S. François de Paule II
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Académie Française

 

SECOND PANÉGYRIQUE
DE SAINT FRANÇOIS  DE   PAULE (a).

 

Fili, tu semper mecum es, et omnia mea tua sunt.

Mon fils, vous êtes toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à vous. Luc., XV, 31.

 

Je ne pouvais désirer, Messieurs, une rencontre plus heureuse ni plus favorable, que de faire ici mon dernier discours (b) en

 

(a)   Prêché en 1660, pour la clôture du Carême, aux Minimes de la Place-Royale.

Les éditeurs disent, après l'abbé Ledieu, que le Panégyrique de saint François de Paule fut prêché en 1658.Cette indication ne peut être exacte; car, en 1658, Bossuet fut retenu à Meta , pendant le Carême, par la mission qu'il donna avec les prêches de saint Vincent de Paul, dans le mois d'avril pour l'assemblée des Trois Ordres dont il signa les procès-verbaux.

En 1000, au contraire, il prêcha le Carême à Paris dans l'église des Minimes, et son discours de clôture fut le panégyrique du saint fondateur de ces religieux, de saint François de Paule. Voilà pourquoi l'orateur dit, dés le commencement de l'exorde : «Je ne pouvais désirer une rencontre plus heureuse ni plus favorable, que de faire ici mon dernier discours en produisant dans cette audience le grand et admirable saint François de Paule;» et dans la péroraison: «... C'est l'adieu mie j'ai à vous dire : nos remerciements sont des vœux, nos adieux des instructions et des prières, » etc.

Les Minimes de la Place-Royale avoient vu s'établir dans leur église un grand abus : des gens du bel air s'y rendaient pendant les divins offices, disent, les auteurs du temps, pour y nouer des intrigues et des conversations profanes, sans crainte d'outrager la majesté du Très-Haut dans ses redoutables mystères. Bossuet s'éleva contre ces profanations sacrilèges avec toute la fermeté du zèle apostolique : « Mais ce qui m'étonne, mes Frères, dit-il dans le commencement de la péroraison; ce que je ne puis dissimuler, ce que je voudrais pouvoir dire avec tant de force que les cœurs les plus durs eu fussent touchés, » etc.

Les théologiens formés dans le commencement de ce siècle rejettent sans examen, par une fin de non-recevoir, les miracles qui n'éclatent pas comme un coup de foudre dans des circonstances solennelles, pour confirmer la foi de tout un peuple, lis pourront apprendre ici, par l'enseignement du grand Bossuet, à mieux apprécier les œuvres de la bonté divine.

Plusieurs personnages distingués dans les lettres et dans les sciences entendirent le Panégyrique de saint François de Paule. Qu'il nous suffise dénommer: François de la Noüe, philologue, historien, astronome, théologien; Giry, auteur des Vies des Saints; le P. Lefèvre d'Ormesson et le P. Hilarion de Coste : tous deux arrière-neveux de saint François; le premier, prédicateur estimé; le second, auteur de la Vie de son saint parent, du Parfait ecclésiastique, etc.

 

(b)  Var. : De finir cet ouvrage que j'ai entrepris.

 

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produisant dans cette audience le grand et admirable saint France lis de Paule. L'adieu que doivent dire aux fidèles les prédicateurs de l'Evangile, ne doit être autre chose qu'un pieux désir par lequel ils tâchent d'attirer sur eux les bénédictions célestes; et c'est ce que fait l'apôtre saint Paul, lorsque se séparant des Ephésiens , il les recommande au grand Dieu et à sa grâce toute-puissante : Et nunc commendo vos Deo et verbo gratiae ipsius (1). Je ne doute pas, chrétiens, que les vœux (a) de ce saint Apôtre n'aient été suivis de L'exécution; mais ne pouvant pas espérer un pareil effet de prières comme les miennes, ce m'est une consolation particulière de vous faire paraître saint François de Paule pour vous bénir en Nôtre-Seigneur. Ce sera donc ce grand patriarche qui, vous trouvant assemblés dans une église qui porte son nom, étendra aujourd'hui les mains sur vous ; ce sera lui qui vous obtiendra les grâces du Ciel, et qui laissant dans vos esprits l'idée de sa sainteté et la mémoire de ses vertus (b), confirmera par ses beaux exemples les vérités évangéliques qui vous ont été précitées durant ce Carême. Animé de cette pensée, je commencerai ce discours avec une bonne espérance; et de peur qu'elle ne soit vaine, je prie Dieu de la confirmer (c) par la grâce de son Saint-Esprit, que je lui demande humblement par l'intercession de la sainte Vierge. Ave.

 

1 Act., XX, 32.

 

(a) Var. : Les souhaits. — (b) Vous laissant en partage l'exemple de ses vertus. — (c) Que j'ai taché de vous annoncer, de lui donner l'affermissement par la grâce...

 

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Ne parlons pas toujours du pécheur qui fait pénitence, ni du prodigue qui retourne dans la maison paternelle. Qu'on n'entende pas toujours dans les chaires la joie de ce père miséricordieux qui a retrouvé son cadet qu'il avait perdu. Cet aîné fidèle et obéissant, qui est toujours demeuré auprès de son père (a) avec toutes les soumissions d'un bon fils, mérite bien aussi qu'on loue quelquefois sa persévérance. Il ne faut pas laisser dans l'oubli cette partie de la parabole ; et l'innocence toujours conservée, telle que nous la voyons en François de Paule, doit aussi avoir ses panégyriques. Il est vrai que l'Evangile semble ne retentir de toutes parts que du retour de ce prodigue : il occupe, ce semble, tout l'esprit du père; vous diriez qu'il n'y ait que lui qui le touche au cœur. Toutefois au milieu du ravissement que lui donne son cadet retrouvé, il dit deux ou trois mots à l'aîné, qui lui témoignent une affection bien particulière (b) : « Mon fils, vous êtes toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à vous ; » et je vous prie, ne vous fâchez pas si je laisse aujourd'hui épancher ma joie sur votre frère que j'avais perdu, et que j'ai retrouvé contre mon attente : Fili, tu semper mecum es; c'est-à-dire si nous l'entendons (c) : Mon fils, je sais bien reconnaître votre obéissance toujours constante, et elle m'inspire pour vous un fond d'amitié laquelle ne laisse pas d'être plus forte, encore que vous ne la voyiez pas accompagnée de cette émotion sensible que me donne le retour inopiné de votre frère : « Vous êtes toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à vous ; nos cœurs et nos intérêts ne sont qu'un : » Tu semper mecum es, et omnia mea tua sunt. Voilà une parole bien tendre : cet aîné a un beau partage, et garde bien sa place dans le cœur du père.

Cette parole, Messieurs, se traite rarement dans les chaires, parce que cette fidélité inviolable ne se trouve guère dans les mœurs. Qui de nous n'est jamais sorti de la maison de son père? Qui de nous n'a pas été prodigue? Qui n'a pas dissipé sa substance par une vie déréglée et licencieuse? Qui n'a pas repu les pourceaux, c'est-à-dire ses passions corrompues ? Puisqu'il y en

 

(a) Var. : Près de sa personne. — (b) Bien cordiale. — (c) Si nous le savons entendre.

