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REMARQUES HISTORIQUES.

 

Nous parlerons dans ce volume des six premiers ouvrages dont on vient de voir les titres, renvoyant au volume suivant ce que nous avons à dire sur les écrits relatifs à la réunion des protestants.

 

I.

 

Un seigneur anglais, protestant revenu à la croyance de ses pères, avait souvent à combattra les préjugés de son éducation religieuse ; le souvenir des objections soulevées par les ministres contre la messe continuaient, comme des nuages malfaisants, d'offusquer les clartés

 

 

II

 

sa foi; il pria Bossuet de l'aider, par les lumières de la vraie doctrine, à dissiper dans son esprit les ténèbres du protestantisme. Bossuet écrivit un ouvrage particulier, pour amener le calme et la paix dans son âme.

L'habile controversiste distingue avant tout deux actions principales dans la messe : l'oblation et la réception. Dans l'oblation qui comprend la consécration, l'Eglise offre le pain et le vin , elle offre le corps et le sang de Notre-Seigneur, enfin elle s'offre elle-même; dans la réception, le fidèle reçoit la victime cachée sous les espèces eucharistiques, l'Agneau céleste qui porte les péchés du monde. Cette distinction nous fera mieux comprendre, et les objections des ministres réformés, et les solutions du théologien catholique. Ces difficultés et ces réponses, les voici dans un court aperçu.

Qu'il soit d'origine latine ou hébraïque, le mot messe ne saurait exprimer dignement la rénovation du sacrifice de la croix, l'immolation d'un Dieu fait homme. — Le mot messe dérive du latin : on a dit missa, congé, renvoi, comme on dit remissa pour remissio, oblata pour oblatio, ascensa pour ascensio, peut-être sécréta pour secretio, séparation. Dans l'ancienne Eglise, on renvoyait à l'oblation les catéchumènes, les pénitents, les énergumènes ou possédés, et a la fin de l'action sainte tous les fidèles par une proclamation solennelle, dont on voit un reste dans cette parole : Ite missa est ; le peuple, vivement frappé par le double renvoi des indignes et des assistants, donna au saint sacrifice le nom de messe.

Dans les prières de la messe, le prêtre offre le pain et le vin, non pas Jésus-Christ : donc Jésus-Christ n'est pas sur l'autel. — Le prêtre n'offre pas le pain et le vin pour rester ce qu'ils sont en eux-mêmes, des aliments terrestres ; il offre le pain et le vin pour devenir une céleste nourriture, priant Dieu « d'en faire le corps et le sang de son Fils bien aimé. »

Si le prêtre offrait le corps et le sang de Jésus-Christ, pourquoi prierait-il Dieu « de se faire présenter l'offrande eucharistique par la main de son saint ange sur l'autel céleste? » La médiation d'une créature pourrait-elle rendre plus agréable au Père éternel l'oblation de son Fils unique? — Il ne suffit pas d'offrir et de recevoir des choses saintes, il faut que ceux qui les reçoivent et les offrent soient saints ; d'où cette célèbre proclamation avant la réception des mystères : « Les choses saintes sont pour les saints. » L'Eglise réclame le ministère des anges, parce qu'ils présentent nos prières à Dieu sur l'autel qui est Jésus-Christ, comme on le voit manifestement dans l'Apocalypse (1).

 

1 Apoc., VIII, 3 et seq.

 

III

 

On offre aux Saints les dons eucharistiques : est-ce donc qu'on offrirait Jésus-Christ à ses serviteurs, le Créateur à la créature, Dieu à l'homme? — Certes on n'offre pas Jésus-Christ en holocauste aux Saints; mais on l'offre a leur honneur, pour célébrer leur mémoire et remercier Dieu de la gloire qu'il leur a donnée. « Nous vous immolons, Seigneur, dit l'Eglise, ces hosties pour honorer le sang répandu de vos saints martyrs, et en célébrant les merveilles de votre puissance par laquelle ils ont remporté une si grande victoire. Quoi de plus convenable que d'honorer, dans le saint sacrifice, les vertus qui en sont l'effet et le fruit?

On bénit après la consécration les dons eucharistiques par des signes de croix : bénirait-on Jésus-Christ, qui est la source de toute bénédiction? — Oui : nous bénissons Dieu même, c'est-à-dire nous célébrons ses louanges; nous bénissons les dons consacrés, c'est-à-dire nous prions le Père céleste « de nous remplir en Jésus-Christ de toute grâce et bénédiction spirituelle. »

On ne trouve point l'adoration de l'hostie dans les anciennes liturgies. — Assertion contraire à la vérité : l'Eglise grecque et l'Eglise latine ont adoré dans tous les temps les signes consacrés.

