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LA TRADITION DÉFENDUE SUR LA MATIÈRE DE  LA  COMMUNION SOUS UNE ESPÈCE.

 

 AVERTISSEMENT.

LA TRADITION DÉFENDUE SUR LA MATIÈRE DE   LA  COMMUNION SOUS  UNE ESPÈCE.

PREMIÈRE PARTIE. QUE  LA TRADITION  EST NÉCESSAIRE  POUR  ENTENDRE LE  PRÉCEPTE DE LA  COMMUNION SOUS UNE OU SOUS DEUX ESPÈCES.

CHAPITRE PREMIER.  Premier argument tiré du baptême par infusion ou aspersion.

CHAPITRE II.  Du baptême des petits enfants : de celui qui est donné par les hérétiques : de celui qui est donné par les simples fidèles en cas de nécessité.

CHAPITRE III.  Second argument tiré de l'Eucharistie. Les protestants n'observent point dans la célébration de la Cène ce que Jésus-Christ a fait, et ils omettent plusieurs choses importantes.

CHAPITRE IV.  De la forme de l'Eucharistie : les protestants ne joignent pas la parole à l'action.

CHAPITRE V.  Que la seule tradition explique quel est le ministre de l'Eucharistie, et décide de la communion des petits enfants.

CHAPITRE VI.  La communion de ceux qui ne peuvent pas boire du vin : M. Jurieu abandonné, quoiqu'il soit le seul qui raisonne bien selon les principes communs des protestants. L'hydromel et ce qu'on mange au lieu de pain dans quelques pays, peuvent selon les protestants servir pour l'Eucharistie.

CHAPITRE VII.  De la prière pour les morts. Tradition rapportée dans le Traité de la Communion.

 

 

AVERTISSEMENT.

 

La charité de Jésus-Christ nous presse de faire un dernier effort pour lever les difficultés que nos Frères ou obstinés ou infirmes, soit qu'ils soient loin , ou qu'ils soient près, dans le royaume ou hors du royaume (car la charité les embrasse tous), trouvent dans la communion sous une seule espèce. A les entendre parler, vous diriez que tout le christianisme consiste à recevoir les deux espèces du saint Sacrement. La matière de la justification, dont on a fait autrefois le principal sujet de la rupture, ne les touche plus; ils ont ouvert les yeux, et ils ont reconnu que le saint concile de Trente a enseigné tout ce qu'il fallait pour établir la doctrine de la grâce chrétienne, et pour appuyer en Jésus-Christ seul la confiance de l’âme fidèle. Ils trouvent des expédients pour apaiser

 

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les scrupules qu'on leur a fait naître sur la sainte Eucharistie , el une union authentique que leur synode de Charenton a faite avec les luthériens leur en donne les moyens. Quoi qu'on leur puisse dire, ils sentent bien dans leurs consciences, que la transsubstantiation n'ajoute qu'une légère difficulté à la présence réelle; et l'adoration, suite nécessaire de cette présence, les inquiète moins qu'auparavant. Ce qu'ils ne cessent de nous demander, c'est la coupe et la communion sous les deux espèces, comme si toutes les controverses étaient réduites dorénavant à ce seul point. Ce n'est pas ce qu'on en a cru au commencement, non plus que dans le progrès de la nouvelle Réforme. Au commencement, Carlostad ayant entrepris de renverser les images et de donner la coupe en l'absence de Luther et sans le consulter, ce nouveau prophète le reprit sévèrement en ces termes, dans la lettre à son ami Gaspard Guttolius : « J'ai offensé Carlostad en cassant ses ordonnances. Par son impertinente manière d'enseigner, il avait persuadé au peuple qu'on devenait chrétien par ces choses de néant, en communiant sous les deux espèces, en touchant le sacrement et le prenant de la main, en rejetant la confession, et en brisant les images (1). » Vous voyez, mes Frères, que cet auteur de la réformation, en faisant le dénombrement des choses de néant, où Carlostad, comme un ignorant, faisait consister le christianisme, met à la tête la communion sous les deux espèces. Mélanchthon parle à peu près dans le même sens; et de nos jours Grotius ayant reproché aux calvinistes qu'ils faisaient du retranchement de la coupe le principal sujet de leur rupture, Rivet, ce fameux ministre en parut offensé, et répondit à Grotius a que ce n'était pas la principale raison pour laquelle les églises réformées s'étaient séparées de l'Eglise romaine, et que Grotius, qui leur faisait ce reproche, savait bien qu'il y en avait de plus importantes (2). » Maintenant on ne nous parle presque que de celle-là, et l'on nous dit de tous côtés qu'on pourrait s'accommoder sur tout le reste.

 

1 Calixt., p. 72. — 2 Riv., Apol. pro verâ pace Eccles., n. 87.

 

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Il faut donc un peu s'attacher à cette difficulté qu'on fait si grande. Le besoin de nos Frères m'en a inspiré le dessein , et la nouvelle édition qu'on a faite de mon Traité sur les deux espèces m'en donne l'occasion. Dans le temps qu'on travaillait à cette édition, j'ai reçu deux Réponses à ce Traité, qui toutes deux sont imprimées dans la même année, c'est-à-dire en 1683, et qui sont venues en même temps à ma connaissance. L'une n'a point de nom d'imprimeur ; et l'autre, pour porter le nom de Pierre Marteau, qu'on dit imprimeur à Cologne, n'en montre pas mieux où elle a été imprimée. Le public attribue la première à M. de la Roque, ce fameux ministre de Rouen, qui a composé l'Histoire de l'Eucharistie, et je ne vois aucun lieu d'en douter. Je n'ai pu apprendre aucune nouvelle de l'auteur de la seconde ;. et tout ce que j'en puis dire, c'est que zélé protestant et ennemi toujours emporté de la présence réelle, il promet même d'examiner la foi de l'Eglise grecque sur cette matière (1). S'il imprime quelque jour ce livre et s'il y met son nom, nous le connaîtrons à cette marque : en attendant il sera l'Anonyme, et nous ne pouvons le réfuter que sous ce titre. Au surplus, j'avouerai que ces Réponses sont toutes deux de bonne main, toutes deux vives, toutes deux savantes. La principale différence que je remarque entre M. de la Roque et l'Anonyme, car je commence à le désigner par ce titre, c'est que le premier me traite avec beaucoup plus de civilité en apparence, et que l'autre affecte au contraire je ne sais quoi de chagrin et de rigoureux; mais il n'importe pour le fond; car enfin avec des tours différents, ni l'un ni l'autre ne m'épargnent : ils ont recherché l'un et l'autre tout ce qui servait à leur cause : ils ont déterré toutes les antiquités, et je puis dire que la matière est épuisée. Ainsi leur travail et leur diligence a épargné à ceux qui cherchent de bonne foi la vérité, toute la peine qu'ils auraient eue à remuer tant de livres. Sans faire de nouvelles recherches, ils n'ont qu'à considérer ce que ces deux auteurs ont accordé par

 

1 Anonyme., p. 209.

 

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nécessité , et ce qu'ils ont déguisé ou nié avec artifice, c'en est assez pour juger la cause ; et pour parler, si l'on me le permet, en termes de procédure criminelle, leurs dénégations téméraires ne serviront pas moins à les convaincre que leurs confessions forcées.

Mais de peur que ces auteurs ne me reprochent encore une fois que je n'ai pas bien posé l'état de la question, quoiqu'en relisant mon Traité on puisse voir aisément que je l'ai fait partout en termes précis, je veux bien le faire encore dès l'entrée de cet ouvrage, afin que le lecteur ait toujours présent devant les yeux ce qu'il doit chercher dans ce discours.

Il s'agit donc de savoir si, pour faire une communion parfaite selon l'institution de Jésus-Christ, il suffit de recevoir l'une des deux espèces, quelle qu'elle soit, ou s'il est nécessaire et essentiel de recevoir toutes les deux. Voilà l'état de la question (1). M. Jurieu l'a déguisé d'une étrange sorte, puisqu'il a voulu nous faire croire « qu'on demeure d'accord parmi nous; que quand on communie les fidèles, on est obligé de leur donner le pain à manger ; mais qu'il n'en est pas de même de la coupe (2) ; ». comme si nous ne croyions pas que la communion fût également bonne en prenant le sang tout seul, ou que nous missions dans le corps de Notre-Seigneur quelque vertu particulière qui ne lut pas dans son sang. C'est par l'état de la question, vouloir rendre notre doctrine ridicule. Mais comme nous croyons au contraire que le corps de Notre-Seigneur n'a pas au fond une autre vertu que celle qui est dans son sang, et que d'ailleurs ce sang précieux, après la résurrection du Sauveur, n'est pas moins inséparablement uni à son corps que son corps l'est à ce divin sang, et l'un et l'autre à son âme sainte et à sa divinité, nous croyons que la communion sous l'une des deux espèces, quelle qu'elle soit, n'est en substance qu'une même chose avec la communion reçue sous les deux ; de

 

1 Traité de la Communion, II part., n. 3. — 2 Jurieu, Examen de l'Euchar., traité VI, sect. V, p. 464.

 

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sorte que communier de l'une ou de l'autre manière est une chose indifférente.

Nous ne prétendons pas que la communion sous les deux espèces ne soit pas bonne : à Dieu ne plaise. Nous ne nions pas que Jésus-Christ ait institué l'une et l'autre : nous ne nions même pas qu'il ait commandé à ses apôtres de recevoir l'une et l'autre ; la question est de savoir si l'on trouvera dans l'institution de la sainte Cène, un commandement de Notre-Seigneur qui oblige tous les fidèles à recevoir l'une et l'autre espèce. Car celui que Jésus-Christ fit à ses apôtres, lorsqu'en leur présentant la coupe sacrée, il leur dit : Buvez-en tous, comme il est écrit dans saint Matthieu (1), a eu son entier accomplissement, lorsqu'en effet ils en burent tous, comme il est écrit dans saint Marc (2); et si le Fils de Dieu n'avait point prononcé d'autres paroles que celles-ci : Prenez, mangez, et ces autres : Buvez-en tous, loin d'y trouver un commandement de prendre ces deux espèces, nous n'y apprendrions pas même que ce mystère dût passer jusqu'à nous; mais parce que Jésus-Christ ajoute : Faites ceci en mémoire de moi (3); il nous a donné à entendre que son intention était de perpétuer dans ce mystère la mémoire de sa passion, jusqu'à ce qu'il vienne juger les vivants et les morts, selon que saint Paul l'a interprété (4).

Ainsi ce qui fait passer l'institution de l'Eucharistie à tous les siècles futurs comme un sacrement perpétuel de la nouvelle alliance, c'est cette parole : Faites ceci; et c'est ce qui fait naître une autre question. Car comme on est d'accord dans l'une et dans l'autre religion, que l'intention de Notre-Seigneur n'a pas été de nous obliger à faire généralement tout ce qu'il a fait, comme par exemple à faire la Cène sur le soir et à la fin d'un repas, nous convenons les uns et les autres qu'il n'a voulu nous obliger qu'à ce qu'il y a d'essentiel à ce mystère ; de sorte que nous avons à rechercher en quoi il en a voulu mettre l'essence pour ce qui regarde la communion; et c'est aussi sur cela que nos sentiments

 

1 Matth., XXVI, 27. — 2 Marc., XIV, 23. — 3 Luc., XXII, 19. — 4 I Cor., XI, 26.

 

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sont partagés. Nos réformés prétendent que l'essence de la communion est clairement expliquée dans l'Evangile, et nous prétendons au contraire que ces paroles : Faites ceci, étant dites sans distinction et tombant par elles-mêmes indéfiniment sur tout ce que Jésus-Christ a fait, nous ne pouvons savoir déterminément sa volonté que par le secours de la tradition.

Nous avons donc d'abord deux choses à faire : l'une, à montrer à nos adversaires que leur étant impossible de déterminer par l'Evangile ce qui est essentiel à la communion, ils ne peuvent se déterminer sur cette matière que par l'autorité de l'Eglise et de la tradition; l'autre, que la tradition de tous les siècles, dès l'origine du christianisme, établit constamment la liberté d'user indifféremment d'une seule espèce ou des deux ensemble.

C'est aussi ce qui paraîtra dans les deux premières parties de cet ouvrage ; et j'espère qu'on y verra le Traité de la Communion sous les deux espèces si fortement soutenu, que les Réponses qu'on y a faites, avec tant de subtilité et de savantes recherches, n'auront pu produire autre chose que de l'affermir davantage. Mais comme on pourrait penser qu'il ne suffit pas de montrer que l'observance de la communion sous une ou sous deux espèces est libre et indifférente, et qu'au contraire nos adversaires concluront de là que l'Eglise n'a pas pu déterminer ce que Jésus-Christ a laissé pour indifférent, ni ôter à ses fidèles la liberté qu'il leur a donnée, nous ferons voir du propre aveu de nos adversaires, que l'Eglise peut prendre parti dans les choses que l'Evangile laisse indifférentes, et que lorsqu'elle l'a pris, on ne peut s'y opposer ni lui désobéir sans se rendre coupable de schisme. C'est ce qui me fera donner une troisième partie à cet ouvrage ; et dans cette troisième partie, en recueillant en peu de paroles tous les discours précédents, je ferai voir que notre doctrine, non-seulement sur la communion d'une seule espèce, mais encore sur toute la matière de l'Eucharistie, est incontestable, et notre tradition parfaitement conforme à l'Ecriture. Que si je prouve ces

 

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choses, non-seulement par la doctrine des Saints, mais encore par les deux Réponses qu'on m'a opposées, il se trouvera clairement que ces Réponses, tant vantées en France et en Angleterre, loin d'avoir affaibli nos preuves, par une direction particulière de la providence de Dieu et une force qu'on trouve toujours inséparable de la vérité, les auront rendues inébranlables ; ce qui est le fruit le plus désirable qu'on puisse recueillir d'une dispute.

Plaise à celui qui sait tourner les cœurs comme il lui plaît, de donner à nos adversaires l'attention et la patience sans lesquelles ils ne peuvent pas espérer de débrouiller des matières que leurs ministres ont tant travaillé à leur obscurcir. Puissent-ils pour un moment se défaire de leurs préjugés et de la vaine opinion qu'on leur a inspirée dès leur enfance, que tout ce qu'on appelle tradition est une invention humaine contraire à la loi de Dieu et à l'Ecriture. Ils verront bientôt le contraire, et ils pourront juger par ce seul point, où ils se croient les plus forts, combien on les a trompés dans tous les autres.

Je leur demande seulement pour leur propre salut, qui nous est (nous l'osons dire) plus cher qu'à eux-mêmes, qu'ils modèrent cette aveugle précipitation qui fait qu'on veut trouver d'abord toutes les difficultés résolues. Je tâcherai de ne rien omettre, et le lecteur attentif trouvera tout, mais à sa place : autrement il n'y aurait que confusion et redites; de sorte que, pour profiter de cette lecture, il faut tout considérer l'un après l'autre, et lire avec patience et avec ordre.

 

 

LA TRADITION DÉFENDUE SUR LA MATIÈRE DE   LA  COMMUNION SOUS  UNE ESPÈCE.

 

PREMIÈRE PARTIE. QUE  LA TRADITION  EST NÉCESSAIRE  POUR  ENTENDRE LE  PRÉCEPTE DE LA  COMMUNION SOUS UNE OU SOUS DEUX ESPÈCES.

 

CHAPITRE PREMIER.
Premier argument tiré du baptême par infusion ou aspersion.