 

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a si peu dans l'Eglise qui aient su garder sans tache l'intégrité de leur baptême, il est beaucoup plus nécessaire de rappeler les pécheurs que de parler des avantages de l'innocence. Et toutefois, chrétiens, comme l'Eglise nous montre aujourd'hui en la personne de saint François de Paule une sainteté extraordinaire, qui s'est commencée dès l'enfance et qui s'est toujours augmentée jusqu'à son extrême vieillesse (a), comme nous voyons en ce grand homme un religieux accompli, comme nous admirons dans sa longue vie un siècle presque tout entier d'une piété toujours également soutenue : prodigues que nous sommes, respectons cet aîné toujours fidèle, et célébrons les prérogatives de la sainteté baptismale si soigneusement conservée.

Je les trouve toutes ramassées dans les paroles de mon texte. Etre toujours avec Jésus-Christ sur sa croix et dans ses souffrances, dans le mépris du monde et des vanités; et être toujours avec Jésus-Christ par une sainte correspondance de charité et une véritable unité de cœur: voilà deux choses qui sont renfermées dans la première partie de mon texte : Fili, tu semper mecum es : « Mon fils, vous êtes toujours avec moi. » Mais il ajoute, pour comble de gloire : « El tout ce qui est à moi est à vous : » Et omnia mea tua sunt; c'est-à-dire que l'innocence a un droit acquis sur tous les biens de son Créateur. Ce sont, mes Frères, les trois avantages qu'a donnés à François de Paule l'intégrité baptismale. Nous commençons dans le saint baptême à être avec Jésus-Christ sur la croix, parce que nous y professons (b) le mépris du monde : saint François, dès son enfance, a éternellement rompu le commerce avec lui par une vie pénitente et mortifiée (c). Nous commençons dans le saint baptême à nous unir à Dieu par la charité : il n'a jamais cessé d'avancer toujours dans cette bienheureuse communication. Nous acquérons dans le saint baptême un droit particulier sur les biens de Dieu : et saint François a tellement conservé et même encore augmenté ce droit, qu'on l'a vu maître de soi-même et de toutes choses par une puissance miraculeuse

 

(a) Var. : Jusqu’à la vieillesse décrépite. — (b) ... Sur la croix, c'est-à-dire à professer. — (c) Rompu le commerce avec le monde par les exercices de la pénitence.

 

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que Dieu lui avait donnée presque sur toutes les créatures. Ces trois merveilleux avantages delà sainteté baptismale, tous ramassés dans mon texte et dans la personne de François de Paule , feront le partage de ce discours et le sujet de vos attentions.

 

PREMIER  POINT.

 

C'est une fausse imagination que de croire que l'obligation de quitter le monde ne regarde que les cloîtres et les monastères. Ce qu'a dit l'apôtre saint Paul (1), que nous sommes morts et ensevelis avec Jésus-Christ, étant une dépendance de notre baptême, oblige également tous les fidèles et leur impose une nécessité indispensable de rompre tout commerce avec le monde. Et en effet, Messieurs, les liens qui nous attachent au monde se formant en nous par la naissance, il est clair qu'ils se doivent rompre par la mort. Les morts ne sont plus de rien, ils n'ont plus de part à la société humaine : c'est pourquoi les tombeaux sont appelés des solitudes: Aedificant sibi solitudines (2). Si donc nous sommes morts en Jésus-Christ par le saint baptême, nous avons par conséquent renoncé au monde.

Le grand apôtre saint Paul nous a expliqué profondément ce que c'est que cette mort spirituelle, lorsqu'il a parlé en ces termes : « Le monde, dit-il, est crucifié pour moi, et moi je suis crucifié pour le monde (a) : » Mihi mundus crucifixus est, et ego mundo (3) Le docte et éloquent saint Jean Chrysostome fait une belle réflexion sur ces paroles : Ce n'est pas assez, dit-il (4), à l'Apôtre que le chrétien soit mort au monde; mais il ajoute encore : Il faut que le monde soit mort pour le chrétien; et cela pour nous faire entendre que le commerce est rompu des deux côtés ; et qu'il n'y a plus aucune alliance. Car, poursuit ce docte interprète, l'Apôtre

 

1 Rom., VI, 3, 4. — 2 Job, III, 14. — 3 Galat., VI, 14. — 4 De compunct., lib. II, n. 2.

 

(a) Var. : Pour garder l'intégrité baptismale et mériter d'entendre ces belles paroles de la bouche de Jésus-Christ : « Mon fils, tu es toujours avec moi, » il faut se résoudre avant toutes choses de ne le quitter jamais dans ses souffrances, et de le suivre persévéramment à sa croix. L'homme baptisé, chrétiens, est un homme crucifié avec le Sauveur; et saint Paul nous a expliqué admirablement à quoi nous oblige ce crucifiement, lorsqu'il a écrit ainsi aux Galates : Mihi mundus crucifixus est, et ego mundo.

 

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considérait que non-seulement les vivants ont quelques sentiments les uns pour les autres, mais qu'il leur reste encore quelque affection pour les morts : ils en conservent le souvenir, ils leur rendent quelques honneurs, ne seroit-ce que ceux de la sépulture. C'est pourquoi l'apôtre saint Paul ayant entrepris de nous faire entendre jusqu'à quelle extrémité le fidèle doit se dégager de l'amour du monde : Ce n'est pas assez, nous dit-il, que le commerce soit rompu entre le monde et le chrétien, comme il l'est entre les vivants et les morts; car il y a souvent quelque affection (a) des vivants aux morts , qui va les rechercher dans le tombeau même. Il faut une plus grande rupture; et afin qu'il n'y reste aucune alliance, tel qu'est un mort à l'égard d'un mort, tel doit être le monde et le chrétien : Mihi mundus crucifixus est, et ego mundo. Où va cela, chrétiens, et où nous conduit ce raisonnement (a)? Il faut vous en donner en peu de paroles une idée plus particulière.

Ce qui nous fait vivre au monde, c'est l'inclination pour le monde (c) : ce qui fait vivre le monde pour nous, c'est un certain éclat qui nous charme (d) dans les biens du monde. La mort éteint les inclinations, la mort ternit le lustre de toutes choses : C'est pourquoi, dit saint Paul, je suis mort au monde; je n'ai plus d'inclination pour le monde : le monde est mort pour moi, il n'a plus d'éclat pour mes yeux. Comme on voit dans le plus beau corps du monde qu'aussitôt que l’âme s'en est retirée, encore que les linéaments soient presque les mêmes, cette fleur de beauté se passe et cette bonne grâce s'évanouit : ainsi le monde est mort pour le chrétien (e) ; il n'a plus d'appas qui l'attirent, ni de charmes qui touchent son cœur. Voilà cette mort spirituelle, qui sépare le monde et le chrétien : telle est l'obligation du baptême. Mais si nous avons si mal observé les promesses que nous avons faites, admirons, du moins aujourd'hui, la sainte obstination de saint

 

(a) Var. : Liaison. — (b) Que veut dire cette rupture?— (c) Les biens du monde. — (d) Eblouit. — (e) Ainsi le monde est mort pour le chrétien en tant qu'il n'a plus d'attrait pour son cœur; et le chrétien est mort pour le monde en tant qu'il n'a plus d'amour pour ses vains plaisirs, et que s'il a pour lui quelque reste d'inclination, il ne cesse de la combattre par une vie pénitente C'est ce qui s'appelle dans l'Ecriture être crucifié avec Jésus-Christ Nous le devons être par notre baptême, où nous contractons tous l'obligation de mortifier en nous l'amour des plaisirs.

 

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François de Paule à combattre la nature et ses sentiments; admirons la fidélité inviolable de ce grand homme qui a été envoyé de Dieu pour faire revivre en son siècle cet esprit de mortification et de pénitence, c'est-à-dire le véritable esprit du christianisme presque entièrement aboli par la mollesse.

