Mémoire M. Dupin
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MÉMOIRE DE CE QUI EST À CORRIGER
DANS LA NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE
DES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES
DE M. DUPIN.

 

Sur le péché originel.

Sur le purgatoire.

Sur les Livres canoniques.

Sur l'éternité des peines.

Sur la vénération des Saints et de leurs reliques.

Sur l'adoration de la Croix.

Sur la Grâce.

Sur le Pape et les Evêques.

Sur le Carême.

Sur le Divorce.

Sur le célibat des Clercs.

Sur les Pères et la tradition : et premièrement sur saint Justin et saint Irénée.

Saint Léon et saint Fulgence.

Le pape saint Etienne.

Saint Augustin

Saint Jérôme.

Sur le second concile de Nicée.

CONCLUSION.

  

Les erreurs contenues dans cette Bibliothèque ont paru principalement depuis la Réponse aux Remarques des Pères de Saint-Vannes, que M. Dupin a publiée, parce qu'après avoir été averti de ses erreurs, loin de se corriger, il les a non-seulement soutenues, mais encore augmentées, comme on va voir.

 

Sur le péché originel.

 

Voici comment l'auteur rapporte lui-même sa doctrine dans sa Réponse, pag. 50. « J'ai remarqué, touchant le péché originel, que tous les Pères des trois premiers siècles ont reconnu les peines et les plaies du péché d'Adam ; mais qu'ils ne semblent pas être demeurés d'accord que les enfants naquissent dans le péché, et dignes de la damnai ion ; que c'était cependant le sentiment commun, comme il paraît par saint Cyprien. J'ai dit encore, en parlant de saint Cyprien, qu'il est le premier qui ait parlé bien clairement sur le péché origine (1). »

Voilà en effet ce qu'avait écrit notre auteur dans son Abrégé de la Doctrine (2), et par là il renverse manifestement la tradition du péché originel.

Selon luis, la véritable tradition de l'Eglise est celle que décrit Vincent de Lérins : Quod ubique, quod semper, quod ab omnibus. Or est-il que selon lui-même, la tradition du péché originel n'est pas de cette nature, puisque les Pères des premiers siècles

 

1 Rép. aux remarq., p. 50. Voy. le Comment., sur le Ps., L, V, 7. — 2 Biblioth. Eccl., tom. I, p. 611 de la 1ère édition.— 3 Ibid., p. 144.

 

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n'en demeuraient pas d'accord : par conséquent il n'y a point de véritable tradition sur le péché originel.

Si l'on disait avec les sociniens, que les anciens nient la divinité de Jésus-Christ, ou du moins qu'ils n'en demeurent pas d'accord, on ne serait pas souffert, parce qu'on renverserait la tradition d'un article si nécessaire ; on ne doit pas non plus souffrir ceux qui disent qu'on a nié le péché originel, ou qu'on n'en est pas demeuré d'accord, puisque la tradition de l'article du péché originel, sans laquelle on n'entendrait pas que Jésus-Christ est Sauveur, ne doit non plus être affaiblie que celle de sa divinité.

Cela se confirme encore, parce que l'auteur ayant rapporté divers sentiments de l'antiquité sur le divorce pour cause d'adultère, conclut de cette diversité de sentiments, qu'il n'y a point sur cela de tradition apostolique. Or est-il qu'il prétend montrer la même chose, ou une plus grande diversité de sentiments dans la matière du péché originel (1) : il ne laisse donc plus aucun lieu à la tradition apostolique de ce dogme.

L'auteur demeure d'accord « qu'il y a quelques erreurs assez communes dans les premiers siècles de l'Eglise, qui depuis ont été rejetées, mais qu'elles ne concernent pas les principaux articles de notre foi (2). » Il en est de même du doute que de l'erreur, et l'Eglise n'a non plus douté qu'erré sur ces principaux articles. si dune on avait douté «lu péché originel, et que les Pères n'en fussent pas demeurés d'accord, comme l'assure notre auteur, il s'ensuivrait que cet article ne serait pas un des principaux.