 

Commençons à montrer aux protestants qu'ils ne doivent pas espérer de déterminer par l'Ecriture ce qui est essentiel à la communion, et qu'ils ne peuvent résoudre cette question que par l'autorité de l'Eglise. Cette vérité paraîtra d'abord dans un cas semblable, qui est celui du baptême. J'ai proposé cette preuve avec tous les catholiques dans le Traité de la Communion (1), où j'ai posé pour certain que le mot baptiser signifie plonger : la chose est incontestable. Mais comme ceux des protestants qui ne savent pas la langue grecque en pourraient douter, je suis bien aise d'ajouter le témoignage de Casaubon à ce que j'ai déjà dit sur cette matière. Je ne puis alléguer un meilleur témoin, puisque Casaubon était protestant, calviniste, zélé défenseur de sa religion et, ce qu'il y a de plus important en cette matière, le plus profond et le plus exact dans la langue grecque qui ait vécu dans ce siècle. Voici ce qu'il dit sur le passage de saint Matthieu : Ils

 

1 Traité de la Communion, paît. II, art. 1, p. 301.

 

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étaient baptisés dans le Jourdain (1). ( Il s'agit du baptême de saint Jean-Baptiste). «Telle était la manière de les baptiser, en les plongeant dans les eaux ; ce qui paraît clairement par le mot même de baptiser, baptizein. » Pour s'expliquer davantage, il oppose le mot baptiser à celui qui signifie nager par-dessus, être porté sur la surface, et à celui qui signifie enfoncer dans l'eau avec péril de se noyer ; d'où il conclut que ce « n'est pas sans raison qu'on a dit qu'il fallait plonger le corps dans le baptême. » Vous le voyez, Messieurs, Casaubon, un protestant si zélé et un si grand grec, demeure d'accord que baptiser signifie plonger tout le corps; et que c'est pour cela que saint Jean , qui a baptisé Jésus-Christ, baptisait dans une rivière ; de sorte que Jésus-Christ, lorsqu'il reçut le baptême, y fut plongé comme les autres; et que lorsqu'il a dit baptiser, c'est de même que s'il avait dit plonger. Qui vous a dispensé de ce plonger, dites-le moi ; et par la même raison je vous expliquerai ce Buvez-en tous.

Mais, dites-vous, Casaubon ajoute dans le même lieu que vous citez, que ceux qui croyaient nécessaire de plonger dans le baptême ont été rejetés il y a longtemps. Je le confesse avec Casaubon : on les a rejetés avec raison à cause de l'autorité de l'Eglise qui s'y oppose. Mais, pour ce qui est de l'Ecriture, ni Casaubon ni personne n'en a jamais allégué aucun passage. Il est vrai que nos protestants disent sans cesse qu'il n'y a point ici de retranchement; que l'élément, qui est l'eau, demeure toujours; que la quantité n'y fait rien, et que c'est ici une chose indifférente. Comment le prouvent-ils contre la parole expresse de Jésus-Christ, qui en disant : Baptisez, a autant dit que s'il avait dit : Plongez, puisque le mot de baptiser ne signifie rien autre chose? Ce n'est pas l'élément qui fait la matière du sacrement, c'est l'élément pris de la manière que Jésus-Christ le commande. Serait-ce assez de prendre du vin dans la Cène, et de s'en laver la bouche ou les mains? Serait-ce assez de prendre de l'eau dans le baptême et d'en boire ? On ne fait rien, si l'on ne fait pas ce que Jésus-Christ commande. S'il est ici permis de raisonner, il n'est pas moins permis de le fane au sujet de l'eucharistie qu'au sujet du baptême, et

 

1 Casaub., Not. in Ev. Matth., III, 6.

 

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cette parole : Plongez, n'est pas moins claire que cette autre : Buvez-en tous. C'est en vain qu'on nous répond : Vous demeurez vous-même d'accord du baptême sans immersion. Il est vrai ; mais si l'on veut croire avec nous que ce baptême suffit, quoiqu'on ne trouve rien pour l'autoriser dans l'Ecriture, il faut avec nous s'en rapporter à l'autorité de l'Eglise pour l'interprétation des paroles : Buvez-en tous.

Ce raisonnement pousse à bout toute la subtilité de nos adversaires. M. de la Roque tâche de soutenir par l'Ecriture la coutume de baptiser sans immersion (1) ; mais ses preuves sont si faibles, que l'auteur de la seconde Réponse les a abandonnées, et qu'il abandonne en même temps le baptême dont on se sert dans son église, comme étant certainement un abus contraire à l'institution et au dessein du baptême (2). Mais il est bon de considérer les raisonnements de ces deux auteurs.

L'auteur de la première Réponse, ce fameux M. de la Roque , qui entreprend de soutenir par l'Ecriture le baptême sans immersion, commence néanmoins par « demeurer d'accord avec moi, que baptiser signifie proprement plonger (3) ; » mais il prétend que dans l'usage de la langue sainte et des auteurs ou des traducteurs de l'Ecriture, le terme de plonger ou de baptiser, « se prend par translation pour laver, à cause que d'ordinaire on plonge les choses dans l'eau pour les laver et les nettoyer. » Sur quoi il allègue quelques passages de l'Ecriture , qui premièrement ne prouvent pas ce qu'il prétend, et qui secondement ne regardent pas le sacrement de baptême.

On voit, dit-il, dans le livre de Judith, qu'elle se lavait dans une fontaine, et il y a dans le grec qu'elle s'y baptisait (4) Je ne m'en étonne pas ; c'est à cause qu'elle s'y plongeait toute entière. Aussi la Vulgate a-t-elle traduit : Baptizabat se, ne croyant pas assez exprimer la force du grec, si elle eût employé un autre mot, qui n'eût pas été si clair ou si expressif. Le baptême , selon cette idée, serait un bain ; comme aussi il est appelé ordinairement par saint Paul, loutron, Lavacrum ; un bain (5) : ce qui est bien

 

1 La Roque, p. 225, 226. — 2 Anonyme, p. 24-26. — 3 La Roque, II part., Chap. I, p. 225, 22b. — 4 Judith., XII, 7. — 5 Ephes., V, 26; Tit., III, 5.

 

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éloigné de la goutte d'eau que nous jetons sur la tête, et montre bien autrement la parfaite purification de nos âmes par le saint baptême. L'auteur de la seconde Réponse prend la peine de m'avertir de cette expression de saint Paul (1), et je suis bien aise qu'il voie que je profite de son avis.

Après le passage de Judith, M. de la Roque nous oppose un passage de saint Luc et un de saint Marc. Il est dit dans celui de saint Luc (2), qu'un pharisien s'étonna de ce que Jésus, qu'il avait prié à dîner, ne s'était point lavé avant que de se mettre à table, où il remarque « que le grec veut dire qu'il ne s'était point baptisé; ce qu'on ne peut entendre d'une immersion, mais d'un simple lavement par aspersion ou infusion. On ne peut pas donner, poursuit-il, d'autre explication à ce que dit saint Marc des pharisiens (3), » que retournant du marché, ils ne mangeaient point qu'ils ne se fussent lavés : le grec, qu'ils ne se fussent baptisés. Il ajoute qu'il y a aussi beaucoup d'autres choses qu'ils nous ont appris à garder, comme les lavements, ou selon le grec, les baptêmes des coupes et des brocs, et de la vaisselle et des châlits.

Voilà tout ce qu'un savant homme a pu trouver dans l'Ecriture pour détourner ce mot baptiser de sa signification naturelle, sans songer que ces deux passages ne regardent en aucune sorte le sacrement de baptême, dont il s'agit entre nous. Mais puisqu'au lieu de considérer la nature et le dessein de ce sacrement, il nous réduit à ces minuties, qui lui a dit que les Juifs ne lavaient point les vaisseaux dont ils se servaient en les jetant dans l'eau et en les y plongeant, et que ces six grandes urnes ou ces six grands lavoirs de pierre qui tenaient deux ou trois mesures, qu'on voit dans les noces de Cana en Galilée pour servir à la purification des Juifs (4), n'étaient pas destinées à cet usage? Lui-même vient de nous dire « que d'ordinaire on plonge les choses dans l'eau pour les laver et les nettoyer. » D'où sait-il donc que les Juifs lavaient leur vaisselle par simple aspersion ou infusion, plutôt qu'en la jetant toute entière dans les eaux? D'où sait-il qu'ils ne faisaient pas pour ainsi dire nager leurs bois de lits dans l'eau, en la versant dessus comme

 

1 Anonyme, I part., chap. III, p. 24. — 2 Luc., XI, 38. — 3 Marc., VII, 4. — 4 Joan., II, 6.

 

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à pleins seaux; chose bien éloignée de la légère infusion qu'il veut établir; ou même qu'ils n'avaient pas de grands et larges lavoirs pour les y jeter tout entiers ou, si l'on veut, par pièces, en les démontant? Et pour les personnes, d'où sait-il que les pharisiens superstitieux, en revenant du marché, où ils rencontraient tant de gentils et tant de publicains, dont ils croyaient que l'approche et le souffle même pour ainsi dire les souillait, ne se mettaient pas dans l'eau pour se purifier? Mais comment avoir toujours, dira-t-il, des bains tout prêts? Quoi donc! a-t-il oublié les lavoirs qu'on avait dans les maisons, et l'usage des bains si familier à tous les peuples et principalement aux Orientaux; mais qui l'était d'autant plus aux Juifs, qu'ils en faisaient une observance de leur religion, qui se trouve dans leurs anciens livres, et qui dure encore parmi eux? Pourquoi donc ne voudrons-nous pas qu'elle soit marquée dans le passage de saint Luc et dans celui de saint Marc? Et pour nous attacher à saint Marc (1), qui parle plus distinctement, comment M. de la Roque n'y a-t-il pas remarqué par deux fois le mot devrai, que la Vulgate rend par LAVARE, laver, pour dire qu'on lave les mains? Car encore que les Juifs les lavent en les enfonçant dans l'eau, ce n'était pas ce qu'on appelait du mot de baptiser ou de baptême, et ce mot est réservé par l'Evangéliste pour signifier une autre action, c'est-à-dire celle où l'on mettait tout à fait dans l'eau ou la personne ou la chose entière, par exemple quelques vaisseaux ; ce qui fait aussi que la Vulgate, qui sait fort bien dire lavare quand il faut, retient ici les mots de baptême et de baptiser, comme nous avons observé qu'elle a fait dans le livre de Judith, ne croyant pas le simple mot de laver assez significatif. Et quand M. de la Roque nous dit qu'il ne trouve pas dans l'Ecriture ces sortes de purifications où l'on se mettait tout à fait dans l'eau (2), il ne songe pas à ce large et profond vaisseau appelé la grande mer, qu'on mettait à l'entrée du temple pour les purifications publiques, ni à la conséquence qu'il en faut tirer des lavoirs qu'on avait dans les maisons pour les purifications particulières. Et lorsqu'il est si souvent prescrit dans la loi de laver ses vêtements, croit-il que c'était de jeter de l'eau dessus, ou plutôt

 

1 Marc., VII, 2, 3. — 2 La Roq., II part., chap. 1.

 

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de les tremper dans l'eau, pulein, comme le traduit le grec des Septante, si fidèle et si exact dans toute la version du Pentateuque? Ce serait trop perdre de temps à prouver une chose claire, que de ramasser les autres passages. Mais quand ces purifications ne seraient pas expliquées dans l'Ecriture, qui ne voit que c'était là des choses que la loi se contentait de marquer en gros, et qu'elle laissai t à la coutume à en interpréter la manière? Quand tout cela ne serait pas, il ne s'agit ni dans saint Marc ni dans saint Luc de ce que l'Ecriture avait prescrit aux Juifs; mais de ce qu'ils avaient reçu par leur tradition, qui en cela certainement n'est pas douteuse. Ainsi M. de la Roque n'a rien prouvé par les trois passages qu'il allègue, qui sont tout ce qu'il a pu ramasser. Mais quand il aurait prouvé ce qu'il prétend, qu'en trois endroits de l'Ecriture le terme de baptiser signifie laver par simple infusion ou aspersion, que conclurait-il de là pour le sacrement de baptême? Chaque passage se doit entendre par sa propre suite. Personne ne révoque en doute que saint Jean-Baptiste n'ait baptisé eu plongeant dans l'eau, ni par conséquent que Jésus-Christ n'ait été baptisé de même, ni que le baptême qu'il a institué n'ait été une parfaite imitation de celui qu'il a reçu.

Les passages que j'ai rapportés dans le Traité de la Communion (1) ne sont ni contestés ni contestables. La pratique des apôtres n'est pas moins constante. Dans le baptême de l'eunuque, il est expressément marqué «que lui et Philippe descendirent dans l'eau, et que Philippe le baptisa de cette sorte (2); » et quand j'au-rois oublié les fameux passages où saint Paul exprime si vivement la manière dont on donnait le baptême, en disant «que nous y sommes ensevelis avec Jésus-Christ, afin de ressusciter avec lui (3), » ce que cependant je n'ai pas fait, l'Anonyme m'aurait appris que ces passages « font voir que l'on plongeait le fidèle dans l'eau, pour représenter par là comme une espèce de mort et de sépulture (4). »

Toute l'antiquité l'a remarqué; et parmi une infinité de passages, je rapporterai celui de l'auteur du livre des Sacrements,

 

1 Traité de la Com., II part. 377. — 2 Act., VIII, 38. — 3 Rom., VI, 4; Coloss., II, 12. — 4 Anonyme, I part., chap. III, p. 24,

 

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digne du nom et du siècle de saint Ambroise : « On vous a, dit-il, demandé : Croyez-vous au Père? vous avez dit : J'y crois; et vous avez été plongé, c'est-à-dire vous avez été enseveli : on vous a encore demandé : Croyez-vous en Notre-Seigneur Jésus-Christ et en la croix? et vous avez dit : J'y crois; et vous avez été plongé, et vous avez été enseveli avec Jésus-Christ, et celui qui est enseveli avec lui ressuscite aussi avec lui-même (1). » Et après : « Hier nous parlâmes de la fontaine du baptême, dont la forme nous fait voir une espèce de sépulcre : nous sommes reçus et plongés tout entiers dans l'eau, et ensuite nous en sortons; c'est-à-dire nous  ressuscitons avec Jésus-Christ (2).» L’ Ordre romain dit la même chose : « La triple immersion, dit-il, représente les trois jours que Jésus-Christ demeura dans le sépulcre, et l'élévation est comme quand il en sortit ». » Et saint Cyrille de Jérusalem représente ce mystère en un mot, lorsqu'il dit « que l'eau salutaire est tout ensemble un sépulcre et une mer (4).» Cette manière de baptiser par immersion se trouve dans le douzième siècle dans Hugues de Saint-Victor (5). Elle dure encore plus loin, et jusqu'au treizième siècle ; et la chose ainsi assurée dans le Traité de la Communion, n'a pas été contestée par ceux qui l'ont combattue. Qu'y a-t-il à chicaner davantage? Quand M. de la Roque aurait montré qu'en deux ou trois endroits de l'Ecriture, le mot de baptiser se pouvait réduire contre sa propre nature à une simple infusion, toujours serait-il certain qu'en ce qui regarde le sacrement de baptême, la pratique de saint Jean-Baptiste, de Jésus-Christ, des apôtres et de tant de siècles, l'esprit même de cette action et tout le dessein de cette sainte cérémonie, expliqué si clairement par saint Paul, conservent à ce terme de baptiser sa signification naturelle, sans qu'on puisse trouver dans l'Ecriture le moindre indice du contraire.

