Exp. Fragments II
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Réflexions sur M. Claude

 

SECOND FRAGMENT  — DU CULTE DES IMAGES.

 

I. — Le sentiment de l'Eglise et l'état de la question.

II. — Objections que tirent nos adversaires du Décalogue, où les images et leur culte semblent absolument défendus.

 

 

Parmi toutes nos controverses, la plus légère au fond, mais l’une des plus importantes à cause des difficultés qu'y trouvent les protestants réformés, est à mon avis celle des images.

Pour développer clairement une matière où ils s'imaginent avoir contre nous un avantage si visible, je proposerai premièrement, le sentiment de l'Eglise et l'état de la question ; secondement, les objections que tirent nos adversaires du commandement du Décalogue, où les images et leur culte semblent absolument défendus; troisièmement, je découvrirai les erreurs de l'idolâtrie qui ont donné lieu à cette défense, l'opinion que les païens «voient des images et les honneurs détestables qu'ils leur rendaient, infiniment différents de ceux qui sont en usage dans l'Eglise catholique ; quatrièmement, je ferai voir qu'il y a une manière innocente de les honorer, et cela par des principes certains, avoués dans la nouvelle Réforme; cinquièmement, je répondrai aux objections particulières qu'on nous fait sur l'adoration de la Croix; sixièmement, je satisferai à quelques autres objections tirées des abus qui peuvent se rencontrer dans l'usage des images, et de quelques diversités qui paraissent sur ce sujet dans la discipline de l'Eglise. Je procéderai, dans toutes ces choses, selon la méthode que je me suis proposée; c'est-à-dire par des faits certains, laissant à part les difficultés dont la discussion est embarrassante et par là inutile à notre dessein.

 

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I. — Le sentiment de l'Eglise et l'état de la question.

 

Commençons par l'exposition de la doctrine catholique, et rapportons avant toutes choses les paroles du concile (1). « Les images de Jésus-Christ et de la Vierge Mère de Dieu et des autres saints, doivent être conservées principalement dans les Eglises, et il leur faut rendre l'honneur et la vénération qui leur est due ; non qu'on y croie quelque divinité, ou quelque vertu pour laquelle elles soient honorées, ou qu'il leur faille demander quelque chose, on qu'il faille attacher sa confiance aux images, comme les païens qui mettaient leurs espérances dans leurs idoles; mais parce que l'honneur qui leur est rendu se rapporte aux originaux qu'elles représentent : de sorte que par le moyen des images que nous baisons, devant lesquelles nous découvrons notre tête et nous nous mettons à genoux, nous adorons Jésus-Christ et honorons les saints dont elles sont la ressemblance, comme il a été expliqué par les décrets des conciles, principalement par ceux du second concile de Nicée. »

C'est ainsi que le concile défend de s'arrêter aux images : tout l'honneur passe aux originaux : ce ne sont pas tant les images qui sont honorées, que ce sont les originaux qui sont honorés devant les images, comme je l'ai remarqué dans le livre de l’Exposition.

Mais achevons de considérer les sentiments du concile, « Il faut, dit-il, que les évêques enseignent avec soin qu'en représentant les histoires de notre rédemption par des peintures et autres sortes de ressemblances, le peuple est instruit et invité à penser continuellement aux articles de notre foi. On reçoit aussi beaucoup de fruit de toutes les saintes images, parce qu'on est averti par là des bienfaits divins et des grâces que Jésus-Christ a faites à son Eglise et aussi parce que les miracles et les bons exemples des saints sont mis devant les yeux des fidèles afin qu'ils rendent grâces à Dieu pour eux, qu'ils forment leur vie et leurs mœurs suivant leurs exemples, et qu'enfin ils soient excités à adorer et à aimer Dieu, et à pratiquer les exercices de la piété (3). »

 

1 Conc. Trid., sess. XXV.— 2 Exposition, n. 5, pag. 59.—1 Conc. Trid., sess. XXV»

 

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Ainsi selon le concile, tout l'extérieur de la religion se rapporte à Dieu; c'est pour lui que nous honorons les saints, et leurs images nous sont proposées pour nous exciter davantage à l'aimer et à le servir.

Au reste, comme Dieu n'a pas dédaigné, pour s'accommoder à notre faiblesse, de paraître sous des figures corporelles, et qu'on peut peindre ces apparitions comme les autres histoires de l'Ancien et du Nouveau Testament, le concile a ordonné que, a s'il arrive quelquefois qu'on représente de telles histoires de l'Ecriture, et que cela soit jugé utile pour l'instruction du peuple ignorant, il le faut soigneusement avertir qu'on ne prétend pas représenter la Divinité, comme si elle pouvait être vue des yeux corporels, ou exprimée par des traits et par des couleurs. » C'est-à-dire que ces peintures doivent être rares, selon l'intention du concile, qui laisse à la discrétion des évêques de les retenir ou de les supprimer, suivant les utilités ou les inconvénients qui en pourraient arriver. 

Mais il ordonne en tout cas qu'on détruise par des instructions claires et précises, toutes les fausses imaginations que de telles apparitions pourraient faire naître contre la simplicité de l'Etre divin, et il charge de cette instruction la conscience des évêques.