Il est vrai que notre auteur dit, en parlant du dogme du péché originel, que c'était le sentiment de l'Eglise, comme il paraît par saint Cyprien (3); mais il explique lui-même, en rapportant ce passage , que c'était le sentiment commun et la doctrine commune : et c’est ce qui le condamne, parce que pour exprimer un dogme certain et une tradition constante, ce n'est pas assez de dire que c'était le sentiment commun et la doctrine commune, si l'on ne tranche le mot, que c'était constamment la foi de l'Eglise : ce que l'auteur a toujours évité de dire ; et bien loin de le croire,

 

1 Rép. aux Rem., p. 75, 76. — 2 Abrégé de la Doctrine, tom. I, p. 606. — 2 Abrégé, tom. I, p. 611. Rép. aux Rem., p. 50.

 

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il a osé dire a que saint Cyprien est le premier qui ait parlé bien clairement du péché originel, et de la nécessité de la grâce de Jésus-Christ (1). » Ce qui rend sa faute plus grande, c'est qu'après avoir été averti de son erreur par les Pères de Saint-Vannes, non-seulement il y persiste, mais encore il enchérit dessus, puisqu'en discutant l'affaire dans le détail, il ne donne à un dogme si important, aucun auteur qui soit clair, avant saint Cyprien ; et quant à ceux qu'on produit pour le soutenir, non content d'éluder le témoignage des uns, comme de saint Justin et de saint Irénée, il compte les autres pour contraires, comme Tertullien, Origène, et saint Clément d'Alexandrie. C'est ce qu'il s'efforce de prouver depuis la pag. 50 jusqu'à la 60 de sa Réponse aux Remarques. Ainsi la foi du péché originel n'est qu'un sentiment commun, une doctrine commune du temps de saint Cyprien ; et devant, ce n'est qu'obscurité et incertitude dans quelques auteurs, et opposition manifeste dans la plus grande partie. Voilà à quoi se réduit la tradition du péché originel, selon notre auteur.

Et ce qui marque l'excès de sa prévention contre la doctrine catholique, c'est qu'il n'y a en ce point aucune difficulté, ni aucune partie de la tradition qui soit plus claire que celle-ci, comme on le fera voir par un mémoire particulier ; de sorte que s'en éloigner, c'est vouloir gratuitement favoriser les hérétiques. Ainsi on n'a pas pu s'empêcher de s'élever contre lui, surtout après qu'on a vu, par sa Réponse , non-seulement qu'il persistait dans son erreur, mais encore qu'il insultoit à ceux qui l'en reprenaient, et s'emportait à de plus grands excès.

 

Sur le purgatoire.

 

Dans l’Abrégé de la Discipline (2), notre auteur est tombé dans plusieurs fautes. C'en est mie assez considérable d' avoir dit généralement , « qu'on ne donnait point le nom d'autel à la table sur laquelle on célébrait l'Eucharistie (3). » C'est une prévention qui n'a pu venir à notre auteur que du langage des hérétiques, le

 

1 Tom. I, sur S. Cyprien, p. 475. — 2 Tom. 1, p. 613. — 3 Ibid., p. 625.

 

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contraire paraissant partout, et surtout dans saint Cyprien à toutes les pages.

La faute de notre auteur est encore plus grande, lorsqu'après avoir parlé de la discipline comme d'une chose variable selon les temps et selon les lieux (1), à l'opposite de la foi, qui ne varie jamais, il range parmi ces articles de discipline variable, « qu'on priait pour les morts, qu'on faisait des oblations pour eux, qu'on faisait le sacrifice de la messe en leur mémoire, qu'on priait les Saints, et qu'on était persuadé qu'ils priaient Dieu pour les vivants (2) » : comme si toutes ces choses étaient d'une discipline variable et indifférente.

Mais ce qu'il y a de plus remarquable, c'est d'avoir entièrement passé sous silence la doctrine du purgatoire ; et au lieu de dire qu'on offrait le sacrifice pour le soulagement des morts, d'avoir affecté de dire qu'on célébrait le sacrifice en leur mémoire, qui est la façon de parler de saint Augustin et de l'Eglise dans les messes des martyrs et des Saints, mais qui ne suffit point du tout pour les autres morts.

