Exp. Fragments V
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CINQUIÈME FRAGMENT.
DE LA TRADITION OU DE LA PAROLE NON ÉCRITE.

 

  

La suite du discours demande que nous parlions de l'autorité de la parole non écrite, que l'auteur attaque de toute sa force. Après avoir combattu l'Exposition par quelques légères attaques, qui regardent plutôt la manière de parler que le fond des choses, il prend la peine de ramasser les preuves qu'il croit les plus fortes contre l'autorité de la tradition ; chose très-éloignée de notre dessein. Bien plus, il se jette sur le purgatoire, sur les images, sur les reliques, sur la confession, sur plusieurs autres doctrines que l'Eglise romaine défend ; comme si dans un article où il ne s'agit que de la tradition en général, il fallait traiter nécessairement de toutes les traditions en particulier. Il me regarde toujours comme un homme qui est engagé dans la preuve de notre doctrine, et sans même vouloir considérer que si l'on ne veut de dessein formé embrouiller les choses, il faut établir la règle avant que d'en faire l'application ; il veut que je prouve tout ensemble, et la vérité de la règle qui autorise la tradition, et la juste application qu'en fait l'Eglise romaine dans toutes les traditions particulières; et tout cela en deux pages; car cet article de l'Exposition n'en contient pas davantage. Ne veut-il pas me faire justice et considérer une fois que si j'avais voulu établir la preuve de notre doctrine, j'aurais fait autre chose qu'une Exposition?

C'est ce qu'il ne veut point entendre. Il me fait faire des arguments

 

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auxquels je n'ai pas pensé, qu'il détruit ensuite à son aise avec une facilité merveilleuse. Il veut absolument que j'aie entrepris, non-seulement de prouver la tradition en général, mais encore que notre doctrine sur le purgatoire, sur les saints, sur leurs reliques et sur leurs images et les « autres dogmes particuliers de la tradition, sont la doctrine même des apôtres non écrite ; » et que faute de pouvoir prouver ce que j'avance, « je donne en la place d'une telle preuve cette maxime vaguement posée, que la marque certaine qu'une doctrine vient des apôtres, c'est lorsqu'elle est embrassée par toutes les églises chrétiennes, sans qu'on en puisse montrer les commencements (1). »

Or tout cela n'est point notre preuve ; c'est la simple exposition de notre doctrine : et si l'auteur se veut figurer que j'ai entrepris de la prouver, c'est afin de prendre cette occasion de me pousser jusqu'à l'insulte par ces paroles : «M. de Condom, dit-il, pose vaguement cette maxime, sans même, poursuit-il, l'oser appliquer en particulier à aucune des traditions de l'Eglise romaine, comme s'il sentait que ce caractère, tout vague qu'il est, ne leur convient pas (2). » C'est ainsi qu'il flatte les siens d'une victoire imaginaire ; et encore une fois, il ne veut jamais considérer qu'il n'était pas de mon dessein d'entrer dans la preuve de cette maxime , encore moins de composer un volume pour en faire l'application aux articles particuliers. Il m'insulte toutefois : il me montre aux siens battu et défait, comme si l'on m'avait fait rendre par force les armes que je n'ai pas prises. Mais pour ne point prendre ce ton de vainqueur avant que d'avoir combattu, il fallait venir au point important dont il s'agit entre nous : il fallait voir à quoi je voulais que servît mon Exposition, et combien étaient importantes les difficultés que je prétendais éclaircir en peu de mots.

Puisqu'il ne lui a pas plu de considérer une chose si essentielle à notre dessein, il faut que j'étende un peu mon Exposition, pour lui remettre devant les yeux ce qu'il n'a pas voulu voir. L'importance de cette matière, dont les conséquences s'étendent dans toutes nos controverses, et les divers moyens dont se sert l'auteur

 

1 Anon., p. 304. — 2 Ibid. p. 305.

 

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de la Réponse pour l'envelopper, me font résoudre à la traiter un peu plus amplement que les autres. Si on s'attache un peu à me suivre et à prendre l'idée véritable, on verra avant que de sortir de cet article, que les passages que l'Anonyme et les siens font le plus valoir contre nous, ne touchent pas seulement la question, bien loin de la décider en leur faveur; et qu'il n'y a rien de plus mal fondé que de comparer, comme ils font, les traditions chrétiennes avec celles des pharisiens que Jésus-Christ a condamnées et qu'ils nous allèguent sans cesse.

Pour bien entendre notre doctrine et l'état de la question, il faut remarquer avant toutes choses que ce qui nous oblige à recevoir les traditions non écrites, c'est la crainte que nous avons de perdre quelque partie de la doctrine des apôtres. Car on convient que, soit qu'ils prêchassent, soit qu'ils écrivissent, le Saint-Esprit conduisait également leur bouche et leur plume; et comme ils n'ont écrit nulle part qu'ils aient mis par écrit tout ce qu'ils ont prêché de vive voix, nous croyons que le silence de l'Ecriture n'est pas un titre suffisant pour exclure toutes les doctrines que l'antiquité chrétienne nous aura laissées.

C’est donc ici notre question, savoir si toute doctrine que les apôtres n'ont pas écrite est condamnée par ce seul silence, quelque antiquité qu'elle ait dans l'Eglise. Nos adversaires le prétendent ainsi; mais c'est en vain qu'ils se glorifient de ne vouloir recevoir que ce que les apôtres ont écrit, si auparavant ils ne nous montrent qu'il ne faut point chercher hors des écrits des apôtres ce que Dieu leur a révélé pour notre instruction. Le fondement de notre défense consiste à leur demander quelque passage qui établisse cette règle : mais tant s'en faut que les apôtres nous aient réduits à n'apprendre leur doctrine que par leurs écrits, qu'ils ont pris soin au contraire de nous prémunir contre ceux qui voudraient nous restreindre à ce seul moyen. Saint Paul écrit ces paroles à Timolhée : « Affermissez-vous, mon fils, clans la grâce de Jésus-Christ; et ce que vous avez oui de moi en présence de plusieurs témoins, confiez-le à des hommes qui puissent eux-mêmes l'enseigner à d'autres (1). » La seconde Epître à Timothée,

 

1 II Timoth., II, 1, 2.

 

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d'où sont tirées ces paroles, est sans doute une des dernières que saint Paul ait écrites : et quoique cet Apôtre eût déjà écrit des choses admirables, on voit qu'il ne réduit pas Timothée à lire simplement ce que lui-même ou les autres apôtres auraient écrit ; mais que sentant approcher sa fin, de même qu'il avait pris soin de laisser quelqu'un après lui qui put conserver le sacré dépôt de la parole de vie, il veut que Timothée suive cet exemple. Il lui avait enseigné de vive voix les vérités chrétiennes, en présence de plusieurs témoins : il lui ordonne d'instruire à son imitation des hommes fidèles, qui puissent répandre l'Evangile et le faire passer aux âges suivants. Ainsi la tradition de vive voix est un des moyens choisi par les apôtres, pour faire passer aux âges suivants et à leurs descendants les vérités chrétiennes. Si nous ne pouvions rien recueillir par ce moyen, ou si ce moyen n'était pas certain, les apôtres ne l'auraient pas recommandé. C'est pourquoi nous nous sentons obligés de consulter l'antiquité chrétienne; et quand nous trouvons quelque doctrine constamment reçue dans l'Eglise sans qu'on en puisse marquer le commencement, nous reconnaissons l'effet de cette instruction de vive voix, dont les apôtres ont voulu que nous recueillissions le fruit et ont recommandé l'autorité.

