Réflexions sur M. Claude
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Réflexions sur M. Claude

 

RÉFLEXIONS
SUR UN ÉCRIT DE M. CLAUDE.

 

Ière Réflexion sur la réponse de M. Claude aux Actes tirés de la discipline des prétendus réformés.

IIe Réflexion sur une des propositions avouées par M. Claude dans la Conférence, et sur l'examen qu'il prescrit après le jugement de l'Eglise.

IIIe Réflexion, sur une autre proposition avouée par M. Claude dans la Conférence : explication de la manière d'instruire les chrétiens, et que l'autorité infaillible de l'Eglise est nécessaire pour reconnaître et entendre l'Ecriture.

IVe Réflexion sur ce que M. Claude nous fait sur l'Eglise la même difficulté que nous lui faisons sur l'Ecriture.

Ve Réflexion sur ce que M. Claude nous allègue ici l'église grecque et les autres semblables : que c'est vouloir embrouiller la matière, et non pas résoudre la difficulté.

VIe Réflexion sur ce que M. Claude réduit, autant qu'il peut, cette dispute à l'instruction des enfants.

VIIe Réflexion sur ce que M. Claude a dit, dans sa Relation, que j'avais paru embarrassé en cet endroit de la dispute.

VIIIe Réflexion sur une autre proposition, que M. Claude avoua dans la Conférence, où est exposée la manière dont toutes les fausses églises se sont établies.

IXe Réflexion sur la visibilité de l'Eglise : que M. Claude ne combat la doctrine que j'ai expliquée qu'après s'en être formé une fausse idée.

Xe Réflexion sur ce que la Confession de foi des prétendus réformés ne reconnaît point d'église qui ne soit visible, et sur ce que M. Claude répond à cette difficulté.

XIe Réflexion sur ce que M. Claude reconnaît lui-même la perpétuelle visibilité de l'Eglise : doctrine surprenante de ce ministre.

XIIe Réflexion sur deux principales objections de M. Claude, résolues par sa doctrine.

XIIIe et dernière Réflexion : que la doctrine de M. Claude montre à Messieurs de la religion prétendue réformée, qu'il n'y a de salut pour eux que dans l'Eglise romaine. 

 

On a vu dans lAvertissement qui est à la tête de ce livre, qu'après que M. Claude eut lu mon récit, il fit une réponse à l'instruction que j'avais donnée à mademoiselle de Duras, et qu'il y joignit une Relation de notre Conférence, qu'il avait faite, à ce qu'il marque dans cet écrit même , « dès le lendemain de notre entrevue. »

J'ai reçu de divers endroits, et même des provinces les plus éloignées, cet écrit de M. Claude avec sa Relation : mais la copie la plus entière et la plus correcte que j'en aie vue m'a été communiquée par M. le duc de Chevreuse, qui l'avait eue d'une dame de qualité de la religion prétendue réformée. J'ai vu aussi entre les mains de M. de Chevreuse une déclaration signée de M. Claude , où il avoue tout l'écrit ; de sorte qu'on ne peut douter qu'il ne soit de lui.

Je trouve beaucoup de choses dans cet écrit, qui confirment manifestement tout ce qu'on vient de lire dans le mien. Je ne

 

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prétends pas relever ici toutes ces choses, ni répondre à celles où M. Claude me paraît, par le défaut de sa cause, aussi peu d'accord avec lui-même qu'avec nous. Pour faire de telles remarques, il faut qu'un écrit soit entre les mains de tout le monde, et que chacun puisse voir si on en rapporte bien les passages, et si on en prend bien le sens et la suite ; il faut, en un mot, qu'il soit public. Il le sera quand il plaira à M. Claude. Je ferai, en attendant, quelques réflexions sur des choses dont je ne crois pas qu'il puisse disconvenir, et qui peuvent beaucoup aider les prétendus réformés à prendre une bonne résolution sur la matière que nous avons traitée.

 

Ière Réflexion sur la réponse de M. Claude aux Actes tirés de la discipline des prétendus réformés.

 

Ma première réflexion est sur la réponse que fait M. Claude aux Actes tirés de la discipline de ses églises. Je me suis servi de ces Actes pour montrer qu'il était si nécessaire à tous les particuliers, dans les questions de la foi, de se soumettre à l'autorité infaillible de l'Eglise, que les prétendus réformés, qui la rejetaient dans la spéculation, se trouvaient forcés en même temps à la reconnaître dans la pratique. Ce qu'il y a de plus pressant dans ces Actes, c'est qu'au seul synode national, à l'exclusion des consistoires , colloques et synodes provinciaux, est attribuée « la dernière et finale résolution par la parole de Dieu (1)» Mais parce que c'est « la dernière et finale résolution, » les églises et les provinces , en députant à ce synode , jurent solennellement « de se soumettre à tout ce qui sera conclu dans cette assemblée, persuadées que Dieu y présidera par son Saint-Esprit et par sa parole(2). » Ainsi parce qu'on croit devoir une soumission entière à cette sentence suprême quand elle sera prononcée, on jure de s'y soumettre avant même qu'elle l'ait été; c'est agir conséquemment. Mais si après une promesse confirmée par un serment si solennel, on prétend se laisser encore la liberté d'examiner, j'avoue que je ne sais plus ce que les paroles signifient; et il n'y

 

1 Discip., chap. V, art. 31; vid. sup., p. 519. — 2 Discip., chap. IX, art. 3; Observ., p. 144; vid. sup., p. 519.

 

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eut jamais d'évasion mentale si pleine d'illusion et d'équivoque.

On peut bien croire, sans que je le dise, que les ministres se sentent pressés par un raisonnement si clair : dans de telles occasions où la vérité se découvre avec tant d'évidence, plus on a d'esprit, plus on sent la difficulté, et plus on se trouve embarrassé. Aussi n'y a-t-il rien de plus visible que l'embarras qui paraît dans la réponse de M. Claude, je dis même dans sa réponse telle qu'il la marque dans sa propre Relation.

Elle se réduit à dire qu'on fait ce serment, parce qu'on doit bien présumer d'une telle assemblée ; et au surplus que ces paroles : « Nous jurons de nous soumettre à votre assemblée, persuadés que Dieu y présidera, » enferment une condition sans laquelle la promesse ainsi jurée n'a point son effet. C'est tout ce qu'on peut répondre. L'anonyme, qui a dédié son livre à M. Conrart, m'a fait le premier cette réponse (1). Un autre anonyme, dont le livre est intitulé : Le déguisement démasqué, l'a faite après lui (2). M. Noguier (3) et M. de Brueis, autre auteur qui a répondu à l'Exposition (4), n'ont eu que cela à dire. M. Jurieu s'en est tenu à cette réponse dans son Préservatif ; et seulement il explique plus simplement que les autres que toute cette persuasion, qui sert de fondement au serment, « est une clause de civilité des termes de laquelle il ne faut point abuser (5). » M. Claude n'a point eu d'autre réplique, et c'est la seule qui paraît encore dans sa Relation.

Ainsi ce serment si sérieux et si solennel de tous nos réformés et de leurs églises en corps, à leur synode national se réduit à cette proposition, qui ne serait au fond qu'un inutile compliment : « Nous jurons devant Dieu de nous soumettre à tout ce que vous déciderez, si vous décidez par sa parole comme nous le présumons et nous l'espérons. »

Mais pourquoi donc ne pas énoncer ce grand serment en ces termes, si ce n'est qu'on a bien vu qu'en se réduisant à ces termes on ne disait rien, et qu'on a voulu dire ou sembler dire quelque chose?

 

1 I Rép., p. 344. — 2 Chap. XXXV, p. 192. — 3 Nog., II part., chap. XXIII, p. 447. — 4 P. 298. — 5 Préserv., art. 15, p. 286.

 

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Pour moi, plus je considère ce qui se trouve dans la discipline des prétendus réformés sur ce serment de leurs églises, plus je le trouve éloigné du sens qu'on y veut donner.

Je trouve premièrement, comme je l'ai remarqué dans la Conférence, que ce serment ne se fait que pour le synode national, c'est-à-dire pour celui « où se doit faire la dernière et finale résolution par la parole de Dieu (1) ; » et le synode national de Castres a déclaré « qu'on n'userait point ès lettres d'envoi portées par les députés des églises particulières aux colloques et synodes provinciaux , de clauses de soumission si absolues que celles qui sont insérées ès lettres des provinces aux synodes nationaux. » Pourquoi, si ce n'est pour faire voir la différence qu'il y a entre la dernière décision et toutes les autres ?

En effet quand j'ai recherché en quoi consistait cette différence, j'ai trouvé une autre sorte de soumission pour les colloques et pour les synodes provinciaux. C'est que ceux qui sont accusés d'altérer la saine doctrine sont obligés « préalablement de faire promesse expresse de ne rien semer de leurs opinions avant la convocation du colloque, ou du synode provincial (2). » C'est un règlement de discipline et de police. Mais quand on vient au synode où se doit faire « cette dernière et finale résolution, » les particuliers à la vérité réitèrent la même promesse; mais on ne s'en tient pas là, et les églises en corps y ajoutent ce grand serment de se soumettre en tout et partout à la décision, persuadées que Dieu même en sera l'auteur.

Une simple présomption humaine, comme l'appelle M. Claude, une clause de civilité, comme la nomme M. Jurieu, ne peut pas être la matière et le fondement d'un serment : aussi voyons-nous que , non-seulement les particuliers, mais les consistoires et les provinces entières sentirent dans ce serment quelque chose de plus fort qu'on ne veut présentement nous y faire entendre ; en sorte qu'elles y firent une grande résistance, qui ne put être vaincue que par un long temps, et par les décrets réitérés des synodes nationaux.

Je vois durer cette résistance jusqu'à l'an 1031. En cette année

 

1 Discip., chap. IX, art. 3; Observ., p. 144. — 2 Discip., chap. V, art. 31.

 

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et au-dessus, je trouve presque toujours dans les synodes nationaux des provinces entières censurées, parce que leur députation ou, comme ils parlent, leur envoi, ne contenait pas cette clause de soumission Les églises avaient de la peine à faire un serment si peu convenable à la doctrine qu'on leur avait inspirée, et à jurer contre les principes de la nouvelle Réforme , une telle soumission à une assemblée qui après tout, quelque nom qu'on lui donnât, n'était qu'une assemblée d'hommes toujours, selon ces principes, sujets à faillir : mais il y fallut passer. On vit qu'on ne faisait rien, si à la fin on n'obligeait les hommes à une soumission absolue ; et que leur laisser l'examen libre après la dernière et finale résolution, c'était nourrir l'orgueil, la dissension et le schisme.

Ainsi contre les principes de la réformation prétendue, il fallut donner d'autres idées ; et on résolut de s'attacher immuablement à la soumission et au serment dans les termes que nous avons marqués.

La raison dont on se servit au synode de la Rochelle pour obliger les provinces à « cette clause de soumission aux choses qui seraient résolues dans le synode national, » c'est qu'elle était « nécessaire à la validité des conclusions de l'assemblée (2). » En général pour valider les actes d'une assemblée, il suffirait que ceux dont elle serait composée eussent un pouvoir d'y porter les suffrages de ceux qui les auraient envoyés ; et les députés tant des colloques que des synodes provinciaux venaient toujours munis de tels pouvoirs. Mais il fallait quelque chose de plus fort au synode national; et comme il s'y agissait de la dernière résolution, pour valider un tel acte et lui donner toute sa force, on jugea qu'il devait être précédé d'une soumission aussi absolue que la résolution en devait paraître irrévocable.

A cette décision du synode de la Rochelle, celui de Tonneins ajouta que « la soumission serait promise en propres termes à tout ce qui serait conclu et arrêté sans condition et modification (3). » Maintenant ce n'est plus qu'une clause de civilité, et une promesse conditionnelle qu'on ferait, si on voulait, non-seulement

 

1 Discip., chap. IX, art. 3; Observ., p. 143, 144. — 2 Ibid. — 3 Ibid.

 

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au synode provincial, et au colloque, et au consistoire, mais encore à tout ministre particulier. On ne la fait néanmoins ni à ces ministres particuliers, ni à ce consistoire, ni à ces colloques, ni à ces synodes provinciaux : pourquoi, si ce n'est pour réserver quelque chose de particulier et de propre à l'assemblée où se devait faire la finale résolution, après laquelle il n'y a plus qu'à obéir? Mais si tout ce qu'il y a ici de particulier et de propre, au fond n'est que des paroles, était-ce de quoi occuper les églises de la nouvelle Réforme et cinq ou six de leurs synodes nationaux?

C'est ce qu'il fallait expliquer, si on voulait dire quelque chose : c'est sur quoi on ne dit mot, quoique cette difficulté, par manière de dire, saute aux yeux, et que je l'aie expressément relevée.

Enfin pour réduire mon raisonnement en peu de mots, tout serment doit être fondé sur une vérité certaine et connue. Or cette promesse faite au synode national et confirmée par le serment solennel de toutes les églises prétendues réformées : « Nous jurons et promettons de suivre vos décisions, persuadés que vous jugerez bien; » cette promesse, dis-je, de quelque manière qu'on la tourne, n'a de certitude que dans l'un de ces deux sens. Le premier : « Nous jurons et promettons de suivre vos décisions, si nous trouvons que vous jugiez bien : » chose à la vérité très-certaine, mais en même temps illusoire, puisqu'il n'y a personne sur la terre à qui on n'en puisse dire autant; et comme je l'ai remarqué dans la Conférence, M. Claude me le peut dire aussi bien que moi à lui. Le second : « Nous sommes si persuadés que vous jugerez bien, que nous jurons et promettons de suivre vos décisions ; » auquel cas le serment est faux, si on n'est entièrement assuré que l'assemblée à qui on le fait ne peut mal juger.

Les prétendus réformés n'ont maintenant qu'à choisir entre ces deux sens, dont l'un est une illusion manifeste, et l'autre qui paraît aussi le seul naturel, suppose clairement l'infaillibilité de l'Eglise.

Et il ne faut pas répondre ici que cette soumission ne regarde que l'ordre public et la discipline, car en matière de foi, une décision n'oblige à rien moins qu'à ce qu'a dit l'apôtre saint Paul,

 

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c'est-à-dire « à croire de cœur et à confesser de bouche (1). » Et nos réformés eux-mêmes l'entendent ainsi, lorsqu'ils déclarent dans leur Discipline que l'effet de la décision dernière et finale du synode national, c'est « qu'on y acquiesce de point en point, avec exprès désaveu de la doctrine contraire (2). » Celui donc qui jure de se soumettre à la décision qu'on fera dans une assemblée, jure de croire de cœur, et de confesser de bouche la doctrine qu'on y aura décidée.

Mais pour faire cette promesse et la confirmer par serment, il faut que l'assemblée à qui on la fait ait une promesse divine de l'assistance du Saint-Esprit, c'est-à-dire qu'elle soit infaillible.

M. Claude insinua dans la conférence qu'il y avait en effet une promesse divine, que « ceux qui chercheraient, trouveraient; » et que le serment de ses églises pouvait avoir son fondement dans cette assurance. Mais jamais il ne sortira par cette réponse de l'embarras où il est. Car afin de rendre le serment conforme à la promesse, il doit être conditionnel, comme la promesse l'est: et comme Jésus-Christ a dit : « Si vous cherchez bien, vous trouverez, » le sens du serment serait aussi : « Si vous faites votre devoir, nous vous en croirons, » ce qui serait retomber dans la pitoyable illusion que nous avons rejetée.

Afin donc de pouvoir faire sans témérité le serment dont il s'agit, il faut être fondé sur une promesse absolue de Dieu, sur une promesse qui nous assure même contre les infidélités des hommes, enfin sur une promesse telle que Jésus-Christ la fait à son Eglise, lorsqu'il l'assure indéfiniment et absolument que « les portes d'enfer ne prévaudront point contre elle (3). »

Tant que nos réformés s'obstineront à nier que l'autorité des décisions de l'Eglise soit fondée sur cette promesse, leur serment sera toujours une illusion ou une témérité manifeste; et ils se trouveront forcés, ou à déférer plus qu'ils ne veulent à l'autorité de l'Eglise, ou à reconnaître qu'ils ont imposé par de magnifiques paroles à la crédulité des peuples, puisqu'après avoir distingué de toute autre décision la dernière décision de l'Eglise par un caractère si marqué et par la protestation d'une soumission si

 

1 Rom., X, 10. — 2 Vid. sup., p. 518. — 3 Matth., XVI, 18.

 

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particulière, au fond il se trouvera qu'une telle soumission, confirmée par un serment si singulier, n'est pas d'une autre nature ni d'un autre genre que celle qu'on doit naturellement à toute assemblée ecclésiastique, et à tout pasteur légitime ; c'est-à-dire qu'on pourra toujours en venir à de nouveaux doutes, et toujours examiner après la dernière résolution, comme on ferait après toutes les autres.

Il est ainsi en effet, selon les principes de la nouvelle Réforme : mais les principes de la nouvelle Réforme n'ont pu changer la condition nécessaire de l'humanité, qui demande, pour empêcher les divisions et mettre les esprits en repos, une décision finale et indépendante de tout nouvel examen général et particulier.

L'Eglise chrétienne n'est pas exempte de cette loi ; et plus elle est ordonnée, plus sa constitution dépend d'une entière soumission de l'esprit, plus elle a besoin d'une semblable autorité. C'est pourquoi dès l'origine du christianisme, Dieu même a mis dans Le cœur de tous les vrais chrétiens qu'il ne faut plus chercher ni examiner après l'Eglise. Cette inviolable tradition a fait son effet dans nos réformés, malgré leurs principes. Je ne m'en étonne pas. Saint Basile a dit très-sagement et très-véritablement que la tradition faisait dire aux hommes plus qu'ils ne voulaient, et leur hnspiroit des choses contraires à leurs sentiments (1). Et si nos réformés ne veulent pas devoir à la tradition cette résolution dernière et finale, ni cette soumission si solennellement jurée : c'est donc la nécessité et l'expérience qui les y aura forcés; c'est qu'il fout pouvoir mettre fin aux doutes et à l'examen des particuliers par une autorité absolue, si on veut avoir la paix et entretenir l'humilité ; c'est que si on n'a pas, ou si on n'exerce pas cette autorité, il faut faire semblant de l'avoir et de l'exercer, et du moins en donner l'idée; c'est en un mot qu'on peut discourir et répondre du moins de paroles à des arguments, mais que l'ignorance, l'infirmité et l'orgueil naturel à l'esprit humain demande d'autres remèdes.

 

1 Basil., De Spir. sancto, 29.

 

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IIe Réflexion sur une des propositions avouées par M. Claude dans la Conférence, et sur l'examen qu'il prescrit après le jugement de l'Eglise.

 

J'ai prétendu faire voir dans la Conférence, qu'en niant l'autorité infaillible de l'Eglise, on tombe dans ces deux inconvénients; et je ne dis pas dans l'un des deux, mais dans tous les deux inévitablement. Le premier est, qu'on oblige chaque particulier, pour ignorant qu'il puisse être, à croire qu'avec cela il peut mieux entendre la parole de Dieu que les synodes les plus universels, et que tout le reste de l'Eglise ensemble. Le second, qu'il y a temps où un chrétien baptisé n'est pas en état de faire un acte de foi sur l'Ecriture sainte; mais que, malgré qu'il en ait, il se trouvera obligé de douter si elle est inspirée de Dieu.

Je n'ai vu aucun des prétendus réformés, à qui ces deux propositions n'aient fait horreur et qui ne m'ait dit, que non-seulement il ne les croirait jamais, mais qu'il détesterait ceux qui les croient. Voyons donc comme il demeure établi par la Conférence, qu'elles sont des suites de la doctrine des prétendus réformés, et des suites si manifestes qu'elles sont avouées par les ministres.

Et déjà, sans sortir de la Relation de M. Claude, lui-même y tranche le mot : qu'après toute assemblée ecclésiastique, chaque particulier doit examiner si elle a bien entendu la parole de Dieu, ou non. Comme il avait parlé des intérêts humains, qui souvent, disait-il, offusquent la vérité dans les assemblées les plus authentiques et les plus universelles de l'Eglise : pour détruire cette réponse et montrer au fond que ce n'était qu'une chicane, je lui avais demandé si tout se passant dans l'ordre et sans qu'il parût aucun intérêt humain dans les délibérations, il ne faudrait pas encore que chaque particulier examinât. Il avait avoué qu'il le fallait; et il l'avoue encore dans sa propre Relation, soutenant qu'il n'y a nulle absurdité, ni nul orgueil à un particulier, de croire qu'il puisse mieux entendre la parole de Dieu que toutes les assemblées ecclésiastiques, quelque bon ordre qu'on y garde et de quelques personnes qu'elles puissent être composées.

Voilà une proposition et une doctrine qui paraîtra affreuse à tout esprit docile. Mais afin que la chose soit plus sensible,

 

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faisons l'application de cette doctrine à un exemple particulier.

