Saint Pierre
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Académie Française

 

PANÉGYRIQUE DE L'APOTRE  SAINT   PIERRE  (a).

 

Simon Joannis, amas me? Domine, tu omnia nosti, tu scis quia amo te.

Simon, dis de Jean, m'aimes-tu ? Seigneur, vous savez toutes choses, et vous n'ignorez pas que je vous aime. Joan., XXI, 17.

 

C'est sans doute, mes Frères, un spectacle bien digne de notre curiosité, que de considérer le progrès de l'amour de Dieu dans les âmes. Quel agréable divertissement ne trouve-t-on pas à

 

(a) Prêché vers 1664.

Le lecteur trouvera sans doute que le style de ce discours, et ses dimensions mêmes, indiquent cette date approximative.

 

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contempler de quelle manière les ouvrages de la nature s'avancent à leur perfection , par un accroissement insensible? Combien ne goûte-t-on pas de plaisir à observer le succès des arbres qu'on a entés dans un jardin, l'accroissement des blés, le cours d'une rivière ! On aime à voir comment d'une petite source, elle va se grossissant peu à peu jusqu'à ce qu'elle se décharge en la mer. Ainsi c'est un saint et innocent plaisir de remarquer les progrès de l'amour de Dieu dans les cœurs. Examinons-les en saint Pierre.

Son amour a été premièrement imparfait, et celui qu'il ressentait pour le Fils de Dieu tenait plus d'une tendresse naturelle que de la charité divine. De là vient qu'il était faible, languissant, et n'a voit qu'une ferveur de peu de durée. Ce qu'il y avait de plus dangereux, c'est que cette ardeur inconstante , qui ne le rendait pas ferme, le faisait superbe et présomptueux : voilà le premier état de son amour. Mais le faible de cet amour languissant ayant enfin paru dans sa chute, cet apôtre se défiant de soi-même , se releva de sa ruine plus fort et plus vigoureux par l'humilité qu'il avait acquise : voilà quel est le second degré. Et enfin cet amour, qui s'était fortifié par la pénitence, fut entièrement perfectionné par le sacrifice de son martyre. C'est ce qu'il nous faut remarquer en la personne de notre apôtre, en observant avant toutes choses que ce triple progrès nous est expliqué dans le texte de notre évangile.

Car n'est-ce pas pour cette raison que Jésus demande trois fois à saint Pierre : « Pierre, m'aimes-tu? » Il ne se contente pas de sa première réponse : « Je vous aime, dit-il, Seigneur. » Mais peut-être que c'est de cet amour faible dont l'ardeur indiscrète le transportait avant sa chute : s'il est ainsi, ce n'est pas assez. De là vient que Jésus réitère la même demande, et il ne se contente pas que Pierre lui réponde encore de même ; car il ne suffit pas que son amour soit fortifié par la pénitence, il faut qu'il soit consommé par le martyre. C'est pourquoi il le presse plus vivement, et le disciple lui répond avec une ardeur non pareille : « Vous savez , Seigneur , que je vous aime. » Tellement que notre Sauveur voyant son amour élevé au plus haut degré où il peut monter en ce monde, il ne l'interroge pas davantage, et il lui dit :

 

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« Suis-moi. » Et où? A la croix où tu seras attaché avec moi : Extendes manus tuas (1) ; marquant par là le dernier effort que peut faire la charité. Car point de charité plus grande ici-bas que celle qui conduit à donner sa vie pour Jésus-Christ : Majorem charitatem nemo habet (2). Ainsi paraissent dans notre évangile ces trois états de l'amour que saint Pierre a ressenti pour le Fils de Dieu : et suivant les traces de l'Ecriture, nous vous ferons voir aussi, premièrement son amour imparfait et faible par le mélange des sentiments de la chair ; secondement son amour épuré et fortifié par les larmes de la pénitence ; troisièmement son amour consommé et perfectionné par la gloire du martyre.

 

PREMIER   POINT.

