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PRÉFACE.

 

DESSEIN DE L'OUVRAGE.

 

Idée générale de la religion protestante et de ses variations : que la découverte en est utile à la connaissance de la véritable doctrine, et à la réconciliation des esprits : les auteurs dont on se sert dans cette histoire.

 

Si les protestants savaient à fond comment s'est formée leur religion; avec combien de variations et avec quelle inconstance leurs confessions de foi ont été dressées; comment ils se sont séparés premièrement de nous, et puis entre eux ; par combien de subtilités, de détours et d'équivoques ils ont tâché de réparer leurs divisions, et de rassembler les membres épars de leur Réforme désunie : cette Réforme dont ils se vantent, ne les contenterait guère ; et pour dire franchement ce que je pense, elle ne leur inspirerait que du mépris. C'est donc ces variations, ces subtilités, ces équivoques et ces artifices dont j'entreprends de faire l'histoire : mais afin que ce récit leur soit plus utile, il faut poser quelques principes dont ils ne puissent disconvenir, et que la suite d'un récit, quand on y sera engagé, ne permettrait pas de déduire.

Lorsque parmi les chrétiens on a vu des variations dans l’exposition de la foi, on les a toujours regardées comme une marque de fausseté et d'inconséquence (qu'on me permette ce mot) dans la doctrine exposée. La foi parle simplement : le Saint-Esprit répand des lumières pures, et la vérité qu'il enseigne a un langage toujours uniforme. Pour peu qu'on sache l'histoire de l'Eglise, on saura qu'elle a opposé à chaque hérésie des explications propres et précises, qu'elle n'a aussi jamais changées; et si l'on prend garde aux expressions par lesquelles elle a condamné

les hérétiques, on verra qu'elles vont toujours à attaquer l'erreur dans sa source, par la voie la plus courte et la plus droite.

 

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C'est pourquoi tout ce qui varie, tout ce qui se charge de termes douteux et enveloppés a toujours paru suspect, et non-seulement frauduleux, mais encore absolument faux, parce qu'il marque un embarras que la vérité ne connoit point. C'a été un des fondements sur lesquels les anciens docteurs ont tant condamné les ariens, qui faisaient tous les jours paraître des confessions de foi de nouvelle date, sans pouvoir jamais se fixer. Depuis leur première confession de foi, qui fut faite par Arius et présentée par cet hérésiarque à son évêque Alexandre, ils n'ont jamais cessé de varier. C'est ce que saint Hilaire reproche à Constance, protecteur de ces hérétiques ; et pendant que cet empereur assemblait tous les jours de nouveaux conciles pour réformer les symboles, et dresser de nouvelles confessions de foi, ce saint évêque lui adresse ces fortes paroles : « La même chose vous est arrivée qu'aux ignorants architectes, à qui leurs propres ouvrages déplaisent toujours : vous ne faites que bâtir et détruire : au lieu que l'Eglise catholique, dès la première fois qu'elle s'assembla, fit un édifice immortel, et donna dans le Symbole de Nicée une si pleine déclaration de la vérité, que pour condamner éternellement l'arianisme il n'a jamais fallu que la répéter (1). »

Ce n'a pas été seulement les ariens qui ont varié de cette sorte : toutes les hérésies dès l'origine du christianisme ont eu le même caractère; et longtemps avant Arius, Tertullien avait déjà dit : « Les hérétiques varient dans leurs règles, c'est-à-dire, dans leurs confessions de foi : chacun parmi eux se croit en droit de changer et de modifier par son propre esprit ce qu'il a reçu, comme c'est par son propre esprit que l'auteur de la secte l'a composé : l'hérésie retient toujours sa propre nature en ne cessant d'innover, et le progrès de la chose est semblable à son origine. Ce qui a été permis à Valentin l'est aussi aux valentiniens : les marcionites ont le même pouvoir que Marcion, et les auteurs d'une hérésie n'ont pas plus de droit d'innover que leurs sectateurs: tout change dans les hérésies; et quand on les pénètre à fond, on les trouve dans leur suite différentes en beaucoup de points de ce qu'elles ont été dans leur naissance (2). »

 

1 Ad Const., n. 23, col, 1254. — 2 De Prœscr., cap. XLII.

 

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Ce caractère de l'hérésie a toujours été remarqué par les catholiques; et deux saints auteurs du huitième siècle ont écrit que « l'hérésie en elle-même est toujours une nouveauté, quelque vieille qu'elle soit; mais que pour se conserver encore mieux le titre de nouvelle, elle innove tous les jours, et tous les jours elle change sa doctrine (1). »

Mais pendant que les hérésies toujours variables ne s'accordent  pas avec elles-mêmes, et introduisent continuellement de nouvelles règles, c'est-à-dire de nouveaux symboles : dans l'Eglise, dit Tertullien, « la règle de la foi est immuable, et ne se réforme point (2) : » c'est que l'Eglise, qui fait profession de ne dire et de n'enseigner que ce qu'elle a reçu, ne varie jamais ; et au contraire l'hérésie, qui a commencé par innover, innove toujours et ne change point de nature.