Il n'est pas juste que nos adversaires nous le fassent perdre. Mais de peur qu'ils ne nous objectent que nous les abusons par le mot d'Eglise, en leur donnant toujours sous ce nom l'Eglise romaine, dont ils contestent le titre, nous pouvons convenir avec eux d'une Eglise qu'ils reconnaissent. Ils conviennent qu'elle a subsisté jusqu'au temps des quatre premiers conciles généraux ; et puisqu'ils déclarent expressément dans leur Confession de foi qu'ils en reçoivent aussi bien que nous les définitions, ils ne contestent pas le titre d'Eglise à celle qui a tenu ces conciles. Ce terme s'étend un peu au-dessous du ive siècle du christianisme. Si donc nous trouvons dans ces premiers siècles, si proches du temps des apôtres, quelque doctrine , quelle qu'elle soit (car il ne s'agit pas encore de rien déterminer là-dessus), qui ait été constamment reçue depuis l'Orient jusqu'à l'Occident, et depuis le Septentrion jusqu'au Midi, où s'étendait le christianisme : si nous trouvons

 

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que ceux qui l'ont constamment prêchée marquent qu'elle venait de plus haut, et n'en nomment point d'autres auteurs que les apôtres, on ne peut s'empêcher de reconnaître dans cette succession de doctrine la force des instructions de vive voix, que les apôtres ont voulu faire passer de main en main aux siècles suivants.

C'est pourquoi nous nous sentons obligés de rechercher dans l'antiquité les traditions non écrites; et parla nous nous mettons en état d'obéir au précepte que saint Paul a donné à toute l'Eglise en la personne des fidèles de Thessalonique , lorsqu'il leur a ordonné de retenir les traditions qu'ils ont apprises, soit par ses discours , soit par son Epître (1).

Ecouterons-nous l'Anonyme, qui répond que saint Paul « ne marque pas que les choses qu'il avait enseignées de vive voix, fussent différentes de celles qu'il leur avait écrites (2)? » Au contraire ne voyons-nous pas que saint Paul n'eût pas appuyé si distinctement sur ces deux moyens de connaître sa doctrine, si un seul l'eût découverte tout entière ?

Cette instruction nous regarde. En la personne des fidèles de Thessalonique, saint Paul instruisait les fidèles des âges suivants ; tellement que le Saint-Esprit nous ayant montré deux moyens de connaître la vérité, nous serions injurieux envers lui, si nous négligions l'un des deux.

Ainsi considérant la doctrine constante de l'antiquité comme le fruit de cette instruction de vive voix, que les apôtres ont pratiquée et recommandée, nous recevons cette règle de saint Augustin, « qu'on doit croire que ce qui est reçu unanimement, et qui n'a point été établi par les conciles, mais qui a toujours été retenu, vient des apôtres, encore qu'il ne soit pas écrit. » Il a combattu par cette règle l'hérésie des donatistes sur la réitération du baptême; par où l'on voit en passant la hardiesse de l'Anonyme , qui sans produire aucun passage, oppose à notre doctrine le témoignage des Pères, et entre autres de saint Augustin, sans considérer que ce même saint Augustin, qu'il nomme entre tous les autres, est celui qui a écrit en termes formels la règle que nous suivons. Mais le nom de saint Augustin et des Pères est beau

 

1 II Thess., II, 14. — 2 Anon., p. 199.

 

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à citer, et il y a toujours quelqu'un qui croit qu'on les a pour soi, quand on les compte hardiment parmi les siens.

J'ai cru que je devais expliquer avec un peu plus d'étendue la doctrine de l'Exposition. Mais quoique j'eusse traité ce sujet conformément à mon dessein en peu de paroles, j'avais proposé en substance ce qui fonde l'autorité de la parole non écrite. Car si l'on considère cet article, on verra que j'ai fait deux choses. Je tire premièrement de l’Epître aux Thessaloniciens ce principe indubitable, que nous devons recevoir avec une pareille vénération tout ce que les apôtres ont enseigné, soit de vive voix, soit par écrit. Je représente en peu de mots qu'en effet on a cru les mystères de Jésus-Christ, et les vérités chrétiennes, sur le témoignage qu'en ont rendu les apôtres avant qu'ils eussent écrit aucun livre ou aucune épître. Tout cela ne permet pas de douter du principe que j'établis , qui aussi n'est pas contesté par nos adversaires : mais s'il est une fois constant que ce que les apôtres ont enseigné de vive voix est d'une autorité infaillible, il ne reste plus qu'à considérer les moyens que nous avons de le recueillir. C'est la seconde chose que je fais dans mon Exposition; et je dis qu'outre ce que les apôtres ont écrit eux-mêmes, une marque certaine qu'une doctrine vient de cette source, c'est lorsqu'elle est embrassée par toutes les églises chrétiennes, sans qu'on en puisse marquer le commencement. Voilà ce que nous appelons la parole non écrite.

L'auteur me reproche ici que « je cherche un avantage indirect, en appelant la tradition la parole non écrite, d'un nom qui préjuge la question par la chose même qui est en question (1). » Il s'abuse. Ni je ne cherche aucun avantage, ni je ne préjuge rien. Mais pourquoi ne veut-il pas qu'il me soit permis de poser ma thèse, et de déclarer ce que nous croyons? Je ne prétends pas qu'on m'accorde cette doctrine comme prouvée sur ma simple exposition : mais est-ce trop demander que de vouloir du moins qu'on m'accorde que c'est la doctrine que nous professons? Or en m'accordant seulement cela, on va voir combien d'objections seront résolues.