Qui pèsera avec attention tout ce décret du concile, y trouvera la condamnation de toutes les erreurs de l'idolâtrie touchant les images. Les païens, dans l'ignorance profonde où ils étaient touchant les choses divines, croyaient représenter la Divinité par des traits et par des couleurs. Ils appelaient leurs idoles dieux d’une façon si grossière, que nous avons peine à le croire, maintenant que l'Evangile nous a délivrés et désabusés de ces erreurs. Ils croyaient pouvoir renfermer la Divinité dans leurs idoles : selon eux le secours divin était attaché à leurs statues, qui contenaient en elles-mêmes la vertu de leurs dieux : touchés de ces sentiments, ils y mettaient leur confiance : ils leur adressaient leurs vœux, et ils leur offraient leurs sacrifices. Telles étaient les erreurs des idolâtres, comme nous le montrerons en son lieu par des faits constats et par des témoignages indubitables. Le concile a rejeté toutes ces erreurs de notre culte. Selon nous la Divinité n'est ni renfermée ni représentée dans les images. Nous ne croyons pas qu'elles

 

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nous la rendent plus présente, à Dieu ne plaise ; mais nous croyons seulement qu'elles nous aident à nous recueillir en sa présence. Enfin nous n'y mettons rien que ce qui y est naturellement, que ce que nos adversaires ne peuvent s'empêcher d'y reconnaitre, c'est-à-dire une simple représentation, et nous ne leur donnons aucune vertu que celle de nous exciter par la ressemblance an souvenir des originaux : ce qui fait que l'honneur que nous leur rendons ne peut s'adresser à elles, mais passe de sa nature à ceux qu'elles représentent. Voilà ce que nous mettons dans les images. Tort te reste, que les païens y reconnaissaient, en est exclu par le saut concile en termes clairs et formels ; et il faut ici remarquer que cens sont point seulement des docteurs particuliers qui rejettent toutes ces fausses imaginations, ce sont des décrets publics : c'est un concile universel, dont la foi est embrassée par toute la communion catholique. Qu'on ne nous objecte donc plus le peuple grossière! ses sentiments charnels. Ce peuple, quel qu'il soit, (car ce n'est pas ce que nous avons ici à traiter) fait profession de se soumettre an concile ; et les particuliers qui, faute de s'être fait bien instruira, se pourraient trouver dans quelque erreur opposée au concile de Trente, ou sont prêts à se redresser par ses décisions, ou ne sont pas catholiques, et dans ce cas nous les abandonnons à la censure des prétendus réformés. Ainsi c'est perdre le temps que de nous objecter ces particuliers ignorants. Il s'agit de la doctrine du corps et de la foi du concile que nous venons de représenter. Mais comme ce même concile, outre ce qu'il dit touchant les images, confirme encore ce qui en fut dit dans le second concile de Nicéa, il est bon d'en proposer la doctrine.

Voici donc les maximes que nous trouvons établies, ou dans la définition du concile, ou dans les paroles et les écrits qui y ont été approuvés. Ce concile reconnaît que « le vrai effet des images est d'élever les esprits aux originaux (1). »

C'est ce qui rend les images dignes d'honneur. Mais on peut considérer cet honneur, ou en tant qu'il est au dedans du coeur, ou eu tant qu'il se produit au dehors. Le concile établit très-bien comment le cœur est touché par une pieuse représentation, et fait

 

1 Act. VI, Defin. Syn.

 

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voir que ce qui nous touche est l'objet dont le souvenir se réveille dans notre esprit.

Il compare l'effet des images à celui d'une pieuse lecture, où ce ne sont point les traits et les caractères qui nous touchent, mais seulement le sujet qu'elles rappellent en notre mémoire.

En effet, on est touché des images à proportion qu'on l'est de l'original ; et l'on ne peut pas comprendre le sentiment de ceux gui disaient chez Théodore Studite, qu'il ne faut point peindre JESUS-CHRIST , ou qu'en tout cas, il faut regarder une si pieuse peinture comme on ferait un tableau de guerre ou de chasse. Que si naturellement on y met de la différence, il est clair que c'est à cause de la diversité des sujets et que tout se rapporte là.

On commence d'abord à tenir une image chère et vénérable à cause du souvenir qu'elle réveille dans nos cœurs ; et cela même, c'est l'honorer intérieurement autant quelle en est capable.

Ensuite on se sent porté à produire ce sentiment au dehors par quelque posture respectueuse, telle que serait, par exemple, s'incliner ou fléchir le genou devant elle; et ce qu'on fait pour cela s'appelle adoration dans le langage du concile.

En effet il prend l’adoration pour un terme général, qui signifie dans la langue grecque toute démonstration d'honneur. « Qu'est-ce que l'adoration, dit saint Anastase, patriarche d'Antioche, dans le concile ; « sinon la démonstration et le témoignage d'honneur qu'on rend à quelqu'un (1) ? »

De là suit nécessairement de deux choses l'une, ou qu'il ne faut avoir aucune sorte de vénération pour les images, et que celle de Jésus-Christ doit être considérée indifféremment comme une peinture de guerre ou de chasse, ce que la piété ne permet pas ; ou que, si l'on ressent pour elle quelque sorte de vénération, il ne but point hésiter de la témoigner au dehors par ces actions de aspect qu'on appelle adoration : d'où le concile conclut que dire, comme quelques-uns, qu'il faut avoir les images en vénération, sans néanmoins les adorer, c'est se contredire manifestement; car, comme remarque Taraise, patriarche de Constantinople (2), qui était l’âme de ce concile, c'est faire des choses contraires que de

 

1 Act. IV. — 2 Ibid.

 

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confesser qu'on a de la vénération pour les images, et cependant leur refuser l'adoration qui est le signe de l'honneur. C'est pourquoi le concile ordonne non-seulement la vénération, mais encore l'adoration pour les images, parce que nul homme sincère ne fait difficulté de donner des marques de ce qu'il sent dans le cœur.

