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SECONDE PARTIE qui contient les lettres.
LETTRE PREMIÈRE. LEIBNIZ A MADAME DE BRINON. A Hanovre, 16 juillet 1691.
LETTRE II. Mme LA DUCHESSE DE HANOVRE A Mme L'ABBESSE DE MONTBUISSON.
(extrait.) 10 Septembre 1691.
LETTRE III. BOSSUET A MADAME DE BRINON. 29 septembre 1691.
LETTRE IV. LEIBNIZ A MADAME DE BRINON. 29 septembre 1691.
LETTRE IV. LEIBNIZ A MADAME DE BRINON.
LETTRE V. LEIBNIZ A MADAME DE BRINON. De Hanovre, le 17 décembre 1691.
LETTRE VI. LEIBNIZ A BOSSUET. De Hanovre, le 28 décembre 1691.
LETTRE VII. LEIBNIZ A BOSSUET. (extrait.) Sans date.
LETTRE VIII. BOSSUET A LEIBNIZ. A Versailles, ce 10 janvier 1692.
LETTRE IX. LEIBNIZ A BOSSUET. A Hanovre, 8 (18) janvier 1692.
LETTRE X. BOSSUET A LEIBNIZ. A Versailles, 17 janvier 1692.
Madame,
C'est beaucoup que vous ayez
jugé ma lettre digne d'être lue ; mais c'est trop que vous l'ayez lue à madame
l'abbesse. On doit craindre les lumières de cette grande princesse, surtout
quand on écrit aussi mal que je fais ; et ce que votre bonté vous fait paraître
supportable, sera condamné d'un juge plus sévère.
Madame la duchesse, qui a lu
avec plaisir la belle lettre dont vous m'avez honoré, a remarqué avec cette
pénétration qui lui est ordinaire, que le récit mémorable des motifs du
changement de feu Madame votre mère a quelque chose de commun avec ce qu'on
rapporte de feu Madame la princesse Palatine, dans le sermon funèbre fait par M.
Fléchier, si je ne me trompe (a). Il faut avouer que le cœur humain a bien des
replis, et que les persuasions sont comme les goûts : nous-mêmes ne sommes pas
(a) Il se trompe en effet; l’Oraison funèbre est de
Bossuet.
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toujours dans une même assiette ; et ce qui nous frappe
dans un temps, ne nous touchait point dans l'autre. Ce sont ce que j appelle les
raisons inexplicables : il y entre quelque chose qui nous passe. Il arrive
souvent que les meilleures preuves du monde ne touchent point, et que ce qui
touche n'est pas proprement une preuve.
Vous avez raison, Madame, de me
juger catholique dans le cœur ; je le suis même ouvertement : car il n'y a que
l'opiniâtreté qui fasse l'hérétique ; et c'est de quoi, grâce à Dieu, ma
conscience ne m'accuse point. L'essence de la catholicité n'est pas de communier
extérieurement avec Rome; autrement ceux qui sont excommuniés injustement
cesseraient d'être catholiques malgré eux et sans qu'il y eût de leur faute. La
communion vraie et essentielle, qui fait que nous sommes du corps de
Jésus-Christ, est la charité. Tous ceux qui entretiennent le schisme par leur
faute, en mettant des obstacles à la réconciliation, contraires à la charité,
sont véritablement des schismatiques : au lieu que ceux qui sont préIs à faire
tout ce qui se peut pour entretenir encore la communion extérieure, sont
catholiques en effet. Ce sont des principes dont on est obligé de convenir
partout. Vous me ferez, Madame, la justice de croire que je ne ménage rien quand
il s'agit de l'intérêt de Dieu; et je ne ferois pas scrupule de confesser devant
les hommes ce que je juge important à mon salut, ou à celui des autres : outre
que je suis dans un pays où la juste modération, en matière de religion, est
dans son souverain degré, au delà de ce que j'ai pu remarquer partout ailleurs,
et où la déclaration qu'on peut faire en ces matières ne t'ait tort à personne.
Je ne suis pas homme à trahir la vérité pour quelque avantage ; et je me fie
assez à la Providence, pour ne pas appréhender les suites d'une profession
sincère de mes sentiments. Mais j'aurais mauvaise grâce de faire le brave ici,
et de m'attribuât un courage dont on n'a pas besoin, parles bontés que nos
souverains témoignent aux honnêtes gens, de quelque religion qu'ils soient.
De plus, Madame, c'est par ordre
du Prince que les théologiens de ce pays ont donné une déclaration de leurs
sentiments à M. l'évêque de Neustadt, autorisé en quelque façon de l'Empereur,
et
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même du Pape, touchant les moyens de lever le schisme. Cet
évêque en a été très-satisfait, et même la cour de Rome en a été ravie. J'ai
fort applaudi à cette déclaration, qui nous délivre entièrement de l'accusation
du schisme, et qui met dans leur tort tous ceux qui peuvent faire cesser les
obstacles contraires aux conditions raisonnables qu'on y a attachées, et qui ne
le voudront pas faire. Je crois, Madame, vous avoir déjà entretenue de cette
allaire. Que pouvons-nous faire davantage ? Les églises d'Allemagne, non plus
que celles de France, ne sont pas obligées de suivre tous les mouvements de
celle d'Italie. Comme la France aurait tort de trahir la vérité pour reconnaître
l'infaillibilité de Rome, car elle imposerait à la postérité un joug
insupportable : de même on aurait tort en Allemagne d'autoriser un concile,
lequel, tout bien fait qu'il est, semble n'avoir pas tout ce qu'il faut pour
être œcuménique.
Quand tout ce qu'il y a dans le
concile de Trente serait le meilleur du monde, comme effectivement il y a des
choses excellentes, il y aurait toujours du mal de lui donner plus d'autorité
qu'il ne faut, à cause de la conséquence. Car ce serait approuver et confirmer
un moyen de faire triompher l'intrigue, si une assemblée dans laquelle une seule
nation est absolue, pouvait s'attribuer les droits de l'Eglise universelle ; ce
qui pourrait tourner un jour à la confusion de l'Eglise, et faire douter les
simples de la vérité des promesses divines. J'ai déjà écrit à M. Pelisson
qu'autant que je puis apprendre, la nation française n'a pas encore reconnu le
concile de Trente pour œcuménique ; et en Allemagne, l'archidiocèse de Mayence,
duquel sont les évêques de notre voisinage, ne l'a pas encore reçu non plus. On
est redevable à la France d'avoir conservé la liberté de l'Eglise contre
l'infaillibilité des papes ; et sans cela je crois que la plus grande partie de
l'Occident aurait déjà subi le joug ; mais elle achèvera d'obliger l'Eglise
catholique, en continuant dans cette fermeté nécessaire contre les surprises
ultramontaines, qu'elle a montrée autrefois en s'opposant à la réception du
concile de Trente ; ce qu'elle n'a pas encore rétracté ; et rien n'est survenu
qui doive la faire changer de sentiment. C'est ainsi qu'on peut moyenner la paix
de l'Eglise,
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sans faire tort à ses droits ; au lieu qu'il sera difficile
de procurer la réunion par une autre voie. Car il semble que, le destin mis a
part, le meilleur remède pour guérir la plaie de l'Eglise serait un concile bien
autorisé ; et nos théologiens ont cru que. même on pourrait rétablir
préalablement la communion ecclésiastique, en convenant de certains points, et
en remettant d'autres à la décision de ce concile ; ce que les docteurs
considérables de Rome même ont jugé faisable, par des raisons que je crois avoir
expliquées dans une de mes précédentes.
Je joins ici le pouvoir que
l'Empereur vient de donner à M. l'évêque de Neustadt (a), dont j'ai déjà parlé :
et par ce pouvoir il est autorisé à traiter avec les protestants des terres
héréditaires, conformément aux projets dont il était convenu avec les
théologiens de Brunswick ; car ce que cet évêque m'a envoyé depuis peu y
convient entièrement. Je souhaite, pour la gloire du Roi et pour le succès de
l'affaire, que la France y prenne part : elle est la plus propre à être en ceci
la médiatrice des nations, et de réconcilier l'Italie avec l'Allemagne : lorsque
le Roi se mêle de quelque chose, il semble qu'elle est presque faite. C'est à M.
l'évêque de Meaux, à M. Pelisson et à d'autres grands hommes de cette espèce, de
faire ménager des occasions qui ne se présentent peut-être qu'une fois dans un
siècle. Votre éminente vertu, Madame, qu'on voit éclater par un zèle si pur et
si judicieux, sera d'un grand poids pour ranimer le leur. Je suis avec respect,
Madame, votre, etc.
Leibniz.
J'ai envoyé la lettre de madame
de Brinon à Leibniz, qui est présentement dans la bibliothèque de Wolfenbuttel.