 

Il semble que ce soit faire tort à l'amour que saint Pierre avait pour son Maître , que de dire qu'il ait été imparfait. Le premier pas qu'il fait, c'est de quitter toutes choses pour l'amour de lui : Ecce nos reliquimus omnia (3). Et peut-il témoigner un plus grand amour, que lorsqu'il lui dit avec tant de force : « A qui irons-nous ? Vous avez les paroles de la vie éternelle : » Ad quem ibimus? Verba vitœ œternœ habes (4). Toutefois son amour était imparfait, parce qu'il tenait beaucoup plus d'une tendresse naturelle qu'il avait pour Jésus-Christ, que d'une charité véritable. Pour l'entendre, il faut remarquer quelle sorte d'amour Jésus-Christ veut que l'on ait pour lui. Il ne veut pas que l'on aime simplement sa gloire, mais encore son abaissement et sa croix. C'est pourquoi nous voyons en plusieurs endroits que lorsque sa grandeur paraît davantage, il rappelle aussitôt les esprits au souvenir de sa mort : Loquebantur de excessu (5). C'est de quoi il entretenait à sa glorieuse transfiguration Moïse et Elie : de même en plusieurs endroits de l'Evangile on voit qu'il a un soin tout particulier de ne laisser jamais perdre de vue ses souffrances (a). Ainsi pour l'aimer d'un amour parfait, il faut surmonter cette tendresse naturelle qui voudrait le voir toujours dans la gloire, afin

 

1 Joan., XXI, 18. — 2 Ibid., XV, 13. — 3 Matth., XIX, 27. — 4 Joan. VI, 69  — 5 Luc., IX, 31.                                                                                    

 

(a) Voy. Serm. du Nom de Jésus : Vocabis nomen ejus Jesum, vol. VIII   p. 361.

 

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de prendre un amour fort et vigoureux qui puisse le suivre dans l'ignominie. C'est ce que saint Pierre ne pouvait pas goûter. Il avait de la charité; mais cette charité était imparfaite à cause d'une affection plus basse, qui se mêlait avec elle. C'est ce que nous voyons clairement au chapitre XVI de saint Matthieu.

« Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant, s'écrie cet apôtre : » Tu es Christ us, Filius Dei vivi. Il dit cela, non-seulement avec beaucoup de lumière , mais avec beaucoup d'ardeur. C'est pourquoi il est heureux, beatus, parce qu'il avait la foi, et la foi opérante par la charité. Cette ardeur ne tenait rien de la terre ; la chair et le sang n'y avoient aucune part : Caro et sanguis non revelavit tibi (1). Mais voyons ce qui suit après.

Jésus-Christ voyant sa gloire si hautement confessée par la bouche de Pierre, commence selon son style ordinaire à parler de ses abaissements. « Dès lors il déclara à ses disciples qu'il fallait qu'il souffrît beaucoup et qu'il fût mis à mort : » Exindè cœpit Jesus ostendere discipulis suis, quoniam oporteret eum multa pati et occidi (2). Et aussitôt ce même Pierre, qui avait si bien reconnu la vérité en confessant la grandeur du Sauveur du monde, ne la peut plus souffrir dans ce qu'il déclare de sa bassesse.-« Sur quoi Pierre le prenant à part, se mit à le reprendre en lui disant: A Dieu ne plaise, Seigneur ! cela ne vous arrivera pas : » Cœpit increpare illum : Absit à te, Domine, non erit tibi hoc (3). Ne voyez-vous pas, chrétiens , qu'il n'aime pas Jésus-Christ comme il faut? Il ne connaît pas le mystère du Verbe fait chair, c'est-à-dire le mystère d'un Dieu abaissé. Il confesse avec joie ses grandeurs, mais il ne peut supporter ses humiliations : de sorte qu'il ne l'aime pas comme Sauveur, puisque ses abaissements n'ont pas moins de part à ce grand ouvrage que sa grandeur divine et infinie. Quelle est la cause de la répugnance qu'avait cet apôtre à reconnaître ce Dieu abaissé ? C'était cette tendresse naturelle qu'il avait pour le Fils de Dieu, par laquelle il le voulait voir honoré à la manière que les hommes le désirent. C'est pourquoi le Sauveur lui dit : « Retire-toi de moi, Satan, tu m'es à scandale ; car tu n'as pas le sentiment des choses divines, mais seulement de ce

 

1 Matth., XVI, 17. — 2 Ibid., 21. — 3 Ibid., 22.

 