 

1 Anon., p. 296.

 

 

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Le premier effet que doit produire l'état de la question posé au vrai, c'est de marquer précisément aux adversaires ce qu'ils sont obligés de prouver. Quand je parle de parole non écrite, l'auteur a raison de m'avertir que je ne dois pas tirer avantage de ce mot, ni préjuger la question par ce qui est en question. En effet il n'y a point de plus grand défaut dans le raisonnement, que celui de donner pour preuve la chose dont on dispute ; et comme nous tomberions dans ce défaut, si nous supposions sans prouver qu'il y a une parole non écrite, nos adversaires y tomberaient aussi, s'ils posaient comme un principe avoué que tout ce qui nous a été révélé par le moyen des apôtres a été mis par écrit. Il est pourtant véritable que s'ils ne le supposaient de la sorte, ils ne produiraient pas, comme ils font sans cesse, contre la parole non écrite ce passage de saint Paul : « Si quelqu'un vous annonce une autre doctrine que celle que je vous ai annoncée, qu'il soit anathème (1). » Car même en laissant à part les autres solides réponses qu'on a faites à ce passage, il est clair que pour en conclure qu'il n'y a point de tradition non écrite, il faut supposer nécessairement, ou que les apôtres n'ont enseigné que par écrit, ce que personne ne dit; ou du moins qu'ils ont rédigé par écrit tout ce qu'ils ont enseigné, ce qui est en question entre nous et ce que ce passage ne dit pas. Ainsi à moins que de supposer ce qui est précisément en dispute, il faut que les prétendus réformés abandonnent ce passage, et qu'ils cherchent en quelqu'autre lieu la preuve de leur doctrine, dont il ne paraît en celui-ci aucun vestige.

C'est par une erreur semblable que l'Anonyme lui-même, parlant de ce passage célèbre où saint Paul ordonne à ceux de Thessalonique de retenir les enseignements qu'il leur a donnés, soit de vive voix, soit par des épîtres, prouve que les traditions non écrites de l'Eglise romaine ne sont pas autorisées par ce passage, parce que « si on prend la peine de lire les deux Epîtres de saint Paul aux mêmes Thessaloniciens, où il leur parle des enseignements qu'il leur avait donnés et de la manière dont il leur avait prêché l'Evangile, on n'y trouvera rien du tout, non plus que

 

1 Galat., I, 8.

 

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dans l'Evangile même, qui ait le moindre rapport à la prière pour les morts, au purgatoire, ni enfin à aucune autre des traditions qui sont en question (1). » Ainsi dans la question où il s'agit de savoir si le silence de l'Ecriture est une preuve, il nous allègue pour preuve le silence de l'Ecriture dans un passage dont on se sert pour prouver qu'il y a des traditions non écrites. Il nous donne comme une preuve que s'il y avait des traditions non écrites, saint Paul les aurait écrites. C'est ainsi qu'on raisonne, lorsqu'on ne veut point chercher d'autres preuves que sa propre préoccupation , et qu'on donne pour loi tout ce qu'on avance.

Il tombe dans la même faute, lorsqu'il dit, « que Notre-Seigneur ayant mis dans le cœur des évangélistes et des apôtres, d'écrire l'Evangile qu'ils prêchaient, ces saints docteurs étant conduits immédiatement par le Saint-Esprit, n'ont pas fait la chose imparfaitement ou à demi  (2). » Il a raison de dire que les apôtres n'ont pas fait imparfaitement et à demi ce qu'ils s'étaient proposé de faire ; mais s'il suppose qu'ils avaient formé le dessein de rédiger par écrit tout ce qu'ils prêchaient de vive voix, je suis obligé de l'avertir que c'est là précisément de quoi l'on dispute. Les apôtres eux-mêmes ne disent rien de semblable. Or ce n'est pas à nous de nous former une idée de perfection, telle qu'il nous plaît, dans les Ecritures; et l'Anonyme, pour avoir voulu se la figurer cette perfection plutôt selon ses pensées que selon l'Ecriture même, n'a pas aperçu que ses expressions nous conduiraient malgré lui jusqu'au blasphème, si nous les suivions. Dieu avait mis dans le cœur de saint Matthieu d'écrire l'Evangile de Jésus-Christ : s'ensuit-il qu'il l'ait fait imparfaitement, parce que nous apprenons de saint Jean des particularités de cet Evangile que saint Matthieu n'avait pas écrites? Quoique les Epîtres des apôtres nous donnent de merveilleux éclaircissements que nous n'avons point par les Evangiles, peut-on dire, sans blasphémer, que les quatre Evangiles soient imparfaits? Si donc il a plu au Saint-Esprit que nous sussions quelques vérités par une autre voie que par celle de l'Ecriture, doit-on conclure de là que l'Ecriture soit imparfaite? Ne voit-on pas qu'il faut raisonner sur d'autres idées

 

1 Anon., p. 299. — 2 Ibid. p. 297.

 

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que sur celles de l'Anonyme, et reconnaître que tous les ouvrages des apôtres sont parfaits, parce que chacun d'eux a écrit ce qui servait au dessein que le Saint-Esprit lui avait mis dans le cœur? Que si l'on veut supposer que chacun d'eux a écrit ce qu'il devait et que tous dévoient tout écrire, c'est là, encore une fois, ce qu'il faut prouver : c'est ce que nos frères ne nous ont fait lire dans aucun endroit de l'Ecriture, et ce que nous ne pouvons recevoir sans ce témoignage.

Mais «saint Paul, dit l'Anonyme, n'ayant égard principalement qu'à l'Ecriture du Vieux Testament, disait à Timothée que l'Ecriture est propre à instruire, à corriger, à convaincre et à rendre l'homme parfait et accompli en toute bonne œuvre   »

A qui de nous a-t-il ouï dire que l'Ecriture ne fût pas propre à toutes ces choses, et à conduire l'homme de Dieu à sa perfection? Donc elle seule y est utile ; donc elle contient tout ce qui est propre à une fin si nécessaire : ce sont autant de propositions qu'il faudrait prouver, qui ne sont point dans saint Paul, et que l'Anonyme suppose au lieu d'en faire la preuve.

Il a remarqué lui-même que saint Paul disant ces paroles, « regardait principalement les Ecritures de l'Ancien Testament.» En effet celles du Nouveau n'étaient pas encore. Si cet auteur a bien compris ce qu'il disait, sans doute il a dû entendre que ce passage de saint Paul se peut appliquer clans toute sa force aux anciennes Ecritures, que cet Apôtre « regardait principalement. » Saint Paul a donc voulu dire que les anciennes Ecritures sont propres à toutes ces choses. L'Anonyme conclura-t-il de là qu'elles seules y sont propres, ou qu'elles contiennent tout ce qui est propre à tous ces effets? Que resterait-il après cela que de supprimer l'Evangile?

Il croit avoir paré ce coup, lorsqu'il dit que le Vieux Testament est propre à toutes choses, » à plus forte raison les deux Ecritures du Vieux et du Nouveau Testament peuvent-elles faire tout cela étant jointes ensemble. » Il ne fallait pas changer les termes : si le Vieux Testament est propre à toutes ces choses, à plus forte raison le Vieux et le Nouveau y sont propres étant joints ensemble,

 

1 Anon., p. 298.

 

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au même sens que le Vieux Testament y était propre tout seul : c'est bien conclure, et j'en suis d'accord.