De là vient que saint Chrysostome traitant ce précepte de l'Apôtre : « Evitez les nouveautés profanes dans vos discours, » a fait cette réflexion : «  Evitez les nouveautés dans vos discours, car les choses n'en demeurent pas là : une nouveauté en produit une autre ; et on s'égare sans fin quand on a une fois commencé à s’égarer (3). »

Deux choses causent ce désordre dans les hérésies : l'une est   vu. tirée du génie de l'esprit humain, qui depuis qu'il a goûté une fois l'appât de la nouveauté, ne cesse de rechercher avec un appétit déréglé cette trompeuse douceur; l'autre est tirée de la différence de ce que Dieu fait d'avec ce que font les hommes. La vérité catholique, venue de Dieu, a d'abord sa perfection : l'hérésie, faible production de l'esprit humain, ne se peut faire que par pièces mal assorties. Pendant qu'on veut renverser, contre le précepte du Sage, « les anciennes bornes posées par nos pères (4), » et réformer la doctrine une fois reçue parmi les fidèles, on s'engage sans bien pénétrer toutes les suites de ce qu'on avance ; ce qu'une fausse lueur avait fait hasarder au commencement, se trouve avoir des inconvénients qui obligent les réformateurs à se réformer tous les jours : de sorte qu'ils ne peuvent dire quand

 

1 Eth. et Beat., lib. I cont. Elip. — 2 De virg. veland., n. 1. — 3 Hom. 5 in H ad Timoth. — 4 Prov., XXII, 28.

 

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finiront les innovations, ni jamais se contenter eux-mêmes. vin. Voilà les principes solides et inébranlables par lesquels je prétends démontrer aux protestants la fausseté de leur doctrine dans leurs continuelles variations, et dans la manière changeante dont ils ont expliqué leurs dogmes, je ne dis pas seulement en particulier, mais en corps d'église, dans les livres qu'ils appellent symboliques, c'est-à-dire dans ceux qu'on a faits pour exprimer le consentement des églises, en un mot dans leurs propres confessions de foi arrêtées, signées, publiées, dont on a donné la doctrine comme une doctrine qui ne contenait que la pure parole de Dieu, et qu'on a changées néanmoins en tant de manières dans les articles principaux.

Au reste, quand je parlerai de ceux qui se sont dits réformés en ces derniers siècles, mon dessein n'est point de parler des sociniens, ni des différentes sociétés d'anabaptistes, ni de tant de diverses sectes qui s'élèvent en Angleterre et ailleurs dans le sein de la nouvelle Réforme : mais seulement de ces deux corps, dont l'un comprend les luthériens, c'est-à-dire ceux qui ont pour règle la Confession d'Augsbourg, et l'autre suit les sentiments de Zuingle et de Calvin. Les premiers dans l'institution de l'Eucharistie, sont défenseurs du sens littéral, et les autres du sens figuré. C'est aussi par ce caractère que nous les distinguerons principalement les uns des autres, quoiqu'il y ait entre eux beaucoup d'autres démêlés très-graves et très-importants, comme la suite le fera paraître.

Les luthériens nous diront ici qu'ils prennent fort peu de part aux variations et à la conduite des zuingliens et des calvinistes : et quelques-uns de ceux-ci pourront penser à leur tour que l'inconstance des luthériens ne les touche pas : mais ils se trompent les uns et les autres, puisque les luthériens peuvent voir dans les calvinistes les suites du mouvement qu’ils ont excité ; et au contraire, les calvinistes doivent remarquer dans les luthériens le désordre et l'incertitude du commencement qu'ils ont suivi; mais surtout les calvinistes ne peuvent nier qu'ils n'aient toujours regardé Luther et les luthériens comme leurs auteurs ; et sans parler de Calvin, qui a souvent nommé Luther avec respect

 

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comme le chef de la Réforme, on verra dans la suite de cette histoire (1), tous les calvinistes ( j'appelle ici de ce nom le second parti des protestants) Allemands, Anglais, Hongrois, Polonais, Hollandais, et tous les autres généralement assemblés à Francfort (2) par les soins de la reine Elisabeth, après avoir reconnu a ceux de la Confession d'Augsbourg, » c'est-à-dire les luthériens, a comme les premiers qui ont fait renaître l'Eglise, » reconnaître encore la Confession d'Augsbourg comme une pièce commune de tout le parti qu'ils ne veulent pas contredire, « mais seulement la bien entendre; » et encore dans un seul article, qui est celui de la Cène, nommant aussi pour cette raison parmi leurs pères, non-seulement Zuingle, Bucer et Calvin, mais encore Luther et Mélanchthon, et mettant Luther à la tête de tous les réformateurs.