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qui regarde les hommes (1). » Voyez l'opposition. Là il dit : Bar-Jona, fils de la colombe ; ici : Satan. Là il dit : Tu es une pierre sur laquelle je veux bâtir; ici : Tu es une pierre de scandale pour faire tomber. Là : Caro et sanguis non revelavit tibi, sed Pater meus; ici à l'opposite : Non sapis ea quœ Dei sunt, sed ea quœ hominum. D'où vient qu'il lui parle si différemment, sinon à cause de ce mélange qui rend sa charité imparfaite ? Il a de la charité : Caro et sanguis non revelavit : il a un amour naturel qui ne veut que de la gloire et fuit les humiliations : Non sapis quœ Dei sunt. C'est pourquoi, quand on prend son Maître, il frappe de son épée, ne pouvant souffrir cet affront. Aussitôt Jésus-Christ lui dit : « Quoi ! je ne boirai pas le calice que mon Père m'a donné à boire? » Calicem quem dedit mihi Pater, non bibam illum (2) ?

C'est ce mélange d'amour naturel qui rendait sa charité lente. Car cet amour l'embarrasse, quoiqu'il semble aller à la même fin. Comme si vous liiez deux hommes ensemble, dont l'un soit agile et l'autre pesant, et qu'en même temps vous leur ordonniez de courir dans la même voie, quoiqu'ils aillent au même but, néanmoins ils s'embarrassent l'un l'autre ; et pendant que le plus dispos veut aller avec diligence, retenu et accablé par la pesanteur de l'autre, souvent il ne peut plus avancer, souvent même il tombe et ne se relève qu'à peine. Ainsi en est-il de ces deux amours. Tous deux, ce semble, vont à Jésus-Christ. Celui-là, divin et céleste, l'aime d'un amour que la chair et le sang ne peuvent inspirer ; et l'autre est porté pour lui de cette tendresse naturelle que nous avons tant de fois décrite. Le premier est lié avec le dernier ; et étant enveloppé avec lui, non-seulement il est retardé, mais encore porté par terre par la pesanteur qui l'arrête. C'est pourquoi vous voyez l'amour de saint Pierre toujours chancelant, toujours variable. Il voit son Maître, et il se jette dans les eaux pour venir à lui ; mais un moment après il a peur, et mérite que Jésus lui dise : Modicœ fidei, quare dubitasti (3) ? Quand le Sauveur lui prédit sa chute, il se laisse si fort transporter par la chaleur de son amour indiscret, qu'il donne le

 

1 Matth., XVI, 23. — 2 Joan., XVIII, 11. — 3 Matth., XIV, 31.

 

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démenti à son Maître; mais attaqué par une servante, il le renie avec jurement. Qui est cause de cette chute, sinon sa témérité? Et qui l'a rendu téméraire, sinon cet amour naturel qu'il sentait pour le Fils de Dieu ? Il s'imaginait qu'il était ferme, parce qu'il expérimentait qu'il était ardent; et il ne considérait pas que la fermeté vient de la grâce, et non pas des efforts de la nature : tellement qu'étant tout ensemble et faible et présomptueux, déçu par son propre amour, il promet beaucoup; et surpris par sa faiblesse, il n'accomplit rien : au contraire, il renie son Maître; et pendant que la lâcheté des autres fait qu'ils évitent la honte de le renier par celle de leur fuite, le courage faible de saint Pierre fait qu'il le suit pour le lui faire quitter plus honteusement : de sorte qu'il semble que son amour ne l'engage à un plus grand combat que pour le faire tomber d'une manière plus ignominieuse.

Ainsi se séduisent eux-mêmes ceux qui n'aiment pas Jésus-Christ selon les sentiments qu'il demande, c'est-à-dire qui n'aiment pas sa croix, qui attendent de lui des prospérités temporelles, qui le louent quand ils sont contents, qui l'abandonnent sur la croix et dans les douleurs. Leur amour ne vient pas de la charité qui ne cherche que Dieu, mais d'une complaisance qu'ils ont pour eux-mêmes : c'est pourquoi ils sont téméraires, parce que la nature est toujours orgueilleuse, comme la charité est toujours modeste. Voilà les causes de la langueur et ensuite de la chute de notre apôtre : mais voyons son amour épuré et fortifié par les larmes de la pénitence.

 

SECOND  POINT.

