Réunion des Protestants IV
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RÉFLEXIONS
DE M. L'ÉVÊQUE DE MEAUX,
SUR L'ÉCRIT DE M. L'ABBÉ MOLANUS.

 

AVANT-PROPOS,  Où l'on explique l'ordre et le dessein de ces Réflexions.

PREMIÈRE PARTIE,  CONTENANT   LES   ARTICLES   CONCILIÉS.

CHAPITRE PREMIER. De la Justification.

CHAPITRE II. Des Sacrements, et premièrement du Baptême.

DE L'EUCHARISTIE, ET PREMIÈREMENT DE LA PRÉSENCE RÉELLE.

DE LA TRANSSUBSTANTIATION.

DE LA PRÉSENCE HORS DE L’USAGE.

DE L'ADORATION.

DU SACRIFICE.

DES MESSES PRIVÉES.

DE LA COMMUNION SOUS LES DEUX ESPÈCES.

DES CINQ AUTRES SACREMENTS, ET PREMIÈREMENT DE LA PÉNITENCE ET DE L'ABSOLUTION.

DES TROIS ACTES DU SACREMENT DE PÉNITENCE, ET PREMIÈREMENT DE LA CONFESSION.

DE LA SATISFACTION.

DES QUATRE AUTRES SACREMENTS.

CHAPITRE III. DU CULTE ET DES COUTUMES ECCLÉSIASTIQUES, ET PREMIÈREMENT DU CULTE ET DE L'INVOCATION DES SAINTS.

DU CULTE DES IMAGES.

DE LA PRIÈRE ET DE L'OBLATION POUR LES MORTS.

DU PURGATOIRE.

DES VŒUX MONASTIQUES.

CHAPITRE IV. Des moyens d'établir la foi, et premièrement de l'Ecriture et des traditions non écrites.

DE L'INFAILLIBILITÉ DE L'ÉGLISE, ET DES CONCILES OECUMÉNIQUES.

OU RÉSIDE L'INFAILLIBILITÉ DE L'ÉGLISE.

SUR LE PAPE.

SECONDE PARTIE.

CHAPITRE V. CE QU'IL FAUT FAIRE SUR LES FONDEMENTS QU'ON VIENT D’ÉTABLIR.

CHAPITRE VI. RÉFLEXIONS SUR LE PROJET DE NOTRE AUTEUR.

CHAPITRE VII. SUR LE CONCILE DE TRENTE.

CHAPITRE VIII. DERNIÈRE RÉSOLUTION DE LA QUESTION DE M. DE LEIBNIZ PAR LES PRINCIPES POSÉS.

 

AVANT-PROPOS,
Où l'on explique l'ordre et le dessein de ces Réflexions.

 

L'écrit de M. l'abbé Molanus est divisé en deux parties. Dans la première, il propose les moyens de parvenir à une réunion, qu'il appelle préliminaire ; dans la seconde, il entre dans le fond des matières, et après avoir concilié les plus importantes, il renvoie les autres au concile général, dont il marque les conditions.

Je ne vois rien dans cet écrit de plus essentiel, ni qui facilite plus la réunion, que la conciliation de nos controverses les plus importantes faite par l'illustre et savant auteur ; et c'est ce qu'il faut poser comme un fondement solide de la réunion ; après quoi, l'on considérera ce qui regarde le procédé qu'on devra tenir en tout le reste qui sera jugé nécessaire.

Je commencerai donc par cet endroit-là, et je démontrerai d'abord que si l'on suit les sentiments de M. Molanus, la réunion sera faite ou presque faite ; en sorte qu'il ne lui reste plus qu'à faire avouer sa doctrine dans son parti, pour avoir véritablement prouvé que la réunion qu'il propose n'a point de difficulté.

Pour procéder avec ordre et me rendre plus intelligible, je divise nos controverses en quatre chapitres : le premier, de la Justification; le second, des Sacrements; le troisième, du Culte de Dieu et des Rites ou Coutumes ecclésiastiques ; le quatrième et dernier, des moyens d'établir et de confirmer la foi, où l'on traitera de l'Ecriture, de l'autorité de l'Eglise et des traditions.

On va voir, dans ces quatre chapitres, les articles les plus

 

 

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essentiels conciliés pal M. l'abbé Molanus ; et afin qu'on ne pense pas que les avances que la vérité et la charité lui font faire, viennent en lui d'un esprit particulier, je montrerai en même temps qu'elles sont conformes aux livres symboliques de ceux de la Confession d'Augsbourg, que j'appellerai Luthériens, pour abréger le discours, et aussi parce qu'ordinairement ils ne s'offensent pas de ce nom.

Ils appellent livres symboliques ou authentiques, ceux qui tiennent lieu parmi eux de Confession de foi, dans lesquels sont compris la Confession d’Augsbourg avec son Apologie, écrite par Mélanchthon et souscrite de tout le parti, les Articles de Smalcalde pareillement souscrits de tout le parti, Luther étant à la tête, et la petite Confession du même Luther, qui est rangée parmi les livres les plus authentiques. Ce sont les Actes que je citerai dans cet écrit pour garants de la doctrine que j'attribuerai aux églises luthériennes.

 

PREMIÈRE PARTIE,
CONTENANT   LES   ARTICLES   CONCILIÉS.

 

CHAPITRE PREMIER. De la Justification.

 

Sur ce chapitre, je remarquerai en premier lieu, les choses dont nous sommes déjà d'accord, catholiques et luthériens également ; en sorte qu'il n'est pas besoin d'y chercher de conciliation, puisqu'elle est déjà toute faite.

Premièrement donc, nous sommes d'accord qu'en quelque manière qu'il faille prendre la justification, soit comme la prennent les luthériens, pour la non-imputation du pèche et l'imputation de la justice de Jésus-Christ qui a satisfait pour nous, soit pour l'infusion de la grâce sanctifiante, qui en emportant le péché, rende en même temps lame sainte et agréable à Dieu ; nous sommes,

 

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dis-je, d'accord qu'en quelque façon qu'on la prenne, elle est purement gratuite ; et l'on ne peut pas nier que ce ne soit là le sentiment des catholiques, puisque, comme dit le concile de Trente, « de toutes les choses qui précèdent la justification, soit la foi ou les bonnes œuvres, aucune ne la peut mériter; autrement la grâce ne serait pas grâce ; » d'où ce concile conclut « qu'on est obligé de croire que la rémission des péchés n'est accordée, et ne l'a jamais été que gratuitement par la divine miséricorde, à cause de Jésus-Christ (1). »

Il faut donc que les luthériens cessent de reprocher, comme ils le font aux catholiques (2), qu'ils croient être justifiés et recevoir la rémission de leurs péchés parleurs mérites, puisqu'ils font profession de ne la devoir qu'à la pure bonté de bien et aux mérites de Jésus-Christ. Le concile de Trente ne nie pas que les mérites de Jésus-Christ ne soient à nous, puisqu'il confesse au contraire qu'ils nous sont appliqués et communiqués, sans quoi il n'y aurait point de salut pour nous. Nous n'avions donc pas besoin de la Réforme luthérienne pour nous apprendre que Jésus-Christ seul a pu satisfaire pour nos péchés, et que par la bonté de Dieu sa satisfaction nous est imputée, comme si nous avions satisfait nous-mêmes. Aussi le concile de Trente n'a-t-il pas nié que, pour être justifiés, nous eussions besoin de l'imputation de la satisfaction et de la justice de Jésus-Christ, mais seulement « que nous fussions justifiés par cette seule imputation, avec exclusion de la grâce (3), » par laquelle nous sommes faits justes intérieurement.

Ainsi nous sommes d'accord que c'est purement à cause de Jésus-Christ et de ses mérites, que Dieu cesse de nous traiter comme pécheurs; et si nous disons qu'en nous justifiant, il fait quelque chose de plus que de cesser simplement de nous imputer nos péchés, on voit clairement que cela n'est autre chose qu'une augmentation de son bienfait. C'est ce qu'on expliquera encore plus dans la suite ; mais il nous suffit à présent de remarquer que

 

1 Sess. VI, cap. VIII, IX. — 2 Confess. d’Augsb., chap. XX; Apolog., chap. de la Justif., et Rép. aux object., p. 62, 72, 102, 103, dans le livre de la Concorde. — 3 Sess. VI, can. 2.

 

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c'est un point convenu de part et d'autre ; que la rémission des péchés est purement gratuite et accordée aux seuls mérites de Jésus-Christ, qui est le point le plus essentiel dans cette matière.

Quoique la justification soit gratuite, il ne faut pas pour cela rejeter le mérite des bonnes œuvres après que nous sommes justifiés ; ce que saint Augustin a expliqué dans ces termes : « Les justes n'ont-ils donc aucuns mérites? Ils en ont certainement, parce qu'ils sont justes, mais ils n'en ont eu aucun pour être faits justes (1) ; » et il ne devrait point y avoir de difficulté sur cet article, si l'on s'en tenait aux termes de la Confession d'Augsbourg; où l'on répète trois et quatre fois que « les bonnes œuvres sont de vrais cultes, et qu'elles sont méritoires, parce qu'elles méritent des récompenses et en cette vie et en l'autre, et dans la vie éternelle (2). » Les catholiques n'en demandent pas davantage; et parmi les dons que les bonnes œuvres méritent en cette vie, la même Confession d'Augsbourg marque expressément l'augmentation de la grâce; et l'on y loue un passage de saint Augustin, où il dit « que la charité mérite l'augmentation de la charité, » ce qui en effet est enseigné par ce saint docteur en ces termes : « Celui qui aime a le Saint-Esprit, et en le possédant il mérite de le posséder davantage, et conséquemment d'aimer davantage (3). »

Cette doctrine de la Confession d'Augsbourg est amplement confirmée dans l'Apologie, où il est expressément porté « que les bonnes œuvres sont méritoires, non pas à la vérité de la rémission des péchés, de la grâce ou de la justification, mais de beaucoup d'autres récompenses corporelles ou spirituelles, et en cette vie et en l'autre. Car, poursuit-elle, la justice de l'Evangile regarde la promesse de la grâce, et reçoit gratuitement la justification et la vie; mais l'accomplissement de la loi, qui se fait après la foi, regarde la loi ; et à cet égard la récompense nous est offerte et nous est due, non pas gratuitement, mais selon nos œuvres ; à condition toutefois que l'on reconnaisse que ceux qui méritent ces récompenses sont justifiés avant que d'avoir accompli

 

1 Epist. CXCIV, al CV, n. 6, ubi sup. — 2 Confess. d'Augs , art. 6, et chap. des Bonnes œuvres. — 3 Tract, LXXIV in Joan., ubi sup.

 

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la loi (1), » ce qui est très-véritable. Et voilà, dans l’Apologie de la Confession d'Augsbourg , qui est reçue comme authentique dans tout le parti, l'expresse doctrine de l'Eglise catholique.

M. l'abbé Molanus reconnaît que ces choses sont contenues dans les écrits authentiques du luthéranisme ; et pour les ramasser en peu de mots, on y voit que les bonnes œuvres des hommes justifiés sont méritoires, qu'elles méritent en cette vie l'augmentation delà grâce, et en l'autre d'autres récompenses : que ces récompenses leur sont dues et leur sont rendues, non pas gratuitement, mais à cause de leurs bonnes œuvres ; or ces récompenses de l'autre vie, c'est ce qui s'appelle dans l'Ecriture la vie éternelle, laquelle aussi notre auteur avoue qu'on peut mériter, sinon pour le premier degré, du moins quant à l'augmentation; ce qui suffit, selon lui, pour faire dire qu'on mérite la vie éternelle.

Et en effet saint Augustin, si souvent loué dans la Confession d'Augsbourg et dans l’Apologie, dit sans hésiter que la vie éternelle est due « aux bonnes œuvres des Saints, et qu'elle ne laisse pas d'être appelée grâce, parce qu'encore qu'elle soit donnée à nos mérites, ces mérites auxquels on la donne nous sont eux-mêmes donnés (2). » Voilà pour la vie éternelle. Et pour l'augmentation de la grâce, le même saint enseigne « qu'on mérite par la grâce l'accroissement de la grâce, afin que par cet accroissement de la grâce dans cette vie, on mérite aussi la perfection dans la vie future (3). » Il est aussi décidé dans le concile d'Orange, un de ceux que notre auteur reconnaît pour authentiques, « que la récompense est due aux bonnes œuvres qu'on fait, mais que la grâce qui n'est point due, précède afin qu'on les fasse (4). »

On voit par cette doctrine qu'il n'y a point de difficulté sur l'accomplissement de la loi. Car il y a un chapitre exprès dans l’Apologie, où l'on fait voir que le juste accomplit la loi ; et c'est de ce chapitre qu'est tiré le passage qu'on vient de voir sur cet

 

1 Rép. aux object., dans le liv. de la Concorde, p. 16. — 2 Epist. CXCIV, al. CV, de Corr. et gratià, cap. XIII, n. 41, ubi sup. — 3 Epist. CLXXXVI, al. CVI, n. 10. ubi sup. — 4 II Conc. d'Orange, chap. VIII.

 

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accomplissement. Et en effet, pour le nier, il faudrait nier l'Apôtre même, qui dit : « Que celui qui aime le prochain accomplit la loi ; » et encore : « Que la dilection ou l'amour est l'accomplissement de la loi (1).» Ce n'est donc point une matière de dispute si la loi peut être accomplie, puisqu'on est d'accord qu'elle l'est par la charité que le Saint-Esprit a répandue dans les cœurs (2), mais en même temps on est d'accord que cet accomplissement de la loi ne peut être poussé en cette vie jusqu'à l'entière exclusion du péché, quoique cette exclusion puisse être poussée jusqu'à en détruire le règne, selon ce que dit saint Paul : « Que le péché ne règne point en votre corps mortel, en sorte que vous obéissiez à ses désirs (3). » Ainsi encore que la convoitise ne cesse de combattre en nous l'amour de Dieu, elle n'empêche point qu'il ne prévale, et notre savant auteur le reconnaît avec nous. Il y a donc en nous une véritable justice par le règne de la charité, encore qu'elle ne soit point absolument parfaite à cause de la répugnance et du combat de la convoitise. C'est pourquoi tous les catholiques reconnaissent, dans le concile de Trente, « qu'on ne peut pas vivre sans péché en cette vie, et qu'on y a continuellement besoin de dire : Pardonnez-nous nos offenses (4) » ce que Dieu permet, dit saint Augustin, afin que dans ce besoin continuel de demander le pardon de nos fautes, nous n'oubliions jamais notre néant.

Mais encore que notre justice ne soit jamais assez parfaite pour exclure tout péché, M. Molanus demeure d'accord qu'elle exclut les péchés mortels, et ceux qu'il appelle contre la conscience, ceux, en un mot, dont saint Jean dit, « que celui qui demeure en Dieu ne pèche pas (5) ; » et saint Paul, « que celui qui les fait n'entrera jamais dans le royaume de Dieu (6): » Par là donc , encore un coup, il y a en nous une véritable justice, et même une sorte de perfection convenable à l'état de cette vie ; ce qui fait qu'il est si souvent parlé dans l'Ecriture des parfaits, des oeuvres parfaites, de la parfaite charité. Et pour ce qui est de ces péchés, sans lesquels on ne vit point sur la terre, saint Augustin nous

 

1 Rom., XIII, 8, 10. — 2 Ibid., V, 4. — 3 Ibid., VI, 12. — 4 Sess. VI, cap. XI, can. 23. — 5 I Joan., IV, 6, 9. — 6 II Cor., VI, 9.

 

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donne beaucoup de courage pour les combattre et les vaincre, lorsqu'il dit « que celui qui aura soin de les effacer par des aumônes et des bonnes œuvres, méritera de sortir de cette vie sans aucun péché, encore qu'il ne soit pas sans péché durant le cours de cette vie, parce que, comme il n'est pas sans péché , ainsi les remèdes pour les effacer ne lui manquent pas (1). »

Telle est donc cette perfection à laquelle nous devons tendre en cette vie ; et elle est si grande, qu'elle fait dire à saint Paul : « J'ai bien combattu, j'ai achevé ma course, j'ai gardé la foi; du reste la couronne de justice m'est réservée; et le Seigneur, ce juste juge, me la rendra en ce jour (2) ; » et encore : « Dieu n'est pas injuste, pour oublier vos bonnes œuvres (3)» ; par où l'on voit que la couronne de justice, c'est-à-dire la vie éternelle, ne nous est pas seulement accordée par miséricorde, mais encore rendue par justice; ce que l'ancienne Eglise, et après elle les luthériens mêmes dans l'Apologie, ont appelé une dette; et c'est aussi la même chose qu'on a toujours exprimée par le mot de mérite.

Il ne faut pas croire pour cela que cette dette, cette justice, ce mérite emporte avec soi, du côté de Dieu, une obligation rigoureuse de nous donner son royaume indépendamment de sa promesse. M. Molanus attribue ce sentiment à quelques auteurs catholiques; mais il n'est pas nécessaire d'en discuter ici les sentiments, puisque nous avons une décision expresse du concile de Trente, en ces termes : « Il faut proposer La vie éternelle aux enfants de Dieu, comme une grâce qui leur est miséricordieusement promise à cause de Jésus-Christ, et comme une récompense, qui sera rendue à leurs bonnes œuvres et à leurs mérites, en vertu de cette promesse (4). » Le concile n'a rien oublié, puisqu'il appelle la vie éternelle une grâce, qu'il ajoute aussi « qu'elle est miséricordieusement promise, » et cela, « par Jésus-Christ et à cause de lui; » et enfin, qu'elle sera rendue aux bonnes œuvres et aux mérites, mais a en vertu de cette promesse » de miséricorde et de grâce.

Il ne faut donc pas ici s'imaginer un titre de justice rigoureuse,

 

1 Epist. CLVII, al. LXXXIX, n. 3, ubi sup. — 2 II Timoth., IV, 7, 8. — 3 Hebr., VI, 10. — 5 Sess. VI, chap. XVI.

 

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qui ne peut jamais se trouver entre le Créateur et la créature surtout après le péché, mais une justice fondée sur une promesse gratuite à cause de Jésus-Christ, ce qui tranche en un mot la difficulté.

Et c'est pourquoi le même concile ajoute, en un autre endroit, « que nous, qui ne pouvons rien par nous-mêmes, nous pouvons tout avec celui qui nous fortifie; de sorte que l'homme n'a rien de quoi il puisse se glorifier; mais que toute notre gloire est en Jésus-Christ, en qui nous méritons, en qui nous satisfaisons, faisant de dignes fruits de pénitence, qui tirent leur force de lui, sont offerts par lui à son Père et par lui sont acceptés de son Père (1). »

Si nous ajoutons à ces choses le pardon, dont le même concile décide, comme on vient de voir, que nous avons toujours besoin dans cette vie (2), il n'y aura plus rien à nous demander pour la gloire de Jésus-Christ, puisque nous n'avons rien à espérer qu'en vertu d'une promesse, d'une acceptation, d'une condonation miséricordieuse, que nous n'avons qu'en lui seul et par ses mérites.