Qu'ils disent après cela que les variations de Luther et des luthériens ne les touchent pas : nous leur dirons au contraire que selon leurs propres principes et leurs propres déclarations, montrer les variations et les inconstances de Luther et des luthériens, c'est montrer l'esprit de vertige dans la source de la Réforme et dans la tète où elle a été premièrement conçue.

On a imprimé à Genève, il y a longtemps, un recueil de confessions de foi (3), où avec celle des défenseurs du sens figuré, comme de France et des Suisses, sont aussi celles des défenseurs du sens littéral, comme celle d'Augsbourg et quelques autres ; et ce qu'il y a de plus remarquable, c'est qu'encore que les confessions qu'on y a ramassées soient si différentes, et se condamnent les unes les autres en plusieurs articles de foi, on ne laisse pas néanmoins de les proposer dans la préface de ce recueil, a comme un corps entier de la sainte théologie, et comme des registres authentiques où il fallait avoir recours pour connaître la foi ancienne et primitive. » Elles sont dédiées aux rois d'Angleterre, d'Ecosse, de Danemark et de Suède, et aux princes et républiques qui par elles sont suivies. N'importe que ces rois et ces Etats soient séparés entre eux de communion aussi bien que de croyance. Ceux de Genève ne laissent pas de leur parler comme à

 

1 Liv.   XII. — 2 Act. auth. Blond., p.   65. — 3 Syntagma Conf. fidei, Gen., 1654.

 

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des fidèles « éclairés dans ces derniers temps, par une grâce singulière de Dieu, de la véritable lumière de son Evangile, » et ensuite de leur présenter à tous ces confessions de foi comme a un monument éternel de la piété extraordinaire de leurs ancêtres. »

C'est qu'en effet ces doctrines sont également adoptées par les calvinistes, ou absolument comme véritables, ou du moins comme n'ayant rien de contraire au fondement de la foi : et ainsi quand on verra dans cette histoire la doctrine des confessions de foi, je ne dis pas de France ou des Suisses et des autres défenseurs du sens figuré, mais encore d'Augsbourg et des autres qui ont été faites par les luthériens, on ne la doit pas prendre pour une doctrine étrangère au calvinisme, mais pour une doctrine que les calvinistes ont expressément approuvée comme véritable, ou en tout cas épargnée comme innocente dans les actes les plus authentiques qui se soient faits parmi eux.

Je n'en dirai pas autant des luthériens, qui, au lieu d'être touchés de l'autorité des défenseurs du sens figuré, n'ont que du mépris et de l'aversion pour leurs sentiments. Leurs propres changements les doivent confondre. Quand on ne ferait seulement que lire les titres de leurs confessions de foi dans ce recueil de Genève et dans les autres livres de cette nature, où nous les voyons ramassées, on serait étonné de leur multitude. La première qu'on voit paraître est celle d'Augsbourg, d'où les luthériens prennent leur nom. On la verra présenter à Charles V, en 1530, et on verra depuis qu'on y a touché et retouché plusieurs fois. Mélanchthon, qui l'avait dressée, en tourna encore le sens d'une autre manière dans l’Apologie qu'il en fit alors, souscrite de tout le parti : ainsi elle fut changée en sortant des mains de son auteur. Depuis on n'a cessé de la réformer, et de l'expliquer en différentes manières ; tant ces nouveaux réformateurs avoient de peine à se contenter, et tant ils étaient peu stylés à enseigner précisément ce qu'il fallait croire.

Mais comme si une seule confession de foi ne suffisent pas sur les mêmes matières, Luther crut qu'il avait besoin d'expliquer ses sentiments d'une autre façon, et dressa en 1537 les articles de Smalcalde, pour être présentés au concile que le pape Paul III

 

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avait indiqué à Mantoue : les articles furent souscrits par tout le parti, et se trouvent insérés dans le livre que les luthériens appellent Concorde (1).

Cette explication ne satisfit pas tellement, qu'il ne fallût encore dresser la confession que l'on appelle Saxonique. qui fut présentée au concile de Trente en l'an 1551, et celle de Vitenberg, qui fut aussi présentée au même concile en 1552.

A tout cela il faut joindre les explications de l'église de Vitenberg, où la Réforme avait pris naissance, et les autres que cette histoire fera paraître en leur rang, principalement celle du livre de la Concorde dans l’abrégé des articles, et encore dans le même livre les explications répétées (2), qui sont tout autant de confessions de foi publiées authentiquement dans le parti, embrassées par des églises, combattues par d'autres dans des points très-importants; et ces églises ne laissent pas de faire semblant de composer un seul corps, à cause que par politique elles dissimulent leurs dissensions sur l'ubiquité et sur les autres matières.