Que dirai-je ici, chrétiens, et par où commencerai-je l'éloge de sa pénitence ? Qu'admirerai-je le plus, ou qu'il l'ait sitôt commencée, ou qu'il l'ait fait durer si longtemps avec une pareille vigueur? Sa tendre enfance l'a vue naître en lui, sa vieillesse la plus décrépite ne l'a jamais vue relâchée. Par l'une de ces entreprises il a imité Jean-Baptiste ; et par l'autre il a égalé les Paul, les Antoine, les Hillarion. Vous allez voir, Messieurs, en ce grand homme un terrible renversement de la nature; et afin de le bien entendre, représentez-vous en vous-mêmes quelles sont ordinairement dans tous les hommes les deux extrémités de la vie, je veux dire l'enfance et la vieillesse. Elles ont déjà cela de commun, que la faiblesse et L'infirmité sont leur partage. L'enfance est faible, parce qu'elle ne fait que commencer; la vieillesse , parce qu'elle approche de sa ruine (a), prête à tomber par terre. Dans l'enfance, le corps est semblable à un bâtiment encore imparfait; et il ressemble dans la vieillesse à un édifice caduc, dont les fondements sont ébranlés. Les désirs en l'une et en l'autre sont proportionnés à leur état. Avec le même empressement que l'enfance montre pour la nourriture, la vieillesse s'étudie aux précautions, parce que l'une veut acquérir ce qui lui manque, et l'autre retenir ce qui lui échappe. Ainsi l'une demande (b) des secours pour s'avancer à sa perfection, et l'autre cherche des appuis pour soutenir sa défaillance. C'est pourquoi elles sont toutes deux entièrement appliquées à ce qui touche le corps, la dernière sollicitée par la crainte, et la première poussée par un secret instinct de la nature.

François de Paule, Messieurs, est un homme que Dieu a voulu envoyer au monde pour nous montrer que les lois de la nature cèdent, quand il lui plaît, aux lois de la grâce. Nous voyons en cet homme admirable, contre tout l'ordre de la nature, un enfant

 

(a) Var. : Est prête à s'éteindre. — (b) Désire.

 

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qui modère ses désirs, un vieillard qui n'épargne pas son peu de force. C'est ce fils fidèle et persévérant, qui est toujours avec Jésus-Christ. Jésus a toujours été dans les travaux : In laboribus à juventute meà (1) ; il a toujours été sur la croix. François de Paule, enfant, commence les travaux de sa pénitence. Il n'avait que six ou sept ans, que des religieux très-réformés admiraient sa vie austère et mortifiée. A treize ans, il quitte le monde et se jette dans un désert, de peur de souiller son innocence par la contagion du siècle. Grâce du baptême, mort spirituelle, où as-tu jamais paru avec plus de force ? Cet enfant est déjà crucifié au monde, cet enfant est déjà mort au monde, auquel il n'a jamais commencé de vivre. Cela est admirable, sans doute : mais voici qui ne l'est pas moins.

A quatre-vingt-onze ans, ni ses fatigues continuelles, ni son extrême caducité ne le peuvent obliger de modérer la sévérité de sa vie. Il fait un carême éternel ; et dans la rigueur de son jeune, un peu de pain est sa nourriture, de l'eau toute pure étanche sa soif: à ses jours de réjouissance, il y ajoute quelques légumes : voilà les ragoûts de François de Paule. Au milieu de cette rigueur, de peur de manger pour le plaisir, il attend toujours la dernière nécessité. Il ne songe à prendre sa réfection, que lorsqu'il sent que la nuit approche. Après avoir vaqué tout le jour au service de son Créateur, il croit avoir quelque droit de penser pourvoir à l'infirmité de la nature. Il traite son corps comme un mercenaire, à qui il donne son pain quand il a achevé sa journée. Par une nourriture modique, il se prépare à un sommeil léger, louant la munificente divine de ce qu'elle lui apprend si bien à se contenter de peu. Telle est la conduite de saint François en santé et en maladie ; tel est son régime de vivre. Une vigueur spirituelle, qui se renouvelle et se fortifie de jour en jour, ne permet pas à son âme de sentir la caducité de l'âge. C'est cette jeunesse intérieure qui soutenait ses membres cassés dans sa vieillesse décrépite, et lui a fait continuer sa pénitence jusqu'à la fin de sa vie.

Voici, mes Frères, un grand exemple pour confondre notre mollesse. O Dieu de mon cœur, quand je considère que cet homme

 

1 Psal. LXXXVII, 16.

 

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si pur et si innocent, cet homme qui est toujours demeuré dans l'enfance et la simplicité du saint baptême, fait une pénitence si rigoureuse, je frémis jusqu'au fond de l’âme, et les continuelles mortifications de cet innocent me font trembler pour les criminels qui vivent dans les délices. Quand nous aurions toujours conservé la sainteté baptismale, la seule conformité avec Jésus-Christ nous oblige d'embrasser sa croix, en mortifiant nos mauvais désirs (a). Mais lorsque nous avons été assez malheureux pour perdre la sainteté et la grâce par quelque faute mortelle, il est bien aisé déjuger combien alors cette obligation est redoublée. Car l'apôtre saint Paul nous enseigne que quiconque déchait de la grâce, crucifie de nouveau Jésus-Christ (1), qu'il perce encore une fois ses pieds et ses mains; que non-seulement il répand, mais encore qu'il foule aux pieds son sang précieux (2). S'il est ainsi, chrétiens mes frères, pour réparer cet attentat par lequel nous crucifions Jésus-Christ, que pouvons-nous faire autre chose, sinon de nous crucifier nous-mêmes, et de venger sur nos propres corps l'injure que nous avons faite à notre Sauveur?

Tout autant que nous sommes de pécheurs, prenons aujourd'hui ces sentiments, et imprimons vivement en nos esprits cette obligation indispensable de venger Jésus-Christ en nous-mêmes. Je ne vous demande pas pour cela, ni des jeûnes continuels, ni des macérations extraordinaires, quoique, hélas! quand nous le ferions, la justice divine aurait droit d'en exiger encore beaucoup davantage : mais notre lâcheté et notre faiblesse ne permettent pas seulement que l'on nous propose une médecine si forte. Du moins corrigeons nos mauvais désirs ; du moins ne pensons jamais à nos crimes, sans nous affliger devant Dieu de notre prodigieuse ingratitude. Ne donnons point de bornes à une si juste douleur ; et songeons qu'étant subrogée à une peine d'une éternelle durée, elle doit imiter en quelque sorte son intolérable

 

1 Hebr., VI, 6. — 2 Ibid., X, 29.

 

(a) Var. : Nous engage à nous crucifier avec lui, on mortifiant nos mauvais désirs. Car puisque saint Paul nous enseigne que tout autant que nous sommes de baptisés, nous avons été revêtus de Jésus-Christ, cette bienheureuse conformité que nous devons avoir avec lui, suffit pour nous obliger de prendre part à sa croix.

 

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perpétuité : faisons-la donc durer du moins jusqu'à la fin de notre vie (a). Heureux ceux que la mort vient surprendre(b) dans les humbles sentiments de la pénitence. Je parle mal, chrétiens; la mort ne les surprend pas. La mort, pour eux, n'est pas une mort ; elle n'est mort que pour ceux qui vivent enivrés de l'amour du monde.

