Conférence M. Claude
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Conférence M. Claude
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Réflexions sur M. Claude

 

II. La conférence.

 

Je fus au rendez-vous, où je rencontrai M. Claude. On commença par des honnêtetés réciproques, et il témoigna de sa part un grand respect. Après cela j'entrai en matière, en demandant l'explication des quatre actes transcrits dans mon livre, et mentionnés ci-dessus.

Après que j'eus expliqué la difficulté en peu de mots, telle qu'elle est proposée dans l'Exposition, et que je l'avais répétée à mademoiselle de Duras, j'ajoutai que M. Claude devait être d'autant plus prêt à y répondre, que je ne lui disais rien de nouveau, puisqu'apparemment le Traité de l'Exposition était tombé entre ses mains ; et que c'était une grande satisfaction, que dans un entretien de la nature de celui-ci, on put s'assurer qu'il n'y aurait point de surprise.

M. Claude prit la parole , et après avoir réitéré toutes les honnêtetés qu'il avait faites , en termes encore plus civils, il déclara d'abord que tout ce que j'avais objecté de leur discipline et de leurs synodes dans mon Traité, et encore à présent, était rapporté de très-bonne foi, sans rien altérer dans les paroles : mais que pour le sens il me priait de trouver bon qu'il me dît qu'encore qu'il y eût, ainsi que je l'avais remarqué, comme divers degrés de juridiction établis dans leur discipline, la force de la décision devait être rapportée partout à la seule parole de Dieu. Quant à ce que j'objectais, que la parole de Dieu avait été proposée dans le consistoire, dont on pouvait appeler; d'où il s'ensuivait, avais-je inféré , que la décision dernière , dont il n'y a plus d'appel, appartenait à la parole de Dieu, non prise en elle-même , mais en tant que déclarée par le dernier jugement de l’Eglise : ce n'était pas là leur pensée ; car ils tenaient que la décision était attachée tout entière à la pure parole de Dieu, dont l’Eglise dans ses assemblées premières et dernières ne faisait que l'indication : mais que ces divers degrés avaient été établis pour donner le loisir à ceux qui erraient, de se reconnaître. C'est pourquoi on ne procédait pas d'abord par excommunication, le consistoire espérant qu'une plus grande assemblée, telle que serait

 

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le colloque, et ensuite le synode provincial composé d'un plus grand nombre de personnes, peut-être plus respectées, et en tout cas moins suspectes au contredisant, le disposeraient à entendre la vérité. Que le colloque et le synode provincial usaient de pareille modération par la même raison de charité : mais qu'après que le synode national avait parlé, comme c'était le dernier remède humain, il n'y avait plus rien à espérer, et qu'on procédait aussi à la dernière sentence, en usant de l'excommunication, comme du dernier effort de la puissance ecclésiastique. Que de là il ne fallait pas conclure que le synode national se tînt infaillible, non plus que les précédentes assemblées; mais seulement qu'après avoir tout tenté, on venait au dernier remède.

Pour la promesse qu'on faisait avant le synode national, qu'elle n'était fondée que sur l'espérance qu'on avait que l'assemblée suivrait la parole de Dieu, et que le Saint-Esprit y présiderait, ce qui ne marquait pas qu'on en eût une entière certitude ; et au reste que le terme : Persuadés que, était une manière honnête d'exprimer une condition sans blesser la révérence d'une si grande assemblée , ni la présomption favorable qu'on devait avoir pour son procédé.

Quant à la condamnation des indépendants, il me pria d'observer que sur l'autorité de l'Eglise et de ses assemblées, il y avait quelque chose dont ceux de sa religion convenaient avec nous et quelque chose dont ils convenaient avec les indépendants : avec nous, que les assemblées ecclésiastiques étaient nécessaires et utiles, et qu'il fallait établir quelque subordination ; avec les indépendants, que ces assemblées pour nombreuses qu'elles fussent, n'étaient pas pour cela infaillibles. Cela étant, qu'ils avaient dû condamner les indépendants, qui non-seulement niaient l'infaillibilité , mais encore l'utilité et la nécessité de ces assemblées et de cette subordination. C'est en cela, disait-il, que consiste l'indépendantisme , si on peut user de ce mot.

Il ajouta que le soutenir, c'était en effet renverser l'ordre, et donner lieu à autant de religions qu'il y avait de paroisses, parce qu'on ôtait par là tous les moyens de convenir. D'où il concluait qu'encore qu'on lût d'accord que les assemblées ecclésiastiques

 

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n'étaient pas moyens infaillibles, c'était assez pour les maintenir et condamner les indépendants, que ce fussent moyens utiles.

Pour le synode de Sainte-Foi, qu'il s'agissait ou de rendre les luthériens plus dociles en les faisant, disait-il, rapprocher de nous, ou en tout cas d'établir une tolérance mutuelle ; ce qui n'obligeait pas de rien supprimer ou ajouter dans la confession de foi, qui fut toujours tenue pour inébranlable. Et qu'au reste , quoiqu'on eût donné plein pouvoir à quatre ministres, je savais bien que tels actes étaient toujours sujets à ratification, en cas que les procureurs eussent outrepassé leurs instructions : témoin les ratifications nécessaires dans les traités accordés par les plénipotentiaires des princes, et autres exemples semblables, où il y a toujours une condition d'obtenir du prince la ratification ; condition qui sans être exprimée, est attachée naturellement à de telles procurations.

Après avoir dit ces choses par un discours assez long, fort net et fort composé , il ajouta qu'il croyait, équitable comme j'étais, que je voudrais bien lui avouer que de même que dans les choses où j'aurais à lui expliquer nos sentiments et nos conciles, par exemple celui de Trente, il était juste qu'il s'en rapportât à ce que je lui en dirais ; aussi était-il juste que je m'en rapportasse à lui dans l'application qu'il nous donnait des articles de leur discipline et des sentiments de leur religion, étant certain qu'il n'y en avait point d'autres parmi eux que ceux qu'il me venait d'exposer.

Je repris sur ce dernier mot que ce qu'il disait serait véritable, s'il s'agissait simplement d'expliquer leurs rites, si on pouvait user de ce mot, et la manière d'administrer la parole ou les sacrements, ou de tenir les synodes; qu'en cela je le croirais, comme mieux instruit : mais qu'ici je prétendais qu'il leur était arrivé comme à tous ceux qui sont dans l'erreur ; c'est de tomber en contradiction, et d'être forcés à établir ce qu'ils avaient nié. Que je savais qu'ils niaient qu'il fallût se soumettre, sans examiner, au jugement de l'Eglise; mais qu'en même temps je prétendais cette infaillibilité de l'Eglise si nécessaire , que ceux mêmes qui la niaient en spéculation ne pouvaient s'empêcher de l'établir

 

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dans la pratique, s'ils voulaient conserver quelque ordre parmi eux. Au reste, que s'il s'agissait ici de montrer quelque contradiction dans les sentiments de l'Eglise catholique, je ne prétendrais pas l'obliger à recevoir l'explication que je lui donnerais de ses sentiments et de ses conciles, et qu'alors il lui serait libre de tirer de leurs paroles telle induction qu'il lui plairait ; qu'aussi ne pensais-je pas qu'il m'en refusât autant : de quoi il convint sans difficulté.

Je n'avais pas dessein de m'arrêter beaucoup sur le synode de Sainte-Foi, qui m'eût, ce me semblait, jeté trop loin des deux propositions dont je voulais tirer l'aveu. Je répondis donc seulement que je me rendais à la raison qu'il alléguait sur la nécessité d'une ratification, quoiqu'en matière de foi tels pouvoirs et tels compromis fussent un peu extraordinaires ; et qu'au reste je voulais bien croire que le dessein du synode n'avait pas été que les députés renversassent tout. Mais que ce qui me touchait, et à quoi il ne semblait pas qu'il eût répondu, c'est que le synode avait douté de sa confession de foi, puisqu'il permettait d'en faire une autre ; et que je ne voyais pas comment cela s'accordait avec ce qu'où nous dit encore, que cette confession de foi ne contenait autre chose que la pure parole de Dieu, à laquelle tout le monde sait qu'il n'y a rien à changer. Quant à ce qu'il avait dit, qu'il s'agis-soit ou de ramener les luthériens à des sentiments plus équitables, ou en tout cas d'établir une tolérance mutuelle, deux choses y résistaient : 1°, qu'il était parlé d'un pouvoir de décider tout point de doctrine : ce qui regardait manifestement la réalité, dont les luthériens n'avaient jamais voulu se relâcher. 2°, que pour établir une tolérance mutuelle, il ne fallait pas dresser une confession de foi commune, mais seulement établir cette tolérance par un décret synodal, comme on avait fait à Charenton.

M. Claude répondit que le point de doctrine à décider était, si on pouvait établir une tolérance mutuelle, et que la confession de foi commune n'eût fait autre chose qu'énoncer cette tolérance : ce qu'il ne niait pas pouvoir être fait dans un synode, comme il fallait que je convinsse qu'il pouvait se faire aussi, par une confession de foi, où il y en aurait un article exprès.