L'église calvinienne, depuis six à sept vingts ans qu'elle a commencé de s'établir, n'a tenu aucune assemblée plus authentique ni plus solennelle que le synode de Dordrecht. Outre toutes les églises des Pays-Bas, toutes les autres de même croyance, celles d'Angleterre, celle de Genève, celles du Palatinat, celles de Hesse et celles de Suisse, celle de Brème et les autres de langue allemande, s'y sont trouvées par leurs députés et l'ont reçu; et afin que rien n'y manquât, si les églises prétendues réformées de ce royaume furent empêchées de s'y trouver, elles en adoptèrent toute la doctrine au synode national de Charenton en 1631, où tous les articles de Dordrecht, traduits de mot à mot, furent embrassés et jurés par tout le synode, et ensuite par toutes les provinces et toutes les églises particulières. Depuis ce temps aucun des prétendus réformés ne réclame contre ce synode. Il n'y a que les arminiens, qu'on y condamna, qui en blâment la doctrine, et en racontent les cabales et la part qu'y a eue la politique et les intérêts de la maison d'Orange. Tout le reste a ployé; et s'il y a quelque chose qu'on puisse dire reçu d'un consentement unanime par toutes les églises de la réformation prétendue, c'est sans doute les décrets de ce synode. Et néanmoins je soutiens à M. Claude, qu'interrogé si un particulier, quel qu'il soit, de son église, peut se reposer sur une autorité aussi grande parmi les siens que celle-là, sans examiner davantage : si on le presse de répondre par oui ou par non dans une question si précise et dans un fait si bien articulé, il faudra qu'il dise que non, et qu'enfin, malgré tout cela, ce n'est que des hommes, quelque habiles, quelque éclairés, quelque saints qu'on les imagine, toujours sujets à faillir, dont si on suivait les sentiments à l'aveugle et sans examen, on égalerait les hommes à Dieu. Ainsi, selon les maximes de la nouvelle Réforme , tout particulier, et jusqu'aux femmes les plus ignorantes, doivent croire qu'elles pourront mieux entendre l'Ecriture sainte qu'une assemblée composée de tout ce qu'il y a de plus grand dans toute l'Eglise, qu'il reconnaît pour la seule où Dieu est servi purement ; et non-seulement de cette assemblée, mais de tout le reste de l'Eglise et de tout ce qu'il en connaît dans tout l'univers.

 

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Voilà ce que M. Claude m'a avoué ; voilà en substance ce qu'il dit encore dans sa propre Relation; et voilà ce que tout ministre, bon gré malgré qu'il en ait, avouera dans une conférence, en présence de qui on voudra, à moins qu'il ne s'obstine à ne vouloir point parler précisément : auquel cas on verra qu'il biaise; et cette tergiversation sera plus forte qu'un aveu, puisqu'outre qu'elle fera voir que l'aveu est inévitable, elle fera voir de plus qu'on en sent les pernicieuses conséquences.

Et ce que je dis du synode de Dordrecht, on forcera M. Claude et tout autre ministre à le dire du concile de Nicée, du concile de Constantinople, de celui d'Ephèse, de celui de Chalcédoine et des autres que nous recevons eux et nous d'un commun accord : et quand ils le diront, ils ne diront rien de nouveau, ni qui soit inusité dans leur religion. Calvin l'a dit en termes formels, lorsqu'en parlant en général des conciles de tous les siècles précédents, il a écrit ces paroles : « Je ne prétends pas en ce lieu qu'il faille condamner tous les conciles, et casser tous leurs décrets. Toutefois, poursuit-il, vous m'objecterez que je les range tellement dans l'ordre, que je permets à tout le monde indifféremment de recevoir ou de rejeter ce que les conciles auront établi ; nullement, ce n'est pas là ma pensée (1). » Vous diriez qu'il s'en éloigne beaucoup. La majesté des conciles et l'autorité d'un si grand nom le frappe d'abord ; mais la suite de sa doctrine lui fait bientôt oublier ce qu'il semblait vouloir dire à leur avantage : car voici comme il conclut : « Lors, dit-il, que l'on allègue l'autorité dun concile, je désire premièrement que l'on considère en quel temps et pour quel sujet il a été assemblé, et quelles personnes y ont assisté; après, que l'on examine le point principal selon la règle de l'Ecriture, de sorte que la définition du concile ait son poids, et qu'elle soit comme un préjugé, mais qu'elle n'empêche pas l'examen. » C'est à quoi aboutit enfin cette soigneuse recherche du temps, du sujet et des personnes, à faire qu'en quelque temps que se soit tenu un concile, quelque matière qu'on y ait traitée, et de quelques personnes qu'il ait été composé, « tout le monde indifféremment, » car c'est de quoi il s'agit, en examine le point principal par la

 

1 Institut., Lib. IV cap. IX.

 

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parole de Dieu, et croie qu'il peut mieux entendre cette divine parole que tous les conciles.

Voilà jusqu'où ces Messieurs poussent l'examen : ils le poussent même bien plus avant, puisqu'ils veulent qu'on examine après les apôtres. Ce n'est-pas une conséquence que je tire de leur doctrine; c'est leur propre proposition et leur doctrine en termes formels, et celle de M. Claude en particulier. Car sur ce que j'ai dit dans l’Exposition (1), qu'après le concile de Jérusalem et la décision des apôtres, où ils dirent : « Il a semblé bon au Saint-Esprit et à nous (2), » personne n'avait plus rien à examiner; et qu'en effet « Paul et Barnabe avec Silas ; » comme il est écrit dans les Actes (3), « allaient parcourant les églises, et leur enseignant, » non point à examiner ce qu'avaient fait les apôtres, mais « à suivre leurs ordonnances : » parce que j'ai conclu de là qu'ils donnaient la forme à tous les siècles suivants, et nous apprenaient comme en tous les temps les fidèles dévoient, sans examiner, se soumettre aux décisions de l'Eglise; après diverses réponses toutes vaines, il a fallu à la fin me répondre nettement, qu'on devait encore examiner après le concile des apôtres. C'est l'Anonyme, c'est le premier qui a répondu à l’Exposition, qui l'a écrit en ces termes : « On ne voit pas que les apôtres publient leur décision avec un ordre absolu d'y obéir : mais ils envoient Paul, Barnabas et Silas pour instruire les fidèles de garder cette ordonnance, c'est-à-dire évidemment pour leur en persuader les motifs et les fondements, ce qui ne dit pas qu'on leur défendît d'examiner. »

C'est ce que dit l'Anonyme : l'endroit est remarquable ; on le trouvera dans l'article XIX de la première Réponse, dans la quatrième et dernière remarque qu'il fait sur le concile des apôtres, en la page 328. Ce n'est pas un sentiment particulier de cet auteur, puisqu'on a mis à la tête l'approbation des quatre ministres de Charenton, où M. Claude se trouve nommé, afin qu'il ne dise pas que je lui impute une doctrine étrangère, en lui imputant celle de cet anonyme.

Ainsi ce n'est pas les Juifs et les Gentils incrédules : c'est les fidèles et les églises chrétiennes qui doivent examiner après les

 

1 Exposit., art. 19. — 2 Act., XV, 18. — 3 Act., XVI, 4.

 

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apôtres, et après les apôtres assemblés, et après qu'ils ont prononcé : « Il a semblé bon au Saint-Esprit et à nous : » et ce prodige de doctrine est enseigné dans une église qui se vante de n'écouter que les pures paroles des apôtres. Voilà jusqu'où les ministres et les prétendus réformés, et M. Claude en particulier, sont forcés par leur croyance à pousser la nécessité de l'examen.

Il ne restait plus qu'à dire qu'il fallait encore examiner après Jésus-Christ, et qu'avec tous ses miracles et toute l'autorité que son Père lui avait donnée, il n'en avait pas assez pour obliger les hommes à le suivre sans examen et sur sa parole : M Claude l'a dit dans notre Conférence, et le dit encore dans sa Relation.

Je prie le sage lecteur de croire que dans une matière de cette importance je ne veux ni imposer ni exagérer : qu'il me suive seulement avec attention, et il verra la vérité manifeste.

On a vu que j'objectais dans la Conférence, qu'à moins de reconnaître une autorité vivante et parlante, à laquelle tout particulier fût obligé de se soumettre sans examiner, on réduisait les particuliers à la présomption de croire qu'ils pouvaient mieux entendre l'Ecriture sainte que tous les conciles ensemble et que tout le reste de l'Eglise. Pour me prouver qu'en cela il n'y avait rien de si orgueilleux, ni de si absurde, M. Claude me répondit que du temps que Jésus- Christ était sur la terre, le cas était arrivé où un particulier devait élever son jugement au-dessus de la Synagogue assemblée, qui condamnait Jésus-Christ : ce qui loin d'être un sentiment d'orgueil, était l'acte d'une foi parfaite.

Cette réponse, je l'avoue, me fit horreur : car afin de la soutenir, il fallait dire que du temps que la Synagogue jugeait Jésus-Christ, et qu'il était lui-même sur la terre, il n'y avait point sur la terre d'autorité vivante et parlante à laquelle il fallût céder sans examen; de sorte que l'on devait examiner après Jésus-Christ, et qu'il n'était pas permis de l'en croire sur sa parole. Je fis cette réponse à M. Claude, et lui montrai que loin qu'il fallût alors que chacun se déterminât par un examen particulier, et s'élevât au-dessus de toute autorité vivante et parlante, il y en avait une alors, la plus grande qui fût jamais ou qui puisse être, qui est celle de Jésus-Christ et de la Vérité même; à qui le Père rendait

 

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publiquement témoignage par une voix venue du ciel, par les miracles les plus grands et les plus visibles qu'on eût jamais faits, et enfin par les moyens les plus éclatants aussi bien que les plus certains que la Toute-Puissance divine ait pu pratiquer.

Si je remarque dans la Conférence qu'il n'y eut point de réponse à ce raisonnement, on sent bien que c'est qu'en effet il n'y en doit point avoir. M. Claude dit néanmoins dans sa Relation qu'il me répondit que les miracles de Jésus-Christ faisaient un des sujets de la question; qu'il y a de faux miracles, dont Moïse au Deutéronome avait averti les Israélites de se donner garde; que la Synagogue avait jugé que les miracles de Jésus-Christ étaient faits au nom de Béelzébub ; « qu'enfin une autorité ne décide rien que premièrement elle ne soit reçue, et que celle de Jésus-Christ ne l'était pas encore, puisqu'il s'agissait de la recevoir ou de la rejeter. » Je suis obligé d'observer qu'assurément je n'entendis rien de tout cela dans la Conférence ; et on va voir qu'en effet il vaut mieux se taire que de dire de telles choses. Mais puisque M. Claude veut les avoir dites, il faut donc qu'il dise encore qu'à cause que les miracles de Jésus-Christ étaient rejetés comme des signes trompeurs par des envieux, par des opiniâtres, en un mot par les ennemis déclarés de la vérité, ces miracles n'étaient pas assez convaincants pour pouvoir obliger les hommes à en croire Jésus-Christ sur sa parole sans examiner davantage; et qu'après par exemple qu'il eut ressuscité le Lazare en témoignage exprès « que Dieu l'avait envoyé (1), » ceux qui virent de leurs propres yeux un si grand miracle étaient, je ne dis pas recevables, mais expressément obligés à examiner si Jésus-Christ était vraiment envoyé de Dieu. Il faut, dis-je, pousser jusqu'à cet excès la nécessité de l'examen : autrement il sera vrai, comme je l'ai dit, qu'il y avait alors une autorité visible et palpable, à laquelle tout devait céder sans examiner; de sorte qu'il n'y eut jamais de temps où l'on fût moins exposé à la tentation de l'orgueil, en s'élevant au-dessus de toute autorité vivante et parlante, puisque celle de Jésus-Christ, la plus vivante et la plus parlante, aussi bien que la plus grande et la plus infaillible qui fût jamais, était alors sur la terre, et qu'on ne s'élevait

 

1 Joan., XI, 42.

 

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au-dessus de la Synagogue qu'en se soumettant à Jésus-Christ, dont les miracles, comme il dit lui-même, « ôtaient toute excuse » à ceux qui ne croyaient pas en lui (1) : ce que l'assemblée qui le condamna reconnut si bien, que refusant obstinément de croire en Jésus-Christ, elle ne trouva ni d'autre réponse à ses miracles, ni d'autres moyens de lui résister que de s'en défaire (2), et de se défaire avec lui de Lazare même (3), pour étouffer, si elle eût pu par un même coup, avec les miracles qu'elle avait vus, la mémoire de celui qui les avait faits.

Il ne faut donc plus ici éblouir le monde par de frivoles réponses, ni faire perdre aux lecteurs la suite d'un raisonnement en introduisant des questions inutiles. Je veux dire qu'il ne sert de rien d'émouvoir ici la question des signes trompeurs, ni de répondre que la Synagogue doutait de la vérité des miracles de Jésus-Christ. Il s'agit uniquement de savoir si ce doute n'était pas l'effet d'une malice évidente, et enfin s'il n'est pas certain parmi les chrétiens qu'il y avait dans les miracles de Jésus-Christ une si pleine démonstration de la puissance divine, et une si claire confirmation de la mission de Jésus-Christ, que tout esprit raisonnable fût obligé de céder sans examiner davantage ; en sorte qu'il y eût alors une autorité vivante et parlante, à laquelle il n'y eût rien à opposer qu'une malice grossière et une manifeste obstination. Voilà de quoi il s'agit; et si après cette explication de la question on croit se sauver encore, en disant avec M. Claude que « l'autorité de Jésus-Christ n'était pas reçue, » il faut aller plus loin, et dire à Jésus-Christ même avec les Juifs : « Vous vous rendez témoignage à vous-même; votre témoignage n'est pas recevable (4). » Alors nous répondrons avec Jésus-Christ : « Quoique je me rende témoignage à moi-même, mon témoignage est véritable. » Et encore : « Je ne suis pas seul, mais mon Père qui m'a envoyé rend aussi témoignage de moi (5). » Et encore : « Les miracles que mon Père m'a donné de faire, ces miracles rendent témoignage que mon Père m'a envoyé (6). » Et enfin : « Leur péché n’a plus d'excuse : si je n'avais pas fait au milieu d'eux des

 

1 Joan., XV, 22-24. — 2 Joan., XI, 47, 53. — 3 Joan., XII, 10. — 4 Joan., VIII. 13. — 5 Joan., VIII, 14, 16. — 6 Joan., V, 36.

 

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miracles que nul autre n'a faits, ils n'auraient point de péché; et maintenant ils les ont vus, et ils haïssent et moi et mon Père (1). » C'est-à-dire que les miracles sont clairs, que l'autorité est incontestable, et que la résistance ne peut plus avoir de fondement qu'une haine aveugle.

J'attends qu'on réponde encore que Jésus-Christ ajoute après tout cela: « Sondez les Ecritures, elles-mêmes rendent aussi témoignage de moi (2); » et qu'on ose conclure de là qu'on pouvait et qu'on devait examiner après Jésus-Christ : en sorte que cette parole qu'il a prononcée nous démontre, non pas dans les Ecritures une surabondance de conviction, mais dans la personne de Jésus-Christ une insuffisance d'autorité. Si on fait encore cette objection, il n'y aura plus qu'à se taire, et à laisser Jésus-Christ défendre sa cause.

En attendant, nous conclurons que c'est l'autorité même de Jésus-Christ que nous révérons dans son Eglise. Si nous disons qu'il faut croire l'Eglise sans examiner, c'est à cause que Jésus-Christ, qui l'enseigne et qui la conduit, est au-dessus de tout examen. Nous ne laisserons pas, en imitant Jésus-Christ, de dire encore pour comble de conviction à tous les ennemis de l'Eglise : « Sondez les Ecritures : » nous les confondrons par cette Ecriture à laquelle ils disent qu'ils croient, et nous les verrons succomber encore dans cet examen ; mais ce sera après les avoir forcés à reconnaître qu'il se faut soumettre, sans examiner, à l'autorité de l'Eglise, dans laquelle cet Esprit que Jésus-Christ a envoyé pour tenir sa place, parle toujours.

Il n'y a donc rien de moins à propos que l'exemple de la Synagogue : et nos prétendus réformés destitués de cet exemple qui faisait leur fort, demeurent seuls à se croire, chacun en particulier, capables de mieux entendre l'Ecriture sainte que tout ce qui a dans l'univers l'autorité de l'interpréter et de juger de la doctrine, et que tout ce qui leur paraît de fidèles dans le monde : ce qui est l'erreur précise des indépendants, ou quelque chose de pis.

On dira que ce particulier qui examine après l'Eglise, sera toujours bien assuré de n'être pas seul de son sentiment, puisque

 

1 Joan., XV, 22, 24. — 2 Joan.,V, 39.

 

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toujours il restera quelque élu caché qui pensera comme lui : comme si sans réfuter cette vision, ce n'était pas un orgueil assez détestable de se mettre seul au-dessus de tout ce qu'on voit et de tout ce qu'on entend parler dans tout le reste de l'Eglise. On dira encore : Ce n'est point orgueil de se croire éclairé par le Saint-Esprit. Mais au contraire, c'est le comble de l'orgueil que des particuliers osent croire que le Saint-Esprit les instruise, et abandonne à l'erreur tout ce qui paraît de fidèles dans le reste de l'Eglise. Et il ne sert de rien de répondre, comme fait M. Claude dans sa Relation, « que l'Esprit souffle où il veut (1) : » car il faudrait montrer que cet Esprit, qui se repose sur les humbles, ne laisse pas de souffler sur ceux qui se croient eux seuls plus capables d'entendre l'Ecriture sainte que tout le reste de l'Eglise, puisqu'ils examinent après elle; et non-seulement de souffler sur eux, mais encore de leur inspirer lui-même cette superbe pensée. Mais enfin, quoi qu'il en soit, et sans disputer davantage, puisque ce n'en est pas ici le lieu, nous avons montré que c'est un dogme avoué dans la nouvelle Réforme, que tout particulier doit examiner après l'Eglise, et par conséquent doit croire qu'il se peut faire qu'il entende mieux l'Ecriture qu'elle et toutes ses assemblées. Ceux à qui cette présomption fait horreur, ou qui en s'examinant ne trouvent point en eux-mêmes cette fausse capacité, n'ont qu'à chercher leur salut dans une autre église que dans celle où l'on professe un dogme si prodigieux.

 

IIIe Réflexion, sur une autre proposition avouée par M. Claude dans la Conférence : explication de la manière d'instruire les chrétiens, et que l'autorité infaillible de l'Eglise est nécessaire pour reconnaître et entendre l'Ecriture.

 

La seconde absurdité que j'ai promis défaire avouer à M. Claude et à tout bon protestant, c'est qu'à moins de reconnaître dans l'Eglise une autorité après laquelle il ne faille plus examiner ni douter, on est forcé à mettre un point où le fidèle en âge de raison ne puisse pas faire un acte de foi sur l'Ecriture, et où par conséquent il faille douter si elle est véritable ou fausse. J'ai assigné

 

1 Joan., III, 8.

 

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pour ce point de doute tout le temps où un chrétien , par quelque cause que ce soit, n'a pas lu l'Ecriture sainte. M. Claude se récrie ici contre une si détestable proposition ; et moi je persiste à dire, non-seulement qu'il l'a avouée dans la Conférence, mais même qu'en quelque manière qu'il ait ici tâché de tourner les choses, il n'a pu si bien faire qu'il ne l'avouât encore dans sa Relation.

A la vérité, c'est ici un des endroits où je reconnais le moins nos véritables discours. Mais il y en a encore assez pour le convaincre, puisque si cette Relation devient publique, tout le monde verra qu'il y reconnaît en termes formels, « que celui qui n'a pas lu encore l'Ecriture sainte la croit parole de Dieu de foi humaine, parce que son père le lui a dit, ce qui est un état de catéchumène; et que lorsqu'il a lu lui-même ce Livre, et qu'il en a senti l'efficace, il la croit parole de Dieu, non plus de foi humaine, parce que son père le lui a dit, mais de foi divine, parce qu'il en a senti lui-même immédiatement la divinité, et c'est là l'état de fidèle. »

Il est donc vrai qu'il a reconnu ce temps que j'entreprends de faire voir, où un chrétien baptisé n'est pas en état de faire un acte de foi surnaturelle et divine sur l'Ecriture sainte , puisqu'il ne la croit parole de Dieu que de foi humaine, et que la foi divine ne peut venir qu'après la lecture.

De quelque manière qu'il tourne cette foi humaine, c'est une proposition qui fait horreur, qu'un chrétien baptisé et en âge de raison ne puisse pas faire sur l'Ecriture un acte de cette foi par laquelle nous sommes chrétiens. Car de là il s'ensuit que le chrétien qui va lire la première fois l'Ecriture sainte ne doit, ni se porter de lui-même, ni être induit par personne à dire en l'ouvrant : et Je crois, comme je crois que Dieu est, que l'Ecriture que je m'en vas lire est sa parole. » Il faut au contraire lui faire dire : « Je m'en vas examiner si dorénavant et dans le reste de ma vie je dois lire cette Ecriture avec une telle foi. » C'est renverser tout l'ordre de l'instruction ; c'est perdre le fruit du baptême ; c'est réduire les chrétiens à instruire leurs enfants baptisés comme s'ils ne l'étaient pas, et qu'ils eussent encore à délibérer de quelle religion ils doivent être.