Notre incomparable François était en la Cour de Louis XI, où l'on voyait tous les jours et le pouvoir de la mort, et son impuissance : son pouvoir, sur ce grand monarque; son impuissance, sur ce pauvre ermite. Louis, resserré dans ses forteresses et environné de ses gardes, ne sait à qui confier sa vie ; et la crainte de la mort le saisit de telle sotte, qu'elle lui fait méconnaître ses meilleurs amis. Vous voyez un prince, Messieurs, que la mort réduit en un triste état : toujours tremblant (c), toujours inquiet, il craint généralement tout ce qui l'approche ; et il n'est précaution qu'il ne cherche pour se garantir de cette ennemie qui saura bien éluder ses soins et les vains raffinements de sa politique.

Regardez maintenant le pauvre François, et voyez si elle lui fera seulement froncer les sourcils. Il la contemple avec un visage riant : elle ne lui est pas inconnue, et il y a déjà trop longtemps qu'il s'est familiarisé avec elle pour être étonné de ses approches. La mortification l'a accoutumé à la mort ; les jeûnes et la pénitence, dit Tertullien (1), la lui ont déjà fait voir de près, et l'ont souvent avancé dans son voisinage : Sœpè jejunans, mortem de proximo novit. Il sortira du monde plus légèrement : il s'est déjà déchargé lui-même d'une partie de son corps, comme d'un empêchement importun à l’âme : Prœmisso jam sanguinis succo, tanquam animœ impedimento. C'est pourquoi, sentant (cl) approcher la mort, il lui tend de bon cœur les bras; il lui présente avec

 

1 Tertull., De Jejun., n. 12.

 

(a) Var. : Elle doit imiter en quelque sorte son intolérable perpétuité, en s'étendant du moins jusqu'à la fin de notre vie. — (b) Saisit. — (c) C'est vous sainte pénitence, qui avez fait mourir saint François de Paule avec cette tranquillité admirable : c'est vous qui lui donnez un avantage par-dessus le plus grand monarque du monde. Je vois trembler Louis XI au milieu de ses gardes et de ses forteresses, et l'appréhension de la mort ne lui laisse plus aucun repos. Voilà un roi en un état bien déplorable, toujours tremblant, etc. — (d) Voyant.

 

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joie ce qui lui reste de corps: et d'un visage riant il lui désigne (a) l’endroit où elle doit frapper son dernier coup. O mort, lui dit-il, quoique le monde te nomme cruelle et inexorable, tu ne me feras aucun mal, parce que tu ne m'ôteras rien de ce que j'aime. Bien loin de rompre le cours de mes desseins, tu ne feras qu'achever l'ouvrage que j'ai commencé, en me défaisant de toutes les choses dont je tâche de me défaire il y a longtemps. Tu me déchargeras de ce corps : ô mort, je t’en remercie ; il y a plus de quatre-vingts ans que je travaille moi-même à m'en décharger. J'ai professé dans le baptême que ces désirs ne me touchaient pas (b) : j'ai tâché de les couper (c) pendant tout le cours de ma vie : ton secours, ô mort, m'était nécessaire pour en arracher la racine; tu ne détruis pas ce que je suis, mais tu achèves ce que je fais.

Telle est la force de la pénitence. Celui qui aime ses exercices a toujours son âme en ses mains, et est prêt à tout moment de la rendre. L'admirable François de Paule, tout rempli de ces sentiments et nourri dès sa tendre enfance sur la croix de notre Sauveur, n'avait garde de craindre la mort. Mais nous parlons déjà de sa mort, et nous ne faisons encore que de commencer les merveilles de sa sainte vie : l'ordre des choses nous y a conduits. Mais continuons la suite de notre dessein ; et après avoir vu notre grand saint François uni si étroitement avec Jésus-Christ dans la société de ses souffrances, voyons-le dans la bienheureuse participation de sa sainte familiarité : Tu semper mecum es : c'est ma seconde partie.

 

SECOND POINT.

 

Saint Paul écrivant aux Hébreux, a prononcé cette sentence dans le chapitre vi de cette Epitre admirable : « Il est impossible, dit-il, que ceux qui ont reçu une fois dans le saint baptême les lumières de la grâce, qui ont goûté le don céleste, qui ont été faits participais du Saint-Esprit et sont tombés volontairement de cet état bienheureux, soient jamais renouvelés par la pénitence : » Impossibile est rursùm renovari ad pœnitentiam (1), Je

 

1 Hebr., VI, 4, 6.

(a) Var. : Montre. — (b) Ne me seraient rien. — (c) Retrancher, — mortifier.

 

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m'éloignerais de la vérité (a), si je voulais conclure de ce passage, comme faisaient les novatiens, que ceux qui sont une fois déchus de la grâce n'y peuvent jamais être rétablis : mais je ne croirai pas me tromper, si j'en lire cette conséquence (b), qu'il y a je ne sais quoi de particulier dans l'intégrité baptismale , qu'on ne retrouve; jamais quand on l'a perdue : Impossibile est rursùm renovari. Rendez-lui sa première robe, dit ce père miséricordieux, parlant du prodigue pénitent (c), c'est-à-dire rendez-lui la justice dont il s'était dépouillé lui-même. Cette robe lui est rendue, je le confesse : qu'elle est belle et resplendissante! mais elle aurait encore un éclat plus grand, si elle n'avait jamais été souillée. Le père, je le sais bien, reçoit son fils dans sa maison, et il le fait rentrer dans ses premiers droits ; mais néanmoins il ne lui dit pas : « Mon fils, tu es toujours avec moi : » Fili, tu semper mecum es; et il montre bien par cette parole que cette innocence toujours entière, cette fidélité jamais violée, sait bien conserver ses avantages.

En quoi consiste ce privilège? C'est ce qu'il est malaisé d'entendre. La tendresse extraordinaire que Dieu témoigne dans son Ecriture pour les pécheurs convertis, semble nous obliger de croire qu'il n'use avec eux d'aucune réserve. Ne peut-on pas même juger qu'il les préfète aux justes en quelque façon (d), puisqu'il quitte les justes, dit l'Evangile (1), pour aller chercher les pécheurs ; et que bien loin de diminuer pour eux son affection, il prend plaisir au contraire de la redoubler? Et toutefois, chrétiens, il ne nous est pas permis de douter que ce Dieu, qui est juste dans toutes ses œuvres, ne sache bien garder la prérogative qui est due naturellement à l'innocence: et lorsqu'il semble que les saintes Lettres accordent aux pécheurs convertis quelque sorte de préférence, voici en quel sens il le faut entendre. Cette décision est tirée du grand saint Thomas, qui faisant la comparaison de l'état du juste qui persévère et du pécheur qui se convertit, dit qu'il faut considérer en l'un ce qu'il a, et en l'autre d'où il est sorti. Après

 

1 Luc., XV, 4.

(a) Var. : Je ne dirais pas la vérité. — (b) Si je conclus de ces paroles. — (c) Converti. — (d) Il semble même qu'il les préfère aux justes.

 

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cette distinction il conclut judicieusement à son ordinaire que Dieu conserve au juste un plus grand don, et qu'il retire le pécheur d'un plus grand mal : et partant que le juste est sans doute plus avantagé, si l'on a égard à son mérite; mais que le pécheur semblera plus favorisé, si l'on regarde son indignité. D'où il s'ensuit que l'état du juste est toujours absolument le meilleur ; et par conséquent il faut croire que ces mouvements de tendresse que ressent la bonté divine pour les pécheurs convertis, qui sont sa nouvelle conquête, n'ôtent pas la prérogative d'une estime particulière aux justes (a), qui sont ses anciens amis; et qu'enfin ce chaste amateur de la sainteté et de l'innocence trouve je ne sais quel attrait particulier dans ces âmes qui n'ont jamais rejeté sa grâce, ni affligé son esprit ; qui étant toujours fraîches et toujours nouvelles et gardant inviolablement leur première foi, après une longue suite d'années paraissent aussi saintes, aussi innocentes, qu'elles sortirent des eaux du baptême (b) comme a fait, par exemple, saint François de Paule.