 

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Je lui répondis que cela ne s'appellerait jamais une confession de foi commune, et lui demandai s'il croyait que les luthériens, ou eux, dussent retrancher quelque chose de ce que disaient les uns pour la réalité , et les autres contre. Il dit que non. Et de là, disais-je, chacun demeurerait dans les termes de sa confession de foi, sans qu'il y eût rien de commun que l'article de la tolérance. Il y avait, dit-il, beaucoup d'autres points dont nous convenions. D'accord, répondis-je ; mais ce n'était plus sur ces points qu'il y avait à s'accorder : il s'agissait du point de la réalité et de quelques autres, sur quoi on ne pouvait faire de confession de foi commune, sans que l'un des partis changeât, ou que tous les deux convinssent d'expressions ambiguës, que chacun tirerait à ses sentiments : chose tentée plusieurs fois, comme M. Claude lui-même en conviendrait de bonne foi. Il en demeura d'accord, et rapporta même l'assemblée de Marbourg, et quelques autres tenues pour ce sujet. Je conclus donc que j'avais raison de croire que le synode de Sainte-Foi avait un pareil dessein, et que c'eût été se moquer du monde , que d'appeler confession de foi commune celle qui eût fait paraître de si manifestes oppositions sur des points si importants de la doctrine chrétienne. A quoi j'ajoutai encore qu'il était d'autant plus certain, qu'il s'agissait en effet d'une confession de foi, comme je disais, que les luthériens s'étant déjà expliqués plusieurs fois contre la tolérance, il n'y avait rien à espérer d'eux que par le moyen dont je parlais. La chose en demeura là ; et je dis seulement qu'après cela chacun n'avait qu'à penser ce qu'il devait croire en sa conscience d'une confession de foi que tout un synode national avait consenti de changer.

Lorsque M. Claude avait dit que le serment de se soumettre au synode national enfermait une condition, j'avais interrompu par un petit mot. Oui, disais-je, ils espéraient bien du synode, sans certitude toutefois; et en attendant l'événement, ils ne laissaient pas de jurer de se soumettre. M. Claude m'ayant ici averti que je l'avais interrompu, et me priant de lui permettre de dire tout, je me tus. Mais après avoir discuté l'affaire de Sainte-Foi, je lui dis qu'il me semblait nécessaire avant que de passer outre, que je lui

 

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disse en peu de mots ce que j'avais conçu de sa doctrine, afin que nous ne parlassions point en l'air. Je lui dis donc : Vous dites, Monsieur ,que ces mots : « Persuadés que nous sommes, que Dieu y présidera, et vous conduira par son Saint-Esprit en toute vérité et équité par la règle de sa parole, » sont une manière honnête de proposer une condition. Il en convint. Réduisons donc, repris-je, la proposition en conditionnelle, et nous verrons quel en sera le sens. Je jure de me soumettre à tout ce que vous déciderez, supposé ou à condition que ce que vous déciderez sera conforme à la parole de Dieu. Un tel serment n'est autre chose qu'une illusion manifeste, puisqu'en soi il ne dit rien, et que je le pourrais faire à M. Claude comme lui à moi. Mais en cela il n'y aurait rien de sérieux; et marque qu'on veut quelque chose de plus particulier, c'est qu'on ne fait ce serment qu'au synode où l'on prononce en dernier ressort, quoiqu'au sens de M. Claude il y eût autant de raison de le faire dès le consistoire, à qui on doit se soumettre aussi bien qu'au synode, supposé qu'il ait la parole de Dieu pour guide.

En cet endroit je me tus un peu de temps; et voyant qu'on ne disait mot, je repris ainsi : Mais enfin donc, Monsieur, si j'ai bien compris votre doctrine, vous croyez qu'un particulier peut douter du jugement de l'Eglise, lors même qu'elle .prononce en dernier ressort? Non, Monsieur, repartit M. Claude : il ne faut pas dire qu'on puisse douter ; il y a toutes les apparences du monde que l'Eglise jugera bien. Qui dit apparence, Monsieur, repris-je aussitôt, dit un doute manifeste. Mais, dit M. Claude, il y a plus; car Jésus-Christ ayant promis que tous ceux qui chercheraient, trouveraient, comme on doit présumer qu'on cherchera bien, on doit croire qu'on jugera bien , et il y a dans cette assurance quelque chose d'indubitable. Mais quand on verra dans les conciles des cabales, des factions, des intérêts différents, on peut douter avec raison si dans une telle assemblée il ne se mêlera point quelque chose d'humain et de douteux. Je vous prie, Monsieur, repartis-je, laissons à part tout ce qui n'est bon qu'à jeter de la poudre aux yeux. Tout ce que vous venez de dire de cabales, de factions, d'intérêts, est absolument inutile, et ne sert par conséquent

 

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qu'à embarrasser. Il n'y arien, dit M. Claude, de moins inutile. Et moi je soutiens, lui dis-je, que vous allez convenir qu'il n'y a rien de plus inutile. Car je vous demande, Monsieur, supposé qu'il ne parût dans le concile ni factions ni cabales, supposé même qu'on fût assuré qu'il n'y en eût point, et que tout se passât dans l'ordre, faudrait-il recevoir la décision sans examiner? Il fallut dire que non. D'où je conclus aussitôt : J'avais donc raison de dire que tout ce que vous avez dit comme fort considérable de factions et de cabales, n'est au fond qu'un amusement ; et enfin qu'un particulier, une femme, un ignorant, quel qu'il soit, peut croire, et doit croire qu'il lui peut arriver d'entendre mieux la parole de Dieu que tout un concile , fût-il assemblé des quatre parties du monde et du milieu, et que tout le reste de l'Eglise. Oui, dit-il, il est ainsi. Je répétai deux ou trois fois la proposition accordée, ajoutant toujours quelque circonstance plus forte , mais évidemment contenue dans ce qui était accordé. Quoi ? mieux, disais-je, que tout le reste de l'Eglise ensemble et que toutes ses assemblées, fussent-elles composées de ce qu'il y a de plus saint et de plus éclairé dans l'univers? Car tout cela après tout, ce n'est que des hommes, après lesquels, selon vous, chacun doit encore examiner. Un particulier croira qu'il pourra avoir plus de raison, plus de grâce, plus de lumière , plus enfin le Saint-Esprit que tout le reste de l'Eglise! Il fallut que tout cela passât; et je pouvais ajouter plus que tous les Pères , plus que tous les siècles passés, à reprendre immédiatement depuis les apôtres. Mais, poursuivis-je, s'il est ainsi, comment évitez-vous les inconvénients des indépendants , et quel moyen reste à l'Eglise d'empêcher qu'il n'y ait autant de religions, je ne dis pas qu'il y a de paroisses, mais qu'il y a de têtes? Nous avons, dit-il, des synodes, qui sont des moyens d'empêcher de si grands maux ; moyens non pas infaillibles, mais néanmoins utiles, ainsi que j'ai dit. Car encore qu'un pasteur qui prêche ne soit pas infaillible, son ministère ne laisse pas d'être utile, parce qu'il indique la vérité. Or une grande assemblée composée de plus de personnes et plus doctes fera encore mieux cette indication. Il me  semble , Monsieur, repartis-je, que vous rapportez tout à l'instruction : or ce n'est pas précisément l'intention

 

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ni l'institution des synodes; car souvent un particulier savant donnera plus d'instruction que tout un synode ensemble. Ce qu'il faut donc attendre d'un synode n'est pas tant l'instruction, qu'une décision par autorité, à laquelle il faille céder; car c'est de quoi ont besoin et les ignorants qui doutent, et les superbes qui contredisent. Un particulier ignorant, si vous le remettez à lui-même, vous avouera qu'il ne sait à quoi se résoudre ; et loin d'abattre l'orgueil dans un synode, vous le portez à son plus haut point, puisque vous obligez un particulier à croire qu'il peut mieux entendre l'Ecriture que tout le synode et tout le reste de l'Eglise : et le synode lui-même, fût-il assemblé de toute l'Eglise, interrogé par celui dont il examine la foi, s'il n'est pas encore obligé à examiner après le synode, et s'il ne peut pas arriver que lui particulier entende mieux l'Ecriture que tous les pasteurs assemblés, le synode même universel, selon vous, lui doit déclarer qu'il le peut sans doute. La présomption, Monsieur, ne peut pas aller plus loin. Et remarquez, s'il vous plait, que ces assemblées que vous proposez comme moyens utiles, ne sont plus moyens utiles dès que chacun peut croire qu'il en aura un meilleur, et le seul qui puisse être sûr, c'est-à-dire celui d'examiner par soi-même, et n'en croire que son jugement. Voilà, Monsieur, l'indépendantisme tout entier : car enfin les indépendants ne refusent, ni de tenir des synodes pour s'éclaircir mutuellement par la conférence, ni de recevoir ces synodes, quand ils trouveront que ces synodes auront bien dit. Ils en ont tenu, vous le savez. Il avoua qu'ils en avaient tenu un pour dresser leur confession de foi. Un ou plusieurs, il ne m'importe , repartis-je : ils ne les rejettent donc pas absolument, et ils n'y rejettent précisément que ce que vous y rejetez, qui est l'obligation de s'y soumettre sans examiner. Et sur cela, pour me réduire en peu de paroles, voici quel fut mon raisonnement. Les indépendants veulent bien les assemblées ecclésiastiques pour l'instruction ; tout ce qu'ils ne veulent pas, c'est la décision par autorité que vous ne voulez non plus qu'eux : vous êtes donc en tout point conformes, et vous n'avez pas dû les condamner. Vous ne voyez donc pas, Monsieur, reprit M. Claude, que nous ne nions pas qu'il n'y ait une autorité dans les synodes, telle que l'autorité

 

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paternelle, telle que l'autorité des magistrats, telle que l'autorité qu'a un maître sur ses disciples, et un pasteur sur son troupeau ; et toutes ces autorités (a) ont leur usage, et ne doivent pas être rejetées sous prétexte que les pères et les magistrats et les maîtres peuvent se tromper : il en sera donc de même de l'autorité de l'Eglise. Mais, Monsieur, répondis-je, les indépendants ne nient pas l'autorité paternelle, ni l'autorité des magistrats, ni l'autorité des maîtres sur leurs disciples, ou celle des pasteurs sur les troupeaux. Ils ont des pasteurs, Monsieur, pour qui ils veulent, aussi bien que vous, qu'on ait quelque déférence ; et à plus forte raison ne nieront-ils pas qu'il n'en faille avoir pour tout un synode? Si donc vous les accusez de nier l'autorité des synodes, il faut ajouter quelque chose à ce qu'ils en croient, et il n'y a rien à y ajouter que ce que nous en croyons, qui est qu'il s'y faut soumettre sans examiner.