Enfin comment pourrait-on penser que les mérites des justes dérogeassent à la grâce, puisqu'ils en sont le fruit, « et que par un effet admirable de la bonté de Dieu, nos mérites mêmes sont ses dons? » Doctrine que ce concile a encore prise de saint Augustin, pour conclure avec lui « que le chrétien n'a rien du tout par où il puisse, ou se confier, ou se glorifier en lui-même; mais que toute sa gloire est en Jésus-Christ (3). »

Tout cela fait voir aussi qu'il n'y a aucune difficulté sur l'efficace de la foi justifiante, qui est établie par le concile de Trente; premièrement, en ce que « nous croyons que tout ce que Dieu a révélé et promis est très-véritable, » et surtout, « que c'est lui qui justifie gratuitement le pécheur à cause de Jésus-Christ (4). » Voilà donc avant toutes choses la foi des promesses, et en particulier celle de la gratuite rémission des péchés embrassée par le fidèle. Secondement cette même foi, en nous relevant des terreurs dont la justice de Dieu accable notre conscience criminelle, nous

 

1 Sess. XIV, cap. VIII. — 2 Sess. VI, cap. XI, can. 23. — 3 Ibid., cap. XVI. — 4 Ibid., cap. VI.

 

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fait regarder sa miséricorde; ce qui fait qu'en troisième lieu, « nous espérons le pardon, et nous confiant, dit le saint concile, que Dieu nous sera propice à cause de Jésus-Christ, nous commençons à l'aimer comme la source de toute justice ; » c'est-à-dire comme celui qui justifie gratuitement le pécheur; ce qui fait « que nous détestons nos péchés et prenons la résolution de commencer une vie nouvelle (1). » Voilà donc toute la structure, pour ainsi parler, de la justification uniquement appuyée sur la foi, par laquelle nous embrassons en particulier la promesse de la rémission gratuite de nos péchés à cause de Jésus-Christ, et nous y mettons notre confiance.

L’Apologie nous explique comment la foi justifie (2), par les paroles de saint Augustin, qui dit clairement : Que c'est la foi qui « nous concilie celui par qui nous sommes justifiés ; que c'est par elle que nous impétrons la justification ; que la grâce est cachée à ceux qui sont encore dans la terreur ; mais que l’âme accablée de cette crainte a recours par la foi et la miséricorde de Dieu, afin qu'il nous donne la grâce d'accomplir ce qu'il commande. » Ainsi l'efficace de la foi consiste dans l'invocation, dont elle est le fondement et conformément à cette parole de saint Paul : « Comment invoqueront-ils celui en qui ils n'ont pas cru ? » Et encore : « Tous ceux qui invoquent le nom du Seigneur seront sauvés » (3); ce qui fait dire à saint Augustin, et cet endroit est cité dans l’Apologie : « Par la foi nous connaissons le péché ; par la foi nous impétrons la grâce contre le péché; par la grâce lame est guérie de la blessure du péché ; » ce qui est précisément ce que nous croyons et ce que l’Apologie a pris de saint Paul, selon que saint Augustin l'a interprété ; ce qui montre qu'il n'y a entre nous aucune difficulté sur cette matière, puisque l'on convient de part et d'autre que c'est par la foi en Jésus-Christ et par l'interposition de son nom, que nous obtenons toutes les grâces, et en particulier celle de la rémission de nos péchés.

On voit par cette doctrine du concile et de toute l'Eglise catholique , quelle illusion Luther et les prétendus réformateurs ont

 

1 Sess. VI, cap. VI. — 2 Apol., dans le liv. de la Conc., p. 80. — 3 Rom., X, 13, 14.

 

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faite à la chrétienté, lorsqu'ils ont voulu lui faire accroire que c'étaient eux qui venaient leur apprendre de nouveau la doctrine delà justification gratuite, et de la vertu de la foi et de la confiance qu'ils doivent avoir en la pure bonté de Dieu et aux mérites de Jésus-Christ ; et il ne faut pas qu'ils s'imaginent que l'Eglise ait eu besoin de leurs avis pour renouveler cette doctrine dans le concile de Trente ; car on ne saurait montrer qu'elle l'ait jamais abandonnée ou affaiblie ; au contraire le Père Denis, capucin (1), dont notre savant auteur a souvent rapporté et approuvé la doctrine, a démontré par cent témoignages, non-seulement des auteurs particuliers, mais encore des Rituels et des Catéchismes publics, que c'a été la foi constante de toute l'Eglise, et en particulier de l'Allemagne avant Luther, de son temps et après lui, que le chrétien ne devait mettre son espérance pour la rémission de ses péchés et pour son salut éternel, qu'en la miséricorde de Dieu et dans les mérites de Jésus-Christ : il ne faudrait même pour prouver ce que j'avance, que ce que l'on dit tous les jours dans le sacrifice de la messe: « Nous vous prions, Seigneur, de nous mettre au nombre de vos Saints, non point en ayant égard à nos mérites, mais eu nous pardonnant par grâce, à cause de Jésus-Christ. »

Voilà le fond de la matière de la justification , où il est aisé de voir que jusqu'ici on est parfaitement d'accord. Ce qui reste de difficulté doit d'autant moins nous arrêter, que M. l'abbé Molanus l'expose d'une manière qui ne nous laisse presque rien à désirer, sinon que tout le parti reçoive ses expositions. Par exemple, ce serait une difficulté fort essentielle, que la doctrine qui a été embrassée de tout le parti luthérien par une décision expresse, « que les bonnes œuvres ne sont point nécessaires au salut (2) ; » mais notre illustre auteur l'abandonne, et dit même qu'il a pour lui en ce point une partie des docteurs de sa communion, ce qui me donne beaucoup de joie, et je désire avec ardeur de voir le luthéranisme purgé d'une doctrine qui introduit un si pernicieux relâchement dans la pratique de la vertu et des bonnes œuvres.

 

1 Dans le livre intit. : Via pacis.— 2 Décis. de Wormes dans Mélanchth., et dans le liv. de la Concorde.

 

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Les manières dont notre auteur a rapporté qu'on en expliquait la nécessité parmi les siens, sont de dire qu'on les reconnaît « nécessaires comme présentes, mais non pas comme opérantes le salut, dont elles ne sont ni la cause efficiente et proprement dite, ni l'instrument, mais une condition sans laquelle on ne le peut obtenir. » Toutes ces expressions, à dire vrai, ne sont que des chicanes et de pures inventions de l'esprit humain , pour affaiblir la dignité ou la nécessité des bonnes œuvres, et pour éluder ce passage : « Venez, possédez, etc., parce que j'ai eu faim, etc.; » et encore : « Faites ceci, et vous vivrez (1) ; » et encore : « Ce peu de souffrances que nous endurons en cette vie, produit un poids éternel de gloire (2) ; » et cent autres dont l'Ecriture est pleine.

L’Apologie parlé plus franchement quand elle a dit, comme on a vus, à la vérité que la rémission des péchés était gratuite», mais que « l'accomplissement de la loi, dentelle est suivie, se faisait selon la foi, et recevait par conséquent sa récompense, non pas gratuitement, mais comme due et selon les œuvres (4). Nous ne disons rien de plus fort ; et pour ce qui est des expressions de notre auteur, nous ne prétendons obliger personne à dire que les bonnes œuvres, non plus que la foi, soient la cause efficiente, ou même l'instrument du salut, qui sont des termes qu'on ne trouve point dans l'Ecriture, mais simplement à reconnaître ce qu'on y trouve à toutes les pages, que Dieu rend à chacun selon ses œuvres : que ce sont les bonnes œuvres que Dieu récompense, et qu'elles produisent ou opèrent véritablement le salut, puisqu'on vient de voir que saint Paul le dit en termes exprès (5).

Ce serait aussi une question considérable de savoir si la seule foi justifie; mais M. Molanus la concilie en disant que la foi qui nous justifie n'est pas seule ni destituée de la résolution de bien vivre, et au contraire que cette foi est une foi vive qui opère par la charité, comme dit saint Paul. Le reste n'est que chicane et subtilité, et le savant auteur demeure d'accord qu'il n'y a rien là qui nous doive beaucoup émouvoir de part et d'autre.

Il y aurait plus de difficulté à passer ce que disent les luthériens,

 

1 Matth., XXV; Luc, X, 28. — 2 II Cor., IV, 17. — 3 Sup., n. 2. — 4 Dans

le liv. de la Conc., p. 16. — 5 II Cor., IV, 17.

 

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que les péchés ne sont pas ôtés, mais seulement couverts et non imputés par la justification. Car outre que c'est diminuer les bienfaits de Jésus-Christ et le faire agir d'une manière trop humaine, que de dire qu'il n'ôte pas effectivement le péché quand il le pardonne, ce ne serait pas laisser assez d'incompatibilité entre le péché et la grâce ; ce qui donnerait lieu aux fidèles de croire qu'en demeurant pécheurs, ils pourraient en même temps être justifiés devant Dieu, et les induirait à se relâcher dans le soin de purifier leur conscience de ce qui lui déplaît. Mais M. l'abbé Molanus demeurant d'accord que ce qu'on appelle reatus, c'est-à-dire la tache du péché et ce en quoi il consiste, est véritablement ôté, cette conséquence n'a plus de lieu.

Il est vrai qu'avec tout le reste des protestants, il donne le nom de péché à la convoitise, qui demeure véritablement dans les justes ; mais comme il reconnaît que la tache ou la coulpe en est ôtée, il n'y a qu'à se bien entendre et à se faire avouer, pour terminer cette question comme beaucoup d'autres, où de vaines subtilités ont jeté les protestants, et que notre, auteur a levées en tout ou en partie dans son écrit.

Ce qui reste de plus important dans cette matière, c'est à savoir si nous sommes justifiés par une véritable justice que Dieu forme lui-même dans nos cœurs par son esprit, comme l'enseignent les catholiques, ou par la seule imputation de la justice de Jésus-Christ, comme le veulent les protestants; car il paraît jusqu'ici que c'est là parmi eux un point capital, et que c'est ce qui les oblige à distinguer la grâce qui nous justifie d'avec celle qui nous sanctifie ou nous régénère et nous renouvelle. Mais si l'on considère ce que nous accorde le savant auteur, ou de son chef, ou avec le consentement des siens, il n'y aura plus ou presque plus de difficulté. Car premièrement, il nous accorde, et en cela il est approuvé de tout le parti, que Dieu forme dans les fidèles et y fait régner une véritable justice, une véritable sainteté ; en sorte que le désordre que met en nous la concupiscence, tant qu'elle y prévaut, est effectivement ôté.

Secondement, il accorde, et ce point est très-important, que le juste accomplit la loi de Dieu, autant qu'il y est obligé par

 

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l’Evangile ou par la nouvelle alliance; d'où il résulte en troisième lieu, et il en convient, que les péchés des justes ne leur ôtent pas la Charité , qui est la véritable justice ; de sorte que l'homme est fait juste, non-seulement par imputation, mais en vérité , selon les propres principes de notre auteur.

Cela étant, on ne comprend pas quelle finesse trouvent à présent les protestants à distinguer la justification de la sanctification, et à nier que nous soyons justifiés par l'infusion que le Saint-Esprit fait en nous de la justice ou, ce qui est la même chose, de la sainteté. Aussi ne paraît-il pas qu'on se soit beaucoup arrêté à cette vaine délicatesse dans l’Apologie, ni même dans la Confession d'Ausgbourg (1). puisqu'on y approuve la définition de la justification que saint Augustin donne en ces termes : « Justifier le pécheur, dit-il, c'est d'injuste le faire juste, » ce qui est l'expression de l'Apôtre, lorsqu'il dit « que par l'obéissance d'un seul ( Jésus-Christ ) plusieurs sont rendus justes (2). » D'où vient que l’Apologie attribue perpétuellement la justification au Saint-Esprit (3), comme fait aussi le même Apôtre ; ce qui montre que ce n'est pas une imputation au dehors, mais une action et un renouvellement au dedans; et cette distinction de la justification d'avec la sanctification ou la régénération est si peu nécessaire, que ces deux choses sont souvent confondues dans l’Apologie, ainsi que les luthériens en corps en sont demeurés d'accord dans leur livre de la Concorde (4).

Pour ce qui est des catholiques, ils trouvent ce raffinement de distinguer la grâce qui nous justifie d'avec celle qui nous sanctifie et nous régénère, non-seulement inutile, mais encore dangereux pour des raisons que nous serons obligés de toucher en un autre lieu. Il me suffit maintenant de dire que l'auteur ayant remédié à ce mal et à beaucoup d'autres en cette matière, par l'approbation qu'il donne à la doctrine du Père Denis, capucin, et d'autres auteurs catholiques, nous pouvons croire qu'il aura concilié cet article, quand on se sera déclaré pour ses sentiments. Il n'y en a qu'un où nous ne pouvons nous accorder avec lui ;

 

1 Chap. des Bonnes œuvres. — 2 Rom., V, 19. — 3 Apol., p. 68, 70, etc. — 4 P. 685.

 

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et c'est celui où il soutient avec tous les siens que nous pouvons et devons être certains de notre justification et de notre salut éternel. « Car, dit-il, ou ne doute pas que nous ne soyons justifiés par la foi ; or celui qui croit sait qu'il croit ; il est donc absolument assuré de sa foi et par conséquent de son salut. » A entendre ce raisonnement, on pourrait croire que notre auteur entre dans le sentiment des calvinistes, qui se tiennent autant assurés de leur salut à venir que de leur justice présente, et qu'il combat directement dans ces deux points les catholiques qui les rejettent tous deux ; mais ce qu'il ajoute donne ouverture à la conciliation, puisqu'après nous avoir dit « qu'on est assuré absolument et avec une certitude infaillible de sa justification, » il ajoute « qu'on ne l'est pas de la même sorte de son salut, » dont, dit-il, on n'est assuré que sous condition, et en cas que l'on persévère à faire ce que Dieu ordonne. » Mais pourquoi ne dira-t-on pas qu'on n'a pas plus de certitude de l'un que de l'autre, puisqu'on n'est pas plus assuré d'avoir fait ce qu'il fallait faire pour être justifié, que de faire ce qu'il faudra faire pour parvenir au salut ? Luther même demeure d'accord qu'on n'est jamais assuré d'être sincèrement repentant, et qu'on doit craindre que la pénitence qu'on croit ressentir ne soit mie illusion de notre amour-propre (1). Mais si l'on n'est pas assuré de la sincérité de son repentir, comme il l'avoue, et qu'on soit néanmoins assuré de sa justification, comme il le prétend, il s'ensuit donc que la justification est indépendante de la pénitence, puisque si c'étaient choses connexes, on serait également assuré de l'un et de l'autre.

Qui croit, dit notre auteur, sait qu'il croit. On pourrait dire de même : Qui se repent, sait qu'il se repent ; et l'on peut également être déçu dans l'opinion qu'on a de sa foi que dans celle qu'on a de son repentir. Que si l'on veut que nous soyons toujours assurés de nos dispositions, d'où vient que saint Paul a dit : « Je ne me juge pas moi-même (2), » et encore : « Examinez-vous vous-mêmes si vous êtes dans la foi; éprouvez-vous vous-mêmes (3); » ce qui serait inutile, si l'on connaissait si parfaitement

 

1 Tract. de Indulg., edit. Witt., tom. 1, p. 59, disp. 1518, prop. 48, etc. — 2 I Cor., IV, 3. — 3 II Cor., XIII, 5

 

 

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son état, qu'il n'y restât aucun doute. Avouons donc qu'on peut avoir quelque certitude de sa foi, mais non pas une certitude infaillible, ni qui exclue tout doute, et qu'en disant : Je crois, avec celui dont parle saint Marc, il faut ajouter aussi bien que lui : Aidez mon incrédulité (1).

Si l'on admet cette certitude absolue de sa justification, il faut pousser la chose plus loin, et admettre encore avec les calvinistes la certitude absolue du salut. C'est, dites-vous, détruire la foi et l'invocation que d'établir cette incertitude de sa justification. Nous répondons : C'est donc aussi détruire la foi et l'invocation que d'établir cette incertitude de son salut. Ainsi pour tout concilier, vous n'avez qu'à raisonner conséquemment. Vous vous contentez pour le salut qu'on exclue cette incertitude qui met le trouble et l'anxiété dans les consciences : contentez-vous de la même chose pour la justification, et nous sommes d'accord.

Concluons donc en général qu'il est aisé de convenir sur la matière de la justification, puisqu'on vient de voir qu'on est d'accord de ce qu'il y a de plus important ; et que pour le reste on fait des pas si avantageux pour la paix, qu'il n'y a point d'apparence qu'on puisse s'arrêter en si beau chemin.

 

CHAPITRE II. Des Sacrements, et premièrement du Baptême.

 

Nous n'avons point ici de dispute avec les luthériens, puisqu’ils conviennent avec nous de l'efficace et de la nécessité du baptême, tant à l'égard des petits enfants que des adultes.

Mais cet article nous peut servir à éclaircir le reproche qu’ils nous font d'enseigner une doctrine pharisaïque, en disant qu'on est sauvé par le seul usage des sacrements et, comme on dit, en vertu de leur action, ex opere operato, sans qu'il soit besoin d'y apporter aucune disposition, ni d'avoir aucun bon mouvement en les recevant. C'est ce qu'on trouve répété à toutes les pages de la Confession d'Augsbourg et de l’Apologie (2), avec une exagération surprenante. Cependant nous ne disons rien qu'ils ne soient

 

1 Marc, IX, 23. — 2 Art. 13, etc.

 

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obligés de dire avec nous. S'ils disent que les adultes, pour profiter des sacrements, sont obligés d'y apporter la foi et le repentir, tous les docteurs catholiques et le concile de Trente en disent autant pour le baptême, pour la pénitence, pour la messe; pour la communion, pour tous les sacrements en général et en particulier (1). S'ils veulent que les sacrements produisent en nous quelque chose de surnaturel, qui est au-dessus de tous nos bons mouvements; et s'ils attribuent ces bons effets à la promesse, à la parole, aux mérites de Jésus-Christ et à l'efficace de sa mort, c'est précisément notre doctrine dans tous les endroits qu'on vient de marquer. Si nous disons que la vertu des sacrements est si grande, que leur effet s'étend jusqu'aux enfants qui n'ont pas l'usage de la raison, on voit que les luthériens en sont d'accord. L'ancienne Eglise montrait bien qu'elle avait la même opinion de l'Eucharistie, lorsqu'elle l'administrait aux enfants aussi bien que le baptême, par une coutume bonne en elle-même, et qui n'a été changée que par des raisons de discipline. On leur donnait la Confirmation avec le Baptême, quand l'évêque était présent. C'était aussi la coutume de donner la pénitence et la réconciliation à ceux qui les avaient demandées ; et l'on y reconnaissait pour eux une grâce occulte, encore que dans le temps qu'on les leur donnait ils fussent sans connaissance. Ainsi tous les sacrements ont leur efficace, non point par les éléments qu'on y emploie; mais comme on l'a déjà dit, en vertu de la parole et des promesses, qui est ce qu'on appelle dans l'Ecole, ex opere operato.