 

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Et ce que dit M. Claude sur l'Ecriture, il faut qu'il le dise sur la foi de la Trinité, sur celle de l'incarnation, sur celle de la mission de Jésus-Christ et de la rédemption du genre humain. Car ce qui force M. Claude et tout protestant à dire que le fidèle qui n'a pas lu l'Ecriture sainte ne peut croire que de foi humaine qu'elle soit inspirée de Dieu, c'est qu'autrement il faudrait reconnaître un acte de foi divine sur la seule autorité de l'Eglise : ce qui serait reconnaître cette autorité comme infaillible, et renverser par les fondements toute la nouvelle Réforme. Mais le même argument revient sur tous les articles de notre foi ; et si le fidèle peut croire d'une foi divine et la Trinité et l'incarnation et la mission de Jésus-Christ, sur la seule autorité de l'Eglise et avant que d'avoir lu l'Ecriture sainte, je conclurai toujours avec une pareille certitude que l'autorité de l'Eglise sera infaillible. Il faut donc par la conséquence du principe de M. Claude et de tous les protestants, il faut, dis-je, en réduisant les chrétiens qui vont lire l'Ecriture sainte à une simple foi humaine sur cette Ecriture, les y réduire tout d'un coup sur les points les plus essentiels de notre croyance.

Ce n'est pas là la méthode de nos pères ; ce n'est pas ainsi qu'ils ont appris aux chrétiens à instruire leurs enfants. Quand ils les ont baptisés dans leur bas âge, on a dit en leur nom : Credo, « Je crois. » N'importe que nos réformés aient changé cette formule ; elle est de la première antiquité, et sera toujours sainte et vénérable malgré eux. Mais cette formule dont on use envers les enfants, nous fait voir que lorsqu'ils auront l'usage de la raison, il faudra d'abord leur apprendre à faire un acte de foi, et ne point perdre de temps à les y exciter. Ils en seront donc capables : ils pourront dire le même Credo qu'ils auraient dit si on les avait baptisés en âge de connaissance ; et les réduire à une foi simplement humaine, c'est leur ôter la grâce de leur baptême, et justifier la pratique aussi bien que la doctrine des anabaptistes.

Et je conjure Messieurs de la religion prétendue réformée de ne croire pas que je leur allègue ici les anabaptistes par une manière d'exagération, ou pour les rendre odieux : ces manières ne sont pas dignes de chrétiens. Je soutiens au pied de la lettre que la doctrine qu'enseigne ici M. Claude, et que tous les protestants doivent

 

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enseigner avec lui, introduit l'anabaptisme. Car s'il faut tenir en suspens les actes de foi divine jusqu'à ce qu'on ait lu l'Ecriture sainte et qu'on soit instruit par soi-même; si tous les actes qui précèdent cette instruction ne sont pas des actes de chrétien, puisqu'ils n'ont pour fondement qu'une foi humaine : il faut par la même raison différer le baptême jusqu'à ce temps, et ne pas faire des chrétiens qui dans l'âge de raison soient incapables de produire des actes de leur religion.

 

IVe Réflexion sur ce que M. Claude nous fait sur l'Eglise la même difficulté que nous lui faisons sur l'Ecriture.

 

C'est en vain que M. Claude nous répond qu'il nous fera pour l'Eglise le même argument que nous lui faisons pour l'Ecriture ; car il faudrait pour cela, que comme nous lui montrons un certain point, qui même dans l'usage de la raison précède nécessairement la lecture de l'Ecriture, il pût aussi nous en montrer un qui précédât les enseignements de l'Eglise : mais c'est ce qu'il ne trouvera jamais. Quoi qu'il fasse, nous lui marquerons toujours avant la lecture de l'Ecriture un certain point, qui est celui où l'Eglise nous la met en main : mais avant l'Eglise il n'y a rien ; elle prévient tous nos doutes par ses instructions.

C'est une erreur de s'imaginer qu'il faille toujours examiner avant que de croire. Le bonheur de ceux qui naissent pour ainsi dire dans le sein de la vraie Eglise, c'est que Dieu lui ait donné une telle autorité , qu'on croit d'abord ce qu'elle propose, et que la foi précède ou plutôt exclut l'examen.

De demander maintenant par quel motif Dieu nous fait sentir l'autorité de son Eglise, c'est sortir visiblement de la question. Il ne manque pas de motifs pour attacher ses enfants à son Eglise , à laquelle il a donné des caractères si particuliers et si éclatants. Cela même, qu'elle est la seule de toutes les sociétés qui sont au monde, à laquelle nul ne peut montrer son commencement ni aucune interruption de son état visible et extérieur par aucun fait avéré, pendant qu'elle le montre à toutes les autres sociétés qui l'environnent par des faits qu'elles-mêmes ne peuvent nier: cela même est un caractère sensible, qui donne une inviolable autorité

 

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à la vraie Eglise. Dieu ne manque pas de motifs pour faire sentir à ses enfants ce caractère si particulier de son Eglise. Mais quels que soient ces motifs, et sans vouloir ici les étaler parce que ce n'en est pas le lieu, il est certain qu'il y en a, puisqu'enfin il faut pouvoir croire sur la parole de l'Eglise avant que d'avoir lu l'Ecriture sainte , et que dans la première instruction que nous recevons, sans nous parler de l'Ecriture, on nous apprend à dire comme un acte fondamental de notre foi : «Je crois l'Eglise catholique. »

M. Claude nous dit que pour autoriser la méthode par laquelle nous prétendons mettre la foi de l'Eglise comme le fondement de tout le reste, il faudrait dans le Symbole avoir commencé par dire : « Je crois l'Eglise, » au lieu qu'on y commence par dire : « Je crois en Dieu le Père, et en Jésus-Christ, et au Saint-Esprit. » Et il ne songe pas que c'est l'Eglise elle-même qui nous apprend tout le Symbole, c'est sur sa parole que nous disons : « Je crois en Dieu le Père, et en Jésus-Christ son Fils unique, » et le reste ; ce que nous ne pouvons dire avec une ferme foi, sans que Dieu nous mette en même temps dans le cœur que l'Eglise qui nous l'enseigne ne nous trompe pas. Après donc que nous avons dit sur sa parole : « Je crois au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit, » et que nous avons commencé notre profession de foi par les Personnes divines que leur majesté met au-dessus de tout, nous y ajoutons une sainte réflexion sur l'Eglise qui nous propose cette créance , et nous disons : « Je crois l'Eglise catholique. » A quoi nous joignons aussitôt après toutes les grâces que nous recevons par son ministère, « la communion des saints , la rémission des péchés, la bienheureuse résurrection, et enfin la vie éternelle. »

 

Ve Réflexion sur ce que M. Claude nous allègue ici l'église grecque et les autres semblables : que c'est vouloir embrouiller la matière, et non pas résoudre la difficulté.

 

C'est vouloir embrouiller les choses que de nous alléguer ici avec M. Claude l'église grecque, l'arménienne, l'égyptienne, ou l'éthiopique et celle des Cophtes, et tant d'autres qui ne se vantent pas moins d'être l'Eglise véritable que fait l'Eglise romaine. Ceux, dit-on, qui sont élevés dans ces églises en révèrent l'autorité :

 

 

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chacune de ces églises a des sectateurs aussi zélés que la nôtre. Le zèle véritable et pur n'a point de marque sensible : chacun attribue le sien , comme nous faisons, à la grâce du Saint-Esprit ; et se reposant sur l'autorité de l'Eglise où il se trouve , il dit que le Saint-Esprit se sert de cette autorité pour le conduire à la foi de l'Ecriture et à toutes les vérités du christianisme.

C'est à peu près l'objection de M. Claude ; et c'est ainsi quelquefois que lorsqu'on ne peut se débarrasser, on croit se sauver en tâchant de jeter les autres dans un embarras semblable au sien. Mais il ne gagnera rien par cette adresse, car enfin pour quelle cause prétend-il combattre ? Est-ce pour l'indifférence des religions ? Veut-il dire avec les impies, qu'il n'y a pas une Eglise véritable où l'on agisse en effet par des mouvements divins ? Et sous prétexte que le démon, ou si l'on veut la nature, savent imiter, ou pour mieux dire contrefaire ces mouvements, soutiendra-t-il que ces mouvements sont partout imaginaires? A Dieu ne plaise : nous voulons tous deux éviter cet écueil. Il avouera donc avec moi qu'il y a une vraie Eglise, quelle qu'elle soit, où le Saint-Esprit agit, encore qu'à ne regarder que le dehors, on ne puisse pas toujours si aisément discerner qui sont ceux où il habite. Jusqu'ici nous sommes d'accord ; voyons jusqu'où nous pourrons marcher ensemble. Nous convenons qu'il y a une vraie Eglise où le Saint-Esprit agit : nous convenons qu'il se sert de moyens extérieurs pour nous mettre la vérité dans le cœur : nous convenons qu'il se sert de l'Eglise et de l'Ecriture. Notre question est de savoir par où il commence, si c'est par l'Ecriture ou par l'Eglise; si c'est, dis-je, par l'Ecriture qu'il nous fait croire à l'Eglise , ou si c'est plutôt par l'Eglise qu'il nous fait croire à l'Ecriture. Je dis que c'est par l'Eglise que le Saint-Esprit commence ; et il faut bien qu'il soit ainsi, puisque constamment c'est l'Eglise qui nous met en main l'Ecriture. M. Claude néanmoins me quitte ici, et commence à marcher tout seul : mais il tombe dès le premier pas dans le précipice. Car la peur qu'il a de reconnaître dans la vraie Eglise une infaillible autorité, et de croire que sur la parole de l'Eglise, même véritable, on puisse faire un acte de foi divine et surnaturelle sur la vérité de l'Ecriture, l'oblige à dire qu'il n'est pas

 

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possible de commencer la lecture de l'Ecriture sainte par un tel acte de foi, et que tout acte de foi qui précède cette lecture est un acte de foi humaine. Voilà l'état déplorable où il met le chrétien qui va lire l'Ecriture sainte pour la première fois. M. Claude ne peut sortir de cet abîme sans revenir à l'endroit où il a commencé de me quitter, et dire ensuite avec moi qu'il y a une vraie Eglise, quelle qu'elle soit, dont le Saint-Esprit inspire d'abord la vénération aux vrais fidèles; que par cette vénération qu'il leur met d'abord dans le cœur, il les attache à l'Ecriture que cette Eglise leur présente ; que cette Eglise exige aussi de tous ceux qu'elle peut instruire , qu'ils adorent sur sa parole l'infaillible vérité de cette Ecriture, et ne reconnaît pas pour ses enfants ceux qui n'ont pour cette Ecriture qu'une foi humaine.

Mais, dit-on, l'Eglise romaine n'est pas la seule à s'attribuer cette autorité : l'église grecque et d'autres églises veulent aussi qu'on les en croie sur leur parole, et enseignent que c'est le moyen de lire l'Ecriture sainte avec une soumission de foi divine. Hé bien, s'il est ainsi, il ne reste plus qu'à choisir entre ses églises. Mais dès là et du premier coup l'église calvinienne est tombée : elle se dégrade elle-même pour ainsi parler du titre d'Eglise, puisqu'elle ne se sent pas assez d'autorité pour faire faire à tous ceux qu'elle commence à instruire un acte de chrétien et un acte de foi divine, pas même sur la vérité de l'Ecriture, d'où on suppose qu'elle doit apprendre toutes les autres.

Mais M. Claude demande comment on choisira entre ces églises; Sera-ce par enthousiasme ? Ce serait par enthousiasme , comme je l'ai remarqué dans la Conférence, si l'Eglise véritable n'avait pas ses caractères particuliers qui la distinguent des autres. Elle a sans aller plus loin ni approfondir davantage, sa succession où personne ne lui montrera par aucun fait positif aucune interruption, aucune innovation, aucun changement. C'est de quoi nulle fausse église ne se glorifiera jamais aussi clairement que la véritable , parce que s'en glorifiant elle se condamnerait visiblement elle-même. Il y aura donc toujours dans l'instruction que l'Eglise véritable donnera à ses enfants sur son état, quelque chose que nulle autre secte ne pourra ni n'osera dire. C'est par là que nous

 

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convaincrions, s'il en était question, les Grecs, les Ethiopiens, les Arméniens et les autres sectes qui semblent à cet égard plus décevantes à cause de l'apparence de succession qu'elles montrent, qui aussi leur donne lieu de s'attribuer avec un peu plus de fondement l'autorité de l'Eglise. Mais pour l'église calvinienne, c'est fait d'abord, puisqu'elle n'a pas même une succession apparente et colorée, et qu'elle n'ose elle-même, comme nous venons de le voir par l'aveu de M. Claude, s'attribuer cette autorité, sans laquelle il ne peut y avoir ni d'instruction certaine , ni de fondement assuré d'une foi divine, ni enfin d'église.

Ce serait donc bien en vain que nous perdrions ici le temps à disputer aux Egyptiens et aux Grecs la succession dont ils se vantent. Ce ne serait pas un grand travail de leur marquer le point manifeste de leur innovation. Les prétendus réformés le savent aussi bien que nous, et eux-mêmes quand ils veulent ils le leur montrent. Ainsi quand ils nous pressent de le faire , ce n'est pas qu'ils croient nous engager à une chose impossible, ou même obscure et difficile : mais c'est en un mot que dans une cause si mauvaise c'est toujours gagner quelque chose que de se jeter à l'écart, et faire perdre la suite d'un raisonnement.

Ainsi j'ai eu raison de dire à mademoiselle de Duras dans une des instructions de ce livre, que si quelqu'un dégoûté de l'église calvinienne, était tenté d'embrasser la religion des Cophtes ou celle des Grecs, il serait temps alors de leur montrer dans ces églises ce point inévitable de leur nouveauté, qu'elles ne peuvent nier non plus que les autres sectes : mais que comme les calvinistes, à qui nous avons à faire, en convenaient, et que personne ne songeait à les quitter que pour venir à nous : quand nous obligions à les quitter, en montrant, de l'aveu de leur ministre, les énormes absurdités de leur doctrine , l'ouvrage était consommé, et tout le reste en cette occasion était inutile.

Et afin qu'on entende bien la méthode de la Conférence et l'état de la question qui y est traitée, il ne s'y agissait pas directement d'établir l'Eglise romaine, mais de montrer seulement qu'il y a une vraie Eglise, quelle qu'elle soit, à laquelle il faut se soumettre sans examiner : et au reste que celte Eglise ne peut pas

 

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être la calvinienne, puisqu'elle-même veut qu'on examine après elle ; ce qui lui fait avouer les absurdités que nous avons remarquées, et perdre par cet aveu le titre d'Eglise.

Cela fait, il ne s'agit plus de prêcher l'Eglise romaine , c'est-à-dire ce corps d'Eglise dont Rome est le chef, puisqu'à celui qui veut choisir entre deux églises, en exclure l'une, c'est établir l'autre , sans qu'il soit besoin pour cela de disputer davantage. Outre que l'Eglise romaine porte si évidemment ces beaux caractères de la vraie Eglise, qu'il n'y a guère d'homme de bon sens, même parmi nos réformés, qui ne convienne que , s'il y a au monde une autorité à laquelle il faille céder, c'est celle de cette Eglise.

Mais en tout cas, quand on voit les absurdités qu'on est forcé d'avouer dans le calvinisme faute d'avoir reconnu dans l'autorité de l'Eglise les véritables principes de l'instruction chrétienne, on se retire bientôt d'une église dont la méthode et l'instruction est si manifestement défectueuse ; et on est assez sollicité par le reste de christianisme, qu'on sent en son fond, à retourner à l'Eglise d'où on est sorti.

 

VIe Réflexion sur ce que M. Claude réduit, autant qu'il peut, cette dispute à l'instruction des enfants.

 

On voit dans les discours de M. Claude, que pressé par ce défaut d'autorité qui ruine toute l'instruction dans son église, il affecte de réduire notre dispute à l'instruction des enfants, et qu'il croit trouver quelque avantage à faire dépendre cette instruction des parents et des nourrices que l'on connaît plus dans cet âge que l'Église et ses ministres. Par ce moyen il croit nous cacher l'autorité de l'Eglise dans les premiers exercices et les premiers actes que nous faisons de la foi avant que d'avoir lu l'Ecriture sainte. Mais il fallait songer premièrement, que l'argument que je lui faisais ne regardait pas seulement les enfants : les enfants ne sont pas les seuls chrétiens qui n'ont pas lu l'Ecriture. M. Claude n'ignore pas qu'il n'y ait eu au commencement du christianisme, non pas des hommes particuliers, mais des nations entières, qui au rapport de saint Irénée, n'avaient point l'Ecriture sainte, et

 

 

 

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sans la lire ne laissaient pas d'être de parfaits chrétiens (1). Il s'agit donc entre nous, en général, de tous ceux qui n'ont pas lu l'Ecriture sainte, en quelque âge qu'ils soient, et de quelque manière qu'il soit arrivé qu'ils n'auront pas fait cette lecture. Car c'est de ceux-là et, si l'on veut, c'est de ceux dont parle saint Irénée ou de leurs semblables, que je demande sur la foi de qui ils croient l'Ecriture , et se préparent à la lire comme étant inspirée de Dieu. S'ils n’ont qu'une foi humaine, comme le dit M. Claude, ils ne sont pas chrétiens; et s'ils ont une foi divine, comme il le faut avouer à moins que de tomber dans une absurdité qui fait horreur, il est donc vrai que la foi divine, sans qu'on ait lu l'Ecriture , suit immédiatement la doctrine de l'Eglise, et en établit l'infaillible autorité. C'est sur cette autorité que tout chrétien qui prend en main l'Ecriture, commence par croire d'une ferme foi que tout ce qu'il y va lire est divin : et il n'attend pas qu'il ait tout lu pour croire la vérité de cette Ecriture; il croit le premier chapitre avant que d'avoir lu le second, et il croit le tout avant que d'avoir vu la première lettre, et que d'avoir seulement ouvert le livre. Il ne forme donc pas sa foi par la lecture de l'Ecriture : cette lecture trouve la foi déjà formée ; cette lecture ne fait que confirmer à un chrétien tout ce qu'il croyait déjà, et tout ce qu'il avait déjà trouvé dans la créance de l'Eglise. Il a donc cru avant toutes choses que l'Eglise ne le trompait pas, et c'est par là qu'il a commencé à faire des actes de chrétien. Les enfants ne sont pas instruits par une autre voie. Quand ils écoutent leurs parents, c'est l'Eglise qu'ils écoutent, puisque nos parents ne sont nos premiers docteurs que comme enfants de l'Eglise. C'est pour cela que Je Saint-Esprit nous renvoie à eux : « Interrogez votre père, et il vous l'annoncera; demandez à vos ancêtres, et ils vous le diront (2). » Saint Basile , un si grand théologien, se justifie et tout ensemble il confond les hérétiques, en leur alléguant la foi de sa mère et de son aïeule sainte Macrine (3); et il imite saint Paul, qui loue Timothée d'avoir «une foi sincère, telle qu'elle s'était trouvée, premièrement dans sa mère Eunice et dans Loïde son aïeule (4). »

 

1 Iren., lib. III, cap. IV, p. 178.— 2 Deuter., XXXII, 7. — 3 Epist. LXXIX, nunc CCXXIII. — 4 II Timoth., I, 5.

 

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C'est-à-dire que la doctrine doit toujours venir de main en main, et qu'il y aura toujours une vraie Eglise, à laquelle jamais personne ne pourra montrer son commencement, ni trouver dans son état ces marques d'interruption et de nouveauté que toutes les autres sectes portent sur leur front. Les parents chrétiens attachés à cette Eglise, y attachent leurs enfants, et les mettent aux pieds de ses ministres pour y être instruits.