Après cela on fut peu de temps à ne répéter de part et d'autre que les mêmes choses. Ce qu'ayant fait observer à M. Claude, je lui dis : Enfin, Monsieur, on disputerait sans fin; chacun n'a plus qu'à examiner en sa conscience et devant Dieu, s'il se sent capable de mieux entendre l'Ecriture que tous les conciles et que tout le reste de l'Eglise, et comment un tel sentiment peut s'accorder avec la docilité et avec l'humilité des enfants de Dieu. J'inculquais en peu de mots quel orgueil c'était de croire qu'on pût mieux entendre la parole de Dieu que tout le reste de l'Eglise, et que rien n'empêchait après cela qu'il n'y eût autant de religions que de têtes.

M. Claude me dit ici qu'il s'étonnait que cette proposition me parût si étrange, qu'un particulier pût croire qu'il lui pouvait arriver de mieux entendre l'Ecriture sainte que toute l'Eglise assemblée : que le cas était arrivé ; et qu'il pouvait m'en donner beaucoup d'exemples : le premier dans le concile de Rimini, où le mot de consubstantiel fut rejeté, et l'arianisme établi. J'interrompis, pour lui dire : Où nous jetez-vous, Monsieur? Du concile de Rimini, vous nous mènerez au faux concile d'Ephèse, au concile de Constance, à celui de Bâle, à celui de Trente : quand aurons-nous achevé, s'il faut faire ici passer tous les conciles? Je

 

(a) 1ère édit. : Toutes ces autorités.

 

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vous déclare que je ne veux point me jeter dans cette discussion, puisque même notre question peut être vidée par quelque chose de plus précis. Mais puisque vous avez parlé du concile de Rimini, dites-moi, je vous prie, Monsieur, si les Pères de ce concile demeurèrent longtemps dans leur décision erronée (1) ? Hé ! je crois, dit-il, Monsieur, qu'ils en revinrent bientôt. Dites, dites, lui repartis-je, qu'aussitôt après que l'empereur Constance, protecteur déclaré des ariens et persécuteur des fidèles, leur eut permis de se retirer, ces évêques réclamèrent hautement contre la violence et la surprise qui leur avait été faite. Ne m'obligez pas, Monsieur, à raconter cette histoire, que vous savez aussi bien que moi, et avouez qu'il est injuste de comparer un concile qui était un brigandage manifeste, aux assemblées tenues canoniquement et selon l'ordre. Hé! Monsieur, ne disons-nous pas, reprit M. Claude, que le concile de Trente n'a été ni libre ni canonique? Vous le dites, Monsieur, et nous le nions; et il n'est pas question ici de cette dispute. Il est question de savoir si vous pouvez éviter l'indépendantisme, pour me servir de votre terme que je trouve fort bon ; et s'il y a dans votre doctrine quelque remède contre cette insupportable présomption d'un particulier qui doit croire, selon vos principes, qu'il peut mieux entendre l'Ecriture que les conciles universels les mieux assemblés et les mieux tenus, et que tout le reste de l'Eglise ensemble. Laissons donc, si vous le voulez, reprit M. Claude, le concile de Rimini; voici un autre exemple incontestable : c'est le jugement de la Synagogue, lorsqu'elle condamna Jésus-Christ, et déclara par conséquent qu'il n'était point le Messie promis par les prophètes. Dites-moi, Monsieur, un particulier qui eût cru alors que Notre-Seigneur était le vrai Christ, n'eût-il pas mieux jugé que tout le reste de la synagogue ensemble ? Voilà donc un cas indubitable où l'on peut sans présomption faire ce que vous trouvez si présomptueux. En effet, poursuivit-il, ce n'est pas une présomption de ne pas donner à l'Eglise ce qui n'appartient qu'à Dieu seul. On ne lui peut rien donner de plus grand que de le croire à l'aveugle, comme vous voulez qu'on croie l'Eglise. Mais vous savez que saint Paul, pour

 

1 Je devais dire équivoque et imparfaite plutôt qu'erronée.

 

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le moins autant inspiré que l'Eglise, ne laisse pas de déclarer aux Corinthiens « qu'il ne veut point dominer sur leur foi (1). » L'Eglise le doit encore moins faire que lui. Il ne faut donc pas croire simplement sur sa parole ; il faut examiner après elle ; et se servir de sa raison, comme firent ceux de Béroé, qui examinaient les Ecritures (2) pour voir si les choses y étaient comme saint Paul les avait prêchées.

Quand M. Claude se fut tu : Voilà, dis-je, bien des choses : mais il faut premièrement reprendre cet exemple incontestable que vous nous avez promis. Sur cela je lui remontrai que l'Eglise chrétienne avait de grands privilèges au-dessus de la Synagogue, même à considérer la Synagogue dans le temps de sa plus grande gloire : mais sans parler de cela, que c'était une étrange chose de comparer la Synagogue tombante, au point où son endurcissement et sa réprobation était marquée clairement par les prophètes, avec l'Eglise chrétienne, qui ne doit jamais tomber. Mais enfin, Monsieur, reprit-il, on eût pu faire alors à ce particulier le même argument que vous nous faites. Alléguer les prophéties, ce n'était rien; car c'était de l'application de ces prophéties à Jésus-Christ que la Synagogue doutait. Ainsi un particulier ne pouvait plus croire en Jésus-Christ, sans croire en même temps qu'il entendait mieux l'Ecriture que toute la Synagogue ; et voilà l'argument que vous nous faites.

Il y avait peu de monde dans la conférence, et tous étaient huguenots, excepté madame la maréchale de Lorge. Je vis deux de ces Messieurs se regarder en cet endroit l'un l'autre avec complaisance. Je fus touché qu'un raisonnement si visiblement mauvais fît une telle impression sur ces esprits; et je priai Dieu de me faire la grâce de détruire par quelque chose de net la comparaison odieuse qu'on faisait de son Eglise toujours bien-aimée avec la Synagogue infidèle, dans le moment qu'il avait marqué pour la répudier.

Vous dites donc, Monsieur, dis-je à M. Claude, que l'argument que je fais peut autoriser l'erreur des particuliers qui condamnaient Jésus-Christ sur la foi de la Synagogue, et au contraire

 

1 II Cor., I, 23. — 2 Act., XVII, 11.

 

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condamner de présomption ceux qui crurent Jésus-Christ seul plutôt que la Synagogue tout entière. Oui, Monsieur, la chose est ainsi; et il répéta de nouveau son raisonnement. Voyons, dis-je, si mon argument a cette malheureuse conséquence. Il consiste à dire, Monsieur, qu'en niant l'autorité de l'Eglise, il n'y a plus de moyen extérieur dont Dieu se puisse servir pour dissiper les doutes des ignorants, et inspirer aux fidèles l'humilité nécessaire. Afin qu'on pût faire un tel argument du temps que Jésus-Christ fut condamné, il faudrait dire qu'il n'y avait alors aucun moyen extérieur, aucune autorité certaine à laquelle on dût nécessairement céder. Or, Monsieur, qui le peut dire, puisque Jésus-Christ était sur la terre, c'est-à-dire la vérité même qui paraissait visiblement au milieu des hommes, le Fils éternel de Dieu, à qui une voix d'en haut rendit témoignage devant tout le peuple : « C'est ici mon Fils bien-aimé, écoutez-le (1); » qui pour confirmer sa mission, ressuscitait les morts, guérissait les aveugles-nés, et faisait tant de miracles, que les Juifs confessaient eux-mêmes que jamais homme n'en avait tant fait? Il y avait donc, Monsieur, un moyen extérieur, une autorité visible-. — Mais elle était contestée. — Il est vrai, mais elle était infaillible. Je ne prétends pas, Monsieur, que l'autorité de l'Eglise ne soit jamais contestée; je vous écoute, vous, Monsieur, qui la contestez : mais je dis qu'elle ne doit pas l'être par les chrétiens. Je dis qu'elle est infaillible ; je dis qu'il n'y eut jamais aucun temps où il n'y ait eu sur la terre une autorité visible et parlante à qui il faille céder. Avant Jésus-Christ nous avions la Synagogue; au point que la Synagogue devait défaillir, Jésus-Christ parut lui-même ; quand Jésus-Christ s'est retiré, il a laissé son Eglise à qui il a envoyé son Saint-Esprit. Faites revenir Jésus-Christ enseignant, prêchant, faisant des miracles, je n'ai plus besoin de l'Eglise : mais aussi ôtez-moi l'Eglise, il me faut Jésus-Christ en personne parlant, prêchant, décidant avec des

miracles et une autorité infaillible.— Mais vous avez sa parole. — Oui, sans doute, nous avons une parole sainte et adorable, mais qui se laisse expliquer et manier comme on veut, et qui ne réplique rien à ceux qui l'entendent mal. Je dis qu'il faut un moyen