Voilà comment Bossuet résout les objections que les protestants tirent des prières de la messe. En même temps que la théologie la plus sûre et la science la plus profonde dictent ses raisonnements, la foi vive et la tendre piété animent toutes ses paroles. Le prêtre et le fidèle trouvent, dans son ouvrage, une source d'instruction solide et de religieuse dévotion.

L'Explication de la messe parut en 1689, chez Marbre-Cramoisy, imprimeur du roi, dans un petit volume in-12. Elle fut publiée pour la seconde fois deux ans plus tard, en 1691, chez le même éditeur et dans le même format. La première édition avait pour titre : Explication de quelques difficultés sur les prières de la messe, à un nouveau catholique ; la seconde porte seulement à son frontispice : Explication des prières de la messe. Tous les éditeurs ont adopté le premier titre : nous l'avons gardé, pour ne pas amener de confusion dans les idées du lecteur. En outre la seconde édition renferme, dans le corps de l'ouvrage, deux corrections dont l'une est importante : nous les signalons à la page 42.

 

II.

 

« La paix de Riswick et la déclaration du roi du 5 décembre 1698 qui ordonne l'exécution de la révocation de l'édit de Nantes et pourvait à l'instruction des nouveaux catholiques, ayant donné lieu à plusieurs prélats de publier des Instructions pastorales pour exciter les réunis à leurs devoirs, M. de Meaux eu fit une sur l'Eglise, matière qu'il

 

IV

 

a toujours jugée des plus nécessaires et des plus propres aux nouveaux convertis (1). »

L'écrit de Bossuet repose fondamentalement sur ces paroles de Jésus-Christ : « Toute puissance m'est donnée dans le ciel et sur la terre : allez donc : enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, leur apprenant à garder toutes les choses que je vous ai commandées. Et voilà, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation des siècles (2). » Ainsi la Sagesse infinie, le Verbe incarné, Celui qui a toute puissance dans le ciel et sur la terre, est avec les apôtres et leurs successeurs enseignant, baptisant et proclamant les préceptes divins : donc l'Eglise est infaillible et ne peut se tromper ni dans sa doctrine , ni dans ses sacrements, ni dans sa morale ; il est avec eux toujours, sans cesse, à travers tous les âges, jusqu'il la consommation des siècles ; donc l'Eglise est perpétuelle et remonte dans tous les temps jusqu'à Jésus-Christ. Aussi tous les Pères, saint Augustin et saint Cyprien, Tertullien et Clément d'Alexandrie, voient-ils dans l'Eglise l'Epouse sainte, immaculée, sans ride et sans tache; et la tradition de tous les temps la montre comme une armée rangée en bataille, qui renverse mille ennemis à sa gauche et dix mille à sa droite, sans que leurs coups puissent jamais l'atteindre. L'infaillibilité et la perpétuité : voilà les sublimes prérogatives qu'assurent à l'Eglise les promesses de Jésus-Christ; en d'autres termes, voilà le remède à toutes les erreurs.

L'hérésie n'a jamais présenté, ne présentera jamais ces divins caractères. Voyez ses fondateurs : toujours en contradiction flagrante, non-seulement entre eux, mais avec eux-mêmes, ils disent le oui et le non sur toutes les questions, renversent d'une main ce qu'ils ont édifié de l'autre, et brûlent aujourd'hui ce qu'ils adoraient hier : est-ce dans ce chaos d'opinions contraires que réside l'infaillibilité? Et qu'on recherche l'origine de toutes les sectes, on trouvera sans peine le temps précis de leur séparation d'avec les successeurs des apôtres; le point de la rupture paraîtra, si l'on passe le terme, tout sanglant; et cette marque de nouveauté gravée sur leur front, redira dans tous les siècles qu'elles ne remontent point jusqu'à Jésus-Christ. Qui verra dans ces œuvres du schisme, sans passé comme sans avenir, le caractère de la perpétuité ?