L'autre parti des protestants n'a pas été moins fécond en confessions de foi. En même temps que celle d'Augsbourg fut présentée à Charles V, ceux qui ne voulurent pas en convenir lui présentèrent la leur, qui fut publiée sous le nom de quatre villes de l'Empire, dont celle de Strasbourg était la première.

Elle satisfit si peu les défenseurs du sens figuré, que chacun voulut faire la sienne : nous en verrons quatre ou cinq de la façon des Suisses. Mais si les ministres zuingliens avoient leurs pensées, les autres avoient aussi les leurs; et c'est ce qui a produit la confession de France et de Genève. On voit à peu près dans le même temps deux confessions de foi sous le nom de l'Eglise anglicane, et autant sous le nom des églises d'Ecosse. L'Electeur Palatin Fridéric III voulut faire la sienne en particulier, et celle-ci a trouvé sa place avec les autres dans le recueil de Genève. Ceux des Pays-Bas ne se sont tenus à pas une de celles qu'on avait faites devant eux, et nous avons une confession de foi belgique approuvée au synode de Dordrecht. Pourquoi les calvinistes polonais n'auraient-ils pas eu la leur ? En effet, encore qu'ils eussent

 

1 Concord., p. 298, 730. — 2 Concord., p. 570, 778.

 

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souscrit la dernière confession des zuingliens, on voit qu'ils ne laissent pas d'en publier encore une autre au synode de Czenger : outre cela s'étant assemblés avec les vaudois et les luthériens à s’endomir, ils convinrent d'une nouvelle manière d'expliquer l'article de l'Eucharistie, sans qu'aucun d'eux se départît de ses sentiments.

Je ne parle pas de la confession de foi des Bohémiens, qui voulaient contenter les deux partis de la nouvelle Réforme. Je ne parle pas des traités d'accord qui furent faits entre les églises avec tant de variétés et tant d'équivoques : ils paraîtront en leur lieu avec les décisions des synodes nationaux, et d'autres confessions de foi faites en différentes conjonctures. Est-il possible, ô grand Dieu! que sur les mêmes matières et sur les mêmes questions on ait eu besoin de tant d'actes multipliés, de tant de décisions et de confessions de foi si différentes ! Encore ne puis-je pas me vanter de les savoir toutes, et j'en sais que je n'ai pu trouver. L'Eglise catholique n'en eut jamais qu'une à opposer à chaque hérésie : mais les églises de la nouvelle Réforme, qui en ont produit un si grand nombre, chose étrange, et néanmoins véritable ! n'en sont pas encore contentes ; et on verra dans cette histoire qu'il n'a pas tenu à nos calvinistes qu'ils n'en aient fait de nouvelles, qui aient supprimé ou réformé toutes les autres.

On est étonné de ces variations. On le sera beaucoup davantage quand on verra le détail et la manière dont des actes si authentiques ont été dressés. On s'est joué, je le dis sans exagérer, du nom de confession de foi, et rien n'a été moins sérieux dans la nouvelle Réforme que ce qu'il y a de plus sérieux dans la religion.

Cette prodigieuse multitude de confessions de foi a effrayé ceux qui les ont faites; on verra les pitoyables raisons par lesquelles ils unt.de ont tâché de s'en excuser : mais je ne puis m'empêcher ici de rapporter celles qui sont proposées dans la préface du recueil de textes dont Genève (1), parce qu'elles sont générales, et regardent également toutes les églises qui se disent réformées.

La première raison qu'on allègue pour établir la nécessité de multiplier ces confessions, c'est que plusieurs articles de foi ayant été attaqués, il a fallu opposer plusieurs confessions à ce grand

 

1 Synt. Conf., Prœf.

 

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nombre d'erreurs : j'en conviens, et en même temps par une raison contraire je démontre l'absurdité de toutes ces confessions de foi des protestants, puisque toutes, comme il paraît par la seule lecture des titres, regardent précisément les mêmes articles ; de sorte que c'était le cas de dire avec saint Athanase : « Pourquoi un nouveau concile, de nouvelles confessions» un nouveau symbole? Quelle nouvelle question s'était élevée (1)? »

Une autre excuse qu'on apporte, c'est que tout le monde, comme dit l'Apôtre, doit rendre raison de sa foi; de sorte que les églises répandues en divers lieux ont dû déclarer leur croyance par un témoignage public; comme si toutes les églises du monde, dans quelque éloignement qu'elles soient, ne pouvaient pas convenir dans le même témoignage quand elles ont la même croyance, et qu'on n'ait pas vu en effet dès l'origine du christianisme un semblable consentement dans les églises. Où est-ce que l'on me montrera que les églises d'Orient aient eu dans l'antiquité une confession différente de celle d'Occident? Le Symbole de Nicée ne leur a-t-il pas servi également de témoignage contre tous les ariens? La définition de Calcédoine, contre tous les eutychiens? les huit chapitres de Carthage, contre tous les pélagiens? et ainsi du reste.