 

1 Matth., III, 17.

 

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extérieur de se résoudre sur les doutes, et que ce moyen soit certain. Et sans recommencer les raisons déjà alléguées, maintenant qu'il ne s'agit que de répondre à votre objection sur l'erreur de la Synagogue qui condamnait Jésus-Christ, je dis que tant s'en faut que vous puissiez dire qu'il n'y eût point alors de moyen extérieur assuré, ni d'autorité parlante à laquelle il fallût soumettre son jugement, il y en avait une, la plus haute et la plus infaillible qui fût jamais, qui est celle de Jésus-Christ; et ainsi qu'il n'y eut jamais de temps où l'on pût moins faire l'argument dont je me servais contre les protestants, qui est qu'ils manquent d'un moyen extérieur infaillible pour terminer les doutes sur les Ecritures.

Après que j'eus dit ces choses, je sentis qu'il n'y avait rien à me répliquer. En effet on ne me dit mot sur tout cela, quoique je me tusse pour écouter ce qu'on aurait à répondre.

Je ne veux pas dire par là que M. Claude soit demeuré muet. C'est un effet qu'il ne faut guère attendre dans les conférences de cette nature. Il répéta quelque chose de ce qu'il avait déjà dit, et insista de nouveau sur ce que l'Apôtre lui-même avait déclaré, qu'il ne dominait pas sur les consciences.

Je fus ravi qu'il revînt à ce passage que j'avais eu dessein d'expliquer d'abord ; mais il fallut aller au plus pressé, qui était L'exemple de la Synagogue. Cela étant fait, je demandai seulement à M. Claude si, quand l'Apôtre avait dit aux Corinthiens : « Nous ne dominons pas sur votre foi, » il voulait dire qu'il fallait examiner après lui. Il vit bien que non, et l'avoua. Je conclus : l'Eglise, Monsieur, ne prétend non plus dominer à la foi, quand elle veut qu'on l'en croie dans ses décisions, parce qu'elle ne se donne pas cette autorité par elle-même, non plus que saint Paul, mais au Saint-Esprit qui l'inspire. — Vous égalez donc, dit M. Claude, à saint Paul auteur de révélation, l'Eglise qui n'en est que simple interprète. — Non, Monsieur, repartis-je, je n'égale pas l'Eglise à saint Paul; mais je dis que prétendre qu'on en doive être cru sans examiner, quand on croit agir seulement comme un instrument dont le Saint-Esprit se sert, ce n'est pas dominer sur la conscience, comme l'exemple de saint Paul le démontre. Au reste je ne prétends pas égaler l'autorité de l'Eglise à

 

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l'autorité apostolique. Les apôtres étaient auteurs de révélation, comme vous l'avez fort bien dit, c'est-à-dire qu'ils avaient reçu les premiers les vérités qu'il plaisait à Dieu de révéler de nouveau : l'Eglise n'est qu'interprète et dépositaire. Mais en sauvant cette différence essentielle entre les apôtres et l'Eglise, je dis que l'Eglise est autant inspirée pour interpréter que les apôtres pour établir; et que tenant la grâce d'interpréter du même Esprit qui a donné la première révélation aux apôtres, elle ne domine non plus sur les consciences en interprétant que les apôtres en établissant : mais que les uns et les autres y font dominer lè Saint-Esprit, selon la mesure qui est donnée à chacun. — Il faudrait prouver, dit M. Claude, que l'Eglise a reçu une pareille grâce. Il ne faut point prouver, repris-je aussitôt; il faut seulement montrer que le passage que vous alléguez ne conclut pas.

A cela il ne fut rien dit. Mais, si je m'en souviens bien, M. Claude exagéra un peu, combien il était étrange que nous voulussions obliger les hommes à croire l'Eglise comme Dieu même sur sa simple parole, sans se servir pour interpréter l'Ecriture sainte de la raison que Dieu même nous avait donnée; que ce n'était pas ainsi qu'avaient fait ceux de Béroé; et que l'Apôtre , selon nous, aurait eu grand tort de leur laisser examiner ses prédications.

Je répondis qu'il y avait une extrême différence entre les fidèles déjà enfants de l'Eglise et soumis à son autorité, et ceux qui doutaient encore s'ils entreraient dans son sein : que ceux de Béroé étaient dans ce dernier état, et que l'Apôtre n'aurait eu garde de leur proposer l'autorité de l'Eglise dont ils doutaient : mais que ce n'était pas de la même sorte qu'on avait instruit les fidèles après le concile de Jérusalem. Là les apôtres décident par l'autorité du Saint-Esprit : « Il a semblé bon, disent-ils, au Saint-Esprit et à nous (1). » Que font après cela Paul et Silas porteurs de la lettre du concile? « Ils parcouraient les Eglises, » comme il est écrit dans les Actes (2). Quoi? pour y faire examiner le décret du concile de Jérusalem? C'eût été examiner après le Saint-Esprit même. Quoi donc? « Ils parcouraient les Eglises, leur enseignant

 

1 Act., XV, 28. — 5 Act., XVI, 4

 

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de garder ce qui avait été jugé par les apôtres et les anciens dans Jérusalem. » Voilà l'ordre : l'examen dans le concile; l'obéissance sans examiner après la décision ; l'examen à ceux de Béroé, c'est-à-dire à ceux qui n'étant point dans l'Eglise, n’ont point encore d'autorité qui les règle ; soumission sans examiner à ceux qui étant déjà dans l'Eglise, n'ont qu'à écouter ses décrets. C'est là leur bonheur d'être dans un corps qui conduit par le Saint-Esprit, ne se puisse jamais tromper, et d'être délivrés par là du péril d'un examen dont la fin serait peut-être l'erreur.

Il y avait déjà près de quatre heures que la conférence durait. J'avais déjà de l'aveu de M. Claude, une des propositions que je voulais lui faire confesser, c'est-à-dire que chaque particulier doit croire qu'il peut mieux entendre l'Ecriture sainte que les conciles universels et que tout le reste de l'Eglise. Il fallait encore qu'il avouât l'autre proposition non moins importante ; et voici comme Dieu l'y conduisit.

Comme il avait beaucoup parlé de cette domination de l'Eglise sur les consciences, répétant trois ou quatre fois que nous lui rendions le respect qui n'était dû qu'à Dieu seul, quand nous la croyions sans examiner, je dis qu'il ne fallait point trouver si étrange une chose qu'ils faisaient aussi bien que nous; et sur cela je demandai si un fidèle qui recevait la première fois des mains de l'Eglise l'Ecriture sainte, était obligé à douter, et ensuite à examiner si le livre qu'elle lui mettait en main était véritablement inspiré de Dieu ou non. Si ce fidèle examine et doute, il renonce à la foi, et il commence la lecture de l'Evangile par un acte d'infidélité ; et s'il ne doute pas, il reçoit donc sans examiner l'autorité de l'Eglise qui lui présente l'Evangile.

A cela voici la réponse de M. Claude. Le fidèle que vous supposez qui n'a pas lu l'Ecriture sainte, et à qui on la met en main, à proprement parler ne doute pas, il ignore : il ne sait ce que c'est que cette Ecriture qu'on lui dit être inspirée de Dieu. Il a ouï dire à son père et à ceux qui pont instruit, qu'elle était divinement inspirée : il ne connaît encore d'autre autorité que celle-là; et pour ce qui est de l'Ecriture, il ne sait ce que c'est. Ainsi on ne peut pas dire qu'il soit infidèle ni incrédule. Et je vous prie,

 

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Monsieur, dit-il, que je vous fasse sur l'Eglise le même argument que vous me faites sur l'Ecriture. Le fidèle à qui on propose l'autorité de l'Eglise, ou il la croit sans examiner, ou il en doute. S'il doute, il est infidèle: s'il ne doute pas, par quelle autre autorité est-il assuré? L'autorité de l'Eglise, est-ce une chose évidente par elle-même, et ne faut-il pas la trouver par quelque examen? Voilà votre difficulté que vous avez à résoudre, aussi bien que moi : ou quittons-la tous deux, ou la résolvons tous deux ensemble. Je vous déclare pour moi, que je répondrai pour l'Ecriture ce que vous me répondrez pour l'Eglise.