Ce qui est encore plus mauvais, c'est que les Pères de Saint-Vannes axant relevé une affectation si grossière, M. Dupin leur a dit pour toute réponse, « qu'à la vérité il n'a point parlé du purgatoire . parce qu'en effet on n'en trouve rien positivement dans les Pères des trois premiers siècles (3) ; » de sorte qu'en cet endroit la tradition de l'Eglise demeure défectueuse ; et les hérétiques ont cet avantage , que les passages allégués par tous nos docteurs . pour leur prouver le soulagement des âmes, ce qui ne diffère point du purgatoire, sont non-seulement abandonnés, mais encore combattus par M. Dupin.

 

Sur les Livres canoniques.

 

Notre auteur sur ce sujet, ne diffère en rien du tout des calvinistes. Dans son Abrégé de la Doctrine (4), il dit aussi décisivement et aussi crûment qu'eux, « que les Pères des trois premiers siècles

 

1 Tom. I, p. 618. — 2 Ibid., p. 616.  — 3 Rép. aux Rem., p. 61. part. II — 4 Abrégé de la Doct., tom. I, p. 612.

 

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n'ont point reconnu d'autres livres canoniques de l'Ancien Testament, que ceux qui étaient dans le canon des Hébreux. »

Pour montrer qu'ils en avaient reconnu d'autres, les catholiques ont produit, entre autres choses, le témoignage d'Origène sur l'histoire de Susanne, dans l’Epître à Julius Africanus ; mais notre auteur leur préfère le ministre Vestemius, qui dit « qu'Origène a défendu la vérité de cette histoire, sans assurer pourtant qu'elle fût canonique. » Il veut, comme lui, un passage formel, où Origène ait dit qu'elle est canonique1 ; comme si ce n'était pas le dire assez que de dire, comme fait ce Père, qu'elle est une véritable partie d'un livre prophétique, qu'elle est d'un auteur inspiré de Dieu, tel qu'était sans doute Daniel, et qu'en cela il faut préférer la tradition de l'Eglise chrétienne à celle des Juifs falsificateurs des Livres saints.

Les catholiques objectent encore aux hérétiques le témoignage de saint Jérôme, qui assure que le concile de Nicée a compris le livre de Judith parmi les saintes Ecritures ; mais notre auteur aime mieux en donner le démenti à saint Jérôme (2), que de laisser cet avantage à l'Eglise catholique. Sans doute il sait mieux que saint Jérôme ce qui s'est passé dans ce concile ; il en a mieux vu que lui, non-seulement les lettres et les canons qui nous sont restés, mais encore les autres pièces qui en sont émanées. Je ne m'amuserai pas à réfuter ses conjectures, qui sont bien faibles; et il me suffit de faire voir le grand soin qu'il a de favoriser les hérétiques, et de désarmer l'Eglise. Malgré la décision expresse du concile de Trente, qui oblige précisément sous peine d'anathème, à recevoir les livres de l'Ecriture sainte avec toutes leurs parties, ainsi que l'Eglise catholique a accoutumé de les lire, et qu'ils sont contenus dans l'édition Vulgate, il rejette hardiment les derniers chapitres d’Esther : il tâche d'ôter à l'Eglise l'avantage qu'elle peut tirer de l'autorité d'Origène, en disant « qu'on prouve invinciblement qu'Origène a eu tort de croire que ces pièces étaient autrefois dans l'original (3) : » il s'imagine se sauver par l'autorité de Sixte de Sienne (4) ; mais il est bien plus naturel de

 

1 Rép. aux Rem., tom VII, p. 13. — 2 Tom. I. Dissert, prél., p. 57. — 3 Rép. aux Rem., p. 19. — 4 Ibid., p. 23.

 

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condamner cet auteur, que d'absoudre M. Dupin, qui méprise si visiblement l'autorité du concile de Trente.

Enfin on ne peut rien du tout alléguer en faveur de la tradition de l'Eglise, que notre auteur ne se soit étudié à le détruire ; ce qui me fait dire qu'il faudra examiner bien soigneusement ce qu'il donnera sur l'Ecriture sainte, puisqu'il paraît d'humeur à donner beaucoup dans le rabbinisme, et à affaiblir beaucoup les interprétations ecclésiastiques.