Quand après cela M. de la Roque avance, ce qui est très-vrai, « que cette manière de baptiser n'a pas été inconnue aux anciens (6), » ses citations sont très-bonnes pour prouver la tradition

 

1 De Sacram., lib. II, cap. VII.— 2 Lib. III, cap. I.— 3 Off. Theop., p. 667. — 4 Cyril. Hieros., Cat. Myst., II, n. 4. — 5 Hug. Victor., de Eccl. myst., cap. XIX. — 6 P. 227 et seq.

 

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dont je conviens, et en même temps pour nous faire voir que dans une chose si importante, où il s'agit de savoir si nous sommes baptisés ou non, nos pères n'en ont pas moins cru ce qu'ils ne trouvaient pas dans l'Ecriture, quoique nous n'ayons pour garant de la validité de notre baptême que la seule autorité de l'Eglise.

Cet inconvénient a paru terrible à l'auteur de la seconde Réponse. Tout le fondement de la Réforme lui a paru renversé, si la seule autorité de l'Eglise peut établir de telles choses. C'est pourquoi il en vient à cet excès de dire que le baptême sans immersion est un abus qu'il faut réformer. « Il est vrai, dit-il, que jusqu'ici la plus grande partie des protestants ne baptisent que par aspersion; mais assurément c'est un abus ; et cette pratique qu'ils ont retenue de l'Eglise romaine sans la bien examiner, comme plusieurs autres doctrines qu'ils en retiennent encore, rend leur baptême fort défectueux. Elle en corrompt et l'institution et l'ancien usage, et les rapports qu'il doit avoir avec la foi et la pénitence et la régénération. La remarque de M. Bossuet, que le plongement a été en usage pendant treize cents ans, mérite bien qu'on y réfléchisse sérieusement, qu'on reconnaisse que nous n'avons pas assez examiné tout ce que nous avons retenu de l'Eglise romaine, et que, puisque ses plus doctes prélats nous apprennent que c'est elle qui a aboli la première un usage autorisé par tant de fortes raisons et par tant de siècles, elle a très-mal fait en cette occasion, et que nous sommes obligés à revenir à l'ancienne pratique de l'Eglise (1). » C'est ainsi qu'il ne craint pas de condamner son église pourvu que la romaine ait tort la première, ni de se percer le sein pourvu que le coup porte sur nous.

Il est vrai qu'il ajoute que « l'aspersion ne détruit pas essentiellement le baptême, puisqu'après tout baptiser signifie laver, et que l'on peut bien se laver par aspersion ; mais que si elle ne détruit pas la substance du baptême, elle l'altère et le corrompt en quelque manière (2). » Mais il se combat lui-même, quand il parle ainsi. Car corrompre la substance d'un sacrement, qu'est-ce autre chose que d'en « corrompre et l'institution et le rapport qu'il doit

 

1 Anonyme, p. 24, 25. — 2 Ibid., p. 25.

 

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avoir avec la régénération? » Or en quoi est la substance d'un sacrement, qui est un signe d'institution, si ce n'est dans l'institution même et dans le rapport qu'elle a avec la chose signifiée? Cependant l'auteur vient de dire que toutes ces choses sont corrompues dans le baptême sans immersion. Aussi répète-t-il que c'est un abus ; « et nous sommes, dit-il, résolus de le corriger désormais (1). » Quel abus y aurait-il selon lui, s'il n'était pas contraire à l'institution et à l'Ecriture? Mais c'est qu'on ne s'entend plus, quand on prend pour règle ses propres pensées; d'où il arrive qu'on n'est pas moins contraire à soi-même qu'à tous les autres. Que nos Frères ne nous disent pas que c'est ici un sentiment particulier d'un de leurs docteurs ; car nous trouvons tous les jours dans leurs esprits des incertitudes et des agitations semblables à celles-ci, quand nous enfonçons avec eux la matière de la communion sous une ou sous deux espèces. Nous leur disons : Nos chers Frères, souvenez-vous de votre baptême donné sans immersion, encore que Jésus-Christ ait dit : Plongez. Il ne s'agit pas ici du plus ou du moins, ni de la simple quantité de l'eau ; il s'agit d'une action qui a un caractère particulier pour montrer qu'on est lavé tout entier, tout entier caché en Jésus-Christ, revêtu de lui, enseveli avec lui, pour aussi ressusciter avec lui dans une perfection semblable? Que trouvez-vous dans la communion sous les deux espèces qui ne se trouve pas dans l'immersion et le plongeaient du baptême? Est-ce l'institution de Jésus-Christ? Mais le même qui a dit : Mangez et buvez, a dit : Plongez. Est-ce que dans la liqueur il se trouve une idée plus pleine de la nourriture de l'homme? Aussi se trouve-t-il dans l'immersion une idée plus pleine de sa parfaite purification. Est-ce que dans les deux espèces la mort violente de Jésus-Christ par la séparation du corps et du sang nous est mieux représentée? Aussi avons-nous dans l'immersion une plus parfaite représentation de la sépulture et de la résurrection de Jésus-Christ, dont nous devons porter le caractère sacré pour y avoir part. Nous alléguerez-vous l'exemple de Jésus-Christ, des apôtres, de l'ancienne Eglise? Mais vous avez vu que tout est égal entre l'immersion et la communion sous les deux

 

1 Anonyme, p. 26.

 

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espèces. Si vous croyez qu'il suffise de trouver dans l'antiquité quelque exemple de baptême sans immersion, pourquoi ne voudrez-vous pas vous contenter de tant d'exemples de la communion sous une espèce, que vous verrez avoués par vos ministres? Ils répondent : Pourquoi vous jeter sur notre baptême, puisque vous en convenez ? Et nous leur disons : Mais que vous sert que nous en convenions, si c'est sans l'autorité de l'Ecriture ? Ou si vous voulez bien vous fier à l'Eglise pour votre baptême, quelle raison avez-vous de ne vous y fier pas pour la communion? Pressés par tant de raisons démonstratives et par un si grand rapport de l'immersion avec la réception des deux espèces, ils en viennent à dire enfin avec l'auteur de la seconde Réponse : Eh bien, nous l'avouons, le baptême sans immersion est un abus que nous avons mal à propos retenu de vous, et nous n'avons pas poussé assez loin la Réforme. Dieu, sous les yeux de qui j'écris ceci, sait que tous les jours on nous fait de telles réponses. Nous pressons : Vous n'êtes donc pas baptisés, si vous l'êtes contre les paroles et l'institution de Jésus-Christ, et sans que votre baptême ait le rapport que Jésus-Christ y a établi avec votre régénération qui en est l'effet. Ici ils commencent à être troublés ; car ils sentent dans leur conscience que le baptême, qui est l'entrée à l'Eglise et aux sacrements, n'est pas moins nécessaire que l'Eucharistie; mais enfin ils lâchent le mot, et ils seront contraints de nous avouer qu'ils ne sont pas bien baptisés; et qu'ajouter à ce mal celui d'une communion illégitime, ce n'est pas chercher la guérison, c'est plutôt ajouter plaie sur plaie. On les presse : Si vous n'êtes pas baptisés, il faut donc vous rebaptiser ? Mais qui vous rebaptisera? Des gens qui ne sont pas baptisés eux-mêmes? Car il y a plusieurs siècles que le baptême sans immersion est reçu. Si donc ce baptême est nul, il y a déjà plusieurs siècles que le baptême n'est plus parmi nous? Trouvez-vous dans l'Ecriture qu'on puisse être validement baptisé par quelqu'un qui ne l'est pas ? Et vous, qui rejetez le baptême donné par tout autre que par un ministre public, approuverez-vous le baptême donné par celui qui ne l'aura jamais reçu? Eveillez-vous donc à la fin, et ayez pitié de votre âme.

 

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CHAPITRE II.
Du baptême des petits enfants : de celui qui est donné par les hérétiques : de celui qui est donné par les simples fidèles en cas de nécessité.

 

Le raisonnement n'est pas moins fort, quand on leur dit qu'ils ont été aussi bien que nous baptisés petits enfants, sans aucune autorité de l'Ecriture. Ils se tourmentent premièrement à chercher des passages dans l'Ecriture, et ils n'y trouvent de baptême qu'après l'instruction et la pénitence ; « Enseignez et baptisez (1) : Qui croira et sera baptisé (2) : Faites pénitence et recevez le baptême (3); » choses qui ne conviennent pas aux petits enfants. L'exemple de la circoncision les soulage peu pour les raisons qu'on peut voir dans le Traité de la Communion (4), auxquelles les deux Réponses n'opposent pas un seul mot. Elles ne disent rien non plus pour soutenir les autres passages, par où nos réformés se sont efforcés d'établir le baptême des petits enfants. Mais l'auteur de la seconde Réponse fait cet aveu mémorable : « Quant au baptême des petits enfants, j'avoue qu'il n'y a rien de formel ni de précis dans l'Evangile pour en justifier la nécessité; et les passages qu'on en tire ne prouvent rien autre chose TOUT AU PLUS, sinon qu'il est permis de les baptiser, ou plutôt qu'il n'est pas défendu de les baptiser (5). » Ce tout au plus fait bien voir qu'il ne se tient guère assuré de ce qu'il dit, qu'on peut prouver par l'Ecriture que le baptême des petits enfants « soit permis, ou plutôt qu'il ne soit pas défendu. » En effet il n'allègue rien pour le prouver, et ne répond rien aux textes de l'Evangile où le baptême est toujours mis après l'instruction, la pénitence et la foi. L'auteur de la première Réponse ne s'est pas trouvé dans un moindre embarras; mais il en sort à son ordinaire par un tour d'adresse. Au défaut de l'Ecriture où il n'a rien trouvé qui le favorise, il a recours à quelques passages de Bellarmin et à une décrétale d'Innocent III, où le baptême des petits enfants est prouvé par l'Ecriture; et comme s'il avait trouvé

 

1 Matth., XXVIII, 19. — 2 Marc., XVI, 16. — 2 Act., II, 38. — 3  Traité de la Communion, II part., n. 6. — 4 Anonyme, 1 part., p. 98.

 

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des défenseurs de son sentiment, il m'invite à m'accorder avec ce cardinal et avec ce pape (1).

Il y a trop d'illusion dans ce procédé ; car pour moi, je suis parfaitement d'accord avec eux. A l’endroit que le ministre attaque (2), je ne disais pas, comme il le suppose, que le baptême des petits enfants ne peut être absolument prouvé par l'Ecriture : au contraire je dis expressément que supposé qu'on admette le baptême comme nécessaire au salut, on peut prouver assez aisément par l'Ecriture que Dieu, qui est le Sauveur de tous, n'a pas laissé les petits enfants sans remède. C'est ce que dit Innocent III dans la décrétale qu'on nous oppose, comme il paraît par toute la suite de son discours. Car après avoir prouvé par l'Ecriture, que de même que dans l'Ancien Testament on est exclus du peuple de Dieu faute d'avoir été circoncis, de même dans le Nouveau on est exclus de son royaume faute d'avoir reçu le saint baptême ; d'où il tire cette conséquence : « Gardons-nous bien de penser que Dieu, qui ne veut pas que personne périsse, laisse sans remède tant d'enfants que nous voyons mourir tous les jours dans ce bas âge. » Le cardinal Bellarmin suppose le même principe de la nécessité du baptême pour prouver par l'Ecriture que Dieu, qui veut sauver les enfants, ne les a pas exclus de ce sacrement (3); d'où il conclut que les calvinistes et les zuingliens n'ont aucune preuve du baptême des petits enfants ; « à cause, dit-il, qu'ils ne reçoivent pas la tradition, et qu'ils croient que le baptême n'est pas nécessaire. » J'ai dit la même chose que ce savant cardinal, et j'ai soutenu que « les preuves qu'on peut tirer de la nécessité du baptême pour le donner aux petits enfants, étant détruites par nos réformés (4) » il ne leur reste rien dans l'Ecriture par où ils puissent s'assurer d'avoir été baptisés validement, eux qui comme nous ne l'ont été que dans l'enfance. Je persiste dans ce sentiment; et M. de la Roque m'y confirme, puisqu'il avoue encore dans sa Réponse « que le baptême n'est pas nécessaire au salut des petits enfants (5) ; » de sorte qu'il détruit lui-même, avec la nécessité de ce

 

1 La Roq., II part., chap. III, p. 264-266; Bellarm., lib. I de Sacr. bapt., cap. VIII ; Majores, lib. III Decret., tit. XLII, de Bapt., cap. III. — 2 Traité de la Communion, II part., n. 6, p. 320. — 3 Bell., ibid., cap. IX ; Resp., ad 8 arg. — 4 Traité de la Communion. — 5 La Roq., II part., chap. III, p. 266.

 

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sacrement, toute la preuve d'Innocent III et du cardinal Bellarmin, qui sont néanmoins ses seuls auteurs.

Cherchez donc, nos chers Frères, cherchez d'autres garants de votre baptême que ceux que vous donnent vos ministres; appuyez-le sur l'Ecriture ; prouvez que le Fils de Dieu ou ses apôtres ont enseigné à baptiser les petits enfants, et permettent de séparer le baptême de l'instruction. Mais vous n'avez rien : vous rejetez la tradition : tout vous manque du côté de l'Ecriture ; ainsi, Messieurs, vous ne savez si vous êtes baptisés ; vous ne savez si vous êtes chrétiens; vous ne savez si jamais vous avez reçu la communion pour laquelle vous voulez paraître si zélés, puisque vous n'êtes pas assurés du baptême, sans lequel il n'y a point de communion ni d'entrée aux sacrements de l'Eglise.

Les ministres ne sont pas moins embarrassés sur le baptême donné par les hérétiques au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Je leur avais demandé en vertu de quoi ils le recevaient, puisque Jésus-Christ avait donné le pouvoir d'administrer le baptême, non aux hérétiques ni aux faux pasteurs, mais aux apôtres et aux pasteurs véritables (1). L'auteur de la seconde Réponse se tire en un mot de cette difficulté, en disant « que cela n'est d'aucune importance pour la foi ni pour la religion, quelque parti qu'on prenne, pourvu qu'on reconnaisse qu'il faut baptiser au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit (2) » Cela s'appelle donner pour preuve ce qui est précisément en question. On lui demande pourquoi le baptême au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit est bon des mains d'un hérétique et d'un faux pasteur , puisque le Fils de Dieu ne l'a confié qu'aux apôtres et aux pasteurs véritables; et il répond que cela n'est de nulle importance , pourvu qu'on invoque les trois Personnes divines, qui est ce qu'il fallait prouver par l'Ecriture, ou reconnaître la nécessité de la tradition; et aussitôt, sans apporter aucune preuve, il passe en trois mots à une autre chose. Je conclus donc avec raison qu'il n'a point de preuves, puisqu'il n'allègue pour toute preuve que sa décision. Mais le savant M. de la Roque, qui fait mine d'entrer plus avant dans la question, ne nous en dit pas davantage. Il s'agissait

 

1 Traité de la Comm., p. 349 et suiv. — 2 Anon., 1 part., chap. VI, p. 97, 98.

 

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de produire quelque passage de l'Ecriture, pour montrer que le baptême donné par un hérétique, en la forme légitime, est valide; au lieu d'en apporter du moins un seul, ce docte ministre nous parle du démêlé de saint Cyprien avec le pape saint Etienne, et des décisions du premier concile d'Arles, de celui de Nicée et de celui de Constantinople, et du baptême que Théodoret et les évêques catholiques du royaume de Gondebaud donnèrent dans le cinquième siècle aux marcionites et aux ariens.