Il ne faut pas s'imaginer que les enfants en qui la raison commence à paraître, pour ne savoir pas arranger leurs raisonnements, soient incapables de ressentir l'impression de la vérité. On les voit apprendre à parler dans un âge plus infirme encore : de quelle sorte ils l'apprennent, par où ils font le discernement entre le nom et le verbe, le substantif et l'adjectif, ni ils ne le savent, ni nous, qui avons appris par cette méthode, ne le pouvons bien expliquer ; tant elle est profonde et cachée. Nous apprenons à peu près de même le langage de l'Eglise. Une secrète lumière nous conduit dans un état comme dans l'autre ; là c'est la raison, et ici la foi. La raison se développe peu à peu, et la foi infuse par le baptême en fait de même. Il faut des motifs pour nous attacher à l'autorité de l'Eglise ; Dieu les sait, et nous les savons en général : de quelle sorte il les arrange, et comment il les fait sentir à ces âmes innocentes, c'est le secret de son Saint-Esprit. Tant y a que cela se fait, et il est certain que c'est par là qu'il commence. Comme c'est là le premier acte de chrétien que nous faisons, et que c'est sur ce fondement que tout est bâti, c'est aussi ce qui subsiste toujours. Viendra le temps que nous saurons plus distinctement pourquoi nous croyons; et l'autorité de l'Eglise de jour en jour deviendra plus ferme dans notre esprit. L'Ecriture même fortifiera les liens qui nous y attachent : mais il en faudra toujours revenir à l'origine, c'est-à-dire à croire sur l'autorité de l'Eglise. En quelque âge que l'on soit, c'est par là que l'on commence à croire l'Ecriture : on continue aussi sur le même fondement; et saint Augustin était déjà consommé dans la science ecclésiastique, quand il a dit a qu'il ne croirait pas à l'Evangile , si l'autorité de l'Eglise catholique ne l'y obligeait (1). » Je pourrais

 

1 Cant. Ep. fundam. Man., n. 6,

 

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s'il en était question, montrer le même sentiment dans les autres Pères. C'est qu'il faut toujours remonter au premier principe, et c'est ce premier principe qui nous attache à l'Eglise. Qu'on ne nous reproche point ce cercle vicieux : l'Eglise nous fait croire l'Ecriture, l'Ecriture nous fait croire l'Eglise. Cela est vrai de part et d'autre à divers égards. L'Eglise et l'Ecriture sont tellement faites l'une pour l'autre, et s'assortissent l'une avec l'autre si parfaitement , qu'elles s'entre-soutiennent comme les pierres d'une voûte et d'un édifice se tiennent mutuellement en état. Tout est plein dans la nature de pareils exemples. Je porte le bâton sur lequel je m'appuie : les chairs lient et couvrent les os qui les soutiennent ; et tout s'aide mutuellement dans l'univers. Il en est ainsi de l'Eglise et de l'Ecriture. Il n'y avait qu'une Eglise, telle que Jésus-Christ l'a fondée , à qui on pût adresser une Ecriture telle que nous l'avons ; c'est-à-dire qui osât promettre à l'Eglise où cette Ecriture avait été faite, une éternelle durée. Si quelqu'un reçoit l'Ecriture, par l'Ecriture je lui prouverai l'Eglise; qu'il reconnaisse l'Eglise, par l’Eglise je lui prouverai l'Ecriture : mais comme il faut commencer de quelque côté, j'ai fait voir assez clairement par l'aveu de M. Claude, que si on ne commence par l'Eglise, la divinité de l'Ecriture et la foi qu'on y doit avoir est en péril. C'est pourquoi le Saint-Esprit commence notre instruction par nous attacher à l'Eglise : «Je crois l'Eglise catholique. » Parmi nos adversaires il faut tout examiner avant que de croire ; et il faut examiner avant toutes choses l'Ecriture, par laquelle on examine tout le reste. Ce n'est pas assez d'en avoir lu quelques versets détachés, quelques chapitres, quelques livres : jusqu'à ce qu'on ait tout lu, tout conféré, tout examiné, la foi demeure en suspens, puisque c'est par cet examen qu'elle se forme. Parmi les vrais chrétiens on croit d'abord : « Ta foi t'a sauvé, » dit Jésus-Christ. « Ta foi, » remarque Tertullien dans ce divin ouvrage des Prescriptions, « et non pas d'être exercé dans les Ecritures (1). » Il n'est pas besoin de passer par des opinions, par des doutes, par les incertitudes d'une foi humaine. «Je n'ai jamais changé, dit saint Basile : ce que j'ai cru dès l'enfance n'a fait que se fortifier dans la

 

1 Tertull., De Prœs., n. 14.

 

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suite de l'âge. Sans passer d'un sentiment à un autre, je n'ai fait que perfectionner ce qui m'a été donné d'abord par mes parents. Comme un grain qu'on sème de petit qu'il était devient grand, mais demeure toujours le même en soi, et sans changer de nature, il ne fait que prendre de l'accroissement : ainsi ma foi s'est accrue et cela n'est pas un changement où l'on passe de ce qui est pis au meilleur, mais un accomplissement de l'ouvrage déjà commencé, et la confirmation de la foi par la connaissance (1).» De cette sorte on ne passe pas, comme parmi nos réformés, d'un état de doute à un état de certitude; ou, comme M. Claude aime mieux le dire, d'une foi humaine à une foi divine. La foi divine se déclare d'abord dès les premières instructions de l'Eglise; et cela ne serait jamais, n'était que son infaillible autorité prévient tous nos doutes et tout examen.

C'est ainsi, comme dit saint Augustin, c'est ainsi, dis-je, que croient « ceux qui, ne pouvant parvenir à l'intelligence, mettent leur salut en sûreté par la simplicité de leur foi (2). » S'il fallait toujours examiner avant que de croire, il faudrait commencer par examiner si Dieu est, et écouter durant quelque temps avec une espèce de suspension d'esprit, les raisonneniens des impies, c'est-à-dire qu'il faudrait passer à la croyance de la Divinité par l'athéisme, puisque l'examen et le doute en est une espèce. Mais non : Dieu a mis sa marque dans le monde, qui est l'œuvre de ses mains, et par cette marque divine il imprime avant tous les doutes le sentiment de la Divinité dans les âmes. De même il a mis sa marque dans son Eglise, ouvrage le plus parfait de sa sagesse. A cette marque le Saint-Esprit fait reconnaître la vraie Eglise aux enfants de Dieu; et ce caractère si particulier qui la distingue de toute autre assemblée lui donne une si grande autorité, qu'avant tous les cloutes et toutes les opinions, on admet sans hésiter sur sa parole, non-seulement l'Ecriture sainte, mais encore toute la saine doctrine. C'est ainsi que sont instruits les enfants de la vraie Eglise : ceux qui ont été élevés dans une église étrangère, dès qu'ils sentent qu'elle vacille en quelque partie que ce soit de son instruction, doivent tendre les bras à

 

1 Ep. LXXII, vid. sup.— 2 Cont. Ep. Man., n. 5, col. 153.

 

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l'Eglise, qui a raison de ne vaciller jamais, parce qu'elle n'a jamais ni varié, ni vacillé; et ils sentent qu'il y faut rentrer, parce qu'il n'en fallait jamais sortir.

 

VIIe Réflexion sur ce que M. Claude a dit, dans sa Relation, que j'avais paru embarrassé en cet endroit de la dispute.

 

On peut juger maintenant si j'ai dù être embarrassé de la promesse que j'avais faite à mademoiselle de Duras de fajre reconnaître à M. Claude un moment, où par les principes de sa religion un chrétien n'avait qu'une foi humaine sur la vérité de l'Ecriture. Comment pourrais-je être embarrassé d'une chose que M. Claude avoua dans la Conférence, et qu'il avoue encore dans sa Relation, quoiqu'il ait affaibli et ma preuve et son aveu? Il est vrai qu'il ne veut pas lâcher le mot de doute : mais je n'ai pas prétendu faire former à sa langue ces deux syllabes; l'équivalent me suffit. C'est un assez grand excès de réduire le chrétien qui va lire l'Ecriture sainte, à être incapable d'une foi divine : se contenter en cet état d'une foi humaine, c'est toujours trop évidemment renoncer au christianisme. J'ai donc manifestement ce que je voulais, de l'aveu de M. Claude. Que s'il dit que la foi humaine qu'il nous vante ici exclut le doute, et ressemble à celle qui nous fait croire qu'il y a une ville de Constantinople, ou qu'il y a eu autrefois un Alexandre, quoique nous ne le sachions que par des hommes : à la vérité, ce n'est pas assez pour un chrétien qui doit agir par le motif d'une foi divine ; mais c'en est toujours assez pour confondre M. Claude, puisque selon cette réponse, l'Eglise aurait toujours une autorité égale à celle qu'a pour ainsi dire tout le genre humain, quand il dépose unanimement d'un fait sensible. Ainsi de quelque- manière que M. Claude nous explique sa foi humaine, la victoire de la vérité que je soutenais, demeurera assurée de son aveu, puisque s'il dit que sa foi humaine exclut tout doute, il y suppose une vérité infaillible; et s'il dit qu'elle laisse un doute, il aura enfin proféré ces fatales syllabes qu'il évitait. Dans une cause si assurée, si j'ai tremblé pour autre chose que pour le péril de ceux à qui je craignais de ne pouvoir, ou par ma faiblesse, ou par leur

 

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préoccupation, faire entrer la vérité assez avant dans le cœur, j'ai mal entendu la vérité que je défendais. Cependant, parce que j'ai dit dans le récit de la Conférence qu'à l'endroit où M. Claude m'objecta l'église grecque, et les autres, je tremblai dans l'appréhension qu'une objection proposée avec tant d'adresse et d'éloquence ne mît une âme en péril : M. Claude a pris ce moment pour me faire paraître abattu. « Ici, dit-il, on peut dire avec vérité qu'on vit que l'esprit de M. de Condom n'était pas dans son état ordinaire, et que cette liberté qui lui est si naturelle, diminua sensiblement. » Je veux bien dire à mon tour que mon tremblement, d'où on tire cet avantage, fut intérieur; et j'ai peine à croire que M. Claude eût pu s'en apercevoir, si je ne l'avais raconté moi-même de bonne foi dans mon récit. Mais qu'importe quel ait été ni l'effet ni le sujet de ma crainte? On dira, si l'on veut, que déconcerté par l'objection de M. Claude, j'ai voulu couvrir le désordre où je suis tombé visiblement par le tremblement que je feins d'avoir pour le salut d une âme qui attendait son instruction de mon secours. Je l'avouerai, si l'on veut, ou plutôt pour ne point mentir, je le laisserai passer sans opposition. Je veux bien avoir tremblé devant M. Claude, pourvu que même en tremblant j'aie dit la vérité. Je l'ai dite : il n'y a qu'à voir quelles ont été mes réponses, et si j'en ai moins tiré de la bouche de M. Claude l'aveu que j'en prétendais. Après cela plus j'aurai tremblé et plus j'aurai été faible, et plus il sera assuré que c'est la vérité qui me soutenait.

 

VIIIe Réflexion sur une autre proposition, que M. Claude avoua dans la Conférence, où est exposée la manière dont toutes les fausses églises se sont établies.

 

Il y a un endroit de la Conférence que M. Claude passe en quatre mots. C'est celui où je lui fis voir l'horrible état de son église, qui s'établit à l'exemple de toutes les fausses églises, en se séparant de tout ce qu'il y avait d'églises chrétiennes dans l’univers, et sans trouver aucune église qui pensât comme elle dans le temps qu'elle s'établit : de sorte qu'elle ne tenait par aucune continuité, ni au temps qui précédait, ni à aucune église

 

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chrétienne qui parût alors dans le monde. Ce fait passa pour constant; et quelque court qu'ait été M. Claude dans le récit de cet endroit, il en dit assez pour faire voir qu'en avouant ce fait important, il a tâché seulement de couvrir la honte d'un tel état par l'exemple des apôtres lorsqu'ils se séparèrent de la Synagogue.

Je ne répéterai pas ce que je dis sur ce sujet : on l'a vu dans la Conférence; et M. Claude, qui n'en rapporte qu'un mot, ne m'oblige à aucun nouvel éclaircissement. Mais je dirai seulement qu'il donne une idée bien fausse de cet endroit de la dispute. « La compagnie se leva, dit-il, et la conversation, qui continua encore quelque temps, devint beaucoup plus confuse et il y fut parlé de diverses choses. » Je ne sais pourquoi M. Claude veut que notre conversation ait été confuse : elle ne le fut en aucun endroit, et le fut moins, s'il se peut, dans celui-ci que dans tous les autres. Il est vrai qu'on s'était levé, et qu'une partie des assistants s'étaient retirés ; mais nous demeurâmes de pied ferme M. Claude et moi, l'un devant l'autre. Mademoiselle de Duras parut avoir redoublé son attention, et après tant de principes exposés, la dispute devint plus vive et plus concluante que jamais. Si on parla de diverses choses, ce ne fut pas vaguement et tout tendait au même but. On le peut voir en lisant; et si on ne veut pas m'en croire, quand M. Claude fera paraître sa Relation, on verra que ce peu qu'il dit demande naturellement tout ce que je récite. Tant y a, qu'il fut avéré que les prétendus réformés, en établissant leur église, avaient fait tout le contraire de ce qu'ont toujours fait les orthodoxes, et précisément ce qu'ont fait tous les hérétiques; et M. Claude pressé sur cette matière, ne put dans toute l'histoire du christianisme marquer une seule Eglise vraiment chrétienne fondée comme les églises de la nouvelle Réforme.

On peut juger maintenant quelle apparence il y a que ce qu'ont fait tous les hérétiques contre la pratique de tous les orthodoxes, puisse jamais être autorisé par l'exemple des apôtres lorsqu'ils se séparèrent? de la Synagogue, Mais comme M. Claude met le fort de sa défense dans cet exemple, je le prie d'ajouter aux faits constants que je lui ai allégués sur ce sujet ces courtes réflexions :

 

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qu'encore que Jésus-Christ, autorisé de lui-même, n'eût besoin d'aucune suite pour se faire croire, néanmoins pour nous inculquer combien il est nécessaire à la véritable religion d'avoir une suite toujours manifeste, il a voulu en venant au monde y trouver une Eglise actuellement subsistante dans tout son état : qu'il est né, et qu'il a vécu dans cette Eglise actuellement subsistante, c'est-à-dire dans la Synagogue ; et qu'il a tellement voulu former son Eglise au milieu d'elle, que même les saints apôtres après son ascension et la descente du Saint-Esprit, ont persisté publiquement dans le service du temple, qui était alors la marque la plus authentique de communion : qu'on ne voit pas en effet, quoi qu'on pût ordonner contre eux, qu'ils s'en soient jamais retirés, tant que le temple a subsisté, et que la Synagogue a pu conserver ou sa forme extérieure, ou même quelque apparence de son état ancien: que Dieu, qui voulait enfin que les siens fussent entièrement séparés d'avec les Juifs, avait auparavant éteint dans ce peuple ingrat, par une manifeste réprobation, avec le sacrifice et le sacerdoce, toutes les marques d'église, en sorte qu'il parut que la Synagogue tombait plutôt en ruine avec son temple que les enfants de Dieu ne s'en éloignaient : que loin de laisser alors aucune espérance à ce peuple, comme il avait fait autrefois dans l'ancienne transmigration et à la ruine du premier temple, il avait donné au contraire toutes les marques possibles d'une implacable fureur : qu'afin qu'une telle chute du peuple autrefois élu, et le divorce déclaré à la Synagogue autrefois épouse, ne pût donner le moindre prétexte de soupçonner à l'avenir aucun événement semblable; il avait fait dénoncer par tous ses prophètes cette chute et ce divorce futur comme un exemple unique de sa colère, et avait protesté en même temps que rien de tel n'arriverait à cette Eglise avec laquelle il faisait une alliance éternelle : qu'avec tout cela, et encore que la réprobation de la Synagogue fût clairement expliquée dans l'Ecriture, et même que les apôtres, sans rien innover dans la doctrine, ne fissent que suivre celui que jusqu'à eux sans aucune interruption on avait toujours attendu : néanmoins, parce qu'il y avait quelque rupture avec la Synagogue autrefois Eglise véritable, pour les autoriser dans cette action, il n'a voit rien fallu

 

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de moins que Jésus-Christ présent sur la terre avec toute l'autorité du Père éternel : en un mot, que pour s'éloigner des sentiments de la Synagogue, quoique d'ailleurs convaincue par les Ecritures, il fallut que Jésus-Christ, la pierre angulaire, en qui tout devait être uni, parût visiblement avec les marques incontestables de sa mission. Je laisse maintenant à considérer si un exemple de cette nature peut donner quelque occasion de se séparer jamais de l'Eglise de Jésus-Christ, ou de dire que cette Eglise fondée sur la pierre dût tomber, ou que la succession dont Jésus-Christ est la source pût souffrir quelque interruption, et si tout ne crie pas plutôt ici contre une telle entreprise.

 

IXe Réflexion sur la visibilité de l'Eglise : que M. Claude ne combat la doctrine que j'ai expliquée qu'après s'en être formé une fausse idée.

 

Jusqu'ici nous avons vu ce qui regarde la Conférence, et la manière dont M. Claude la raconte. Il faut maintenant considérer ce qu'il oppose aux instructions qui l'ont précédée.

Il y répond amplement dans l'écrit dont nous avons déjà parlé (1). Cet écrit n'a aucun titre, et il est fait en forme de lettre. Pour nous faire mieux entendre, donnons-lui un nom, et appelons-le la Réponse manuscrite de M. Claude. Comme on a vu que la Conférence fut précédée de ma part de deux Instructions (2), dont la première établit la perpétuelle visibilité de l'Eglise, et la seconde éclaircit quelques objections tirées du livre des Rois (3), M. Claude a suivi cette division. Il divise aussi sa Réponse en deux parties : la première est subdivisée en quatre questions. Dans la première, il traite de l'Eglise universelle, dont il est parlé dans le Symbole, et me blâme de n'y avoir pas compris avec tous les bienheureux esprits, les saints qui naîtront jusqu'à la fin du monde. Dans la seconde, il examine si l'Eglise peut être définie par sa communion extérieure, comme il suppose que je l'ai fait. Il parle dans la troisième de la perpétuelle visibilité de l'Eglise ; et recherche dans la quatrième à quelle Eglise appartiennent les promesses de Jésus-Christ, si c'est à celle que j'ai posée ou à celle qu'il a établie. Il tire ensuite onze conséquences de la doctrine qu'il a expliquée ; et

 

1 Sup. Avert. et Réf., p. 563 et suiv. — 2 Sup., p. 507. — 3 Sup., p. 522.

 

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passe à la seconde partie, où il soutient les passages du Livre des Rois. Voilà l'idée de son ouvrage.

C'est dans ces quatre questions et dans ces onze conséquences qu'il attaque de toute sa force la doctrine que j'ai enseignée sur la perpétuelle visibilité de l'Eglise : mais on va voir qu'il ne l'a pu faire qu'après s'en être formé une fausse idée.

Pour montrer que l'Eglise dont il est parlé dans le Symbole devait être toujours visible, j'ai dit que « tous les chrétiens entendaient par le nom d'Eglise une société qui fait profession de croire la doctrine de Jésus-Christ, et de se gouverner par sa parole; d'où il s'ensuit qu'elle est visible. (1), » et liée par une communion sensible et extérieure. Voilà comme j'ai d'abord posé ma thèse, et c'est aussi ce que j'avais à établir.

Il ne s'agissait pas, comme M. Claude le suppose, de donner une parfaite définition de l'Eglise, ni d'en établir l'union intérieure par le Saint-Esprit, par la foi, par la charité : c'est une chose (a) dont nous convenons; et la question n'étant que des marques extérieures de cette union, j'avais tout fait en montrant que ces marques extérieures sont inséparables de l'Eglise, et par conséquent qu'elle est toujours visible.

Cependant sur ce que j'ai dit, qu'on entend par le mot d'Eglise « une société qui fait profession de croire la doctrine de Jésus-Christ, » M. Claude me veut faire accroire dans toute sa Réponse manuscrite, mais principalement dans la deuxième et quatrième question, que je regarde l'Eglise comme une société « simplement extérieure, » constituée en son essence par « une simple profession de croire, » sans croire en effet, « dont toute la nature et l'essence consiste en de simples dehors, et en des apparences sans réalité;» dont l'unité « n'est qu'une unité de profession, une unité extérieure, en sorte que l'intérieure n'y soit que par accident; et que quand il n'y aurait ni fidèles ni justes, et qu'elle fût toute composée d'hypocrites, elle ne laisserait pas d'être la vraie Eglise de Jésus-Christ. »

Voilà en effet une affreuse idée de l'Eglise, et je ne m'étonne pas

 

1 Vid. sup., p. 507 et suiv.

(a) 1ère édit. : C'est chose.

 

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que M. Claude en ait horreur : aussi est-elle autant éloignée de mon esprit et de l'esprit de tous les catholiques, que le ciel l'est des enfers, et je ne sais comment M. Claude a pu lire mes Instructions sans y voir tout le contraire de ce qu'il m'impose.

Puisque le lecteur a maintenant ces Instructions devant les yeux, je le prie de les repasser dans cet imprimé. Il y trouvera, à la vérité, qu'il est de l'essence de l'Eglise d'être visible par la prédication et par les sacrements : mais il y trouvera aussi « que les élus et les saints en sont la plus noble partie; qu'ils y sont sanctifiés, qu'ils y sont régénérés, souvent même par le ministère des réprouvés; qu'il ne les faut pas considérer comme faisant dans l'Eglise un corps à part, mais comme en faisant la plus belle et la plus noble partie (1). »

On y trouvera qu'il est de l'essence de l'Eglise, «parce qu'elle est sainte, d'enseigner toujours constamment et sans varier une sainte doctrine; » mais on trouvera aussi « que cette sainte doctrine, qu'elle ne cesse d'enseigner, enfante continuellement des saints dans son unité, et que c'est par cette doctrine qu'elle instruit et entretient dans son sein les élus de Dieu2.» Est-ce là ce qu'on appelle une simple profession de la doctrine de Jésus-Christ sans réalité, et un pur amas d'hypocrites?