Je ne sais si elle
(a) L'acte qui renferme ce plein pouvoir se trouve au
commencement des pièces sur la réunion des protestants. fol. XVII. p 358
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a lu un livre où il y a le voyage d'un nonce au mont Liban,
où il a reçu les Grecs dans l'Eglise catholique, dont la différence est bien
plus grande que la nôtre avec votre église ; et on les a laissés, comme vous
verrez dans cette histoire, comme ils étaient, donnant la liberté à leurs
prêtres de se marier, et ainsi du reste. C'est pour cela que je ne sais pas la
raison pourquoi nous ne serions pas reçus aussi bien qu'eux, la différence étant
bien moindre. Mais comme vous dites que chez vous il y en a qui y sont
contraires, c'est aussi la même chose parmi nous; ce qui me fait appréhender que
quand on voudra s'accorder sur les points dont notre abbé. Molanus de Lokkum est
convenu avec quelques autres des églises luthériennes, il y en aura d'autres qui
y seront contraires ; et ainsi ce serait comme une nouvelle religion. Je crois
avoir envoyé autrefois à M. l'évêque de Meaux tous les points dont l'on est
convenu avec M. l'évêque de Neustadt, où M. Pelisson les pourra avoir, s'ils ne
sont pas perdus. Si madame de Brinon a voit donné les livres de M. de Meaux à M.
de la Neuville, il les aurait apportés ici ; s'il n'est pas parti, cela se
pourrait faire encore. Une difficulté que je trouve encore, si on nous accorde
ce que nous demandons pour rentrer dans le giron de l'Eglise, les Catholiques
pourraient dire : Nous voulons qu'on nous accorde les mêmes choses. Il n'y a que
les princes qui puissent mettre ordre à cela, chacun dans son pays. Je ne crois
pas que Leibniz ait lu les livres de M. de Meaux; mais la réponse à Jurieu est
celle où la duchesse l'a fort admiré, connue aussi le Catéchisme du Père
Canisi jésuite, qu'on a traduit en allemand.....
Je me souviens bien, Madame, que
madame la duchesse d'Hanovre m'a fait l'honneur de m'envoyer autrefois les
articles qui avaient été arrêtés avec M. l'évêque de Neustadt (a) ; mais comme
(a) Ce sont les articles intitulés : Regulae circa
christianorum reunionem, vol. XVII, p. 360.
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cette affaire ne me parut pas avoir de la suite , j'avoue
que j'ai laissé échapper ces papiers de dessous mes yeux, et que je ne sais plus
où les retrouver : de sorte qu'il faudrait, s'il vous plaît, supplier
très-humblement cette princesse de nous renvoyer ce projet d'accord. Car encore
qu'il ne soit pas suffisant, c'est quelque chose de fort utile que de faire les
premiers pas de la réunion, en attendant qu'on soit disposé à faire les autres.
Les ouvrages de cette sorte ne s'achèvent pas tout d'un coup, et l'on ne revient
pas aussi vite de ses préventions qu'on y est entré. Mais pour ne se pas tromper
dans ces projets d'union, il faut être bien averti qu'en se relâchant selon le
temps et l'occasion sur les articles indifférents et de discipline , l'Eglise
romaine ne se relâchera jamais d'aucun point de la doctrine définie, ni en
particulier de celle qui l'a été par le concile de Trente.
M. de Leibniz objecte souvent à
M. Pelisson que ce concile n'est pas reçu dans le royaume. Cela est vrai pour
quelque partie de la discipline indifférente, parce que c'est une matière où
l'Eglise peut varier. Pour la doctrine révélée de Dieu et définie comme telle,
on ne l'a jamais altérée; et tout le concile de Trente est reçu unanimement à
cet égard, tant en France que partout ailleurs. Aussi ne voyons-nous pas que ni
l'Empereur ni le Roi de France, qui étaient alors et qui concouraient au même
dessein de la réformation de l'Eglise, aient jamais demandé qu'on en réformât
les dogmes; mais seulement qu'on déterminât ce qu'il y avait à corriger dans la
pratique, ou ce qu'on jugeait nécessaire pour rendre la discipline plus
parfaite. C'est ce qui se voit par les articles de réformation qu'on envoya
alors de concert, pour être délibérés à Trente, qui tous ou pour la plupart,
étaient excellons; mais dont plusieurs n'étaient peut-être pas assez convenables
à la constitution des temps. C'est ce qu'il serait trop long d'expliquer ici,
mais ce qu'on peut tenir pour très-certain.
Quant au voyage d'un nonce au
mont Liban, où madame la duchesse d'Hanovre dit qu'on a reçu les Grecs à notre
communion, je ne sais rien de nouveau sur ce sujet-là. Ce qui est vrai, c'est,
Madame, que le mont Liban est habité parles Maronites, qui sont, il y a
longtemps, de notre communion et conviennent en tout et
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partout de notre doctrine. Il n'y a pas à s'étonner qu'on
les ait reçus dans notre Eglise sans changer leurs rits, et peut-être même qu'on
n'a été que trop rigoureux sur cela. Pour les Grecs, on n'a jamais fait de
difficulté de laisser l'usage du mariage à leurs prêtres. Pour ce qui est de le
contracter depuis leur ordination, ils ne le prétendent pas eux-mêmes. On sait
aussi que tous leurs évêques sont obligés au célibat, et que pour cela ils n'en
font point qu'ils ne les tirent de l'ordre monastique, où l'on en fait
profession. On ne les trouble pas non plus sur l'usage du pain de l'Eucharistie,
qu'ils font avec du levain : ils communient sous les deux espèces, et on leur
laisse sans hésiter toutes leurs coutumes anciennes. Mais on ne trouvera pas
qu'on les ait reçus dans notre communion, sans en exiger expressément la
profession des dogmes qui séparaient les deux églises, et qui ont été définis
conformément à notre doctrine dans les conciles de Lyon et de Florence. Ces
dogmes sont la procession du Saint-Esprit, du Père et du Fils, la prière pour
les morts, la réception dans le ciel des ames suffisamment purifiées, et la
primauté du Pape établie en la personne de saint Pierre. Il est, Madame,
très-constant qu'on n'a jamais reçu les Grecs qu'avec la profession expresse de
ces quatre articles, qui sont les seuls où nous différons. Ainsi l'exemple de
leur réunion ne peut rien faire au dessein qu'on a. L'Orient a toujours eu ses
coutumes, que l'Occident n'a pas improuvées; mais comme l'Eglise d'Orient n'a
jamais souffert qu'on s'éloignât en Orient des pratiques qui y étaient
unanimement reçues, l'Eglise d'Occident n'approuve pas que les nouvelles sectes
d'Occident aient renoncé d'elles-mêmes et de leur propre autorité, aux pratiques
que le consentement unanime de l'Occident avait établies. C'est pourquoi nous ne
croyons pas que les luthériens ni les calvinistes aient dû changer ces coutumes
de l'Occident tout entier ; et nous croyons au contraire que cela ne doit se
faire que par ordre, et avec l'autorité et le consentement du chef de l'Eglise.
Car sans subordination, l'Eglise même ne serait rien qu'un assemblage
monstrueux, où chacun ferait ce qu'il voudrait, et interromprait l'harmonie de
tout le corps.
J'avoue donc qu'on pourrait
accorder aux luthériens certaines
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choses qu'ils semblent désirer beaucoup, comme sont les
deux espèces; et en effet, il est bien constant que les papes, à qui les Pères
de Trente avaient renvoyé cette affaire, les ont accordées depuis le concile à
quelques pays d'Allemagne qui les demandaient. C'est sur ce point et sur les
autres de cette nature, que la négociation pourrait tomber. On pourrait aussi
convenir de certaines explications de notre doctrine ; et c'est, s'il m'en
souvient bien, ce qu'on avait fait utilement en quelques points dans les
articles de M. de Neustadt. Mais de croire qu'on fasse jamais aucune
capitulation sur le fond des dogmes définis, la constitution de l'Eglise ne le
souffre pas; et il est aisé de voir que d'en agir autrement, c'est renverser les
fondements, et mettre toute la religion en dispute. J'espère que M. de Leibniz
demeurera d'accord de cette vérité, s'il prend la peine de lire mon dernier
écrit contre le ministre Jurieu que je vous envoie pour lui. Je vois dans la
lettre de madame la duchesse d'Hanovre, qu'on a vu à Zell les réponses que j'ai
laites à ce ministre, et que madame la duchesse de Zell ne les a pas improuvées.
Si cela est, il faudrait prendre soin de lui faire tenir ce qui lui pourrait
manquer de ces réponses, et particulièrement tout le sixième Avertissement.
Voilà, Madame, l'éclaircissement que je vous puis donner sur la lettre de madame
la duchesse d'Hanovre, dont madame de Maubuisson a bien voulu que vous
m'envoyassiez l'extrait. Si elle juge qu'il soit utile de faire passer cette
lettre en Allemagne, elle en est la maîtresse.
Quant aux autres difficultés que
propose M. de Leibniz, il en aura une si parfaite résolution par les réponses de
M. Pelisson, que je n'ai rien à dire sur ce sujet. Ainsi je n'ajouterai que les
assurances de mes très-humbles respects envers madame d'Hanovre , à qui je me
souviens d'avoir eu l'honneur de les rendre autrefois à Maubuisson; et je
conserve une grande idée de l'esprit d'une si grande princesse. C'est, Madame,
votre très-humble serviteur,
J.-Bénigne
Bossuet, Ev. de Meaux.
Du 29 septembre 1691.