Mais pourquoi a-t-il affaibli les paroles de saint Paul ? Voici comment a parlé cet Apôtre : « Toute Ecriture, dit-il, divinement inspirée, est propre à enseigner, à convaincre, à reprendre, à instruire dans la justice , afin que l'homme de Dieu soit parfait, instruit à toute bonne œuvre (1). » Il ne dit pas seulement, comme le rapporte l'Anonyme, que l'Ecriture en général est propre à toutes choses : il parle plus fortement; et comme on dit en général que tout homme est capable de raisonner, il dit en descendant au particulier, que « toute Ecriture divinement inspirée » est utile à tous ces effets. Mais ces paroles ainsi proposées détruisent trop évidemment les prétentions des ministres; car on ne peut soutenir que chaque livre de l'Ecriture renferme cette plénitude. Il a donc fallu nécessairement qu'ils affaiblissent le sens de l'Apôtre ; et ils ont dissimulé la louange qu'il a donnée effectivement à chaque livre particulier de l'Ecriture, parce qu'ils voulaient attribuer à l'Ecriture en général une suffisance absolue dont saint Paul ne parle en aucune sorte.

Pour nous, nous renfermant dans les termes de saint Paul et admirant l'exactitude précise avec laquelle il s'explique, nous reconnaissons avec lui, non-seulement que toute l'Ecriture en général, mais encore que chaque partie de l'Ecriture inspirée de Dieu, est propre à tous les effets que cet Apôtre rapporte. Car nous adorons dans chaque partie de cette Ecriture une profondeur de sagesse, une étendue de lumières, une suite de vérités si bien soutenue, qu'une partie servant à éclaircir l'autre, chaque partie concourt à conduire l'homme de Dieu à sa perfection. Que nos frères ne pensent donc pas que nous voulions diminuer la force, ou déroger à la perfection de l'Ecriture divine. Nous croyons que non-seulement tout le corps de cette Ecriture, mais encore que chaque parole sortie de la bouche du Fils de Dieu qui nous y est rapportée, et chaque sentence écrite par les apôtres et par les prophètes, est propre à nous porter à toute vertu et à disposer notre cœur à recevoir toute vérité. Ceux qui adorent en cette

 

1 II Timoth., III, 16, 17.

 

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forme toutes les parties de l'Ecriture voudraient-ils rabaisser l'idée de la perfection du tout? Aussi employons-nous l'Ecriture sainte à toute bonne œuvre, selon ce que dit l'Apôtre dans le passage que nous traitons. Nous employons l'Ecriture à établir les principes essentiels et de la foi et des mœurs, et nous croyons qu'elle en comprend tous les fondements. Si l'antiquité chrétienne nous apporte quelque doctrine que l'Ecriture taise, ou dont elle ne parle pas assez clairement, c'est l'Ecriture elle-même qui nous apprend à la respecter et à la recevoir des mains de l'Eglise. L'Anonyme dit, que « Messieurs de l'Eglise romaine sont si peu fermes sur leurs principes de la tradition, ou du moins qu'ils reconnaissent si bien que la tradition ne peut aller de pair avec l'Ecriture, que lorsqu'on les presse touchant les traditions particulières , il n'y en a presque pas une seule qu'ils ne tâchent d'appuyer de l'autorité de l'Ecriture (1). » Quelle pernicieuse conséquence ! et comment un homme sincère a-t-il pu dire que nous affaiblissions ou l'Ecriture ou la tradition séparément prises, en montrant qu'elles se défendent l'une l'autre ? Mais du moins ne peut-il nier, puisqu'il parle ainsi, que nous ne reconnaissions combien l'Ecriture est propre à tout bien. En effet nous soutenons que non-seulement les traditions en général, mais encore les traditions que nous enseignons en particulier, ont des fondements si certains sur l'Ecriture et des rapports si nécessaires avec elle, qu'on ne peut les détruire ou les attaquer, sans faire une violence toute manifeste à l'Ecriture elle-même. La discussion de cette vérité n'est pas de ce lieu. Mais cette seule prétention, que nous avons, doit suffire pour faire voir qu'on nous impose manifestement, quand on nous accuse d'avoir une idée trop faible de l'Ecriture sainte ; et que de telles objections ne subsistent plus, aussitôt que notre doctrine est bien entendue.

On voit encore par l'exposition de notre doctrine, combien on a tort de nous objecter qu'en sortant des bornes de l'Ecriture, nous ouvrons un moyen facile de rendre la religion arbitraire. Car bien loin de prétendre qu'on puisse donner ce qu'on veut sous le nom de tradition et de parole non écrite, nous disons que

 

1 Anon., p. 303, 304.

 

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la marque pour la connaître, c'est lorsqu'on voit dans une doctrine le consentement de toutes les églises chrétiennes, sans qu'on puisse en marquer le commencement. Or ce consentement n'est pas une chose qu'on puisse feindre à plaisir; et cette marque que nous posons, pour connaître la tradition, répond encore au reproche qu'on nous fait, d'égaler en quelque sorte les écrits des Pères à la sainte Ecriture ; c'est-à-dire des hommes sujets à faillir à Dieu même, qui est le soutien et la source de la vérité. Car nous ne fondons pas la tradition sur les sentiments particuliers des saints Pères, qui étaient en effet sujets à faillir, mais sur une lumière supérieure et sur un fond certain de doctrine, dont les Pères rendent témoignage et que nous voyons prévaloir au milieu et au-dessus des opinions particulières.

Il fallait donc examiner si un tel consentement peut être un ouvrage humain, et non pas supposer toujours que nous fondons notre foi sur l'autorité des hommes. Car c'est trop regarder l'Eglise et l'établissement de la doctrine de l'Evangile comme un ouvrage purement humain, que de dire, comme l'auteur le veut faire entendre, que recevoir la saine doctrine par la tradition de vive voix, c'est vouloir la faire « dépendre de la mémoire et de la volonté des hommes, naturellement sujets à l'erreur (1). » Car nous renversons les fondements du christianisme, et nous lui déclarons la guerre plus cruellement que les infidèles, si nous ôtons nous-mêmes à l'Eglise cet Esprit de vérité qui lui a été promis jusqu'à la consommation des siècles, et si nous croyons que l'erreur y puisse jamais être autorisée par un consentement universel. Nous pouvons voir au contraire quel est le poids d'un consentement semblable, par la manière dont nous avons reçu l'Ecriture sainte.