On y trouvera que l'enfer ne peut prévaloir contre la société visible et extérieure de l'Eglise : mais on y trouvera aussi que c'est à cause « qu'il ne peut pas prévaloir contre les élus, qui sont la partie la plus pure et la plus spirituelle de cette Eglise (3).» C'est, dis-je, pour cela « que ne pouvant prévaloir contre les élus, il ne peut non plus prévaloir contre l'Eglise qui les enseigne, où ils confessent l'Evangile et où ils reçoivent les sacrements. » Ainsi loin qu'on puisse croire que cette Eglise, qui subsiste éternellement, puisse selon nos principes subsister sans les élus : on voit au contraire que nous regardons les élus comme faisant la partie la plus essentielle et la force de cette Eglise.

On y trouvera qu'il est de l'essence de l'Eglise jusqu'à la résurrection générale, d'avoir le ministère ecclésiastique qui la rend visible (4) : mais on y trouvera aussi que l'effet de ce ministère est

 

1 Vid. sup., p. 511. — 2 Vid. sup., ibid. et seq.— 3 Sup., p. 513.—  4 Sup., p. 515.

 

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d'amener les enfants de Dieu à la parfaite stature de Jésus-Christ, c'est-à-dire à la perfection, qui après les avoir rendus saints, les rendra glorieux en corps et en âme.

Enfin on y trouvera « la communion extérieure et intérieure des fidèles avec Jésus-Christ, et des fidèles entre eux : communion intérieure par la charité et dans le Saint-Esprit qui nous anime ; mais en même temps extérieure dans les sacrements, dans la confession de la foi et dans tout le ministère extérieur de l'Eglise (1)»

De là je conclus que « ce n'est pas seulement la société des prédestinés qui subsistera à jamais; mais que c'est le corps visible où sont renfermés les prédestinés, qui les prêche, qui les enseigne, qui les régénère par le baptême, qui les nourrit par l'Eucharistie, qui leur administre les clefs, qui les gouverne et les tient unis par la discipline, qui forme en eux Jésus-Christ : c'est ce corps visible qui subsistera éternellement. »

On voit par là que, loin de faire une Eglise dont la communion soit purement extérieure de sa nature, et « intérieure seulement par accident, » le fond de l'Eglise est au contraire la communion intérieure, dont la communion extérieure est la marque, et que l'effet de cette marque est de désigner que les enfants de Dieu sont gardés et renfermés sous ce sceau. On voit aussi que les élus sont la fin dernière pour laquelle tout se fait dans l'Eglise, et ceux à qui doit servir principalement tout son ministère : de sorte qu'ils font la partie la plus essentielle, et pour ainsi dire le fond même de l'Eglise.

Si donc j'ai plus parlé de la communion extérieure que de la communion intérieure de l'Eglise, on voit bien que ce ne peut être que pour la raison que j'ai dite; c'est-à-dire que les prétendus réformés demeurant d'accord avec nous que le fond, pour ainsi parler, de l'Eglise était son union intérieure, je n'avais à établir que l'extérieure, dont ces Messieurs nous contestent la nécessité.

Ainsi lorsque j'ai dit d'abord dans mon Instruction que l'Eglise était la société qui confessait la vraie foi, M. Claude devait entendre que cette confession de la bouche n'excluait pas la créance du cœur, mais la supposait plutôt dans la partie vivante et essentielle

 

1 Sup., p. 516 et 517.

 

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de l'Eglise, dont je ne parlais pas alors, parce que ce n'était pas la question que j'avais à proposer et à résoudre. Conclure de ce silence que je n'admets point d'autre union essentielle au corps de l'Eglise, que cette union extérieure, c'est de même que si quelqu'un , ayant entrepris d'expliquer seulement ces ligatures extérieures qui tiennent le corps humain uni au dehors, et renferment pour ainsi parler dans une même continence avec les membres vivants les ongles, les cheveux, les humeurs peccantes et même les membres morts qui ne seraient pas encore retranchés du corps, on lui faisait accroire qu'il ne connaît dans le corps humain aucun autre principe d'union ; et dire sous ce prétexte, que selon les principes de cet homme il pourrait y avoir un corps humain qui ne serait que cheveux, et ongles, et membres pourris, et humeurs peccantes, sans qu'il y eût en effet rien de vivant : c'est ce que fait M. Claude lorsqu'il conclut de mon discours, que l'Eglise de Jésus-Christ pourrait n'être qu'un amas de méchants et d'hypocrites. ,

Mais ceci s'éclaircira davantage dans la suite par les propres principes de M. Claude : il me suffit en cet endroit de lui faire voir que cette Eglise purement extérieure, qu'il appelle l'Eglise des cardinaux Bellarmin et du Perron et de M. de Condom est une Eglise qui ne subsiste que dans sa pensée ; et on peut croire par la manière dont il a jugé de mes sentiments, qu'il n'a pas mieux entendu ceux de ces illustres cardinaux.

 

Xe Réflexion sur ce que la Confession de foi des prétendus réformés ne reconnaît point d'église qui ne soit visible, et sur ce que M. Claude répond à cette difficulté.

 

Pour montrer que le mot d'Eglise signifie dans le Symbole des apôtres une Eglise visible, j'ai posé pour fondement que dans une confession de foi telle qu'était ce Symbole, les mots étaient employés en leur signification la plus naturelle et la plus simple; et j'ai ajouté que le mot d'Eglise signifiait si naturellement l'Eglise visible, que les prétendus réformés, auteurs de la chimère d'Eglise invisible, dans toute leur Confession de foi n'employaient jamais en ce sens le mot d'Eglise, mais seulement pour exprimer

 

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l'Eglise visible revêtue des sacrements et de la parole et de tout le ministère public. On peut voir les passages de cette Confession de foi que j'ai rapportés (1), avec les conséquences que j'en ai tirées.

Ce n'est pas moi qui ai fait le premier cette remarque : elle est d'un synode national des prétendus réformés. Ces Messieurs, qui avaient tant prêché l'Eglise invisible, et qui pressés sur la succession, avaient appuyé sur ce fondement l'invisible succession dont ils se servaient, furent étonnés de n'en avoir pas dit un seul mot dans leur Confession de foi, où au contraire le mot d'Eglise se prend toujours pour l'Eglise visible. Surpris de ce langage si naturel aux chrétiens, mais si peu conforme aux principes de leur Réforme, ils firent ce décret en 1603, dans le synode de Gap, au chapitre qui a pour titre : Sur la Confession de foi (2). C'est par où commencent tous les synodes ; et la première chose qu'on y fait, est de revoir cette Confession de foi; ce qui donnait lieu aux imprimeurs de la réimprimer avec ce titre défendu dans les synodes (3): Confession de foi des Eglises réformées, revue et corrigée par le synode national. Mais venons au décret de Gap ; en voici les termes : « Les provinces seront exhortées de peser aux synodes provinciaux en quels termes l'article XXV de la Confession de foi doit être couché, d'autant qu'ayant à exprimer ce que nous croyons touchant l'Eglise catholique, dont il est fait mention au Symbole, il n'y a rien en ladite Confession qui se puisse prendre que pour l'Eglise militante et visible ; comme aussi au XXIXe article, elles verront s'il est bon d'ajouter le mot pure à celui de vraie Eglise, qui est audit article : et en général tous viendront préparés sur les matières de l'Eglise. »

Nous avons rapporté la substance de cet article XXV (4). On peut voir dans le même endroit les articles XXVI, XXVII et XXVIII. Et pour l'article XXIX, il porte que « la vraie Eglise doit être gouvernée selon la police que Notre-Seigneur Jésus-Christ a établie; c'est qu'il y ait des pasteurs, des surveillants et des diacres, afin que la pure doctrine ait son cours, et que les assemblées se fassent au nom de Dieu. »

 

1 Vide sup., p. 508 et suiv. — 2 Syn. de Gap, sur la Conf. de foi, art. 3. — 3 Syn. de Privas, 1612.— 4 Sup., p. 508 et suiv.

 

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L'addition du mot de pure Eglise, qu'on délibérait d'ajouter à celui de vraie , est fondée sur une doctrine des prétendus réformés , qui dit qu'une vraie Eglise peut n'être pas pure, parce qu'avec les vérités essentielles elle peut avoir des erreurs mêlées, je dis même des erreurs grossières et considérables contre la foi. Et c'est un des mystères de la nouvelle Réforme, que M. Claude nous expliquera bientôt : mais ce n'est pas ici de quoi il s'agit. Ce qu'il y a d'important, c'est que ces gens, qui se disent envoyés de Dieu pour ressusciter la pure doctrine de l'Evangile ayant à expliquer, comme ils le déclarent eux-mêmes dans leur Confession de foi, « l'Eglise dont il est fait mention dans le Symbole, » n'avaient néanmoins parlé que de « l'Eglise militante et visible. » J'en dirais bien la raison : c'est que « cette Eglise, dont il est fait mention dans le Symbole, » est en effet l'Eglise visible ; c'est que le mot d'Eglise naturellement emporte cette visibilité, et que le mot de catholique, bien loin d'y déroger, la suppose ; c'est que dans une confession de foi il arrive souvent de parler suivant les idées naturelles que les mots portent avec eux, plutôt que selon les raffinements et les détours qu'on invente pour se tirer de quelque difficulté. Ainsi l'Eglise invisible ne se présenta point du tout à nos réformés lorsqu'ils dressèrent leur Confession de foi ; le sens d'Eglise visible y parut seul : on ne vit rien en cela que de naturel jusqu'en 1603. En 1603 on se réveilla ; on commença à trouver étrange qu'une église qui fondait sa succession sur l'idée d'église invisible et d'église des prédestinés, n'en eût pas dit un seul mot dans sa Confession de foi, et eût laissé pour constant que la signification naturelle du mot d'Eglise emportait toujours une société visible ; de sorte qu'à bien parler on ne pouvait plus montrer la suite de l'Eglise sans montrer la suite de sa visibilité : chose entièrement impossible à la nouvelle Réforme. C'est ce qui portait tout le synode à vouloir retoucher à cet article, et à exhorter les provinces à venir « prêtes sur les matières de l'Eglise, » qu'on n'avait jamais bien entendues parmi les nouveaux réformés, qu'on n'y entend pas encore, et qui feront catholiques tous ceux qui sauront les bien entendre.

Mais c'était une affaire bien délicate de retoucher à cet article.

 

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C'était réveiller tous les esprits; c’était trop visiblement marquer le défaut ; et donner lieu aux imprimeurs de mettre plus que jamais : Confession revue et corrigée. Ainsi en 1607, au synode de la Rochelle, « on résolut de ne rien ajouter ou diminuer aux articles XXV et XXIX, et ne toucher de nouveau à la matière de l'Eglise. » Par la décision de ce synode, la seule Eglise visible paraît dans la Confession de foi des prétendus réformés : l'Eglise invisible n'y a point de part, et on se tire comme on peut des conséquences.

Celle que je tire est fâcheuse (1) : car si l'Eglise ne paraît que comme visible dans la Confession de foi des prétendus réformés, et que d'ailleurs ils nous vantent cette Confession de foi comme conforme en tout point à l'Ecriture, il faut qu'ils nous disent que cette manière d'expliquer l'Eglise vient de l'Ecriture, et que c'est de l'Ecriture qu'elle a passé naturellement dans le langage ordinaire des chrétiens, dans les Confessions de foi, et par conséquent dans le Symbole, qui de toutes les confessions de foi, n'est pas seulement la plus autorisée, mais encore la plus simple.

M. Claude nous répond « que l'usage change; que par la suite des temps les noms s'éloignent souvent de leur première et naturelle signification; » et qu'au reste quand il serait vrai, comme je l'ai dit, que « le mot d'Eglise pris simplement, » signifierait l’Eglise visible, le mot d'universelle changerait cette signification (1). Mais il ne nous échappera pas par ce subterfuge : car il nous demeure toujours un raisonnement accablant pour toute la Réformation prétendue. Le voici, tiré des propres principes qu'elle pose. Le mot d'Eglise doit se prendre dans la Confession de foi de l'église prétendue réformée, comme il se prend naturellement dans l'Ecriture : autrement dans un article fondamental de la religion chrétienne, cette Confession de foi ne se serait point conformée, comme elle s'en vante, à l'Ecriture sainte. Or, dans cette Confession de foi le mot d'Eglise se prend pour une société visible : cette proposition est avouée dans le synode de Gap, comme nous venons de le voir. C'est donc ainsi que le mot de l’Eglise se prend naturellement dans l'Ecriture. Mais il se prend dans le Symbole

 

1 Vid. sup., p. 507-510. — 1 Rép. man., q. I.

 

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au même sens qu'il se prend dans l'Ecriture ; H. Claude et les protestants ne le nieront pas : il se prend donc également et dans l'Ecriture et dans le Symbole pour une Eglise visible; et le terme de catholique ou d'universelle mis dans le Symbole, comme M. Claude l'avoue (1), pour distinguer tout le corps de l'Eglise vraiment chrétienne, répandue par toute la terre, « de toutes les fausses églises, et de toutes les églises particulières, » loin de rendre l'Eglise invisible, la rend d'autant plus visible, qu'elle la sépare plus visiblement de toutes les fausses églises, et met expressément dans son sein toutes les églises particulières si visibles et si marquées par leur commune profession de foi, et par leur commun gouvernement.

 

XIe Réflexion sur ce que M. Claude reconnaît lui-même la perpétuelle visibilité de l'Eglise : doctrine surprenante de ce ministre.

 

Mais sans disputer davantage, nous n'avons qu'à écouter M. Claude, et entendre ce qu'il nous accorde dans sa Réponse manuscrite sur la perpétuelle visibilité de l'Eglise. Et plût à Dieu que je pusse ici transcrire tout cet ouvrage ! On y verrait bien des choses favorables à notre doctrine, que je ne puis bien faire entendre que lorsqu'il sera public. Mais ce n'est pas à moi à le publier, et je me suis contenté de transcrire au long, autant qu'il a été nécessaire, les passages que l'on va voir, tels que je les ai trouvés dans le manuscrit de M. le duc de Chevreuse, avoué, comme je l'ai dit, par M. Claude lui-même.

Que si l'on trouve qu'il parle de l'Eglise d'une manière nouvelle dans la réformation prétendue, il ne faut point sur cela faire d'incident pour deux raisons. La première, parce qu'il est vrai qu'il a enseigné à peu près la même doctrine dans ses autres livres, quoiqu'il l'ait ici expliquée plus à fond et avec plus d'ordre que jamais. La seconde, c'est qu'il prétend ne rien dire de nouveau ; chose dont nous devons nous réjouir, n'y ayant rien de plus désirable que de voir accroitre le nombre des principes et des articles dont nous convenons (a).

 

1 Rép. man., q. 1.

(a) 1ère édit. : Dont nous pouvons convenir.

 

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Entrons donc de tout notre cœur dans ce dessein charitable : voyons de quoi M. Claude convient avec nous, et rapportons sa doctrine dans le même ordre dont il la propose dans sa troisième et quatrième question, et ensuite dans ses onze conséquences.

Ce que je trouve d'abord est, « qu'il est constant qu'encore que la vraie Eglise soit mêlée avec les médians dans une même confession, elle ne laisse pas d'être visible dans le mélange, comme le bon froment avec l'ivraie dans un même champ, et comme les bons poissons le sont avec les mauvais dans un même rets. » Cela va bien, poursuivons : « Ce mélange empêche bien le discernement juste des personnes; mais il n'empêche pas le discernement ou la distinction des ordres des personnes, même avec certitude. Nous ne savons pas certainement quels sont en particulier les vrais fidèles, ni quels sont les hypocrites : mais nous savons certainement qu'il y a de vrais fidèles, comme il y a des hypocrites; ce qui suffit pour faire la visibilité de la vraie Eglise. » J'écoute ceci avec joie : assurément nous avancerons. M. Claude nous donne déjà pour constant qu'il y aura toujours un corps visible, dont on pourra dire : « Là sont les vrais fidèles. »

Je continue à lire sa Réponse, et je trouve qu'il me reprend d'imputer aux prétendus réformés qu'ils ne croient pas que le corps où Dieu a mis, selon saint Paul, « les uns apôtres, les autres docteurs, les autres pasteurs, » et le reste, soit l'Eglise de Jésus-Christ. Que je suis aise d'être repris, pourvu que nous avancions! Tant y a qu'il est constant que le corps de Jésus-Christ, qui est l'Eglise, sera toujours composé de pasteurs, de docteurs, de prédicateurs et aussi de peuple : il est donc par conséquent toujours très-visible, et la suite des pasteurs aussi bien que celle du peuple y doit être manifeste.

M. Claude confirme ici son discours par un passage de M. Mestresat, qui décide « qu'il ne faut pas chercher l'Eglise de Dieu hors de l'état visible du ministère et de la parole. » Tant mieux, et je suis ravi que M. Claude trouve dans son église beaucoup de sectateurs de cette doctrine.

J'avais eu peur que les ministres ne voulussent pas trouver l'Eglise visible dans ce passage de saint Paul aux Ephésiens, où

 

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l'Eglise nous est proposée « sans ride et sans tache (1) ; » et je m'étais mis en peine de prouver que cette Eglise marquée par saint Paul, « était visible, » puisqu'elle était « lavée par le baptême et par la parole. » M. Claude entre d'abord dans mon sentiment. Il dit que dans ce passage il faut entendre à la vérité « l'Eglise qui est déjà au ciel, mais aussi l'Eglise visible qui est sur la terre, » comme ne faisant ensemble « qu'un même corps, » et il cite encore ici M. Mestresat. Je reçois cette doctrine; et si quelqu'un de nos réformés, fût-ce M. Claude lui-même, m'objecte jamais qu'il ne faut pas tant appuyer sur la visibilité de l'Eglise, puisqu'il y a du moins une partie de cette Eglise qui est invisible, c'est-à-dire celle qui est dans le ciel, je répondrai que cela ne doit point nous embarrasser, puisqu'enfin par cette doctrine de M. Mestresat et de M. Claude, étant en communion avec la partie visible de l'Eglise, je suis assuré d'y être aussi avec la partie invisible qui est déjà dans le ciel avec Jésus-Christ; de sorte qu'il est bien certain que tout se réduit enfin à la visibilité.

M. Claude passe de là aux objections qu'on peut faire, et il décide d'abord « que la visibilité de l'Eglise est une visibilité de ministère. » Il faudra donc à la fin que, comme il reconnaît dans l'Eglise une perpétuelle visibilité, il en vienne à nous montrer une succession dans le ministère, et en un mot une suite de légitimes pasteurs.

Il s'objecte « que le ministère est commun aux bons et aux médians, » d'où il semble qu'on pourrait conclure contre sa doctrine que les bons et les médians composent l'Eglise. Et il répond « que si dans l'usage le ministère est commun aux bons et aux médians , ce n'est que par accident et par la fraude de l'ennemi ; que de droit il n'appartient qu'aux vrais fidèles, et que la surnaturelle destination n'est que pour eux. » Tout cela est clair, excepté ce mot : « Le ministère n'appartient de droit qu'aux vrais fidèles. » Car comme on pourrait entendre par là qu'il n'y a que les vrais fidèles qui soient pasteurs légitimes, on tomberait dans l'inconvénient d'avoir à examiner chacun en particulier si les pasteurs en effet sont de vrais fidèles, et de croire qu'ils cessent d'être

 

1 Ephes., V, 27.

 

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pasteurs quand ils cessent d'être gens de bien, fût-ce sans scandale : pernicieuse doctrine de Viclef, qui mettrait toute l'Eglise en confusion ! En éloignant ce mauvais sens, qui ne peut pas être de l'esprit de M. Claude, je lui avoue tout ce qu'il avance; car sans doute il n'est pas du premier dessein de Jésus-Christ qu'il y ait des ministres trompeurs : cela n'arrive que par la malice de l'ennemi. La destination du ministère est pour les vrais fidèles; Jésus-Christ ne l'a pas établi pour appeler dans l'Eglise des trompeurs et des hypocrites; qui en doute? Mais néanmoins ces trompeurs et ces hypocrites peuvent être assez de l'Eglise pour y être pasteurs légitimes : et les vrais fidèles ayant à vivre jusqu'à la fin des siècles sous l'autorité de ce ministère mêlé, il faudra donc, sans examiner si les ministres sont bons ou mauvais, nous en montrer une suite toujours manifeste, sous laquelle se soit conservé le peuple de Dieu.