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Madame,
Aussitôt que nous avons appris
que ce qu'on avait envoyé autrefois à M. l'évêque de Meaux, touchant la
négociation de M. de Neustadt (a), ne se trouve pas, M. l'abbé Molanus, qui est
le premier des théologiens de cet état, et qui a eu le plus de part à cette
affaire, y a travaillé de nouveau. J'envoie son écrit à M. l'évêque de Meaux
(b), et je n'y ai pas voulu joindre mes réflexions; car ce serait une témérité à
moi de me vouloir mettre entre deux excellents hommes, dans une matière qui
regarde leur profession. Cependant comme vous avez la bonté, Madame, de souffrir
mes discours, qui ne peuvent être recommandables que par leur sincérité, je
dirai quelque chose à vous, sur cette belle lettre de M. de Meaux que vous nous
avez communiquée, et dont en mon particulier je vous ai une très-grande
obligation, aussi bien qu'à cet illustre prélat, qui marque tant de bonté pour
moi.
M. de Meaux dit, I : « Que ce
projet donné à M. de Neustadt ne lui paraît point encore suffisant ; II. Qu'il
ne laisse pas d'être fort utile, parce qu'il faut toujours quelque commencement;
III. Que Rome ne se relâchera jamais d'aucun point de la doctrine définie par
l'Eglise, et qu'on ne saurait faire aucune capitulation là-dessus ; IV. Que la
doctrine définie dans le concile de Trente est reçue en France et ailleurs par
tous les catholiques romains ; V. Qu'on peut satisfaire aux protestants, à
l'égard de certains points de discipline et d'explication, et qu'on l'avait fait
utilement en quelques-uns touchés dans le Projet de M. de Neustadt. » Voilà les
propositions substantielles de la lettre de M. de Meaux, que je tiens toutes
très-véritables. Il n'y en a qu'une seule encore, dans
(a) L'écrit intitulé Regulœ, dont il a déjà été
parlé.
(b) C'est celui qui a pour titre : Cogitationes privatae.
On l'a donné dans la première partie. (Edit. de Leroi.)
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cette même lettre, qu'on peut mettre en question; savoir si
les protestants ont eu droit de changer de leur autorité quelques rits reçus
dans tout l'Occident. Mais comme elle n'est pas essentielle au point dont il
s'agit, je n'y entre pas.
Quant aux cinq propositions
susdites (autant que je comprends l'intention de M. de Neustadt et de ceux qui
ont traité avec lui), ils ne s'y opposent point, et il n'y a rien en cela qui ne
soit conforme à leurs sentiments : surtout la troisième, qu'on pourrait croire
contraire à de tels projets d'accommodement, ne leur pouvait être inconnue; M.
de Neustadt, aussi bien que M. Molanus et une partie des autres qui avaient
traité cette affaire, ayant régenté en théologie dans des universités. On peut
dire même qu'ils ont bâti là-dessus, parce qu'ils ont voulu voir ce qu'il était
possible de faire entre des gens qui croient avoir raison chacun, et qui ne se
départent point de leurs principes; et c'est ce qu'il y a de singulier et de
considérable dans ce projet. Ils ne nièrent point non plus la première; car ils
n'ont regardé leur projet que comme un pourparler; pas un n'ayant charge de son
parti de conclure quelque chose. La seconde et la cinquième contiennent une
approbation de ce qu'ils ont fait, qui ne saurait manquer de leur plaire. Je
conviens aussi de la quatrième; mais elle n'est pas contraire à ce que j'avais
avancé. Car quoique le royaume de France suive la doctrine du concile de Trente,
ce n'est pas en vertu de la définition de ce concile, et on n'en peut pas
inférer que la nation française ait rétracté ces protestations ou doutes
d'autrefois, ni qu'elle ait déclaré que ce concile est véritablement œcuménique.
Je ne sais pas même si le Roi voudrait faire une telle déclaration, sans une
assemblée générale des trois Etats de son royaume; et je prétends que cette
déclaration manque encore en Allemagne, même du côté du parti catholique.
Cependant il faut rendre cette justice à M. l'évêque de Neustadt, qu'il
souhaiterait fort de pouvoir disposer les protestants et tous les autres à tenir
le concile de Trente pour ce qu'il le croit être, c'est-à-dire pour universel;
et qu'il y eût moyen de leur faire voir qu'ils ont lieu de se contenter des
expositions aussi belles et aussi modérées que celles que M. de Meaux en a
données, de l'aveu de Rome même. C'est
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même une chose à laquelle je crois que M. de Neustadt
travaille encore effectivement. Il m'avoua d'avoir extrêmement profité de cet
ouvrage (a), qu'il considère comme un des plus excellents moyens de retrancher
une bonne partie des controverses.
Mais comme il en reste
quelques-unes, où il n'y a pas encore eu moyen de contenter les esprits par la
seule voie de l'explication, telle qu'est, par exemple, la controverse de la
transsubstantiation, la question est: Si nonobstant des dissensions sur certains
points qu'un parti tient pour vrais et définis et que l'autre ne tient pas pour
tels, il serait possible d'admettre ou de rétablir la communion ecclésiastique :
je dis possible en soi-même d'une possibilité de droit, sans examiner ce qui est
à espérer dans le temps et dans les circonstances où nous sommes. Ainsi il
s'agit d'examiner si le schisme pourrait être levé par les trois moyens suivants
joints ensemble. Premièrement, en accordant aux protestants certains points de
discipline, comme seraient les deux espèces, le mariage des gens d'église,
l'usage de la langue vulgaire, etc.. ; et secondement, en leur donnant des
expositions sur les points de controverse et de foi, telles que M. de Meaux en a
publiées, qui font voir du moins de l'aveu de plusieurs protestants habiles et
modèles, que des doctrines prises dans ce sens, quoiqu'elles ne leur paraissent
pas encore toutes entièrement véritables, ne leur paraissent pas pourtant
damnables non plus : et troisièmement, en remédiant à quelques scandales et abus
de pratique, dont ils se peuvent plaindre, et que l'Eglise même et des gens de
piété et de savoir de la communion romaine désapprouvent; en sorte qu'après cela
les uns pourraient communier chez les autres, suivant les rits de ceux où ils
vont, et que la hiérarchie ecclésiastique serait rétablie : ce que les
différentes opinions sur les articles encore indécis empêcheraient aussi peu que
les controverses sur la grâce, sur la probabilité morale, sur la nécessité de
l'amour de Dieu et autres points; ou que le différend qu'il y a entre Rome et la
France touchant les quatre articles du clergé de cette nation, ont pu empêcher
l'union ecclésiastique des disputants, quoique peut-être quelques-uns de ces
points agités dans l'Eglise romaine, soient
(1) L'Exposition de la doctrine de l'Eglise catholique.
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aussi importons pour le moins que ceux qui demeureraient
encore en dispute entre Rome et Augsbourg : à condition pourtant qu'on se
soumettrait à ce que l'Eglise pourrait décider quelque jour dans un concile
œcuménique nouveau, autorisé dans les formes, où les nations protestantes
réconciliées interviendraient par leurs prélats et surintendants généraux
reconnus pour évêques, et même confirmés de Sa Sainteté, aussi bien que les
autres nations catholiques.
C'est ainsi que l'état de la
question sur la négociation de M. de Neustadt et de quelques théologiens de la
Confession d'Augsbourg, assemblés à Hanovre par l'ordre de Monseigneur le Duc,
doit être entendu, pour en juger équitablement, et pour ne pis imputer à ces
Messieurs ou d'avoir par là trahi les intérêts de leur parti et renoncé à leurs
Confessions de foi, ou d'avoir bâti en l'air. Car quant à ces théologiens de la
Confession d'Augsbourg, ils ont cru être en droit de répondre affirmativement,
bien qu'avec quelque limitation, à cette question, après avoir examiné les
explications et déclarations autorisées qu'on a données dans l'Eglise romaine,
qui lèvent, selon ces Messieurs, tout ce qu'on pourrait appeler erreur
fondamentale.
M. de Neustadt de son côté a eu
en main des résolutions affirmatives de cette même question, données par des
théologiens graves de différents ordres, ayant parlé plutôt en se rapportant aux
sentiments d'autrui que de son chef. Et voici ce que j'ai compris de la raison
de l'affirmative : c'est qu'on peut souvent se tromper, même en matière de foi,
sans être hérétique ni schismatique, tandis qu'on ne sait pas et qu'on ignore
invinciblement que l'Eglise catholique a défini le contraire, pourvu qu'on
reconnaisse les principes de la catholicité, qui portent que l'assistance que
Dieu a promise à son Eglise, ne permettra jamais qu'un concile œcuménique
s'éloigne de la vérité en ce qui regarde le salut. Or ceux qui doutent de
l'œcuménicité d'un concile ne savent point que l'Eglise a défini ce qui est
défini dans ce concile : et s'ils ont des raisons d'en douter, fort apparentes
pour eux, qu'ils n'ont pu surmonter après avoir fait de bonne foi toutes les
diligences et recherches convenables, ou peut dire qu'ils ignorent
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invinciblement que le concile dont il s'agit est œcuménique
: et pourvu qu'ils reconnaissent l'autorité de tels conciles en général, ils ne
se trompent en cela que dans le fait, et ne sauraient être tenus pour
hérétiques.