L'Anonyme ne connaît pas l'état où nous sommes dans ce lieu d'exil, quand il veut que la vérité nous y paroisse aussi clairement qu'il est clair « qu'il est jour, quand le soleil luit sur notre horizon (2). » C'est trop flatter des hommes mortels, qui sont guidés par la foi, que de vouloir leur faire croire que la vérité leur luise à découvert, comme s'ils étaient dans l'état où nous la verrons face

 

1 Anon., p. 313. — 2 Ibid. p. 315.

 

 

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à face. La divinité des Ecritures est un mystère de la foi, où l'on ne doit non plus chercher l'évidence entière que dans les autres articles de notre croyance. Ne parlons pas ici des infidèles et de ceux qui ont le cœur éloigné des vérités de l'Evangile. Comment pouvez-vous penser que Luther, que vous regardez comme un homme rempli d'une lumière extraordinaire du Saint-Esprit, et que tous les luthériens qui sont selon vous les enfants de Dieu, dignes d'être reçus à sa table, aient pu rejeter l’Epître de saint Jacques et ne pas connaître la vérité d'une partie si essentielle de l'Ecriture, s'il est vrai, comme vous dites, qu'il soit aussi clair que l'Ecriture est dictée par le Saint-Esprit qu'il est clair que le soleil luit? Et pour ne pas alléguer toujours Luther et les luthériens , recherchez dans l'antiquité comment est-ce que l’Apocalypse et la divine Epître aux Hébreux ont été reçues sans contradiction, après que tant de fidèles serviteurs de Dieu en ont douté si longtemps. Vous trouverez que ce n'est pas la seule évidence d'une lumière aussi éclatante et aussi claire que le soleil ; mais que c'est l'autorité de l'Eglise et la force supérieure de la tradition, et l'esprit de vérité qui réside dans tout le corps de l'Eglise, qui ont surmonté ces doutes des particuliers. C'est donc abuser manifestement ces particuliers que de leur dire qu'ils peuvent voir la divinité, et de toute l'Ecriture en général, et de chacune de ses parties, avec la même évidence qu'ils voient que le soleil luit. Il faut revenir nécessairement à l'autorité de l'Eglise, à la suite de la tradition, au consentement de l'antiquité. Et comment donc voudrait-on que nous puissions mépriser ce consentement, après l'avoir trouvé suffisant pour nous faire recevoir l'Ecriture même? Si le fondement principal sur lequel nous distinguons les livres divins d'avec les livres ordinaires est le consentement de l'antiquité, pouvons-nous ne pas regarder comme divin tout ce qu'un semblable consentement nous apporte? Et de là ne s'ensuit-il pas que tout ce qui est reçu par l'antiquité, sans qu'on en puisse marquer le commencement, doit être nécessairement venu des apôtres?

Cette règle est si certaine, que ceux de Messieurs de la religion prétendue réformée qui procèdent de bonne foi, ne pourraient

 

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pas s'empêcher de la recevoir, si leurs ministres leur permettaient de l'envisager en elle-même. Mais ils font tous comme l'Anonyme. Aussitôt qu'on leur parle de l'autorité de ce consentement universel, ils empêchent qu'on n'arrête longtemps la vue sur un objet si vénérable : ils se jettent, aussi bien que lui, sur le purgatoire , sur les saints, sur les reliques, sur les autres doctrines qu'ils ont tâché de rendre odieuses aux leurs, parce qu'ils ne leur en découvrent ni la source, ni les fondements, ni la véritable intelligence. Telle est visiblement la conduite de l'Anonyme. Au lieu de tourner toute son attention à considérer si cette règle est véritable, qu'il faut céder au consentement universel de l'antiquité chrétienne, pourvu qu'il soit bien constant sur quelque doctrine : il se jette sur les doctrines particulières; il s'embarrasse avant le temps dans l'application de la règle, quoique cette application ne puisse être faite tout d'un coup, ni pénétrée d'une seule vue. Ainsi confondant ce qui est clair avec ce qui ne peut pas l'être d'abord, il ne laisse plus ni d'idée distincte, ni de lumière évidente, ni d'ordre certain dans notre dispute.

C'est par une semblable conduite que, sans entrer jamais au tond du dessein, il chicane sur tous les mots de l’Exposition. Et voici comment il en «attaque le commencement: « C'est parler, dit-il, en quelque sorte improprement que de dire que Jésus-Christ a fondé l'Eglise sur la prédication, et non par la prédication » Pour moi je céderais volontiers sur de pareilles difficultés, et j'en passerais aisément par l'avis de M. Conrart (a). Mais enfin on ne peut nier que la foi de l'Eglise ne soit fondée sur le témoignage de vive voix , que le Fils unique a rendu de ce qu'il a vu dans le sein de son Père, et sur un pareil témoignage de vive voix que les apôtres ont rendu de ce qu'ils ont ouï dire et vu faire au Fils. Toutefois que l'Anonyme choisisse entre le sur et le par, je ne fais fort ni sur l'un ni sur l'autre : il me subit qu'il soit certain que le témoignage de vive voix avait fondé les églises, avant que l'Evangile eût été écrit.

Pourquoi ne veut-il pas que je dise que cette parole prononcée

 

1 P. 300.

(a) L'an des premiers fondateurs de l'Académie française. (Note de l’abbé Leroi.)

 

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de vive voix, et par Jésus-Christ, et par les apôtres, a été la première règle des chrétiens? « C'est l'Ecriture du Vieux Testament, dit-il, qui est la première et la plus ancienne règle et le fondement de la foi des chrétiens (1). » Veut-il dire que la loi de Moïse a précédé l'Evangile, et qu'elle en est le fondement? Nous ne le nions pas, et c'est en vain qu'il entreprend de prouver une vérité si constante. Mais s'il veut dire que la loi de Moïse comprenne formellement tout ce que l'Evangile nous a enseigné, et enfin que la nouvelle loi n'ait rien annoncé de nouveau, c'est une fausseté manifeste. Ainsi sans chicaner sur les mots, il fallait demeurer d'accord que les nouveaux sacrements, aussi bien que les nouveaux préceptes que Jésus-Christ a donnés, ont été publiés d'abord de vive voix ; et que c'est par la vive voix que s'est fait le parfait développement du mystère d'un Dieu fait homme, qui était scellé sous des ombres et sous des figures dans toutes les générations précédentes. Lorsque Dieu a voulu donner la loi ancienne, il a commencé à prendre des tables de pierre où il a gravé le Décalogue, et Moïse a écrit par ordre exprès tout ce que Dieu lui a dicté. Mais Jésus-Christ n'a rien fait de semblable, et les premières tables où sa loi a été écrite ont été les cœurs. Ainsi les vérités chrétiennes ont été crues avant que les apôtres eussent écrit. Alors la parole de vive voix n'était pas seulement la première , mais encore l'unique règle où l'on pût découvrir manifestement toute la doctrine que Jésus-Christ avait enseignée ; et je ne m'arrêterais pas sur une doctrine si claire, si l'on n'avait entrepris de tout confondre.

Mais voici des embarras bien plus étranges. J'ai dit que cette parole de vie que les apôtres prêchaient ayant tant d'autorité dans leur bouche, « elle ne l'avait pas perdue lorsque les Ecritures du Nouveau Testament y ont été jointes. » Quelque hardiesse qu'on ait, il n'est pas possible de nier une vérité si constante; il la faut du moins obscurcir. L'auteur dit que « cette manière de parler est très-impropre. » Il veut faire croire qu'elle rabaisse la dignité de l'Ecriture, et que cette expression, « que les Ecritures ont été jointes à la parole non écrite, » donne trois fausses images, par

 

1 Anon., p. 301.

 

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lesquelles il prétend que j'ai rabaissé la dignité de l'Ecriture (1). Mais on va voir la pureté de notre doctrine, qui ne peut être attaquée que par des déguisements visibles.