Plus je continue ma lecture, plus je trouve cette vérité évidemment déclarée. Car entrant dans la quatrième question, je remarque bien que M. Claude y prétend montrer que les passages où Jésus-Christ promet à l'Eglise de la conserver toujours sur la terre, regardent uniquement la société des vrais fidèles : mais il ne laisse pas d'avouer toujours également que cette Eglise ne cesse jamais d'être visible, et que Jésus-Christ l'a ainsi promis.

J'ai prétendu démontrer l'Eglise visible dans ces paroles : « Tu es Pierre, et sur cette pierre j'établirai mon Eglise, et les portes d'enfer ne prévaudront point contre elle (1). » On a pu voir les raisons dont je me suis servi pour le prouver (2). M. Claude reçoit cette doctrine avec ses preuves, et il avoue que « l'Eglise dont il est parlé dans ce passage est en effet une Eglise confessante, une Eglise qui publie la foi, une Eglise à qui Jésus-Christ a donné un ministère extérieur, une Eglise qui use du ministère des clefs, et qui lie et délie, une Eglise par conséquent qui a un extérieur et une visibilité. » C'est une telle Eglise que Jésus-Christ a promis en cet endroit de conserver toujours sur la terre; M. Claude ne peut pas souffrir qu'on lui dise « qu'elle cesse d'être, » et ainsi elle est toujours avec tout ce ministère, qui lui est essentiel : ce qui

 

1 Matth., XVI, 18. — 2 Vid. sup., p .512-515.

 

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fait que M. Claude conclut avec moi, « que le ministère ecclésiastique durera, sans discontinuer, jusqu'à la résurrection générale (1) ; » et qu'il avoue sans peine que cette promesse de Jésus-Christ : « Je serai toujours avec vous (2), » regarde la perpétuité du ministère ecclésiastique. « Jésus-Christ promet, dit-il, d'être avec l'Eglise, de baptiser avec elle, et d'enseigner avec elle, sans interruption, jusqu'à la fin du monde. » Il y aura donc toujours des docteurs avec lesquels Jésus-Christ enseignera, ôt la vraie prédication ne cessera jamais dans son Eglise.

Mais ce ministère durera-t-il toujours si pur, que personne n'y soit admis que des gens de bien? Nous avons vu que M. Claude ne le prétend pas. En effet il n'y a point de promesse de cette perpétuelle pureté : la promesse est que quelles que soient les mœurs de ces ministres, Jésus-Christ agira toujours, baptisera toujours, ENSEIGNERA TOUJOURS avec eux; et l'effet de ce ministère, quoique mêlé, sera tel que sous son autorité « l'Eglise sera toujours visible, non pas à la vérité, dit M. Claude, d'une vue distincte, qui aille jusqu'à dire avec certitude : Tels et tels personnellement sont vrais fidèles; mais d'une vue indistincte, qui est pourtant CERTAINE, et qui va jusqu'à dire : Les vrais fidèles de Jésus - Christ sont là, savoir, DANS CETTE PROFESSION EXTÉRIEURE. »

N'appelons pas, si l'on veut, du nom d'Eglise « toute cette profession extérieure; » abstenons-nous de ce nom, puisque M. Claude y répugne; et comme de vrais chrétiens raisonnables et pacifiques, tâchons de convenir de la chose. « Cette profession extérieure, » qu'on peut toujours désigner et pour ainsi dire montrer au doigt, est mêlée de bons et de mauvais; le ministère qui la gouverne est mêlé aussi. M. Claude convient de tout cela : on peut dire néanmoins : Sous ce ministère et « dans cette profession extérieure sont les vrais fidèles : » c'est ce que nous venons d'entendre de la bouche du même ministre. Si donc selon sa doctrine, la société des vrais fidèles subsiste toujours, et toujours demeure visible sur la terre; si on la peut toujours montrer dans une profession extérieure, et que ce soit là seulement qu'elle soit visible, comme M. Claude le dit : il s'ensuit non-seulement que les vrais

 

1 Vid. sup., p. 516, 517. — 2 Matth., XXVIII, 19, 20.

 

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fidèles seront toujours sur la terre, mais que cette profession mêlée de bons et de mauvais, où on trouve ces vrais fidèles, où on les montre, où on les désigne, sera toujours aussi; c'est de quoi nous convenons avec M. Claude. Mais comme tous ces passages sont dispersés deçà et delà dans sa Réponse, en voici un où il a pris soin de tout ramasser.

C'est après sa quatrième question et dans sa septième conséquence , que ce ministre tâchant d'expliquer l'article XXXI de la Confession de foi, où il est dit que « de nos jours, » et avant la réformation, « l'état de l'Eglise était interrompu, » il distingue l'état de l'Eglise, interrompu pour un temps d'avec l'Eglise, qui jamais n'est interrompue selon ses principes, et il définit ainsi l'Eglise : « L'Eglise, dit-il, c'est les vrais fidèles qui font profession de la vérité chrétienne, de la piété et d'une véritable sainteté, sous un ministère qui lui fournit les aliments nécessaires pour la vie spirituelle sans lui en soustraire aucun. » Nous découvrirons en son lieu le secret de ces aliments spirituels. En attendant convenons avec M. Claude que l'Eglise subsiste toujours, et subsiste toujours visible, puisque par sa définition elle n'est autre chose « que les vrais fidèles qui FONT PROFESSION DE LA VÉRITÉ CHRÉTIENNE sous le ministère ecclésiastique. » Voilà un fondement inébranlable. Voyons ce que nous pourrons bâtir dessus : mais avant que de bâtir, nous allons voir tomber les objections.

 

XIIe Réflexion sur deux principales objections de M. Claude, résolues par sa doctrine.

 

M. Claude m'objecte premièrement qu'en vain je veux établir ma société composée de bons et de mauvais, et son éternelle durée, sur ces promesses inviolables de Jésus-Christ : « Tu es Pierre;» et« : Je suis toujours avec vous.» Ce n'est point, dit-il, « des méchants qu'il peut être dit que l'enfer ne prévaudra point contre eux; » ce n'est point «avec des méchants et des hypocrites que Jésus-Christ a promis d'être toujours (1); » et ces promesses ne regardent que les vrais fidèles. Ajoutons selon les principes de M. Claude, que si ces promesses ne regardent que les vrais fidèles,

 

1 Rép. man., IIIe quest.

 

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elles les regardent du moins dans ce ministère et dans cette profession extérieure : l'objection en même temps sera résolue. Car enfin si les vrais fidèles doivent toujours être démontrés et toujours être visibles, selon M. Claude, dans cette profession extérieure où les bons sont mêlés avec les médians, il s'ensuit que ce composé, de quelque nom qu'on l'appelle, paraîtra toujours sur la terre. Or nul ne peut s'assurer qu'une société subsiste toujours, et toujours dans un état visible, si Dieu ne l'a promis. Ses promesses regardent donc même ce mélange; et non-seulement les vrais fidèles, mais avec eux toute la société où ils doivent, selon ses décrets, toujours paraître. Par conséquent il nous faut entendre ces promesses de Jésus-Christ autrement que M. Claude ne l'enseigne. Les promesses de Jésus-Christ ne regardent pas les méchants tout seuls, ni ne sont seulement pour l'amour d'eux (a) : s'il ne disait que cela, il aurait raison; mais ces promesses, que Jésus-Christ fait à ses fidèles, enferment aussi les méchants qui sont mêlés avec eux. Quand Dieu promettait par ses prophètes à l'ancien peuple de lui donner des moissons abondantes, avec le grain il promettait aussi la paille , et conserver la moisson, c'est conserver la paille avec le grain. Ainsi promettre l'Eglise et son éternelle durée, c'est promettre avec les élus les méchants, au milieu desquels Dieu les enferme. Les méchants même dans l'Eglise sont pour les justes, comme la paille dans la moisson est pour le grain, et comme Dieu ne promet la paille ni seule, ni pour elle-même, il ne promet les méchants ni seuls ni pour eux-mêmes. Mais néanmoins tout ce composé subsistera en vertu de la promesse divine jusqu'à la dernière séparation, où les méchants, comme la paille, seront jetés dans ce feu qui ne s'éteindra jamais. Jésus-Christ sera toujours en attendant avec tout le composé, y conservant dans tout le dehors la saine doctrine qu'il sait porter au dedans jusque dans le cœur de ceux qui vivent; de même que la nourriture présentée à tout notre corps par la même voie, ne vivifie que les membres qui sont disposés à la recevoir.

Une seconde objection de M. Claude va tomber par le même principe.

 

(a) 1ère édit. : Ni pour l'amour d'eux.

 

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Il m'objecte qu'en définissant l'Eglise catholique, dont il est parlé dans le Symbole, je ne parle que de l'Eglise qui est actuellement sur la terre, au lieu d'y comprendre tous les élus qui ont été, qui sont et qui seront, et enfin avec les saints anges toute la Jérusalem céleste (1). Je lui ai déjà répondu que je n'ai voulu ni dû définir l'Eglise que par rapport à notre sujet, et à sa visibilité. Mais j'ajoute qu'en disant cela, selon les propres principes de M. Claude, j'ai tout dit : car selon lui, «dans la profession extérieure, » c'est-à-dire dans ce qui rend l'Eglise visible, on peut désigner les vrais fidèles, avec lesquels tous les saints, en quelque temps et en quelque lieu qu'ils puissent être, sans en excepter les saints anges, sont unis. «L'Eglise qui est sur la terre, dit M. Claude, est une avec celle qui est déjà recueillie au ciel, et avec celle que Dieu fera naître jusqu'à la fin des générations, qui toutes trois ensemble n'en font qu'une, qu'on appelle l'Eglise universelle (2). » Dieu soit loué : quand j'aurai trouvé la profession extérieure qui rend l'Eglise visible, M. Claude nous a déjà dit que j'aurai trouvé les vrais fidèles, c'est-à-dire, selon lui, la vraie Eglise actuellement présente sur la terre; et il nous dit maintenant qu'avec cette Eglise, j'aurai trouvé par même moyen et celle qui est déjà dans le ciel, et celle que Dieu fera naître dans tous les siècles suivants. Nous n'avons donc qu'à nous enquérir de l'Eglise qui est sur la terre et de la profession extérieure qui nous la démontre, assurés d'y avoir trouvé, sans nous enquérir davantage, la parfaite communion des saints et la société de tous les élus.

Au reste quand j'ai entendu sous le nom d'Eglise catholique l'Eglise qui est sur la terre, j'ai parlé avec tous les Pères. Ils joignent ordinairement au titre d'Eglise catholique celui de répandue par toute la terre, toto orbe diffusa. A ce titre de catholique ils joignent aussi le titre d'apostolique ; et c'est ainsi qu'il est mis dans le Symbole de Nicée, où se voit la plus authentique aussi bien que la plus parfaite interprétation du Symbole des apôtres. Ce titre d'apostolique fait partie de la catholicité de l'Eglise ; et nous montre entre autres choses qu'elle est descendue des apôtres par la perpétuelle succession de ses pasteurs, et par

 

1 Rép. man., 1ère quest. — 2 Rép. man., IVe quest.

 

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les chaires épiscopales établies par toute la terre. Tous les saints, dont les âmes bienheureuses sont avec Dieu, ont été conçus dans cette Eglise ; tous ceux qui viendront y seront pareillement régénérés : de sorte qu'il n'y en aura jamais aucun qui n'ait fait une partie essentielle de ce corps dont Jésus-Christ est le Chef. Pour les anges, à ne regarder que la directe signification des mots, ils n'ont jamais fait partie de cette Eglise fondée par les apôtres et répandue par toute la terre, où elle doit faire son pèlerinage ; et encore que Jésus-Christ soit leur Chef, il l'est d'une façon plus particulière des fidèles lavés dans son sang et renouvelés par sa parole. Mais les anges, quoiqu'unis à Jésus-Christ d'une autre sorte, sont nos frères, et ne sont pas étrangers à l'Eglise catholique, dont au contraire ils sont établis à leur manière coopérateurs et ministres. C'est une vérité constante, mais dont je n'avais que faire en ce lieu : il suffisait de marquer dans le Symbole ce que nos Pères y ont trouvé expressément et immédiatement désigné par le mot d'Eglise catholique, en y ajoutant le titre d'apostolique si naturel à la catholicité, et l'éloge d'être répandue par toute la terre. Connaître la doctrine de cette Eglise, c'est connaître la doctrine de tous les élus. On ne voit dans le ciel et dans les splendeurs des saints, que ce qu'on croit dans cette Eglise ; et les saints anges, qui, comme dit l'apôtre saint Paul, ont appris par l'Eglise de si hauts secrets de la sagesse divine (1), en respectent la créance. Ainsi tout se réduisant, comme je l'ai déjà dit, à la visibilité, M. Claude ne veut que me faire perdre le temps et me jeter à l'écart, quand il veut que je traite ici autre chose, pour faire connaître cette Eglise catholique qui est confessée dans le Symbole.

 

XIIIe et dernière Réflexion : que la doctrine de M. Claude montre à Messieurs de la religion prétendue réformée, qu'il n'y a de salut pour eux que dans l'Eglise romaine.

 

Il ne me reste maintenant qu'à exhorter Messieurs de la religion prétendue réformée et M. Claude lui-même, s'il me le permet, à tirer les conséquences manifestes des principes qu'il a posés : alors ils ne pourront plus résister à la vérité, et demeureront

 

1 Ephes., III, 10.

 

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convaincus qu'il n'y a de salut pour eux qu'en retournant au sein de l'Eglise romaine.

Nous avons vu que, pour vérifier les promesses de l'Evangile, M. Claude s'est obligé à reconnaître une Eglise toujours visible (1), puisque l'église qui n'est pas visible n'est pas église ; et que selon la définition qu'il nous a donnée, « l'Eglise c'est les vrais fidèles qui font profession de la vérité chrétienne sous un ministère qui lui fournit les aliments nécessaires pour la vie spirituelle (2). » Ces fidèles ne sont donc pas un corps en l'air, puisqu'ils font « profession de la vérité , sous un ministère ecclésiastique » toujours subsistant ; et que, comme nous l'avons vu, il doit y avoir sans aucune interruption, une profession extérieure dont on ait pu dire : « Là sont les vrais fidèles. »

Ainsi il ne suffit pas de nous alléguer vaguement des fidèles cachés : on s'oblige à nous montrer sans interruption, premièrement une société visible dont on ait pu dire : « Ils sont là; » c'est là qu'ils servent Dieu en esprit et en vérité ; c'est là qu'ils confessent l'Evangile.

Et ce ne sera pas assez qu'on nous montre ces fidèles dispersés : il faut secondement qu'on nous les montre recueillis sous l'autorité du ministère ecclésiastique, avec la prédication de la parole, avec l'administration des sacrements, avec l'usage des clefs et tout le gouvernement ecclésiastique.

Par conséquent ce qu'on nous doit montrer est une société de pasteurs et de peuples : d'où il s'ensuit en troisième lieu qu'on doit pouvoir nous nommer ces pasteurs, puisque la suite en est manifeste.

De chercher tout cela dans l'église prétendue réformée, telle qu'elle est maintenant séparée de l'Eglise romaine, c'est-à-dire de ce corps d'Eglise qui reconnaît l'Eglise romaine et le Pape pour son Chef, c'est à quoi M. Claude ne songe seulement pas : il lui suffit que jusqu'au temps de la séparation des prétendus réformés, il trouve tout cela dans l'Eglise romaine même. Les vrais fidèles y étaient, tant que ceux qui ont composé la réformation .prétendue y étaient : quand ils en sont sortis, ou qu'ils en ont été chassés,

 

1 Vid. sup., XI ; Réfl., p. 605, etc. — 2 Sup., p. 609.

 

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ils ont emporté l'Eglise avec eux, comme M. Claude l'a dit dans la Conférence (1).

Ce discours plus semblable à une raillerie qu'à un discours sérieux, est néanmoins celui qu'on tient sérieusement dans la nouvelle Réforme. Jusqu'à la séparation de ces nouveaux réformés, la suite des vrais fidèles, c'est-à-dire, selon M. Claude, de la vraie Eglise visible, se perpétuoit dans l'Eglise romaine, et ce n'est que depuis leur séparation qu'elle a cessé de les contenir. Telle est la suite de l'Eglise visible que M. Claude établit dans sa Réponse manuscrite (2) : jusqu'à la séparation les vrais fidèles que contenait l'Eglise romaine, depuis la séparation les prétendus réformés qui sont sortis de son sein.

Mais leurs pasteurs d'où sont-ils venus? Se sont-ils aussi détachés avec ces prétendus fidèles du corps de l'Eglise romaine, pour perpétuer dans l'Eglise ainsi réformée le ministère ecclésiastique? Nullement : ce n'est pas ainsi que M. Claude l'entend (3). Les fidèles, détachés de l'Eglise romaine, ont tout d'un coup déposé tous les pasteurs qui étaient auparavant, c'est-à-dire qu'auparavant les évêques et les piètres catholiques avec le Pape à leur tête, étaient les pasteurs établis par Jésus-Christ; car il en fallait de tels aux vrais fidèles qu'ils contenaient dans leur unité : au moment que la Réforme a paru, les voilà tout d'un coup déposés, et le ministère se retire de leurs mains.

Mais quel droit ont eu des particuliers de déposséder ainsi tout d'un coup et en un moment tous leurs pasteurs? C'est que ce sont «les vrais fidèles à qui le ministère appartient de droit (4), » qui ont pu par conséquent en disposer, l'ôter aux uns et le donner aux autres. Il ne faut point, dit M. Claude, s'imaginer la succession des pasteurs « dans cette ordinaire transmission que les ministres en font de l'un à l'autre, et qu'on appelle la succession extérieure et personnelle : il s'agit de savoir s'il ne peut pas arriver quelquefois que l'Eglise (c'est-à-dire les vrais fidèles) ôtera son ministère de la main de ceux qui en ont trop visiblement abusé, et qu'elle le donnera à d'autres (5). »

 

1 Vid. sup., p 533. — 2 Rép. man., quest. IV et seq. — 3 Ibid. — 4 Ibid. — 5 Ibid., sur la fin.

 

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Voilà la question en général, comme la propose M. Claude ; et l'application qu'il en fait en particulier, c'est « que les prélats latins qui occupaient le ministère ecclésiastique du temps de nos Pères, et qui se sont assemblés au concile de Trente, ayant fait des décisions de foi incompatibles avec le salut, et ayant prononcé des anathèmes contre ceux qui ne s'y soumettraient pas, les prétendus réformés ont eu raison de regarder ces prélats comme des ministres qui s'étaient eux-mêmes dépouillés du ministère, et de le donner à d'autres personnes (1). »

Il fallait donc du moins selon ces principes, attendre les décisions de Trente; et puisqu'avant ces décisions tant d'églises séparées de Home s'étaient déjà donné des pasteurs, la Réformation aura commencé par un attentat manifeste. Mais ne pressons pas tant M. Claude, et sans insister rigoureusement sur le concile de Trente, prions-le seulement de nous marquer quelque jour à peu près le temps où il permettra aux vrais fidèles d'être demeurés sous le ministère de l'Eglise romaine. En attendant, contentons-nous d'observer cette nouvelle doctrine : qu'il peut arriver que tous les pasteurs de l'Eglise dépossédés tout d'un coup, deviennent en un moment des particuliers, et que sans qu'ils établissent d'autres pasteurs pour leur succéder, les vrais fidèles, nullement pasteurs, mais des particuliers séparés de toute Eglise actuellement existante, de leur seule autorité confèrent leur ministère à d'autres, les établissent, les ordonnent, les installent. C'est ce que M. Claude explique encore dans la suite par ces mots, que ces pasteurs, auparavant seuls en fonction, « sont privés de droit, et le ministère revenu de droit à cette partie de la société dans laquelle se sont trouvés les vrais fidèles (2), » c'est-à-dire les prétendus réformés séparés de l'Eglise romaine et de toute l'Eglise subsistante alors dans le monde. Que la séparation donne d'autorité et de privilège!

Telle est la doctrine de M. Claude : si j'altère, si j'exagère, si je diminue, qu'il publie sans différer son écrit pour me confondre. Mais

si c'est là sa doctrine, je conjure nos réformés de considérer quels

prodiges de doctrine il faut enseigner pour défendre leur Réforme.

 

1 Conséq. 8-10. — 2 Conséq. 10.

 

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Car premièrement où me lira-t-on, dans quel Evangile, dans quelle Epître, dans quelle Ecriture de l'Ancien ou du Nouveau Testament, que tous les pasteurs de l'Eglise dussent en un moment tomber de leur chaire , et devenir des particuliers auxquels on put et on dût désobéir impunément?

Jésus-Christ nous a-t-il caché ce grand mystère, et ne nous aura-t-il pas précautionnés contre cette horrible tentation de son Eglise? Mais ce n'est pas tout : après nous avoir montré dans l'Ecriture cette chute universelle de tous les pasteurs, il y faut trouver encore ce ministère revenu de droit aux particuliers, qui jamais n'en ont été revêtus. Et comment l'entend M. Claude? Est-ce que ces particuliers de droit deviennent ministres, sans que personne les ait ordonnés; ou que sans être ministres, ils aient le droit d'établir de leur seule autorité des ministres dans l'Eglise? Qu'on le montre dans l'Ecriture, ou qu'on renonce pour jamais à la prétention de n'avoir que l'Ecriture pour guide.