Après avoir développé ces principes, Bossuet résout plusieurs objections sur les décisions de l'Eglise, sur l'autorité des pasteurs, sur l'usage de l'Ecriture sainte, sur l'emploi de la langue latine dans le culte public. En unissant, il donne aux fidèles de son diocèse des conseils dictés par la sagesse et la charité même. Travaillez avec douceur, leur dit-il, à la conversion de vos frères errants, portez la persuasion dans

 

1 Mémoires de l'abbé Ledieu, 1700. — 2 Matth. XXVIII, 18-20.

 

V

 

leur cœur par le bon exemple, évitez ces disputes sans fin qui ne font qu'aigrir les esprits, et rappelez-vous souvent, pour votre consolation, les promesses de Celui qui a tonte puissance dans le ciel et sur la terre : « Voilà, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation des siècles. »

L’Instruction pastorale sur les promesses de l’ Eglise parut le dernier jour d'avril 1700, sous le format in-12, chez Anisson.

 

III.

 

Un des plus habiles écrivains de la Réforme, Jacques Basnage, François de naissance et ministre de l'évangile à Rotterdam, attaqua l'Instruction sur les promesses de l'Eglise. Voici les principales objections qu'il soûle voit dans son ouvrage Prétendre que le céleste Réparateur nous a donné en six lignes le remède à toutes les erreurs, c'est affirmer l'impossible contre l'évidence même. Et si Jésus-Christ a fait à l'Eglise chrétienne des promesses d'immortalité, Dieu avait promis de même une durée éternelle à l'Eglise judaïque : et cependant cette Eglise est renversée de fond en comble. Il y a plus encore : avant sa ruine dernière, elle tomba dans les plus grandes abominations, jusque dans l'idolâtrie. Au reste, si l'Eglise devait enseigner infailliblement toute vérité, à quoi bon l'Ecriture sainte?

Bossuet résolut ces difficultés dans une seconde Instruction pastorale. Jésus-Christ a renfermé, dit-il, la loi et les prophètes dans une seule ligne, quand il nous a donné ce double précepte : « Vous aimerez Dieu de tout votre cœur..., et le prochain comme vous-mêmes (2) : pourquoi donc n'aurait-il pu nous donner en six lignes le préservatif de toutes les erreurs? Sur le point de monter au ciel, après avoir commandé à ses apôtres d'enseigner et de baptiser toutes les nations, il ajouta ces magnifiques paroles : « Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation des siècles (3). » Voilà donc Jésus-Christ vivant éternellement avec les apôtres et leurs successeurs; le voilà enseignant et baptisant avec eux toujours, sans cesse, jusqu'à la consommation des siècles. Or qu'est-ce cela, sinon l'infaillibilité et la perpétuité de l'Eglise? Qu'est-ce, encore une fois, sinon le remède qui doit nous préserver de toutes les erreurs?

L'Eglise judaïque n'a pas reçu les mêmes promesses. Le Seigneur dit au

 

1 Cet ouvrage avait pour titre : Traité des préjugés faux et légitimes, ou Réponse aux lettres et instructions pastorales de M. le cardinal de Noailles archevêque de Paris, de M. Colbert archevêque de Rouen, de M. Bossuet évêque de Meaux, et de M. de Nesmond évêque de Montauban; 1701. Cet ouvrage parut a Rotterdam, chez Lecos. Trois volumes in-8°. — 2 Matth., XXII, 37-40. — Ibid., XXVIII, 18 et seq.

 

 

VI

 

peuple élu : «Je mettrai mon nom à jamais dans le temple de Salomon, et j'y aurai tous les jours mes yeux et mon cœur. Si tu marches dans mes voies,... j'établirai ton trône à jamais. Si au contraire vous et vos enfants cessez de me suivre,... je rejetterai de devant ma face le temple que j'ai consacré à mon nom,... et il sera en exemple à tous les peuples du monde (1). » D'après ces paroles, Dieu laissera son cœur dans le temple de Salomon, si le peuple observe sa loi; mais s'il cesse de la suivre, il rejettera le temple de devant sa face pour être en exemple à toutes les nations de la terre. Les promesses faites à l'Eglise judaïque sont donc limitées par une condition qui ne devait pas s'accomplir; mais les promesses faites à l'Eglise chrétienne sont absolues, générales, universelles, indépendantes de toute condition. Dieu dit dans la nouvelle alliance : « Je suis avec vous tous les jours; » il dit dans l'ancienne : J'y serai si vous êtes fidèles. La différence frappe tous les yeux.