En disant que les Ecritures ont été jointes à la parole, j'ai voulu marquer seulement que la parole a précédé et que l'Ecriture y a été jointe, pour faire un même corps de doctrine avec la parole par la parfaite convenance qu'elles ont ensemble. Il n'y a personne qui ne voie que c'est là mon sens naturel ; mais il est trop droit et trop véritable. L'auteur veut que je fasse entendre par cette expression innocente , « que la doctrine de l'Evangile, telle que nous l'avons par écrit, n'est qu'un accessoire. » Quel blasphème m'attribue-t-il? Un chrétien peut-il seulement penser que ce que nous lisons dans l'Evangile, et de la vie, et de la mort, et des miracles, et des préceptes de Notre-Seigneur, soit un accessoire, et non pas le fond du christianisme? Mais il ne laisse pas d'être véritable que ce fond a été prêché avant que d'avoir été écrit, et c'est tout ce que j'ai prétendu en ce lieu.

Encore moins ai je voulu dire que cette doctrine que nous avons par écrit soit différente de la parole à laquelle elle a été jointe. Quand on parle de différence et qu'il s'agit de doctrine, on marque ordinairement quelque opposition. Si l'Anonyme l'entend de la sorte, c'est une idée aussi fausse que la première , qu'il a voulu donner de nos sentiments. Nous disons, et il est très-véritable, que les apôtres n'ont écrit nulle part qu'ils aient mis par écrit toute la doctrine qu'ils ont prêchée de vive voix : mais nous ne disons pas pour cela qu'ils aient écrit une doctrine différente de celle qu'ils avaient prêchée. Un homme peut écrire tout ce qu'il a dit; il peut en écrire ou plus ou moins; mais si cet homme est véritable, et les choses qu'il dit et celles qu'il écrit auront toujours ensemble un parfait rapport. Ainsi quoique l'antiquité chrétienne ait recueilli de la prédication des apôtres quelques vérités qu'ils n'ont pas écrites, toutefois ce qu'ils ont écrit, ou ce qu'ils ont dit, fera toujours un corps suivi de doctrine, dans lequel on ne montrera jamais d'opposition. C'est pourquoi si quelqu'un voulait débiter comme une doctrine non écrite quelque doctrine

 

1 Anon., p. 302.

 

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qui fût contraire aux Ecritures, l'Eglise la rejetterait à l'exemple du Fils de Dieu, qui a rejeté sur ce fondement les fausses traditions des pharisiens. Mais de là il ne s'ensuit pas que tout ce que tait l'Ecriture ait été proscrit, ou qu'on puisse considérer la doctrine écrite et celle qui a été prêchée de vive voix comme des doctrines opposées.

Mais considérons le dernier des mauvais sens que l'Anonyme veut trouver dans mes paroles. Il soutient que cette expression de M. de Condom, « que les Ecritures ont été jointes à la parole non écrite, » fait entendre que « ce qui n'a pas été écrit est plus considérable que ce que nous avons dans les Livres sacrés » Quelle étrange disposition l'a obligé à donner des sens si malins à nos expressions les plus innocentes? Pourquoi vouloir toujours faire croire au monde que nous diminuons la dignité des Livres sacrés? Encore que la parole ait précédé l'Ecriture, et que l'Ecriture ensuite y ait été jointe, ce n'est pas dire que l'Ecriture n'ait fait simplement que ramasser ce qu'il y avait de moins important. Mais aussi de ce que les apôtres ont écrit les choses les plus essentielles, s'ensuit-il que nous devions mépriser ce que nous pouvons recueillir d'ailleurs de leurs maximes et de leurs doctrines? L'Anonyme n'oserait le dire; et au contraire il faut qu'il avoue que si nous savions certainement que les apôtres eussent enseigné quelque doctrine, nous la devrions recevoir, encore qu'elle ne fût pas contenue dans leurs écrits. Il devait donc laisser passer sans contestation ces principes indubitables, et s'attacher uniquement à considérer si outre les écrits des apôtres, nous avons quelque moyen assuré de recueillir leur doctrine. Or j'avais marqué dans l'Exposition ce moyen certain, qui est le consentement unanime de l'antiquité chrétienne, par lequel même j'avais fait voir que nous avons reçu l'Ecriture sainte. Si ce moyen était regardé avec attention, il serait trouvé si nécessaire, que nos adversaires eux-mêmes n'oseraient pas le rejeter. Aussi va-t-on voir que l'auteur ne fait qu'embarrasser la matière, et obscurcir par mille détours ce qu'il ne lui a pas été possible de combattre.

Il réduit toute ma doctrine sur ce sujet, c'est-à-dire celle de

 

1 Anon., p. 302.

 

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l'Eglise, à trois propositions. La dernière, comme on verra, n'étant pas de notre dessein, j'ai seulement à examiner les deux autres, qui peut-être au fond n'en font qu'une seule et ne doivent pas être séparées. Mais je veux bien suivre l'ordre de l'auteur de la Réponse.

J'ai dit dans l'Exposition « qu'il n'est pas possible de croire qu'une doctrine reçue dès les commencements de l'Eglise, vienne d'une autre source que des apôtres » Qui croirait qu'on pût former seulement un doute sur une pareille proposition? L'Anonyme dit toutefois « que cette proposition n'est pas vraie, à moins qu'on ne montre que dès lors cette doctrine ait été reçue de toutes les églises généralement, sans que les apôtres s'y opposassent (1) » Qu'on fait de difficultés sur les choses claires, quand on ne regarde pas simplement la vérité ! L'auteur eût-il trouvé le moindre embarras dans cette proposition, s'il eût seulement voulu remarquer que je parlois d'une doctrine reçue dans l'Eglise, c'est-à-dire embrassée par toutes les églises chrétiennes ; d'une doctrine approuvée, et non pas d'une doctrine contredite, et encore contredite par les apôtres? Mais il fallait embrouiller du moins ce qu'on ne pouvait nier. C'est pour cela qu'il ajoute encore, « que les apôtres mêmes témoignent que de leur temps le secret ou le mystère d'iniquité se mettait en train, qu'il y avait de faux docteurs parmi les chrétiens, et par conséquent de fausses doctrines. » Il est vrai. Mais ces fausses doctrines n'étaient pas reçues, et ces faux docteurs étaient condamnés, ou même retranchés du corps de l'Eglise, s'ils soutenaient opiniâtrement leur erreur. A quoi sert donc d'ajouter qu'il « ne serait pas impossible que ces mêmes doctrines eussent été suivies ou renouvelées dans la suite des temps, comme plusieurs hérésies, qui ont paru dès le premier et le deuxième siècle du christianisme ? » Quelle faiblesse de sortir toujours de la question pour ne combattre qu'une ombre ! Ces hérésies étaient suivies hors de l'Eglise, mais non pas reçues dans son sein. Elles s'y formaient à la vérité; mais elles en étaient bientôt rejetées : elles sont anciennes, je l'avoue; mais la vérité plus ancienne et toujours plus forte dans l'Eglise, les condamnait

 

1 Exposit., art. XVIII. — 2 Anou., p. 307.

 

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aussitôt qu'elles paraissaient. Plus elles se déclaraient, plus l'Eglise se déclarait contre elles. Autant de fois qu'elles renouvelaient leurs efforts, l'Eglise renouvelait ses anathèmes. Comparer de telles doctrines avec les doctrines reçues, enseignées, prêchées par l'Eglise même, n'est-ce pas un aveuglement manifeste ?