Et c'est dans cette assiette
d'esprit que se trouvent les églises protestantes, qui peuvent prendre part à
cette négociation, lesquelles se soumettant à un véritable concile œcuménique
futur, à l'exemple de la Confession d'Augsbourg même; et déclarant de bonne foi
qu'il n'est pas à présent en leur pouvoir de tenir celui de Trente pour tel,
font connaître qu'ils sont susceptibles de la communion ecclésiastique avec
l'Eglise romaine, lors même qu'ils ne sont pas en état de recevoir tous les
dogmes du concile de Trente. Après cela, jugez, Madame, si l'on n'a point fait
du côté de notre Cour et de nos théologiens toutes les démarches qu'il leur
était possible de faire en conscience pour rétablir l'union de l'Eglise, et si
nous n'avons pas droit d'en attendre autant de l'autre côté. En tout cas, si on
n'y est pas en humeur ou en état d'y répondre, les nôtres ont du moins gagné ce
point, que leur conscience est déchargée, qu'ils sont allés au dernier degré de
condescendance, usque ad aras, et que toute imputation de schisme est
visiblement injuste à leur égard.
Enfin la question étant formée
comme j'ai fait, on demande, non pas si la chose est praticable à présent ou à
espérer ; mais si elle est loisible eu elle-même, et peut être même commandée en
conscience, lorsqu'on rencontre toutes les dispositions nécessaires pour
l'exécuter. Si ce point de drojt ou de théorie était établi, cela ne laisserait
pas d'être de conséquence ; et la postérité en pourrait profiter, quand le
siècle qui va bientôt finir ne serait pas assez heureux pour en avoir le fruit.
Il n'en faut pourtant pas encore désespérer tout à fait. La main de Dieu n'est
pas raccourcie : l'Empereur y a de la disposition; le pape Innocent XI et
plusieurs cardinaux, généraux d'ordres, le Maître du sacré palais et théologiens
graves, après l'avoir bien comprise, se sont expliqués d'une manière
très-favorable. J'ai vu moi-même la lettre originale de feu révérend Père
Noyelles, général des jésuites, qui ne saurait être plus précise : et on peut
dire que si le Roi, et les prélats et
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théologiens qu'il entend sur ces matières s'y joignaient,
l'affaire serait plus que faisable; car elle serait presque faite, surtout si
Dieu donnait un bon moyen de rendre le calme à l'Europe. Et comme le Roi a déjà
écouté autrefois les sentiments de M. l'évêque de Meaux sur cette sainte
matière, ce digne prélat, après avoir examiné la chose avec cette pénétration et
cette modération qui lui est ordinaire, aura une occasion bien importante et peu
commune de contribuer au bien de l'Eglise et à la gloire de Sa Majesté : car
l'inclination seule de ce monarque serait déjà capable de nous faire espérer un
si grand bien, dont on ne saurait se flatter sans son approbation.
En attendant, on doit faire son
devoir par des déclarations sincères de, ce qui se peut ou doit faire ; et si le
parti catholique romain autorisait des déclarations dont leurs théologiens ne
sauraient disconvenir dans le fond, il est sur que l'Eglise en tirerait un fruit
immense; et que bien des personnes de probité et de jugement, et peut-être des
nations et provinces entières, avec ceux qui les gouvernent, voyant la barrière
levée, feraient conscience de part et d'autre de demeurer dans la séparation,
etc.
Leibniz.
Si je ne vous avais point
d'autre obligation, Madame, que celle de m'avoir procuré l'honneur de la
connaissance d'un homme aussi illustre que M. Pelisson, je ne pourrais pas me
dispenser de m'adresser à vous-même, pour vous en faire mes remerciements en
forme ; mais vos bontés vont bien au delà. On pouvait connaître M. Pelisson,
sans connaître tout son mérite; et vous avez fait, Madame, qu'il s'est abaissé
jusqu'à nf instruire; ce qu'il a fait sans doute par la déférence qu'on a
partout pour vos éminentes vertus. Je suis bien aise de le contenter en quelque
chose, et de lui donner au moins des preuves de ma sincérité. Si l'on parlait
toujours aussi rondement que nous faisons, ce serait le
131
moyen de finir les controverses : car on reconnaîtrait
bientôt la vérité, ou du moins l'indéterminabilité de la question, lorsque les
moyens de connaître la vérité nous manquent; ce qui suffirait pour not re repos
: car Dieu ne nous a pas promis de nous instruire sur tout ce que nous serions
bien aises de savoir, et le privilège de l'Eglise ne va qu'à ce qui importe au
salut.
M. Pelisson prend droit sur ce
que je lui ai accordé, et je ne me rétracte point. Suivant ses paroles, je
conviens d'une Eglise, et d'une Eglise visible à laquelle il faut tâcher de se
joindre, et y faire tout ce qu'on peut; qu'elle doit avoir le pouvoir
d'excommunier les rebelles; qu'on doit obéissance aux supérieurs que Dieu y a
établis ; qu'il faut conserver un esprit de docilité pour eux, et un esprit de
charité pour ceux dont on est séparé. Il reste seulement de voir si ces
considérations portent avec elles une nécessité indispensable de retourner à la
communion des supérieurs ecclésiastiques, qu'on reconnaissait autrefois : en
sorte qu'on ne saurait être sauvé autrement.
Mais il me semble que la
question est toute décidée par l'aveu de ceux qui reconnaissent des hérétiques
matériels, ou des hérétiques de nom et d'apparence, comme M. Pelisson l'explique
fort bien; c'est-à-dire, des gens qui paraissent être hors de l'Eglise, et y
sont pourtant en effet ; ou bien, qui sont hors de la communion visible de
l'Eglise, mais étant dans une ignorance ou erreur invincible, sont jugés
excusables : et s'ils ont d'ailleurs la charité et la contrition, ils sont dans
l'Eglise virtuellement, et in voto, et se sauvent aussi bien que ceux qui
y sont visiblement. Monseigneur le landgrave Erneste, qui a fort travaillé sur
les controverses, et a fait paraître autant de zèle que qui que ce soit pour la
réunion des protestants, ne laisse pas de demeurer d'accord de tout ceci; et il
a entendu dire ces choses en termes formels au cardinal Sforza Pallavicini, et
au Père Honoré Fabri, pénitencier de Saint-Pierre, qu'il avait pratiqué à Rome.
Et moi je puis dire avoir entendu soutenir la même chose à des docteurs
catholiques romains très-habiles. Aussi M. Pelisson ne s'y oppose point : mais
il explique cette doctrine, afin qu'on n'en abuse pas; et il n'admet parmi les
hérétiques matériels, que ceux qui ne savent point que
132
les dogmes qu'ils rejettent en matière de foi, soient la
doctrine de l'Eglise catholique.
Appliquons cette restriction aux
protestants, et nous trouverons qu'ils sont de ce nombre. On sait les plaintes
qu'ils ont faites contre le concile de Trente avec beaucoup d'apparence, pour
lui disputer la qualité d'œcuménique. On n'ignore pas les protestations
solennelles de la nation française contre ce concile, qui n'ont pas encore été
rétractées ; quoique le clergé ait fait son possible pour le faire reconnaître.
Ce n'est pas une chose nouvelle qu'on dispute sur l'universalité des conciles :
ceux de Constance et de Bâle ne sont pas reconnus en Italie, ni le dernier
concile de Latran en France : et quoique les papes, par le moyen de la
profession de foi, aient tenté de faire reconnaître indirectement le concile de
Trente, je ne sais pourtant si cela suffit; au moins la noblesse et le
tiers-état, avec les cours souveraines, ne le croyaient pas encore dans
l'assemblée des Etats du royaume, qui fut tenue après la mort de Henri IV. Je
sais que des docteurs catholiques ont avoué qu'un protestant qui serait porté à
se soumettre aux décisions de l'Eglise catholique, mais qui se trompant dans le
fait ne croirait pas que le concile de Trente eût été œcuménique, ne serait
qu'un hérétique matériel. Il est vrai qu'il paraît beaucoup de sagesse et de bon
ordre dans les actes de ce concile, quoiqu'il y ait quelque mondanité
entremêlée : et où est-ce qu'on n'en trouve point? C'est pourquoi je ne suis pas
du nombre de ceux qui s'emportent contre le concile de Trente: cependant il me
semble qu'on aura bien de la peine à prouver qu'il est oecuménique. Et peut-être
que c'est par un secret de la Providence, qui a voulu laisser cette porte
ouverte, pour moyenner un jour la réconciliation par un autre concile plus
autorisé et moins italien.
Mais quand le concile de Trente
aurait toutes les formalités requises, il y a encore une autre importante
considération; c'est que peut-être ses décisions ne sont pas si contraires aux
protestants, que l'on s'imagine. Ses canons sont souvent couchés d'une manière à
recevoir plusieurs sens; et les protestants se pourraient croire en droit de
recevoir celui qu'ils jugent le plus convenable, jusqu'à la décision de l'Eglise
dans un concile général futur, où
133
les églises protestantes prétendront avec raison d'être
admises parmi les autres églises particulières. Cassandre et Grotius ont trouvé
que. le concile de Trente n'est pas toujours fort éloigné de la Confession
d'Augsbourg. Le Père Dez qui prêchait à Strasbourg sur cette Confession,
semblait favoriser ce sentiment, et en tirait des conséquences à sa mode ; et
bien des protestants ont cru que l’Exposition de monseigneur l'évêque de
Meaux leur revenait assez. Ainsi il n'est pas aisé de prouver aux protestants
qu'ils nient ce qu'ils savent être décidé par l'Eglise catholique.