Sur l'intention du ministre, notre auteur ne trouve rien à reprendre dans le sentiment de quelques-uns de nos auteurs; et l'on est libre de le suivre, puisqu'il avoue que l'Eglise ne l'a pas improuvé.

 

DE L'EUCHARISTIE, ET PREMIÈREMENT DE LA PRÉSENCE RÉELLE.

 

Il y a beaucoup à louer Dieu de ce que cet article, qui est le plus difficile, et pour mieux dire le seul difficile dans nos controverses, est demeure inviolable et dans son entier parmi les luthériens ;

 

1 Sess. VI, XIII, XIV, XXIV.

 

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ce qui montre mie providence particulière pour faciliter leur retour. Car quoi qu'on puisse dire, ils croient la réalité comme nous et Jésus-Christ présent tout entier en son corps et en son sang, en son âme et en sa divinité, comme l'explique l’Apologie (1) ; et c'est pourquoi elle ajoute que la présence qu'elle reconnaît, est la présence « de Jésus-Christ vivant, puisque nous savons, dit-elle, que la mort ne le domine plus ; » ce qu'il est bon de remarquer à cause des luthériens, qui ne songeant pas aux décrets publics de leur religion, semblent quelquefois se moquer de ce que nous appelons la concomitance.

Pour ce qui est de l'ubiquité, encore qu'elle soit suivie de presque tous les luthériens, le savant auteur nous en délivre avec raison, puisqu'elle ne se trouve point dans la Confession d'Augsbourg, dans l’Apologie ni dans les Articles de Smalcalde ; et c'est ôter un grand scandale, que d'exterminer ce prodige de toutes les écoles chrétiennes.

 

DE LA TRANSSUBSTANTIATION.

 

Il n'y a plus de difficulté sur cet article, si l'on croit avec notre auteur «qu'il se fait dans l'Eucharistie, parla vertu des paroles de l'institution, un changement mystérieux par lequel se vérifie cette proposition si usitée par les Pères : Le pain est le corps de Jésus-Christ ;  et il remarque très-bien que cette proposition ne peut être « vérifiée que par un changement réel, puisque le pain n'étant pas de soi-même le corps de Jésus-Christ, il ne le peut être sans le devenir» par un changement aussi véritable que celui qui arriva dans les noces de Cana en Galilée, lorsqu'on y but, comme dit saint Jean (2), de l'eau faite vin. C'est ainsi que nous mangeons le pain fait corps, et que nous buvons le vin fait sang. Au reste, nous accordons facilement à l'auteur que « sans entrer dans la manière dont se fait ce changement, nous nous contentions de dire que du pain on fait le corps de Jésus-Christ par un secret et impénétrable changement

Et il ne faut point que les luthériens reprochent à notre auteur qu'en cela il se soit éloigné des principes de sa religion, puisqu'il

 

1 Apol., p. 157, 158. — 2 Joan., II, 9.

 

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est vrai, comme il le remarque, que Luther n'a point eu d'aversion de cette doctrine, et qu'en effet il déclare qu'il ne la rejette qu'à cause qu'on le pressait trop de la recevoir C'est pourquoi il trouva bon qu'on insérât et qu'on approuvât dans l’Apologie (2) le canon de la messe grecque, où celui qui offre le sacrifice prie Dieu en paroles claires, «que du pain changé, il se fasse le corps de Jésus-Christ; » à quoi l'on pouvait ajouter que ce changement est marqué comme fait par l'opération du Saint-Esprit, afin qu'il paroisse encore plus réel et plus effectif, étant produit par une action toute-puissante.

On loue encore, dans la même Apologie (3), un passage de Théophylacte, archevêque des Bulgares, qui dit en termes exprès « que le pain n'est pas seulement une figure, mais qu'il est vraiment changé en chair. » Tous ces passages, qui marquent un si réel changement du pain au corps, sont rapportés dans l’Apologie, à l'occasion de la Confession d'Augsbourg, où il s'agissait de s'expliquer sur la présence réelle; ce qui montre que, pour la bien expliquer, on tombe naturellement dans le changement de substance; et par la même raison, quand Luther voulut expliquer cette présence d'une manière si précise qu'elle ne laissât aucune ambiguïté, il tomba dans cette expression, dont notre auteur vient de dire qu'elle ne se peut vérifier que par un véritable changement : « Dans la Cène, le pain et le vin sont vraiment le corps et le sang de Jésus-Christ (4); » et c'est ainsi que tout le parti assemblé à Smalcalde avec Luther, dressa l'article de l'Eucharistie, pour le présenter en cette forme au concile qu'on allait tenir. Ainsi plus on veut parler nettement et précisément sur la présence réelle, plus on tombe dans les expressions qui n'ont de sens qu'en admettant un changement de substance en substance; c'est-à-dire, en d'autres termes, la transsubstantiation que nous confessons.

 

DE LA PRÉSENCE HORS DE L’USAGE.

 

Nous n’avons point à disputer avec notre auteur de cette

 

1 Luth., de captiv. Babyl., etc. — 2 Apol., n. 15. — 3 Ibid. — 4 Art. Smalc , 6, in lib. Conc., p. 330.

 

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présence, puisque nous venons d'entendre que « par la consécration, et en vertu des paroles de l'institution . le pain est fait le corps de Jésus-Christ. » Il est donc fait tel aussitôt que les paroles sont prononcées; et il ne dit rien en cela de particulier, puisque même ce sentiment est autorisé dans l’Apologie par la messe grecque (1), où l'on voit la consécration avec son effet entièrement distinguée de la manducation.

Ce n'est donc pas sans raison que notre auteur a parlé dans le même sens, ni qu'il reconnaît Jésus-Christ présent aussitôt après les paroles, puisque le Sauveur n'a pas dit : Ceci sera, mais : Ceci est; et qu'il ne commande pas de manger l'Eucharistie, afin qu'elle fût son corps, mais parce qu'elle l’était. Que si mie fois on laisse affaiblir la simplicité de cette parole, tous les arguments de Luther et des luthériens, sur la force de la parole et sur la nécessité de retenir le sens littéral, tomberont par terre, et Zuingle, et OEcolampade avec Bérenger, leur premier auteur, gagneront leur cause.

Aussi ne voyons-nous pas que Luther, qui contestait autant qu'il pouvait, ait rien contesté sur cela. Il n'a ôté l'élévation qu'en 1542 ou 1543, vingt ans et plus après sa Réforme; et loin de l'avoir ôtée comme une chose mauvaise, il déclare encore dans sa Petite Confession en l'an 1544, qu'elle peut être gardée comme un témoignage delà présence de Jésus-Christ. Je passe les témoignages de l'antiquité, la réserve de l'Eucharistie dès les premiers temps, la coutume de la porter aux absents et aux malades, celle du sacrifice des Présanctifiés, ancien et si solennel dans tout l'Orient pour ne rien dire de plus, et beaucoup d'autres exemples, où il paraît qu'on ne croyait pas que l'Eucharistie réservée perdit sa vertu, ni la présence de Jésus-Christ. On ne voit donc pas pourquoi elle la perdrait, lorsqu'on la porte en cérémonie, puisque même cette hostie qu'on porte doit être mangée selon les lois de l'Eglise ; ce qui suffit pour y conserver toute l'essence de ce sacrement.

 

DE L'ADORATION.

 

Notre auteur a cru voir quelque division entre les catholiques

 

1 Apol., ibid.

 

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sur ce qu'ils adorent dans l'Eucharistie, les uns voulant, dit -il, que ce soit l'hostie, et les autres Jésus-Christ présent, à quoi il souhaite que l'on s'accommode. Mais l'accommodement est aisé; et le concile de Trente lui accorde ce qu'il demande, lorsqu'il détermine que l'objet de l'adoration est Jésus-Christ présent et, ce qui est la même chose, « le sacrement, en tant qu'il contient ce même Dieu dont il est écrit : Que tous les anges l'adorent. » C'est en ce sens que Luther a nommé le sacrement adorable (1) jusqu'à la fin de sa vie, afin qu'on ne soupçonne pas qu'il ait changé. Voilà donc ce qu'on adore parmi nous, et non autre chose ; et si quelques-uns ont voulu qu'on adorât les espèces, c'est par accident; de même qu'en se prosternant devant l'Empereur, on se prosternait par accident devant la pourpre qu'il portait.

 

DU SACRIFICE.

 

L'auteur décide en un mot cette question, lorsqu'il déclare qu'on « pourrait peut-être accorder que l'Eucharistie n'est pas seulement un sacrifiée commémoratif et improprement appelé tel, mais encore une certaine oblation incompréhensible du corps de Jésus-Christ, auquel sens c'est un véritable sacrifice, et même proprement dit d'une certaine manière. « Il n'y a là que le peut-être à ôter, pour nous accorder ce que nous demandons. Car si l'auteur paraît avoir quelque peine d'avouer sans restriction que c'est ici un sacrifice proprement dit, il déclare que c'est par rapport à l'acception du mot de sacrifice, selon laquelle il enferme la mort et l’occision effective de la victime. Mais au reste, qui peut douter que la présence de Jésus-Christ ne soit par elle-même agréable à Dieu ; que le lui rendre présent de cette sorte, ne soit en effet le lui offrir de cette manière incompréhensible que l'auteur admire? De sorte que la doctrine de la présence réelle infère naturellement celle du sacrifice ; et si nous considérons tout ce qu'allègue l'auteur pour l'établir, assurément le peut-être n'aura plus de lieu, puisqu’il a rapporté huit ou dix passages des Pères les plus anciens, et des églises entières, où le sacrifice de l'Eucharistie est appelé « un très-véritable et singulier sacrifice: une immolation invisible

 

1 Cont. art. Lovan , art. 28.

 

 

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du corps de Jésus-Christ, qui en devait précéder la manducation extérieure et sensible : une oblation qui a succédé à toutes celles de l'ancienne alliance, où la vérité de l'oblation subsiste dans son entier, n'y ayant que la forme qui en soit changée; » et le reste qu'on peut voir dans son savant écrit. Il conclut donc que « si les protestants veulent parler comme les Pères, il n'y aura plus rien ici qui nous arrête. » En effet la force de la vérité a obligé l’Apologie à louer en plusieurs endroits la liturgie ou la messe grecque, conçue dans le même esprit aussi bien que dans les mêmes termes que la latine, puisque partout on ne cesse d'y inculquer l'oblation du corps et du sang de Jésus-Christ comme d'une victime salutaire.

 

DES MESSES PRIVÉES.

 

Quelque aversion que les protestants témoignent pour les messes sans communiants, qu'on appelle les messes privées, il est certain toutefois qu'ils en ont conservé l'usage. L'auteur a rapporté comme un fait constant et reçu « dans leurs églises, que lorsqu'il n'y a point d'assistants, les pasteurs ne laissent pas de se communier eux-mêmes. »

Il est vrai qu'il allègue ici le cas de nécessité; mais il n'y a personne qui ne voie que si Jésus-Christ avait défendu de prendre la Cène de cette sorte, il vaudrait mieux ne point communier que de communier contre son précepte, d'autant plus que notre auteur soutient dans son écrit qu'il n'y a point de commandement absolu de communier ; mais il y en a un très-exprès, supposé que l'on communie, de le faire selon les termes de l'institution ; ce qui montre que dans sa pensée et dans celle des autres protestants, pour sauver le fond de l'institution, il suffit de dresser la table de Notre-Seigneur et d'inviter les fidèles à son festin, comme le concile de Trente l'a pratiqué (1); n'étant pas juste que la table du grand Père de famille ne se tienne pas ou que les pasteurs cessent d'y participer, sous prétexte que les assistants s'en retirent, ou par respect, ou autrement.

Cette doctrine est confirmée par notre auteur, lorsqu'il dit

 

1 Sess. XXII, cap. VI.

 

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qu'après l'union préliminaire qu'il propose, il ne prétend pas qu'on empêche les luthériens d'entendre les messes privées des catholiques : marque certaine qu'on ne les croit pas dans le fond du cœur si mauvaises qu'on le dit ; et que l'aversion qu'on en témoigne est attachée, ou à des abus, ou à de fausses interprétations des sentiments de l'Eglise, comme il serait aisé de le faire voir dans la Confession d'Augsbourg et dans l’Apologie.

 

DE LA COMMUNION SOUS LES DEUX ESPÈCES.

 

Celte pratique des protestants sur les messes sans communiants, nous ouvre une voie pour leur faire entendre la faiblesse des raisonnements dont ils se servent sur la communion sous les deux espèces. Car cette communion n'est pas plus de la substance de l'institution que la communion des assistants, toutes les fois qu'on célèbre. Jésus-Christ n'a pas célébré seul; il n'a pas pris seul le pain céleste, mais il l'a pris avec ses disciples, à qui il a dit : « Prenez, mangez, buvez tous; faites ceci; » et toutefois M. Molanus et avec lui, comme il l'avoue, les églises luthériennes demeurent d'accord que l'on peut célébrer la Cène sans d'autre communiant que le ministre; c'est-à-dire, comme parle notre auteur lui-même, la célébrer d'une autre manière que celle « que Jésus-Christ a instituée , et autrement qu'elle n'est décrite dans l'Evangile » ( ce sont ses propres paroles ) ; d'où il résulte qu'il ne s'ensuit pas que tout ce que Jésus-Christ a dit, fait et institué, soit de la substance de l'institution ; ce qui se confirme encore par la fraction, qui n'a pas été faite sans mystère, puisque Jésus-Christ a dit : « Ceci est mon corps rompu pour vous ; » et néanmoins les luthériens ni ne la pratiquent ni ne la croient nécessaire, et ils retranchent sans scrupule une action qui représente le corps du Sauveur rompu à la croix par ses blessures. C'est donc, selon eux comme selon nous, un principe incontestable, qu'il n'est pas nécessaire de pratiquer dans la célébration de ce sacrement tout ce que Jésus-Christ y a pratiqué, mais seulement ce qui appartient à la substance : or la substance est Jésus-Christ, qui se trouve avec son corps et son sang, son âme, sa divinité et sa personne toute entière sous chaque espèce, ainsi que nous avons vu que

 

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les luthériens on sont d'accord (1). Le dessein essentiel de l'institution est d'annoncer, comme dit saint Paul (2) , la mort de Notre-Seigneur, laquelle selon les paroles de l'institution et le récit que nous en fait le même Apôtre (3), est annoncée et rappelée en notre mémoire à la distribution de chaque espèce. On ne fait point de procès aux Grecs, qui n'annoncent pas la mort de Notre-Seigneur, dans le mélange des deux espèces mieux que nous, qui en donnons séparément une seule. Ce n'est pas aussi par mépris que l'Eglise a réduit le peuple à une seule espèce, puisqu'elle trouve très-bon que ceux des Grecs, qui sont dans sa communion, reçoivent les deux et que souvent elle les accorde à ceux qui les demandent avec humilité. Nous pouvons encore ajouter que la défense de recevoir l'une des espèces ne vient pas directement de l'Eglise ; mais que les peuples s'en étant retirés d'eux-mêmes par la crainte des inconvénients qui arrivaient tous les jours, l'Eglise a changé en loi une coutume reçue, de la même manière qu'elle a ôté, comme tout le monde sait, l'immersion dans le baptême, qui n'y est pas moins nécessaire que le sont les deux espèces à l'Eucharistie. Aussi est-il bien constant que Luther n'a pas tant pressé d'abord l'obligation de communier sous les deux espèces, puisqu'au contraire il a parlé du rétablissement de la coupe faite d'abord sans son ordre par Carlostad, comme d'une chose indifférente, semblable à celle de prendre l'hostie de la main (4) plutôt que de la bouche, et même comme d'une chose de néant; et c'est un fait bien constant, que quinze ou vingt ans après sa Réforme, plusieurs y communiaient encore sous une espèce, sans pour cela qu'on les rejetât de la table ou de la communion. En un mot, tout le dessein de l'Eglise en cette matière a toujours été qu'on lui demande plutôt humblement la coupe que de l'arracher par force, de peur aussi que par là on ne paroisse accuser l'Eglise , et changer les coutumes reçues dans l'administration des sacrements, avec plus d'emportement que de piété.

 

1 Ci-dessus, n. 3. — 2 I Cor., XI, 26.— 3 Ibid., 24-26. — 4 Epist. ad Gustol.

 

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DES CINQ AUTRES SACREMENTS, ET PREMIÈREMENT DE LA PÉNITENCE ET DE L'ABSOLUTION.

 

La Confession d'Augsbourg veut que l'on conserve l'absolution privée; et dans les anciennes éditions, on condamne les novatiens, qui ne voulaient pas absoudre ceux qui étaient tombés après le baptême. Conformément à cette doctrine, l’Apologie décide que « l'absolution peut proprement être appelée un sacrement » Elle ajoute « que le baptême, la Cène et l'absolution sont de véritables sacrements, qui sont établis par le commandement de Dieu, avec promesse de la grâce propre à la nouvelle alliance ; et que c'est une erreur de croire que par la puissance des clefs, les péchés ne soient pas remis devant Dieu, mais seulement devant l'Eglise. » Je ne vois pas ce que l'on pourrait dire davantage.

 

DES TROIS ACTES DU SACREMENT DE PÉNITENCE, ET PREMIÈREMENT DE LA CONFESSION.

 

Le concile de Trente et toute l'Eglise catholique établit trois actes du pénitent dans le sacrement de Pénitence, la contrition, la confession et la satisfaction.

Pour la contrition et la repentance on est d'accord qu'elle est absolument nécessaire pour recevoir l'absolution.

A l'égard de la confession, Luther et tout le parti déclarent, dans les Articles de Smalcalde, « qu'il ne la faut point abolir, non plus que l'absolution (2). » Il est vrai que la Confession d'Augsbourg semble rejeter le dénombrement des péchés (3), parce qu'il est impossible, conformément à cette parole : « Qui connaît ses péchés ? » Mais la Petite Confession de Luther, qui est reçue dans tout le parti parmi les écrits symboliques, résout la difficulté par ces paroles : « Nous nous devons regarder devant Dieu comme coupables de tous les péchés; mais à l'égard de son ministre, nous

 

1 In lib. Conc., p. 200 et seq. — 2 Art. Smalc. 8.— 3 Confess. August., art. 11.

 

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devons seulement confesser ceux qui nous sont connus et que nous sentons dans notre cœur (1) ; » après quoi on ordonne au confesseur d'interroger le pénitent en cette sorte : « Croyez-vous que mon pardon soit celui de Dieu ? » Et après qu'il a répondu : « Je le crois, » le confesseur lui doit dire : « Qu'il vous soit fait selon votre foi ; et moi, par le commandement de Notre-Seigneur Jésus-Christ, je vous remets vos péchés, au nom du Père, etc. » Les confesseurs catholiques n'en font pas davantage.

 

DE LA SATISFACTION.