Que fait à la question cette érudition superflue, et qu'est-ce que ce ministre veut conclure de ces faits? Quoi? que l'ancienne Eglise tenait cette question pour indifférente? Quand cela serait, qu'en reviendrait-il aux ministres? Ce n'est pas par l'autorité de l'Eglise, c'est par l'Ecriture seule qu'un ministre nous doit prouver que c'est une chose indifférente, parmi les chrétiens, de recevoir le baptême d'un vrai chrétien ou d'un hérétique, d'un fidèle ou d'un ennemi de l'Eglise, d'un faux ou d'un véritable pasteur. Ce ministre ne songe pas seulement à produire aucun passage de l'Ecriture. Pourquoi jeter en l'air tant de paroles et faire accroire aux simples qu'on a répondu, à cause qu'on a beaucoup parlé?

Mais peut-être qu'il sera content de nous ôter la tradition, comme nous lui ôtons l'Ecriture sainte ? C'est fureur que de disputer de cette sorte, en ne nous laissant aucun moyen pour nous résoudre. Mais les ministres n'empêcheront pas qu'il ne soit vrai que nos pères, dans cette célèbre difficulté, se sont résolus par la tradition. C'est la tradition que le pape saint Etienne soutenait, comme il paraît par son décret. Saint Cyprien convenait de la tradition, puisqu'il avouait que la coutume était contre lui, et qu'Agrippin son prédécesseur avait innové. Saint Augustin nous assure en plusieurs endroits, que la coutume que saint Etienne opposait à saint Cyprien ne pouvait venir que de la tradition apostolique, et que cette tradition ne laissait pas que d'être véritable , quoiqu'elle n'eût pas encore été soutenue de toutes les preuves, ni affirmée par une expresse définition de toute l'Eglise catholique. Et cette tradition était si solide, que ceux qui l'avaient combattue y revinrent d'eux-mêmes, en disant au rapport de saint Jérôme : « Que tardons-nous davantage à suivre ce que nos ancêtres

 

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nous ont enseigné, et ce qu'ils ont appris des leurs (1)? » Ainsi, comme dit Vincent de Lérins (2), il arriva dans cette occasion, « comme il arrive dans toutes les autres : l'antiquité fut reconnue et la nouveauté rejetée. » Que s'il fallut des conciles, ce n'est pas, comme le ministre semble l'inférer; ce n'est pas, dis-je, pour établir une chose nouvelle, mais pour déclarer et confirmer authentiquement la tradition ancienne. Et quand après les conciles on a rebaptisé les marcionites et les ariens, c'est que ces marcionites et ces ariens s'éloignaient de la forme solennelle et toujours reçue dans l'Eglise, comme il serait aisé de le montrer; de sorte que la tradition anéantissait autant leur baptême, qu'elle confirmait celui des hérétiques qui baptisaient selon la forme reçue. Que ceux qui méprisent cette tradition nous rendent raison de leur foi : qu'ils nous disent sur quoi ils se fondent pour accepter le baptême des hérétiques et des faux pasteurs, qui n'ont qu'une apparence de vocation. Quand je demande aux ministres sur quoi ils appuient cette tradition de leur Discipline, qui, pour valider le baptême, se contente de cette apparence de vocation, M. de la Roque croit me répondre, en disant « que cette expression désigne une vocation qui pour n'être pas parfaite dans toutes ses parties, ne laisse pas d'être suffisante pour l'administration du baptême (3). » Mais ce n'était pas assez de le dire, il fallait le prouver par quelque passage. Il fallait, dis-je, prouver par quelque passage qu'une vocation imparfaite et même trompeuse, telle qu'elle est dans les hérétiques déclarés, est suffisante pour administrer le sacrement de baptême, encore que Jésus-Christ n'en ait confié l'administration qu'à ses disciples véritables, et qu'il avait lui-même appelés. Allez, leur dit-il, enseignez et baptisez (4). Mais je vois bien que ce que les ministres ont eu dans l'esprit, quand ils ont agréé le baptême donné par ceux qu'ils pensent hérétiques ; c'est qu'en effet ils nous croient tels, hérétiques et pires qu'hérétiques, puisqu'ils nous croient idolâtres. Si donc ils avaient rejeté le baptême donné par ceux qu'ils rejettent comme hérétiques, ils seraient contraints d'avouer qu'ils ne seraient pas baptisés, eux

 

1 Hier., Dial. adv. Lucif. — 2 Vinc. Lirin., I Comm. — 3 La Roque, p. 162. — 4 Matth., XXVIII, 19.

 

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dont les pères n'ont reçu que de nous le saint baptême. Les voilà donc encore une fois réduits à n'avoir aucune certitude de leur baptême, que sur la foi de la tradition et sur le fondement de l'autorité de l'Eglise.

Mais avant que de sortir de cette matière du baptême, voyons encore ce qu'on répondra sur cette difficulté proposée dans le Traité de la Communion (1) : D'où vient que a le Fils de Dieu n'ayant donné la charge d'administrer le baptême qu'aux apôtres, c'est-à-dire aux chefs du troupeau, toute l'Eglise a entendu non-seulement que les prêtres, mais encore les diacres et même tous les fidèles en cas de nécessité, étaient tous les ministres de ce sacrement ? » Se trouvera-t-il ici quelque passage de l'Ecriture qui leur ait donné ce pouvoir ? Il ne s'en trouvera aucun. C'est pourquoi M. de la Roque décide sans hésiter « que les ministres du sacrement de baptême sont les seuls ministres de la parole, Jésus-Christ ayant joint ces deux fonctions : instruisez les nations en les baptisant ; » d'où il infère « que les laïques et les simples particuliers n'ont pas droit de baptiser, comme on l'assure (2). Il fallait ici distinguer le droit ordinaire d'avec le cas de nécessité, où tout le monde était réputé ministre légitime du baptême. C'est aussi ce que nous avoue de bonne foi l'auteur de la seconde Réponse. « On demeure d'accord, dit-il, que pour conserver le bon ordre et éviter la confusion, c'est aux pasteurs à qui le peuple et l'église confie l'autorité du ministère, et celle d'administrer seuls les sacrements de Jésus-Christ ; car dans la nécessité tout fidèle jouit de ce même droit (3). » Il a raison pour le baptême ; la tradition l'a décidé sans aucune autorité de l'Ecriture, et je puis dire à cet égard que la tradition est constante.

Ces remarques sur le baptême nous font voir dans un cas semblable ce qu'il faut croire de l'Eucharistie. Car si l'Eglise suffit pour nous donner notre sûreté touchant l'un de ces sacrements, elle n'est pas moins forte à l'égard de l'autre. Voilà ce que nous concluons de ces arguments tant méprisés par nos adversaires, qu’ils appellent des arguments de missionnaires, de vieux arguments, des arguments rebattus. Mais loin que ces reproches en

 

1 Traité de la Communion, p. 318. — 2 La Roque, p. 159.— 3 Anonyme, p. 97.

 

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affaiblissent la force, ils servent à faire voir qu'il n'y a pas moyen d'y résister, puisque tous les protestants, après avoir eu le loisir d'y bien songer depuis près d'un siècle qu'on les fait, ne savent encore qu'y répondre ; et n'y peuvent rien opposer de solide , ni même s'accorder entre eux.

 

CHAPITRE III.
Second argument tiré de l'Eucharistie. Les protestants n'observent point dans la célébration de la Cène ce que Jésus-Christ a fait, et ils omettent plusieurs choses importantes.

 

Mais après avoir si mal répondu sur l'institution du baptême, ils vont encore répondre plus mal, et se déconcerter plus visiblement sur l’institution de l'Eucharistie. Le principe dont ils se servent est que ces paroles : Faites ceci (1), nous obligent à tout ce que Jésus-Christ a fait : principe aussi faux qu'il est spécieux, comme on le va bientôt voir de leur aveu propre.

Et premièrement M. Jurieu pousse la chose bien loin, quand il dit que ces paroles de Notre-Seigneur : Faites ceci, nous obligent à considérer a toutes les circonstances qu'il a observées comme étant de la dernière nécessité (2). » M. Jurieu se fortifie de l'exemple des sacrements de l'ancienne loi, où les moindres circonstances étaient essentielles et indispensables. Ce ministre conclut de là qu'il en faut croire autant de l'Eucharistie; et que lorsque le Sauveur dit : Faites ceci, c'est de même que s'il disait : « Désormais quand vous célébrerez ce sacrement, faites tout ce que je viens de faire. » En effet il faut pousser la chose jusque-là pour conclure quelque chose ; et la moindre exception que l'on voudrait opposer par son propre sens à une loi générale, en rendrait l'observance arbitraire. Voilà donc apparemment un beau principe et d'une étendue bien générale ; mais les ministres vous vont faire voir qu'il y a beaucoup à en rabattre. Quand M. de la Roque a vu ce principe de M. Jurieu dans mon Traité de la Communion , il a vu en même temps qu'il le fallait restreindre. « Par

 

1 Luc, XXII, 19. — 2 Exam. de l’Euch., traité VI, sect. V, p. 465, et sect. VI, p. 474.

 

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ces circonstances, dit-il, qui sont de la dernière nécessité, M. Jurieu entend simplement celles qui appartiennent à la substance du sacrement, et non pas celles qui ne sont pas de son essence (1). » Quelle réponse ! C'est de quoi nous disputons. On est d'accord entre nous qu'il faut faire tout ce qui est de l'essence du sacrement ; nous disputons pour savoir ce qui en est ou ce qui n'en est pas, et nous demandons qu'on nous trouve ici une règle dans l'Ecriture. La seule règle, dit cet auteur, est l'institution (2). Mais qui doute, encore une fois, qu'il ne faille faire tout ce qui est essentiel à l'institution de la communion sacrée ? Nous recherchons ce que c'est, et si dans la distinction qu'il faut faire de certaines choses qui n'y sont pas essentielles les ministres nous peuvent donner quelque règle de l'Ecriture. Le ministre croit mieux s'expliquer en disant qu'il faut prendre pour non essentielles « les circonstances qui regardent seulement le temps, l'ordre et la posture des apôtres en communiant. » Pour la posture, j'avoue qu'il importe fort peu si les apôtres étaient à table, assis, ou couchés, selon l'ancienne coutume , ou à la moderne ; mais pour l'heure, comme par exemple de faire la Cène le soir et à souper ; et pour l'ordre, comme d'être assis à la même table, de manger tous ensemble d'un même pain, et de boire dans une même coupe, et encore en se la donnant l'un à l'autre en signe de charité, comme j'ai fait voir dans le Traité de la Communion que toutes ces choses avaient leur mystère et leur signification (3), et qu'on n'y a rien répliqué, c'est gratuitement et sans raison qu'on renvoie des circonstances si mystérieuses avec les choses accidentelles dont l'Eglise peut disposer. Et pour entrer un peu plus avant dans cette matière, je ferai quelques réflexions sur deux circonstances importantes de la Cène de Notre-Seigneur ; l’une, qu'en signe d'unité, il communia ses apôtres avec un seul pain et un seul calice ; l'autre, qu'il leur donna la communion sur le soir et dans un souper.

La première circonstance est indubitable, et tous les ministres en sont d'accord avec nous. Et voici ce qu'en écrit M. Jurieu :

 

1 La Roq., II part., chap. VIII, p. 306. — 2 Ibid.— 3 Traité de la Communion, p. 317 et suiv.

 

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« L'autre fin pour laquelle le Sauveur a institué ce sacrement, c'est pour être un festin sacré, un repas de charité entre des frères, d'où nous puissions apprendre que nous devons être parfaitement unis; et afin que cette leçon fut plus sensible, il a voulu que nous mangeassions d'un même pain rompu en diverses parties, ce qui nous signifie que nous devons être comme les parties d'un même tout (1). » Voilà le fait bien posé ; et afin que nous soyons convaincus que c'est une institution divine, il ajoute : «Ce n'est pas un mystère imaginé par les hommes : Dieu lui-même a pris soin de s'en expliquer ; car il dit, par la bouche de saint Paul : Nous qui sommes plusieurs, sommes un seul pain et un seul corps, car nous sommes tous participants du même pain (2). »

Le ministre le Sueur en dit autant dans son Histoire de l'Eglise : « Le pain qu'on prenait pour célébrer et administrer l'Eucharistie était d'ordinaire un pain entier. L'apôtre saint Paul l'enseigne , I Cor., X, quand il dit que nous sommes tous participants du même pain ; ce qui fait croire que l'on offrait sur la sainte table un pain plus ou moins grand, selon le nombre qu'il pouvait y avoir de communiants. L'unité de ce pain représentait l'unité du corps mystique de Jésus-Christ, comme l'enseigne l'apôtre au même lieu (3). »

C'est donc une chose constante que lorsqu'il est dit dans l'Evangile que Jésus-Christ prit le pain et le rompit (4), il faut entendre selon saint Paul et selon la pratique des apôtres, que tous mangèrent d'un seul et même pain, et qu'il y avait en cela un dessein particulier du Sauveur, puisque c'était un signe d'union entre les fidèles et un mystère qui représentait l'unité de son corps mystique. Il en est de même de la coupe ; et c'est la cause de cette parole tant relevée par nos adversaires : Buvez-en tous (5). Ce n'est pas comme ils se l'imaginent, que Jésus Christ voulût inculquer avec une force particulière la participation de la coupe ; mais c'est que leur présentant une même coupe, il leur ordonnait d'en boire tous ensemble, les uns après les autres, au même sens qu'il est dit dans saint Luc : Prenez-la et la partagez entre vous (6) ;

 

1 Exam. de l'Eucharistie, p. 428. — 2 I Cor., X, 17. — 3 Le Sueur, Hist. eccl., IV. IV, p. 157. — 4 Matth., XXVI, 26. — 5 Ibid., 27. — 6 Luc., XXII, 17.

 

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ce qui était un signe pratiqué dans les traités d'alliance et dans les festins d'amitié. L'antiquité a suivi ces saintes pratiques ; et sans en recueillir ici les témoignages qui sont innombrables, on les peut voir dans ces mots qui sont de saint Denis : « Il y a un seul pain qu'on divise, un seul calice dont on donne à tous; ainsi le pontife distribue et multiplie l'unité (1). » Cependant nos réformés ne se croient pas plus obligés que nous à une observance tant recommandée, non-seulement par saint Paul, mais encore par Jésus-Christ même, comme faisant partie de son mystère. Ainsi manifestement ils mettent une exception au précepte : Faites ceci, et ils n'observent pas eux-mêmes cette parole qu'ils vantent tant : Buvez-en tous.

La seconde circonstance qu'on remarque dans la Cène de Notre-Seigneur, est qu'il l'a instituée sur le soir et à un souper; et sans rechercher ici tous les mystères qui sont enfermés dans cette heure, ni répéter ce qu'on vient de voir du dessein de nous faire faire en signe de charité un même repas, l'Eglise loin de s'en tenir à cette pratique, a fait une loi contraire, puisqu'elle ordonne de communier à jeun, et que sa pratique inviolable a été de ne pas mêler les viandes communes avec cette nourriture céleste. Je n'ai pas besoin de rapporter ce qui regarde l'obligation de communier à jeun, qu'on trouve comme ancienne et universelle dès le temps de Tertullien et de saint Cyprien, et que saint Augustin met parmi les lois que le Saint-Esprit a inspirées à l'Eglise (2). Nos adversaires n'ont pas encore osé la blâmer ; et ainsi il demeure pour certain que l'Eglise a cru pouvoir défendre ce que Jésus-Christ avait fait, et ce qu'il avait regardé comme une partie de son mystère : tant il a plu au Sauveur de lui laisser la disposition de ces pratiques, encore qu'il les ait lui-même établies et instituées.

