos yeux. — (b) On a vu la fin dans plusieurs sermons.

 

 

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la doit rendre ordinaire et familière. Puisse Votre Majesté être tellement occupée de Dieu, avoir le cœur tellement percé de la crainte de ses jugements, l’âme si vivement pénétrée de l'exactitude et des rigueurs de sa justice , qu'elle se mette en état de rendre bon compte d'une si grande puissance, et de tout le bien qu'elle peut faire, et encore de tout le mal qu'elle peut ou empêcher par autorité, ou modérer par conseils, ou détourner par prudence : c'est ce que Dieu demande de vous. Ah! si les vœux que je lui fais pour votre salut sont reçus devant sa face, cette salutaire pensée jettera Votre Majesté dans une humiliation si profonde, que méprisant autant sa grandeur royale que nous sommes obligés de la révérer, elle fera sa plus chère occupation du soin de mériter dans le ciel une couronne immortelle.

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