Mais on a trouvé le moyen de rendre le consentement de l'antiquité chrétienne suspect à nos adversaires. C'est assez de leur dire avec l'Anonyme, que les apôtres ont écrit que le « secret ou le ministère d'iniquité s'opérait (1) » ou, comme ils le traduisent, « était déjà en train » dès leur temps. Saint Paul, dont ils ont tiré cette parole, n'a rien dit qui nous en marque le sens précis : la plupart des interprètes entendent par ce mystère d'iniquité une malignité secrète qui commençait dès lors à remuer l'Empire romain contre l'Evangile, ou bien le dessein caché qu'avaient conçu quelques empereurs de se faire adorer comme des dieux même dans le temple de Jérusalem, ou quelque autre chose semblable. Ces interprètes ajoutent que saint Paul parlait obscurément de ces choses, ou par respect pour les puissances établies de Dieu, selon les maximes qu'il avait prêchées; ou pour ne point exciter la persécution que les fidèles dévoient attendre en silence, et non la provoquer par aucun discours. Au reste qui veut savoir ce qui se peut dire sur cette parole peut voir saint Jérôme, parmi les anciens, qui la rapporte à Néron; et Grotius, parmi les modernes, qui l'applique à Caligula. Quoi qu'il en soit, il est très-certain que c'est une chose obscure et douteuse. Cependant il a plu à nos adversaires de se prévaloir de l'obscurité de cette parole, pour décrier le consentement de l'antiquité chrétienne. Pour y attacher cette fausse idée, que le mystère d'iniquité est la corruption de la doctrine dans l'Eglise même, et comme saint Paul assure, parlant de son temps, que ce mystère d'iniquité se remue déjà; ils enseignent, à la honte du christianisme, que dès le temps des apôtres la doctrine commençait à se corrompre même dans l'Eglise: que cette corruption a toujours gagné, tant qu'enfin elle a prévalu, et qu'elle a détruit l'Eglise jusqu'à un tel point, qu'il a fallu que leurs prétendus réformateurs « aient été

 

1 II Thessal., II, 7.

 

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extraordinairement envoyés pour la dresser de nouveau, » selon les termes de leur Confession de foi. Depuis qu'ils ont eu une fois trouvé une expression obscure, à laquelle sans fondement ils ont attaché cette fausse idée, nous avons beau leur alléguer le consentement de l'antiquité sur quelque doctrine qui ne leur plaît pas : un ministre ou un ancien n'a qu'à nommer seulement le mystère d'iniquité, l'autorité des saints Pères et des siècles les plus vénérables n'a plus aucun poids; quelque haut que nous puissions remonter dans l'antiquité chrétienne, le mystère d'iniquité, qui était en train dès le temps des apôtres, les sauve de tout. Ceux qui sans cesse se glorifient de ne recevoir que ce que l'Ecriture a dit clairement, déçus par la fausse idée que leurs ministres attachent à des paroles obscures, écoutent avec défiance l'Eglise des premiers siècles et les Pères les plus approuvés. Qui pourrait ne pas déplorer un aveuglement si étrange?

Mais voyons ce que dit l'auteur sur ma seconde proposition. « La seconde proposition, dit-il, est encore moins vraie, qu'une doctrine embrassée par toutes les églises chrétiennes, sans qu'on en puisse marquer le commencement, soit nécessairement du commencement de l'Eglise, ou qu'elle vienne des apôtres (1). » Il combat cette proposition par des exemples; mais les exemples ne font qu'embrouiller, s'ils ne sont dans le cas dont il s'agit. Et il ne faut que considérer l'état de notre question, pour voir que les exemples qu'allègue l'auteur ne sont nullement à propos.

Qu'on relise la proposition comme il la rapporte lui-même, on verra qu'il s'agit de doctrine reçue dans l'Eglise. Que sert donc de rapporter « des changements qui se glissent dans les lois et les coutumes des Etats (2)? » Ni ces lois ni ces coutumes ne sont des doctrines que l'on regarde comme invariables; et Dieu n'a pas promis aux Etats l'assistance particulière du Saint-Esprit pour les conserver. Ainsi cet exemple ne fait rien du tout à la proposition dont il s'agit.

L'auteur promet de faire voir « des changements dans les dogmes de la religion, dont on ne peut pas marquer le temps ni l'origine ; » et pour prouver ce qu'il avance, depuis la naissance

 

1 Anon., p. 308. — 2 Ibid. p. 307.

 

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de Jésus-Christ jusqu'à nous, il n'a rien eu à nous alléguer que la communion des petits enfants. Il en parle comme d'une coutume abolie par le concile de Trente, quoiqu'il y eût déjà plusieurs siècles que l'usage en avait cessé. Mais passons-lui cette faute ; Menons à ce qu'il y a de plus important.

Nous avouons que la coutume de communier les petits enfants a été universelle dans l'Eglise, et qu'ensuite elle s'est abolie insensiblement. Aussi comptons-nous cette coutume parmi celles dont l'Eglise peut disposer. Nous n'avons jamais prétendu que toutes les coutumes de l'Eglise fussent immuables. Nous parlons des dogmes de la religion et des articles de la foi. Ces dogmes sont regardés comme inviolables, parce que la vérité ne change jamais, l'est pourquoi quand on remue quelque chose qui touche la foi, les esprits en sont nécessairement émus : alors on touche l'Eglise dans la partie la plus vive et la plus sensible, et l'Esprit .de vérité qui l'anime ne permet pas que des nouveautés de cette nature s'élèvent sans contradiction. Mais cette raison ne fait rien aux coutumes indifférentes, qui, n'enfermant aucun dogme de la foi, peuvent être changées sans contradiction. Ce serait une témérité insensée que de dire que l'Eglise universelle, qui dès le temps de saint Cyprien communiait les petits enfants, ait erré dans la foi pour laquelle tant de martyrs mouraient tous les jours. Si donc on ne peut penser sans extravagance, ce que l'auteur même n'ose pas dire, que cette coutume fût une erreur dans la foi, que pouvait-il faire de moins à propos que d'en alléguer l'établissement ou l'abolition comme un changement dans la foi?