— Je vous entends, répondis-je : mais avant que je vous explique comment le chrétien croit à l'Eglise, il faut bien établir le fait dont il s'agit. N'est-il pas constant, Monsieur, parmi vous aussi bien que parmi nous, que lorsqu'on montre l'Ecriture sainte aux enfants qu'on élève dans l'Eglise, on la leur montre comme un livre inspiré de Dieu ; et je demande s'ils ne peuvent pas quand on leur en fait lire quelque chose, avant que de commencer, faire cet acte de foi : « Je crois certainement que ce que je m'en vas lire est la parole de Dieu? » M. Claude répondit ici, que ceux dont je lui parlais n'avaient point encore de foi divine sur l'autorité de l'Ecriture, mais une simple persuasion humaine fondée sur la déférence qu'ils avaient pour leurs parents, et qu'ils n'étaient que catéchumènes. — Catéchumènes, Monsieur? Il ne faut pas, s'il vous plaît, parler ainsi. Ils sont chrétiens, ils sont baptisés; ils ont en eux le Saint-Esprit et la foi infuse; ils sont dans l'alliance, selon vous; ils ont reçu le baptême comme un sceau de l'alliance à laquelle ils sont admis; et comme l'alliance est scellée en eux par ce sceau extérieur du baptême, le Saint-Esprit la scelle intérieurement dans leurs cœurs. Reconnaissez votre doctrine. — Sur cela, dit M. Claude, vous savez qu'on pourrait contester; mais j'avoue ce que vous dites. — Eh bien donc! s'il est ainsi, repartis-je, ils sont par la grâce du Saint-Esprit et la foi infuse, en état de faire un acte de foi quand la foi leur sera prêchée; et je demande si quand on leur montre l'Ecriture reconnue par toute l'Eglise pour la parole inspirée de Dieu, ils ne sont pas en état de faire avec toute l'Eglise cet acte de foi :

 

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« Je crois que cette Ecriture est la parole de Dieu, comme je crois que Dieu est. » M. Claude ne voulut jamais avouer cela, et il répondit toujours qu'ils n'avaient encore sur l'Ecriture qu'une persuasion humaine, et que la foi divine ne leur en viendrait que lorsqu'ils l'auraient lue. — S'ils n'ont, dis-je, qu'une persuasion humaine, ils n'ont qu'une persuasion douteuse; et par conséquent ils doutent de ce qui est selon vous tout le fondement de la foi : en un mot, ils sont infidèles. — Non, dit-il, ils sont simplement ignorants; et il faut bien que vous en disiez autant de la foi qu'on a en l'Eglise : car ce n'est pas une affaire de petite discussion, de discerner quelle est la vraie Eglise; et avant qu'on soit en état de le savoir par soi-même, on l'ignore, ou l'on n'en a tout au plus qu'une simple persuasion humaine sur la foi de ses parents. Ainsi encore une fois ce que vous direz sur l'Eglise, je vous le dirai sur l'Ecriture. — Voyons, Monsieur, repris-je, si vous le direz, ou si vous aurez raison de le dire. Vous m'avouez donc qu'un chrétien baptisé, qui n'a pas lu ni entendu lire l'Ecriture sainte, n'est pas en état de faire cet acte de foi : « Je crois que cette Ecriture est la parole de Dieu, comme je crois que Dieu est. » Voilà un terrible inconvénient, qu'un fidèle ne puisse pas faire un acte de foi si essentiel. Cela n'est point parmi nous : car le fidèle qui reçoit l'Ecriture sainte des mains de l'Eglise, fait avec toute l'Eglise cet acte de foi : « Je crois, comme je crois que Dieu est, que cette Ecriture est la parole de celui en qui je crois.» Et je dis qu'il ne peut faire cet acte de foi, que par la foi qu'il a déjà à l'autorité de l'Eglise qui lui présente l'Ecriture. Il faut ici, poursuivis-je, expliquer à fond, mais simplement toutefois, dans quel ordre sont instruits les chrétiens de la vérité de l'Ecriture. Je ne parle pas des infidèles, je parle des chrétiens baptisés; et je vous prie qu'on remarque bien cette distinction. Il y a deux choses ici a considérer. L'une est qui nous inspire l'acte de foi par lequel nous croyons l'Ecriture sainte comme parole de Dieu ; et nous convenons que c'est le Saint-Esprit : sur cela nous sommes d'accord. L'autre chose à considérer, c'est de quel moyen extérieur le Saint-Esprit se sert pour nous faire croire l'Ecriture sainte ; et je dis que c'est l'Eglise. Qu'ainsi ne soit, il n'y a qu'à voir le

 

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Symbole des apôtres, c'est-à-dire la première instruction que le fidèle reçoit : il n'a pas lu l'Ecriture sainte, et déjà il croit en Dieu, et en Jésus-Christ, et au Saint-Esprit, et l'Eglise universelle. On ne lui parle point de l'Ecriture : mais on lui propose de croire l'Eglise universelle aussitôt qu'on lui propose de croire au Saint-Esprit. Ces deux articles entrent ensemble dans son cœur, le Saint-Esprit et l'Eglise, parce que qui croit au Saint-Esprit croit aussi nécessairement l'Eglise universelle, que le Saint-Esprit dirige. Je dis donc que le premier acte de foi que le Saint-Esprit met dans le cœur des chrétiens baptisés, c'est de croire avec le Père, le Fils, et le Saint-Esprit, l'Eglise universelle ; et que c'est là le moyen extérieur par lequel le Saint-Esprit insinue dans les cœurs la foi de l'Ecriture sainte. Si ce moyen n'est pas certain, la foi en l'Ecriture sera par conséquent douteuse. Mais comme le catholique a toujours trouvé ce moyen certain, il n'y a aucun moment où il n'ait pu dire : «Je crois, comme je crois que Dieu est, que Dieu a parlé aux hommes, et que cette Ecriture est sa parole. » Et la raison pour laquelle il peut faire d'abord cet acte de foi, c'est qu'il n'a jamais douté de l'autorité de l'Eglise, et que c'est la première chose que le Saint-Esprit lui a mise dans le cœur avec la foi en Dieu et en Jésus-Christ.

Quant à ce que vous me demandez, comment il croit à l'Eglise, ce n'est pas là précisément notre question : il suffit que nous voyions qu'il y croit toujours, puisque c'est la première chose que le Saint-Esprit lui met dans le cœur, et que c'est le moyen extérieur par lequel il lui fait croire l'Ecriture sainte; Ecriture dont il n'a garde de douter jamais, puisqu'il n'a jamais douté de l'Eglise qui la lui présente. Voilà, Monsieur, notre doctrine; et parce que cette doctrine n'est pas la vôtre, vous tombez nécessairement dans l'inconvénient que j'ai marqué : parce que vous ne croyez pas l'autorité de l'Eglise comme une chose qui ne peut manquer, on vous marque un point où vous ne pouvez faire un acte de foi sur l'Ecriture, et où par conséquent vous cessez d'être fidèle.

M. Claude me dit ici que l'enfant qui récitait le Symbole parlait comme un perroquet, sans entendre ce qu'il disait, et qu'ainsi il ne fallait pas insister beaucoup sur cela : et qu'au reste j'avançais

 

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gratuitement que croire l'Eglise universelle fut le premier acte de foi que le Saint-Esprit mettait dans le cœur du chrétien baptisé, pour lui insinuer par ce moyen la foi en l'Ecriture sainte : enfin que je ne répondais pas à ce qu'il me demandait sur l'Eglise , ni comment nous commencions à y croire ; car, dit-il, le Saint-Esprit est le principe de croire, et non le motif de croire : qu'il fallait donc que j'expliquasse comment nous croyions à l'Eglise, et par quel motif; et que de la manière dont j'en parlais, il semblait qu'on y crût par enthousiasme et sans aucune raison qui nous induisît à le faire.

Je répondis sur cela que je ne prétendais pas qu'on crût à l'Eglise par enthousiasme ; qu'il y avait pour la reconnaître divers motifs de crédibilité que le Saint-Esprit suggérait à ses fidèles comme il lui plaisait; qu'il ne les ignorait pas , mais qu'il n'était pas question d'en parler ici. Il s'agit de savoir, disais-je, si le moyen extérieur, dont le Saint-Esprit se sert pour nous faire croire l'Ecriture sainte, n'est pas l'autorité de l'Eglise. Je ne parle pas gratuitement, quand je dis que c'est la première chose que le Saint-Esprit met dans le cœur des chrétiens baptisés ; car dès le Symbole on leur parle de l'Eglise universelle, et on la leur propose à croire, sans leur parler de l'Ecriture. Il ne sert de rien de dire que les enfants répètent d'abord comme des perroquets et le Symbole et le nom de l'Eglise universelle. Laissons, disais-je , le perroquet, qui ne parle que par mémoire : venons au point où le chrétien a l'usage de la raison, et où il peut faire un acte de foi. Par où commencera-t-il, si ce n'est par où on a commencé de l'instruire ? Il croit donc l'Eglise universelle, avant que de croire l'Ecriture. En effet faites lire, je ne dis pas à un enfant, mais à quelque homme que ce soit, le Cantique des cantiques, où il n'est parlé de Dieu ni en bien ni en mal : de bonne foi, il ne croit ce livre inspire de Dieu qu'à cause de la tradition, premièrement de la Synagogue, et secondement de l'Eglise chrétienne, c'est-à-dire en un mot, par l'autorité de l'Eglise universelle. Mais tenons-nous à notre point. Regardons le chrétien au moment qu'on lui propose l'Ecriture sainte comme parole de Dieu. C'est le Saint-Esprit qui le lui fait croire; nous sommes d'accord de ce point :