 

Il est vrai que la Confession d'Augsbourg et l’Apologie s'opposent beaucoup à la satisfaction ; mais c'est plutôt au tenue qu'à la chose même, puisqu'elle dit « que les bonnes œuvres et les afflictions, » qui sont en d'autres paroles ce que nous appelons les pénitences, « méritent non pas la justification, mais d'autres récompenses (2); » et en parlant des aumônes, qui sont comptées par les catholiques parmi les œuvres satisfactoires les plus importantes : «Nous accordons, dit l’Apologie, qu'elles méritent beaucoup de grâces , qu'elles adoucissent les peines, qu'elles nous méritent la grâce d'être protégés dans le péril du péché et de la mort (3); » ce qui est manifestement dire avec nous en d'autres ternies qu'elles apaisent Dieu, et qu'elles satisfont en quoique manière à sa justice.

Quand donc les luthériens trouvent si mauvais que nous croyions pouvoir satisfaire à Dieu, ils l'entendent visiblement d'une satisfaction exacte et complète qui en effet n'appartient qu'à Jésus-Christ, et nous n'avons jamais seulement pensé le contraire ; mais si Jésus-Christ a pu offrir seul une entière satisfaction, il ne s'ensuit pas pour cela que nous ne puissions et ne devions faire par sa grâce le peu que nous pouvons pour l'imiter, en nous affligeant par le jeune dans le sac et la cendre, « et rachetant nos péchés par nos aumônes (4), » comme dit Daniel ; faisant enfin ce que nous pouvons pour contenter Dieu, et lui offrant à l'exemple de l'ancienne Eglise dès les premiers temps, nos telles quelles satisfactions, qui tirent tout leur prix des mérites de

 

1 Dans le liv. de la Conc., p. 178. — 2 P. 136. — 3 P. 117. — 4. Dan., IV, 24.

 

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Jésus-Christ et ne sont reçues qu'en son nom, ainsi que nous l'avons dit (1) avec le concile de Trente (2).

 

DES QUATRE AUTRES SACREMENTS.

 

Nous trouvons donc déjà dans l’Apologie trois sacrements proprement dits, le Baptême, la Cène, l'Absolution, qui est, dit-elle, le sacrement, de Pénitence. En voici un quatrième : « Si l'on entend par le mot Ordre le ministère de la parole, nous n'aurons point de peine, dit l'Apologie, à l'appeler un sacrement, puisqu'il est fondé sur le commandement de Dieu, et qu'il a de magnifiques promesses. (3). »

La même Apologie reconnaît « la Confirmation et l'Extrême-Onction comme des symboles sacrés, ou de saintes cérémonies qu'on a reçues des saints Pères, encore qu'elles ne soient point nécessaires au salut (4). » Mais premièrement, il faut convenir que les Pères, dont on reconnaît que nous les avons reçues, nous les ont données comme tirées de l'Ecriture : savoir la Confirmation, de cette célèbre imposition des mains par laquelle les apôtres donnaient le Saint-Esprit ; et l'Onction des malades, qu'on appelle ordinairement Extrême-Onction, des propres paroles de saint Jacques, qui assigne à ce sacrement les prêtres pour ministres ; pour l'action extérieure, l'onction avec la prière ; et pour la promesse, celle de la rémission des péchés, qui ne peut venir d'autre que de Jésus-Christ, et dont l'apôtre saint Jacques n'a pu être que l'interprète. Il en est de même des apôtres, lorsqu'ils donnaient le Saint-Esprit. On voit bien qu'ils ne peuvent avoir été les instituteurs ni les auteurs d'un tel don, et qu'ils n'ont fait qu'accomplir la promesse de Jésus-Christ, qui leur avait si souvent promis cet esprit de force qu'ils reçurent à la Pentecôte, et qu'ils répandirent ensuite par l'imposition de leurs mains. Tout cela manifestement ne peut être qu'une institution divine ; et c'est gratuitement, et contre toute la tradition, qu'on a osé dire qu'elles n'étaient que temporelles; ce qui aussi ne s'accorde pas avec ce qu'on vient de voir dans l’Apologie, qu'elles sont reçues des Pères.

Quant à ce qui est porté dans la même Apologie, que ces

 

1 Ci-dessus, chap. I, n. 4. — 2 Sess. XIV, cap. VIII. — 3 P. 101. — 4 Ibid.

 

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cérémonies, bien qu'elles soient anciennes, à quoi il fallait ajouter, et prises de l'Ecriture, ne sont pas nécessaires au salut, ce n'est pas assez pour les exclure du nombre des sacrements, puisqu'on est d'accord que l'Eucharistie n'est pas de même nécessité que le Baptême ; et même que les luthériens disent, aussi bien que notre auteur, qu'il n'y a point de commandement absolu et précis de la recevoir. Ainsi ce ne sera pas une raison pour exclure un rit ou une action et cérémonie extérieure du nombre des sacrements, et il suffit qu'on y trouve une institution divine avec la promesse de la grâce.

De cette sorte le mariage ne peut être exclu de ce nombre, puisque déjà on ne doute pas que ce ne soit une institution divine, et qu'il ne soit établi comme un sacrement et un mystère de l'union de Jésus-Christ avec son Eglise. Car encore qu'il soit véritable, comme le dit notre auteur, que c'est une institution qui a précédé l'Evangile, et ainsi qui ne peut être attribuée spécialement à Jésus-Christ, il ne laisse pas d'être bien certain que Jésus-Christ l'a rétablie selon sa forme primitive ; ce qui suffit pour en faire un sacrement de la loi de grâce.

Pour les promesses, l’Apologie demeure d'accord qu'il y en a dans le mariage (1) ; et si elle dit qu'elles « sont plutôt temporelles que spirituelles, » ce serait une étrange erreur de rejeter ces grandes promesses, qui regardent la production et l'éducation des enfants de Dieu et des héritiers de son royaume, et qui sont données pour sanctifier cette admirable union de corps et d'esprit, qui est spécialement établie pour figurer l'union intime de Jésus-Christ avec l'Eglise. C'est pourquoi les anciens docteurs n'ont point hésité à mettre le Mariage parmi les sacrements de l'Eglise, jusque-là, que saint Augustin (2), comme sait très-bien M. Molanus, le compare au Baptême, afin qu'on ne doute pas qu'il ne l'ait tenu pour un sacrement véritable.

Ce n'est donc pas sans raison que ce docte auteur a regardé la controverse des sacrements comme consistant plutôt dans les mots que dans les choses, et pouvant être, non-seulement diminuée, mais encore conciliée tout à fait par l'intelligence des termes ; de

 

1 P. 202. — 2 August, de Nupt. et concup., lib. I, cap. X, ubi sup.

 

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sorte qu'il ne paraît pas qu'on puisse s'y arrêter, surtout après que l'on a vu les difficultés principales manifestement terminées par les Confessions de foi des luthériens et par leurs écrits authentiques.

 

CHAPITRE III. DU CULTE ET DES COUTUMES ECCLÉSIASTIQUES, ET PREMIÈREMENT DU CULTE ET DE L'INVOCATION DES SAINTS.

 

Sur cela il ne faut point d'autre conciliation que celle qui est proposée par notre savant auteur, qui est que les catholiques déclarent qu'ils ne prétendent demander aux Saints, qui sont avec Dieu, de prier pour eux qu'au même sens et dans le même esprit qu'ils demandent la même chose aux Saints qui sont sur la terre ; et qu'en quelques termes que soit conçue cette prière, elle s'entend toujours par manière d'intercession ; comme lorsqu'Elie disait à Elisée : « Demandez-moi ce que vous voudrez, afin que je le fasse avant que d'être séparé de vous ; et Elisée répondit : Que votre esprit soit en moi (1). » On entend bien que ce n'était pas à Elie à disposer de l'esprit qui était en lui, qui était l'esprit prophétique et l'esprit des miracles, ou de quelque sorte qu'on voudra entendre ce double esprit d'Elie.

Il en est de même des autres grâces que nous demandons aux Saints, soit à ceux qui sont avec Dieu, ou à ceux qui sont encore sur la terre. On entend naturellement qu'on ne leur demande rien qu'à cause qu'on sait que Dieu accorde beaucoup à leurs prières ; ce qui nous fait sentir la bonté de Dieu, et ne blesse point sa souveraine grandeur, ni le culte qui lui est dû. Au reste il n'est pas besoin que nous fassions sur cela une nouvelle déclaration, puisqu'elle est déjà toute faite dans le concile de Trente (2) ; et que d'ailleurs il ne reste plus aucune difficulté sur cette matière, puisqu'on est d’accord, par l'aveu constant des calvinistes mêmes, qui ont tait des livres exprès sur ce sujet, qu'en ce point et sur celui des reliques, notre pratique était établie, pour ne pas ici remonter

 

1 IV Reg., XI, 9. — 2 Sess. XXIV, de Invoc. Sanctorum.

 

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plus haut, aux quatrième et cinquième siècles, dont les luthériens un peu modérés font profession de révérer la doctrine.

 

DU CULTE DES IMAGES.

 

Luther et les luthériens ont démontré, aussi bien que les catholiques, par des raisonnements invincibles, que ce commandement du Décalogue : «Tu ne te feras point d'images taillées, » etc., ne regardait que les idoles dont les hommes faisaient des dieux. Par là il est démontré que l'usage que nous faisons des images n'est point marqué ni réprouvé par ce précepte. Par les mêmes raisons, le même Luther et les luthériens ont condamné les brise-images, et ont conservé les images dans les églises comme des monuments pieux, et propres à rafraîchir la mémoire des choses saintes ; et cela même n'est autre chose qu'un commencement du culte que nous leur rendons et le principe certain d'où on le déduit, puisque les images, comme notre auteur en convient, « servent à renouveler le souvenir de Jésus-Christ et des choses célestes et avec le souvenir les pieuses affections et sentiments qui en naissent. » Mais après que ces sentiments sont excités, quel inconvénient peut-on trouver à les exprimer au dehors par des actions convenables, puisque ces actes du dehors ne sont après tout qui un signe et un témoignage des sentiments intérieurs , et une espèce de langage pour les exprimer ? L'auteur, pour retrancher les abus, empêche qu'on ne croie « dans les images aucune divinité et aucune vertu pour lesquelles on les adore ; » et cela est de mot à mot la même chose que le concile de Trente a enseignée (1). Ce qu'ajoute judicieusement le même auteur sur le serpent d'airain, est convaincant pour faire voir que les démonstrations extérieures d'attachement et de confiance qu'on fait devant les images, ne s'y terminent pourtant pas, et que les choses sensibles ne font qu'avertir l'esprit de s'élever plus haut. C'est aussi ce qui est porté dans le concile septième, qui est le second de Nicée, « que l'honneur de l'image se rapporte à l'original. » Le même concile transcrit un beau passage de Léonce, où il dit « que les chrétiens font bien voir que leur adoration ne se termine pas à une croix,

 

1 Sess. XXV.

 

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lorsqu'ayant séparé les deux bois dont elle est composée, non-seulement ils ne l'adorent plus, mais encore ils les jettent à terre ou les brûlent ; ce qui montre que dans l'honneur qu'ils rendaient auparavant à la croix, ils ne regardaient que la figure, qui les attirait au-dessus de toutes les choses visibles (1) ; en sorte que leur esprit était élevé a Jésus-Christ pendant que leurs yeux semblaient être attachés à cette matière sensible. M. Molanus a très-bien entendu que cette disposition de l'esprit n'a rien de blâmable; et Luther ayant démontré d'ailleurs, comme on vient de voir, que la défense du Décalogue regarde toute autre chose que cet usage des images, visiblement il ne reste plus aucune difficulté sur cette matière.

L'objection que l'on tire du terme d’adoration, est une vieille chicane fondée sur une équivoque ; et les abus qu'on relève tant, encore que je confesse qu'il les faudrait empêcher, ne peuvent être un sujet de séparation, puisqu'après tout il est bien constant que personne n'est tenu de les suivre.

 

DE LA PRIÈRE ET DE L'OBLATION POUR LES MORTS.

 

M. Molanus a produit sur ce sujet le témoignage de l’Apologie, et il est vrai qu'il est décisif, puisqu'on y voit ces paroles : «Nous n'empêchons pas qu’on ne prie pour les morts;» et pour montrer dans quel esprit on doit faire cette prière, elle ajoute : « Saint Epiphane rapporte qu'Aérius croyait inutiles les prières pour les morts; mais nous ne prétendons point soutenir Aérius en cela. » Ainsi ces prières sont utiles, et le sont aux morts, puisque c est le contraire de cela que saint Epiphane, dont on loue le témoignage, a blâmé dans Aérius. « Les prières, dit ce Père, qu'on fait pour les morts leur sont utiles (2). » Saint Augustin prêche aussi à son peuple « qu'il ne faut nullement douter que les prières ne servent aux morts, puisque ce n'est pas en vain qu'on les fait pour eux (3). » Dans ce même endroit, il fait souvenir « le peuple de la coutume ancienne et universelle de l'Eglise, de faire mention expresse des morts dans le sacrifice, et d'exprimer qu'on l'offre pour eux;» d'où il conclut que cette oblation « leur est utile,

 

1 Act. IV et VII, ubi suprà. — 2 Haer. 75, ubi supra.— 3 Serm., XXXII, de Verbis Apost.

 

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pour être traites de Dieu plus doucement que leurs péchés ne méritent. »

C'est aussi ce qu'exprime saint Epiphane, lorsqu'il condamne Aérius, qui disait : « Que sert aux morts qu'on récite leurs noms après leur mort? » Où il fait une allusion manifeste à la coutume de les nommer dans le sacrifice , comme on vient de le voir dans saint Augustin; et c'est pourquoi ce même Père, dans l’Extrait qu'il fait du livre des Hérésies de saint Epiphane (1), rapporte celle d'Aérius, en ces termes : « Il disait qu'il ne fallait point offrir ni prier pour les morts. »

Les liturgies des Grecs, souvent louées dans l’Apologie, confirment cette pratique et cette doctrine, puisqu'on y récite encore aujourd'hui les noms des fidèles trépassés, en disant : « Pour le repos de l’âme d'un tel et d'un tel, et pour la rémission de leurs pèches ; » et saint Cyrille de Jérusalem, le plus savant et le plus ancien interprète de la liturgie, dit «qu'on offre le sacrifice en mémoire des apôtres et des martyrs (2); » mais qu'il « y a d'autres morts pour qui l'on prie, par la foi certaine qu'on a que leurs âmes sont soulagées par le sacrifice qui est sur l'autel, et par l'oblation qu'on y fait pour eux du corps et du sang de Jésus-Christ. »

Il ne reste donc aucun doute qu'on ne priât pour les morts dans le dessein de les soulager, ainsi que nous faisons ; et comme les luthériens déclarent en corps dans l’Apologie qu'ils ne veulent pas s'opposer à cette pratique, la question est décidée par cet aveu.

Nous sommes bien aises d'apprendre de M. Molanus qu'une partie des luthériens approuve non-seulement cette prière, mais encore la pratique. C'est un reste des sentiments anciens que nous honorons dans le luthéranisme. Mais comme on a vu que l'antiquité, dont on veut suivre ici les sentiments, parie également de la prière et de l'oblation pour les morts, il ne faut pas diviser son témoignage, et l'une et l'autre pratique est également recevable.

 

1 August., Haer. 53, ubi sup. — 2 Cyril., Catech. myst., v, p. 328.

 

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DU PURGATOIRE.

 

M. Molanus paraît embarrassé à expliquer ce qu'on pourra faire sur cette matière en faveur des catholiques, et il se réduit à tenir la chose pour problématique, selon le sentiment qu'il attribue à saint Augustin. Mais la chose est maintenant bien facile, puisqu'on a vu dans saint Epiphane et dans les liturgies grecques, dont l’Apologie reçoit l'autorité, que les prières et les oblations faites pour les âmes des morts sont faites pour leur soulagement. Ces âmes sont donc en état d'être soulagées, par conséquent dans un état pénible ; et ce n'est pas de quoi a douté Augustin , puisqu'on vient de voir qu'il a dit « qu'il ne faut nullement douter que ces prières et ces oblations ne soulagent les âmes des morts ; » ce qu'il répète par deux fois, et qu'il inculque jusqu'à dire que c'est la pratique ancienne et universelle de toute l'Eglise. On voit que s'il a douté de quelque chose en cette matière , ce n'est pas du fond des peines dont les âmes peuvent être délivrées, mais de la manière dont elles sont affligées, par exemple, si c'est par un feu matériel. C'est de cela seulement que saint Augustin a douté, comme il paraît par les passages qu'on eu produit, et l'Eglise n'a rien décidé sur ce sujet.

 

DES VŒUX MONASTIQUES.

 

L'auteur approuve le fond des institutions et observances monastiques , à la réserve du vœu de continence perpétuelle. Mais l’Apologie a tranché plus net, puisqu'elle a mis au nombre des saints, saint Antoine, saint Bernard, saint Dominique, saint François , qui certainement ont voué et fait vouer la continence perpétuelle à ceux qui se sont rangés sous leurs instituts.

On peut aussi remarquer ici que saint Bernard, saint Dominique, saint François, qui constamment ont vécu et cru comme nous, et qui comme nous ont dit et ouï la messe, sont mis au rang des saints dans l’Apologie. Il n'y a donc rien , parmi nous, qui exclue de h sainteté et du salut; ce qui tranche tout en un mot.

 

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Au reste l'état monacal n'étant pas de commandement, cet article ne peut donner à personne un légitime sujet de séparation.

 

CHAPITRE IV. Des moyens d'établir la foi, et premièrement de l'Ecriture et des traditions non écrites.

 

La Vulgate, à qui le nom de saint Jérôme et l'usage de tant de siècles attire la vénération des fidèles, est reconnue pour authentique dans le concile de Trente d'une manière qui ne blesse point l'illustre auteur, puisqu'il demeure d'accord, et qu'il a solidement prouvé par beaucoup d'auteurs catholiques, que cette authenticité ne tend point à affaiblir L'autorité du texte original, ni des autres anciennes versions qui ont été usitées dans les églises ; mais à la préférer aux autres versions latines qu'on répandait dans le monde, selon les termes exprès du concile de Trente (1).

Pour ce qui est de la tradition, le même auteur demeure d'accord que nous lui devons « non-seulement l'Ecriture sainte, mais encore la légitime et naturelle interprétation de cette Ecriture , et qu'il y a des vérités que l'on ne peut connaître que par son secours ; » ce qui nous suffit ; en sorte que cet article est pleinement concilié, si l'on en croit ce savant homme.

Quant à la restriction des articles fondamentaux, au discernement desquels il semble réduire l'autorité de la tradition, s'il entend par ces articles ceux qui sont contenus dans les trois Symboles reconnus par les luthériens, c'est en vain qu'il nous propose la tradition comme un moyen pour concilier les différends. puisque nous n'en avons aucun sur ces articles. Il faut donc qu'il reconnaisse la tradition, non-seulement à cet égard, mais encore dans tous les articles révélés de Dieu,, et qui regardent la piété et le salut; ce qui est précisément notre doctrine.

 

DE L'INFAILLIBILITÉ DE L'ÉGLISE, ET DES CONCILES OECUMÉNIQUES.