Je ne dois pas oublier ici, qu'encore qu'il semble dire que « les livres des Machabées étaient tenus pour canoniques en Afrique du temps de saint Augustin, » il ne laisse pas d'ajouter que ce Père « ne les a pas crus tout à fait de la même autorité que les autres livres canoniques (1), » sous prétexte que ce saint docteur a dit qu'en certains endroits il les fallait entendre sobrement ; ce qu'on pourrait dire aussi bien de beaucoup d'autres Ecritures canoniques, comme de l’Ecclésiaste et du Cantique des Cantiques. Dans la suite de cet endroit, notre auteur fait de nouveaux efforts pour affaiblir les témoignages anciens qui autorisent les livres que les hérétiques rejettent, jusqu'à dire que « les décisions des conciles de Cartilage et de Rome, et la déclaration d'Innocent I (2), » n'étaient pas regardées comme obligatoires, même en Occident, où elles étaient si solennellement publiées. Personne n'ignore le passage qu'il allègue de saint Grégoire ; mais il en fallait tirer une toute autre conséquence, plutôt que de faire révoquer en doute à ce saint Pape l'autorité de saint Innocent et de saint Gélase ses prédécesseurs, et celle de son Siège même, encore que personne n'eût réclamé contre.

 

Sur l'éternité des peines.

 

Chacun sait l'erreur des sociniens sur cette matière, et combien elle est pernicieuse, à cause qu'elle flatte les sens. Cependant notre auteur n'a pas craint de leur donner pour patron deux saints martyrs et deux auteurs aussi importants que saint Justin et saint Irénée (3) ; et cela sans nécessité, comme on va voir. Ce qu'il y a de

 

1 Rép. aux Rem., p. 31. — 2 Dissert. prélim., tom. I, p. 60. — 3 Sur S. Justin et S. Irénée, tom. 1, p. 161, 197.

 

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plus mal, c'est que l'objection lui étant faite à l'égard de saint Irénée, il enchérit sur son erreur, selon sa coutume.

On lui objecte que ce saint martyr reconnaît manifestement que les peines des damnés sont éternelles, et il répond en ces termes : «Je l'avoue, et saint Justin leur donne aussi ce nom, conformément à la manière de parier de l'Ecriture et de l'Eglise; mais cela n'empêche pas qu'ils n'eussent leurs sentiments particuliers; et sans doute que si on leur eût demandé ce qu'ils entendaient par des peines éternelles, ils eussent répondu qu'ils entendaient des peines de longue durée, et que le terme d'éternité se prend souvent dans l'Ecriture pour un temps bien long, quoiqu'il ait sa fin (1). » En vérité c'en est trop, et l'on ne peut comprendre comment un théologien, non content d'attribuer à deux martyrs les plus pernicieux sentiments des sociniens, ose encore deviner leurs pensées, pour leur faire répondre précisément ce que disent ces hérétiques.

La difficulté pourtant n'était pas grande ; car il n'y avait qu'à lire saint Irénée, qui dit en termes formels « que les biens qui viennent de Dieu sont éternels et sans fin, et que pour la même raison la perte aussi en est éternelle et sans fin ; » et il compare cette perte à l'aveuglement, qui est une privation de la lumière dans un sujet qui existe ; en sorte qu'il est visible par ce passage de saint Irénée, que la privation des biens est aussi éternelle dans les damnés, que les biens mêmes sont éternels dans les justes : et le même Saint dit encore, « que la peine des incrédules est augmentée, et a été faite non-seulement temporelle, mais encore éternelle, parce que tous ceux à qui le Seigneur dira : Allez aux feux éternels, seront toujours damnés, comme ceux à qui il dira : Venez, les bénis de mon Père, etc., recevront le royaume, et y profiteront toujours. » Soit qu'il veuille dire que leur félicité aura un accroissement perpétuel, ou que le terme PROFICIUNT ait un autre sens dont il ne s'agit pas ici, c'est assez qu'il paroisse clairement que le toujours et l’éternel des méchants, est égal au toujours et à l’éternel des bons : or est-il que l'éternité promise aux bons, constamment et de l'aveu même des sociniens, est une

 

1 Rép. aux Rem., p. 122.

 

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éternité véritable, et non pas seulement un long temps : donc l'éternité malheureuse n'est pas un long temps, mais une éternité véritable.