Au reste comme ces signes d'honneur ne sont faits que pour témoigner ce que nous sentons au dedans, et qu'en regardant l'image nous avons le cœur attaché à l'original, il est clair que tout l'honneur se rapporte là. Le concile décide aussi sur ce fondement, « que l'honneur de l'image passe à l'original, et qu'en adorant l'image, on adore celui qui y est dépeint (1). »

Il approuve aussi cette parole de Léonce, évêque de Napoli, dans l'île de Chypre : « Quand vous verrez les chrétiens adorer la croix, sachez qu'ils rendent cette adoration à Jésus-Christ crucifié, et non au bois (2). »

Nous trouvons parmi les Actes du concile un discours du même Léonce, où il est dit que comme celui qui reçoit une lettre de l'Empereur, en saluant le sceau qu'elle porte empreint, n'honore ni le plomb, ni le papier, mais rend son adoration et son honneur à l'Empereur, il en est de même des chrétiens, quand ils adorent la croix.

Toutefois comme il fallait prendre garde qu'en disant qu'on adorait les images, on ne donnât occasion aux ignorants de croire qu'on leur rendît les honneurs divins, le concile démêle avec soin toute l'équivoque du terme d'adoration. On y voit qu'adoration est un mot commun, que les auteurs ecclésiastiques attribuent à Dieu, aux saints, à la personne de l'Empereur, à son sceau et à ses» lettres, aux images de Jésus-Christ et des bienheureux, aux choses animées et inanimées, saintes et profanes. C'est de quoi les prétendus réformés, et Aubertin entre autres, demeurent d'accord. Mais le concile distingue par des caractères certains, l'adoration qui est due à Dieu d'avec celle qui est rendue aux images. Celle qui est due à Dieu s'appelle dans le concile adoration de latrie; mais celle qu'on rend aux images s'appelle « salutation, adoration honoraire, adoration relative, qui passe à l'original, distincte de

 

1 Act. VI, Defin. Syn. — 2 Act. IV.

 

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la véritable LATRIE, qui se rend en esprit, selon la foi, et qui n'appartient qu'à la nature divine. » Voilà les expressions ordinaires du concile et son langage ordinaire.

Ce terme de Latrie signifie service ; et c'est le mot consacré par l'usage ecclésiastique pour signifier l'honneur qui est dû à Dieu. Car à lui seul appartient le véritable service, c'est-à-dire la sujétion et la dépendance absolue. C'est ce qui fait dire à saint Anastase, patriarche d'Antioche, tant de fois cité dans le concile, ces paroles remarquables: «  Nous adorons les anges, mais nous ne les servons pas. »

On ne peut donc reprocher ici aux Pères de ce concile de décerner aux images les honneurs divins ; car ils décident positivement que ce n'est pas leur intention ; et d'ailleurs ils ont agi selon cette règle indubitable: que dans toute « salutation et adoration, » c'est-à-dire dans tout honneur extérieur, « il faut regarder principalement le dessein et l'intention. » C'est ce que dit en termes formels Léonce, évêque de Napoli, cité pour cela dans le concile ; et la même chose y est confirmée par l'autorité de Germain, patriarche de Constantinople, qui dans l’Epître qu'il a écrite pour la défense des images contre les iconoclastes, enseigne formellement qu'en ce qui regarde le culte extérieur, « il ne faut pas s'arrêter à ce qui se fait au dehors, mais qu'il faut toujours examiner l'esprit et l'intention de ceux qui le font (1). »

C'est la maxime certaine que nous avons établie ailleurs, de l'aveu des prétendus réformés. C'est ce qui paraît par le sentiment commun de tous les hommes. Car, comme nous avons dit, les marques extérieures d'honneur sont un langage de tout le corps, qui doit recevoir son sens et sa signification de l'usage et de l'intention de ceux qui s'en servent.

Ainsi quand le ministre Daillé et tous les autres ministres reprochent aux Pères de Nicée, que les honneurs qu'ils rendent aux images « sont en effet et en eux-mêmes des honneurs divins, quoiqu'ils ne le soient pas dans leur intention et de leur aveu (2), » ils disent des choses contradictoires, puisque c'est l'intention qui

 

1 Germ., Epist. ad Thom. Claudiop., act. IV, Labb., tom. VII, col. 289 et seq. — 2 Daillé, De Imag., lib. III, cap. XVII, p. 418.

 

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donne la force à toutes les marques d'honneur qui d'elles-mêmes n'en ont aucune.