Mais outre ces deux circonstances de la Cène de Notre-Seigneur, en voici une d'une grande importance, à laquelle nos adversaires n'ont pu répondre sans un embarras manifeste : c'est

 

1 Dion, de Eccl. Hier., cap. III ; de Euchar., tom. I, p. 258. — 2 Tertull., lib. II ad Uxor., cap. V ; Cypr., epist. LXIII ad Cœcil.; August., epist. LIV, n. 8.

 

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celle de la fraction. J'ai fait voir dans le Traité de la Communion (1) que selon la doctrine des calvinistes, la fraction du pain représente le corps du Sauveur rompu à la croix, et que ce rapport est si essentiel à la sainte Cène, que Jésus-Christ même l'a voulu marquer par ces paroles : « Ceci est mon corps rompu pour vous. » En effet sans avoir besoin d'alléguer ici M. Jurieu, qui met la fraction du pain parmi les choses que Jésus-Christ a voulu mettre expressément dans la Cène, et qui la regarde comme « un trait de l'image qu'on ne peut effacer sans crime (2), » M. de la Roque soutient encore dans sa Réponse qu'elle appartient à la substance du sacrement. «Les choses, dit-il, qui appartiennent à la substance sont, de la part de l'officiant, prendre du pain, rendre grâces sur le pain, le rompre (3), etc. » Mais dans la page d'après, il s'agit de prononcer sur un accord fait de nos jours en l'an 1661, entre les calvinistes de Marpourg et les luthériens de Rintel, où les calvinistes convinrent, ainsi qu'il est rapporté au Traité de la Communion, que « la fraction appartenait non pas à l'essence, mais seulement à l'intégrité du sacrement, comme y étant nécessaire, par l'exemple et par le commandement de Jésus-Christ, et ainsi que les luthériens ne laissaient pas sans la fraction, d'avoir la substance du sacrement (4) » Voilà donc manifestement la substance du sacrement, sans qu'on soit astreint à suivre ce que Jésus-Christ a fait, ni même ce qu'il a commandé. Voyons ce que répondra M. de la Roque à la conséquence que je tire.

Voici ses propres paroles dans toute leur suite, sans y rien ajouter ni diminuer, et sans y rien mêler du mien : « Cette conséquence (de M. de Meaux) pèche en plusieurs choses : premièrement en ce qu'il argumente des paroles de quelques théologiens de Marpourg contre tous les protestants réformés, comme si le sentiment de ces théologiens devait être sur ce point la règle de leur foi : secondement ce prélat ne pénètre pas assez la pensée des docteurs de Marpourg ; car en distinguant l'intégrité du sacrement de son essence, ils n'ont pas dessein d'opposer l'un à l'autre; mais seulement de faire voir qu'encore que la fraction du

 

1 Traité, etc., part. II, n. 12, p. 359. — 2 Exam. de l'Eucharistie, p. 335. — 3 La Roq., p. 306. — 4 Loc. cit., p. 101.

 

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pain ne soit pas PRÉCISÉMENT DU FOND MÊME DE L'ESSENCE DU SACREMENT, laquelle consiste proprement dans la distribution et dans la réception des deux symboles, elle ne laisse pas d'y appartenir en quelque manière, puisqu'elle appartient à son intégrité. Cela étant ainsi, je dis en troisième lieu, que les théologiens de Marpourg ont pu, pour le bien de la paix, tolérer en ceux de Rintel le défaut de la fraction, puisque sans elle ils ne laissent pas d'avoir le fond de l'essence du sacrement, bien qu'ils manquassent de ce rit, qui appartenant à l'intégrité du mystère, est en quelque façon une dépendance de son essence, encore qu'il ne la constitue pas ; et c'est ainsi que je l'ai entendu, quand j'ai mis la fraction entre les circonstances qui appartiennent à la substance du sacrement (1),» A entendre parler ces Messieurs, quand il s'agit de religion, ils ne voudraient pas lâcher une parole qu'ils n'eussent trouvée dans l'Ecriture ; mais quand on vient au détail, ce n'est pas de même. Car où trouve-t-on dans l'Evangile la distinction que fait ce ministre de ce qui est précisément du fond même de l'essence du sacrement et de ce qui en est une dépendance, encore qu'il ne la constitue pas ? On dit tout ce qu'on veut, quand on fait ainsi agir son propre sens dans l'interprétation de l'Ecriture. Que sert au ministre de nous dire que ces théologiens de Marpourg ne sont pas la règle des calvinistes ? Je prends droit sur ce qu'il nous a lui-même avoué, qu'il y a des choses dans la Cène qui servent à la représentation que Jésus-Christ y a eue en vue, qu'il a faites, qu'il a commandées comme appartenantes à ce sacrement et à la mémoire de sa passion qu'il y a voulu établir, et qu'on peut omettre toutefois sans rien perdre de la substance du sacrement ; de sorte qu'en cette occasion, ni ce qu'il a fait ni ce qu'il a dit n'est notre règle. Et après cela on trouve mauvais que nous recourions à l'Eglise enseignée par le Saint-Esprit, pour apprendre précisément ce que Jésus-Christ a voulu, et que nous cherchions dans la tradition de tous les siècles, non pas à nous dispenser du commandement de Jésus-Christ, mais à l'entendre.

Et afin qu'on ne dise pas que M. de la Roque s'est ici embarrasse mal à propos et que d'autres répondront mieux que lui à

 

1 La Roque, p. 308.

 

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cette difficulté, il est bon d'écouter encore l'Anonyme. Celui-ci assure, comme l'autre, que selon la parole de Jésus-Christ, selon l'interprétation de saint Paul, selon le sentiment de tous les chrétiens du monde, l'institution consiste « en du pain pris, rompu et mangé, en du pain béni, sacré et rompu (1) » Voilà la fraction bien essentielle. Il dit ensuite « que véritablement elle est conforme à l'institution du sacrement, Jésus-Christ ayant pris le pain et l'ayant rompu, et ce pain en tant que rompu représentant le corps rompu de Jésus-Christ (2). » Que manque-t-il donc à la fraction pour être de la substance du sacrement, puisque même elle fait partie de la signification qui en établit la nature? « C'est, dit-il, que c'est une circonstance qui suppose toujours la partie essentielle du sacrement, à savoir le pain, et qui n'en est qu'une suite et une dépendance, » comme si c'était assez de prendre le pain , sans en faire ce que Jésus-Christ en a fait, et ce que selon ces Messieurs il a lui-même commandé d'en faire. Ne dirait-on pas que le Fils de Dieu a tout permis à ces raisonneurs, et que nous sommes les seuls à qui il n'est pas permis de raisonner sur ce mystère, non pas même en suivant les traces de tous les siècles passés dont la tradition est notre règle ?

Mais en vérité on a peine à s'empêcher de rire, quand on entend cet auteur apparemment peu content de sa première réponse, répondre sérieusement, en second lieu a que tous les chrétiens du monde rompent le pain du sacrement ; car il est impossible de le manger sans le rompre ou le briser dans la bouche ; si bien que cette fraction seule supplée fort bien à celle qui se devrait faire par la main (3). » C'est ainsi qu'on fait ce qu'on veut, pourvu qu'on ait de l'esprit, ou plutôt pourvu qu'on ait de la hardiesse pour mettre ce qu'on voudra à la place de ce que Jésus-Christ a fait. Mais parce que les catholiques sans rien donner à leur sens ni à leur raisonnement, tâchent d'entendre l'Evangile avec le secours de tous les siècles, on les condamne ; et il n'y a qu'eux qu'on ne peut souffrir, pendant qu'on pardonne tout aux luthériens.

On ne peut donc pas douter qu'il n'y ait des choses que Jésus-Christ a faites dans la Cène ; je dis même des choses qui contenaient

 

1 Anonyme, I part., chap. VI, p. 91. — 2 Ibid., p. 102. — 3 Ibid.

 

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un grand mystère et faisaient partie de la signification mystique, qu'il a laissées néanmoins à la disposition de l'Eglise. Par quelle règle nos réformés nous feront-ils voir que la distribution du sacré calice n'est pas de ce nombre? Tout ce que Jésus-Christ a fait n'était-il pas important? Où voient-ils dans la parole de Dieu que parmi les choses commandées dans cette occasion, il y en ait de moins nécessaires les unes que les autres ? Et quelles excuses trouveront-ils, s'ils ne reconnaissent avec nous que Jésus-Christ les a renvoyés à l'autorité de l'Eglise, pour faire le discernement de ce qui est essentiel à son sacrement d'avec ce qui ne l'est pas?

Ils répondent que des circonstances, comme celles de rompre ou ne rompre pas, de communier d'un même pain et de boire de la même coupe ou de plusieurs, visiblement ne sont pas de même importance que le retranchement que nous faisons d'une espèce toute entière, dans laquelle consiste un des traits les plus essentiels de la représentation du sang répandu, qui était la fin de ce mystère. Mais c'est ici raisonner; et au lieu de faire à la lettre ce que Jésus-Christ a dit, nous donner la liberté de l'interpréter à notre mode. Que s'il est permis de raisonner, ne voient-ils pas que nous leur dirons qu'il n'est pas vrai que nous retranchions une espèce : qu'elle demeure toute entière dans le sacrifice, et qu'elle y représente au peuple la séparation du corps et du sang : que le fidèle recevant ensuite le corps comme séparé mystiquement du sang, représente au fond le même mystère que s'il recevait de plus le sang comme mystiquement séparé du corps; de sorte qu'il participe à Jésus-Christ comme victime, qui est ce en quoi consiste le fond du mystère : que le reste par conséquent ne regarde qu'une plus parfaite représentation, qui n'est pas essentielle dans le sacrement, comme on en convient : enfin, ce qu'il y a de plus important, que l'autorité de l'Eglise et la tradition de tous les siècles, comme nous le ferons bientôt voir, nous montrent que c'est ainsi qu'il le faut entendre.

 

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CHAPITRE IV.
De la forme de l'Eucharistie : les protestants ne joignent pas la parole à l'action.

 

Après avoir parlé de ce qui regarde la matière de ce sacrement, venons à ce qui regarde sa forme. Il n'y a rien de plus essentiel aux sacrements que la parole qui en consacre la matière; c'est l’âme des sacrements ; c'est ce qui leur donne leur force : or il est certain que Jésus-Christ prit le pain et le bénit, prit la coupe et la bénit (1) ; ce qui fait dire à saint Paul : Le calice de bénédiction que nous bénissons (2) : Il est encore certain que Jésus-Christ parla séparément sur le pain, et qu'il dit : Ceci est mon corps ; puis séparément sur le vin, et qu'il dit : Ceci est mon sang; c'est manquer à quelque chose d'essentiel, que de ne pas joindre la parole à chaque partie de l'action, comme Jésus-Christ a fait et comme il a ordonné de le faire, en disant : Faites ceci. Nos réformés cependant ne le font pas. J'ai fait voir dans le Traité de la Communion (3) que leur Discipline ne les oblige à prononcer aucune parole dans la distribution des signes sacrés : que puisque, selon leur doctrine, le sacrement ne consiste que dans l'usage, il s'ensuit qu'ils ont un sacrement sans parole : qu'ils reconnaissent eux-mêmes que Jésus-Christ n'a pas fait ainsi, puisqu'à chaque partie du sacrement il a déclaré ce que c'était ; mais qu'en même temps ils enseignent que cet exemple n'oblige pas, quoique Jésus-Christ incontinent après avoir fait ces choses, ait ajouté si expressément : Faites ceci; et enfin, ce qu'il y a de plus étrange, que malgré une contravention si formelle à l'institution de Jésus-Christ, les ministres croient et font croire au peuple, qu'on fait dans leur Cène tout ce que Jésus-Christ a fait dans la sienne. A cela qu'a-t-on répondu ? Tous les faits sont demeurés pour constants. On a dit « que les paroles du distribuant, les paroles consacrantes, sont choses de pure police, dont la Discipline a pu disposer, et y faire les changements qu'elle a jugés nécessaires (4). »

 

1 Matth., XXVI, 26, 27. — 2 I Cor., X, 16. — 3 Traité de la Communion, II part., n. 6, p. 328. — 4 La Roq., II part., chap. III, p. 272.

 

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Quoi, même jusqu'à omettre ce que Jésus-Christ a fait, ainsi que je l'ai fait voir? Cela passe sans contradiction dans la première Réponse, et la seconde ajoute de plus a que les protestants s'attachent religieusement à la seule autorité de Jésus-Christ, mais pourtant avec cet esprit de liberté qui en fait l'essence et la force (1). » Leur liberté va-t- elle jusqu'à se dispenser de faire ce que Jésus-Christ a fait pour bénir et pour consacrer le pain et le vin? Cependant le même auteur venait de dire que selon saint Paul, interprète de Jésus-Christ, la matière et la forme du sacrement était du pain béni et sacré, était du vin consacré (2), sans doute par quelque parole prononcée distinctement sur l'un et sur l'autre ; et tous les chrétiens du monde, sans aucune contestation, l'ont pratiqué et le pratiquent ainsi dans tout l'univers et dans tous les siècles. « Mais, dit-il, ni Jésus-Christ, ni les apôtres, ni l'Eglise primitive n'ont point prescrit de formes certaines ni nécessaires sur ce sujet (3).» Quand cela serait, s'ensuivrait-il qu'il soit libre de n'en avoir aucune, et d'administrer un sacrement sans paroles? Qu'ils nous montrent dans leur Discipline ou dans leur Cène, quelque chose qui ressemble de près ou de loin à la bénédiction que Jésus-Christ et ses apôtres, et toute l'Eglise après eux, ont faite sur chacun des dons proposés, pour déclarer ce que c'était et les consacrer ? Est-ce que ces choses n'appartiennent pas à l'essence du sacrement, et que la parole n'en fait pas une partie essentielle? D'où vient donc qu'ils se croient astreints aux paroles solennelles du baptême? Sont-elles plus claires dans l'Evangile que celles dont Jésus-Christ se servit en donnant son corps et son sang? Et que ne disent-ils à son exemple quelque chose qui signifie ce qu'on donne? Leur hardiesse en vérité est surprenante. M. Jurieu nous reproche que nous retranchons la consécration. « Elle se doit faire, dit-il, par la prière. » Et un peu après : «Le sens commun dicte que les consécrations se doivent faire par les prières; et enfin le Seigneur Jésus consacra le pain pour être le sacrement de son corps par la prière ; car l'histoire de l'Evangile dit expressément qu'il prit du pain, qu'il rendit grâces sur le pain et qu'il le bénit; et la bénédiction est justement l'action par laquelle on

 

1 Anonyme, I part., chap. VI, p. 101. — 2 Ibid., p. 91. — 3 Ibid.

 

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implore sur quelqu'un ou sur quelque chose l'augmentation de la grâce ; et il est certain, poursuit-il, que la pratique de l'antiquité a été parfaitement semblable à la nôtre à cet égard, et il me serait aisé de prouver qu'elle consacrait par la prière (1). » Mais si vous voulez consacrer comme elle, et conserver quelque chose d'une antiquité que vous faites semblant de vouloir suivre, pourquoi avez-vous retranché cette invocation solennelle adressée à Dieu dans toutes les liturgies des chrétiens, pour le prier «de faire par son Saint-Esprit de ce pain préposé le corps, et de ce vin préposé le sang de son Fils? » Ils ne peuvent disconvenir que nous ne fassions solennellement cette prière commune à tous les chrétiens ; et ils savent bien que l'Eglise n'a jamais décidé qu'elle ne fût pas nécessaire ; cependant eux, qui la retranchent, se vantent de garder l'institution de Jésus-Christ et la pratique de l'antiquité, et osent encore nous accuser et dire que c'est nous qui l'avons changée, et qui avons retranché la consécration.