Mais, disent les protestants, y avait-il une des églises réformées qui pût faire la loi à toutes les autres? Non, sans doute : toutes ces nouvelles églises, sous prétexte d'éloigner la domination, se sont même privées de l'ordre, et n'ont pas pu conserver le principe d'unité. Mais enfin si la vérité les dominait toutes comme elles s'en glorifient, il ne fallait autre chose pour les unir dans une. même confession de foi, sinon que toutes entrassent dans le sentiment de celle à qui Dieu aurait fait la grâce d'exposer la première la vérité.

Enfin nous lisons encore dans la Préface de Genève que si la Réforme n'avait produit qu'une seule confession de foi, on aurait pris ce consentement pour un concert étudié ; au lieu qu'un consentement entre tant d'églises et de confessions de foi sans concert, est l'œuvre du Saint-Esprit. Ce concert en effet serait

 

1 Athan., De Syn. et Ep. ad Afr.

 

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merveilleux : mais par malheur la merveille du consentement manque à ces confessions de foi , et cette histoire fera paraître qu’il n’y eut jamais dans une matière si sérieuse une si étrange inconstance.

On s'est aperçu d'un si grand mal dans la Réforme, et on a vainement tenté d'y remédier. Tout le second parti des protestants a tenu une assemblée générale pour dresser une commune confession de foi. Mais nous verrons par les actes qu'autant qu'on trouvait d'inconvénient à n'en avoir point, autant fut-il impossible d’en convenir (1). »

Les luthériens, qui paraissent plus unis dans la Confession d’Augsbourg, n'ont pas été moins embarrassés de ses éditions différentes, et n'y ont pas pu trouver un meilleur remède (2).

On sera fatigué sans doute en voyant ces variations et tant de fausses subtilités de la nouvelle Réforme, tant de chicanes sur les mots, tant de divers accommodements, tant d'équivoques et d'explications forcées sur lesquelles on les a fondées. Est-ce là, dira-t-on souvent, la religion chrétienne, que les païens ont admirée autrefois comme si simple, si nette et si précise en ces dogmes ? Christianam religionem absolutam et simplicem? Non certainement, ce ne l'est pas. Ammian Marcellin avait raison, quand il disait que Constance, par tous ses conciles et tous ses symboles, s'était éloigné de cette admirable simplicité, et qu'il avait affaibli toute la vigueur de la foi par la crainte perpétuelle qu'il avait de s'être trompé dans ses sentiments (2).

Encore que mon intention soit ici de représenter les confessions de foi et les autres actes publics où paraissent les variations, non pas des particuliers, mais des églises entières de la nouvelle Réforme, je ne pourrai m'empêcher de parler en même temps des chefs de parti qui ont dressé ces confessions, ou qui ont donné lieu appellent à ces changements. Ainsi Luther, Mélanchthon, Carlostad, Zuingle, Bucer, Oecolampade, Calvin, et les autres paraîtront souvent sur les rangs; mais je n'en dirai rien qui ne soit tiré le plus souvent de leurs propres écrits, et toujours d'auteurs non suspects : de sorte qu'il n'y aura dans tout ce récit aucun fait qui ne soit

 

1 Liv. XII. — 2 Liv. III, VIII. — 2 Ammian. Marcel., lib. XXI.

 

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constant et utile à faire entendre les variations dont j'écris l'histoire.