Je trouve dans l'Ecriture que Jésus-Christ dit à ses apôtres : « Comme mon Père m'a envoyé, ainsi je vous envoie (1).» Je trouve dans l'Ecriture que les apôtres ainsi envoyés en envoient d'autres, et se consacrent des successeurs (2). Mais que tous leurs successeurs étant tout d'un coup déchus et privés de droit de leur ministère, ce ministère revienne de droit aux fidèles, à qui personne ne l'avait jamais donné, pour en disposer à leur gré : ni l'Ecriture ne l'a dit, ni les siècles suivants ne l'ont imaginé; c'est un monstre dont la naissance était réservée au temps de la nouvelle Réforme.

Le ministère, dit-on, appartient de droit à l'Eglise. Sans doute il appartient à l'Eglise, comme les yeux appartiennent au corps. Le ministère n'est pas à lui-même, non plus que les yeux. Le ministère est établi pour être la lumière de l'Eglise, comme les yeux sont la lumière ou, comme les appelle Jésus-Christ, le flambeau du corps. S'ensuit-il que lorsque le corps a perdu ses yeux, il puisse les refaire de lui-même ? Non sans doute ; il aura besoin de la main qui les a faits la première fois, et il n'y aura jamais qu'une nouvelle création qui puisse réparer l'ouvrage que la première création avait formé. De cette sorte si l'Eglise catholique

 

1 Joan., XX, 21. — 2 Tit., I, 5 et seq.

 

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pouvait, comme on a voulu se l'imaginer dans la nouvelle Réforme, perdre tout d'un coup tous ses ministres, sans qu'ils se fussent donné selonl'ordre de Jésus-Christ des successeurs, il faudrait que Jésus-Christ revînt sur la terre pour rétablir cet ordre sacré par une création nouvelle.

On veut bien trouver dans le sein de l'Eglise romaine ces vrais fidèles dont on compose d'abord l'Eglise réformée : pourquoi ne voudra-t-on pas détacher de même les pasteurs de cette Eglise réformée, des pasteurs qui étaient en charge dans l'Eglise romaine ? Le ministère doit être mêlé comme le peuple, et il doit y avoir toujours de bons pasteurs parmi les mauvais, comme il y a toujours de vrais fidèles parmi les faux chrétiens. Pourquoi donc a-t-il fallu dire dans la nouvelle Réforme et dans l'article XXXI de sa Confession de foi, que l'état de l'Eglise était interrompu ? Pourquoi a-t-il fallu avoir recours à ces gens extraordinairement suscités pour dresser de nouveau l'Eglise qui était en ruine et désolation? C'est qu'il a fallu parler, non pas selon ce qui se devait faire dans l'ordre établi par Jésus-Christ, mais selon ce qui s'est fait contre tout ordre. C'est que la nouvelle Réforme s'est fait des pasteurs qui en effet ne tenaient rien des pasteurs qui étaient en charge auparavant; et c'est pourquoi il a bien fallu, malgré qu'on en eût, leur attribuer quoique sans preuve une vocation extraordinaire. Mais au fond la raison voulait autre chose : et pourquoi n'a-t-on pas parlé suivant la raison, si ce n'est encore une fois qu'il a fallu accommoder, non pas ce qui se faisait à la règle , mais la règle à ce qui s'est fait ?

Mais, dira-t-on, si quelque église, par exemple l'église grecque, nous montre la succession de ses pasteurs, la tiendrez-vous vraie Eglise? Nullement, si j'y puis montrer d'autres marques d'innovation qu'elle ne puisse nier, comme je ferais sans beaucoup de peine, s'il en était question. Mais avec nos réformés la preuve est faite, puisqu'ils confessent eux-mêmes l'interruption dont il s'agit.

M. Claude pallie, comme il peut, cet état interrompu de l'Eglise , reconnu si précisément dans sa Confession de foi. « Nous distinguons, dit-il, l'Eglise d'avec son état. L'Eglise, ce sont les

 

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vrais fidèles qui font profession de la vérité chrétienne, de la piété et d'une véritable sainteté sous un ministère qui lui fournit les aliments nécessaires pour la vie spirituelle sans lui en soustraire aucun. Son état naturel et légitime est d'être déchargée, autant que la condition de militante le peut permettre, du mélange impur des profanes et des mondains; de n'être point couverte et comme ensevelie par cette paille et cette zizanie , d'où lui viennent mille maux; d'avoir un ministère dégagé d'erreurs, de faux cultes, d'usages superstitieux, un ministère possédé par des gens de bien, qui le tiennent par de bonnes voies et qui servent eux-mêmes de bon exemple. C'est cet état que nous croyons avoir été interrompu (1).» Pourquoi se charger de tant de paroles, et à cause qu'elles sont pompeuses ne prendre pas garde qu'elles sont vaines, pour ne pas dire trompeuses et contraires manifestement à l'Evangile ? Car peut-on plus clairement abuser le monde que d'exagérer, comme on fait ici, « ce ministère possédé par des gens de bien , qui le tiennent par de bonnes voies, et qui servent eux-mêmes de bon exemple? » Est-ce que l'autorité du ministère ecclésiastique dépend de la discussion de la vie et du bon exemple de ceux qui en sont revêtus; et que quand ils seraient aussi scandaleux et aussi pervers que les scribes et les pharisiens, il ne faudrait pas dire encore, non pas avec Jésus-Christ : « Ils sont sur la chaire de Moïse (2) ; » mais ce qui est bien plus auguste : Ils sont sur la chaire de Jésus-Christ et des apôtres? Laissons néanmoins ces choses, et venons à cet état interrompu de l'article XXXI que M. Claude entreprend ici de nous expliquer. Cet état interrompu est allégué pour fonder la nécessité d'une vocation extraordinaire dans les prétendus réformateurs; car écoutons comme parle cet article : « Il a fallu quelquefois et notamment de nos jours, où l'état de l'Eglise était interrompu, que Dieu suscitât gens d'une façon extraordinaire pour dresser de nouveau l'Eglise. » Vous le voyez, Messieurs, cet état interrompu de l'Eglise est allégué seulement pour fonder la vocation extraordinaire de vos premiers réformateurs. Mais pour fonder la nécessité d'une vocation extraordinaire, il ne suffit pas que le ministère soit impur; il faut que le ministère ait cessé.

 

1 Après la IVe quest., 7 Conséq. — 2 Matth., XXIII, 2.

 

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Quand vous êtes venus, Messieurs, ce ministère ecclésiastique avait-il cessé? Nullement, vous répondra M. Claude; car autrement l'Eglise aurait cessé, puisque l'Eglise selon lui, comme vous venez de l'entendre, n'est autre chose que les vrais fidèles qui font profession de la vérité SOUS UN MINISTÈRE qui lui fournit les aliment nécessaires. Et il nous a déjà dit souvent que l'Eglise n'est jamais sans le ministère. C'est pourquoi dans cet endroit, où il tâche à rendre raison de cet état interrompu , après avoir expliqué par tant de beaux mots l'impureté qu'il se représente dans le ministère avant la Réformation : «L'Eglise, ajoute-t-il. n'a pas cessé, elle n'a point entièrement perdu sa visibilité ni son ministère , à Dieu ne plaise ! » Voyez comme il se récrie contre cette abomination, de dire que le ministère puisse être perdu dans l'Eglise. Il n'v a donc jamais de nécessité de vocation extraordinaire dans les ministres, puisque pour transmettre le ministère à la façon ordinaire , il n'est pas requis que le ministère soit pur : il suffit qu'il soit. Et quand pour le transmettre on demanderait, comme parle M. Claude, non-seulement des ministres de bonne doctrine, mais encore de bonne vie et de bon exemple , il est aussi assuré qu'il y en aura toujours de tels dans la société du peuple de Dieu, qu'il est assuré qu'il y aura toujours de vrais fidèles, puisque tout, et le ministère autant que le peuple, y doit être mêlé de bien et de mal jusqu'à la dernière séparation et au dernier jugement. Ainsi la vocation extraordinaire de tous côtés est exclue de l'Eglise de Jésus-Christ, et n'y peut être qu'un faible refuge d'une cause déplorée.

Et pour voir quel renversement de l'ordre de Jésus-Christ introduisit ici M. Claude , il n'y a qu'à considérer les promesses de Jésus-Christ, et voir où il lui a plu d'établir principalement la force de son Eglise. Elle est forte , elle est invincible, parce que Jésus-Christ a dit que « l'enfer ne prévaudrait point contre elle (1) : » mais il n'a dit que l'enfer ne prévaudrait point contre elle, qu'après avoir dit : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise ; » et ajoutant aussitôt après : « Je te donnerai les clefs du royaume des cieux. » C'est donc dans le ministère confessant et

 

1 Matth , XVI, 18.

 

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annonçant Jésus-Christ, et usant de l'autorité des clefs, que Jésus-Christ a établi principalement la force de son Eglise. Et à qui a-t-il dit : « Je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles (1) ; » si ce n'est à ceux à qui il a dit : « Enseignez et baptisez? » Toute l'Eglise est comprise dans cette promesse : qui ne le sait pas? Mais c'est que Jésus-Christ a voulu montrer la vérité de cette doctrine si bien expliquée par saint Cyprien : « L'Eglise ne quitte point Jésus-Christ, et c'est là l'Eglise : le peuple uni avec son évêque, et le troupeau attaché à son pasteur (2) : » où il est clair qu'il faut entendre, comme il dit ailleurs, « ce pasteur uni à tous ses collègues, » et à toute l'unité de l'épiscopat, si souvent établie dans ses écrits (3). C'est donc avec raison que Jésus-Christ a voulu marquer la suite de son Eglise par celle du ministère ; et on voit manifestement que c'est à ceux qui enseignent qu'il a voulu dire : « Je suis toujours avec vous. » Et ce qu'il y a ici de plus admirable, c'est que ces promesses sont si évidentes, que contre les préventions de sa religion, M. Claude a été forcé à les reconnaître telles que je viens de les expliquer (4). Car nous l'avons entendu nous dire que c'est en effet d'une Eglise confessante, d'une Eglise qui publie la foi, d'une Eglise qui use du ministère, que Jésus-Christ a prononcé que l'enfer ne prévaudrait point contre elle. Et parce que Jésus-Christ après avoir dit : « Enseignez et baptisez ; » ajoute : « Je suis avec vous. » M. Claude conclut comme nous que Jésus-Christ en effet désigne « une Eglise » qu'il assure « d'être avec elle, de baptiser avec elle, et d'enseigner avec elle sans interruption jusqu'à la fin monde (5). » C'est donc la succession et la perpétuité du ministère qui est comprise principalement dans cette promesse ; c'est là principalement que Jésus-Christ établit la force et l'éternelle durée de son Eglise. Cependant contre tout cet ordre, on nous montre le ministère si faible et tellement délaissé de Jésus-Christ, qu'il tombe tout entier en un moment ; et au contraire les fidèles particuliers si forts, qu'eux seuls rétablissent tout le ministère extraordinairement suscité, sans avoir égard à la succession ni à l'autorité de toute l'administration précédente. Qui ne

 

1 Matth., XXVIII, 20. — 2 Ep. LXIX, ad Flor. Pup., p. 123.— 3 Ep. liv., ad Corn, et Tr. de Unit. Eccl., etc.— 4 Vid. sup., XI Refl., p. 605 et suiv.— 5 Ibid.

 

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voit donc qu'on renverse tout dans la nouvelle Réforme ; et que de dire avec elle, que Dieu a voulu conserver de vrais fidèles dans son Eglise, pour en déposer par leur moyen tous les pasteurs, et ensuite en établir d'autres extraordinairement à leur place , pendant qu'il n'a pas voulu conserver de bons pasteurs pour transmettre le ministère par les voies communes établies dans sa parole, et toujours observées dans son Eglise : c'est dire qu'il a voulu former une Eglise d'une manière contraire à celle qu'il a révélée et qu'il a toujours fait suivre à son Eglise? Ou plutôt, c'est dire qu'il a voulu que cette église formée d'une manière si nouvelle parmi les chrétiens, portât dans son origine, sans le pouvoir effacer jamais, le caractère manifeste de sa fausseté.

Mais venons à ces vrais fidèles que M. Claude nous vante. Je ne me contente pas de leur contester le pouvoir qu'il leur a donné de déposer tous leurs pasteurs et d'en faire d'autres : je dis que ces vrais fidèles n'ont jamais été. Il faut pourtant bien, selon ce ministre , qu'ils aient été vrais fidèles, même dans le sein de l'Eglise romaine : car puisque selon sa doctrine , il faut reconnaître sans aucune interruption un ministère ecclésiastique et une profession extérieure dont on ait pu dire : « Là sont les vrais fidèles, » ils étaient vrais fidèles sous ce ministère et dans cette profession d'où ils sont sortis. Je demande : Communiquaient-ils au sacrifice où on prie les saints, où on honore leurs reliques et leurs images, où on nomme le Pape comme le chef des orthodoxes, où on adore Jésus-Christ comme présent en corps et en âme, où on l'offre , où on reçoit le Saint-Sacrement sous une espèce ? Ne communiquer pas à ce sacrifice et refuser d'y recevoir l'Eucharistie, c'était se séparer manifestement, et on suppose qu'ils ne le faisaient pas encore : mais s'ils y communiquaient en demeurant vrais fidèles, dans quelle erreur sont maintenant tous nos réformés, qui ne se croient vrais fidèles que depuis qu'ils ont cessé d'y communiquer ?

Ainsi ces vrais fidèles sont des gens en l'air : ces sept mille (1) tant vantés dans la nouvelle Réforme, et par M. Claude (2), non-seulement ne paraissent pas, mais ne sont pas, puisque devant la

 

1 III Reg., XIX.— 2 Rép. man., IIe part.

 

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séparation il n'y a personne qui ne communique au sacrifice et à l'hostie que nos reformés regardent comme le Baal devant lequel il ne fallait point courber le genou (1).

On dit que ces vrais fidèles, qui par leur actuelle séparation ont composé la Réforme, étaient auparavant séparés de cœur de l'idolâtrie publique. Mais premièrement cela ne suffit pas : secondement cela n'est pas.

Cela ne suffit pas selon M. Claude, puisqu'il veut une Eglise toujours visible ; puisqu'il nous a tout à l'heure défini l'Eglise, « les vrais fidèles qui font profession de la vérité, de la piété, de la sainteté véritable. » Donc où manque la profession, il n'y a ni de vrais fidèles, ni de vraie Eglise.

Mais de plus, visiblement cela n'est pas : autrement quand Luther parut et que Zuingle innova, il faudrait que leurs disciples eussent fait cette déclaration : « Voilà ce que nous avons toujours cru; nous avons toujours eu le cœur éloigné de la foi romaine, et du Pape, et des évêques, et de la présence réelle, et de la messe, et de la confession , et de la communion sous une espèce, et des reliques, et des images, et de la prière des saints, et du mérite des œuvres. » Où sont ceux qui ont parlé de cette sorte ? M. Claude en pourra-t-il nommer un seul? Au contraire ne voit-on pas tous ces réformés à toutes les pages de leurs livres parler comme retirés nouvellement des ténèbres de la papauté, et Luther se glorifier à leur tète d'avoir été le premier à annoncer l'Evangile ; tous ces réformés lui applaudir à la réserve de Zuingle qui lui disputait cet honneur ; lui cependant reconnaître qu'il avait été le moine de la meilleure foi, le prêtre le plus attaché à son sacrifice, et en un mot « le plus zélé de tous les papaux. » Les autres ne tiennent-ils pas le même langage? Où sont-ils donc ces vrais fidèles de M. Claude, qui non-seulement n'osaient déclarer leur foi tant qu'ils étaient dans le sein de l'Eglise romaine, mais qui après en être sortis, n'ont osé dire qu'ils avaient toujours tenu dans leur cœur la même foi ?

Mais voici la ruine entière de la nouvelle Réforme. Dans la définition que M. Claude vient de nous donner de la vraie Eglise :

 

1 III Reg., XIX, 18.

 

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« C'est, dit-il, les vrais fidèles qui font profession de la vérité chrétienne, sous un ministère qui lui fournit les aliments nécessaires sans lui en soustraire aucun. » Si avant la réformation il n'y avait point de telle Eglise, la vraie Eglise n'était plus contre la supposition de M. Claude ; et s'il y avait une telle Eglise, où « on fit profession de la vérité, et qui donnât par son ministère aux enfants de Dieu les aliments nécessaires sans leur en soustraire aucun, » à quoi était nécessaire la séparation des prétendus réformés ?

Est-ce peut-être qu'on s'est avisé tout d'un coup de dire la messe, et d'enseigner toutes les doctrines que nos réformés ont alléguées pour cause de leur rupture? Le penser seulement, ce serait l'absurdité des absurdités. Mais peut-être qu'en enseignant toutes ces doctrines, on n'avait pas encore songé à excommunier ceux qui s'y opposaient. D'où viennent donc tant d'anathèmes contre Béranger, contre les Vaudois et les Albigeois, contre Jean Viclef et Jean Hus, et tant d'autres que nos réformés veulent compter parmi leurs ancêtres? Quoi donc! ceux qui avant la Réformation prétendue, faisaient profession de la vérité chrétienne, c'est-à-dire selon M. Claude de la doctrine réformée, n'avaient-ils pas encore trouvé l'invention de faire schisme, et tout le monde était-il d'accord de les souffrir? Mais quand tout cela serait véritable, les affaires de la Réforme n'en iroient pas mieux, puisque toujours, avant qu'elle fût, il faudrait reconnaître un ministère, où sans enseigner ni que le pécheur fût justifié par la seule foi et la seule imputation de la justice de Jésus-Christ, ni que Dieu dans le Nouveau Testament eût horreur des sacrifices célébrés dans une matière sensible, ni qu'il voulût être prié seul à l'exclusion de cette prière inférieure et subordonnée qu'on adresse aux saints, ni enfin aucun des articles qui distinguent nos réformés d'avec nous, encore qu'ils y mettent leur salut : on ne laissât pas de fournir aux enfants de Dieu tous les aliments nécessaires à la vie spirituelle, SANS LEUR EN SOUSTRAIRE AUCUN. Qu'a opéré la Réforme, si toutes ces choses ne sont pas des aliments nécessaires, si même la coupe sacrée et par conséquent la Cène, qui selon les prétendus réformés ne peut subsister sans la communication de cette coupe,

 

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n'est pas de ces aliments nécessaires à la foi du chrétien ? Qu'on s'est tourmenté en vain, mais qu'on a mal à propos causé tant de troubles et répandu tant de sang, si ces choses ne sont pas nécessaires î

Peut-être qu'il faut réduire ces aliments nécessaires au Symbole des apôtres, ou en général à l'Ecriture. Mais l'église socinienne retient ce Symbole et cette Ecriture; de sorte que le ministère d'une église socinienne eût fourni, selon cette règle, aux enfants de Dieu tous les aliments nécessaires sans leur en soustraire aucun. Que sera-ce donc à la fin que ces aliments nécessaires? Et si on les fournit sans en soustraire aucun seulement en proposant le Symbole et l'Ecriture, quoi qu'on enseigne d'ailleurs, dans quelle hérésie ont-ils manqué ?

Plus M. Claude fait ici d'efforts pour se dégager, plus il s'embarrasse. Car après avoir établi comme une vérité fondamentale, que « Dieu conserve toujours dans le ministère tout ce qui est nécessaire pour y nourrir les vrais fidèles, et les conduire au salut, » il dit qu'il ne s'ensuit pas de là « que le ministère soit exempt de toute erreur, » même dans ses décisions; mais que soit qu'elles « n'intéressent pas sensiblement la conscience, » ou même « qu'elles intéressent le salut, on use de la liberté de la conscience pour rejeter le mal, et pour conserver la pureté (1). » Ainsi tout se réduirait à la liberté de conscience; et quelque erreur qu'on enseigne dans le ministère, pourvu qu'on ne force pas à en suivre les décisions et qu'on y souffre toutes les doctrines contraires, bonnes ou mauvaises, c'en est assez pour faire dire à M. Claude que le ministère fournit tous les aliments nécessaires aux enfants de Dieu, sans leur en soustraire aucun. Mais selon cette prétention, il n'y aurait point de société dont le ministère fournit davantage tous les sentiments nécessaires qu'une société de sociniens , qui se glorifie de ne vouloir damner personne. Si on dit parmi nos réformés qu'une église socinienne renverse le fondement en niant la divinité de Jésus-Christ, on y dit aussi qu'on ne le renversait pas moins avant leur Réformation par les idolâtries, qui selon eux régnaient partout. Et si on veut enfin s'imaginer

 

1 Rép. man., IVe quest.

 

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qu'il est plus dangereux de détruire le fondement par soustraction avec les sociniens qu'avec l'Eglise romaine par ces additions prétendues qu'on traite d'idolâtrie : outre toutes les soustractions que nous y venons de montrer selon les principes de nos réformés et même avant leur réformation, ce serait une extravagance inouïe de croire qu'il fût plus aisé à ces vrais fidèles, qui dévoient faire le discernement des doctrines sous un ministère plein d'erreurs, de retrancher ce qui excède que de suppléer à ce qui manque ; ou qu'on renverse plus certainement le fondement de la foi en diminuant qu'en ajoutant, l'Ecriture ayant tant de fois compris sous une commune malédiction tant ceux qui diminuent que ceux qui ajoutent.