 

C'est tenir au fond l'Eglise infaillible, que de dire avec notre auteur, «qu'il se tiendra un concile général , où toutes nos controverses

 

1 Sess. IV, decr. de edit., etc.

 

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seront décidées en dernier ressort et sans retour ; et que ce concile aura pour fondement et pour règle l'Ecriture, le consentement de l'ancienne Eglise, du moins des cinq premiers siècles, et même le consentement des Eglises patriarcales d'aujourd'hui, autant qu’on pourra. » C'est, dis-je. tenir au fond l'Eglise infaillible, puisque si le consentement de l'Eglise ancienne et moderne, y compris même le consentement des églises patriarcales d'aujourd'hui, est la règle et le fondement des décisions qu'on doit faire en dernier ressort, il ne se peut que l'Eglise même, dont le sentiment est une règle et qui doit faire ces décisions , ne soit infaillible.

Que si l'Eglise est infaillible, le concile qui la représente et qui en contient par conséquent toute la vertu, l'est aussi ; et c'est pourquoi notre auteur y renvoie les questions de la religion, sans qu'il soit permis de réclamer contre, sous les peines portées par les canons, c'est-à-dire sous peine d'anathème. En cela notre auteur ne fait que suivre le sentiment unanime de tous les protestants, puisqu'on voit dans tous leurs actes qu'ils n'établissent leur Réforme que par provision, «et jusqu'à la décision du concile général, » auquel ils appellent et se rapportent ; ce qui est même expressément porté dans la préface de la Confession d'Augsbourg, et même dans la conclusion de la Confession des quatre villes présentées en même temps à Charles V par le second parti des protestants ; en sorte qu'on ne peut douter de leur sentiment unanime, si leurs déclarations les plus authentiques ne sont pas une illusion.

Les luthériens déclarent encore authentiquement, dans la même Confession d'Augsbourg et dans l’Apologie (1), « qu'ils ne méprisent point le consentement de l'Eglise catholique ; qu'ils se sentent obligés par l'autorité de l'Ecriture et par celle de l'ancienne Eglise, à soutenir la doctrine qu'ils ont professée ; qu'elle est conforme aux Ecritures prophétiques et apostoliques, à l'Eglise catholique et enfin à l'Eglise romaine, autant qu'elle est connue par ses écrivains. »

Si tout cela est sérieux, comme il le doit être, et que de telles

 

1 Confess. d’Augs., art. 21 ; Apolog., rép. aux argum., p. 171, etc.

 

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déclarations faites par tout le parti, je ne dirai pas à la face de tout l'Empire et de l'Empereur, mais à la face de toute la terre, ne soient pas un jeu, il est plus clair que le jour que dans les choses qu'a dites notre auteur à l'avantage de l'Eglise et des conciles, il n'a rien de particulier, rien qui ne soit contenu dans les actes les plus authentiques de sa religion.

Il ne reste plus qu'à lui demander ce qu'il appelle l’ancienne Eglise, et pourquoi il borne l'autorité de ses sentiments aux cinq premiers siècles, et celle de ses conciles universels aux cinq premiers. Jésus-Christ a-t-il borné l'assistance qu'il a promise à son Eglise, et renfermé dans les cinq premiers conciles généraux l'autorité de ces saintes assemblées? Celui que notre auteur veut qu'on assemble pour décider les questions qui nous divisent, ne sera-t-il pas de même autorité que ces cinq premiers ? Il faut avouer que ces restrictions qu'on apporte à l'autorité de l'Eglise et des conciles ne s'entendent pas ; et nous voyons aussi qu'on passe plus loin, puisque notre auteur en vient enfin à joindre au consentement de l'ancienne Eglise celui des églises patriarcales d'aujourd'hui, auxquelles la Confession d’Augsbourg et l’Apologie ont joint avec raison l'Eglise romaine, comme la première de toutes les patriarcales, ainsi que notre auteur le reconnaît ; en sorte qu'il n'y a plus rien à demander aux protestants sur cette matière, qu'une doctrine suivie et un parfait consentement avec eux-mêmes.

 

OU RÉSIDE L'INFAILLIBILITÉ DE L'ÉGLISE.

 

Les protestants nous reprochent que nous mettons dans l'Eglise une infaillibilité à laquelle nous ne pouvons assigner aucun sujet, puisque les uns la mettent dans le Pape seul, les autres dans le concile universel, et les autres dans tout le corps de l'Eglise répandue par toute la terre. Ils ne veulent pas voir que ces sentiments, qu'ils supposent contraires les mis aux autres, s'accordent parfaitement, puisque ceux qui reconnaissent l'infaillibilité dans le Pape, même seul, la reconnaissent à plus forte raison quand toute l'Eglise est d'accord avec lui ; et que ceux qui la mettent dans le concile, la mettent à plus forte raison dans l'Eglise que le

 

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concile représente. Voici donc la doctrine catholique parfaitement concordante dans toutes ses parties. L'infaillibilité réside originairement dans le corps de l'Eglise ; d'où il s’ensuit qu'elle réside aussi dans le concile qui la représente et qui la renferme en vertu; c'est-à-dire dans un concile, qui se portant publiquement pour œcuménique demeure en communion avec tout le reste de l'Eglise, et dont aussi pour cette raison les décisions sont regardées comme celles de tout le corps. Ainsi l'autorité du concile est établie sur l'autorité et le consentement de toute l'Eglise, ou plutôt ce n'est autre chose crue cette autorité et ce même consentement.

Pour le Pape, qui doit prononcer le sentiment commun de toute l'Eglise, lorsqu'elle ne peut s'assembler, ou qu'elle ne juge pas nécessaire de le faire, il est bien constant parmi nous que lorsqu'il prononce, ainsi qu'il y est tenu, le sentiment commun des églises, et que toute l'Eglise consent à son jugement, c'est en effet le jugement de toute l'Eglise, et par conséquent un jugement infaillible. Ce qu'on peut dire de plus au sujet du Pape, n'est ni de foi ni nécessaire, puisqu'il suffit que l'Eglise ait un moyen unanimement reconnu pour décider les questions qui diviseraient les fidèles.

Que si nous croyons le concile œcuménique légitimement assemblé entièrement infaillible, c'est à l'exemple de nos pères et des anciens conciles reconnus par les protestants, et en particulier par notre auteur.

Il reconnaît le cinquième concile : or l'infaillibilité du concile universel y est enseignée, sur le modèle de celle du concile tenu par les apôtres (1). Si l'on veut remonter plus haut, on trouvera te concile d'Ephèse, qui a reçu et loué la lettre du pape Célestin, où il dit «que l'assemblée des évêques est un témoignage de la présence du Saint-Esprit ; qu'on y doit reconnaître l'autorité du concile apostolique; que celui que les conciles reçoivent pour mature, De leur a jamais manqué ; que ce céleste docteur a toujours été avec eux, et que l'assistance qu'il a donnée aux apôtres s'étend à leurs successeurs (2). » Un peu au-dessus du concile d'Ephèse,

 

1 Conc. V, collat. 5, ubi sup. — 2 Conc. Ephes., part. II, act. 2.

 

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on trouve saint Augustin , qui en parlant de la question que saint Cyprien excita, assure que « ce saint martyr s'en serait tenu à la décision de l'Eglise, si la vérité avait été éclaircie et déclarée de son temps par un concile universel (1) ; et pour montrer qu'il disait vrai, on trouve axant tout cela Le même saint Cyprien, qui consulté sur les erreurs des novatiens, répond a qu'il ne faut pas se mettre en peine de ee qu'il enseigne, puisqu'il enseigne hors de l'Eglise; et que quiconque n'est pas dans L'Eglise, n'est pas chrétien (2). »

En conformité de cette doctrine, saint Augustin a dit encore «que celui qui est hors de l'Eglise, ne voit, ni n'entend; et que celui qui est dans L'Eglise, n'est ni sourd ni aveugle (3) : » principes d'où ce grand homme conclut en un autre endroit, « qu'on peut souffrir les disputes, avant que Les matières soient décidées par l'autorité de l’Eglise ; mais que disputer après cela, c'est renverser le fondement de l'Eglise même (4). »

Aussi quand les conciles ont décidé, c'a été la foi commune de tous les fidèles, qu'il n'y avait plus qu'à obéir et à se taire ; et c'est de cette pratique de tous les siècles que les luthériens avaient tiré tant d'actes de soumission que nous avons vus et qui les auraient sauvés, s'ils s'y étaient toujours attachés.

 

SUR LE PAPE.

 

Pour ce qui regarde le Pape, ils ne peuvent pas s'empêcher de le reconnaître pour Chef de l'Eglise, puisqu'ils supposent dans tous

leurs actes que le concile, auquel ils se soumettent, sera assemblé par le Pape même, comme cela est constant par les préfaces de la Confession d’Augsbourg déjà rapportées, et par celle des Articles de Smalcalde. Ainsi l'auteur n'a rien fait de nouveau, en consentant que le Pape soit reconnu comme le chef de l'épiscopat, du moins par le droit ecclésiastique. Melanchton s'est cru obligé de reconnaître cette autorité jusque dans ces mêmes Articles de Smalcalde, et sa signature à l'acte, où il l'avoue, est

 

1 Lib. II de Bapt., cap. IV, ubi sup. — 2 Epist. LII, ad Antonian., ubi suprà. — 3 In Psal. XLVII, n. 7, ubi sup. — 4 Serm. XIV, de Verb. Apost.

 

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enregistrée parmi les actes publics rapportés dans le Livre de la Concorde (1). Mais si l'on en vient à ee point. et qu'on reconnaisse la primauté du Pape comme établie par les conciles, il faudra bientôt la reconnaître comme venant de droit divin, puisque les conciles universels d'Kphèse et de Chalcédoine (2), ceux de Milève et d'Orange, que notre auteur a loués, comme l'ont tous les autres protestants, en y reconnaissant la primauté du Saint-Siège, l'ont eu même temps reconnue comme établie dans saint Pierre par Jésus-Christ même, ainsi que leurs actes en font foi, et le savant auteur ne l'ignore pas.

Il est constant au surplus que l'Eglise grecque, dans ses actes particuliers, n'a pas moins reconnu la primauté et l'autorité du Pape que la latine, comme il paraît par le Formulaire souscrit de tous les évêques sous les papes saint Hormisdas et saint Agapet, que j'ai produit dans l'écrit latin, et par la déclaration du patriarche Mennas dans un concile de Constantinople, où il dit « que le saint Siège apostolique a fait véritablement ce qui appartenait à sa charge, lorsqu'il a condamné les erreurs, qu'il a maintenu la discipline, et qu'il a usé d'indulgence envers ceux qui avaient failli Lorsqu'ils reconnaissaient leur faute; » qui sont en effet les trois fonctions de l'autorité papale, auxquelles se rapportent toutes les autres.

Quant aux articles dont on dispute dans les écoles, ni le cardinal du Perron, ni M. Duval, le plus zélé défenseur des prérogatives de Rome, ne les mettent au rang de la foi ni des articles nécessaires pour la communion ecclésiastique ; et quant à ce que l'auteur a paru s'en rapporter à L'Eglise gallicane, en voici le sentiment dans les articles de la faculté de théologie de Paris contre Luther. Le XXII : « Il est certain que le concile général Légitimaient assemblé représentant l'Eglise universelle, ne peut errer dans Les déterminations qui regardent la foi et les bonnes mœurs. Le XXIII : «  Et il n'est pas moins certain qu'il y a dans l'Eglise de Jésus-Christ un seul souverain Pontife établi de droit divin, à qui tous les chrétiens doivent obéir. » Il ne faut donc pas lui refuser

 

1 P. 338. — 2 Conc. Ephes., act. 1, 3 ; Conc. Chalced., act. 3, 4 ; Relat., etc., ubi suprà.

 

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cette obéissance et cette primauté de droit divin, sous prétexte des sentiments de l'Eglise gallicane, qui n'a jamais révoqué en doute, le moins du monde ce droit du Pape et du Saint-Siège.

 

 

 

SECONDE PARTIE.

 

CHAPITRE V. CE QU'IL FAUT FAIRE SUR LES FONDEMENTS QU'ON VIENT D’ÉTABLIR.

 

Il est certain par les choses qu'on vient de voir, premièrement, que les sentiments du savant auteur ne sont pas des sentiments tout à fait particuliers, comme il a voulu les appeler, mais des sentiments fondés pour la plupart, et pour les points les plus essentiels, sur les actes authentiques du parti, et exprimés le plus souvent par leurs propres termes, ou par des termes équivalents.

Secondement, que ces articles étant résolus, il ne peut plus rester de difficultés qui empêchent les luthériens de se réunir à nous.

Il n'y a qu'à parcourir en peu de mots les quatre chapitres qu'on vient de traiter, et remarquer sur chacun de quoi l'on est d'accord.

Sur le chapitre de la justification (1), on est d'accord qu'elle est gratuite : que les bonnes oeuvres qui se font après sont méritoires, et que la vie éternelle leur est due en vertu de la promesse miséricordieuse de Dieu : qu'on peut accomplir la loi jusqu'au point de ne faire plus que des péchés véniels, qui n empêchent point la charité de régner et de prévaloir : que la justice chrétienne est véritable, quoiqu'elle ne soit point absolument parfaite : que cette justice et tous nos mérites sont des dons de Dieu et des effets de sa grâce : que la foi justifiante est Dieu expliquée par les catholiques, et qu'ils donnent à Dieu par Jésus-Christ toute la

 

1 Sup., cap. I, n. 1 et seq.

 

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gloire de leur sanctification : que cette doctrine n'a jamais souffert aucun affaiblissement parmi eux : qu'on ne doit point nier que les bonnes œuvres ne soient nécessaires au salut, ni que ce ne soient elles que Dieu récompense : et que les autres difficultés de la justification sont aisées à terminer parles principes posés de part et d'autre.

Sur le chapitre des sacrements (1), on a levé les difficultés qu'on avait sur leur efficace, ex opere operato, et sur l'intention du ministre. Sur le point particulier de l'Eucharistie, on a rejeté l'ubiquité, et établi sous chaque espèce la présence réelle de Jésus-Christ tout entier. M. Molanus a reconnu, conformément a l’Apologie et aux Articles de Smalcalde, le changement réel du pain au corps et le fond de la transsubstantiation; en sorte qu'il ne reste plus à y ajouter que le terme : il a encore reconnu la présence hors de l'usage, l'adoration, le sacrifice et même les messes privées ; et nous avons fait voir que reconnaître toutes ces choses, c'est poser des fondements assurés pour autoriser la communion sous une espèce.

On a vu que l'absolution est un véritable sacrement, accompagné des trois actes que les catholiques y demandent : que la confession des péchés particuliers doit être conservée, et que le fond de la satisfaction est admis par les luthériens : que l'Ordre est aussi un véritable sacrement : qu'on fait de grandes avances sur les trois autres, et que dans le fond en s'entendant bien, on serait d'accord.

Sur le chapitre du culte (2), on convient que l'invocation des Saints, ainsi qu'elle est enseignée dans l'Eglise catholique, n'a pas d'inconvénient, non plus que le culte des images; et l'on a démontré par Luther et les luthériens, qu'il n'y a rien en ce point qui répugne aux commandements du Décalogue. On a vu que les luthériens se sont expliqués favorablement sur la prière et même sur l'oblation pour les morts, par où ils sont forces a recevoir le purgatoire : enfin qu'ils ont reconnu comme Saints ceux qui ont fait et fait faire les vœux monastiques, même celui de continence perpétuelle, quoiqu'avec cela ils dissent encore la

 

1 Cap. II. n. 1 et seq. — 2 Cap. III, n. 1 et seq.

 

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messe, et qu'ils eussent en tout et partout la même foi et le même culte que nous.

Enfin sur le quatrième chapitra qui regarde les moyens d'établir la foi (1), on a vu qu'en s’entendant bien, il ne resterait aucune difficulté sur l'autorité du texte original de L'Ecriture, sur la Vulgate, sur la tradition, sur l'infaillibilité de l'Eglise et des conciles œcuméniques, ni même sur la primauté du Pape.

Cela étant, il n'y aurait qu'à dresser une confession ou déclara lion de foi conforme aux principes et aux sentiments de notre auteur, en faire convenir les luthériens, et la présenter au Pape.

Pour parvenir à cette déclaration, il faudrait que les luthériens s'assemblassent entre eux ou, comme l'auteur le propose, qu'il se fit par l'ordre de l'Empereur une conférence amiable des catholiques et des protestants, où l'on convint des articles qui entraîneraient, comme on voit, la décision de tous les autres.

L'auteur ne veut pas qu'on parle de rétractation, et l'on peut n'en point exiger ; il suffira de reconnaître la vérité par forme de déclaration et d'explication ; à quoi les sentiments des livres symboliques des luthériens donnent une ouverture manifeste, comme on voit par les passages qui ont été produits et par beaucoup d'autres qu'on pourrait produire.

Cela fait, on pourrait disposer le Pape à écouter les demandes des protestants et à leur accorder que dans les lieux où il n'y a que des luthériens et où il n'y a point d'évêques catholiques, leurs surintendants qui auraient souscrit à la formule de foi et qui auraient ramené à l'unité les peuples qui les reconnaissent, soient consacrés pour évoques, et les ministres pour curés ou pour prêtres sous leur autorité.

Dans les autres lieux, les surintendants, aussi bien que les ministres, pourront aussi être faits prêtres sous l'autorité des évêques, avec les distinctions et subordinations qu'on aviserait.

Dans le premier cas, on érigera de nouveaux évêchés, et on en fera la distraction d'avec les anciens.

On soumettra ces nouveaux évêchés à un métropolitain catholique.

 

1 Cap. IV, n. 1 et seq.

 

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On assignera aux évêques, prêtres et curés nouvellement établis, un revenu suffisant par les moyens les plus convenables, et on mettra les consciences en repos sur la possession des biens d'Eglise, de quelque nature qu'ils soient. Je voudrais en excepter les hôpitaux, qu'il semble qu'on ne peut se dispenser de rendre aux pauvres, s'il y en a qui leur aient été ôtés.

Les évêques de la Confession d’Augsbourg, dont la succession et l'ordination se trouveront constantes, seront laissés en leur place après avoir souscrit la Confession de foi, et l'on fera le même traitement à leurs prêtres.

On aura soin de célébrer les messes des fêtes solennelles avec toute la décence possible : on y fera la prédication ou le prône selon la coutume : on pourra mêler, dans quelque partie de l'office, des prières ou quelques cantiques en langue vulgaire : on expliquera soigneusement au peuple ce qui se dira en latin, et l'on pourra en donner des traductions avec les instructions convenables, selon que les évêques le trouveront à propos.

L'Ecriture sera laissée en langue vulgaire entre les mains du peuple : on pourra même se servir de la version de Luther à cause de son élégance et de la netteté qu'on lui attribue, après qu'on l'aura revue et qu'on en aura retranché ce qui a été ajouté au texte, comme cette proposition: La seule foi justifie, et d'autres de cette sorte. La Bible ainsi traduite, pourra être lue publiquement aux heures qu'on trouvera bon, avec les explications convenables. On supprimera les notes et apostilles qui ressentiront le schisme passé.

Ceux qui voudront communier, seront exhortés à le faire dans l'assemblée solennelle, et l'on tournera toutes les instructions de ce côté-là ; mais s'il n'y a point de communiants, on ne laissera pas de célébrer la messe.