Mais enfin, dit la seconde Réponse, on ne sépare pas la Cène de la parole dans les églises protestantes, « puisqu'avant de distribuer la communion, on lit l'histoire de son institution, et l'on avertit tout le peuple qu'on va célébrer la mémoire de la mort de Jésus-Christ (2). » Devant Dieu et devant les hommes, est-ce là ce qu'on appelle bénir le pain et le vin, les consacrer, prier sur eux, comme on avoue que Jésus-Christ a fait, que saint Paul son interprète l'a enseigné, et que toute l'antiquité l'a pratiqué unanimement dès les premiers siècles? Mais pesons les paroles de cet auteur : On lit, dit-il, l'histoire de l'institution. Est-ce donc là, selon lui, la parole qui doit accompagner le sacrement ? Mais il s'en moque lui-même dans un autre endroit : « C'est, dit-il, comme qui dirait que pour baptiser, il faut réciter l'institution du baptême, et dire en jetant un homme dans l'eau, et l'y plongeant : Allez, endoctrinez les nations, en les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. » Mais peut-être que la parole qui doit accompagner le sacrement, est comme il ajoute, « d'avertir le peuple qu'on va célébrer la mémoire de la mort de Jésus-

 

1 Exam. de l’Euchar., traité VII, § 2, p. 431. — 2 Anonyme, I part., p. 87. — 3 II part., chap. VII, p. 258.

 

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Christ ; » comme s'il suffisait, pour baptiser, d'avertir qu'on va donner le baptême, et qu'il ne fallût rien dire en le donnant.

Cet auteur croit se sauver, en me demandant « si je croirais qu'un prêtre eût séparé le sacrement de la parole, en présentant la communion sans parler (1). » Il devait du moins songer que nous ne mettons pas, comme ils font, ce sacrement dans l'usage, mais dans la consécration qui le précède ; de sorte que quand ensuite on ne dirait mot, ce qu'on n'a jamais fait dans l'Eglise chrétienne, le fidèle recevrait toujours une chose sainte, une chose consacrée, comme Jésus-Christ l'a fait et comme il a ordonné de le faire, en un mot un vrai sacrement; mais pour eux, qui ont des principes contraires, et qui de plus osent dire qu'ils ne sont pas obligés de suivre en ceci l'exemple ni l'institution de Jésus-Christ, ils sont de manifestes prévaricateurs; et le changement qu'ils font ici dans la Cène de Notre-Seigneur est d'autant plus considérable, qu'ils le font dans la parole même, qui est toujours, dans les sacrements, ce qu'il y a de plus essentiel.

 

CHAPITRE V.
Que la seule tradition explique quel est le ministre de l'Eucharistie, et décide de la communion des petits enfants.

 

Ils ne seront pas plus assurés du ministre de la Cène, s'ils persistent à refuser le secours de la tradition. Leur Discipline et tous leurs synodes décident unanimement, que c'est aux seuls ministres de la parole qu'il appartient de distribuer l'une et l'autre partie du sacrement ; de sorte que les anciens et les diacres, à qui ils permettent la distribution dans le besoin, ne le font pour ainsi dire que de leur autorité ; et c'est pourquoi les synodes ordonnent que « les ministres parleront seuls en la distribution des signes sacrés, afin qu'il apparaisse clairement que l'administration des sacrements est de l'autorité de leur ministère (2). » C'est aussi aux ministres seuls qu'il appartient de bénir la coupe sacrée, et les diacres s'étant ingérés en la présentant de dire ces mots de saint

 

1 Anonyme, p. 87. — 2 Syn. de S. Maix., 1609, Observ. sur la Discipline, chap. XII, art. 9, p. 185.

 

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Paul : Cette coupe est la communion du corps de Christ, en omettant que nous bénissons, le synode national décida qu'aucun ne devait être employé à proférer les paroles de l'Apôtre, s'il ne peut les dire toutes entières. Ainsi les ministres seuls peuvent bénir le pain et le vin ; et c'est une doctrine constante parmi nos réformés, que ce n'est pas faire la Cène, que d'en recevoir les signes, sans qu'ils soient bénis par les ministres et distribués en leur présence et de leur autorité. Mais tout ce qu'il y a dans l'Evangile qui pourrait autoriser cette doctrine, n'a point de force dans la nouvelle Réforme. On y enseigne constamment que ces paroles : Faites ceci, dont nous nous servons pour prouver qu'il appartient aux apôtres et aux successeurs de leur ministère de consacrer et de distribuer les saints dons, s'adressent à eux comme simples communiants (1), et non pas comme officiants et distributeurs ; de sorte qu'il ne reste rien dans l'Ecriture, pour attribuer aux seuls pasteurs la consécration et l'administration de la Cène, et je me suis servi de cet argument pour montrer la nécessité de la tradition (2). Mais l'auteur de la seconde Réponse, plutôt que d'être forcé à la reconnaître, aime mieux dire « que tous les protestants en général conviennent que dans la nécessité, chaque père de famille est le pasteur et le ministre de l'Eglise que sa famille compose, et que par la nécessité même chaque père de famille le peut faire, pourvu que cela n'aille jamais jusqu'à faire schisme ni division dans l'église dont il fait partie (3). » Je ne sais si tous nos réformés approuveront ces excès, qui renversent de fond en comble l'état de l'Eglise, ni s'ils permettront qu'avec cet auteur on préfère les dangereuses singularités de Tertullien montaniste, à toute l'autorité des siècles passés. Mais ils n'ont aucun moyen de réprimer cette licence, s'ils ne recourent à l'autorité de la tradition et de l'Eglise.

Ils ne peuvent non plus s'excuser de donner la Cène aux petits enfants, s'ils s'attachent simplement à l'Ecriture. Car je leur ai demandé si ce précepte : Mangez ceci, et Buvez-en tous, qu'ils croient si universel, ne regarde pas tous les chrétiens (4)? Mais s'il

 

1 Anon.,p. 100, 101.— 2 Traité de la Comm., II part., n. 6, p. 323.— 3 Anon., I part., chap. VI, p. 99. — 4 Traité de la Commun., II part., n. 10, p. 349 et suiv.

 

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regarde tous les chrétiens, quelle loi a excepté les petits enfants, qui sans doute sont chrétiens étant baptisés? La comparaison du baptême augmente la difficulté. Si selon nos prétendus réformés, on ne doit pas refuser le signe de l'alliance aux enfants des fidèles qui en ont la chose, puisqu'ils sont incorporés à Jésus-Christ par leur baptême, par la même raison on ne pourra pas leur refuser le signe de leur incorporation, qui est le sacrement de l'Eucharistie. On peut voir ce raisonnement proposé dans le Traité de la Communion (1). M. de la Roque répond « que les enfants ne sont pas, à cause de leur bas âge, capables de l'épreuve que saint Paul ordonne (2), » et qu'il n'en est pas comme du baptême qui ne demande point cet examen. Mais il ne dit pas un mot à ce que je lui objecte, que saint Paul n'a pas dit plus expressément qu'on s'éprouve et qu'on mange, que Jésus-Christ avait dit : « Enseignez et baptisez. Qui croira et sera baptisé. Faites pénitence et recevez le baptême. » Et si ce ministre avec le Catéchisme de la nouvelle Réforme, interprète que cela doit être entendu de ceux qui sont capables d'instruction et de pénitence, pourquoi n'en dira-t-on pas autant de l'épreuve tant recommandée par l'Apôtre ? L'auteur de la seconde Réponse, en multipliant les paroles, ne fait que s'embarrasser davantage. « Jésus-Christ, dit-il, n'a fait des lois que pour ceux qui les entendent (3). » Mais cela ne regarde pas moins le baptême que l'Eucharistie. Il nous demande à son tour : « Les enfants sont-ils capables de savoir ce que c'est que de s'éprouver et de manger dignement le corps de Jésus-Christ? Savent-ils seulement bien ce que c'est que de célébrer la mémoire de la mort de Jésus-Christ et d'en embrasser le mérite par une vive foi? » On lui demandera de même si les enfants savent bien ce que c'est que d'être ensevelis avec Jésus-Christ, et lavés de son sang dans le baptême; et il ne peut trouver aucune raison dans l'Ecriture pour les rendre capables du baptême, qu'en même temps elle ne les rende capables de l'Eucharistie, ce que néanmoins ces Messieurs rejettent.

Combien est saine en ce point et combien solide la doctrine de l'Eglise catholique, on le peut voir dans le

 

1 Traité de la Commun., II part., n. 6 et 10. — 2 La Roq., II part., chap. VI, p. 300; chap. III, p. 203.— 3 Anonyme, I part., chap. dern., p. 115.

 

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Traité de la Communion (1). Je ne crois pas être obligé d'entrer plus avant dans une matière qui n'est pas de mon sujet ; et il me suffit d'avoir démontré à nos adversaires par des exemples convaincants (2) que le principe dont ils se servent est défectueux.

 

CHAPITRE VI.
La communion de ceux qui ne peuvent pas boire du vin : M. Jurieu abandonné, quoiqu'il soit le seul qui raisonne bien selon les principes communs des protestants. L'hydromel et ce qu'on mange au lieu de pain dans quelques pays, peuvent selon les protestants servir pour l'Eucharistie.

 

Je suis fâché pour nos réformés qu'il faille encore leur opposer leurs synodes, et ce fameux article de leur Discipline, où ils permettent la communion avec le pain seul à ceux qui ne peuvent pas boire de vin. La bonne foi devrait déjà leur avoir fait avouer qu'ils n'ont rien ici de supportable à répondre. C'était d'abord une excuse assez vraisemblable de dire que la nécessité n'a pas de loi, et qu'on ne pouvait obliger un homme à faire ce que la nature lui a rendu impossible. Mais après qu'on leur a fait remarquer que s'il était impossible à cet homme de boire du vin, il n'était pas impossible de ne lui donner en aucune sorte le sacrement de la Cène, ils n'ont plus eu à répondre qu'absurdités sur absurdités jusqu'à ce qu'enfin M. Jurieu est venu à cet excès inouï, de dire que ce qu'un homme reçoit en ce cas « n'est pas le sacrement de Jésus-Christ, parce que ce sacrement est composé de deux parties et qu'il n'en reçoit qu'une (3). »

M. Jurieu a bien raisonné selon les principes de sa religion; et s'il lui est arrivé de tomber dans une plus visible absurdité, c'est la destinée commune de ceux qui raisonnent sur un faux principe. Plus ils poussent loin leur principe et plus ils en tirent des conséquences légitimes , plus ils s'engagent dans l'absurdité, plus ils la rendent visible. M. Jurieu a supposé avec tous ceux de sa religion, que Jésus-Christ avait établi

 

1 Traité de la Commun., I part., n. 3. — 2 Traité de la Commun., II part., n. 10.— 3 Préserv., art. 13, p. 262 et suiv.; voy. Traité de la Commun., II part., n. 3.

 

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l'essence de l'Eucharistie sous les deux espèces également nécessaires : il a joint à ce principe une autre maxime , que dans les choses d'institution, comme sont les sacrements, tout est dans la volonté de l'instituteur; d'où il a très-bien conclu que ce qui n'est pas en tout point conforme à sa volonté n'est pas en effet son sacrement, et qu'ainsi quiconque reçoit la seule espèce du pain; sans recevoir l'autre, ne reçoit pas le sacrement de Jésus-Christ; ou, comme il dit dans un autre lieu, « ne prend pas un vrai sacrement; il prend seulement la chose signifiée par le sacrement (1). »

M. de la Roque nous veut faire accroire que, lorsque M. Jurieu dit que cet homme ne reçoit pas le sacrement, il veut dire qu'il ne le reçoit pas dans son intégrité, puisqu'il n'en reçoit qu'une partie (2). Mais cette charitable interprétation lui ôte la louange qu'il a méritée, d'avoir raisonné plus conséquemment que tous les autres ministres sur le principe commun. Ce principe commun est que, par l'institution de Jésus-Christ, les deux espèces unies constituent l'essence du sacrement. Il s'ensuit donc que celui qui n'en reçoit qu'une, en quelque manière que cela lui arrive, ne reçoit pas le vrai sacrement. C'est aussi ce qu'a conclu -M. Jurieu : « Cet homme, dit-il, ne prend pas selon nous le vrai sacrement; il prend seulement la chose signifiée par le sacrement, » comme on dirait d'un Juif ou d'un Gentil, qui ayant une foi vive dans le cœur avec le vœu du baptême, serait mort avant que de le recevoir, qu'il aurait la chose signifiée par ce sacrement, mais sans doute qu'il n'aurait pas le sacrement même.

C'est ainsi qu'a parlé M. Jurieu, et il résulte de ce discours que ce qu'on donne à l'homme dont il s'agit, dans l'assemblée de l'église, ce qu'il reçoit du ministre, ce qu'il prend avec révérence et actions de grâces n'étant pas le sacrement de Notre-Seigneur, n'est qu'une chose purement humaine et un simple morceau de pain : chose si visiblement absurde, que l'auteur delà seconde Réponse, après avoir fait semblant de vouloir excuser M. Jurieu, sentait bien qu'il a parlé trop clairement, l'abandonne tout à fait.

 

1 Examen. de l’Eucharistie, traité VI, § 7. 491. — 2 La Roq., II part., chap. I, p. 239, 240.

 

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« Peut-être, dit-il, que sa pensée est qu'ils ne reçoivent pas tout le sacrement, ce qui est très-vrai; mais qu'absolument parlant, ils ne reçoivent point du tout le sacrement, c'est un sentiment insoutenable et que je crois particulier à ce ministre, qui en affecte assez d'autres en matière de sacrements, comme celui de la nécessité du baptême des enfants, et que la régénération est un effet qu'il opère dans les baptisés ex opere operato, comme parle l'Eglise romaine ; car son sentiment va là entièrement (1). » Et il ajoute : « Les autres protestants n'ont pas besoin de se servir d'une réponse si nouvelle et si faible tout à la fois : nous permettons à M. Bossuet de la réfuter tant qu'il lui plaira. »

Mais loin de le réfuter, je soutiens que c'est le seul des ministres qui raisonne bien selon leurs principes communs; de sorte que ce n'est pas lui, mais les principes communs de la nouvelle Réforme qui demeurent réfutés par mon objection. Qu'ainsi ne soit, voyons ce que disent ceux qui prennent une autre route. L'auteur de la seconde Réponse, qui méprise tant M. Jurieu, commence par ce raisonnement : « Je réponds que l'intention de Jésus-Christ est en effet que les deux espèces soient reçues conjointement dans la communion ; mais j'ajoute au même instant que cette intention n'est que pour les rencontres où cela se pourra faire, et n'oblige absolument que ceux qui les peuvent recevoir toutes deux. » Cet homme dès le premier pas s'éloigne d'une distance infinie du point de la question. Il s'agit ici de savoir si dans un signe de pure institution, lorsque l'on n'est pas en état de satisfaire à tout ce que l'instituteur a voulu être de l'essence de l'institution, on peut le retrancher sans toucher au fond. Le bon sens dit d'abord que non, et c'est sur un fondement si inébranlable qu'a raisonnné M. Jurieu : il faut donc, ou renverser le principe qui met l'essence de l'institution dans les deux espèces, ou admettre la conséquence de ce ministre.