En effet il est constant que cette coutume de communier les petits enfants, n'a jamais été réprouvée par aucun concile. Elle a été changée insensiblement sans aucune flétrissure ni condamnation, comme nos adversaires confessent eux-mêmes qu'on peut changer plusieurs choses qui sont en la disposition de l'Eglise. Ainsi tant de saints évêques et de saints martyrs ont eu leurs raisons de donner le corps de Notre-Seigneur à ceux qui par leur baptême étaient incorporés à son corps mystique, et l'Eglise des siècles suivants a eu aussi de justes motifs de préparer ses

 

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enfants avec plus de précaution au mystère de l'Eucharistie. Comme ces coutumes avaient toutes deux leurs raisons solides, et qu'elles étaient laissées au choix de l'Eglise pour en user suivant l'occurrence et la disposition des temps, il est clair qu'on a pu passer de l'une à l'autre, sans que personne ait réclamé. Aussi n'est-ce pas là notre question. Il s'agit de savoir si l'Esprit de vérité, qui est toujours dans l'Eglise, peut souffrir qu'on passe de même d'un dogme à un autre, et puisque l'auteur n'a pu trouver dans toute l'histoire de l'Eglise aucun exemple d'un tel changement, il ne peut pas nous blâmer si nous le croyons impossible.

Il ne pouvait en vérité plus invinciblement affermir la vérité que nous proposons, qu'en l'attaquant comme il a fait. Parmi tant de sortes d'erreurs que nous condamnons les uns et les autres, qui ne serait étonné que depuis l'origine du christianisme il n'en ait pu produire une seule dont les auteurs ne soient certains, et dont les commencements ne soient marqués? Il est contraint de sortir de la question; et au lieu de montrer, comme il a promis, un changement dans les dogmes, il ne produit que le changement d'une coutume indifférente. Nous pouvons donc assurer qu'encore qu'il n'y ait aucune des vérités chrétiennes qui n'ait été attaquée en plusieurs manières, néanmoins malgré tous les artifices et les profondeurs de Satan, comme saint Jean les appelle dans l’Apocalypse (1), jamais aucune erreur n'a été tant soit peu suivie, qu'elle n'ait été convaincue par sa nouveauté manifeste. Si donc la nouveauté clairement marquée est un caractère visible et essentiel de l'erreur, nous avons raison de dire au contraire que l'antiquité dont on ne peut marquer le commencement, est le caractère essentiel de la vérité.

Que si l'Anonyme n'a pu trouver dans toute l'histoire de l'Eglise aucun exemple constant de ces changements insensibles, qu'il prétend avoir été introduits dans les dogmes de la foi, c'est en vain qu'il aurait recours comme à un dernier refuge aux traditions des pharisiens. Car outre qu'il nous suffit d'avoir établi notre règle dans le Nouveau Testament, duquel seul j'ai parlé

 

1 Apoc., XI, 24.

 

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dans l’Exposition, je puis encore ajouter que cet auteur assure sans fondement « qu'on ne peut marquer l'origine des fausses traditions des Juifs (1). »

Il peut apprendre de saint Epiphane que les traditions des Juifs ne sont pas toutes de même nature, ni de même date, et qu'on ne doit pas les comprendre toutes sous une même idée. Ce Père en reconnaît d'une telle autorité et de si anciennes, qu'il les attribue à Moïse. Mais il y en a beaucoup d'autres qui sont nées depuis, dont il nous a nommé les auteurs et dont il nous a marqué les commencements. On est d'accord que ces traditions ne sont pas toutes mauvaises, ni toutes réprouvées par le Fils de Dieu. Quoi qu'il en soit, on ne peut pas dire que l'origine en soit inconnue. Pour celles que Notre Seigneur a si souvent condamnées dans l'Evangile, les plus célèbres auteurs de l'une et de l'autre communion conviennent de les rapporter la plupart à la secte des pharisiens, dont on connaît assez les auteurs, aussi bien que les commencements et les progrès.

On voit par là que l'Anonyme hasarde ce qui lui vient dans l'esprit, quand il croit qu'il sert à sa cause, sans considérer le fond; et l'on peut aisément juger combien est injuste la comparaison qu'il fait si souvent des traditions chrétiennes avec celles des pharisiens (2). On ne peut marquer les commencements des traditions chrétiennes ; on vient de voir qu'on sait le commencement et de la secte et des traditions des pharisiens. Il paraît clairement par l'Evangile, que les traditions des pharisiens étaient contraires à l'Ecriture. Car ou ils établissaient par ces traditions des observances directement opposées à la loi de Dieu, ou ils mettaient davantage de perfection dans des pratiques indifférentes, et en tout cas de peu d'importance que dans les grands préceptes de la loi, où Dieu enseignait à son peuple la vérité, la miséricorde et le jugement. Ainsi en toutes manières, ils méritaient le reproche que leur faisait Jésus-Christ, de transgresser les commandements de Dieu à cause de leurs traditions. Si donc on veut comparer nos traditions avec les traditions des pharisiens,

 

1 Anon., p. 308. Voyez aussi ce que dit l'auteur touchant les traditions des Juifs, p. 119. — 2 Ibid. p. 298, 318.

 

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il faut avoir prouvé auparavant que les nôtres ne s'accordent pas avec l'Ecriture, comme Notre-Seigneur a décidé que celles des pharisiens y étaient directement opposées. Que si l'on veut toujours supposer que le silence de l'Ecriture suffit pour exclure une doctrine, quelque antiquité qu'elle ait dans l'Eglise, on sort manifestement du cas où le Fils de Dieu a parlé en tous ces passages, et c'est abuser le monde que de s'autoriser par cet exemple.

Ainsi l'on voit clairement par les choses qui ont été dites, que l'auteur de la Réponse n'a pu alléguer aucune raison, ni aucun exemple contre cette belle règle que nous proposons, qu'une doctrine qu'on voit reçue par toute l'antiquité chrétienne, sans qu'on en puisse marquer le commencement, doit venir nécessairement des apôtres.

C'est la seconde proposition de mon traité, qu'il a attaquée. Il m'en fait faire une troisième, pour appliquer cette règle à la prière des saints, à la prière pour les morts et autres doctrines particulières. C'est à quoi je n'ai pas pensé, parce que cela n'était pas de mon dessein; et je l'ai déjà averti souvent que, pour voir les choses par ordre, il faut considérer premièrement la vérité de la règle, pour en faire l'application aux doctrines particulières. Quand on voudra entrer dans ce détail, il sera temps d'entrer dans cette discussion.

 

FIN DE L'EXPOSITION ET DES FRAGMENTS RELATIFS A L’EXPOSlTION.

 

 

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