Il vaudrait donc mieux pour M. Claude laisser là tout ce ministère et la perpétuelle visibilité de l'Eglise, pour dire qu'il suffit enfin, toute cette visibilité étant renversée, que Dieu ait gardé l'Ecriture sainte où les fidèles, soit cachés, soit découverts , soit dispersés, soit réunis, soit toujours subsistants, soit quelquefois tout à fait éteints, trouveront clairement selon ses principes, sans aucun besoin du ministère, tous les aliments nécessaires. Car aussi à quoi leur est bon un ministère où l'erreur domine ? Et l'Ecriture ne leur serait-elle pas plus commode et plus instructive toute seule? Voilà ce que devraient dire les protestants, pour éviter les inconvénients où nous les jetons. Mais M. Claude n'a osé le faire et ne l'osera jamais, parce qu'il y trouverait des inconvénients encore plus insupportables et plus visibles. C'est en un mot qu'il a senti qu'à force de pousser indépendamment de tout ministère ecclésiastique, l'autorité et la suffisance pour ainsi parler de l'Ecriture, à la fin il faudrait détruire l'Ecriture même.

En effet il a trouvé dans l'Ecriture que l'Ecriture ne devait pas être, comme la philosophie de Platon, la règle d'une république en idée, mais d'un peuple toujours subsistant que cette Ecriture appelle Eglise. Il a trouvé que ce peuple devait être toujours visible sur la terre, puisqu'il devait « non-seulement croire de cœur, mais encore confesser de bouche (1) ; » et pour user de ses termes, « faire profession de la vérité chrétienne (2). » Il a trouvé que

 

1 Rom., X, 10. — 2 Vid. sup., p. 609.

 

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l’Ecriture avait été mise en dépôt entre les mains d'un tel peuple pour en être la règle immuable; qu'elle y aurait toujours des interprètes établis de Dieu, auteur de cette Ecriture, aussi bien que fondateur de ce peuple; et qu'ainsi le ministère destiné de Dieu à cette interprétation était éternel autant que l'Eglise même.

S'il écrit ces grandes paroles, « Dieu conserve toujours dans le ministère public tout ce qui est nécessaire pour conduire les vrais fidèles au salut (1)» il ne peut fonder cette assurance sur aucune industrie humaine. Que Dieu laisse le ministère ecclésiastique à lui-même, il faut qu'il tombe. Si donc on est assuré que Dieu y conservera toujours tout ce qui est nécessaire au salut, il faut que Dieu même l'ait promis, et l'éternité du ministère ne peut être fondée que sur cette promesse. M. Claude la trouve aussi dans ces paroles : « Tu es Pierre (2), » et le reste. C'est de là qu'il conclut avec nous, que Jésus-Christ, en parlant à une Eglise qui confesse, et confesse sans difficulté par ses principaux ministres, puisque c'est par saint Pierre au nom des apôtres ; à une Eglise attachée à un ministère extérieur, et usant de la puissance des clefs, lui a promis que l'enfer ne prévaudrait point contre elle; contre elle, par conséquent soutenue par ce ministère : et c'est pourquoi il assure que Dieu conserve toujours dans le ministère public tout ce qui est nécessaire au salut des enfants de Dieu.

Une autre promesse de Jésus-Christ adressée « à ceux qui baptisent et à ceux qui enseignent, » et conclue par ces puissantes paroles : « Je serai toujours avec vous jusqu'à la consommation des siècles (3), » fait dire à M. Claude, aussi bien qu'à nous, que Jésus-Christ promet à l'Eglise « d'être avec elle, de baptiser avec elle, et d'enseigner avec elle saris interruption jusqu'à la fin du monde. » Ainsi selon ce ministre, celle promesse regarde l'Eglise comme attachée au ministère ecclésiastique; ce qui aussi lui fait conclure que Jésus-Christ ne permet jamais que la corruption soit telle dans le ministère, qu'il n'y ait encore suffisamment de quoi entretenir la vraie foi de ses élus jusqu'à la fin du monde. »

Enfin, un troisième passage, et c'est celui de saint Paul aux

 

1 Rép. man., IVe quest. — 2 Matth., XVI, 18. — 3 Matth., XXVIII, 20.

 

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Ephésiens (1), lui fait conclure avec nous « que le ministère durera jusqu'à la fin des siècles, et durera dans un degré et dans un état suffisant pour édifier le corps de Christ, et pour amener tous les élus à la perfection dont parle saint Paul (2). » Il faudra donc que Dieu s'en mêle; et sans son secours toujours présent, on ne pourrait espérer une telle stabilité ni une telle intégrité dans le ministère.

Après avoir ainsi commencé à croire, il fallait achever l'ouvrage, et donner gloire à Dieu jusqu'au bout. M. Claude n'était pas loin du royaume de Dieu, quand il disait que Dieu se rendait assez supérieur à l'infirmité humaine, pour conserver toujours malgré les efforts de l'enfer une Eglise qui confesserait la vérité, et un ministère extérieur qui fournirait aux vrais fidèles les aliments nécessaires au salut. Il devait donc achever et croire que la même main, qui empêcherait l'enfer de prévaloir contre le ministère jusqu'à en ôter ces aliments nécessaires, l'empêcherait aussi de prévaloir jusqu'à y faire dominer aucune erreur ; d'autant plus que ce qu'il a cru enferme manifestement ce qui reste à croire. Car s'il a cru sur la foi de la promesse divine qu'il y aurait toujours une Eglise avec laquelle Jésus-Christ ne cesserait d'enseigner, c'est-à-dire sans difficulté, qu'il ne cesserait d'enseigner avec les docteurs de cette Eglise : il fallait croire par même moyen qu'il y enseignerait toute vérité, Jésus-Christ n'étant pas venu et n'ayant pas envoyé son Saint-Esprit à ses apôtres pour leur enseigner quelques vérités, mais pour leur enseigner toute vérité, comme lui-même l'a déclaré dans son Evangile (3).

Et il ne servirait de rien de dire que M. Claude promet seulement dans le ministère des aliments suffi sans; ce qui pourrait ne comprendre que les fondements de la foi à la manière dont nos réformés les trouvent parmi les luthériens. Car la doctrine de Jésus-Christ ne contenant rien qui ne soit utile, conformément à cette parole : « Je suis le Seigneur qui t'enseigne des choses utiles (4),» si on ne trouve dans le ministère la doctrine de Jésus-Christ tout entière, on n'y trouvera jamais ce degré requis par

 

1 Ephes., IV, 12. — 2 Rép. man., ibid. — 3 Joan., XVI, 13. — 4 Isa., XLVIII, 17.

 

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M. Claude, ni cet état SUFFISANT pour amener tous les élus a la perfection dont parle saint Paul.

Ce serait donc quelque chose de croire que parla promesse Dieu conserverait sans interruption dans le ministère ecclésiastique toutes les vérités essentielles : car ce serait reconnaître dans l'Eglise avec laquelle Jésus-Christ enseigne, un commencement d'autorité infaillible, en reconnaissant cette autorité du moins à l'égard de ces premières vérités du christianisme. Mais pour achever l'ouvrage et ne pas croire à demi, il faut croire encore que Jésus-Christ, en enseignant, enseigne tout et confesser dans son Eglise une infaillibilité absolue.

Ainsi il ne faut pas dire avec les ministres et leur troupeau incrédule : Ce ministère ecclésiastique, c'est des hommes sujets à faillir ; on peut douter après eux : car cela, c'est succomber à la tentation et ne plus croire à la promesse. Il faut dire : « C'est des hommes avec qui Jésus-Christ promet d'être et d'enseigner toujours : alors malgré la faiblesse humaine et tous les efforts de l'enfer, on croit « contre l'espérance en espérance (1)» qu'on trouvera éternellement dans leur commune prédication, non pas quelques vérités ou seulement les vérités principales, mais l'entière plénitude des vérités chrétiennes. Quoi qu'on dise, ce n'est pas croire à l'aveugle que de croire ainsi, ou c'est croire à l'aveugle comme Abraham, sur la parole de Dieu même et sur la foi de ses promesses.

Combien donc est insupportable la doctrine de M. Claude, qui, après avoir reconnu tant de magnifiques promesses de Jésus-Christ en faveur de ce ministère sacré, replongé tout d'un coup, je ne sais comment, dans les ténèbres de sa secte d'où il commençait à sortir, nous montre le ministère si abandonné de Jésus-Christ, qu'il n'y a plus de remède à ses erreurs qu'en déposant tout d'un coup tous ceux qui sont dans la chaire ! Quel rapport de ces promesses si bien reconnues avec une corruption si universelle?

M. Claude n'aurait donc qu'à s'écouter un peu lui-même pour venir à nous : après avoir reconnu en vertu de la promesse divine l'éternité du ministère ecclésiastique dans CET ÉTAT SUFFISANT qu'il nous représente, pour y trouver toujours TOUTE VÉRITÉ, il n'aurait

 

1 Rom., IV, 18.

 

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plus qu'à penser que cette assistance imparfaite, et pour ainsi dire ce demi-secours de Jésus-Christ envers son Eglise, n'est digne ni de sa sagesse ni de sa puissance ; étant assuré d'ailleurs qu'il n'y a de vraie suffisance dans le ministère que par la pleine manifestation de la vérité révélée de Dieu, conformément à cette parole de l'Apôtre : « Nous nous faisons approuver devant Dieu à toute bonne conscience par la manifestation de la vérité (1). » D'où il conclut aussitôt après, « que si notre Evangile,» c'est-à-dire très-certainement notre prédication, « est couverte encore, ce n'est que pour ceux qui périssent, » afin de nous faire entendre que la prédication, toujours claire et toujours sincère dans l'Eglise catholique, n'a d'obscurité que dans les rebelles, dont le démon, « le dieu de ce siècle, » et l'esprit d'orgueil, « aveugle les entendements, » comme poursuit le même Apôtre, « afin qu'ils ne voient pas la lumière resplendissante de la prédication de l'Evangile. »

Il est maintenant aisé de voir que toutes les subtilités de M. Claude ne servent qu'à le confondre. Que lui sert en reconnaissant la perpétuelle visibilité de l'Eglise, d'avoir tâché d'éluder les suites de cette doctrine, en réduisant l'Eglise aux vrais fidèles? Je le veux; que partout où il trouve Eglise, il entende les vrais fidèles ; qu'il explique même, s'il veut, ces paroles : « Dites-le à l'Eglise (2) » dites-le aux vrais fidèles, démêlez-les parmi la troupe et jugez avant le Seigneur : ou parce qu'il s'agit ici trop visiblement, comme lui-même le reconnaît (3), « de l'Eglise représentée par ses pasteurs, » qu'il dise que ces pasteurs représentent les vrais fidèles qu'on ne connaît pas, et agissent en leur nom. Que serviront après tout ces explications, puisqu'enfin selon lui cette vraie Eglise se trouvera toujours visible et ces vrais fidèles toujours sous un ministère public, Jésus-Christ permettant si peu d'en séparer son Eglise, que même après ces paroles : « Dites-le à l'Eglise et s'il n'écoute l'Eglise, qu'il vous soit comme un gentil ; » pour montrer combien redoutable est le jugement de l'Eglise, il exprime incontinent l'efficace du ministère par ces mots : « Tout ce que vous lierez sur la terre, sera lié dans le ciel (4),» et le reste

 

1 II Cor., IV, 2-4. — 2 Matth., XVIII, 17. — 3 Rép. man., IVe quest. — 4 Matth., XVIII, 18.

 

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que tout le monde sait. Ainsi je conclus toujours également que l'Eglise qu'il nous faut montrer SANS INTERRUPTION, soit que ce soit les seuls vrais fidèles, ou si l'on veut les seuls élus, soit que ce soit en un certain sens les médians mêlés avec eux et ceux qui croient pour un temps, selon l'expression de l'Evangile (1), est une Eglise toujours recueillie sous un ministère visible et un corps toujours subsistant de peuple avec des pasteurs, où la vérité soit prêchée, non pas en cachette, mais sur les toits (2). Qu'on tourne tant qu'on voudra, c'est une Eglise de cette nature et de cette constitution qu'il nous faut montrer dans tous les temps, de l'aveu de M. Claude. La faire disparaître un seul moment, c'est l'anéantir tout à fait, et renverser les promesses de l'Evangile dans ce qu'elles ont de plus sensible et de plus éclatant : la faire paraître toujours, c'est établir invinciblement l'Eglise romaine. Ainsi ce que nous explique M. Claude avec tant de soin, outre qu'il est faux, laisse la difficulté tout entière, et sa cause en aussi mauvais état qu'elle était avant ses défenses. Mais afin qu'on ne dise pas que nous nous sommes contenté de le réfuter, disons-lui la vérité en peu de mots.

Le fond de l'Eglise, c'est les vrais fidèles, et ceux-là principalement qui, « persévérant jusqu'à la fin (3), » demeurent éternellement en Jésus-Christ, et Jésus-Christ en eux, c'est-à-dire les élus. Les médians qui les environnent sont compris à leur manière sous le nom d'Eglise, comme les ongles, comme les cheveux, comme un œil crevé et un bras perclus qui peut-être ne reçoit plus de nourriture, est compris sous le nom du corps. Tout est à ces vrais fidèles. Le ministère sous lequel ils vivent est à eux, au sens que saint Paul a dit : « Tout est à vous, soit Paul, soit Apollo ou Céphas (4). » Non que la puissance de leurs pasteurs vienne d'eux, ou qu'ils puissent seuls les établir et les déposer, à Dieu ne plaise : cette puissance pastorale el apostolique vient de celui qui a dit : « Comme mon Père m'a envoyé, ainsi je vous envoie (5). » C'est ce qui a fait dire à saint Paul dans le même lieu : « Qu'est-ce qu'Apollo, et qu'est-ce que Paul? Les ministres de celui à qui

 

1 Matth., XIII, 21. — 2 Matth., X, 2 7.— 3 Ibid., 22. — 4 I Cor., III, 22. — 5 Joan., XX, 21.

 

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vous avez cru, et chacun selon que Dieu lui a donné (1) ; » à vous d'être fidèles, et à nous d'être pasteurs. C'est pourquoi il ajoute encore : « Nous sommes ouvriers, » ou pour mieux dire, « coopérateurs de Dieu (2). » Ces ministres et ces ouvriers établis de Dieu sont aussi ministres des fidèles, et en ce sens sont à eux, parce qu'ils sont « leurs serviteurs en Jésus-Christ (3), » établis dans la chaire, non pas pour eux-mêmes, car pour eux il leur suffirait d'être de simples fidèles, mais pour édifier les saints. Qui désire d'être dans la communion de ces saints, n'a que faire de se tourmenter à les discerner d'avec les autres : car encore qu'ils ne soient connus et parfaitement discernés que de Dieu seul, on est assuré de les trouver sous le ministère public et dans la profession extérieure de l'Eglise catholique. Il n'y a donc qu'à y demeurer pour être assuré de trouver les saints, parce que cette profession et la parole des prédicateurs toujours féconde, qui ne manque jamais d'en engendrer, les tient toujours inséparablement unis à la sainte société où ils l'ont reçue. C'est pourquoi quand Jésus-Christ promet d'enseigner toujours avec son Eglise, il comprend tout dans cette parole ; et rendant par la vertu de cette promesse l'Eglise infaillible au dehors dans la manifestation de la vérité, il la rend dans l'intérieur toujours féconde. Si les prédicateurs de la vérité sont par leur vie corrompue indignes de leur ministère, Dieu ne laisse pas de s'en servir pour sanctifier ses fidèles : car il est puissant pour vivifier, même par les morts, et un bras pourri peut devenir agissant entre ses mains. Au reste ces vrais fidèles connus de Dieu seul, animent tout le ministère ecclésiastique : un petit nombre de ces saints cachés suffit souvent à rendre efficaces les prières de toute une Eglise ; la conversion des pécheurs sera souvent aussitôt l'effet de leurs gémissements secrets que le fruit des prédications les plus éclatantes. C'est pourquoi saint Augustin attribue les salutaires effets du ministère à ces bonnes âmes, pour lesquelles et par lesquelles le Saint-Esprit est pleinement dans l'Eglise. Mais que la puissance ecclésiastique pour cela dépende d'eux, c'est ce que saint Augustin ni aucun des saints docteurs n'a jamais pensé ; et M. Claude, qui les cite, ne les entend pas. On le

 

1 I Cor., III, 4, 5. — 2 Ibid., 9. — 3 II Cor., IV, 5.

 

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verra pleinement quand il publiera son écrit : il nous suffit en attendant, d'avoir montré qu'il est de ceux, et Dieu veuille qu'il n'en soit pas jusqu'à la fin, qu'il est, dis-je, de ceux dont parle saint Paul, « qui se condamnent eux-mêmes (1). »

C'est en effet selon cet Apôtre le vrai caractère de toutes les hérésies; et aucune société n'a jamais porté plus visiblement ce caractère marqué par saint Paul, que l'Eglise prétendue réformée.

Elle se condamne elle-même, lorsque n'osant assurer qu'elle soit infaillible, elle se voit néanmoins contrainte d'agir comme si elle l'était, et de rendre témoignage à l'Eglise catholique en l'imitant.

Elle se condamne elle-même, lorsqu'elle élève tous les particuliers qu'elle enseigne au-dessus de son propre jugement; et les forçant, quelque ignorants qu'ils se sentent, à examiner après elle, sans les rendre capables, elle les rend seulement indociles et présomptueux.

Elle se condamne elle-même, puisqu'en vantant les Ecritures, elle ne se sent pas assez d'autorité pour les faire recevoir à ses sectateurs sur sa parole ; et laisse ses propres enfants, à qui elle les présente à lire, dans les incertitudes d'une foi humaine.

Elle se condamne elle-même, lorsque forcée d'avouer qu'elle ne s'est établie qu'en rompant avec tout ce qu'il y avait d'églises chrétiennes dans le monde, elle se donne le propre caractère de toutes les fausses églises.

Enfin elle se condamne elle-même, lorsque forcée à reconnaître la perpétuelle visibilité de l'Eglise dans l'indéfectibilité du ministère, elle ne peut se soutenir sans reconnaître d'ailleurs dans le ministère une corruption universelle, et sans autoriser les particuliers contre toute la succession de l'ordre apostolique.

Que si elle se condamne elle-même en tant de sortes, qu'il lui serait salutaire de se condamner enfin elle-même, en retournant dans le sein de l'Eglise catholique, qui ne cesse de la rappeler à son unité!

Que ces Messieurs ne nous parlent plus des abus qui nous font gémir. C'est mal remédier aux maux de l'Eglise que d'y ajouter

 

1 Tit., III, 11.

 

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celui du schisme. Sont-ils si heureux ou, pour mieux dire, si orgueilleux et si aveugles, qu'ils ne sentent rien à déplorer parmi eux? Et veulent-ils autoriser tant de sectes sorties de leur sein, qui en se plaignant de leurs désordres dans ce même esprit de chagrin superbe avec lequel ils ont autrefois tant exagéré les nôtres, font tous les jours schisme avec eux, comme ils l'ont fait avec nous? Que n'écoutent-ils plutôt la charité même, l'unité même, et l'Eglise catholique, qui leur dit par la bouche de saint Cyprien : « Ne vous persuadez pas, nos chers frères et nos chers enfants, que vous puissiez jamais défendre l'Evangile de Jésus-Christ en vous séparant de son troupeau, de son unité et de sa paix. De bons soldats, qui se plaignent des désordres qu'ils voient dans l'armée, doivent demeurer dans le camp pour y remédier d'un commun avis sous l'autorité du capitaine, » et non pas en sortir pour exposer l'armée ainsi désunie aux invasions de l'ennemi. « Puis donc que l'unité ecclésiastique ne doit point être déchirée, et que d'ailleurs nous ne pouvons pas quitter l'Eglise pour aller à vous, revenez, revenez plutôt à l'Eglise votre Mère et à notre fraternité : c'est à quoi nous vous exhortons avec tout l'effort d'un amour vraiment fraternel (1). » Amen, amen.

 

1 Cypr., ep. XLIII, ad Confess.; ed. Baluz., ép. XLIV, p. 58.

 

FIN DES RÉFLEXIONS ET DU TREIZIÈME VOLUME.

 

 

 

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