On donnera la communion sous les deux espèces à ceux qui auront professe la foi, en la forme qui a été dite, sans autre nouvelle précaution : on prendra soigneusement garde à la révérence qui est due au saint Sacrement.

On n'obligera point les évêchés et les paroisses nouvellement créés, à recevoir des couvents de religieux et religieuses, et l'on

 

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se contentera de les y inviter par des exhortations, par la pureté de la vie des moines, et en réformant leurs mœurs selon l'institution primitive de leurs ordres.

On retranchera du culte des Saints et des images tout ce qui sent la superstition et un gain sordide : on réglera toutes ces choses suivant le concile de Trente, et les évêques exerceront l'autorité que ce concile leur a donnée sur ce point (1).

Les prières publiques, le Missel, le Rituel, et les Bréviaires seront corrigés à l'exemple des églises de Paris, de Reims, de Vienne, de la Rochelle et autres aussi illustres, et même du célèbre monastère de Cluny, en retranchant les choses douteuses, suspectes et superstitieuses ; en sorte que tout y ressente l'ancienne et solide piété.

Enfin qu'il se tienne, s'il se peut, un concile œcuménique pour la parfaite réformation de la discipline et l'entière réduction de ceux qui pourraient rester dans le schisme : qu'on repasse sur les articles de réforme qui dévoient être proposés à Trente, par les ordres concertés de l'empereur Ferdinand et de Charles IX, roi de France, et qu'on y ait tout l'égard que la condition des lieux et des temps pourra permettre.

Ainsi l'on fera la réformation de l'Eglise dans le vrai esprit qu'elle devait être eut reprise, en conservant l'unité, sans changer la doctrine des siècles précédents et en retranchant les abus.

 

CHAPITRE VI. RÉFLEXIONS SUR LE PROJET DE NOTRE AUTEUR.

 

Il paraît par ce qu'on vient de dire, que les ouvertures en sont excellentes en général, et qu'il n'y a presque qu'à changer l'ordre. Car, à dire le vrai, il paraîtrait fort étrange à Rome et dans toute l'Eglise catholique, qu'on ne commençât pas d'abord par ce qui regarde la loi. En effet, ou les conciliations que l'auteur propose sur la transsubstantiation, par exemple, sur le sacrifice, sur l'invocation des Saints, sur les images, etc., sont faisables ou non : si elles n'étaient pas faisables, tout ce projet serait inutile ;

 

1 Sess. XXV.

 

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et si elles le sont, on voit bien que c'est par là qu'il faut commencer.

Pour rendre ceci sensible, il ne faut que considérer l'ordre du projet de notre auteur. C'est de faire d'abord l'union qu'il appelle préliminaire, dans laquelle sous la condition des six demandes, qu'il prétend qu'on peut accorder sans blesser les principes des uns et des autres, on reeonnoitra le Pape pour le spirituel, ensuite on s'assemblera pour convenir de la doctrine à l'amiable, et enfin on remettra à un concile la décision des points dont on n'aura pu convenir.

Or tout cela est visiblement impraticable dans cet ordre. Car d'abord, que sera-ce que de reconnaître le Pape pour le spirituel, comme l'auteur le propose, tant qu'on sera en dispute avec lui sur la foi même? Cela assurément ne s'entendrait pas.

Secondement, ce ne serait pas un moindre embarras que de proposer à l'Eglise romaine qu'elle reçoive les protestants à sa communion, pendant qu'il sera constant qu'on aura de part et d'autre des confessions de foi différentes, sans être convenu de rien. Que si l'on dit que ce sera là une simple tolérance en attendant le concile, c'est cela même qui est impossible, puisqu'il fau-droit tolérer, par exemple, cette doctrine autrefois décidée dans le parti luthérien et qui y est encore en vigueur, comme l'auteur en convient, que « les bonns œuvres ne sont pas nécessaires au salut : » ce qu'on n'obtiendra jamais, et ce qu'on ne doit jamais obtenir de l'Eglise romaine. Il faut donc auparavant convenir, par exemple, d'un point si important et des autres qu'on trouvera de même nature. Commencer par se réunir pour ensuite les examiner, comme le propose l'auteur, c'est renverser l'ordre.

Et puisque nous sommes sur cet article, l'auteur demande qu'on passe pour ainsi dire d'un seul saut par-dessus toute la doctrine luthérienne sur la justification, et il prétend que cela se peut sans blesser les principes des mis et des autres. Mais le contraire est certain, puisque l'Eglise romaine n'a jamais cru et ne croira jamais qu'elle puisse tolérer, par exemple, la certitude absolue de sa propre justification , à cause des tentations auxquelles elle expose les fidèles, et principalement encore à cause que Luther et

 

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les luthériens établissent cette certitude de la justification dans les hommes justifiés, en les laissant a la Ibis dans l'incertitude si leur pénitence est sincère ou non, comme il a été remarqué ci-dessus ; d'où il s'ensuit que la justification est indépendante de la repentance, chose qui ne se peut pas tolérer.

Il est encore certain que la justification, ainsi quelle est soutenue par les luthériens, est distincte et indépendante de la sanctification ; d'où il s'ensuit qu'on est justifié indépendamment de la pénitence, et de plus que la justification précède le bon propos ; c'est-à-dire la résolution de bien vivre et la conversion du coeur, puisque tout cela constamment appartient à la sanctification. Or établir cette doctrine., c'est renverser le rondement de la piété, aussi bien que d'enseigner qu'on n'aime Dieu qu'après qu'on est justifié ; ce qui est une suite du même principe expressément avoué par Luther, par l’Apologie et par la Confession d'Augsbourg.

Et quoique ces dogmes des luthériens et beaucoup d'autres de même importance sur la justification, soient adoucis de manière par notre auteur et par quelques autres docteurs du parti, qu'on voit bien qu'ils en viendraient aisément à un bon sens, il faut en être convenu avant la réunion, et non pas se réserver à le chercher après qu'on sera réuni, comme le propose notre auteur.

Et pour ne nous pas arrêter à celle seule matière de la justification, le savant auteur sait très-bien que les autres dogmes contestés , sans parler des décisions du concile de Trente, ont déjà été réglés par d'autres conciles généraux, comme par celui de Nicée II, reçu en Orient et en Occident depuis environ mille ans, par ceux de Latran, de Lyon et autres, où l'Allemagne a donné son suffrage, comme les autres nations, longtemps avant les contestations de Luther ; et à cela notre auteur ne trouve point de remède, sinon que le Pape tienne en suspens tous ces conciles si universellement reçus, et veuille bien recevoir à sa communion et à celle de l'Eglise les protestants, qui font profession d'en rejeter les décisions et de tenir les dogmes contraires à ceux qui y ont été déterminés. On fait plus : on propose au Pape d'autoriser dans leur ministère les surintendants et les autres pasteurs

 

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luthériens, qui n'ont été ordonnés tout au plus que par des prêtres, tels qu'étaient les prétendus réformateurs, qui par conséquent selon les maximes de l'Eglise romaine (maximes qui jusqu'ici n'avaient jamais été révoquées en doute), ne sont que de purs laïques : on veut, dis-je, que l'Eglise romaine ratifie leur ordination faite dans le schisme et en haine de la doctrine catholique, sans avoir déclaré qu'ils la reçoivent ; et si l'on dit que l'on consentira que le Pape et les évêques catholiques les ordonnent do nouveau, ce ne sera pas une chose moins étrange en elle-même, ni moins contraire aux maximes de l'Eglise romaine, que d'ordonner des ministres avant qu'on soit convenu des conditions de les ordonner, dont la première est d'avoir une Confession de foi qui leur soit commune avec leurs ordonnateurs.

On voit donc manifestement qu'il n'y a rien de moins praticable que d'imaginer une réunion, avant que d'être convenu de rien sur les matières de la foi et avant même que de les avoir traitées ; ef que bien loin que les demandes préliminaires que fait notre auteur laissent, comme il le propose, les principes de part et d'autre en leur entier, ils présupposent au contraire la subversion des principes les plus inviolables de l'Eglise catholique.

Et afin de montrer plus clairement l'impossibilité de ce projet dans l'ordre qu'y met notre auteur, j'oppose aux six demandes qu'il nous fait une seule et unique demande, savoir : Qu'il ne faut rien demander pour faire la paix entre nous, qui par avance détruise tout le fondement et la sûreté de la paix qu'on pourrait faire. Cela est clair de soi-même, et il en résulte qu'il ne faut rien demander qui renverse la fermeté des décrets de l'Eglise et des conciles, puisque c'est sur de semblables décrets qu'on veut fonder en dernier lieu la paix que l'on propose : car il est clair que si l'on infirme les conciles précédents, celui sur lequel on veut s'appuyer n'aura pas plus de fermeté ni de vigueur. Il n'y aura dans celui-ci ni plus d'autorité ni un plus grand consentement que dans les autres ; et si l'on tient ces conciles en suspens, à cause que les hussites, les vicléfites, les vaudois, les albigeois, les bérengariens, les iconoclastes et les autres, qui ont été condamnés, s'y sont opposés, il en faudra donc venir à dire qu'on ne doit

 

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rien tenir pour jugé, jusqu'à ce que les contendants y donnent les mains ; ce qui seul anéantirait toute l'autorité des jugements ecclésiastiques.

Notre concile établi sur ces principes et sur les ruines, pour ainsi parler, de tant d'autres conciles, ne subsistera pas, ou plutôt il ne se tiendra point du tout ; car après qu'on aura tenu les protestants pour vrais enfants de l'Eglise avec tous leurs dogmes ; que demanderont-ils davantage? L'Eglise romaine aura affaibli d'elle-même son autorité : elle aura reconnu pour orthodoxes ceux qu'auparavant elle regardait d'un autre œil : ceux qui se sont séparés jouiront de la communion du premier Siège et de toutes les églises qui sont toujours demeurées dans son unité, sans rien changer dans les choses qui ont donné lieu à la séparation ; ce qui seul suffira pour faire voir que les causes en étaient justes. Après cela qu'auront-ils besoin d'arbitres, ou de conférences, ou de conciles ? On trouvera toujours de nouveaux prétextes pour éviter une assemblée, qui d'elle-même aura beaucoup de difficulté ; et après tout qu'arrivera-t-il de ce concile, sinon qu'y étant allés en foulant aux pieds tous les autres, nous montrerons à la postérité ce qu'elle pourra faire de celui-ci, et nous ôterons à l'Eglise tous les moyens de terminer les disputes qui pourront naître, en détruisant sous le nom d'un concile œcuménique l'autorité de tous les conciles et la majesté de l'Eglise?

Nous ajouterons à cette demande cette proposition, qui n'en est qu'une annexe ; à savoir, que pour concilier dans ce qui regarde l'exposition de la foi les églises , quelque nombreuses qu'elles soient, il ne faut rien faire qui ne soit conforme aux exemples et aux règlements de nos prédécesseurs ; autrement l'état de la foi et la force des décisions ecclésiastiques seraient en péril : or nous trouvons sept exemples de conciliations de cette sorte.

Le premier au commencement du cinquième siècle et dans le concile d'Ephèse, que les évêques soumis au siège d'Antioche ne voulaient pas reconnaître. L'accommodement se fit en reconnaissant que la déposition, faite dans le concile, de Nestorius pour ses erreurs, et l'ordination de son successeur étaient légitimes,

 

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et en professant la même foi qui avait été reçue à Ephèse.

Le second exemple au commencement du sixième siècle. Acace patriarche de Constantinople ne voulant pas reconnaître la décision du concile de Chalcédoine et la lettre du pape saint Léon qui v avait été approuvée, et tout l'Orient étant entré dans ses sentiments, il fut excommunié par le Pape. Le schisme, qui dura longtemps, fut terminé par une formule du pape saint Hormisdas, qui fut souscrite par les patriarches et par tous les évêques, dans laquelle on recevait en termes formels le concile de Chalcédoine et la lettre du pape saint Léon, en reconnaissant l'autorité du Siège apostolique comme établie de Jésus-Christ en la personne de saint Pierre, par ces paroles : « Tu es Pierre, etc., et se conformant en tout et partout à la foi de ce Siège, comme de celui où se trouvait toujours l'entière et parfaite solidité de la religion chrétienne. »

Le signature de ce Formulaire a souvent été réitérée en Orient, et c'était un témoignage solennel de l'Eglise grecque sur la primauté de saint Pierre et de son Siège.

Le troisième exemple est arrivé sous le pape saint Grégoire le Grand. Quoique ce saint Pape reçût le cinquième concile, il consentit à n'en faire aucune mention dans la lettre qu'il écrivit à Théodelinde, reine des Lombards, et à ne la pas obliger à le recevoir, à cause que ce saint concile n'avait rien déterminé spécialement sur la foi, et que ce qu'il avait déterminé sur certaines personnes n'était pas absolument nécessaire. Ce fut le seul motif de sa tolérance ; ce qui montre qu'il n'en aurait aucune, s'il se fût agi de la foi.

Le quatrième exemple est du second concile général de Lyon, sous Grégoire X, où les Grecs furent reçus à la communion ; mais seulement après avoir confessé, dans une déclaration expresse de leur foi, tous les articles dont ils contestaient la vérité, et en particulier la primauté de la Chaire de saint Pierre et du Pape, comme établie par Jésus-Christ.

Le cinquième exemple est celui du concile de Bâle et des Bohémiens. Nous en ferons un article à part, à cause que c'est sur celui-là qu'on insiste particulièrement.

 

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Le sixième exemple est celui du concile de Florence, où les Grecs furent reçus à la communion comme au second concile de Lyon, en consentant à la foi de l'Eglise sur tous les articles, et en particulier sur la primauté du Pape. Le décret d'union est entre les mains de tout le monde. Il est fait de l'autorité des évêques grecs aussi bieu que des latins ; mais après seulement qu'on fut convenu de tout avec eux dans des conférences particulières.

On peut produire pour septième et dernier exemple, la concession de la coupe faite par Pie IV aux catholiques et aux protestants, à condition de se soumettre à toutes les décisions de l'Eglise, et en particulier à celle qui a déterminé que la communion sous une espèce n'était pas contraire au précepte de Jésus-Christ. J'en rapporterais les actes, qui étaient bien connus du docteur Calixte, si le savant M. Pellisson, qui a si bien mérité par ses écrits de toute l'Eglise catholique, ne les avait depuis peu rendus publics.

On voit par tous ces exemples qu'on n'a jamais fait aucune réconciliation entre les églises qu'en présupposant le fondement de la foi, et en convenant premièrement de ce point sans jamais s'en relâcher ; de sorte que si l'on proposait une autre forme d'accommodement, je puis bien dire avec certitude qu'on ne serait pas écouté; et qu'en méprisant dans une affaire de cette conséquence tous les exemples des siècles passés, le Pape craindrait avec raison de multiplier les schismes plutôt que de les unir.

Comme l'exemple du concile de Bâle est celui où l'on insiste le plus, et qu'en effet c'est celui où l'Eglise semble avoir poussé le plus loin la condescendance , il faut le considérer avec un soin plus particulier.

On prétend donc que dans l'accord fait avec les calixtins, on a suspendu à leur égard les décrets du concile de Constance contre ceux qui soutenaient que les deux espèces étaient de précepte, ex prœcepto; ce qui paraît, dit M. de Leibniz, être « in terminis, en termes exprès, le cas que nous traitons, et non une simple concession de l'usage des deux espèces, sur laquelle il ne peut y avoir de difficulté. »

 

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C'est ainsi que ce savant homme propose la chose dans une lettre à M. Pellisson, du 13 juillet 1692; et il se fonde sur les paroles de l'accord avec les Bohémiens, où après leur avoir accordé la communion sous les deux espèces aux conditions qui y sont exprimées, on ajoute : « Et cet article sera pleinement discuté dans le concile touchant la matière, si cette communion est de précepte ; et on verra ce qu'il faudra croire et faire sur cet article pour l'utilité et pour le salut du peuple chrétien. »

On voit par la réflexion que le même M. de Leibniz a faite en latin sur cet accord, que ces mots : On discutera, on verra, sont ceux d'où l'on veut conclure que le décret de Constance a été tenu en suspens ; mais ce n'est rien moins que cela, puisqu'on va voir, non par conjectures, mais par actes, que cette discussion et cet examen se dévoient faire, non pas en délibérant de nouveau sur la matière, comme si elle était encore indécise et en suspens après le concile de Constance, mais par forme d'instruction, de déclaration, d'éclaircissement, pour confirmer les catholiques dans la vérité décidée, et faire entrer les calixtins dans l'esprit et les intentions de l'Eglise, en les informant de ses raisons.

Pour faire voir cette vérité, le premier acte que je produis est la lettre invitatoire du concile aux Bohémiens, du 15 octobre 1431. Là sur ce qu'ils s'étaient plaints qu'on ne les avait jamais voulu entendre, on les invite à venir dire leurs raisons, et on leur promet une pleine audience, à condition toutefois « qu'ils écouteront le jugement du concile comme celui du Saint-Esprit. » On pose donc pour fondement l'infaillibilité des conciles; ce qui est bien éloigné d'en vouloir tenir les décrets en suspens.

Le second acte, qui prouve la même vérité, est la déclaration que le cardinal Julien fit à la tête du concile aux Bohémiens , lorsqu'ils y comparurent : «Que l'Eglise ne pouvait errer dans les choses qui étaient nécessaires au salut : qu'elle était représenter dans les conciles, et qu'il y fallait croire comme aux Evangiles. » Jean de Raguse, qui fut nommé pour conférer avec eux, leur fit une pareille déclaration à l'ouverture des conférences; et tout cela était poser pour fondement qu'on ne rétracterait rien de ce qui avait été décidé.

 

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Le troisième acte est une réponse synodale du même concile de Bâle (1) publiée par toute la terre, sur le fait dont il s'agit. Car comme on objectait aux Pères de Bâle qu'en invitant les Bohémiens à leur concile pour y dire leurs difficultés, ils semblaient vouloir procéder à une nouvelle délibération sur une matière qui avait déjà été décidée à Constance, ce qui était précisément notre difficulté, ils répondent avant toutes choses que c'est un blasphème contre le Saint-Esprit que de révoquer en doute l'infaillibilité des conciles; ce qu'ils remarquent qu'ils ont déclaré aux Bohémiens dans les paroles de leurs lettres invitatoires qu'on vient de voir. Loin donc de faire paraître qu'ils veulent laisser en suspens les décisions des conciles, ils déclarent au contraire qu'ils ne s'en départiront jamais.

Et pour montrer que cela s'entend même du concile de Constance, je produis en quatrième lieu tous les actes, par lesquels il est constant que le concile de Bâle a toujours supposé que le concile de Constance était œcuménique. Il serait inutile de les rapporter, puisqu'il faudrait pour cela transcrire tout le concile de Baie, étant certain, non-seulement que ce concile était convoqué en vertu du concile de Constance et du chapitre Frequens, qui était un de ses principaux canons, mais encore que tous ses décrets et toutes ses procédures sont fondées sur l'autorité du concile œcuménique de Constance ; il n'a donc pas eu dessein de tenir en suspens le décret de ce concile, puisque par là il se serait détruit lui-même.