On ne peut donc point reprocher aux défenseurs des images: qu'ils leur rendaient les honneurs divins, puisqu'ils ont si hautement déclaré que ce n'a jamais été leur intention, et que loin de s'arrêter aux images en s'inclinant devant elles, ils ne s'arrêtent pas même aux saints qu'elles représentent ; mais que l’honneur qu'ils leur font a toujours Dieu pour son objet, conformément à cette parole de Théodore dans son Epître synodique pourries images : « Nous respectons les saints comme serviteurs et amis de Dieu; car l'honneur qu'on rend aux serviteurs fait voir la bonne volonté qu'on a pour le commun Maître. »

J'ai exposé les sentiments du second concile de Nicée et les règles qu'il a suivies; par où se voit clairement le tort qu'a eu l'Anonyme, aussi bien que M. Noguier et presque tous nos réformés, de tant relever ce terme d'adoration, comme si l'on en pouvait inférer que le concile défère aux images les honneurs qui ne sont dus qu'à Dieu seul. Ils dévoient avoir remarqué avec Aubertin que ce terme est équivoque. Nous avons rapporté ailleurs le passage entier de ce ministre ; et nous avons montré que selon lui-même, le proskeunesis du second concile de Nicée se rend mieux en notre français par le terme de vénération, que par celui d'adoration. C'est pour cela que le concile de Trente se sert de ce premier terme, et non du dernier qui demeure aussi réservé à Dieu dans l'usage le plus ordinaire de notre langue.

Ainsi les prétendus réformés, s'ils agissent de bonne foi, ne diront plus désormais généralement et sans restriction, que nous adorons les images, puisque la langue française donne ordinairement une plus haute signification au mot d'adorer. Ils ne diront pas non plus que nous les servons ; car encore qu'eu notre langue on serve Dieu, qu'on serve le Roi, qu'on se serve les uns les autres par la charité selon le précepte de saint Paul, on ne sert point les images, ni les choses inanimées; et, comme nous l'avons dit, le service véritable de la religion, c'est-à-dire la sujétion et la dépendance , n'appartient qu'à Dieu. Ainsi l'Anonyme ne devait pas dire « que servir les images ce sont encore les termes du

 

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concile (1). » Le concile dit colère, qu'il faut traduire par honorer, ou avoir en vénération, comme on le tourne toujours dans les traductions de notre profession de foi. Mais ces Messieurs sont bien aises de nous faire dire que nous servons les images, et de traduire toujours les expressions du concile de la manière la plus odieuse.

Je suis fâché qu'ils nous obligent à perdre le temps dans ces explications de mots; mais pour revenir aux choses, on a vu par le concile de Trente et par celui de Nicée, les caractères essentiels qui nous séparent des idolâtres. Nous ne prions pas les images, nous n'y croyons point de divinité, ni aucune vertu cachée qui nous les fasse révérer : en elles nous honorons les originaux : c'est à eux que nous avons l'esprit attaché ; c'est à eux que passe l'honneur, et tout notre culte se termine enfin à adorer le seul Dieu qui a fait le ciel et la terre.

Il est maintenant aisé d'établir l'état de la question, en éloignant les paroles qui peuvent donner lieu à quelque équivoque. Il s'agit donc de savoir s'il est permis et utile aux chrétiens d'avoir des images dans leurs églises, de les chérir et de les avoir en vénération à cause de Jésus-Christ et des saints qu'elles représentent, et enfin de produire au dehors quelque marque des sentiments qu'elles nous inspirent, en les baisant, en les saluant et en nous inclinant devant elles pour l'amour des originaux qui sont dignes de cet honneur.

Nous demandons simplement si cela est permis et utile, et non pas s'il est commandé et essentiel à la religion. C'est ainsi que les théologiens catholiques proposent la difficulté. Le savant Père Petau dans le Traité qu'il a fait touchant les images, avant que d'entrer à fond dans cette matière, dit « qu'il faut établir premièrement, que les images sont par elles-mêmes du genre des choses qu'on appelle indifférentes; c'est-à-dire qui ne sont point tout à fait nécessaires à salut, et qui n'appartiennent pas à la substance de la religion, mais qui sont à la disposition de l'Eglise pour s'en servir ou les éloigner, suivant qu'elle jugera à propos, comme sont les choses qu'on appelle de droit positif (2). » C'est pourquoi il

 

1 Anon., p. 64. — 2 Theol. dogm. De incarn., lib. XV, cap. XIII, init. cap. p. 581.

 

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ne s'embarrasse pas de ce canon du concile d'Elvire (1), tant de font, objecté aux catholiques, où il est porté « qu'il ne faut point avoir de peintures dans les églises, de peur que ce qui est honoré ou adoré, ne soit peint dans les murailles. » Il trouve « vraisemblable la conjecture de ceux qui répondent que dans le temps que ce concile fut tenu, la mémoire de l'idolâtrie était encore récente et que pour cela il n'était pas expédient qu'on vit des images dans les oratoires ou dans les temples des chrétiens. »

Ce profond théologien répond de la même sorte au fameux peu sage de saint Epiphane, où ce Père raconte lui-même qu'il déchira un voile qu'il trouva dans une église, où était peinte un image qui semblait être de Jésus-Christ ou de quelque saint. Le Père Petau rapporte les diverses réponses des théologiens catholiques, et ne fait point difficulté d'ajouter à tout ce qu'ils disent, « que peut-être dans l'île de Chypre, où saint Epiphane était évêque, il n'était point encore én usage de mettre des images dans les églises (2); » ce qui peut être en effet une raison vraisemblaJbil pour laquelle il trouve étrange d'en voir en d'autres endroits.