Aussi semble-t-il que c'est
plutôt la pratique des abus dominans, que les protestants croient reconnaître
parmi ceux qui communient avec Rome, que les dogmes spéculatifs, qui empêchent
la réunion. Qui ne sait que la question sur la justification fut crue autrefois
des plus importantes? Et cependant de la manière qu'on s'explique aujourd'hui,
il ne semble pas difficile de convenir là-dessus. L'on sait quelles limites on
donne en France à l'autorité des papes et des autres pasteurs; combien les rois
qui connaissent Rome, sont jaloux de leurs droits : et de la manière que
l'honneur rendu aux créatures s'explique dans la théorie, conformément au
concile de Trente, il paraît très-excusable. Mais la pratique est assez souvent
fort éloignée de la théorie. Il se passe bien des choses autorisées publiquement
dans L'Eglise romaine, qui alarment la conscience des gens de bien parmi les
protestants, et leur paraissent abominables, ou sont au moins très-dangereuses :
je laisse à M. Jurieu le soin de les exagérer; car pour moi je souhaiterais
plutôt de les adoucir. Ce sont ces pratiques qui empêchent la réunion, plus que
les dogmes. Dieu est un Dieu jaloux de son honneur, et il semble que c'est le
trahir que de dissimuler en certaines rencontres. Ainsi tout ce qu'on peut dire
à l'avantage des décisions de l'Eglise catholique, n'empêche pas qu'un homme de
bien ne puisse être alarmé des abus qui se répandent dans l'Eglise, sans que
l'Eglise catholique les approuve; et il parait en certaines rencontres qu'on est
obligé de témoigner son déplaisir. Que si des nations ou des provinces entières
s'élèvent contre ces désordres, et qu'on prétende, là-dessus les retrancher de
la communion ; il semble qu'une excommunication
134
si injuste ne leur saurait nuire ; et qu'eux-mêmes ne sont
pas obligés de recevoir les excommuniants à leur communion, ou, ce qui est la
même chose, de retourner à la leur, jusqu'à ce qu'on lève le sujet de leurs
plaintes : d'autant qu'ils se plaignent de choses que le concile de Trente n'a
pas osé approuver depuis, ou qu'il a plutôt désapprouvées, quoique sans effet
dans la pratique. On ne s'élève donc pas contre L'Eglise catholique, mais contre
quelques nations ou églises particulières mal réglées; quoiqu'il arrive
peut-être que le siège patriarcal de l'Occident, et même la métropolitaine de
l'univers y soit comprise, qu'on ne doit considérer que connue particulière à
l'égard des abus qu'elle tolère. On peut dire en effet que le faible et les
intérêts des nations s'y mêlent. Les Italiens et les Espagnols donnent fort dans
l'extérieur, et MM. les Italiens se font quelquefois un point de politique de
soutenir Rome; aussi profitent-ils le plus de ses avantages. Ils seraient
peut-être bien aises que tous les autres fussent leurs dupes, et surtout ceux du
Nord; cela est naturel. Mais la nation française devrait se joindre avec la
nation germanique, pour remettre l'Eglise dans son lustre, à l'exemple de
l'ancien concile de Francfort; et il faudrait profiter de la conjoncture de
quelque pape bien intentionné , qui se souviendrait plutôt d'être père commun ,
que d'être Romain ou Toscan. Je suis assuré que parmi les Italiens, dans Rome
même, et entre les prélats, on trouverait bien des gens de doctrine et de
probité, qui contribueraient de bon cœur à la réforme de l'Eglise, s'ils
voyaient quelque apparence de succès. Il faut même rendre cette justice à la
ville de Rome , que tout y va bien mieux qu'autrefois ; qu’on n'y est pas trop
favorable aux bagatelles de dévotion; et qu'elle pourra peut-être un jour
recouvrer l'honneur qu'elle avait dans les anciens temps, de donner bon exemple
et de servir de règle.
Mettant donc le concile de
Trente à pari pour les raisons susdites, on peut dire que l'Eglise catholique
n'a pas excommunié les protestants. Si quelque Eglise italienne le fait, on lui
peut dire qu'elle passe son pouvoir, et ne fait que s'attirer une
excommunication réciproque, à peu près comme disaient un jour (a) des
(a) C’étaient les évêques du parti de Louis le Débonnaire,
qui portaient ainsi, à l'occasion des menaces qu'on prétendait que Grégoire IV,
attaché à Lothaire, avait faites de les excommunier. ( Edit. de Déforis.)
135
évêques français à l'égard d'un pape : Si
excommunicaturus venit, excommunicatus abibit : « S'il vient pour
excommunier, il s'en ira excommunié. » Et lorsqu'une église particulière
excommunie quelqu'autre église particulière ou quelque nation, et même quand une
église métropolitaine excommunie une église qui est sous elle, ou bien quand un
évêque excommunie quelque prince ou particulier de son diocèse, les sentences ne
sont pas des oracles : elles peuvent avoir des défauts, non-seulement de
nullité, mais encore d'injustice. Car quoique les arrêts des juges séculiers
soient exécutés par les hommes, il ne faut pas s'imaginer que Dieu exécute
contre les âmes les sentences injustes des ecclésiastiques : c'est ici que la
condition Clave non errante a lieu. Tout ce que opère l'autorité du
supérieur ecclésiastique est qu'on lui doit obéir autant qu'on peut, sauf sa
conscience ; ce qui est déjà beaucoup : et c'est à peu près comme les canons
disent à l'égard des serments, qu'on doit les garder, autant qu'on peut, sans
préjudicier à son âme. Ce n'est donc pas anéantir l'autorité des ecclésiastiques
ou des serments, que de les ainsi limiter. On sait assez quelle déférence on a
en France et ailleurs pour les excommunications fulminées dans la bulle In
Coena Domini, et pour les décrets de l'inquisition de Rome. Je ne dis donc
rien en cela, que les catholiques romains, et des canonistes , particulièrement
ceux de France, ne reconnaissent. Je suis bien éloigné de vouloir éluder
l'autorité de l'Eglise et des ecclésiastiques, par une interprétation que M.
Pelisson me prête; comme si la restriction, que je donne à la force des
excommunications et autres arrêts des supérieurs ecclésiastiques, se réduisait à
ce beau privilège : Vous jugerez bien, quand vous jugerez bien. Car je distingue
entre le corps de l'Eglise, qu'on n'accorde pas avoir jamais prononcé contrôles
protestants, et entre les supérieurs ecclésiastiques hors du corps, qui ne
sauraient être infaillibles, et dont les excommunications sont semblables à
celles dont le procureur général d'un grand roi a appelé depuis peu au concile
général futur.
Après les choses que je viens de
dire, il n'est pas nécessaire
136
d'examiner les questions difficiles, qu'on peut former
touchant le salut de ceux qui font tout ce qu'ils peuvent pour croire à l'Eglise
catholique, sans en venir à bout, ni comment ils sont dans l'Eglise in voto.
Car le cas des protestants est tout autre, comme je viens de l'expliquer; et ils
ne rejettent que ce qu'ils croient contraire à la doctrine de l'Eglise de Dieu.
Je passe aussi plusieurs beaux endroits de l'écrit de M. Pelisson, de peur
d'aller trop loin : mais je ne saurais passer des choses très-considérables
qu'il dit dans le dernier article, sans faire là-dessus quelque réflexion. Il
accorde que l'Eglise a besoin de réformât ion à l'égard des abus de pratique;
que le peuple fait quelquefois un grand abus des images; que le temps est venu
où la lecture des livres sacrés ne sera plus défendue; qu'il n'est pas hors
d'apparence qu'on pourrait rétablir l'ancienne liberté de communier sous les
deux espèces, au moins quatre ou cinq fois l'année, d'autant que les protestants
ne communient guère davantage, pourvu qu'on le demande avec la soumission
nécessaire ; il ne doute point que les princes protestants ne l'obtiennent pour
eux et pour leurs Etats, en rentrant dans la communion de l'Eglise romaine. Nous
avons vu, dit-il, il n'y a pas dix ans, quand on ne convertissait les gens en
France que par la persuasion et par les grâces, ce projet non-seulement écouté à
la Cour, et approuvé de nos plus saints prélats , mais en état d'être reçu à
Rome , Si nos régales et nos franchises ne fussent venues à la traverse.
A propos de cette considération
de M. Pelisson, je dirai que lorsque M. l'évêque de Tina, maintenant de Neustadt
en Autriche, était ici par ordre de l'Empereur pour des vues toutes semblables,
j'envoyai moi-même sa lettre à M. l'évêque de Meaux. où il lui donnait part de
sa négociation. Cet illustre prélat en ayant parlé au Roi, répondit que Sa
Majesté, bien loin d'y être contraire, goûtait ces pensées et les favoriserait.