Cependant l'Eglise des Hébreux n'a point cessé d'être, avant sa ruine totale, la véritable Eglise : jamais elle n'a laissé périr le culte du vrai Dieu, jamais elle n'a suspendu la circoncision ni les autres cérémonies religieuses; au milieu de la prévarication générale, elle proclamait les oracles célestes par la voix des prophètes, et maintenait par son autorité la loi du Seigneur. Sur le point même de subir sa réprobation dernière, elle reçut encore la sanction suprême : Jésus-Christ fit respecter le temple en en chassant les marchands, il reconnut la Synagogue en ordonnant d'en accomplir les décisions; et lorsqu'il refusa de répondre à l'autorité civile, il répondit au grand prêtre.

On voit qu'il va toujours eu, pour enseigner aux hommes la vérité divine, une Eglise revêtue de l'infaillibilité. Voilà pourquoi nous disons dans le Symbole : « Je crois l'Eglise catholique, » avant d'avoir dit : Je crois à la sainte Ecriture. Cependant l'Ecriture sainte n'est pas inutile : elle fortifie, elle nourrit, elle excite la foi; on l'étudié pour mieux comprendre ce que l'on croit, et l'on s'en sert pour réfuter les hérétiques.

Après avoir ainsi rétabli les principes de la vraie doctrine, Bossuet résout plusieurs objections particulières. Il avait déjà débattu, dans d'autres ouvrages, les questions qu'il soulève dans ses réponses; mais on voit pour ainsi dire naître sous sa plume des considérations nouvelles, des aperçus nouveaux : car telle est la fécondité de son génie et l'étendue de son érudition, qu'il ne reproduit jamais les mêmes raisonnements ni les mêmes faits.

Basnage attaqua la première Instruction pastorale, dans les Préjugés faux et légitimes, en 1701 : Bossuet publia la seconde Instruction la

 

1 III Reg., IX, 3 et seq.

 

VII

 

même année, les premiers jours de décembre, chez Anisson. Celte édition forme un petit volume in-12.

 

IV.

 

Après la révocation de l'édit de Nantes, les protestants quittaient par milliers la religion de Calvin. Pour arrêter cette désertion générale, les ministres leur adressèrent de Hollande des lettres soi-disant pastorales, qui portaient des titres comme ceux-ci, ou d'autres plus lamentables encore : Aux protestants de France qui sont tombés par la force des tourments : A nos frères qui gémissent sous la captivité de Babylone, etc. Bossuet réfuta ces libelles; et comme on était dans le temps de carême, il invita les nouveaux catholiques de son diocèse à la communion pascale.

Il leur dit dès les premiers mots de son appel pastoral : Venez communier avec vos frères : c'est Jésus-Christ même qui vous convie à ce banquet de paix. Car s'il désire toujours de faire la pâque avec ses disciples (1), s'il veut que la salle du festin soit toujours prête et la table toujours dressée, c'est principalement dans les jours de sa résurrection qu'il nous dit : Venez tous à moi ; je vous donnerai le pain de vie et le vin des ineffables délices.

Où devons-nous aller recevoir ces divins aliments? dans l'Eglise, uniquement dans l'Eglise catholique. Pourquoi? parce qu'elle a seule des pasteurs légitimes, seule la vraie doctrine qui vient du divin Maître. « Vous n'avez pu vous empêcher, dit le charitable pasteur à ses nouvelles ouailles, de reconnaître que j'étais à la place de ceux qui ont planté l'Evangile dans ces contrées : vous les avez révérés en ma personne, quoique indigne. Je ne vous ai point annoncé d'autre doctrine que celle que j'ai reçue de mes saints prédécesseurs : comme chacun d'eux a suivi ceux qui les ont devancés, j'ai fait de même. » Ainsi la doctrine de la foi s'est transmise jusqu'à nous de pasteur en pasteur, de main en main, sans que jamais on aperçût d'innovation. C'est par là qu'on reconnaît ce qu'on a toujours cru, et par conséquent ce qu'on doit toujours croire.

Qu'on nous montre dans la Réforme ce toujours, marque certaine de la vérité. «Souvenez-vous, reprend Bossuet, de Pierre le Clerc, cardeur de laine. Je ne le dis pas par mépris de la profession , ni pour ravilir un travail honnête ; mais pour taxer l'ignorance, la présomption et le schisme d'un homme qui, sans avoir de pasteur qui l'ordonne, sort tout à coup de sa boutique pour présider dans l'Eglise. C'est lui qui a dressé l'église prétendue réformée de Meaux, la première formée dans ce royaume en l'an 1546. » Les autres réformateurs n'ont pas fait

 

VIII

 

autrement : laïques établis par des laïques et par conséquent toujours laïques, ils ont érigé des chaires et des autels sacrilèges contre les successeurs des apôtres; prêtres ou moines apostats, ils ont abjuré la foi de ceux qui les avoient ordonnés, pour établir des nouveautés criminelles.