 

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mais nous disputons du moyen extérieur dont le Saint-Esprit se sert. Je dis que c'est l'Eglise, puisque c'est elle en effet qui lui propose l'Ecriture sainte, puisqu'il a cru l'Eglise devant que d'ouïr l'Ecriture ; puisqu'en ouvrant l'Ecriture, il est en état de dire : « Je crois cette Ecriture comme je crois que Dieu est. » Vous dites qu'il ne peut pas faire cet acte de foi : il n'est donc pas fidèle, et son baptême ne lui sert de rien. Il faut l'instruire comme un infidèle, en lui disant : « Voilà l'Ecriture que je crois inspirée de Dieu ; lis, mon enfant, examine, vois si c'est la vérité même ou une fable. L'Eglise la croit inspirée de Dieu; mais l'Eglise se peut tromper, et tu n'es pas en état de faire avec elle cet acte de foi : Je crois, comme je crois que Dieu est, que c'est lui-même qui a inspiré cette Ecriture. » Si cette manière d'instruire fait horreur aux chrétiens, et mène manifestement à l'impiété, il faut que le chrétien puisse faire d'abord un acte de foi sur l'Ecriture que l'Eglise lui propose ; il faut par conséquent qu'il croie que l'Eglise ne se trompe pas en lui donnant cette Ecriture. Comme il reçoit d'elle l'Ecriture, il en reçoit d'elle-même l'interprétation; et elle ne domine non plus sur les consciences, en obligeant ses enfants à croire ses interprétations sans examiner, qu'elle y domine en les obligeant à croire sans examiner l'Ecriture même.

Par cet argument, Monsieur, reprit M. Claude, vous feriez conclure chacun en faveur de son Eglise. Les Grecs, les Arméniens, les Ethiopiens, nous-mêmes que vous croyez dans l'erreur, nous sommes néanmoins baptisés ; nous avons par le baptême, et le Saint-Esprit, et cette foi infuse dont vous venez de parler. Chacun de nous a reçu l'Ecriture sainte de l'Eglise où il a été baptisé : chacun la croit la vraie Eglise énoncée dans le Symbole : et dans les commencements on n'en connaît pas même d'autre. Que si comme nous avons reçu sans examiner l'Ecriture sainte de la main de cette Eglise où nous sommes, il nous en faut aussi, comme vous dites, recevoir à l'aveugle toutes les interprétations, c'est un argument pour conclure que chacun doit demeurer comme il est, et que toute religion est bonne.

C'était en vérité ce qui se pouvait objecter de plus fort; et quoique la solution de ce doute me parût claire, j'étais en peine

 

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comment je pourrais la rendre claire à ceux qui m'écoutaient. Je ne parlais qu'en tremblant, voyant qu'il s'agissait du salut d'une âme; et je priais Dieu qui me faisait voir si clairement la vérité , qu'il me donnât des paroles pour la mettre dans son jour : car j'avais à faire à un homme qui écoutait patiemment, qui parlait avec netteté et avec force, et qui enfin poussait les difficultés aux dernières précisions.

Je lui dis que premièrement il fallait distinguer leur cause d'avec celle des Grecs, des Arméniens et des autres qu'il avait nommés, qui errent à la vérité en ce qu'ils prennent une fausse église pour la vraie Eglise ; mais qui croient du moins comme indubitable, qu'il faut croire à la vraie Eglise, quelle qu'elle soit, et qu'elle ne trompe jamais ses enfants. Vous êtes, lui disais-je, bien plus à l'écart ; car je vous puis reprocher, non-seulement que comme les Grecs et les Ethiopiens vous prenez une fausse église pour la vraie ; mais, ce qui est incontestable et ce que vous nous avouez, que vous ne voulez pas même qu'on en croie la vraie. Après cette distinction qui m'a semblé nécessaire, venons à votre difficulté. Distinguons dans la croyance des Grecs et des autres fausses églises, ce qu'il y a de vrai, ce qu'elles ont de commun avec la vraie Eglise universelle, en un mot ce qui vient de Dieu d'avec ce qui vient de la prévention humaine. Dieu met par son Saint-Esprit, dans le cœur de ceux qui sont baptisés dans ces églises, qu'il y a un Dieu et un Jésus-Christ, et un Saint-Esprit. Jusqu'ici l'erreur n'y est pas; tout cela est de Dieu : n'est-il pas vrai ? Il en convint. Ils croient qu'il y a aussi une Eglise universelle : n'ont-ils pas raison en cela, et n'est-ce pas une vérité révélée de Dieu qu'il y en a une en effet ? J'attendis l'aveu ; et après qu'il eut été donné, j'ajoutai que les Grecs et les Ethiopiens étaient disposés à croire sans examiner tout ce que la vraie Eglise leur proposait. C'est ce que vous n'approuvez pas, Monsieur : en cela vous vous éloignez de tous les autres chrétiens, qui croient unanimement qu'il y a une vraie Eglise qui ne trompe jamais ses enfants. Moi qui crois cela avec eux, je compte cette croyance parmi les choses qui viennent de Dieu : mais voici où commencent les préventions humaines. C'est que ce baptisé séduit par ses

 

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parents et par ses pasteurs, croit que l'Eglise où il est, est la véritable, et il attribue en particulier à cette fausse église tout ce que Dieu lui fait croire en général de la vraie. Ce n'est pas le Saint-Esprit qui lui met cela dans le cœur : n'est-il pas vrai? — Il est vrai, sans doute. — En cet endroit il commence à croire mal. Ici donc commence l'erreur; ici la foi divine infuse par le baptême, commence à périr. Heureux ceux en qui les préjugés humains sont joints à la vraie croyance que le Saint-Esprit met dans le cœur ! Ils sont exempts d'une grande tentation et de la peine terrible qu'il y a à distinguer ce qui est de Dieu dans la foi de leur Eglise, d'avec ce qui est des hommes. Mais quelque peine qu'aient les hommes à distinguer ces choses, Dieu les connaît et les distingue; et il y aura une éternelle différence entre ce que son Saint-Esprit met dans le cœur des baptisés quand il les dispose intérieurement à croire la vraie Eglise, et ce que les préventions humaines y ont ajouté en attachant leur esprit à une fausse église. Comment ces baptisés pourront démêler ces choses dans la suite, et par quels moyens ils pourront sortir de la prévention qui leur a fait confondre l'idée de la fausse église où ils sont, avec la foi de la vraie Eglise que le Saint-Esprit leur a mise dans le cœur avec le Symbole, ce n'est pas de quoi il s'agit; et il suffit que nous ayons vu dans tous les baptisés une croyance de l'Eglise qui leur vient de Dieu, distinguée de la pensée qui leur vient des hommes. Cela étant, je soutiens qu'à cette croyance de l'Eglise que le Saint-Esprit nous met dans le cœur avec le Symbole, est attachée une ferme foi : qu'il faut croire cette Eglise aussi certainement que le Saint-Esprit, à qui le Symbole même la joint immédiatement; et que c'est à cause de cette foi à l'Eglise que le fidèle ne doute jamais de l'Ecriture.

Je m'arrêtai un moment pour demander si on m'entendait. M. Claude répondit qu'il m'entendait parfaitement. Et si cela est, lui dis-je, vous devez voir l'inconvénient où vous jette votre croyance, et vous devez voir aussi que je n'y suis pas dans la mienne. Vous dites que non-seulement il ne faut pas croire la fausse église, mais qu'il ne faut pas même croire la vraie sans examiner ce qu'elle dit ; et vous parlez en cela contre tout le reste

 

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des chrétiens. Mademoiselle de Duras interrompit en ce lieu : Voilà, dit-elle, à quoi il faudrait répondre par oui et par non. Je le dis en effet, reprit M. Claude, et je n'ai point hésité à le dire d'abord. Tant mieux, repartis-je : on va bientôt voir qui a raison de nous deux, et en l'état de clarté où les choses ont été mises par nos discours réciproques, le faible paraîtra bientôt de part ou d'autre. Dès que vous posez pour certain que l'Eglise, même la vraie, nous peut tromper, le fidèle ne peut pas croire sur la seule foi de l'Eglise que l'Ecriture est la parole de Dieu. Il le peut croire d'une foi humaine, reprit M. Claude, mais non pas d'une foi divine. Or la foi humaine, repris-je, est toujours fautive et douteuse : il doute donc si cette Ecriture est inspirée de Dieu ou non. M. Claude me pria ici de me souvenir de ce qu'il m'avait déjà dit, qu'il n'était pas dans le doute, mais dans l'ignorance. Comme un homme, dit-il, qui ne se connaît pas en diamants , qu'on lui demande, en lui en montrant quelqu'un, s'il croit ce diamant bon ou mauvais; il n'en sait rien, et ce qu'il a n'est pas un doute, mais une ignorance. De même, quand un maître enseigne quelque opinion de philosophie, le disciple qui ne sait pas encore ce qu'il veut dire, n'a pas de doute formel; il est dans une simple ignorance. Ainsi en est-il de ceux à qui on donne la première fois l'Ecriture sainte. Et moi, dis-je, je soutiens qu'il doute, et que celui qui ne se connaît pas en diamants doute si celui qu'on lui présente est bon ou mauvais, et que le disciple doute avec raison de tout ce que lui dit son maître de philosophie jusqu'à ce qu'il y voie clair, parce qu'il ne croit pas son maître infaillible; et que par la même raison, celui qui ne croit pas l'Eglise infaillible doute de la vérité de la parole de Dieu qu'elle lui propose. Cela s'appelle ignorance, et non pas doute, disait toujours M. Claude ; et moi je fis cet argument. Douter, c'est ne savoir pas si une chose est ou non : le chrétien dont nous parlons ne sait si l'Ecriture est véritable ou non ; il en doute donc. Dites-moi, qu'est-ce que douter, si ce n'est ne savoir pas si une chose est ou non? A cela nulle réponse, sinon que ce chrétien ne doutait en aucune sorte de l'Ecriture, mais qu'il l'ignorait seulement. Mais, disais-je, il n'est pas comme un infidèle qui n'en a peut-être jamais ouï parler. Il sait que l'Evangile