Quelques années après, la négociation de M. de Neustadt avec nos théologiens
ayant eu des suites considérables, et M. de Meaux l'ayant su par une lettre de
notre incomparable duchesse, que Madame lui avait montrée, il en félicita M. de
Neustadt, et répéta les premières expressions. En effet, on peut dire que,
depuis le colloque de Ratisbonne du
137
siècle passé, rien n'avait été fait de plus praticable, ni
de plus ajuste aux principes des deux partis. Le feu pape en témoigna quelque
satisfaction, aussi bien que des généraux de quelques grands ordres , et autres
personnes de grande autorité. Mais ces régales et ces franchises vinrent encore
ici à la traverse. Il semble que les offres de M. de Meaux ne furent pas assez
suivies, et que quelques-uns se firent un point de politique de contrecarrer
tout ce qu'ils croyaient pouvoir être goûté du feu pape, ou recommandé par
l'Empereur; comme si les jalousies d'état dévoient lever toute communication et
concurrence dans les matières les plus saintes et les plus innocentes. Cependant
on peut dire que la glace a été rompue : peut-être que les temps propres à
poursuivre ces desseins viendront im jour, et que la postérité nous en saura
quelque gré. Il est vrai qu'on y devrait songer de part et d'autre un peu plus
qu'on ne fait, au lieu d'entretenir cette funeste séparation, qui ne saurait
être assez pleurée de toutes nos larmes, pour me servir de l'expression
touchante de M. Pelisson.
Au reste, je vous assure,
Madame, et vous pouvez assurer M. Pelisson, qu'il n'y a rien moins que les
considérations de quelque agrandissement temporel de la part de nos princes, qui
empêche la paix de l'Eglise. Ils ont fait des pas désintéressés, qui marquent
leurs intentions généreuses et sincères, et qui leur donnent droit d'attendre
des dispositions réciproques de la part de ceux de l'autre communion, suivant
les apparences qu'on leur avait fait voir, auxquelles Monseigneur le Duc, dont
les lumières et les sentiments héroïques sont assez reconnus, avait cru devoir
répondre par une facilité toute chrétienne. Cette princesse, à qui M. Pelisson
donne avec raison le titre de grande et d'incomparable, a eu quelque part à ces
bons desseins, et en a été remerciée. Plût à Dieu que la force des expressions
de M. Pelisson, et les raisons de ces grands prélats, qui paraissent animés du
même esprit que lui, puissent gagner quelque chose sur les personnes puissantes
de leur côté, pour faire revivre nos espérances. Les malheurs des temps s'y
opposent, je l'avoue ; mais peut-être reverrons-nous encore la sérénité et le
calme. Je ne désespère pas entièrement du soulagement des maux de l'Europe,
quand je
138
considère que Dieu peut nous le donner, en tournant comme
i! faut pour cela le cœur d'une seule personne, qui semble avoir le bonheur et
le malheur des hommes entre ses mains. On peut dire que ce monarque, car il est
aisé de juger de qui je parle, fait lui seul le destin de son siècle ; et que la
félicité publique pourrait naître de quelques heureux momens, quand il plaira à
Dieu de lui donner une réflexion convenable. Je crois que pour être assez
touché, il n'aurait besoin que de connaître sa puissance ; car il ne manquera
jamais de vouloir le bien qu'il jugera pouvoir faire : et si cette prudence
réservée et scrupuleuse, qu'il fait paraître au milieu des plus grands succès
dont un homme est capable, lui avait permis de croire qu'il dépendait de lui
seul de rendre le genre humain heureux, sans que qui que ce soit eût été en état
de l'empêcher et de l'interrompre, je tiens qu'il n'aurait pas balancé un seul
moment. Et s'il considérait que c'est le comble de la grandeur humaine de
pouvoir, comme lui, faire le bien général des hommes, il jugerait bien aussi que
le suprême degré de la félicité serait de le faire en effet. Les éloges gâtent
les princes faibles : mais ce grand roi a besoin de comprendre toute l'étendue
des siens, pour faire ce qu'il peut, et pour connaître tout ce qu'il peut faire.
Voilà un endroit où l'éloquence inimitable de M. Pelisson pourrait triompher, en
persuadant au Roi qu'il est plus grand qu'il ne pense, et par conséquent qu'il
est au-dessus de certaines craintes pour le bien de son Etat, qui pourraient le
détourner des vues plus grandes et plus héroïques, dont l'objet est le bien du
monde. Quel panégyrique peut-on se figurer plus magnifique et plus glorieux, que
celui dont le succès serait suivi de la tranquillité de l'Europe, et même de la
paix de l'Eglise !
Madame,
Voici enfin une partie de
l'écrit de M. l'abbé Molanus : le reste suivra bientôt. J'avoue de l'avoir
promis il y a longtemps, et d'y
139
avoir manqué plusieurs semaines de suite ; mais ce n'était
pas ma faute, ni celle de M. Molanus non plus. Je puis lui rendre témoignage
qu'il y a travaillé à diverses reprises ; niais qu'il a été interrompu par des
occupations indispensables. Je vous supplie, Madame, de faire tenir ma lettre
(a) à M. de Meaux, avec l'écrit latin ci-joint. Je vous envoie en même temps mes
réflexions (b), que j'avais faites il y a plusieurs semaines. C'est pour vous
donner des preuves du zèle avec lequel je serai toujours, Madame, votre, etc.
Leibniz.
P. S. Je ne sais si je dois oser vous supplier de
faire rendre la ci-jointe à M. de Larroque, qui est connu de M. de Meaux et de
M. Pelisson.
Monseigneur,
Je ne doute point que vous
n'ayez recula première partie de l'éclaircissement que vous aviez demandé,
touchant un projet de réunion qui avait été négocié ici avec M. l'évêque de
Neustadt (c) : car je Pavais adresse à madame de Brinon, avec une lettre que
j'avais pris la liberté de vous écrire, pour me conserver l'honneur de vos
bonnes grâces, et pour vous témoigner le zèle avec lequel je souhaite d'exécuter
vos ordres.
Je vous envoie
maintenant le reste de cet éclaircissement fait parle même théologien, qui vous
honore infiniment; mais qui désire avec raison, comme j'ai déjà marqué, que ceci
ne se publie point, d'autant qu'on en est convenu ainsi avec M. de Neustadt.
Nous attendrons votre jugement, qui donnera mi grand jour à cette matière
importante. Au reste je me rapporte à ma
(a) Cette lettre ne s'est point trouvée parmi les papiers
de Bossuet. (Leroi.)
(b) Ce sont apparemment celles qu'on trouve dans la lettre
précédente. (c) Il s'agit des Cogitationes privatœ, de Molanus.
140
précédente, et je suis avec respect, Monseigneur, votre
très-humble, etc.
Geoffroi-Guillaume Leibniz.
P. S. Je prie Dieu que
l'année où nous allons entrer vous soit heureuse, et accompagnée de toutes
sortes de prospérités, avec la continuation ad multos annos.
Monseigneur,
Il eût été à souhaiter que l’Histoire
de la réformation d'Allemagne que M. de Seckendorf vient de publier eût paru
plus tôt. Quelque habile que soit M. Burnet, je trouve que les protestants
d'Allemagne n'ont plus sujet de porter envie aux Anglais. L'auteur qui a été
autrefois premier ministre d'un duc de Saxe, nous donne là dedans la
connaissance d'une infinité de faits importants qu'il a tirés des archives. Il
m'écrit lui-même d'y avoir employé plus de quatre cents volumes manuscrits. Il
est difficile de dire s'il y a plus d'érudition ou plus de jugement. Ce n'est
pas qu'il n'y ait rien où l'on puisse trouver à redire dans un si grand ouvrage,
ni que l'auteur soit sans aucune prévention. Mais du moins je crois qu'il est
difficile qu'un auteur qui prend parti hautement puisse écrire avec plus de
modération.
Je parle de cet ouvrage parce
qu'il se peut que vous ne l'ayez pas encore vu.
Je suis avec respect,
Monseigneur,
Vostre
très-humble et très-obéissant serviteur,
Leibniz.
141
Monsieur,
J'ai reçu, par l'entremise de
madame de Brinon, la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, qui est
si honnête et si obligeante, que je ne puis assez vous en remercier, ni assez
vous témoigner l'estime que je fais de tant de politesse et d'honnêteté, jointe
à un si grand savoir et à de si bonnes intentions pour la paix du christianisme.
Les articles de M. l'abbé Molanus seront, s'il plaît à Dieu , un grand
acheminement à un si bel ouvrage. J'ai lu ce que vous m'en avez envoyé avec
beaucoup d'attention et de plaisir, et j'en attends la suite, que vous me faites
espérer, avec une extrême impatience. Ce sera quand j'aurai tout vu que je
pourrai vous en dire mon sentiment ; et je croirais mon jugement trop précipité,
si j'entreprenais de le porter sur la partie avant que d'avoir vu et compris le
tout. Pour la même raison, Monsieur, il est assez difficile de répondre
précisément à ce que vous dites à madame de Brinon, dans la lettre qu'elle m'a
communiquée, puisque tout dépendant de ce projet, il faut l'avoir vu tout entier
avant que de s'expliquer sur cette matière.
Tout ce que je puis dire en
attendant, c'est, Monsieur, que si vous êtes véritablement d'accord des cinq
propositions mentionnées dans votre lettre (a), vous ne pouvez pas demeurer
longtemps dans l'état ou vous êtes sur la religion : et je voudrais bien
seulement vous supplier de me dire premièrement si vous croyez que
l'infaillibilité soit tellement dans le concile œcuménique, qu'elle ne soit pas
encore davantage, s'il se peut, dans tout le corps de l'Eglise, sans qu'elle
soit assemblée; secondement si vous croyez qu'on fût en sûreté de conscience
après le concile de Nicée et de Chalcédoine, par exemple, en demeurant d'accord
que le concile œcuménique est infaillible, et mettant toute la dispute
(b) Lettre III, à madame de Brinon.