Au reste il est constant, comme nous le verrons dans la suite très-bien prouvé par Daillé lui-même, que du temps de saint Epiphane, en d'autres églises célèbres il y avait des images autorisées par des Pères aussi illustres; ce qui peut servir à justifier ce que dit le Père Petau, « que les images de Jésus-Christ et des saints, qui n'étaient pas ordinaires dans les premiers temps, ont été reçues dans l'Eglise, lorsque le péril de l'idolâtrie a été ôté ; ce qui n'a pas même été pratiqué en même temps dans tous les lieux, mais plutôt en un endroit qu'en un autre, selon l'humeur différente et le génie des nations, et selon que ceux qui les conduisaient l'ont trouvé utile. »

Sixte de Sienne avait dit la même chose, et avait même rapporté un passage de saint Jean Damascène, où ce grand défenseur des images, en expliquant un passage de saint Epiphane, ne point de difficulté de répondre que peut-être ce grand évêque avait défendu les images pour réprimer quelques abus qu'on en faisait (3).

 

1 En latin Illiberis. — 2 Theol. dogm. De incarn., cap. XV, p. 591. — 3 Bibl. Sixt. Sen., annot. 247, p. 414; Joan. Damasc, lib. I, adv. Icon.

 

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Le même Sixte de Sienne explique le canon du concile d'Elvire comme a fait depuis le Père Petau. Les Pères de ce concile, selon lui, ont défendu les peintures dans les églises, pour éteindre l'idolâtrie, à laquelle ces peuples nouvellement convertis étaient trop enclins par leur ancienne habitude de voir dans les images quelque sorte de divinité, et de leur rendre les honneurs divins (1). Vasquez, qui ne suit pas ces explications, ne laisse pas de les rapporter comme catholiques; et lui-même ne nie pas qu'on ait pu ôter les images des églises, de peur de les exposer à la profanation des païens durant le temps des persécutions.

Quoi qu'il en soit, il paraît que les catholiques soutiennent tellement les images, qu'ils ne les regardent pas comme appartenantes à la substance de la religion, et qu'ils avouent qu'on les peut ôter en certains cas.

Que si l'on demande ici d'où vient donc qu'ils condamnent si sévèrement ceux qui les ont rejetées, il est aisé de répondre : C'est  que l'Eglise catholique, fidèle dépositaire de la vérité, veut conserver son rang à chaque chose; c'est-à-dire qu'elle donne pour essentiel ce qui est essentiel, pour utile ce qui est utile, pour permis ce qui est permis, pour défendu ce qui l'est, et ne veut priver ses enfants, ni d'aucune chose nécessaire, ni même d'aucun secours qui peut les exciter à la piété.

Ayant de tels sentiments, elle n'a pas dû supporter ceux qui se donnent la liberté de condamner des choses utiles, de défendre choses permises et d'accuser les chrétiens d'idolâtrie.

C'est le principal sujet de la condamnation des iconoclastes. Nous voyons dans le septième concile cette secte presque toujours condamnée sous le nom de l'hérésie qui accuse les chrétiens, et qui se joint aux Juifs et aux Sarrazins pour les appeler idolâtres.

Après la chose jugée, après que toute l'Eglise d'Orient et d'Occident a reconnu la calomnie des iconoclastes, les protestants sont venus encore la renouveler, et n'ont pas craint d'assurer à la honte du nom chrétien que toute la chrétienté était tombée dans idolâtrie, quoique le seul état de la question, tel que nous l'avons Proposé, suffise pour la garantir de ce reproche. Car il paraît

 

1 Bibl. Sixt. Sen. annot 247, p. 414.

 

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clairement que loin de faire consister la religion dans les images nous ne les mettons même pas parmi les choses essentielles et nécessaires au salut. Nous ne croyons pas même, comme les païens, qu'elles nous rendent la Divinité plus présente, ni que Dieu en écoute plus volontiers nos prières pour avoir été faites devant une image ; et enfin il s'agit de voir si nous serons idolâtres, parée que touchés des objets que des images pieuses nous représentent, nous donnons des marques sensibles du respect qu'elles nous inspirent.

 

II. — Objections que tirent nos adversaires du Décalogue, où les images et leur culte semblent absolument défendus.

 

Il paraît d'abord incroyable qu'on accuse d'idolâtrie une action si pieuse et si innocente. Mais comme nos réformés le font tous les jours, il est juste d'examiner s'ils ont quelque raison de le faire.

Ils prétendent que s'incliner et fléchir le genou devant une image, quelle qu'elle soit, fût-ce celle de Jésus-Christ; et pour quelque motif que ce soit, fût-ce pour honorer ce divin Sauveur, c'est tomber dans une erreur capitale, puisque c'est contrevenir à un commandement du Décalogue, et encore au plus essentiel, c'est-à-dire à celui qui règle le culte de Dieu. Voici ce commandement que j'ai pris dans le Catéchisme des prétendus réformés pour n'avoir rien à contester sur la version.

« Ecoute Israël : Je suis l'Eternel ton Dieu, qui t'ai tiré du pays d'Egypte : tu n'auras point d'autres dieux devant ma face ; tu ne te feras image taillée ni ressemblance aucune des choses qui sont en haut aux cieux, ni ci-bas en la terre ; tu ne te prosterneras point devant elles et ne les serviras point (1). »

Soit que les paroles que j'ai rapportées fassent deux commandements du Décalogue, comme le veulent nos réformés avec quelques Pères, soit que ce soit seulement deux parties du même précepte, comme le mettent ordinairement les catholiques après saint Augustin, la chose ne vaut pas la peine d'être contestée en ce lieu ; et je la trouve si peu importante à notre sujet, que je veux bien m'accommoder à la manière de diviser le Décalogue

 

1 Deuter., v, 6-8.

 