« Mais, dit-on, Dieu qui ordonne à tout le monde de lire et d'écouter sa parole; ne comprend pas dans cette loi les aveugles ni les sourds (2) : » j'en conviens. Donc on ne doit pas donner le vin à celui qui n'en peut boire : j'en conviens encore. Donc il lui

 

1 Anonyme, I part., chap. V, p. 62. — 2 Anonyme, II part., chap. I, p. 235.

 

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faut donner le pain, et sans la volonté de l'instituteur ce pain ne laissera pas d'être son vrai sacrement, il n'y a personne qui ne voie la nullité de la conséquence.

Mais, dira-t-on, nous devons entendre que la volonté de l'instituteur est qu'on fasse toujours ce qu'on pourra. Nous devons l'entendre, dites-vous. Quoi ! même sans qu'il l'ait dit, sans qu'on le trouve dans son Ecriture? Il faut donc croire qu'il nous a soumis à l'autorité de son Eglise, et que c'est d'elle qu'on doit apprendre le vrai sens de son Ecriture.

L'auteur de la seconde Réponse revient à la charge, et croit avoir tranché la difficulté, en disant, que quand ce que je dis serait véritable, a tout ce qui en arriverait, c'est que les réformés enseigneraient désormais à leurs peuples que ceux qui ne peuvent boire de vin, seraient absolument dispensés de communier (1). »

Mais les autres réformés ne l'avouent pas : mais ils persistent à soutenir l'article de leur Discipline : mais ils avouent tacitement, en la soutenant, qu'on ne peut se dispenser de reconnaître l'autorité de l'Eglise comme interprète de l'institution de Notre-Seigneur. Ils passent même bien plus avant que l'article de la Discipline. Dans la fameuse dispute de Grotius et de Rivet sur la réconciliation des églises, Grotius avait demandé sur l'article des deux espèces ce qu'il faudrait faire en Suède, en Norwége et ailleurs s'il n'y avait pas assez de vin, et dans les pays où le pain n'est pas en usage (2); son adversaire répond que la nécessité n'a pas de loi; « et lors, ajoute-t-il, qu'on n'a pas la matière des sacrements, il faut s'abstenir des sacrements et communier spirituellement. Vossius, très-bon auteur, Traité VII, dispute I, des sacrés Symboles de la Cène, enseigne que dans les pays où le pain t'ait de blé n'est pas en usage, il est permis de se servir de ce qui tient lieu de pain. Il dit la même chose à l'égard du vin, et il rapporte le sentiment de Philippe Mélanchthon dans le livre qu'il «composé de l'usage du Sacrement entier, où il croit que dans la Russie, où le vin manque, on peut se servir d'hydromel dans l’Eucharistie, et défend ce sentiment contre Bellarmin (3). »

 

1 Anonyme, p. 61. — 2 Grotius,  Via pac., de utrâq. specie ;  Animadv. in Riv. — 3 Riv., Exam. Animadv. Grot.

 

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Bèze soutient la même chose dans la Lettre à Tilius (1). Que d'auteurs protestants dans ce sentiment! Bèze, le grand disciple de Calvin, Vossius, Mélanchthon, Rivet, qui les cite avec éloge (2), quoiqu'après, appréhendant les conséquences, il ait semblé vouloir s'en dédire. Il persiste néanmoins à citer Vossius en particulier, comme un homme qui dans cette matière a prononcé des oracles. Après de telles libertés que se donnent les protestants, ue devraient-ils pas rougir de nous faire tant de chicanes?

Il nous reste à considérer les traditions de l'Ancien et du Nouveau Testament, que j'ai rapportées pour montrer qu'en beaucoup de points les lois divines n'ont pu être ni pratiquées, ni même souvent entendues sans avoir recours à la tradition et à l'autorité de l'Eglise.

Pour commencer par l'Ancien Testament, M. de la Roque nous donne cette règle : « Que dans les choses réglées par la loi même on n'a jamais imploré le secours de la Synagogue, qui n'avait garde d'y toucher, ou si elle l'a quelquefois fait, elle en a été reprise, comme quand Jésus-Christ reprocha aux scribes et aux pharisiens qu'ils avaient annulé le commandement de Dieu par leur tradition, parce qu'ils avaient corrompu le sens du premier commandement de la seconde table, sous prétexte de l'expliquer (3). »

C'est une erreur ou un artifice ordinaire des ministres, sous prétexte que le Fils de Dieu a condamné de mauvaises et de fausses traditions, qui, comme dit M. de la Roque, corrompaient le sens de la loi, de rejeter aussi celles qui nous apprennent à en prendre l'esprit, encore qu'en apparence elles soient contraires à la lettre. Il y avait des traditions introduites par abus, et qui aussi n'avaient pas passé en dogmes certains de la Synagogue. Il est vrai que le Fils de Dieu les a rejetées ; mais il y en avait aussi qui étaient constamment reçues : et après les exemples que j'ai produits, il faudrait demeurer d'accord de bonne foi que ce dernier genre de traditions, loin d'avoir été réprouvé par Notre-Seigneur, est absolument nécessaire pour bien pratiquer les commandements

 

1 Bez., Epist. ad Thom. Til. — 2 Exam. animadv. —  3 La Roque,  II part., chap. II, p. 254.

 

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divins. J'ai commencé par la loi du sabbat (1) ; et j'ai fait voir qu'une des choses les plus défendues était d'entreprendre et de continuer un voyage, jusque-là qu'on se croyait obligé d'arrêter la marche d'une armée pour observer ce sacré repos. M. de la Roque répond très-bien à ce qui n'est point en question (2). Car qui ne voit aussi bien que lui que cette marche fut arrêtée pour donner aux Juifs le moyen de satisfaire à la loi? Je me sers aussi de cet exemple pour prouver la défense de voyager. Mais quant à la tradition, qui permettait durant le sabbat de faire voyage jusqu'à une certaine distance , quoiqu'elle soit claire par les apôtres, M. de la Roque n'en dit pas un seul mot, non plus que de la conséquence que j'en ai tirée, « que cette tradition était établie dès le temps de Notre-Seigneur, sans que lui ni ses apôtres, qui en avaient fait mention, l'aient reprise (3). »

Ce que répond ce ministre sur la plupart des difficultés qui regardent le sabbat ou les autres observances de la loi, que c'était des cas extraordinaires où la nécessité excusait (4), pourrait avoir quelque apparence, si l'on ne savait que c'était pour déterminer ce qu'il fallait appeler nécessité qu'on avait besoin de la tradition et de L'interprétation de la Synagogue. La loi était si sévère pour L'observance du sabbat, qu'elle allait jusqu'à défendre d'allumer son l'eu et de préparer sa nourriture (5). Dans une si grande rigueur, qui avait dit aux Israélites que délier un animal pour le mener boire, ou le retirer d'un fossé, étaient des choses qu'on devait tenir pour nécessaires? Ces favorables interprétations, contraires en apparence à la défense générale de la loi, ne pouvaient assurer les consciences, si l'on n'eut reçu par tradition qu'il fallait s'en reposer sur la Synagogue ; et Jésus-Christ loin de reprendre cette tradition, l'a autorisée (6).

M. de la Roque ne passe pas moins légèrement sur les autres traditions que j'ai remarquées, et particulièrement sur celle qui ordonnait cette sévère loi du talion, où l'on devait exiger œil pour œil, dent pour dent, main pour main, brisure pour brisure,

 

1 Traité de la Commun., II part., n. 5. — 2 La Roq., p. 246. — 3 Traité de la Commun., n. 5.—  4 La Roq., p. 251. — 5 Exod., XVI, 23 ; XXXV, 3. — 6 Luc., XIII, 15 ; XIV, 5.

 

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plaie pour plaie (1). «Pour la loi du talion, répond ce ministre, chacun sait que ce n'était pas une matière de religion. Elle était du corps des lois politiques, dont la connaissance appartenait aux magistrats civils. Ainsi elle ne doit pas être considérée dans le sujet que nous examinons (2). » Dans ces manières adroites d'éluder des difficultés où l'on ne voit point de réplique, on montre avec beaucoup de souplesse fort peu de sincérité. N'est-il pas vrai que la loi du talion est expressément couchée dans la loi de Moïse, et qu'elle a été dictée par le Saint-Esprit comme les autres? Que si c'est une loi divine, comment un théologien a-t-il pu dire qu'elle n'appartenait point à la religion? C'est, dit-il, qu'elle appartenait à la police, et qu'elle était de la connaissance du magistrat. Qui en doute? mais puisque Dieu avait bien voulu régler la police du peuple, et prescrire aux magistrats ce qu'ils devaient faire, en quelle sûreté de conscience aurait-on pu adoucir parmi les Juifs une loi si dure, s'il n'y eût eu parmi eux une autorité égale à celle de la loi, qui était celle de la tradition? Voilà donc dans l'Ecriture une loi divine, où les termes de la loi, quoiqu'en apparence très-clairs, ne peuvent être entendus sans le secours de la tradition; et voilà en même temps une ordonnance laissée par tradition au peuple hébreu, de reconnaître l'autorité de la Synagogue dans les adoucissements qu'elle croirait nécessaires, encore qu'à ne regarder que la rigueur de la lettre, ils fussent contraires aux termes de la loi, comme on le voit dans la manière que j'ai rapportée d'exécuter la loi du talion (3).

Il faut dire la même chose pour les mariages. La loi ne défendait de les contracter qu'avec sept nations, et avec les Moabites et les Ammonites, qui aussi étaient exclus pour jamais de la société du peuple de Dieu (4). Mais encore que les Egyptiens ne fussent pas compris dans cette loi, et qu'au contraire le mariage de Salomon avec la fille de Pharaon soit approuvé, les mariages semblables furent rompus par Esdras (5), et au contraire celui de Booz avec Ruth Moabite fut loué (6). C'en est assez pour juger que dans tous

 

1 Traité de la Commun., n. 5. — 2 La Roq., p. 172. — 3 Traité de la Commun., n. 5. — 4 Deuter., VII, 1-3; XXIII, 3, 6. — 5 I Esdr., IX, 1; X, 19.— 6 Ruth., IV, 11.

 

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les temps de la Synagogue, on y a reconnu une autorité pour interpréter la loi et l'adoucir ou l'étendre selon les cas. De dire avec M. de la Roque (1) qu'Esdras et Néhémias étaient des hommes extraordinaires, et leur attribuer en conséquence le pouvoir de faire de nouvelles lois, c'est discourir sans fondement ; l'Ecriture ne les représente que comme des hommes qui agissaient avec le pouvoir perpétuellement attaché à la Synagogue. On n'avance pas davantage, en disant avec ce ministre qu'il leur était permis de tirer des conséquences. Car c'est amuser le monde que de faire ainsi des réponses vagues, au lieu d'expliquer nettement de qui ces deux grands hommes avaient reçu le pouvoir d'ajouter les Egyptiens aux autres peuples, et de rompre des mariages faits selon les termes de la loi et les exemples précédents. Mais c'est que les ministres détournent les yeux des endroits qui leur font voir trop clairement l'autorité de l'Eglise et de la tradition nécessaire interprète de la loi.

L'autre ministre répond encore d'une manière plus vague. Il ne dit pas seulement un mot sur les exemples constants de la tradition que je viens de faire voir parmi les Juifs. En récompense il s'étend beaucoup sur les exemples des traditions chrétiennes (2). Le changement du sabbat au dimanche est la première que j'ai remarquée. Cet auteur répond premièrement que nous observons le sabbat autant que les Juifs; que les Juifs ne savent non plus que nous si le samedi est précisément le jour qui répond au septième jour, où Dieu s'était reposé, et conclut que « c'est une erreur de s'imaginer que le sabbat n'est pas gardé dans l'Eglise chrétienne, comme c'en est une de croire que le jour de la résurrection de Notre-Seigneur l'a emporté par-dessus (3).» Quel malheur d'avoir de l'esprit, et de n'en avoir que pour se confondre soi-même et se fortifier dans ses préventions ! Pour ne pas voir une tradition constante de l'Eglise chrétienne, cet auteur tâche d'obscurcir la suite du septième jour, qui représentait celui où Dieu s'était reposé : mais quel embarras trouve-t-il ici ? Dieu était l’auteur du Décalogue, qui avait expressément marqué ce jour, et l'observance des Juifs était approuvée. Depuis ce temps, de

 

1 La Roq., p. 249. — 2 Anon., I part., chap. VI, p. 83.— 3 Ibid., p. 83-85.

 

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septième jour en septième jour, on en avait confirmé la tradition autorisée par tous les prophètes ; et Jésus-Christ, accusé souvent d'avoir violé le sabbat, loin de nier que ce fût le jour établi de Dieu, le confirme par toutes ses réponses. Cependant c'est ce jour précis dont les apôtres ont changé l'observance et l'ont transférée au dimanche, en mémoire de Jésus-Christ ressuscité ce jour-là, sans néanmoins l'avoir écrit ni dans l'Evangile ni dans leurs Epîtres.

Cet auteur nous objecte ensuite ces passages de saint Paul : « Que nul ne nous condamne sur le sujet des fêtes, des nouvelles lunes, des sabbats (1); » et encore : «L'un estime un jour plus que l'autre, et l'autre les estime tous également : que chacun fasse selon sa conscience (2) ; » d'où notre auteur conclut « que tous les jours des chrétiens doivent être des sabbats au Seigneur (3). » Cet homme passe tout d'un coup d'une extrémité à l'autre. Tout à l'heure il nous disait, que les chrétiens « observent véritablement le jour du sabbat, quant au jour, quoique non pas de la manière sévère avec laquelle le Juif se croit obligé de l'observer : » il nous disait que nous observons à la lettre le Décalogue, « puisqu'après avoir travaillé six jours, nous nous reposons le septième. C'est, dit-il, ce que fait aujourd'hui et ce qu'a toujours fait l'Eglise chrétienne;» et maintenant il veut que tous les jours soient égaux, et que nous ne fêtions pas plus l'un que l'autre. Quoi donc! non-seulement tous les dimanches, mais le jour de la naissance de Notre-Seigneur, le jour de sa passion, le jour de Pâques qu'il a illustré par sa résurrection glorieuse, le jour de son ascension, le jour de la Pentecôte où l'Eglise a été fondée, ne seront rien aux chrétiens! Quelle fureur de rapporter à ces saints jours ce que l'Apôtre a dit des observances des Juifs et de leurs superstitions? C'est être puritain trop outré que de pousser les conséquences jusqu'à cet excès, et de rejeter des jours respectés de tout ce qu'il y a jamais eu de chrétiens.

Loin de suivre ces sentiments outrés, notre auteur semble vouloir avec le dimanche nous faire encore observer le sabbat. Il me fait dire à moi-même que « l'observation du sabbat est une chose

 

1 Coloss., II, 16. — 2 Rom., XIV, 5. — 3 Anon., p. 83.

 

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qui a passé pour constante dans l'Eglise (1), » ce que je n'ai jamais dit. Il ajoute que « le docte Grotius l'a prouvé invinciblement dans ses remarques sur le Décalogue; » et ensuite sur le fondement que j'ai posé, que pour bien entendre la loi il faut toujours voir comment on l'a entendue et pratiquée, il conclut « que pour bien entendre la loi du sabbat, il faut voir ce que l'Eglise a entendu et pratiqué: et, poursuit-il, comme il paraît incontestable qu'avant qu'il y eût aucun changement introduit, elle a gardé religieusement ce jour pendant plusieurs siècles, nous sommes par conséquent obligés à le garder aussi. » Je ne nie pas que quelques églises n'aient observé le samedi comme le dimanche; mais d'autres églises ne l'observaient pas; et comme elles demeuraient les unes et les autres dans leur liberté; il paraît qu'il y avait une tradition dans l'Eglise, que depuis la publication de l'Evangile on n'était plus obligé à garder le jour où Dieu avait établi la mémoire de la création de l'univers, ni le précepte du Décalogue où l'observance en était commandée, encore que ni Jésus-Christ ni ses apôtres n'eussent écrit nulle part cette dispense.