142
à savoir si ces conciles méritaient le titre d'œcuméniques
; troisièmement s'il ne vous paroit pas que, réduire la dispute à cette
question, et se croire par ce moyen en sûreté de conscience, c'est ouvrir
manifestement la porte à ceux qui ne voudront pas croire aux conciles, et leur
donner une ouverture à en éluder l'autorité ; quatrièmement si vous pouvez
douter que les décrets du concile de Trente soient autant reçus en France et en
Allemagne parmi les catholiques, qu'en Espagne et en Italie, en ce qui regarde
la foi ; et si vous avez jamais ouï un seul catholique qui se crût libre à
recevoir ou ne recevoir pas la foi de ce concile ; cinquièmement, si vous croyez
que dans les points que ce concile a déterminés contre Luther, Zuingle et
Calvin, et contre les Confessions d'Augsbourg, de Strasbourg et de Genève, il
ait fait autre chose que de proposer à croire à tous les fidèles ce qui était
déjà cru et reçu, quand Luther a commencé de se séparer : par exemple, s'il
n'est pas certain qu'au temps de cette séparation, on croyait déjà la
transsubstantiation, le sacrifice de la messe, la nécessité du libre arbitre,
l'honneur des Saints, des reliques, des images, la prière et le sacrifice pour
les morts, et en un mot, tous les points pour lesquels Luther et Calvin se sont
séparés. Si vous voulez , Monsieur , prendre la peine de répondre à ces cinq
questions avec votre brièveté, votre netteté et votre candeur ordinaires,
j'espère que vous reconnaîtrez facilement que quelque disposition qu'on ait pour
la paix, on n'est jamais vraiment pacifique et en état de salut, jusqu'à ce
qu'on soit actuellement réuni de communion avec nous.
Je verrais, au reste, avec
plaisir l’Histoire de la Réformation d’Allemagne de M. de Seckendorf (a),
si elle pouvait venir jusqu'en ce pays, supposé qu'elle fût écrite en une langue
que j'entendisse , et je puis vous assurer par avance que si cette histoire est
véritable, il faudra nécessairement qu'elle se trouve conforme à celle des
Variations, que j'ai pris la liberté de vous envoyer; puisque je n'y donne
rien pour certain que ce qui est avoué par
(a) Tous les éditeurs disent ici, après Leroi : «
Apparemment que M. de Leibniz parlait de cette histoire dans sa lettre à M. de
Meaux, que nous n'avons pas. » Nous avons donné, dans la lettre précédente, de
Leibniz, le passage qui mentionne l’histoire de Seckendorf.
143
les adversaires. C'est, Monsieur, à mon avis, la seule
méthode sûre d'écrire de telles histoires, où la chaleur des partis ferait
trouver sans cela d'inévitables écueils.
Excusez, Monsieur, si je vous
entretiens si longtemps. Ce n'est pas seulement par le plaisir de converser avec
un homme comme vous; mais c'est que j'espère que nos entretiens pourront avoir
des suites heureuses pour l'ouvrage que vous et M. l'abbé Molanus avez tant à
cœur. Il ne nie reste qu'à vous témoigner la joie que je ressens des choses
obligeantes que madame la duchesse d'Hanovre daigne me dire par votre entremise,
et de vous supplier de l'assurer de mes très-humbles respects, en l'encourageant
toujours à ne se rebuter jamais des difficultés qu'elle trouvera dans
l'accomplissement du grand ouvrage dont Dieu lui a inspiré le dessein. Je
connais, il y a longtemps, la capacité et les saintes intentions de M. l'évêque
de Neustadt. Je suis avec toute l'estime possible, Monsieur, votre très-humble
serviteur,
+ J.-Bénigne,
Ev. de Meaux.
Monseigneur,
Je vous dois de grands
remerciements de votre présent (a), qui ne m'a été rendu que depuis quelques
jours. Tout ce qui vient de votre part est précieux, tant en soi qu'à cause de
son auteur : mais le prix d'un présent est encore rehaussé parla disproportion
de celui qui le reçoit; et une faveur dont le plus grand prince se tiendrait
honoré, est une grâce infiniment relevée à l'égard d'un particulier aussi peu
distingué que moi.
Je ne doute point que vous n'ayez fait l'effort, dans l’Histoire
des Variations, de rapporter exactement les faits. Cependant comme votre
ouvrage ne fait voir que quelques imperfections qu'on a remarquées dans ceux qui
se sont mêlés de la Reforme, il
(a) L'Histoire des Variations.
144
semble que celui de M. de Seckendorf, était nécessaire pour
les montrer aussi de leur bon côté. Il est vrai qu'il ne dissimule pas des
choses que vous reprenez, et il me paraît sincère et modéré pour l'ordinaire.
Peut-être qu'il y a quelques endroits un peu durs qui lui sont échappés : mais
il est difficile d'être toujours réservé, quand on a devant ses yeux tant de
passages des adversaires infiniment plus choquants. Et qui est-ce qui peut être
toujours sur ses gardes dans un si grand ouvrage? car ce sont deux volumes
in-folio ; et le livre s'est grossi par l'insertion des extraits d'une
infinité de pièces, dont une bonne partie n'était pas imprimée. Tout l'ouvrage
est écrit en latin. S'il y avait occasion de l'envoyer en France, je n'y
manquerais pas. Cependant je m'imagine qu'on l'y recevra bientôt de Hollande.
Vous avez reçu cependant la
suite dii discours de M. l'abbé Molanus. Mais les questions que vous me
proposez, Monseigneur, à l'occasion de cela, me paraissent un peu difficiles à
résoudre; et je souhaiterais plutôt votre instruction là-dessus. La première de
ces questions traite du sujet de l'infaillibilité, si elle réside proprement et
uniquement dans le concile œcuménique, ou si elle appartient encore au corps de
l'Eglise, c'est-à-dire, comme je l'entends, aux opinions qui y sont reçues le
plus généralement. Mais puisque dans l'Eglise romaine on n'est pas encore
convenu du vrai sujet ou siège radical de l'infaillibilité, les uns le faisant
consister dans le Pape, les autres dans le concile, quoique sans le Pape, et que
les auteurs qui ont écrit de l'analyse de la foi, sont infiniment différons les
uns des autres : je serais bien empêché de dire comment on doit étendre cette
infaillibilité encore au delà, savoir, à un certain sujet vague, qu'on appelle
le corps de l’Eglise, hors de l'assemblée actuelle : et il me semble que
la même difficulté se rencontrerait dans un état populaire, prenant le peuple
hors de l'assemblée des Etats. Il y entre encore cette question difficile : S'il
est dans le pouvoir de l'Eglise moderne ou d'un concile, et comment, de définir
comme de foi ce qui autrefois ne passait pas encore dans l'opinion générale pour
un point de foi ; et je vous supplie de m'instruira là-dessus. On pourrait dire
aussi que Dieu a attaché une grâce ou promesse particulière aux assemblées
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de l'Eglise; et comme on distingue entre le Pape qui parle
à l'ordinaire et entre le Pape qui prononce ex cathedrà, quelques-uns
pourraient aussi considérer les conciles comme la voix de l'Eglise ex
cathedrà.
Quant à la seconde question : Si
un homme qui, après le concile de Nicée ou de Chalcédoine, aurait voulu mettre
en doute l'autorité œcuménique de ces conciles, eût été en sûreté de conscience,
on pourrait répondre plusieurs choses; mais je vous représenterai seulement
ceci, pour recevoir là-dessus des lumières de votre part. Premièrement, il
semble qu'il soit difficile de douter de l'autorité œcuménique de tels conciles,
et je ne vois pas ce que l'on pourrait dire à rencontre de raisonnable, ni
comment on trouvera des conciles œcuméniques, si ceux-ci ne le sont pas.
Secondement, posons le cas qu'un homme de bonne foi y trouve de grandes
apparences à rencontre ; la question sera si les choses définies par ces
conciles étaient déjà auparavant nécessaires au salut ou non. Si elles
l'étaient, il faut dire que les apparences contraires à la forme légitime du
concile ne sauveront pas cet homme : mais si les points définis n'étaient pas
nécessaires avant la définition, je dirais que la conscience de cet homme est en
sûreté.
A la troisième question : Si une
telle excuse n'ouvre point la porte à ceux qui voudront ruiner l'autorité des
conciles, j'oserais répondre que non, et je dirai que ce serait un scandale
plutôt pris que donné. Il s'agit de la mineure, ou du fait particulier d'un
certain concile : savoir, s'il a toutes les conditions requises à un concile
œcuménique, sans que la majeure de l'autorité des conciles en reçoive de la
difficulté. Cela fait seulement voir que les choses humaines ne sont jamais sans
quelque inconvénient, et que les meilleurs règlements ne sauraient exclure tous
les abus in fraudem legis. On ne saurait rejeter en général l'exception
du juge incompétent ou suspect, bien que les chicaneurs en abusent. Rien n'est
sujet à de plus grands abus que la torture ou la question des criminels;
cependant on aurait bien de la peine à s'en passer entièrement. Un homme peut
s'inscrire en faux contre une écriture qui ressemble à la sienne, et demander la
comparaison des écritures. Cela donne moyen de chicaner contre le droit le plus
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liquide; mais on ne saurait pourtant retrancher ce remède
en général. J'avoue qu'il est dangereux de fournir des prétextes pour douter des
conciles : mais il n'est pas moins dangereux d'autoriser des conciles douteux,
et d'établir par là un moyen d'opprimer la vérité.