Cet argument n'a point de réplique ; et saint Irénée inculque tellement ces mêmes choses, et dans cet endroit et dans beaucoup d'autres, qu'il ne serait pas possible d'y résister, pour peu qu'on eût lu avec attention les livres de ce grand homme. Mais les critique- de notre temps n'appuient que sur les endroits qui leur peuvent donner occasion de se distinguer des autres par des sentiments particuliers.

Il n'eût pas été plus difficile de trouver la même doctrine dans saint Justin, puisque non content d'attribuer une infinité de fois l'éternité au feu d'enfer avec autant de force qu'à la vie future, il en fait expressément la comparaison, en disant « que Dieu revêtira les justes d'incorruptibilité, et enverra les injustes avec les mauvais esprits, clans un feu éternel, avec un perpétuel sentiment (1) » ou de leurs misères, ou du remords de leur conscience ; ce qu'il prouve par ces paroles de l'Evangile : Leur ver ne cessera point, et leur feu ne s'éteindra point. Il dit aussi, dans un autre endroit, « que Dieu donnera un royaume éternel aux saints, et qu'il enverra tous les infidèles dans la damnation d'un feu qui ne s'éteindra jamais (2). » Il paraît donc qu'il entend de même l'éternité de l'enfer que celle du royaume céleste ; par conséquent qu'il entend une éternité véritable et proprement dite : ce qui n'empêche pourtant pas que dans les mêmes endroits il ne dise que les méchants ne seront plus, conformément aux passages de l'Ecriture où il est dit que les impies ne ressusciteront pus, ne seront pus, seront dissipés, anéantis, parce qu'on ne doit pas réputer être ou vivre, un état aussi malheureux que le leur et aussi éloigné de la véritable vie, qui est Dieu.

Par ce moyen, ou par d'autres qu'on y pourrait joindre, il serait aisé de répondre aux paroles de saint Justin qui font la difficulté. M. Dupin n'a pas voulu considérer ces passages qui font voir plus clair que le jour, que l'éternité que ce saint attribue aux peines marque quelque chose de plus qu'un long temps.

 

1 Aol. II, p. 87. — 2 Dial. Cum Tryph., p. 349.

 

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Mais il en avait assez vu pour mieux dire qu'il n'a dit, s'il n'avait été prévenu en faveur de la solution socinienne ; car il a lui-même produit un passage où saint Justin dit « que les peines des médians ne dureront pas seulement mille ans, comme celles dont parle Platon, mais qu'elles seront éternelles (1).» Ainsi le mot éternel est visiblement opposé, non à un long temps, car le temps de mille ans que saint Justin exclut, est assez long; mais comme parle notre auteur, il est opposé aux peines qui doivent finir un jour (2). »

S'il faut donner des explications à des passages qui semblent contraires, il vaut bien mieux que ce soit en faveur de la foi qu'en faveur de l'hérésie socinienne ; d'autant plus que les passages qui concluent à l'éternité des peines, sont constamment plus précis et plus nombreux que les autres. Mais la théologie de notre auteur est si faible, qu'il méprise dans sa Réponse aux Remarques, la solution dont il avait lui-même posé les principes dans sa Bibliothèque, et il va de mal en pis.

 

Sur la vénération des Saints et de leurs reliques.

 

Je ne sais quel plaisir a pris M. Dupin à dire « que dans le sixième siècle on n'entendait parler que de miracles, de visions et d'apparitions; qu'on poussait la vénération qu'on doit aux Saints et à leurs reliques, au delà des justes bornes, et qu'on faisait un capital de cérémonies fort indifférentes (3). » A quoi bon cette téméraire censure, qui ne tend qu'à faire croire aux hérétiques qu'ils sont bien autorisés à se moquer des catholiques et de l'Eglise de ce temps-là, et à dire, comme ils font, que la corruption a commencé de bonne heure ; au lieu qu'il est aisé de démontrer qu'on ne trouve rien au sixième siècle sur les visions, sur les miracles, sur les Saints et sur les reliques, qui ne paroisse avec la même force dans le quatrième et dans le cinquième ?

 

1 Apol.  II, p. 57. — 2 Bibl., tom. I, p. 167. — 3 Dans son Avert. du tom. V.

 

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Sur l'adoration de la Croix.