Dans l'impossibilité de défendre leur succession légitime, les ministres allèguent le caractère extraordinaire de leur mission; ils prétendent que Dieu seul a pu donner à la Réforme tant de succès rapides, tant de victoires surprenantes, tant de conquêtes miraculeuses; comme si, leur répond Bossuet, «le désir de s'affranchir des vœux, des jeûnes, de la continence, de la confession, des mystères qui passent les sens, de la sujétion des évêques qui étaient en tant de lieux princes temporels ; la jouissance des biens de l'Eglise, le dégoût des ecclésiastiques trop ignorants, hélas ! et trop scandaleux; le charme trompeur des plaisanteries et des invectives, et celui d'une éloquence emportée et séditieuse; le pouvoir accordé aux princes et aux magistrats de décider des affaires de la religion, et à tous les hommes de se rendre arbitres de leur foi et de n'en plus croire que leur sens; enfin la nouveauté même, n'avoient pas été l'attrait qui jetait en foule dans la nouvelle Réforme les villes, les princes, les peuples et jusqu'aux prêtres et moines apostats. »

Les tortures inventées par les ministres ne sont pas moins fausses que leurs miracles. Bossuet dit aux nouveaux catholiques de son diocèse : « Loin d'avoir souffert des tourments, vous n'en avez pas seulement entendu parler. J'entends dire la même chose aux autres évêques : mais pour vous, mes frères, je ne vous dis rien que vous ne disiez tous aussi bien que moi. Vous êtes revenus paisiblement à nous, vous le savez. » Cette déclaration solennelle, faite devant des milliers de témoins, publiée dans toute l'Europe protestante sans qu'elle ait rencontré la moindre contradiction, n'a pas empêché les fauteurs de la Réforme, particulièrement Jurieu, de représenter Bossuet comme un fougueux persécuteur.

La Lettre pastorale aux nouveaux catholiques est datée de Claye, le dimanche 24 mars 1080. La première et la seconde édition parurent la même année, in-4°, chez Marbre-Cramoisy.

 

V.

 

Un gentilhomme français, calviniste réfugié en Hollande, après avoir passé quelques années au service du prince d'Orange, conçut des doutes sur le protestantisme et rentra dans sa patrie. Les écrits de Bossuet, particulièrement l'Exposition de la doctrine catholique, lui montrèrent la vérité tout entière; il abjura les nouveautés de Calvin pour embrasser

 

IX

 

l'antique foi de ses pères. Dans la première ferveur de sa conversion il se rendit à la Trappe, et s'engagea par des vœux solennels à la profession religieuse. Ses connaissances et son esprit distingué, son zèle et ses grands sacrifices lui gagnèrent l'attachement de ses supérieurs ; le jour de son entrée dans une vie nouvelle, l'abbé de Rancé, voulant lui témoigner une affection particulière, l'appela de son prénom Armand.

On sait que Bossuet faisait à la Trappe de fréquents voyages. Pendant le temps qu'il y passait, ordinairement huit jours, il observait sévèrement la règle si sévère de la communauté, suivant les religieux partout, au chœur, au réfectoire, dans tous leurs exercices; il veillait, priait, jeûnait, gardait le silence comme eux; il paraissait à matines, au milieu de la nuit, le premier de tous. Quelquefois, avant l'heure de vêpres, on le voyait se promener, sur les bords de l'étang ou dans les forêts de cette solitude, avec l'abbé de Banco. Qui n'aurait admiré ces deux grands hommes s'entretenant ainsi des choses du ciel? L'un s'était dérobé à l'admiration du inonde pour aller converser avec Dieu dans la solitude; l'autre avait fui les faveurs de la fortune et les attraits du plaisir pour s'ensevelir vivant dans un tombeau : quel spectacle !

Le frère Armand obtint la permission de conférer avec Bossuet, puis de lui écrire sur les choses de la religion. Après plusieurs conférences, il lui adressa deux longues lettres : dans la première, il manifestait le désir du martyre; dans la seconde, il exprimait des doutes relatifs à. l'adoration de la croix.