        Quelles douceurs, quelle affection, quelle familiarité particulière Dieu réserve à ces innocents ; c'est un secret de sa grâce, que je n'entreprends pas de pénétrer. Je sais seulement que François de Paule accoutumé dès sa tendre enfance à communiquer avec Dieu, ne pouvait plus vivre un moment sans lui. Semblable à ces amis empressés qui contractent une habitude si forte de converser librement ensemble, que la moindre séparation ne leur paraît pas supportable : ainsi vivait saint François de Paule. O mon Dieu, disait-il avec David, du plus loin que je me souvienne et presque dès le ventre de ma mère, vous êtes mon Dieu : De ventre matris

 

(a) Var. : N'ôtent pas la préférence qui est due à la sainteté toujours fidèle. On goûte mieux la santé quand on relève nouvellement d'une maladie ; mais on estime toutefois beaucoup davantage les forces toujours égales d'une bonne constitution. Les cœurs sont saisis d'une joie soudaine par la grâce inopinée d'un beau jour d'hiver qui, après un temps pluvieux, vient réjouir tout d'un coup la face du monde; mais on ne laisse pas de mieux aimer la constante sérénité d'une saison plus bénigne. Ainsi, Messieurs, s'il nous est permis de juger des sentiments du Sauveur par l'exemple des sentiments humains, il caresse plus tendrement les pécheurs récemment convertis, qui sou! sa nouvelle conquête ; mais il aime avec plus d'ardeur les innocents, il réserve une familiarité plus particulière aux justes, qui sont ses anciens amis qu'il a eus toujours avec lui. — (b) Qui n'ont jamais rejeté sa grâce ni affligé son esprit, enfin qui ne lui ont jamais donné sujet de se plaindre.

 

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meœ Deus meus es tu, ne discesseris à me (1). Jamais mon cœur n'a aimé que vous, il n'a jamais brûlé d'autres flammes. Eh! mon Dieu, ne me quittez pas : Ne discesseris à me. Je ne puis subsister un moment sans vous. Son cœur étant ainsi disposé, c'était, Messieurs, lui ôter la vie, que de le tirer de sa solitude (a). En effet, dit le dévot saint Bernard, c'est une espèce de mort violente que de se sentir arracher de la douce société de Jésus-Christ par les affaires du monde: Morividentur sibi..., et reverà mortis species est à contemplatione candidi Jesu ad has tenebras rursùs avelli (2). Jugez donc des douleurs de François de Paule, quand il reçut l'ordre du Pape d'aller à la Cour de Louis XI, qui le demandait avec instance. O solitude, ô retraite qu'on le force d'abandonner! Combien regretta-t-il de vous perdre ! Mais enfin il faut obéir; et je vois qu'il vous quitte bien résolu néanmoins de se faire une solitude dans le tumulte, au milieu de tout le bruit de la Cour et de ses empressements éternels.

C'est ici, c'est ici, chrétiens, où je vous prie de vous rendre attentifs à ce que va faire François de Paule. Voici sans doute son plus grand miracle, d'avoir été si solitaire et si recueilli au milieu des faveurs des rois et dans les applaudissements de toute leur Cour. Je ne m'étonne plus, quand je lis dans l'histoire de saint François qu'il a passé au milieu des flammes sans en avoir été offensé, ni que domptant la fureur de ce détrait de Sicile, fameux par tant de naufrages, il ait trouvé sur son manteau la sûreté que les plus adroits pilotes ont peine à trouver dans leurs grands vaisseaux. La Cour a des flammes plus dévorantes, elle a des écueils plus dangereux ; et bien que les inventions hardies des expressions poétiques n'aient pu nous représenter la mer de Sicile aussi horrible que la nature l'a faite, la Cour a des vagues plus furieuses, et des abîmes plus creux, et des tempêtes plus redoutables. Comme c'est de la Cour que dépendent toutes les affaires et que c’est là aussi qu'elles aboutissent, l'ennemi du genre humain y jette tous ses appâts, y étale toute sa pompe : là est l'empire de

 

1 Psal. XXI, 11, 12. — 2 Tract.  De pass. Dom., cap. XXVII, in Appen. Op. S. Bernardi.

(a) Var. : Que de le faire sortir de sa retraite.

 

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l'intérêt, là est le théâtre des passions: là elles sont les plus violentes, là elles sont les plus déguisées.

Voici donc François de Paule dans un nouveau monde, chéri et honoré par trois de nos rois; et après cela vous ne doutez pas que toute la Cour ne lui applaudisse. Tout cela ne le touche pas: la douce méditation des choses divines et cette sainte union avec Jésus-Christ, l'ont désabusé pour jamais de tout ce qui éclate dans le monde. Doux attraits de la Cour, combien avez-vous corrompu d'innocents ! Combien en a-t-on vus qui se laissent comme entraîner à la Cour par force, sans dessein de s'y engager! Enfin l'occasion s'est présentée belle ; le moment fatal est venu ; la vague les a poussés et les a emportés, ainsi que les autres. Ils n'étaient venus, disaient-ils, que pour être spectateurs de la comédie : à la fin ils en ont trouvé l'intrigue si belle, qu'ils y ont voulu jouer leur personnage. Souvent même l'on s'est servi de la piété pour s'ouvrir des entrées favorables ; et après que l'on a bu de cette eau, l’âme est toute changée par une espèce d'enchantement. C'est un breuvage charmé, qui enivre les plus sobres; et la plupart de ceux qui en ont goûté ne peuvent presque plus goûter autre chose (a).

Cependant l'admirable saint François de Paule est solitaire jusque dans la Cour, et toujours recueilli en Dieu parmi ce tumulte : on ne peut presque le tirer de sa cellule, où cette âme pure et innocente embrasse son Dieu en secret. L'heure de manger arrive : il goûte une nourriture plus agréable dans les douceurs de son oraison. La nuit l'invite au repos : il trouve .son véritable repos à répandre son cœur devant Dieu (b). Le roi le demande en personne avec une extrême impatience : il a affaire, il ne peut quitter, il est enfermé avec Dieu dans de secrètes communications. On frappe à sa porte avec violence : l'amour divin, qui a occupé tous ses sens par le ravissement de l'esprit, ne lui permet pas «l'entendre autre chose que ce que Dieu lui dit au fond de son cœur, dans un saint et admirable silence. O homme vraiment uni avec Dieu et digne d'entendre de su bouche : Fili, tu semper mecum es,

 

(a) Var. : Et quand on en a goûté, on ne peut presque plus goûter autre chose. — (b) Dans la paix et les embrassements de Dieu.

 

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« Mon fils, vous êtes toujours avec moi ! » Il est accoutumé avec Dieu, il ne connaît que lui : il est né, il est crû sous son aile; il ne peut le quitter ni vivre sans lui un seul moment, privé des délices de son amour.

Sainte familiarité avec Jésus-Christ, oraison, prière, méditation, entretiens sacrés de l’âme avec Dieu, que ne savons-nous goûter vos douceurs ! Pour les goûter, mes Frères, il faut se retirer quelquefois du bruit et du tumulte du monde, afin d'écouter Jésus en secret. « Il est malaisé, dit saint Augustin, de trouver Jésus-Christ dans le grand monde : il faut pour cela une solitude : » Difficile est in turbà videre Jesum : solitudo quœdam necessaria est (1). Faisons-nous une solitude ; rentrons en nous-mêmes (a) pour penser à Dieu; ramassons tout notre esprit en cette haute partie de notre âme, pour nous exciter à louer Dieu ; ne permettons pas, chrétiens, qu'aucune autre pensée nous vienne troubler.