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qui est suivie par nos adversaires. Que le second commandement de Dieu soit donc, puisqu'il leur plaît ainsi, enfermé dans ces paroles : « Tu ne te feras, etc. » Voyons ce qu'on en conclut contre nous. M. Noguier le rapporte (1), et ajoute, «qu'il n'y a point d'explication, point de subtilité, point d'adoucissement qui poisse ici excuser l'Eglise romaine (2) » — «Je veux, continue-t-il, que l'honneur que l'on rend à l'image se rapporte à son original, que l'on n'ait point d'autre vue que d'honorer le sujet qu'elle représente, que l'on rectifie si bien l'intention, que l'on ne s'arrête jamais à l'image, mais que l'on s'excite toujours au souvenir de l'original. Tant y a qu'il est toujours vrai que l'on s'humilie et que l'on fléchit le genou devant l'image, et c'est ce que le second commandement de la loi défend et condamne. » Il presse encore plus ce raisonnement dans les paroles qui suivent : « Ce n'est pas, dit-il, l'intention et le cœur que ce commandement veut régler; cela s'était fait dans le premier en ces mots : « TU N'AURAS PAS D'AUTRES DIEUX DEVANT MOI. » Ce deuxième règle l'acte et le culte extérieur de la religion. Que l'on croie ou que l'on ne croie pas qu'il y a une vertu ou une divinité cachée en l'image, que l’on y arrête sa vue et son culte, ou que l'on passe plus avant et que l'on élève son esprit à l'original : si l'on se prosterne devant l’image, si on la sert, c'est violer la loi de Dieu, c'est aller contre les paroles du Législateur, c'est réveiller sa jalousie et exciter sa vengeance (3). » Voilà l'argument dans toute la force et dans toute la netteté qu'il peut être proposé. Car encore qu'il ne soit pas vrai que nous servions les images, comme nous l'avons déjà remarqué, il est vrai que nous nous mettons à genoux devant elles; et l'on nous soutient que cette action extérieure prise en elle-même, est précisément le sujet de cette prohibition du Décalogue.

L'Anonyme ne presse pas moins cette objection : « On croit éluder, dit-il, le sens du commandement et se distinguer des idolâtres, en disant qu'on n'adore point les images, et qu'on n'y croit point de divinité ni de vertu comme les païens (4). » Voilà en effet notre réponse telle que je l'avais tirée du concile, et proposée

 

1 Nog., p. 9. — 2 Ibid. p. 73.— 3 Ibid. p. 74. — 4 Anon., p. 68.

 

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dans l’Exposition; mais l'Anonyme croit nous l'avoir ôtée par ces paroles : « Le concile, dit-il, ose-t-il ainsi restreindre et modifier, s'il faut ainsi dire, les propres commandements de Dieu, qui ne défend pas seulement d'adorer les images, ou d'y croire quelque vertu, mais absolument de les adorer, de les servir et de se mettre à genoux devant elles? Car les termes du commandement disent précisément tout cela. »

Et pour ne me laisser aucun moyen de m'échapper, il me presse par cet argument tiré de mes propres principes, « M. de Condom dit ailleurs, sur les paroles de l'institution de la Cène, que lui et ceux de sa communion entendent ces paroles à la lettre, et qu'il ne faut pas non plus demander pourquoi ils s'attachent au sens littéral qu'à un voyageur pourquoi il suit le grand chemin ; et que c'est à ceux qui ont recours au sens figuré et qui prennent des sens détournés, à rendre raison de ce qu'ils font. » Il ajoute, « que le sens du Vieux Testament est sans comparaison plus littéral que celui du Nouveau, et que les termes d'une loi ou d'un commandement doivent être bien plus exprès et plus dans un sens littéral que ceux d'un mystère ; » et il conclut enfin par ces paroles : « Que M. de Condom nous dise donc pourquoi il ne suit pas la lettre du commandement qui est si expresse, pourquoi il quitte ce grand chemin marqué du propre doigt de Dieu, pour recourir à des sens détournés. »

Qui lui a dit que j'abandonne le sens littéral, en expliquant le précepte du Décalogue? Je suis bien éloigné de cette pensée, et je lui accorde au contraire tout ce qu'il dit sur la manière simple et littérale dont il veut qu'on écrive les commandements. Je prendrai mes avantages en un autre lieu sur cette déclaration de l'Anonyme, et je lui ferai remarquer que l'institution de l'Eucharistie est un commandement de la Loi nouvelle qui, selon ses propres principes, doit être écrit simplement et pris à la lettre. Maintenant pour me renfermer dans la question dont il s'agit, et lui accorder sans contestation ce qu'il doit raisonnablement attendre de moi, je reconnais avec lui qu'il faut entendre littéralement le précepte du Décalogue, et je renonce dès à présent aux sens détournés, où il dit que j'ai mon recours.

 

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Mais afin de bien peser ce sens littéral qui nous doit servir de règle, il est bon de considérer avant toutes choses une manière trop simple et trop littérale d'entendre ce commandement, qui a été embrassée par le concile des iconoclastes tenu à Constantinople.

Ce concile, à l'imitation des Juifs et des Mahométans condamne absolument toutes les images. Il anathématise tous ceux qui oseront, je ne dis pas les adorer, « mais les faire et les mettre ou dans l'Eglise, ou dans les maisons particulières : » il appelle la peinture « un art abominable et impie, un art défendu de Dieu, et une invention d'un esprit diabolique qui doit être exterminée de l'Eglise.»