Bossuet répondit sur ces deux points. Le désir du martyre , dit-il au frère Armand, est un grand don de Dieu; mais il pourrait vous détourner des véritables occupations de votre état. « Songez que la paix de l'Eglise a son martyre. La vie que vous menez vous donnera un rang honorable parmi ceux qui ont combattu pour le nom de Jésus-Christ ; et tout ce que vous aurez souffert dans les exercices de la pénitence , vous prépare une couronne qui approche fort de celle du martyre. » Quant à l'adoration de la croix, le profond théologien remarque d'abord qu'on rend de grands honneurs au livre des Evangiles : on prête serment sur ses pages sacrées, on l'entoure de cierges, on l'encense, on l'écoute debout, on le donne a baiser; et tout cela pour témoigner son attachement, non pas à l'encre et au papier, mais à la vérité éternelle qu'il renferme. Eh bien, « qu'est-ce que la croix, sinon l'abrégé de l'Evangile, tout l'Evangile dans un seul signal et dans un seul caractère? Pourquoi donc ne la baiserait-on pas? Et si on lui rend cette sorte d'honneur, pourquoi non les autres? Pourquoi n'irait-on pas jusqu'à la génuflexion, jusqu'au prosternement entier? »

Le frère Armand ne répondit point à tant de soins paternels, à ces charitables leçons. Il s'était élevé dans ses rêves à la science transcendentale et jusqu'à la gloire du martyre ; la vérité ne le suivit pas dans ces

 

X

 

sublimes hauteurs, elle s'éloigna de son esprit rempli de lui-même. Alors sa première ferveur s'éteignit comme une flamme sans aliment; il s'échappa du cloître, s'enfuit à Genève et revint à son vomissement. Il mourut dans la ville de Calvin, marié et maître d'école. L'abandon, le mépris, l'abaissement, voilà la commune destinée des apostats qui abandonnent le cours de la tradition universelle pour se jeter dans le torrent des nouveautés religieuses; aussi bien le fleuve de vérité qui se répand de la montagne sainte à travers le monde, ne laisse-t-il sur ces bords que la fange et l'écume : les protestants le savent par une longue expérience.

La Lettre sur l'adoration de la croix est datée de Versailles, le 17 mars 1691. Elle fut imprimée l'année suivante, sans nom d'auteur et sans la participation de Bossuet. Cette dernière remarque est nécessaire pour comprendre le petit Avertissement qui précède la Lettre.

 

VI.

 

L'étude et la nature avoient donné à Bossuet tout ce qui peut, si l'on ose le dire, préparer à la grâce la conversion des hérétiques. Non-seulement il s’était approprié, par de longues méditations, les enseignements de l'Ecriture et la science des Pères; mais il avait une dialectique invincible qui lui donna cinquante années de victoires, une parole abondante qui lui suggérait soudain le mot propre, surtout une douceur inaltérable qui lui gagnait les esprits les plus prévenus. Il tenait cette maxime de saint Augustin , que la condescendance et la charité sont les compagnes de la vérité; et la connaissance du cœur humain lui faisait dire souvent : « C'est déjà faire une assez grande peine aux gents que de leur montrer qu'ils ont tort, surtout en matière de religion (1). »

Il commença de bonne heure cette mission si bénie de Dieu, qui ramena tant d'âmes errantes dans le sein de l'Eglise. Chanoine et archidiacre, pendant son séjour à Metz, il convertit plus de cinq mille protestants et grand nombre de Juifs. En rentrant dans la maison de leur Père céleste, les nouveaux convertis perdaient souvent tout asile sur la terre. Le charitable pasteur voulut les mettre à l'abri des coups de la misère tout ensemble et des entreprises de l'hérésie ; il recueillit des dons considérables, obtint des religieuses de saint Vincent de Paul, et fonda la Maison des filles de la propagation de la foi. Devenu de droit ce qu'il avait toujours été de fait, directeur de la communauté, il lui donna un règlement.

Ce règlement parle, dans plusieurs chapitres, de la réception des

 

1 Mémoires de l'abbé Ledieu, 1655.

 

XI

 

aspirantes, des vertus que doivent pratiquer les religieuses, des exercices de dévotion qu'elles doivent suivre, du travail et du silence, du gouvernement de la communauté, des supérieures et des assistantes, enfin de la distribution des heures de la journée.

Le Règlement du Séminaire des filles de la propagation de la foi, établies en la ville de Metz, fut composé en 1655. Il parut plus tard, en 1672, à Paris, chez Muguet, in-8°. Il devait servir de modèle à des règlements de ce genre. L'édition originale est extrêmement rare.

 

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