Mais que les hommes du monde sont éloignés (b) de ces sentiments! Converser avec Dieu leur paraît une rêverie : le seul mot de retraite et de solitude leur donne (c) un ennui qu'ils ne peuvent vaincre. Ils passent éternellement d'affaire en affaire, et de visite en visite; et je ne m'en étonne pas, dit saint Bernard : ils n'ont pas cette oreille intérieure, pour écouter la voix de Dieu dans leur conscience, ni cette bouche spirituelle pour lui parler secrètement au dedans du cœur. C'est pourquoi ils cherchent à tromper le temps par mille sortes d'occupations (d) ; et ne sachant à quoi passer les heures du jour, dont la lenteur leur est à charge, ils charment l'ennui qui les accable par des amusements inutiles : Longitudinem temporis, quâ gravantur, inutilibus confabulationibus expendere satagunt (2). Regardez cet homme d'intrigues environné de la troupe de ses clients, qui se croit honoré par l'assiduité des devoirs qu'ils s'empressent de lui rendre; il regarde comme une grande peine de se trouver vis-à-vis de lui-même: Stipatus clientium cuneis, frequentiore comitatu officiosi agminis

 

1 In Joan., tract. XVII, n. 11.— 2 Tract, de Pass. Dom., cap. XXVII, in Append. Oper. S. Bern.

(a) Var. : Retirons-nous pour...— (b) Mais que nous sommes éloignés. —

(c) Inspire. — (d) A s'occuper dans les emplois extérieurs : Exteriorum sensuum subsidia quœraunt.

 

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hic honestatus, pœnam putat esse cùm solus est (1). Toujours ce lui est un supplice que d'être seul, comme si ce n'était pas assez de lui-même pour pouvoir s'occuper agréablement dans l'affaire de son saint. Cependant il est véritable, vous vous fuyez vous-même, vous refusez de converser avec vous-même, vous cherchez continuellement les autres, et vous ne pouvez vous souffrir vous-même. Usque adeo adeò charus est hic mundus hominibus, ut sibimetipsis viluerint (2): « Ce monde tient si fort au cœur des hommes (a), qu'ils se dédaignent eux-mêmes, » qu'ils en oublient leurs propres affaires. Désabusez-vous, ô mortels! Que vous servent ces liaisons et ces nouvelles intrigues où vous vous jetez tous les jours? C'est pour vous donner du crédit, pour avoir de l'autorité. Mais unissez-vous avec Dieu, et apprenez de François de Paule que c'est par là qu'on peut acquérir la véritable puissance : Omnia mea tua sunt: c'est ma troisième partie (b).

 

TROISIÈME POINT.

 

Nous apprenons de Tertullien que l'hérétique Marcion avait l'insolence de reprocher hautement au Dieu d'Abraham qu'il ne s'accordait pas avec lui-même. Tantôt il paraissait dans son Ecriture avec une majesté si terrible, qu'on n'en osait approcher sans crainte (c) ; et tantôt il avait, dit-il, des faiblesses, des facilités, des bassesses et des enfances : Pusillitates et incongruentias Dei (3), comme il avait l'audace de s'exprimer, jusqu'à craindre de fâcher Moïse et à le prier de le laisser faire : Dimitte me ut irascatur furor meus (4) : « Laissez-moi lâcher la bride à ma colère contre ce peuple infidèle (d). » D'où cet hérétique concluait que le Dieu que

 

1 S. Cyprian., Epist. ad Donat., n. 2.— 2 S. August., ep. XLIII, cap. I.— 3 Tertull., Adv. Marcion., lib. II, n. 26, 27. — 4 Exod., XXXII, 10.

(a) Var.: Ce monde est si cher aux hommes. — (b) Cette fidélité persévérante, celle sainte familiarité d'un fils qui est toujours demeuré avec son père lui donne une pleine disposition de tous les biens paternels et un droit d'en user avec empire. C'est ce que le Fils de Dieu nous exprime par les paroles de mon texte : « Mon fils, vous êtes toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à vous : » Et omnia mea tua sunt. C'est ma troisième partie. — (c) Qu'on ne la pouvait regarder. — (d)  Dieu étant en tolère contre son peuple, avait comme résolu de le perdre; mais il appréhende Moïse, il craint de fâcher Moïse. Pour avoir entière liberté d'agir, il lâche auparavant de gagner Moïse : Laisse-moi, laisse-moi, dit-il; que je lâche la bride à ma colère, pour détruire ce peuple infidèle. Pour toi, ne sois pas en peine, je te ferai le père d'un grand peuple :

 

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servaient les Juifs avait une conduite irrégulière, qui se démentait elle-même.

Ce qui servait de prétexte à cette rêverie sacrilège, c'est en effet, Messieurs, que nous voyons dans les saintes Ecritures que Dieu change en quelque façon de conduite selon la diversité des personnes. Quand les hommes présument d'eux-mêmes, ou qu'ils manquent à la soumission qui lui est due, ou qu'ils prennent peu de soin de se rendre dignes de s'approcher de Sa Majesté, il ne se relâche jamais d'aucun de ses droits et il conserve avec eux toute sa grandeur (a). Voyez comme il traite Achah, comme il se plaît à l'humilier. Au contraire quand on obéit, et que l'on agit (b) avec lui en simplicité de cœur, il se dépouille en quelque sorte de sa puissance, et il n'y a aucune partie de son domaine ; dont il ne mette en possession ses serviteurs. « Vive le Seigneur, dit Elie, en la présence duquel je suis : il n'y aura ni pluie ni rosée que par mon congé : » Vivit Dominus, in cujus conspectu sto, si erit annis his ros et pluvia nisi juxta oris mei verba (1). Voilà un homme qui paraît bien vindicatif, et cependant voyez-en la suite. C'est un homme qui jure, et Dieu se sent lié par ce serment ; et pour délivrer la parole de son serviteur, confirmée par son jurement, il ferme le ciel durant trois années avec une rigueur inflexible.

Que veut dire ceci, chrétiens, si ce n'est, comme dit si bien saint Augustin , que Dieu se fait servir par les hommes, et qu'il les sert aussi réciproquement? Ses fidèles serviteurs lui disent avec le Psalmiste : « Nous voilà tout prêts, ô Seigneur, d'accomplir constamment votre volonté : » Ecce venio ut faciam, Deus, voluntatem tuam (2). Vous voyez les hommes qui servent Dieu ; mais écoutez le même Psalmiste : « Dieu fera la volonté de ceux qui le craignent : » Voluntatem timentium se faciet (3) Voilà Dieu qui leur rend le change , et les sert aussi à son tour. Vous servez Dieu, Dieu vous sert; vous faites sa volonté, et il fait la vôtre : Si ideo times Deum ut facias ejus voluntatem, ille quodam modo ministrat tibi, facit voluntatem tuam (4); pour nous apprendre

 

1 III Reg., XVII, 1. — 2 Psal. XXXIX, 8, 9. — 3 Psal. CXLIV, 19. — 4 Enar. in Psal. CXLIV, n. 23.

Dimitte me ut irascatur furor meus,  faciamque te in gentem magnam   — (a) Var. : Il se tient alors sur sa grandeur. — (b) Traite.