Pour ce qui regarde les actes publics des protestants, outre leurs  confessions de foi et leurs catéchismes, qui sont entre les mains de tout le monde, j'en ai trouvé quelques-uns dans le recueil de Genève; d'autres dans le livre appelé Concorde, imprimé par les luthériens en 1654; d'autres dans le résultat des synodes nationaux de nos prétendus réformés, que j'ai vus en forme authentique dans la bibliothèque du Roi ; d'autres dans l’ Histoire Sacramentaire, imprimée à Zurich en 1602, par Hospinien, auteur zuinglien; ou enfin dans d'autres auteurs protestants : en un mot je ne dirai rien qui ne soit authentique et incontestable. Au reste, pour le fond des choses, on sait bien de quel avis je suis : car assurément je suis catholique aussi soumis qu'aucun autre aux décisions de l'Eglise, et tellement disposé que personne ne craint davantage de préférer son sentiment particulier au sentiment universel. Après cela d'aller faire le neutre et l'indifférent à cause que j'écris une histoire, ou de dissimuler ce que je suis quand tout le monde le sait et que j'en fais gloire, ce serait faire au lecteur une illusion trop grossière : mais avec cet aveu sincère, je maintiens aux protestants qu'ils ne peuvent me refuser leur croyance, et qu'ils ne liront jamais nulle histoire, quelle qu'elle soit, plus indubitable que celle-ci, puisque dans ce que j'ai à dire contre leurs églises et leurs auteurs, je n'en raconterai rien qui ne soit prouvé clairement par leurs propres témoignages. Je n'ai pas épargné ma peine à les transcrire, et le lecteur se plaindra peut-être que je n’aie pas assez ménagé la sienne. D’autres trouveront mauvais que je me sois quelquefois attaché à des choses qui leur paraîtront méprisables : mais outre que ceux qui sont accoutumés à traiter les matières de la religion, savent bien que dans un sujet de cette importance et de cette délicatesse, presque tout, jusqu'aux moindres mots, est essentiel, il a fallu considérer, non ce que les choses sont en elles-mêmes, mais ce qu'elles ont été, ou sont encore dans l'esprit de ceux à qui j'ai affaire; et après tout on verra bien que cette histoire est d'un genre tout particulier; qu'elle a dû paraître avec toutes ses preuves, et munie pour ainsi dire de tous côtés; et qu'il a fallu

 

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hasarder de la rendre moins divertissante, pour la rendre plus convaincante et plus utile.

Quoique mon dessein me renferme dans l'histoire des protestants, j'ai cru en certains endraits devoir remonter plus haut (1) ; et c'a été lorsqu'on a vu les vaudois et les hussites se réunir avec les calvinistes et les luthériens. Il a donc fallu en ces endraits faire connaître l'origine et les sentiments de ces sectes, en montrer la descendance, les distinguer d'avec celles avec qui on a voulu les confondre, découvrir le manichéisme de Pierre de Bruis et des albigeois, et montrer comment les vaudois sont sortis d'eux (a) ; raconter les impiétés et les blasphèmes de Viclef, dont Jean Hus et ses disciples ont pris naissance; en un mot révéler la honte de tous ces sectaires à ceux qui se glorifient de les avoir pour prédécesseurs.

 Quant à la méthode de cet ouvrage, on y verra marcher les disputes et les décisions dans l'ordre qu'elles ont paru, sans distinction des matières, parce que les temps mêmes m’invitaient à  suivre cet ordre. Il est certain que par ce moyen les variations des protestants et l'état de leurs églises sera mieux marqué. On verra aussi plus clairement, en mettant ensemble sous les yeux les circonstances des lieux et des temps, ce qui pourra servir à la conviction ou à la défense de ceux dont il s'agit.

Il n'y a qu'une controverse dont je fais l'histoire à part, et c'est celle qui regarde l'Eglise (2); matière si importante et qui seule pourrait emporter la décision de tout le procès, si elle n'était aussi embrouillée dans les écrits des protestants qu'elle est claire et intelligible en elle-même. Pour lui rendre sa netteté et sa simplicité naturelle, j'ai recueilli dans le dernier livre tout ce que j'ai à raconter sur cette matière, afin qu'ayant une fois bien envisagé la difficulté, le lecteur puisse apercevoir pourquoi les nouvelles églises se sont senties obligées à tourner successivement de tant de côtés ce qui dans le fond ne pouvait jamais avoir (b) qu'une même face. Car enfin tout se réduit à montrer où était l'Eglise avant la Réforme : naturellement on la doit faire visible

 

1 Liv. XI.— 2 Liv. XV.

(a) 1ère édit. : En sont sortis. — (b) 1ère édit. : Ne pouvait avoir.

 