Quant à la quatrième question :
Si je doute que les décrets du concile de Trente soient aussi bien reçus en
France et en Allemagne qu'en Italie ou en Espagne, je pourrais me rapporter au
sentiment de quelques docteurs espagnols ou italiens, qui reprochent aux
François de s'éloigner en certains points de la doctrine de ce concile, par
exemple, à l'égard de ce qui est essentiel à la validité du mariage : ce qui
n'est pas seulement de discipline, mais encore de doctrine, puisqu'il s'agit de
l'essence d'un sacrement. Mais sans m'arrêter à cela, je répondrai comme j'ai
déjà
fait : quand toute la doctrine du concile de Trente serait
reçue en France, qu'il ne s'ensuit point qu'on l'ait reçue comme venue du
concile oecuménique de Trente, puisqu'on a si souvent mis en doute cette qualité
de ce concile.
La cinquième question est d'une
plus grandi; discussion : Savoir, si tout ce qui a été défini à Trente passait
déjà généralement pour catholique et de foi avant cela, lorsque Luther commença
d'enseigner sa doctrine, .le crois qu'on trouvera quantité de passages de bons
auteurs, qui ont écrit avant le concile de Trente, et qui ont révoqué en doute
des choses définies dans ce concile. Les livres des protestants en sont pleins,
et il est très-sûr que depuis on n'a plus osé parler si librement. C'est
pourquoi les livres, appelés Indices expurgatorii, ont trouvé tant de
choses à retrancher dans les auteurs antérieurs. Je crois qu'un passage d'un
habile homme, comme Erasme, mérite autant de réflexion une quantité d'écrivains
du bas ordre, qui ne font que se copier les uns les autres. Mais quand on
accorderait que toutes ces décisions passaient déjà pour véritables, selon la
plus commune opinion, il ne s'ensuit point qu'elles passaient toujours pour être
de foi; et il semble que les anathèmes du concile de Trente ont bien changé
l'état des choses. Enfin quand ces décisions auraient déjà été enseignées comme
de foi par la plupart des docteurs, on
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retomberait dans la première question, pour savoir si ces
sortes d'opinions communes sont infaillibles, et peuvent passer pour la voix de
l'Eglise.
En écrivant ceci, je reçois l'avis que vous me donnez,
Monseigneur, d'avoir reçu le reste de l'écrit de M. l'abbé Molanus. Nous
attendrons la grâce, que vous nous faites espérer, de voir votre jugement
là-dessus. Je ne doute point qu'il ne soit aussi équitable que solide. On a fait
ici de très-grands pas pour satisfaire à ce qu'on a jugé dû à la charité et à
l'amour de la paix. On s'est approché des bords de la rivière de Bidassoa, pour
passer un jour dans l'ile de la Conférence (a). On a quitté exprès toutes ces
manières qui sentent la dispute, et tous ces airs de supériorité que chacun a
coutume de donner à son parti; et quidquid ab utràque parte dici potest, etsi
ab utràque parte verè dici non possit; cette fierté choquante, ces
expressions de l'assurance où chacun est en effet, mais dont il est inutile et
môme déplaisant de faire parade auprès de ceux qui n'en ont pas moins de leur
part. Ces façons servent à attirer de l'applaudissement des lecteurs entêtés ;
et ce sont ces façons qui gâtent ordinairement les colloques, où la vanité
déplaire aux auditeurs et de paraître vainqueur, l'emporte sur l'amour de la
paix : mais rien n'est plus éloigné du véritable but d'une conférence pacifique.
Il faut qu'il y ait de la différence entre des avocats qui plaident et entre des
entremetteurs qui négocient. Les uns demeurent dans un éloignement affecté et
dans des réserves artificieuses; et les autres font connaître, par toutes leurs
démarches, que leur intention est sincère et portée à faciliter la paix. Comme
vous avez fait louer votre modération, Monseigneur, en traitant les controverses
publiquement, que ne doit-on pas attendre de votre candeur, quand il s'agit de
répondre à celle des personnes qui marquent tant de bonnes intentions? Aussi
peut-on dire que le blâme de la continuation du schisme doit tomber sur ceux qui
ne font pas tout ce qu'ils peuvent pour le lever, surtout dans les occasions qui
les doivent inviter et qu'à peine un siècle a
(a) Les conférences entre le cardinal Mazarin et don Louis
de Haro , pour pacifier la France et l'Espagne, se tinrent dans l'île des
Faisans, située au milieu de la Bidassoa.
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coutume d'offrir. Quand il n'y aurait que la grandeur et
les lumières infiniment relevées de votre Monarque si capable de faire réussir
ce qu'il approuve, jointes aux dispositions d'un Pape, qui semble avoir la
pureté du zèle d'Innocent XI sans en avoir l'austérité , vous jugeriez bien
qu'il serait inexcusable de n'en point profiter.
Mais vous voyez qu'il y a encore
d'autres raisons qui donnent de l'espérance. Un Empereur des plus éclairés dans
les affaires qui aient jamais été , et des plus zélés pour la foi, y contribue;
un prince protestant des plus propres par son mérite personnel et par son
autorité de faire réussir une grande affaire, y prend quelque part ; des
théologiens séculiers et réguliers, célèbres de part et d'autre, travaillent à
aplanir le chemin, et commencent d'entrer en matière par l'unique ouverture que
la nature des choses y semble avoir laissée, pour se rapprocher sans que chacun
s'éloigne de ses principes. Votre réputation y peut donner le plus grand poids
du inonde ; et vous vous direz assez à vous-même, sans moi, que plus on est
capable de faire du bien et que ce bien est grand, plus on est responsable des
omissions.
Toute la question se réduit à ce
point essentiel de votre côté : S'il serait permis en conscience aux églises
unies avec Rome d'entrer en union ecclésiastique avec les églises soumises aux
sentiments de l'Eglise catholique, et prêtes à être même dans la liaison de la
hiérarchie romaine ; mais qui ne demeurent pas d'accord de quelques décisions,
parce qu'elles sont portées, par des apparences très-grandes et presque
insurmontables à leur égard, à ne point croire que l'Eglise catholique les ait
autorisées, et qui d'ailleurs demandent une réformation effective des abus que
Rome même ne peut approuver. Je ne vois pas quel crime votre parti commettrait
par cette condescendance. Il est sur qu'on peut entretenir l'union avec de
telles gens, qui se trompent sans malice. Les points spéculatifs, qui
resteraient en contestation, ne paraissent pas des plus importants, puisque
plusieurs siècles se sont passés, sans que les fidèles en aient eu une
connaissance fort distincte. Il me semble qu'il y a des contestations tolérées
dans la communion romaine, qui sont autant ou peut-être plus importantes
149
que celles-là : et j'oserais croire que si l'on feignait
que les églises septentrionales fussent unies effectivement avec les vôtres, à
ces opinions près, vous seriez fâché de voir rompre cette union, et que vous
dissuaderiez la rupture de tout votre pouvoir à ceux qui la voudraient
entreprendre.
Voilà sur quoi tout roule à
présent. Car de parler de rétractations, cela n'est pas de saison. Il faut
supposer que de l'un et de l'autre côté on parle sincèrement : et puisqu'on
s'est épuisé en disputes, il est bon de voir une fois ce qu'il est possible de
faire sans y entrer, sauf à les diminuer par des éclaircissements, par des
réformations effectives des abus reconnus, et par toutes les démarches qu'on
peut faire en conscience, et par conséquent qu'on doit faire s'il est possible
pour faciliter un si grand bien ; en attendant que l'Eglise par cela même soit
mise en état de venir à une assemblée, par laquelle Dieu mette fin au reste du
mal. Mais je m'aperçois de la faute que je fais de m'étendre sur des choses que
vous voyez d'un clin d'œil, et mieux que moi. Je prie Dieu de vous conserver
longtemps, pour contribuer au bien des ames, tant par vos ouvrages que par
L'estime que le plus grand, ou pour parler avec M. Pelisson, le plus roi entre
les rois a conçue de votre mérite. Je ne saurais mieux marquer que par un tel
souhait le zèle avec lequel je suis, Monseigneur, votre très-humble et obéissant
serviteur,
Geoffroy-Guillaume de Leibniz.
P. S. Il est peut-être inutile que je dise que ce qu'on
vous envoie, Monseigneur, peut encore être communiqué à M. Pelisson, dont on se
promet le même ménagement.
Monsieur ,
J’ai reçu avec votre lettre du
28 décembre la seconde partie du projet de réunion, et je vous en donne en même
temps avis. Vous
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aurez vu, par ma précédente, la réception de la première
partie. Le premier loisir que j'aurai sera employé à vous dire mon sentiment
avec une entière ingénuité. Vous me ferez, Monsieur, beaucoup de plaisir
d'assurer M. l'abbé Molanus de l'estime que j'ai pour lui et de ma parfaite
reconnaissance pour les bontés dont il m'honore. Nous lui garderons fidèlement
tout le secret qu'il nous demande, et nous nous estimons très-honoré de ce qu'il
veut bien nous le confier. Pour moi, je puis vous dire avec combien de
cordialité et d'estime je suis, Monsieur,
Votre
très-humble serviteur,
Bénigne , Ev.
de Meaux.
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