Mais parce qu'on pourrait penser qu'en laissant en leur entier les autres décrets de Constance, les Pères de Bâle auraient du moins tenu en suspens le décret de la communion sous les deux espèces, ils déclarent qu'en exhortant les Bohémiens dans leur lettre invitatoire, « à venir entendre ce que le Saint -Esprit déciderait dans le concile de Bâle, » leur intention a été de leur déclarer, « qu'on jugerait ici (c'est-à-dire a Bâle comme on avait fait à Constance, puisque, ajoutent-ils, la sentence prononcée à Constance contre les hussites, étant dictée par le Saint-Esprit qui ne sait point varier, et le même Esprit présidant à tous les

 

1 Epist. Conc. Basil., tom. XII; Conc, Labb., col. 674, 681.

 

 

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conciles, il est clair qu'on ne jugera point ici autrement qu'on n'a jugé là. »

De cette sorte ils déclarent, non-seulement aux Bohémiens, mais encore à toute la terre, puisqu'on a vu que ce décret fut publié partout, que bien loin de regarder la décision faite à Constance comme suspendue, ils ne jugeraient autre chose que ce qui avait été jugé dans ce concile ; et c'est pourquoi ils expliquent en termes formels qu'ils appellent les Bohémiens à leur concile, non « pour révoquer en doute ce qui a été décidé, mais pour les instruire, pour leur éclaircir la matière, pour les retirer de leur erreur, pour les convaincre, en un mot pour confondre les hérétiques et confirmer les catholiques dans leur foi ; » or c'est là précisément ce que nous disons.

Voilà le fondement sur lequel les Pères du concile de Bâle ont bâti . et les ambassadeurs qu'ils envoyèrent aux Bohémiens pour négocier avec eux, étaient entrés dans ce même esprit, lorsqu'ils écrivaient au concile même en ces termes : « C'est le sentiment constant et unanime de nous tous, qu'il ne faut point révoquer en doute ce qui a été décidé dans les conciles : qu'on admette donc à l'audience ceux qui ont été appelés au concile, afin que notre foi demeurant toujours la même, on rappelle de leur égarement ceux qui sont tombés dans l'erreur (1).»

Et il importe de bien comprendre ce qu'ils veulent dire, lorsqu'ils déclarent que leur conférence avec les Bohémiens a pour but de confirmer les catholiques dans la vérité qui avait été décidée à Constance. C'est, disent-ils, que les Bohémiens, non-seulement se plaignaient qu'on ne les avait jamais ouïs, mais avaient encore la hardiesse de se vanter « qu'on n'avait osé les ouïr, parce qu'on ne pouvait répliquer à leurs raisons. » Par là ils s'endurcissaient dans l’air opiniâtreté; et les infirmes, dont le nombre est toujours si grand dans l'Eglise, étaient frappés de ce discours. On n'y pouvait apporter de meilleur remède que celui de leur accorder une audience publique, pour écouter leur raison et pour les convaincre, ainsi que parlent les Pères du concile.

Et que leur intention fût de les convaincre comme des errants

 

1 Epist. Conc. Basil., tom. XII Conc., Labb., col. 982.

 

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et de les mettre en ce nombre, ils s'en expliquent clairement, quoiqu' avec toute la douceur et le ménagement possibles , dans cette même lettre invitatoire, puisqu'ils les séparent du bon grain et les rangent avec l’ivraie; et que tout ce qu'ils en disent de plus favorable est, «qu'ils présument que la racine n'est pas encore entièrement desséchée, ni la terre tout à fait infructueuse (1). »

C'est donc un fait indubitable . que l'examen qu'on promettait à Bâle n'était pas un examen pour délibérer de nouveau de la décision de Constance, comme si elle eût encore été douteuse, mais pour instruire les Bohémiens des raisons qu'on avait eues de la faire, pour l'éclaircir et la confirmer ; ce qui fut fait aussi en termes formels et par une décision expresse en la session XXX, où le décret qui déclarait que la communion sous les deux espèces n'était pas de précepte, fut renouvelé ; après quoi les Bohémiens, qui voulaient encore chicaner, ne reçurent plus aucune réponse.

Et la chose avait été déjà préjugée, non-seulement par toutes les déclarations qu'on vient de voir, mais encore par les propres termes de l'accord, puisque premièrement on y accordait le calice, non pas à tous, ce qu'il aurait fallu faire si on l'avait tenu de précepte divin, mais à ceux-là seulement « qui le désireraient et qui auraient accoutumé de le recevoir ; » ce qui marquait que la chose était libre et indifférente par elle-même : secondement, que le calice était accordé, non-seulement « par l'autorité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, » mais encore « par celle de l'Eglise, sa vraie épouse, » de peur qu'on ne crût que l'institution de Jésus-Christ fût tellement manifeste, qu'on n'eût après cela aucun besoin de la déclaration et autorité de l'Eglise: en troisième lieu, sur ce point-là même, comme sur tous les autres qui dévoient être traités, on se soumettait à l'autorité du concile de Bâle, « comme dirigé par le Saint-Esprit ; » car c'étaient les propres termes portés dans l'accord, quoiqu'on sût que ce concile , auquel on se soumettait, n'avait rien tant en recommandation que l'autorité et les décrets du concile de Constance, sur lesquels il fondait toute sa conduite.

 

1 Epist. Conc. Basil., tom. XII Conc., Labb., col 670.

 

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Il faut encore ajouter cette clause de l'accord, qu'on n'accordait le calice « qu'à ceux qui convenaient avec le concile et avec l'Eglise romaine, de tous les autres points de la foi. » Ils convenaient par conséquent de l'infaillibilité de l'Eglise ; et c'est aussi pourquoi ils se soumettaient au concile comme dirigé par le Saint-Esprit. Or dès là que l'on convient de l'infaillibilité de l'Eglise , on ne peut plus soutenir qu'elle ait erré dans l'administration de l'Eucharistie, non plus que dans celle des autres sacrements.

Il est donc plus clair que le jour, selon les principes posés par l'accord même, qu'il n'y avait point à douter qu'on ne renouvelât à Bâle le décret de Constance, comme en effet on le fit. Ainsi ce qu'on accordait aux Bohémiens et toute la condescendance qu'on avait pour eux, n'était d'mi côté qu'un dessein de confirmer les catholiques dans la vérité décidée, et de l'autre côté qu'une pieuse adresse pour attirer les errants au concile dans l'espérance qu'ils céderaient à l'autorité, à la charité et aux raisons d'une assemblée à laquelle ils reconnaissaient dans l'accord même que le Saint-Esprit présidait.

 

CHAPITRE VII. SUR LE CONCILE DE TRENTE.

 

J'ai réservé à la fin cette question comme la plus difficile, non en elle-même, mais par rapport aux protestants.

Je suppose en premier lieu comme constant, que ce concile est reçu dans toute l'Eglise catholique et romaine, en ce qui regarde la foi ; ce qu'il est nécessaire d'observer, parce qu'il y en a qui se persuadent que la France n'en reçoit pas les décisions à cet égard, sous prétexte que pour certaines raisons elle n'en a pas reçu toute la discipline. Mais c'est un fait constant et qu'on peut prouver par une infinité d'actes publics, que toutes les protestations que la France a faites contre le concile, et durant sa célébration et depuis, ne regardent que les préséances, prérogatives, libertés et coutumes du royaume, sans toucher en aucune sorte aux décisions de la foi, auxquelles les évêques de France ont souscrit sans difficulté dans le concile. Tous les ordres du

 

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royaume, toutes les universités, toutes les compagnies, et en général et en particulier, y ont toujours adhéré. Il n'en est pas de la foi comme des mœurs : il peut y avoir des lois qu'il soit impossible d'ajuster avec les mœurs et les usages de quelques nations ; mais pour la foi, comme elle est de tous les âges, elle est aussi de tous les lieux. Il est même très-véritable que la discipline du concile de Trente, autorisée dans sa plus grande partie par l'ordonnance appelée de Blois, à cause qu'elle a été faite dans les Etats tenus dans cette ville, s'affermit de plus en plus dans le royaume, et qu'à peu d'articles près elle y est universellement suivie.

Je n'en dirai pas davantage sur ce sujet, parce que la chose est évidente, et que M. l'abbé Pirot, syndic de la faculté de théologie, envoie un mémoire fort instructif sur cette matière (a).

A l'égard des protestants modérés, à qui nous avons affaire, l'aversion qu'on a dans leur parti contre le concile de Trente doit être fort diminuée ; après qu'on a vu par l'écrit qu'ils nous ont adressé, que la doctrine de ce concile bien entendue est saine et ancienne; en sorte que ce qui reste d'aversion doit être attribué à la chaleur des partis qui n'est pas encore tout à fait éteinte, et aux préventions où l'on est contre les véritables sentiments de cette sainte assemblée. Il semble donc qu'il est temps plus que jamais d'en revenir sur ce concile à ce que saint Hilaire a dit autrefois sur le concile de Nicée : « Le Consubstantiel peut être mal entendu; travaillons à le faire bien entendre (1). » Par ce moyen les protestants, qui regardent le concile de Trente comme étranger, se le rendront propre en l'entendant bien et en l'approuvant.

Ainsi trouvons-nous dans les conciles d'Espagne (2) qu'ils se rendirent propre le concile VI, auquel ils n'avaient point été appelés, en examinant, en recevant, en publiant la décision qu'on y avait faite sur la foi : ainsi le concile de Constantinople, qui n'avait été célébré que par les évêques d'Orient, eut l'autorité et le nom de second concile général par l'acceptation et le consentement

 

1 De Synod., n. 88, col. 1202. — 2 Conc. Tolet., XIV, cap. IV, V, ubi sup.

 

(a) Nous aurions fort souhaité d'enrichir cette collection du Mémoire de M. Pirot, dont le savant auteur fait ici l'éloge; mais nous n'avons pu le trouver ni dans les papiers de M. de Meaux ni ailleurs. (Edit. de Paris.)

 

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ment de l'Occident : ainsi le Siège apostolique se rendit propre le cinquième concile en lui donnant son approbation, encore qu'il eût été commencé sans son concours : ainsi la France, qui n'a-voit point assiste au septième concile, après quelques difficultés qui venaient plutôt, comme il est notoire, de ce qu'on ne s'entendait pas bien, que du fond de la doctrine, le reçut à la fin comme les autres nations orientales et occidentales, sans que depuis ce temps on en ait contesté l'autorité ou rejeté les décisions.

La principale raison que les protestants ont opposée à ce concile est que le Pape et les évêques de sa communion , qui ont été leurs juges, étaient en même temps leurs parties ; et c'est pour remédier à ce prétendu inconvénient qu'ils s'attachent principalement à demander que leurs surintendants soient reconnus juges dans le concile qu'on tiendra. Mais si cette raison a lieu, il n'y aura jamais de jugement contre aucune secte hérétique ou schismatique, n'étant pas possible que ceux qui rompent l'unité soient jugés par d'autres que par ceux qui étaient en place quand ils ont rompu. Le Pape et lés évêques catholiques n'ont fait que se tenir dans la loi où les protestants les oui trouvés. Ils ne sont donc point naturellement leurs parties. Ce sont les protestants qui se sont rendus leurs parties contre eux, en les accusant d'idolâtrie, d'impiété et d'antichristianisme. Ainsi ils ne pouvaient pas être assis comme juges dans une cause où ils s'étaient rendus accusateurs. Les novatiens et les donatistes qui avaient rompu avec l’Eglise, ne furent point appelés à ses conciles. Les protestants n'ont point appelé ceux qu'ils appellent réformés aux assemblées où ils ont jugé de leur doctrine, et ils n'ont pas laisse de la condamner. Les réformés eux-mêmes n'ont pas fait asseoir les arminiens dans leur synode de Dordrecht, où ils les jugeaient : en un mot, quoi qu'on fasse, on ne peut jamais faire que les hérétiques soient juges par d'autres qui par les catholiques ; et si l'on appelle cela être partie, il n'y aura plus de jugement ecclésiastique, ainsi qu'il a déjà été remarqué.

Les anathèmes du concile de Trente, dont les protestants font tant de plaintes, n'ont rien de plus fort que ce qui est si souvent répété par les mêmes protestants dans leurs livres symboliques :

 

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Ils condamnent, ils improuvent comme impie, etc., telle et telle doctrine. Tout cela, dis-je, est équivalent aux anathèmes de Trente. Il faut donc faire cesser ces reproches ; et en dépouillant tout esprit de contention et d'aigreur, entrer dans les éclaircissements qui rendront les décisions du concile recevables aux protestants mêmes.

 

CHAPITRE VIII. DERNIÈRE RÉSOLUTION DE LA QUESTION DE M. DE LEIBNIZ PAR LES PRINCIPES POSÉS.

 

M. de Leibniz peut voir maintenant la résolution de ce qu'il appelle l'essentiel de la question : « savoir, si ceux qui sont prêts à se soumettre à la décision de l'Eglise, mais qui ont des raisons de ne pas reconnaître un certain concile pour légitime, sont véritablement hérétiques ; et si, une telle question n'étant que de fait, les choses ne sont pas à leur égard devant Dieu, ou comme disent les canonistes, in foro poli, et lorsqu'il s'agit de la doctrine de l'Eglise et du salut, comme si la décision n'avait pas été faite; puisqu'ils ne sont point opiniâtres. La condescendance du concile de Baie semble appuyée sur ce fondement. » Voilà la question comme il l'a souvent proposée, et comme il la propose tout nouvellement dans sa lettre du 3 juillet 1692. Cette question a deux parties : la première, si un homme disposé de cette sorte est opiniâtre et hérétique; puisqu'il faut trancher le mot et qu'on le demande, je réponds qu'oui : la seconde, s'il se peut servir de la condescendance du concile de Bâle : je réponds que non.

Quant à la première partie, en voici la démonstration.

J'appelle opiniâtre en matière de foi celui qui est invinciblement attaché à son sentiment, et le préfère à celui de toute l'Eglise : j'appelle hérétique celui qui est opiniâtre en cette sorte.

Ce fondement supposé, je dis que ceux dont il s'agit, premièrement sont opiniâtres, parce qu'encore qu'ils disent qu'ils sont prêts à se soumettre à la décision de l'Eglise, ils s'y opposent en effet.

Leur excuse est que ce n'est point en gênerai à l'autorité et à l'infaillibilité de l'Eglise qu'ils en veulent, mais seulement qu'ils

 

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ont des raisons pour ne pas reconnaître un certain concile ; ce qui n'est, à ce qu'ils disent, qu'une erreur de fait.

Or cette excuse est frivole et nulle, parce que la raison qu'ils ont de ne pas reconnaître ce certain concile, est une raison qui les met en droit de n'en reconnaître aucun, ou de ne les reconnaître qu'autant qu'ils voudront. Car cette raison est que ce concile est tout ensemble juge et partie. C'est ce qu'ils ont dit autrefois : c'est ce qu'ils prétendent encore, comme on a vu ; or cette raison conviendra à tout concile, n'étant pas possible de faire autrement, comme on a vu, ni que les hérétiques soient jugés par d'autres que parles catholiques. Ainsi l'excuse de ceux dont il s'agit leur est commune avec tout ce qu'il y a eu et ce qu'il y aura jamais d'hérétiques, n'étant pas possible qu'il y en ait jamais qui ne prennent les catholiques à partie. Il résultera donc de là qu'on ne pourra jamais prononcer de jugements ecclésiastiques sur la foi que du consentement des contendants ; ce qui leur donne un moyen certain d'éluder tous les jugements de l'Eglise, sans que personne leur puisse ôter cette excuse. Elle n'est donc qu'un prétexte pour autoriser les hommes à demeurer invinciblement attachés à leur propre sens, et à le préférer à celui de toute l'Eglise.

Et en effet, pour appliquer cette démonstration à notre cas particulier, les protestants ne prétendent pas seulement rejeter ou tenir en suspens ce certain concile; c'est-à-dire celui de Trente, qu'ils accusent d'avoir été juge et partie; mais par la même raison, ils demandent en termes formels qu'on tienne en suspens tous les conciles où l'on a condamné ceux dont les protestants ont suivi les sentiments en tout ou en partie. Car c'est là une des propositions que M. l'abbé Molanus nous a faites dans son écrit; ce qui n'est pas seulement ne pas reconnaître un certain concile, comme dit M. de Leibniz, mais en général ne pas reconnaître tous les conciles où l'on aura été condamné, sans autre raison, sinon qu'on l'aura été par ses parties.

Et il est clair que les protestants sont forcés par l'état même de leur cause à tenir cette conduite. Car quand on aurait tenu en suspens le concile de Trente, ils n'en seraient pas moins accablés

 

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par l'autorité de tous les conciles précédons, où l’on trouve non-seulement la réalité, mais encore la transsubstantiation, le sacrifice et le sacrifice pour les morts, les messes privées, la communion sous une espèce, la primauté du Pape de droit divin, le purgatoire, le culte des Saints et des reliques, le mérite des lionnes œuvres, et en un mot, tous les points sur lesquels roulent nos controverses expressément décidés contre eux; et pour mettre la cause en son entier à leur égard, il faut remonter jusqu'à mille ans au moins ce qui est plus que suffisant quant à présent, et tenir en suspens tout ce qui a été fait depuis, c'est-à-dire le tenir pour nul, et n'y avoir aucun égard ; et c'est aussi expressément ce qu'on nous demande.

Et remarquez que dans ces mille ans se trouve la décision contre Bérenger, que les zuingliens demanderont qu'on tienne pour nulle, avec autant de raison qu'on en a de demander la nullité des autres décisions. Ces hérétiques seront donc rétablis comme les autres : il faudra revenir au fond avec eux, et l'on perdra l'avantage qu'on a contre eux par la force des choses jugées, que Luther et les luthériens ont tant fait valoir, en les pressant, comme on sait, par le sentiment de l'Eglise déclaré contre eux ; et il en faudra d'autant plus mépriser le jugement sur cet article, qu'on fait voir aux luthériens que la transsubstantiation y est établie avec la réalité; en sorte qu'il faut revenir de tout, si l'on ne veut pas tout accepter.

Mais quand cela serait fait, les nouveaux pélagiens, les nouveaux ariens, les nouveaux nestoriens reviendraient par la même raison contre les conciles de Nicée et d'Ephèse, où ils ont été condamnés; et il n'y aura qu'à dire qu'on a été jugé par ses parties, pour être absous de toute condamnation.

Quand donc M. Leibniz nous dit que révoquer en doute ce certain concile, est une question de fait, il ne veut pas voir que sous prétexte de ce fait il anéantit tous les jugements ecclésiastiques; de sorte qu'il n'y a point d'erreur plus capitale contre la foi.

Si c'est ici une simple question de fait, l'on dira aussi que c'en est une, savoir s'il y a une vraie Eglise sur la terre, et quelle elle est. Car cela assurément est un fait ; et si pour n'être pas opiniâtre,

 

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c'en est assez en général de dire : Je suis soumis à l'Eglise, mais je ne sais quelle elle est, ni où elle est, l'opiniâtre que nous cherchons ne se trouvera jamais, et l'indifférence des religions sera inévitable.