 

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chrétiens, que Dieu est un ami sincère, qui n'a rien de réservé pour les siens, et qui étudiant les désirs de ceux qui le craignent, leur permet d'user de ses biens avec une espèce d'empire : Voluntatem timentium se faciet.

Mais encore que cette bonté s'étende généralement sur tous ses amis, c'est-à-dire sur tous les justes, les paroles de mon texte nous font bien connaître que ces justes persévérants, ces enfants qui n'ont jamais quitté sa maison, ont un droit tout particulier de disposer des biens paternels ; et c'est à ceux-là qu'il dit dans son Evangile ces paroles, avec un sentiment de tendresse extraordinaire et singulier : « Mon Fils, vous avez toujours été avec moi, et tout ce qui est à moi est à vous : » Fili, tu semper mecum es, et omnia mea tua sunt. Pourquoi me reprochez-vous que je ne vous donne rien? Usez vous-même de votre droit, et disposez comme maître de tout ce qu'il y a dans ma maison (a).

C'est donc en vertu de cette innocence et de cette parole de l'Evangile, que le grand saint François de Paule n'a jamais cru rien d'impossible. Cette sainte familiarité d'un fils qui sent l'amour de son père, lui donnait la confiance de tout entreprendre : et un prélat de la Cour de Rome, que le Pape lui avait envoyé pour l'examiner, lui représentant les difficultés de l'établissement de son ordre si austère, si pénitent, si mortifié, fut ravi en admiration d'entendre dire à notre grand saint avec une ferveur d'esprit incroyable que tout est possible quand on aime Dieu et qu'on s'étudie de lui plaire ; et qu'alors les créatures les plus rebelles sont

 

(a) Var. : Particulièrement ceux dont le cœur a été droit dans leur enfance , comme le grand saint François de Paule. C'est à ceux-là, Messieurs, qu'il dit avec joie : « Tout ce qui est à moi est à vous. » Et remarquez, s'il vous plaît, quelle est l'occasion de ce discours. L'aîné se plaignait à son père du festin qu'il faisait pour son prodigue, et lui reprochait qu'il ne lui avait jamais rien donné pour régaler ses amis. A quoi le père répondit ce que nous avons entendu : « Tout ce qui est à moi est à vous; » c'est-à-dire si vous l'entendez : Il n'est pas nécessaire, mon fils, que je vous donne aucune part de mes biens, puisque tout vous est acquis. C'est à vous à user de votre droit, etc. Voilà le privilège de l'innocence ; et encore que je confesse que cette parfaite communication des biens de Dieu regarde principalement les avantages spirituels, néanmoins il est véritable, et l’exemple de saint François de Paule le fait bien connaître, qu'il donne aussi quelquefois aux justes une puissance absolue sur toutes les créatures. De là ce nombre infini de miracles qu'il faisait tous les jours avec une facilité incroyable.

 

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forcées, par une secrète vertu, de faire la volonté de celui qui s'applique à faire celle de son Dieu. Il n'a point été trompé dans son attente : son ordre fleurit dans toute l'Eglise avec cette constante régularité qu'il avait si bien établie, et qui se soutient sans relâchement depuis deux cents ans.

Ce n'est pas en cette seule rencontre que Dieu a fait connaître à son serviteur, qu'il écoutait (a) ses désirs. Tous les peuples où il a passé ont ressenti mille et mille fois des effets considérables de ses prières ; et quatre de nos rois successivement lui ont rendu ce glorieux témoignage, que dans leurs affaires très-importantes ils n'avoient point trouvé de secours plus prompt, ni de protection plus assurée. Presque toutes les créatures ont senti cette puissance si peu limitée que Dieu lui donnait sur ses biens ; et je vous raconterais avec joie les miracles presque infinis que Dieu faisait par son ministère , non-seulement dans les grands besoins, mais encore, s'il se peut dire, sans nécessité, n'était que ce détail serait ennuyeux, et apporterait peu de fruit. Mais comme de tels miracles qui se font particulièrement hors des grands besoins, sont le sujet le plus ordinaire de la raillerie des incrédules (b), il faut qu'à l'occasion du grand saint François, je tâche aujourd'hui de leur apprendre par une doctrine solide à parler plus révéremment des œuvres de Dieu. Voici donc ce que j'ai vu dans les saintes Lettres touchant ces sortes de miracles.

Je trouve deux raisons principales pour lesquelles Dieu étend son bras à des opérations miraculeuses : la première , c'est pour montrer sa grandeur et convaincre les hommes de sa puissance ; la seconde, pour faire voir sa bonté et combien il est indulgent à ses serviteurs. Or je remarque cette différence dans ces deux espèces de miracles, que lorsque Dieu veut faire un miracle pour montrer seulement sa toute-puissance, il choisit des occasions extraordinaires (c). Mais quand il veut faire encore sentir sa bonté il ne néglige pas les occasions les plus communes (d). Cela vient de

 

(a) Var. : Accomplissait. — (b) Je sais, Messieurs, que de tels miracles sont le sujet de la raillerie des incrédules, et que quand ils voient dans les vies des saints que Dieu emploie sa puissance extraordinaire dans des nécessités communes , ils s'élèvent contre ces histoires et que la vérité leur en est suspecte. — (c) Des nécessités pressantes. — (d) Les plus vulgaires.

 

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la différence de ces deux divins attributs. La toute-puissance semble surmonter de plus grands obstacles ; la bonté descend à des soins plus particuliers (a). L'Ecriture nous le fait voir en deux chapitres consécutifs du IVe Livre des Rois. Elisée guérit Naaman le lépreux, capitaine général de la milice du roi de Syrie et chef des armées de tout son royaume : voilà une occasion extraordinaire, où Dieu veut montrer son pouvoir aux nations infidèles. « Qu'il vienne à moi, dit Elisée, et qu'il sache qu'Israël n'est point sans prophète (b) : » Veniat ad me, et sciat esse prophetam in Israël (1). Mais au chapitre suivant, comme les enfants des prophètes (c) travaillaient sur le bord d'un fleuve , l'un d'eux laisse tomber sa cognée dans l'eau , et aussitôt crie à Elisée : Heu ! heu ! heu! domine mi, et hoc ipsum mutuò acceperam »; « Hélas! cette cognée n'était pas à moi; je l'avais empruntée. »   Et encore qu'une rencontre si peu importante (d) semblât ne mériter pas un miracle, néanmoins Dieu, qui se plaît à faire connaître qu'il aime la simplicité de ses serviteurs et prévient leurs désirs dans les moindres choses, fit nager (e) miraculeusement ce fer sur les eaux au commandement d'Elisée , et le rendit à celui qui l'avait perdu. Et d'où vient cela, chrétiens , si ce n'est que notre grand Dieu, qui n'est pas moins bon que puissant, nous montrant sa toute-puissance dans les entreprises éclatantes, veut bien aussi quand il lui plaît montrer dans les moindres la facilité incroyable avec laquelle il s'abandonne à ses serviteurs, pour justifier cette parole : Omnia mea tua sunt ?

Puisque le grand saint François de Paule a été choisi de Dieu en son temps, pour faire éclater en sa personne cette merveilleuse

 

1 IV Reg., V, 8. — 2 Ibid., VI, 5.

 

(a) Var. : La raison en est évidente; c'est que la puissance paraît dans les entreprises extraordinaires, et la bonté se fait connaître en descendant aux soins les plus communs. — (b) Nous lisons au IVe Livre des Rois que le roi de Syrie ayant envoyé Naaman au roi d'Israël pour le guérir de sa lèpre, ce prince fut tort étonné d'une telle proposition : « Me prend-il pour un Dieu qui puisse donner la vie et la mort? » Numquid Deus ego sum, ut occidere possim et vivificare? Mais le prophète Elisée lui envoya dire qu'il cessât de s'inquiéter : « Que Naaman vienne à moi, et qu'il sache qu'il y a un prophète en Israël. » Veniat ad me et sciat prophetam esse in Israel. — (c) Etant allé couper du bois nécessaire pour leur logement. — (d) De cette nature. — (e) ... Qui se plaît à faire connaître qu'il écoute ses serviteurs dans les moindres choses, honora tellement la simplicité de ce prophète, qu'il fit nager...