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selon la commune idée de tous les chrétiens, et on était allé là dans les premières confessions de foi, comme on le verra dans celles d'Augsbourg et de Strasbourg, qui sont dans chaque parti des protestants les deux premières : on s'obligeait par ce moyen à montrer dans sa croyance, non pas des particuliers répandus deçà et delà, et encore les uns sur un point et les autres sur un autre; mais des corps d'église, c'est-à-dire des corps composés de pasteurs et de peuples : et on a longtemps amusé le monde en disant qu'à la vérité l'Eglise n'était pas toujours dans l'éclat, mais qu'il y avait du moins dans tous les temps quelque petite assemblée où la vérité se faisait entendre. A la fin, comme on a bien vu qu'on n'en pouvait marquer ni petite ni grande, ni obscure ni éclatante, qui fût de la croyance protestante, le refuge d'église invisible s'est présenté très-à propos, et la dispute a roulé longtemps sur cette question. De nos jours on a reconnu plus clairement que l'Eglise réduite à un état invisible était une chimère inconciliable avec le plan de l'Ecriture et la commune notion des chrétiens, et on a abandonné ce mauvais poste. Les protestants ont été contraints à chercher leur succession jusque dans l'Eglise romaine. Deux fameux ministres de France ont travaillé à l'envi à sauver les inconvénients de ce système, pour parler dans le style du temps : on entend bien que ces deux ministres sont MM. Claude et Jurieu. On ne pouvait apporter ni plus d'esprit, ni plus d'étude, ni plus de subtilité et d'adresse, ni en un mot plus de tout ce qu'il fallait pour se bien défendre : on ne pouvait non plus faire meilleure contenance, ni renvoyer leurs adversaires d'un air plus fier et plus dédaigneux avec les petits esprits et avec les missionnaires tant méprisés par les ministres : toutefois la difficulté qu'on voulait faire paraître si légère, à la fin s'est trouvée si grande, qu'elle a mis la division dans le parti. Il a enfin fallu reconnaître publiquement qu'on trouvait dans l'Eglise romaine comme dans les autres églises, avec la suite essentielle du vrai christianisme, même le salut éternel ; secret que la politique du parti avait tenu si caché depuis longtemps. Au reste on nous a donné tant d'avantage, il a fallu se jeter dans des excès si visibles, on a si fort oublié et les anciennes maximes de la Réforme et ses propres

 

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confessions de foi, que je n'ai pu m'empêcher de raconter ce changement dans toute sa suite. Que si je me suis attaché à tracer ici avec soin le plan de ces deux ministres, et à faire bien connaître l’état où ils ont mis la question : c'est de bonne foi que j'ai trouvé dans leurs écrits avec les tours les plus adroits toute l'érudition et toutes les subtilités que j'avois pu remarquer dans tous les auteurs que je connais, soit luthériens ou calvinistes; et si parmi les protestants on s’avisait de les en dédire sous prétexte des absurdités où on les verrait poussés, et qu'on voulût se réfugier de nouveau ou dans l'église invisible, ou dans les autres retraites également abandonnées : ce serait comme le désordre d'une armée vaincue, qui consternée par sa déroute voudrait rentrer dans les forts qu'elle n'aurait pu défendre, au hasard de s'y voir bientôt forcée encore une fois ; ou comme l'inquiétude d'un malade, qui après s'être longtemps inutilement tourné et retourné dans son lit pour y trouver une place plus commode, reviendrait à celle qu'il aurait quittée, où peu après il sentirait qu'il n'est pas mieux.

Je ne crains ici qu'une chose; c'est, s'il m'est permis de le dire, de faire trop voir à nos frères le faible de leur Réforme. Il y en aura parmi eux qui s'aigriront contre nous plutôt que de se calmer en voyant dans leur religion un tort si visible, quoique, hélas! je ne songe point à leur imputer le malheur de leur naissance, et que je les plaigne encore plus que je ne les blâme. Mais ils ne laisseront pas de s'élever contre nous. Que de récriminations prépare-t-on contre l'Eglise, et que de reproches peut-être contre moi-même sur la nature de cet ouvrage ? Combien de nos adversaires me diront, quoique sans sujet, que je suis sorti de mon caractère et de mes maximes en abandonnant la modération qu'ils ont eux-mêmes louée, et en tournant les disputes de religion à des accusations personnelles et particulières? Mais assurément ils auront tort; si ce récit rend le procédé de la Réforme odieux, les bons esprits verront bien qu'en cela ce n'est pas moi, mais la chose même qui parle. Il ne s'agit de rien moins que de faits personnels dans un discours où je me propose d'exposer, sur les matières de la foi, les actes les plus authentiques de la religion

 

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protestante. Que si on trouve dans leurs auteurs, qu'on nous vante comme des hommes extraordinairement envoyés pour faire renaître le christianisme au seizième siècle, une conduite directement opposée à un tel dessein ; et qu'on voie en général dans le parti qu'ils ont formé tous les caractères contraires à un christianisme renaissant : les protestants apprendront dans cet endrait de l'histoire à ne point déshonorer Dieu et sa providence, en lui attribuant un choix spécial qui serait visiblement mauvais.

Pour les récriminations, il les faudra essuyer avec toutes les injures et les calomnies dont nos adversaires ont accoutumé de nous charger : mais je leur demande deux conditions qu'ils trouveront équitables : la première, qu'ils ne songent à nous accuser mises. de variations dans les matières de foi qu'après qu'ils s'en seront purgés eux-mêmes ; autrement il faut avouer que ce ne serait pas répondre à cette histoire, mais éblouir le lecteur, et donner le change : la seconde, qu'ils n'opposent pas des raisonnements ou. des conjectures à des faits constants, mais des faits constants à des faits constants, et des décisions de foi authentiques à des décisions de foi authentiques. Que si par de telles preuves ils nous montrent la moindre inconstance ou la moindre variation dans les dogmes de l'Eglise catholique depuis son origine jusqu'à nous, c'est-à-dire depuis la fondation du christianisme, je veux bien leur avouer qu'ils ont raison, et moi-même j'effacerai toute mon histoire.