Il en est de même, si l'on dit : Je suis soumis au concile, mais je ne sais quel est ce concile auquel je me veux soumettre. Car qu'on le bâtisse comme on voudra, ce sera toujours, si je veux, ce certain concile, que pour certaines raisons je ne voudrais pas reconnaître ; et par la même raison que je pousserai ce doute jusqu'à mille ans ; je le pousserai en remontant jusqu'à l'origine du christianisme, et en descendant jusqu'à la fin des siècles, sans qu'il y ait aucune raison de n'arrêter nulle part puisqu'il n'y en aura jamais de m'arrêter à un endroit plutôt qu'à l'autre; et qu'en quelque endroit qu'on s'arrête, on y trouvera toujours un parti qui condamnera l'autre, sans qu'on puisse faire autrement.

Que si, en remontant durant mille ans, on n'a pas su où était l'Eglise, ni quel en était le concile légitime, ni si l'on en a tenu ou pu tenir quelqu'un, il n'y aura point de raison de ne pas porter le doute plus haut, et tout y sera également caduc.

En descendant, on se trouvera dans le même embarras. Car on ne pourra jamais dire de raison pourquoi ce concile, auquel on dit qu'on veut se soumettre, sera plus ferme et plus infaillible que les autres. Le consentement des chrétiens n'y sera pas autre que dans les conciles précédents. Les calvinistes, les anabaptistes, les sociniens, et en im mot, tous ceux qui n'y seront pas, diront toujours qu'ils ont été jugés par leurs parties, et l'on reviendra de ce concile, comme on prétend revenir de tous les autres.

Ainsi c'est visiblement une illusion qu'on se fait à soi-même, quand on dit qu'on se soumettra à un concile. Car ou il sera infaillible, et pourquoi non tous les autres? ou il ne le sera pas, et qu'aura-t-il moins que les autres?

Il n'y aura donc jamais de véritable docilité et soumission à l’Eglise, jusqu'à ce que l'on convienne de bonne foi qu'il y a toujours une Eglise, qui a des promesses pour n'errer jamais, laquelle par conséquent a des pasteurs et des juges légitimes des questions

 

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de la foi, qu'on ne peut prendre à partie sans y prendre Jésus-Christ même.

M. de Leibniz et ses semblables (car c'est à eux qu'on nous presse de parler) sont-ils dans ce sentiment, ou n'y sont-ils pas? Ils semblent y être ; car ils disent ou semblent dire en général que le concile universel, et par conséquent l'Eglise qu'il représente, est infaillible, et qu'ils sont prêts à se soumettre à son jugement, quel qu'il soit; d'où vient aussi que M. de Leibniz, dans la réflexion latine dont il a déjà été parlé, appelle les décisions de ce concile irrésistibles, statuta irrefragabilia. Il semble donc, lui et ceux de son avis, être dans le sentiment de l'infaillibilité. D'autre côté ils n'en sont pas; car ils ne font aucun scrupule de demeurer dans une communion où l'on enseigne publiquement le contraire. Ils veulent qu'on leur accorde que dans les siècles passes, l'on a fait plusieurs décisions ou fausses ou inutiles; car c'est en termes formels ce que demande M. de Leibniz dans une lettre du 13 juillet 1692, à madame de Brinon. Sur le fondement qu'il peut y avoir des décisions de cette nature, ils veulent qu'on raye d'un seul trait de plume toutes celles qui ont été faites depuis mille ans, sans pouvoir dire aucune raison pourquoi celle qu'ils semblent attendre comme la règle de leur foi sera plus valable.

Diront-ils que les conciles, dont ils veulent rayer les décrets, sont nuls, parce qu'ils ont été convoques par le Pape, ou qu'il y a présidé, ou qu'il n'y a appelé que les évêques de sa communion? Non, puisqu'ils veulent que celui auquel ils appellent soit convoqué de même, présidé de même, composé de même, qu'on n'y admette que des évêques, et des évêques réconciliés avec le Saint-Siège par cette union, qu'ils appellent préliminaire : diront-ils qu'on n'a pas suivi dans ces vieux conciles la même règle que celle qu'ils proposent au nouveau? Non encore ; car ils n'en prescrivent point d'autre que l'Ecriture avec le consentement de l'Eglise des siècles précédents ; et ils ne sauraient montrer qu'on s'en soit jamais proposé d'autres. Diront-ils que ce concile sera plus libre que les autres, à cause que la conclusion se fera à la pluralité des voix? On n'a jamais prétendu que cela se fit autrement.

 

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Ainsi le nouveau concile n'aura que ceci de particulier, qu'on y aura mis la condition d'y convoquer et assembler toutes les parties, pour y être également juges; ce qui est l'endroit précis où l'on a vu l'anéantissement entier de tous les jugements ecclésiastiques.

Que si, sans se servir de cette raison, qui est celle que les protestants ont toujours eue dans la bouche : J’ai été jugé par ma partie, on prétend tenir en suspens ce certain concile par d'autres raisons, comme en disant, par exemple, que c'est cabale et intrigue ; c'est en d'autres termes dire toujours la même chose, et toujours fournir aux hérétiques une excuse légitime, parce que ceux qui seront condamnés appelleront toujours intrigue et cabale tout ce qui se sera fait contre eux. Les eutychiens donneront toujours aux orthodoxes, qui suivent le concile de Chalcédoine, le nom de Melchites ou de Royalistes : les nestoriens ne cesseront jamais d'attribuer leur condamnation aux jalousies de saint Cyrille contre Nestorius, et du siège d'Alexandrie contre celui de Constantinople : ils diront que le Saint-Siège s'est laissé entraîner dans la cabale, et que son autorité a tellement prévalu dans le concile d'Ephèse, que ce concile, en condamnant Nestorius, a déclaré qu'il y était contraint par les lettres du pape Célestin : toutes les sectes parlent tout de même ; et s'il faut les écouter, il sera vrai de dire qu'il n'est pas possible de tenir jamais un concile légitime, et que chacun croira ce qu'il voudra.

Et pour enfin nous recueillir, et pousser en même temps la démonstration selon les vœux de M. de Leibniz jusqu'aux dernières précisions ; si, par exemple, toutes les fois qu'on voit un concile, qui seul et publiquement porte dans l'Eglise le titre d'oecuménique ; en sorte que personne ne s'en sépare que ceux qui en même temps sont visiblement séparés de l'Eglise même, qui reconnaît ce concile et qui en est reconnue : si, dis-je, on prétend le rejeter ou le tenir en suspens, sous quelque prétexte que ce soit, et principalement sous celui-ci, que ces séparés le regardent comme leur partie, et refusent pour cette raison de s'y soumettre, on détruit également tous les conciles et tous les jugements ecclésiastiques : on met une impossibilité d'en prononcer aucun qui tom.

 

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soit tenu pour légitime : on introduit l'anarchie, et chacun peut croire tout ce qu'il veut.

C'est en cela que consiste l'opiniâtreté qui fait l'hérétique et l'hérésie. Car si, pour n'être point opiniâtre, il suffisait d'avoir un air modéré, des paroles honnêtes, des sentiments doux, on ne saurait jamais qui est opiniâtre ou qui ne l'est pas. Mais afin qu'on puisse connaître cet opiniâtre qui est hérétique, et l'éviter selon le précepte de l'Apôtre (1), voici sa propriété incommunicable et son manifeste caractère : c'est qu'il s'érige lui-même dans son propre jugement un tribunal au-dessus duquel il ne met rien sur la terre, ou, pour parler en termes simples, c'est qu'il est attaché à son propre sens, jusqu'à rendre inutile tous les jugements de l'Eglise. On en vient là manifestement par la méthode qu'on nous propose ; on en vient donc manifestement à cette opiniâtreté qui fait l'hérétique, et voilà la résolution de la question dans sa première partie.

La seconde, qui regarde l'exemple des Pères de Bâle, n'est pas moins aisée. Car il résulte des faits et des principes posés, que le cas où se trouvent les protestants est tout à fait différent de celui où nous avons vu les Bohémiens et les calixtins (2). Les protestants demandent que l'on délibère de nouveau de toutes nos controverses , comme s'il n'y en avait rien de décidé dans le concile de Trente et clans les conciles précédents ; mais nous avons vu que le concile de Bâle, en accordant aux Bohémiens la discussion de l'article de la communion sous une espèce, déjà résolue à Constance, déclarait en même temps que cette discussion ne serait pas une nouvelle délibération, comme si la chose était indécise; mais qu'elle se ferait par manière d'éclaircissement et d'instruction, pour enseigner les errants, confirmer les infirmes et convaincre les opiniâtres; ce qui est infiniment différent de ce que les protestants nous proposent.

Il est vrai que les Bohémiens furent reçus à la communion, encore que de leur côté ils demeurassent en suspens sur un article décidé par le concile de Constance ; mais, premièrement, ils se soumettaient à un concile actuellement assemblé, qu'on saisissait de

 

1 Tit. III, 10. — 2 Ci-dessus, chap. VI, n. 4.

 

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l'affaire par les termes de l'accord, et non pas, comme on voudrait faire aujourd'hui, à un concile à convoquer, que mille obstacles peuvent empêcher ; c'est-à-dire à un concile en l'air.

Secondement, ils reconnaissaient l'Eglise infaillible, et se sou-mettaient aussi à son concile actuellement assemblé, comme à un concile dirigé par le Saint-Esprit, après lequel il n'y aurait plus de retour; au lieu que les protestants, quoiqu'ils parlent à peuples de même, de sorte qu'ils semblent vouloir tout déférer à ce concile, n'ont point encore tranché le mot, qu'ils tiennent l'Eglise et son concile pour infaillibles ; et au contraire l'Eglise où ils sont a des principes opposés à ce sentiment, qui ne laissent aucune espérance de finir nettement les contestations, ainsi qu'il a été dit.

Troisièmement, quoique le concile auquel les Bohémiens se soumettaient fût le concile de l'Eglise de laquelle ils s'étaient séparés , ils ne le regardaient pas comme leur partie, et ne demandaient pas même que leurs prêtres y fussent assis avec les autres comme juges ; mais ne connaissant d'autre Eglise que l'Eglise catholique romaine, ni d'autre concile que celui qui était composé de ses évêques, ils venaient en suppliants, et se contentaient de pouvoir dire leurs raisons devant les Pères du concile comme devant leurs juges légitimes, dont il n'y avait plus aucun appel. Mais les protestants font le contraire ; et en refusant de reconnaître pour légitime tout concile où les contendants ne seront pas tous également juges, ils ferment la porte à tout jugement ecclésiastique, et ne laissent aucun remède au schisme et aux hérésies, comme on vient de voir.

Quatrièmement, sans rien alléguer contre le concile de Constance qui affaiblit ou détruisît les conciles en général, comme serait qu'ils ont été leurs parties, ils se plaignaient seulement de n'y avoir point été ouïs, à quoi il était aisé de remédier à Bâle en les écoutant. Mais aujourd'hui les protestants, qui ne peuvent pas faire cette plainte, puisqu'il n'a tenu qu'à eux d'être ouïs, et qu'on leur a donné tous les sauf-conduits et sûretés nécessaires en la forme qu'ils ont souhaitée, apportent pour toute exception, ou du moins comme leur exception principale, qu'il ne leur suffit pas

 

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d'être ouïs en toute sûreté comme parties ; mais que les pasteurs qu’ils ont établis, sans qu’ils aient été ordonnés par des évêques, ont le même droit de juger que ceux qui ont garde la succession et sont demeurés dans leurs places sans rien innover; ce qui emportant l'invalidité de tous les jugements ecclésiastiques, les oblige aussi, non à rejeter un certain concile pour des raisons particulières, comme ils disent, mais tous les conciles depuis environ nulle ans, sans alléguer aucune raison pour attribuer plus de force à ceux qui ont précédé ou qui suivront.

En cinquième lieu, il ne s'agissait que d'un seul article avec les calixtins; et l'on a vu que cet article par les principes posés était aisé à régler, ou plutôt qu'il était déjà préjuge par les ternies mêmes de l'accord et parla croyance, qui était commune entre les parties, de l'infaillibilité de l'Eglise; mais il n'y a point de question que les protestants n'aient remuée, ayant même renversé les fondements de l'Eglise, en ébranlant la promesse de l'assistance perpétuelle du Saint-Esprit ; et pour tenir en suspens les décisions faites contre eux, il faudrait, pour ainsi parler, refondre l'Eglise toute entière.

Enfin bien qu'on ait eu la condescendance de ne point parler aux calixtins du concile de Constance, qui leur faisait peine, ils se soumettaient eux-mêmes à l'équivalent, c'est-à-dire au concile de Bâle, qui, comme on a vu (1), était assemblé en vertu d'un de ses canons, c'est-à-dire du chapitre Frequens ; et qui d'ailleurs, non content de la profession qu'il faisait de se régler selon les maximes de ce même concile, s'était encore expliqué sur le décret en question, en déclarant qu'il le tenait pour inviolable ; en sorte qu'il était notoire que se soumettre aux Pères de Bâle, c'était au fond, et comme on parle, équivalemment recevoir celui de Constance ; au lieu qu'on ne peut attendre du concile, que les protestants nous proposent, que toute sorte de divisions, puisqu'on le compose de parties directement opposées sur cent matières de foi, où l'on croit voir de part et d'autre la subversion entière du christianisme; et que d'ailleurs on ne craint point de nous demander la suspension de tout ce qui a été fait depuis mille ans, comme si durant tout ce

 

1 Chap. VI, n. 4.

 

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temps il n'y avait point eu de christianisme ni d'Eglise véritable.

Ainsi l'exemple du concile de Bâle étant infiniment éloigne du cas que l'on nous propose, on ne peut rien conclure en faveur des protestants ; et au contraire, comme cet exemple fait voirie dernier point où la charité maternelle de l'Eglise peut porter sa condescendance, il fait voir en même temps que ce qu'on demande au delà est impraticable.

Il y a une dernière raison qui va être tranchée en un mot, et qui ne laisse aucune excuse à ceux qui sont dans le cas que M. de Leibniz nous propose ; c'est que dans la lettre du 13 juillet 1692, à madame de Brinon, en se plaignant des décisions qu'on a faites, à ce qu'il prétend, sans nécessité, il ajoute : que « si ces décisions se pouvaient sauver par des interprétations modérées, tout irait bien. » Or est-il que de son aveu ces décisions se peuvent sauver par les interprétations modérées de M. l'abbé Molanus dans les matières les plus essentielles, par lesquelles on peut juger de toutes les autres ; par conséquent tout va bien ; c'est-à-dire qu'il n'y a lien qui puisse empêcher un homme qui aime la paix, de retourner à l'unité de l’Eglise. Si donc il n'y retourne pas, il ne pourra s'excuser d'adhérer au schisme.

Et remarquez que ces interprétations ou déclarations, sous lesquelles M. l'abbé Molanus reconnaît que les sentiments catholiques sont recevables, ne sont pas des déclarations qu'il faille attendre de l'Eglise, puisque nous avons montré qu'elles sont déjà toutes faites en termes précis dans le concile de Trente ; car tous les éclaircissements que ce savant abbé a proposés, par exemple, sur la justice chrétienne, sur la transsubstantiation, sur le sacrifice, sur l'invocation des Saints, sur le culte des nuages, etc., sont précisément ceux que le concile de Trente a donnés de mot à mot dans les décrets que nous en avons rapportés. Si ces articles, de la manière qu'ils sont approuvés parmi nous, sont recevables ou irréprochables, on ne doit pas présumer que les autres moins importants doivent arrêter ; donc tout l'essentiel est déjà fait : on ne peut demeurer luthérien sans s'obstiner dans le schisme, ni faire son salut ailleurs que dans notre communion.

Il ne sert de rien de répondre que les déclarations du même

 

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abbé sur les dogmes luthériens sont bonnes aussi, ce qui rend les choses égales. Car premièrement, et cette raison ne souffre point de réplique, quand cela serait, tout le monde demeure d'accord que c'est à nous qu'il faut revenir, si on le peut en conscience ; puisque c'est nous qu'on a quittés : c'est, dis-je, à nous qu'il faut revenir, supposé que notre doctrine soit saine, recevable, ancienne, comme M. l'abbé Molanus l'a démontré dans les articles les plus essentiels, et qu'on le doit raisonnablement inférer des autres. Mais secondement, je soutiens que les déclarations que nous donne M. l'abbé Molanus, sur les dogmes luthériens, ne sont pas aussi authentiques que celles qui nous regardent ; puisque nos déclarations sont déjà données par le concile de Trente, et que celles de M. l'abbé Molanus sont ses déclarations particulières, et sont encore à donner par le parti.

J'ajoute qu'il n'y a point de bonnes explications à donner à l'ubiquité, par exemple, ni à cette proposition : « Les bonnes œuvres ne sont pas nécessaires au salut. » C'est pourquoi M. l'abbé Molanus consent que ces doctrines soient supprimées ; mais cela n'empêche pas que la première ne soit en vigueur dans presque tout le luthéranisme; et que la seconde, autorisée par un décret de tout le parti, comme on a vu, ne soit encore la seule publiquement approuvée, n'ayant été révoquée par aucun acte.

De là se tire un argument pour l'infaillibilité de l'Eglise, et la perpétuelle vérité de ses décisions. Car comme entre ces décisions, celles que les protestants trouvent le plus remplies d'erreurs, sont celles du concile de Trente, et que M. l'abbé Molanus a cependant démontré que lorsqu'elles sont bien entendues, on les trouve non-seulement irréprochables, mais encore pour la plupart appuyées du consentement de l'ancienne Eglise il s'ensuit nécessairement que Jésus-Christ, quia assisté son Eglise dans les premiers siècles, ne l'a pas abandonnée dans les derniers.

Je soutiens donc que M. de Leibniz, et ceux qui entrent comme lui dans les tempéraments de M. l'abbé Molanus, ne sont point excusés par là de l'opiniâtreté qui l'ait l'hérétique pour trois raisons, qui ne peuvent pas être plus décisives ni plus fortes. La première, que les exceptions qu'ils apportent contre les conciles auxquels ils

 

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ne veulent point qu'on ait égard, détruisent, comme on a vu, tous les jugements ecclésiastiques, tous les fondements de réunion, et même en particulier les fondements de la réunion qu'on propose. La seconde, qu'ils n'ont trouvé aucun exemple de da condescendance qu'ils nous demandent, puisque celle du concile de Bâle, qu'ils croient avec raison la plus forte, ne leur sert de rien. La troisième, que les décisions du concile de Trente, tant décriées par les protestants et par eux-mêmes, sont recevables et irréprochables, lorsqu'elles sont bien entendues : d'où il s'ensuit que le docte abbé, dont nous avons examiné l'écrit, si l'on change seulement l'ordre de son projet, a ouvert aux siens, comme il se l'était proposé, le chemin à la paix et comme le port du salut.

 

Un seul corps et un seul esprit. Eph., IV, 4.

 

Ecrit à Meaux, dans les mois d'avril, mai, juin et juillet 1692.

 

 

 

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