 

Saint Augustin nous apprend qu'il est utile aux superbes de tomber, parce que leur chute leur ouvre les yeux, qu'ils avoient aveuglés par leur amour-propre (1). C'est ce que nous voyons en la personne de notre apôtre. Il a vu que son amour l'avait trompé. Il se figurait qu'il était ferme, parce qu'il se sentait ardent, et il se fiait sur cette ardeur : mais ayant reconnu par expérience que cette ardeur n'était pas constante tant que la nature s'en mêlait,

 

1 De Civit. Dei, lib. XIV, cap. XIII.

 

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il a purifié son cœur pour n'y laisser brûler que la charité toute seule. Et la raison en est évidente. Car de même que dans la comparaison que j'ai déjà faite d'un homme dispos, qui court dans la même carrière avec un autre pesant et tardif, l'expérience ayant appris au premier que le second l'empêche et le fait tomber, l'oblige aussi à rompre les liens qui l'attachoient avec lui : ainsi l'apôtre saint Pierre ayant reconnu que le mélange des sentiments naturels rendait sa charité moins active, et enfin en avait éteint toute la lumière, il a séparé bien loin toutes ces affections qui venaient du fond de la nature, pour laisser aller la charité toute seule. Que me sert, disait-il en pleurant amèrement sa chute honteuse, que me sert cette ardeur indiscrète à laquelle je me suis laissé séduire ? Il faut éteindre ce feu volage qui s'exhale par son propre effort, et se consume par sa propre violence, et ne laisser agir en mon âme que celui de la charité, qui s'accroît continuellement par son exercice. C'est ce qui lui fait dire, aussi bien qu'à son collègue saint Paul : « Si nous avons connu Jésus-Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus de cette sorte : » Et si cognovimus secundùm carnem Christum, sed nunc jam non novimus (1). La chair, qui se plaît dans la pompe du monde, ne veut voir Jésus-Christ que dans sa gloire et ne peut supporter son ignominie. Mais la charité ne l'aime pas moins sur le Calvaire que sur le Thabor; et je devais avoir dit du premier ce que j'ai dit autrefois de l'autre : « Il nous est bon d'être ici : » Bonum est nos hic esse (2).

Voilà donc saint Pierre changé, et sa chute l'a rendu savant. Car sachant qu'un empire très-noble et très-souverain était préparé à notre Sauveur, il ne pouvait comprendre qu'il le pût jamais conserver au milieu des ignominies, auxquelles il disait si souvent lui-même que sa sainte humanité était destinée : si bien que ne pouvant concilier ces deux vérités, le désir ardent qu'il avait de voir Jésus-Christ régnant l'empèchait de reconnaître Jésus-Christ souffrant. Mais sa chute l'a désabusé de cette erreur. Car dans la chaleur de son crime, ayant senti son cœur amolli par un seul regard de son Maître, il est convaincu par sa propre

 

1 II Cor., V, 16. — 2 Matth., XVII, 4.

 

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expérience qu'il n'a rien perdu de sa puissance, pour être entre les mains des bourreaux. Il voit ce Jésus méprisé, ce Jésus abandonné aux soldats, régner en victorieux sur les cœurs les plus endurcis. Il croyait qu'il perdrait son empire parmi les supplices; et il sent par expérience que jamais il n'a régné plus absolument. Ses yeux, quoique déjà tout meurtris, ne laissent pas par un seul regard de faire couler des larmes amères. Ainsi persuadé par sa chute et par les larmes de sa pénitence que le royaume de Jésus-Christ se conserve et s'établit par sa croix, il purifie son amour par cette pensée; et lui, qui avait tant de répugnance à considérer Jésus-Christ en croix, reconnaît avec une fermeté incroyable que son règne et son pouvoir est en la croix. « Que toute la maison d'Israël sache donc très-certainement que Dieu a fait Seigneur et Christ ce Jésus que vous avez crucifié : » Certissimè sciât ergo omnis domus Israël, quia et Dominum eum et Christum fecit Deus, hunc Jesum quem vos interemistis (1).