Pourquoi cet auteur nous défendra-t-il de tirer de là une conséquence pour le sujet dont nous parlons ? Le Sabbat n'était-il pas une observance d'institution divine, en mémoire de la création, comme l'Eucharistie en est une en mémoire de la passion de Notre-Seigneur? Pourquoi donc la tradition et l'autorité de l'Eglise sera-t-elle l'interprète nécessaire d'une de ces institutions plutôt que de l'autre ? Et qui ne voit au contraire, dans le point dont il s'agit, une parfaite ressemblance entre l'une et l'autre?

Voilà tout ce qu'a pu dire en huit ou dix pages l'auteur de la seconde Réponse. A la vérité M. de la Roque en dit moins; mais aussi il ne répond rien du tout à la difficulté, et passe selon sa coutume adroitement à côté (3). Tout ce qu'il dit aboutit à ces deux points : le premier, que l'observance des jours, des temps, des années, des nouvelles lunes et même des sabbats, est abolie selon la doctrine de saint Paul. Mais ces passages de saint Paul regardent ou en général les observances superstitieuses des jours, ou en particulier les sabbats, c'est-à-dire selon l'usage de l'Ecriture,

 

1 Anonyme, etc., p. 95. — 2 La Roq., II part., chap. III, p. 258.

 

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les fêtes que Moïse avait établies, comme il paraît par le dénombrement qu'en fait- saint Paul, et non pas ce qui venait de plus haut, ce qui était institué en mémoire de la création, ce qui pour cette raison avait été mis expressément dans le Décalogue. C'est pourquoi plusieurs églises, que les apôtres avaient fondées, persistèrent dans l'observance du sabbat, et y joignirent celle du dimanche. Le second point qu'avance M. de la Roque, c'est que le sabbat étant aboli, les apôtres n'ont pu choisir un jour plus propre au repos des chrétiens que le premier de la semaine, où Jésus-Christ était ressuscité, qui aussi était pour eux un jour d'assemblée, comme nous le voyons dans l'Ecriture (1). Je confesse qu'il paraît assez dans le Nouveau Testament que le premier jour de la semaine, qu'on appelait le Dimanche (2), était un jour d'assemblée pour les chrétiens, et c'est tout ce qui résulte des passages qu'on produit ; mais que ces assemblées emportent une exemption du repos du samedi, ou la translation du repos au jour du Dimanche, c'est ce qui ne paraît en aucun endroit ; de sorte que les deux choses que j'ai avancées dans le Traité de la Communion (3) demeurent inébranlables : l'une, que l'on ne produit aucun passage du Nouveau Testament « qui parle le moins du monde du repos attaché au dimanche; » l'autre, qu'en tout cas « l'addition d'un nouveau jour ne suffisait pas pour ôter la célébrité de l'Ancien, ni pour faire changer avec la tradition du genre humain, la mémoire de la création et un précepte du Décalogue. »

Pour ce qui regarde la défense de manger du sang et la chair des animaux suffoqués, portée par tout le concile des apôtres (4). M. de la Roque tranche hardiment qu'elle n'était que pour un temps (5). Mais, pour ne rien dissimuler, il devrait avoir avoué qu'il n'y a rien dans le décret apostolique qui nous marque que cette défense devait finir, puisqu'au contraire elle est jointe avec la défense de la fornication et avec celle de manger ce qu'on avait immolé aux idoles, qui sont choses perpétuelles. Quand il dit que les apôtres ont fait cette défense « pour condescendre envers les Juifs infirmes, » il semble qu'il ne pense pas à la longue suite de

 

1 Act., XX, 7 ; I Cor., XVI, 2. — 2 Apoc., I, 10. — 3 Traité de la Commun., n. 6. — 4 Act., XV, 29. — 5 La Roq., p. 258.

 

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siècles où elle a été observée dans les églises chrétiennes. Il ne fallait pas non plus rapporter, parmi les observances légales, une observance qui avait précédé la loi, et qui avait été donnée à tout le genre humain en la personne de Noé et de tous ses enfants. Ce ministre objecte beaucoup de passages où l'Ecriture nous permet en général toute sorte de viandes, et ne rougit pas de rapporter à propos de cette défense apostolique ce que saint Paul a prédit à propos des faux docteurs, « qui commanderaient de s'abstenir des viandes que Dieu a créées pour les fidèles (1). » Peut-on avoir seulement pensé que ces paroles regardent ceux qui du temps de saint Paul et tant de siècles après, ont religieusement observé cette défense des apôtres? Que sert au reste de nous produire ce qui est dit en général des viandes permises, puisqu'on sait que les choses générales ne dérogent pas aux particulières, et que ce sont plutôt les particulières qui exceptent des générales. Si donc nous demeurons libres à l'égard de ce précepte apostolique, rien ne nous peut assurer que l'autorité de l'Eglise ; elle seule par l'esprit dont elle est pleine, nous apprend à discerner dans les préceptes ce qui appartient au fond et ce qui appartient aux circonstances indifférentes, ce qui est perpétuel ou ce qui doit avoir un certain terme. Toute autre chose qu'on peut dire sur les exemples des traditions que nous avons rapportés, n'est, comme on a vu, qu'un raisonnement humain. Voilà ce que suivent ceux qui ne cessent de nous objecter des traditions humaines. Ils comprennent sous un nom si odieux tant de véritables et de solides traditions, qu'ils ne peuvent s'empêcher eux-mêmes de reconnaître ; et pour comble d'aveuglement, ils aiment mieux les fonder sur des raisonnements humains visiblement faibles, que sur l'autorité de l'Eglise que Jésus-Christ nous commande d'écouter.

 

1 I Timoth., IV, 3.

 

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CHAPITRE VII.
De la prière pour les morts. Tradition rapportée dans le Traité de la Communion.

 

Avant que de sortir de cette matière, il faut dire encore un mot de la prière pour les morts, coutume que j'avais marquée comme une tradition commune aux chrétiens et aux Juifs. Sur cela M. de la Roque décide de son autorité, que cette tradition a a été inconnue aux Juifs, jusqu'au temps de leur docteur Akiba, qui vivait sous l'empereur Adrien (1) ; » et de la même autorité, ou plutôt sur la foi de M. Blondel, il décide que a les chrétiens avaient emprunté cela, non des Juifs, mais des Livres sibyllins, forgés par un imposteur sous le règne de l'empereur Antonin le Pieux, » c'est-à-dire au second siècle de l'Eglise et sous les disciples des apôtres. Etrange effet de la prévention ! Il ne paraît rien du tout dans les discours d'Akiba, qui marque que la prière pour les morts fût une chose nouvelle : elle se trouve dans toutes les synagogues des Juifs et dans leurs Rituels les plus authentiques, sans qu'aucun d'eux ait jamais songé qu'elle ait été commencée par Akiba. Elle est si peu commencée par Akiba sous l'empire d'Adrien, qu'on la trouve devant l'Evangile dans le second livre des Macchabées. Et il ne sert de rien de dire que ce livre n'est pas canonique ; car il suffit qu'il soit non-seulement plus ancien qu'Akiba, mais encore que l'Evangile. Il ne sert de rien non plus de répliquer que l'action de Judas le Macchabée était manifestement irrégulière, puisque les morts pour lesquels il fit offrir des sacrifices étaient des gens morts dans le crime, à qui on avait trouvé des viandes immolées aux idoles, et que Dieu avait punis pour cela. Car Judas Macchabée ne savait pas s'ils n'avaient pas péché par ignorance, croyant la chose permise dans l'extrême nécessité des vivres où ils étaient, et en tout cas il ignorait s'ils ne s'étaient pas repentis de ce péché. Ce grand homme savait que tous ceux que Dieu fait servir d'exemples aux autres, ne sont pas pour cela toujours damnés sans miséricorde. Ainsi il avait

 

I La Roq., II part., chap. I, p. 252, 253.

 

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raison d'avoir recours aux sacrifices; et son action, où personne ne remarque rien d'extraordinaire, non plus que dans la louange que lui donne l'auteur de ce livre, fait voir qu'il était dès lors établi parmi les Juifs qu'il restait une expiation et des sacrifices pour les morts. Cependant on s'obstine à croire que les Juifs ont pris cette coutume d'Akiba, et les chrétiens de la prétendue Sibylle.

Mais encore ce M. Blondel, qui après dix-sept cents ans vient nous découvrir dans l'écrit d'un imposteur l'origine d'une coutume aussi ancienne que l'Eglise, après l'avoir trouvée dans tous les Pères à commencer depuis Tertullien auteur d'une si vénérable antiquité, dans toutes les églises chrétiennes, dans toutes les liturgies, je dis même dans les plus anciennes, a-t-il trouvé un seul auteur chrétien qui ait marqué cette coutume comme nouvelle ? Il n'en nomme aucun ; et au contraire il est constant que Tertullien l'a rapportée, comme on rapporte dans l'occasion des choses déjà établies, et la met parmi les traditions qui nous viennent des apôtres. Ni lui ni aucun auteur chrétien ne s'est jamais avisé de citer l'écrit Sibyllin, pour établir la prière pour les morts. Tous au contraire ont cité pour l'établir, ou le livre des Macchabées, ou la tradition apostolique, ou la coutume universelle de l'Eglise Chrétienne, ou des passages de l'Evangile soutenus par la tradition de tous les siècles. Il n'y a pas un homme de bon sens qui ne dise sur ce fondement incontestable, qu'il est mille fois plus vraisemblable , pour ne rien dire de plus, que la prétendue Sibylle ait pris ce qu'elle aura pu dire sur cette matière de l'opinion commune de son temps, que de dire que sa pensée particulière soit passée en un instant dans toutes les églises, dans toutes les liturgies et dans tous les écrits des Pères, sans que personne se soit aperçu d'un changement si considérable ; et que la chose ait été poussée si avant, que dès le milieu du quatrième siècle, Aërius, qui le premier des chrétiens osa nier les prières et les sacrifices pour les morts, fut mis pour cette raison parmi les hérésiarques. O Dieu! des chrétiens peuvent-ils croire que l'imposture ait prévalu jusqu'à prendre dans l'Eglise chrétienne si vite et si tôt l'autorité de la foi ? Tout cela ne touche pas nos obstinés , et à

 

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quelque prix que ce soit, il faut que la doctrine de toutes les églises chrétiennes soit venue de la fausse Sibylle.

Mais pourquoi non, enfin, du livre des Macchabées ? Est-ce peut-être que la prière pour les morts n'y est pas assez marquée dans ces paroles : « Judas le Macchabée envoya de quoi offrir à Jérusalem des sacrifices pour les péchés de ceux qui étaient morts (1) ; » et dans cette réflexion de l'auteur : « C'est donc une sainte et salutaire pensée de prier pour les morts, afin qu'ils soient délivrés de leurs péchés ? » Peut-être que la prétendue Sibylle a parlé plus clairement de la prière pour les morts? Mais elle n'en dit pas un seul mot, on en convient. On prétend seulement qu'elle dit des choses qui mènent là. Mais le livre des Macchabées, qui n'y mène pas seulement par des conséquences, qui l'expose aussi clairement que les auteurs les plus clairs, pourquoi n'aura-t-il rien fait dans l'esprit des chrétiens et des Juifs ? Est-ce qu'il n'était pas connu? Mais il est constant qu'il était entre les mains d'eux tous ; et en particulier que les auteurs chrétiens, grecs et latins, l'ont cité avec vénération pour ne rien dire de plus, dès l'origine du christianisme; et que dès le quatrième siècle, l'Eglise d'Occident l'a mis parmi les livres canoniques. Pourquoi donc se tant tourmenter à chercher dans les obscurités de la Sibylle ce qu'on trouve si clairement dans un écrit aussi ancien et aussi connu que le livre des Macchabées ? Il est bien aisé de l'entendre ; c'est qu'encore que nos réformés ne veuillent pas recevoir ce livre, ils ne peuvent lui ravir son antiquité ni sa dignité toute entière : c'est qu'en trouvant la prière pour les morts devant et après l'Evangile dès le commencement de l'Eglise, s'ils lui donnaient dans tous les temps la même origine, la suite en serait trop belle : on aurait peine à comprendre qu'une prière qui paraît un peu devant l'Evangile et incontinent après , se fût éclipsée dans le milieu : on serait forcé de croire qu'elle serait du temps même de Jésus-Christ et des apôtres, qui en ont si peu rompu le cours qu'on la voit aussitôt après dans toutes les églises chrétiennes : on ne pourrait s'empêcher de reconnaître dans cette source l'origine d'une façon de parler commune parmi les Juifs, et autorisée

 

1 II Mach., XII, 43, 46.

 

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par Jésus-Christ même, qu'il y a des péchés qui ne se remettent ni en ce siècle ni en l'autre (1) ; car on verrait clairement dans le livre des Macchabées, la rémission des péchés demandée par des sacrifices en faveur des morts et pour le siècle futur, et la façon de parler dont s'est servi Jésus-Christ confirmerait trop cette doctrine et aurait avec elle un trop visible rapport : un lieu obscur de saint Paul, où il parle d'une coutume de se baptiser pour les morts (2) ( car c'est ainsi qu'il faut traduire selon la force de l'original), trouverait dans cette coutume un dénouement trop manifeste : ce baptême, c'est-à-dire non pas le baptême chrétien, mais les purifications et les pénitences pratiquées par les Juifs pour les morts, auraient une liaison trop manifeste avec la croyance de la prière dont nous parlons : en un mot, cette croyance serait trop suivie, et paraîtrait trop clairement devant l'Evangile, sous l'Evangile et après l'Evangile. Il faut évoquer la Sibylle pour rompre cette belle chaîne : il ne faut pas qu'on ait dit en vain que l'Eglise romaine avait tort, et il vaut mieux, pour soutenir le titre de réformés, donner le tort à tous les chrétiens et à tous les Juifs, sans respecter Judas le Macchabée, ni son historien , dont le livre a mérité d'être lu publiquement dans l'Eglise dès lis premiers siècles.

Reprenons en peu de paroles ce que nous venons d'établir; et quelque ennui qu'on ressente à répéter des choses claires, portons-en la peine pour l'amour de ceux dont le salut nous est cher. J'ai fait voir à nos réformés qu'ils n'ont point de règle. Celle qu'ils semblent s'être proposée, de faire dans les sacrements ce que Jésus-Christ a fait et institué, s'est trouvée visiblement fausse, non-seulement dans le baptême, mais encore de leur aveu dans beaucoup de circonstances très-importantes de la Cène. Nous avons vu clairement qu'en rejetant la tradition ou la doctrine non écrite, il ne leur reste aucune règle pour distinguer dans les sacrements, et en général dans les observations de l'Ancien et du Nouveau Testament, ce qui est essentiel et perpétuel d'avec ce qui ne l'est pas. Ceux qui soigneux de leur salut et diligents dans la recherche de la vérité, voudront relire les endroits que j'ai

 

1 Matth., XII, 31, 32. — 2 I Cor., XV, 29.

 

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défendus du Traité de la Communion (1). y trouveront maintenant la démonstration des trois principes que j'ai établis, et principalement de celui-ci, qui est le plus essentiel, « que pour connaître ce qui appartient ou n'appartient pas à la substance des sacrements, il faut consulter la pratique, la tradition et le sentiment de l'Eglise (2). »

 

1 Traité de la Communion, II part., n. 4-6, 10. — 2 Voyez n. 4 et suiv.

 

 

 

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