 

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de saint Matthieu et les Epîtres de saint Paul sont lues dans l'Eglise comme parole de Dieu, et que tous les fidèles n'en doutent pas. Peut-il croire avec eux aussi certainement qu'il croit que Dieu est, que cette parole est inspirée de Dieu? Vous avez dit qu'il ne peut pas faire cet acte de foi : qui ne peut faire un acte de foi sur un article qu'on lui propose, fait du moins pour ainsi parler un acte de doute. M. Claude répondait toujours qu'il était dans une pure ignorance. Hé bien, laissons là les mots : il n'en doute pas si vous voulez ; mais il ne sait si cette Ecriture est une vérité ou une fable; il ne sait si l'Evangile est une histoire inspirée de Dieu, ou un conte inventé par les hommes. Il ne peut donc pas sur ce point faire un acte de foi divine, ni dire : Je crois, comme Dieu est, que l'Evangile est de Dieu même. N'avouez-vous pas qu'il ne peut faire cet acte, et qu'il n'a autre chose qu'une foi humaine? Il avoua encore franchement qu'il n'y connaissait autre chose. Hé bien, Monsieur, c'est assez. Enfin donc il y a un point où tout chrétien baptisé ne sait pas si l'Evangile n'est pas une fable : on lui donne cela à examiner : voilà où il en faut venir quand on donne à examiner après l'Eglise. On peut discourir sans fin : nous avons tout dit de part et d'autre, et on ne ferait plus que recommencer. C'est à chacun à examiner en sa conscience comment il peut soutenir qu'un chrétien baptisé doive avoir été un moment sans savoir si l'Evangile est une vérité ou une fable, et qu'il faille entre les autres questions qu'on peut faire dans la vie, lui donner encore celle-là à examiner. Il me parut à la contenance de mademoiselle de Duras qu'elle m'avait entendu : j'attendis pourtant un peu ; et M. Claude se leva.

Mademoiselle de Duras se leva avec nous, et nous dit en s'approchant : Mais je voudrais bien avant qu'on se retirât, qu'on dît quelque chose sur la séparation. La chose est faite, lui repartis-je. Du moment qu'il est certain qu'on ne peut examiner après l'Eglise sans tomber dans un orgueil insupportable, et sans douter de l'Evangile, il n'y a plus rien à dire. Chacun n'a plus qu'à considérer s'il veut qu'on doute un seul moment de l'Evangile, et encore s'il se sent capable de mieux entendre l'Ecriture que tous les synodes du monde, et que tout le reste de l'Eglise universelle.

 

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Mais puisque Mademoiselle souhaite quelque particulier éclaircissement sur la séparation, je vous prie, dis-je à M. Claude, donnez-moi encore un moment. Je vous vas proposer des faits essentiels dont il faudra, si je ne me trompe, que vous conveniez bientôt. Je vous demande, Monsieur, si les ariens se sont séparés de l'Eglise et si leur secte, quand elle parut, n'était pas nouvelle? Ils ne se sont pas, dit-il, séparés de l'Eglise; ils l'ont corrompue. Il se mit à représenter avec beaucoup d'exagération comment ils avaient entraîné toute l'Eglise. Cela n'est pas ainsi, Monsieur, vous savez que saint Athanase, saint Basile, saint Grégoire de Nazianze, tant d'autres saints évêques tenaient pour la vérité, et qu'un grand peuple les suivait. Vous savez que tout l'Occident et Rome même, malgré la chute de Libérius, était orthodoxe. Mais laissons tout cela, lui dis-je; en quelque nombre qu'ils se soient séparés, il y avait une Eglise devant eux avec qui ils ont rompu, et contre qui ils ont fait une autre église. Non, dit-il, ils l'ont corrompue. Hé! Monsieur, quelle difficulté est-ce là? Tous les hérétiques ne se sont jamais séparés qu'en corrompant quelques-uns des enfants de l'Eglise, et se séparant avec eux de l'Eglise où ils avaient tous été baptisés. Mais enfin, dites-moi, Monsieur, la secte des ariens, et cette église qu'on nomme arienne, n'était-elle pas nouvelle? Si vous voulez dire, Monsieur, me repartit-il, qu'Arius ait parlé le premier contre la divinité du Fils de Dieu, il n'est pas vrai. Origène devant lui et Justin martyr, avaient dit la même chose. Ha ! Monsieur, qu'un martyr ait nié la divinité du Fils de Dieu, je n'en croirai jamais rien. Pour Origène, vous savez qu'on l'a allégué pour et contre; c'est un auteur ambigu et suspect. Mais, Monsieur, laissons les faits incertains; tâchons de trouver un fait dont vous et moi convenions. Cette secte, qui après la condamnation prononcée contre Arius, se joignit à ce prêtre excommunié, et forma une église contre l'église, n'était-elle pas nouvelle? Il fallut bien l'avouer. Pour lui prouver sa nouveauté, fallait-il remonter jusqu'aux apôtres, et ne pouvait-on pas lui dire : « Eglise séparée de cette autre Eglise où Arius est né et où il a reçu le baptême, vous n'étiez pas hier ni avant-hier? » — Oui, dit M. Claude. N'en peut-on pas dire autant de l'église macédonienne,

 

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qui niait la divinité du Saint-Esprit ; des nestoriens, qui séparaient la personne de Jésus-Christ; des eutychiens, qui confondaient ses deux natures; et des pélagiens, qui niaient le péché originel et la grâce de Jésus-Christ? Ne pouvait-on pas leur dire sans remonter aux apôtres : « Quand vous êtes venus au monde, vous avez trouvé l'Eglise baptisant les petits enfants en rémission des péchés, et demandant la conversion des pécheurs et des infidèles? » Donc ce qu'ont combattu tous ces hérétiques et tous les autres que vous et nous connaissons, était cru non-seulement du temps des apôtres, mais hier et avant-hier, et dans les temps où les hérésiarques sont venus, et ils trouvaient l'Eglise dans cette créance. — Mais, répondit M. Claude, il y a deux manières d'établir l'erreur : l'une découverte, et l'autre cachée et insensible. — Arrêtons là, Monsieur, lui dis-je : nous devons proposer des faits constants dont les deux partis conviennent; je ne conviens point de cette manière insensible d'établir l'erreur. — Hé! dit-il, la prière des saints et le purgatoire, voulez-vous dire, Monsieur, que vous les trouverez du temps des apôtres? — Non, Monsieur, repris-je : je ne veux rien dire là-dessus, car vous n'en conviendriez pas; et je veux dire des choses dont vous conveniez. Usez-en de même avec moi. Celui qui tirera plus d'avantage solide des faits avoués par son adversaire aura un grand argument que la vérité est pour lui : car le propre de la vérité est de se soutenir partout, et de condamner l'erreur par les faits mêmes que l'erreur avoue. Et puisque vous me parlez de la prière des saints : vous êtes de bonne foi ; n'est-il pas vrai que M. Daillé nous accorde treize cents ans d'antiquité? — Treize cents ans, Monsieur, répondit-il, ce n'est pas tous les temps de l'Eglise. — J'en conviens, lui dis-je : mais enfin l'adversaire me donne déjà treize cents ans ; il me donne saint Grégoire de Nazianze, saint Basile, saint Ambroise, saint Jérôme, saint Chrysostome, saint Augustin. — Tout cela, dit M. Claude, des hommes. — Des hommes tant qu'il vous plaira: mais enfin nous avons treize cents ans de l'aveu de notre adversaire pour la prière des saints et pour l'honneur des reliques; car ces deux choses ont été jointes ensemble, selon M. Daillé, vous le savez. Et pour la prière des morts, combien nous a donné M. Blondel ?