 

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communication qu'il donne de sa puissance à ses bons amis, je ne m'étonne pas, chrétiens, si les fidèles de Jésus-Christ ont eu tant de confiance en lui durant sa vie, ni si elle dure encore et a pris de nouvelles forces après sa mort. Je ne m'étonne pas de voir sa mémoire singulièrement honorée par la dévotion publique, son ordre révéré par toute l'Eglise, et les temples qui portent son nom et sont consacrés à sa mémoire, fréquentés avec grand concours par tous les fidèles (a).

Mais ce qui m'étonne, mes Frères, ce que je ne puis vous dissimuler, ce que je voudrais pouvoir dire avec, tant de force que les cœurs les plus durs en fussent touchés, c'est lorsqu'il arrive que ces mêmes temples où la mémoire de François de Paule, où les bons exemples de ses religieux, enfin pour abréger ce discours, où toutes choses inspirent la dévotion , deviennent le théâtre de l'irrévérence de quelques particuliers audacieux. Je n'accuse pas tout le monde, et je ne doute pas au contraire que cette église ne soit fréquentée par des personnes d'une piété très-recommandable. Mais qui pourrait souffrir sans douleur que sa sainteté soit déshonorée par les désordres de ceux qui, ne respectant ni Dieu ni les hommes, la profanent tous les jours par leurs insolences? Que s'il y avait dans cet auditoire quelques-uns de cette troupe

 

(a) Var. : Reconnaissez donc, chrétiens, que Dieu, à qui il ne coûte rien de faire céder la nature à ses volontés, emploie quelquefois les miracles, dans îles occasions peu pressantes, seulement pour faire paraître la facilité incroyable avec laquelle il s'abandonne à ses serviteurs. Si quelqu'un mérite cette grâce et cette entière disposition des biens de Dieu, ce sont particulièrement ses anciens amis qui lui ont toujours gardé la fidélité. Si bien que notre grand Saint étant de ce nombre, je n'ai pas de peine à comprendre que Dieu, suivant ses désirs, ait fait par ses mains de si grands miracles. La source, Messieurs, n'en est point tarie, et s'il en a fait en ce monde, si puissance n'est pas épuisée depuis qu'il est devenu citoyen du ciel. Saint Augustin a dit dans le livre XIII De la Trinité: Teneant mortales justitiam, potentia immortalibus dabitur : « Que les mortels gardent la justice, la puissance leur sera donnée dans le séjour de l'immortalité; » c'est-à-dire : C'est ici le temps de pratiquer la justice, mais ce n'est pas encore le temps de recevoir la puissance. Nous devons apprendre en cette vie à vouloir seulement ce qu'il faut; il nous sera donné en l'autre de pouvoir ce que nous voulons. Ce n'est donc pas ici le lieu du pouvoir; et néanmoins Dieu se plaît Messieurs, de donner dès ce monde à ses serviteurs une étendue de puissance qui s'avance jusqu'aux miracles. Par conséquent, qui pourrait vous dire combien elle s'accroît dans la vie future ? Accourez donc toujours dans les églises consacrées sous le nom et la mémoire du grand saint François, accourez y mes Frères; mais que le concours ne s'y fasse pas au préjudice de la piété. C'est ce que j'ai à vous recommander dans ce dernier discours.

 

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scandaleuse, permettez-moi de leur demander que leur a fait ce saint lieu qu'ils choisissent pour le profaner par leurs paroles, parleurs actions, par leurs contenances impies (a)? Que leur ont fait ces religieux , vrais enfants et imitateurs du grand saint François de Paule ? et leur vie a-t-elle mérité, au milieu de tant de travaux que leur fait subir volontairement leur mortification et leur pénitence, qu'on leur ajoute encore cette peine, qui est la seule qui les afflige, de voir mépriser à leurs yeux le Maître qu'ils servent?

Mais laissons les hommes mortels, et parlons des intérêts du Sauveur des âmes. Que leur a fait Jésus-Christ, qu'ils viennent outrager jusque clans son temple ? Pendant que le prêtre est saisi de crainte, dans une profonde considération des sacrements dont il est ministre; pendant que le Saint-Esprit descend sur l'autel pour y opérer les sacrés mystères, que les anges les révèrent, que les démons tremblent, que les âmes saintes et pieuses de nos frères qui sont décédés attendent leur soulagement des saints sacrifices, ces impies discourent aussi librement, que si tout ce mystère était une fable (b). D'où leur vient cette hardiesse devant Jésus-Christ? Est-ce qu'ils ne le connaissent pas, parce qu'il se cache ; ou qu'ils le méprisent, parce qu'il se tait? Vive le Seigneur tout-puissant en la présence duquel je parle : ce Dieu qui se tait maintenant, ne se taira pas toujours; ce Dieu qui se tient maintenant caché, saura bien quelque jour paraître pour leur confusion éternelle. J'ai cru que je ne devais pas (c) quitter cette chaire, sans leur donner ce charitable avertissement. C'est honorer saint François de Paule, que de travailler, comme nous pouvons, à purger son église de ces scandaleux ; et je les exhorte en Notre-Seigneur de profiter de cette instruction , s'ils ne veulent être regardés comme des profanateurs publics de tous les mystères du christianisme.

Mais après leur avoir parlé, je retourne à vous, chrétiens , qui venez en ce temple pour adorer Dieu, et pour y écouter sa sainte

 

(a) Var. : Trouvez bon, je vous prie, Messieurs, que je leur adresse la parole : Mes Frères, qui que vous soyez, je vous appelle encore de ce nom; car quoique vous ayez perdu le respect pour Dieu, il ne laisse pas malgré vous d'être votre Père. Que vous a fait cette église, et pourquoi la choisissez-vous pour y faire paraître vos impiétés.— (b) Que si Jésus-Christ n'y était pas. — (c) Ne devoir pas.

 

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parole. Que vous dirai-je aujourd'hui, et par où conclurai-je ce dernier discours? Ce sera par ces beaux mots de l'Apôtre : Deus autem spei repleat vos gaudio et pace in credendo, ut abundetis in spe et virtute Spiritûs sancti (1) : « Que le Dieu de mon espérance vous remplisse de joie et de paix, en croyant à la parole de son Evangile, afin que vous abondiez en espérance et en la vertu du Saint-Esprit. » C'est l'adieu que j'ai à vous dire : nos remerciements sont des vœux, nos adieux des instructions et des prières. Que ce grand Dieu de notre espérance, pour vous récompenser de l'attention que vous avez donnée à son Evangile, vous fasse la grâce d'en profiter. C'est ce que je demande pour vous : demandez pour moi réciproquement que je puisse tous les jours apprendre à traiter saintement et fidèlement la parole de vérité ; que non-seulement je la traite, mais que je m'en nourrisse et que j'en vive. Je vous quitte avec ce mot; et ce ne sera pas néanmoins sans vous avoir désiré à tous, dans toute l'étendue de mon cœur, la félicité éternelle, au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Amen.

 

1 Rom., XV, 13.

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