Telles sont les définitions de ce fameux concile de Constantinople tant célébré par les réformés, et honoré parmi eux sous le nom de septième concile général. Ils n'approuvent pourtant pas eux-mêmes la condamnation des images. Nous en voyons tous les jours dans leurs maisons ; et leur Catéchisme dit expressément que ce n'est pas le dessein de Dieu d'en interdire l'usage.

Ils condamnent donc en ce point les excès où sont tombés les iconoclastes, pour avoir trop pris au pied de la lettre le commandement du Décalogue : « Dieu a dit : Tu ne feras point d'images taillées, ni aucune ressemblance telle qu'elle soit; tu ne te prosterneras point devant elles. » Ils ont vu qu'il défendait de les fabriquer aussi nettement qu'il défend dé se prosterner devant elles. Pour raisonner conséquemment, ils ont tout pris à la lettre; et ils ont cru qu'en adoucissant la défense de les faire, ils seraient forcés d'adoucir celle de les honorer.

Ne pouvaient-ils pas avoir excédé aussi bien en l'un qu'en l'autre, c'est-à-dire en ce qu'ils prononcent touchant l'honneur des images, qu'en ce qu'ils disent touchant leur fabrique ? On voit d'abord un juste sujet de le soupçonner et, quoi qu'il en soit, cela nous oblige à pénétrer plus à fond le dessein de Dieu dans le commandement dont il s'agit. Mais comme personne ne doute que la matière de cette défense portée par le Décalogue ne soit les erreurs de l'idolâtrie, il faut voir avant toutes choses en quoi elle consistait. Il ne s'agit point d'expliquer ici toutes les erreurs des païens

 

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sur leurs fausses divinités, mais seulement celles qu'ils avaient touchant les images ( car ce sont celles dont nous avons besoin à présent), pour entendre quelles images et quel culte nous est défendu par ce précepte.

Les prétendus réformés soutiennent que nous faisons les païens plus grossiers qu'ils n'étaient en effet. Ils sont bien aises pour eux de diminuer leurs erreurs, et de leur donner touchant les images la doctrine la plus approchante qu'il leur est possible, de celle que nous enseignons ; car ils espèrent que par ce moyen nos sentiments et ceux des païens se trouveront enveloppés dans une même condamnation. Ainsi pour ne point confondre des choses aussi éloignées que le ciel l'est de la terre, il importe d'établir an vrai les sentiments qu'avaient les païens touchant leurs idoles, par l'Ecriture, par les Pères, par les païens mêmes, et enfin pour éviter tout embarras par le propre aveu des prétendus réformés.

Au reste dans l'explication de la croyance des païens, il ne faut pas s'attendre qu'on doive trouver une doctrine suivie ni des sentiments arrêtés. L'idolâtrie n'est pas tant une erreur particulière touchant la Divinité que c'en est une ignorance profonde, qui rend les hommes capables de toutes sortes d'erreurs. Mais cette ignorance avait ses degrés. Les uns y étaient plongés plus avant que les autres: le même homme n'était pas toujours dans le même sentiment : la raison se réveillait quelquefois, et faisait quelques pas ou quelque effort pour sortir un peu de l'abîme où elle était bientôt replongée par l'erreur publique. Ainsi il y avait dans les sentiments des païens beaucoup de variétés et d'incertitudes; mais parmi ces confusions, voici ce qui dominait et ce qui faisait le fond de leur religion.

Je l'ai pris du Catéchisme du concile, qui explique brièvement, mais à fond cette matière, en disant: « Que la majesté de Dieu peut être violée par les images en deux manières différentes : l'une, si elles sont adorées comme Dieu, ou qu'on croie qu'il y ait en elles quelque divinité ou quelque vertu pour laquelle il les faille honorer, ou qu'il faille leur demander quelque chose, ou y attacher sa confiance, comme faisaient les Gentils que l'Ecriture reprend de mettre leur espérance dans leurs idoles; l'autre, si

 

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l’on tâche d'exprimer par art la forme de la Divinité, comme si elle pouvait être vue des yeux du corps ou représentée par des traits et par des couleurs (1).»

Tout le culte des idolâtres roulait sur ces deux erreurs. Ils regardaient leurs idoles comme des portraits de leurs dieux : bien plus, ils les regardaient comme leurs dieux mêmes : ils disaient tantôt l'un et tantôt l'autre, et mêlaient ordinairement l'un et l’autre ensemble.

Cela nous paraît incroyable ; et après que la foi nous a découvert ces insupportables erreurs, nous avons peine à comprendre que des peuples entiers, et encore des peuples si polis, y soient tombés. Qui ne serait étonné d'entendre dire à un Cicéron dans une action sérieuse, c'est-à-dire devant des juges assemblés, dépositaires de l'autorité et établis pour venger la religion violée, et en présence du peuple romain : « Verrès a bien osé enlever dans le temple de Cérès à Enna une statue de cette déesse, telle que ceux qui la regardaient croyaient voir ou la déesse elle-même, ou son effigie tombée du ciel, et non point faite d'une main humaine (2). » Qu'on ne dise donc plus que les païens n'étaient pas si stupides que de croire qu'une statue put être un Dieu ! Cicéron, qui n'en croyait rien, le dit sérieusement en présence de tout le peuple, dans un jugement, parce que c'était l'opinion publique et reçue, parce que tout le peuple le croyait. Il est vrai qu'il parle en doutant si la statue est la déesse elle-même ou son effigie ; mais il y en a assez dans ce doute seul, pour convaincre les idolâtres d'une impiété visible. Car enfin jusqu'à quel point faut-il avoir oublié la divinité, pour douter si une statue n'est pas un Dieu, et pour croire qu'elle le puisse être ? Il n'est guère moins absurde de penser qu'elle en puisse être l'effigie, et que d'une pierre ou d'un arbre on en puisse faire le portrait d'un Dieu. Mais encore que Cicéron laisse ici l'esprit en suspens entre deux erreurs si détestables, il me sera aisé de faire voir par des témoignages certains et peut-être par Cicéron même, que le commun des païens joignait ensemble l'un et l'autre.