 

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— Il est vrai, dit M. Claude, que c'est la plus ancienne erreur de l'Eglise. — Quatorze cents ans d'antiquité, Monsieur, c'est, lui dis-je, ce que nous accorde M. Blondel. Je ne dis pas ceci pour faire préjuger la vérité de notre doctrine; ce n'est pas de quoi il s'agit : mais je le dis pour montrer que nous ne sommes pas sans défense sur ces exemples d'erreurs insensiblement répandues, puisque déjà nous avons de votre consentement treize et quatorze cents ans. Venons donc à des faits constans dont je puisse convenir. Car pour vous, vous convenez que les ariens, les nestoriens, les pélagiens, et en un mot tous les hérétiques se sont établis comme j'ai dit. Ils n'ont point trouvé d'Eglise à laquelle ils se soient unis. Ils en ont érigé une autre qui s'est séparée de toutes les autres églises qui étaient alors. Cela est certain : n'est-il pas constant? J'attendis : M. Claude ne contredit pas; je ne crus pas le devoir presser davantage sur une chose constante et déjà avouée. Maintenant, lui dis-je, comment se sont établies les églises orthodoxes? Quand les particuliers et les peuples, par exemple les Indiens, se sont convertis, n'ont-ils pas trouvé une Eglise déjà établie à laquelle ils se sont unis? Il l'avoua. En avez-vous trouvé une dans toute la terre à laquelle vous vous soyez unis? Est-ce l'église grecque, ou arménienne, ou éthiopique que vous avez embrassée en quittant l'Eglise romaine? Ne peut-on pas vous marquer la date précise de vos églises, et dire à toute cette église, à toute cette société extérieure dans laquelle vous êtes ministre : « Vous n'étiez pas hier? » —Mais, dit ici M. Claude, n'étions-nous pas de cette Eglise? Nous n'en sommes pas sortis, on nous a chassés. On nous a excommuniés dans le concile de Trente. Ainsi nous sommes sortis : mais nous avons emporté l'Eglise avec nous. — Quel discours, Monsieur, lui dis-je! Si on ne vous en eût pas chassés, y fussiez-vous demeurés? A quoi sert donc ce commandement tant répété parmi vous : « Sortez de Babylone, mon peuple?» De bonne foi, dites-moi, fussiez-vous demeurés dans l'Eglise, si elle ne vous eût pas chassés? —Non, Monsieur, assurément, dit M. Claude. — Que sert donc, repris-je, de dire ici qu'on vous a chassés?—C'est, dit-il, que c'est un fait véritable.— Hé bien, Monsieur, poursuivis-je, il est véritable : cela vous est

 

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commun (ne vous fâchez pas du mot que je vais dire), cela, dis-je, vous est commun avec tous les hérétiques. L'Eglise où ils avaient reçu le baptême les a chassés, les a excommuniés. Ils eussent peut-être bien voulu y demeurer pour corrompre et pour séduire; mais l'Eglise les a retranchés. Et quant à ce que vous dites, que vous étiez dans cette Eglise qui vous a chassés, et que vous avez emporté l'Eglise avec vous, quel hérétique n'en peut pas dire autant? Ce n'est pas des païens que les anciens hérétiques ont composé leur église ; c'est des chrétiens nourris dans l'Eglise. Aussi n'avez-vous pas formé la vôtre en amassant des mahométans; j'en conviens : mais en cela vous ne sortez pas des exemples des anciens hérétiques; et ils ont tous pu dire, aussi bien que vous, qu'ils ont été condamnés par leurs parties. Car on ne les a pas fait asseoir au nombre des juges, quand on a condamné leur nouveauté. — Mais, Monsieur, reprit M. Claude, nous ne convenons pas de cette nouveauté. Ce qui est dans l'Ecriture n'est pas nouveau. — Patience, Monsieur, je vous prie, lui répondis-je : aucun des anciens hérétiques n'est convenu de la nouveauté de sa doctrine ; ils ont tous allégué pour eux l'Ecriture sainte : mais il y avait une nouveauté qu'ils ne pouvaient contester ; c'est que le corps de leur église n'était pas hier, et vous en êtes demeuré d'accord. — Hé bien, dit enfin M. Claude, si les ariens, si les nestoriens, si les pélagiens avaient eu raison dans le fond, ils n'eussent point eu tort dans la procédure. — Tort ou non, lui dis-je, Monsieur, c'est le fond de la question : mais toujours demeure-t-il pour constant que vous avez le même procédé qu'eux, la même conduite, les mêmes défenses; en un mot, qu'en formant votre église vous avez fait comme ont fait tous les hérétiques, et que nous faisons tout ce qu'ont fait les orthodoxes. Chacun peut juger en sa conscience à qui il aime mieux ressembler, et je n'ai plus rien à dire.

M. Claude ne se tut pas en cette occasion , et il me dit que cet argument était excellent en faveur des Juifs et des païens, et qu'ils pouvaient soutenir leur cause par la raison dont je me servais. Voyons, lui dis-je, Monsieur, et souvenez-vous que vous nous promettez le même argument. — Le même, reprit-il, sans doute. Les Juifs et les païens ont reproché aux chrétiens, leur

 

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nouveauté, vous le savez; les écrits de Celse en font foi, et tant d'autres. — J'en conviens, lui dis-je, mais est-ce là tout? Et il était vrai, poursuivit-il, que le christianisme était nouveau, à le regarder dans l'état immédiatement précédent. — Quoi ! lui dis-je, quand Jésus-Christ commença sa prédication, on lui pouvait dire, comme je vous dis, que dans l'Eglise où il était né, on ne parlait pas hier de lui ni de sa venue? Et qu'était-ce donc que ce saint Jean-Baptiste, et Anne la prophétesse, et Siméon, et les Mages, et les pontifes consultés par Hérode, lorsqu'ils répondirent que le lieu de sa naissance était Bethléem? Fallait-il remonter jusqu'à Abraham pour prouver l'antiquité des promesses ? Y a-t-il eu un seul moment où le Christ n'ait pas été attendu dans l'Eglise où il est né; si bien attendu que les Juifs l'attendent encore? Il est bien vrai, Monsieur, qu'il fallait voir arriver une fois cette nouveauté, et ce changement du Christ attendu au Christ venu. Mais Jésus-Christ pour cela n'est pas nouveau : « Il était hier, il est aujourd'hui, et sera aux siècles des siècles (1). » — Il est vrai, repartit M. Claude, mais la Synagogue ne convenait pas que ce Jésus fût le Christ. Mais, repris-je, la Synagogue n'a point condamné saint Jean-Baptiste; mais la Synagogue a ouï, sans rien dire, et les Mages, et Siméon, et Anne. Jésus-Christ a recueilli dans la Synagogue , vraie Eglise alors, les enfants de Dieu qu'elle contenait. La Synagogue à la fin l'a condamné. Mais Jésus-Christ avait déjà fondé son Eglise. Il lui donne sa dernière forme aussitôt après sa mort, et le nouveau peuple a suivi l'ancien sans interruption : voilà des vérités incontestables. Et pour ce qui est du paganisme, il est vrai que les païens ont reproché aux chrétiens leur nouveauté. Mais qu'ont répondu les chrétiens? N'ont-ils pas fait voir clairement que les Juifs avaient toujours cru le même Dieu que les chrétiens adoraient et attendu le même Christ; que les Juifs croyaient tout cela hier, et avant-hier, et toujours sans interruption? — Mais, Monsieur, encore une fois, dit M. Claude, les Gentils ne convenaient pas de tout cela? — Quoi! repris-je, y avait-il parmi eux quelqu'un assez déraisonnable pour dire qu'il n'y eût jamais eu de Juifs, ou que ce peuple n'eût pas attendu un

 

1 Hebr., XIII, 8.

 

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Christ, et n'eût pas adoré un seul Dieu, Créateur du ciel et de la terre? Ne faisait-on pas voir aux païens le commencement manifeste de leurs opinions et la date, je ne dis pas des auteurs de leurs sentiments, mais de leurs dieux mêmes, et cela par leurs propres histoires, par leurs propres auteurs, par leur propre chronologie ? Croyez-vous qu'un païen eût pu faire avouer à un chrétien que la religion d'un chrétien était nouvelle, et qu'il n'y avait jamais eu de société qui eût eu la même croyance que les chrétiens avaient alors, comme je vous fais avouer que tous les hérétiques que vous et moi reconnaissons pour tels, sont venus de cette sorte, et que vous avez fait comme eux ? Voilà, Monsieur, comme vous prouvez que les Juifs et les païens pouvaient soutenir leur cause par le même argument dont je me sers : personne ne le pourra jamais, et personne ne pourra jamais nier le fait constant que j'avance qui est que nous faisons comme tous les orthodoxes, et vous comme tous les hérétiques.

Là finit la conversation. Elle avait duré cinq heures avec une grande attention de toute l'assemblée. On s'était écouté l'un l'autre paisiblement : on parlait de part et d'autre assez serré ; et à la réserve du commencement où M. Claude étendait un peu son discours, dans tout le reste il allait au fait, et se présentait à la difficulté sans reculer. Il est vrai qu'il tendait plutôt à m'envelopper dans les inconvénients où je l'engageais, qu'à montrer comme il en pouvait sortir lui-même; mais enfin tout cela était de la cause ; et il a dit assurément tout ce que la sienne pouvait fournir clans le point où nous nous étions renfermés.

Pour moi, je n'avais garde d'en sortir, puisque c'était celui sur lequel mademoiselle de Duras demandait éclaircissement. Elle me parut touchée : je me retirai toutefois en tremblant, et craignant toujours que ma faiblesse n'eût mis son âme en péril et la vérité en doute.

 

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