Voilà donc saint Pierre changé, le voilà fortifié par la pénitence. Son amour n'est plus faible, parce qu'il n'est plus présomptueux ; et il n'est plus présomptueux, parce que ce n'est plus un amour mêlé des inclinations naturelles, mais une charité toute pure, laquelle, comme dit saint Paul (2), n'est jamais superbe ni ambitieuse. Cet amour imparfait et son orgueil tout ensemble ont été brisés par sa chute; et étant devenu humble, il devient ensuite invincible. Il n'avait pas eu la force de résister à une servante, et le voilà qui tient tête à tous les magistrats de Jérusalem. Là il n'ose pas confesser son Maître ; ici il répond constamment que non-seulement il ne veut pas, mais encore qu'il ne peut pas refuser sa voix pour rendre témoignage à ses vérités : Non possumus (3). Comme un soldat qui dans le commencement du combat ayant été surpris par la crainte, se serait abandonné à la fuite, tout à coup rougissant de sa faiblesse et piqué d'une noble honte et d'une juste indignation contre son courage qui lui a manqué, revient à la mêlée fortifié par sa défaite, et pour réparer sa première faute il se jette où le péril est le plus certain : ainsi l'apôtre saint Pierre. Apprenons donc que la pénitence nous doit donner

 

1 Act., II, 36. — 2 I Cor., XIII, 4, 5. — 3 Act., IV, 20.

 

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de nouvelles forces pour combattre le péché, et faire régner Jésus-Christ sur nos cœurs. C'est par là que nous montrerons la vérité de notre douleur, et que notre amour allant toujours se perfectionnant parmi nos victoires et nos sacrifices, pourra être enfin à jamais affermi, comme celui du saint apôtre, par le dernier effort d'une charité insurmontable.

 

TROISIÈME  POINT.

 

Petre, amas me? Jésus-Christ l'interroge trois fois, pour montrer que la charité est une dette qui ne peut jamais être entièrement acquittée, et que ce divin Maître ne laisse pas d'exiger dans le temps même que l'on la paie, parce que cette dette est de nature qu'elle s'accroît en la payant. Pierre depuis le moment de sa conversion, pour acquitter dignement cette dette, n'a cessé de croître dans l'amour de son divin Maître; et son amour par ces différents progrès est enfin parvenu à un degré si éminent, qu'il ne saurait atteindre ici-bas à une plus haute perfection.

C'est à cette heure que notre apôtre est fondé plus que jamais à répondre au divin Sauveur : «Vous savez que je vous aime, » puisque son amour mis à la plus grande épreuve que l'homme puisse porter, triomphe des tourments et delà mort même. Ni l'attache à la vie, ni l'opprobre d'un supplice ignominieux, ni la douleur d'un martyre cruel et long, ne peuvent ralentir son ardeur. Que dis-je ? ils ne servent qu'à l'animer de plus en plus par le désir dont son cœur est possédé de se sacrifier pour celui qu'il aime si fortement : et loin de trouver rien de trop pénible dans l’amertume de ses souffrances, il veut encore y ajouter de son propre mouvement une circonstance non moins dure, pour exprimer plus vivement les sentiments de son profond abaissement devant son Maître, pour lui faire comme une dernière amende honorable de ses infidélités passées, et l'adorer dans le plus parfait anéantissement de lui-même. Tant il est vrai que l'amour de saint Pierre est à présent aussi fort que la mort, que son zèle est inflexible comme l'enfer, que ses lampes sont des lampes de feu que sa flamme est toute divine ; et que s'il a succombé autrefois à la plus faible épreuve, désormais les grandes eaux ne pourront

 

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l'éteindre, et les fleuves de toutes les tentations réunies n'auront point la force de l'étouffer (1).

Quel contraste, mes Frères, entre nous et ce grand apôtre ! Si Jésus-Christ nous demandait, ainsi qu'à lui : « M'aimez-vous? » Amas me? Qui répondra : Seigneur, je vous aime? Tous le diront; mais prenons garde. L'hypocrisie le dit ; mais c'est une feinte. La présomption le dit; mais c'est une illusion. L'amour du monde le dit; mais c'est un intérêt, qui n'aime Jésus-Christ que pour être heureux sur la terre. Qui sont ceux qui le disent véritablement? Ceux qui l'aiment jusque sur la croix; ceux qui sont prêts à tout perdre pour lui demeurer fidèles, à tout souffrir pour être consommés dans son amour....

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