Premièrement il est certain qu'ils se figuraient la Divinité

 

1 Cat. Conc., part. III, sect. 34, p. 319. — 2 Act. V, in Verr.

 

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corporelle, et croyaient pouvoir la représenter au naturel par des traits et par des couleurs. Comme leurs dieux au fond n'étaient que des hommes ; pour concevoir la Divinité, ils ne sortaient point de la forme du corps humain : ils y corrigeaient seulement quelques défauts : ils donnaient aux dieux des corps plus grands et plus robustes, et quand ils voulaient, plus subtils, plus déliés et plus vites. Ces dieux pouvaient se rendre invisibles et s'envelopper de nuages. Les païens ne leur refusaient aucune de ces commodités, mais enfin ils ne sortaient point des images corporelles; et quoi que pussent dire quelques philosophes, ils croyaient que par l’art et par le dessin on pouvait venir à bout de tirer les dieux au naturel. C'était là le fond de la religion; et c'est aussi ce que reprend saint Paul dans ce beau discours qu'il fit devant l'Aréopage : « Etant donc comme nous sommes une race divine, nous ne devons pas croire que la Divinité soit semblable à l'or, ou à l'argent, ou à la pierre taillée par art et par invention humaine (1). »

Que si nous consultons les païens eux-mêmes, nous verrons avec combien de fondement saint Paul les attaquait par cette raison. Phidias avait fait le Jupiter Olympien d'une grandeur prodigieuse; et lui avait donné tant de majesté qu'il l'en avait rendu plus adorable, selon le sentiment des païens. « Polyclète, à leur gré, ne savait pas remplir l'idée qu'on avait des dieux. » Cela n'appartenait qu'à Phidias au sentiment de Quintilien. « C'est lui, dit le même auteur, qui avait fait ce Jupiter Olympien, dont la beauté semble avoir ajouté quelque chose au culte qu'on rendait à Jupiter, dont la grandeur de l'ouvrage égalait le dieu (2). » On voit les mêmes sentiments dans les autres païens. Ils ne concevaient rien en Dieu, pour la plupart, qui fût au-dessus de l'effort d'une belle imagination; et parce qu'Homère l'avait eue la plus belle et la plus vive qui fût jamais, c'était le seul, selon eux, qui sût parler dignement des dieux, quoiqu'il soit toujours demeuré dans des idées corporelles. Comme le Jupiter de Phidias était fait sur les desseins de ce poète incomparable, le peuple était content de l'idée qu'on lui donnait du plus grand des dieux et ne pensait

 

1 Act., XVII, 29, — 2 Inst. Orat., lib. XII, cap. X.

 

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rien au delà. Il croyait enfin voir au naturel et dans toute sa majesté le Père des dieux et des hommes.

Mais les païens passaient encore plus avant, et ils croyaient voir effectivement la Divinité présente dans leurs idoles. Il ne faut point leur demander comment cela se faisait. Les uns ignorants et stupides, étourdis par l'autorité publique, croyaient les idoles dieux sans aller plus loin : d'autres qui raffinaient davantage croyaient les diviniser en les consacrant. Selon eux, la Divinité se renfermait dans une matière corruptible, se mêlait et s'incorporait dans les statues. Qu'importe de rechercher toutes leurs différentes imaginations touchant leurs idoles? tant y a qu'ils conspiraient tous à y attacher la Divinité, et ensuite leur religion et leur confiance. Ils les craignaient, ils les admiraient, ils leur adressaient leurs vœux, ils leur offraient leurs sacrifices : enfin ils les regardaient comme leurs dieux tutélaires, et leur rendaient publiquement les honneurs divins. Telle était la religion des peuples les plus polis, et les plus éclairés d'ailleurs, qui fussent dans l'univers; tant le genre humain était livré à l'erreur, et tant l'Evangile était nécessaire au monde pour le tirer de son ignorance.

Les prétendus réformés travaillent beaucoup à justifier les Gentils de ces reproches. Si nous en croyons l'Anonyme : «  ce n'est qu'une exagération que de dire, comme fait M. de Condom, que les païens croyaient que leurs fausses divinités habitaient dans leurs images : les païens ne convenaient nullement qu'ils adorassent la pierre ni le bois, mais seulement les originaux qui leur étaient représentés… Ils ne croyaient pas que leurs divinités fussent comme renfermées dans les simulacres ou qu'elles y habitassent, comme M. de Condom le pose; et s'il se trouve qu'on bar ait rien reproché de semblable dans les premiers siècles du christianisme, ce n'est peut-être qu'à cause que la superstition des peuples allait encore plus loin que les sentiments et les maximes de leurs philosophes, ou de leurs prêtres et de leurs pontifes..... »

 

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