Au reste je ne prétends pas faire un récit sec et décharné des variations de nos réformés. J'en découvrirai les causes : je montrerai qu'il ne s’est fait aucun changement parmi eux qui ne marque un inconvénient dans leur doctrine, et qui n'en soit l’effet nécessaire : leurs variations, comme celle des ariens, découvriront ce qu'ils ont voulu excuser, ce qu'ils ont voulu suppléer, ce qu'ils ont voulu déguiser dans leur croyance. Leurs disputes, leurs contradictions et leurs équivoques rendront témoignage à la vérité catholique : il faudra aussi de temps en temps la représenter telle qu'elle est, afin qu'on voie par combien d'endroits ses ennemis sont enfin contraints de s'en rapprocher. Ainsi au milieu de tant de disputes et des embarras de la nouvelle Réforme, la

 

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vérité catholique éclatera partout comme un beau soleil qui aura percé d'épais nuages; et ce traité, si je l'exécute comme Dieu me l'a inspiré, sera une démonstration de la justice de notre cause d'autant plus sensible, qu'elle procédera par des principes et par des faits constants entre les parties.

Enfin les altercations et les accommodements des protestants nous feront voir en quoi ils ont mis de part ou d'autre l'essentiel de la religion, et le nœud de la dispute ; ce qu'il y faut avouer, ce qu'il y faut du moins supporter selon leurs principes. La seule Confession de foi d'Augsbourg avec son Apologie, décidera en notre faveur beaucoup plus de points qu'on ne pense, et sans hésiter, ce qu'il y a de plus essentiel. Nous ferons aussi reconnaître au calviniste complaisant envers les uns et inexorable envers les autres, que ce qui lui paraît odieux dans le catholique sans le paraître de la même sorte dans le luthérien, ne l'est pas au fond. Quand on verra qu'on exagère contre l'un ce qu'on favorise ou qu'on tolère dans l'autre, c'en sera assez pour montrer qu'on n'agit point par principes, mais par aversion; ce qui est le véritable esprit de schisme. Cette épreuve, que le calviniste pourra faire ici de lui-même, s'étendra plus loin qu'il ne croit. Le luthérien trouvera aussi les disputes fort abrégées par les vérités qu'il reconnaît ; et cet ouvrage, qui d'abord pourrait paraître contentieux, se trouvera dans le fond beaucoup plus tourné à la paix qu'à la dispute.

Pour ce qui regarde le catholique, il ne cessera partout de louer Dieu de la continuelle protection qu'il donne à son Eglise pour en maintenir la simplicité et la droiture inflexible, au milieu des subtilités dont on embrouille les vérités de l'Evangile. La perversité des hérétiques sera un grand spectacle aux humbles de cœur. Ils apprendront à mépriser, avec la science qui enfle, l'éloquence qui éblouit; et les talents que le monde admire leur paraîtront peu de chose, lorsqu'ils verront tant de vaines curiosités et tant de travers dans les savants; tant de déguisements et tant d'artifice dans la politesse du style ; tant de vanité, tant d'ostentation et des illusions si dangereuses parmi ceux qu'on appelle beaux esprits; et enfin tant d'arrogance, tant d'emportement, et

 

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ensuite des égarements si fréquents et si manifestes dans les hommes qui paraissent grands, parce qu'ils entraînent les autres. On déplorera les misères de l'esprit humain, et on connaîtra que le seul remède à de si grands maux est de savoir se détacher de son propre sens ; car c'est ce qui fait la différence du catholique et de l'hérétique. Le propre de l'hérétique, c'est-à-dire de celui qui a une opinion particulière, est de s'attacher à ses propres pensées; et 1e propre du catholique, c'est-à-dire de l'universel, est de préférer à ses sentiments le sentiment commun de toute l'Eglise : c'est la grâce qu'on demandera pgur les errans. Cependant on sera saisi d'une sainte et humble frayeur, en considérant les tentations si dangereuses et si délicates que Dieu envoie quelquefois à son Eglise et les jugements qu'il exerce sur elle ; et on ne cessera de faire des vœux pour lui obtenir des pasteurs également éclairés et exemplaires, puisque c'est faute d'en avoir eu beaucoup de semblables que le troupeau racheté d'un si grand prix a été si indignement ravagé.

 

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