 

Il  assure formellement dans sa Réponse (1), qu'elle était rejetée aux trois premiers siècles, et il donne gain de cause aux protestants contre les Du Perron et les Bellarmin.

 

Sur la Grâce.

 

Nous avons déjà vu un passage de notre auteur, qui dit que « saint Cyprien est le premier qui ait parlé bien clairement du péché originel et de la nécessité de la grâce de Jésus-Christ  (2).»

Pourquoi rendre obscure la tradition de la nécessité de la grâce, aussi bien que celle du péché originel, puisqu'il est aisé de montrer dans les autres Pères plusieurs passages aussi exprès que ceux de saint Cyprien sur cette matière? M. Dupin doit avouer de bonne foi que ces sortes de décisions, qui semblent faites pour marquer beaucoup de connaissance de l'antiquité, étaient fort peu nécessaires, comme elles sont d'ailleurs fort précipitées.

Sur la foi de ce seul passage de M. Dupin, on pourrait croire, sans lui faire tort, qu'il n'est pas fort favorable à la doctrine de la grâce. Mais ce qu'il dit sur Fauste de Riez (3), l'ait encore mieux voir son sentiment, puisqu'il excuse la doctrine de cet évêque, manifestement semi-pélagien, s'il en fut jamais, sans se mettre en peine qu'il ait été condamné par les papes saint Gélase et saint Hormisdas. Ce que dit M. Dupin sur saint Augustin dans le même endroit, est encore plus considérable; car il le fait passer pour un homme « qui a débité des sentiments si peu communs avant son temps, qu'il avoue lui-même qu'il ne les avait pas bien connus avant que d'être tout à fait engagé dans la dispute (4). » Or ces sentiments que saint Augustin avoue qu'il n'avait pas encore bien connus, c'était, comme il le dit lui-même, que tout le bien qui était en nous venait de la grâce, depuis le premier commencement jusqu'à la fin, ce qui l'avait fait tomber insensiblement dans les erreurs des demi-pélagiens. Ainsi selon M. Dupin, l'ancien sentiment

 

1 Pag. 126, 127.—  2 Tom. I, p. 475. — 3 Part. II, du tom. III, p. 681 et suiv. — 4 Ibid., p. 592, 593.

 

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que saint Augustin avait suivi avec tous les autres Pères, était le semi-pélagianisme. C'est pourquoi il ne faut pas s'étonner que notre auteur mette une sorte d'égalité entre saint Prosper et ceux contre qui il dispute, c'est-à-dire, les Marseillais et les autres semi-pélagiens. C'est ce qui lui fait aussi passer si doucement les opinions, comme il les appelle (1), et à vrai dire, les erreurs de Cassien, dont il ne dit autre chose, sinon que ses sentiments étaient contraires, ou semblaient l'être aux sentiments de sain! Augustin; sans dire, comme il devait, qu'ils étaient contraires à la foi catholique. Aussi parle-t-il partout très-faiblement de la grâce ; et il croit avoir satisfait à tout ce qu'il lui doit, lorsqu'il en reconnaît la nécessité pour être sauvé (2). Mais il sait bien que les semi-pélagiens ne nioient pas cette nécessité, et que pour sortir de l'hérésie semi-pélagienne, il ne suffit pas de dire que la grâce est nécessaire : qu'il faut dire de plus à quoi elle est nécessaire, et spécifier qu'elle l'est pour le commencement comme pour la consommation de la piété, M. Dupin a affecté de ne le pas dire, comme nous le venons en parlant de ce qu'il a dit de saint Augustin. On sait d'où vient cette tradition de nos docteurs modernes, et de qui ils ont appris à déférer les demi-pélagiens à saint Augustin, et leur doctrine à la sienne.

 

Sur le Pape et les Evêques.

 

Dans l’Abrégé de la Discipline (3), notre auteur n'attribue autre chose au Pape, sinon que l'Eglise romaine, fondée par les apôtres saint Pierre et saint Paul, soit considérée comme la première, et son évêque comme le premier entre tous les évêques, sans attribuer au Pape aucune juridiction sur eux, ni dire le moindre mot de l'institution divine de sa primauté ; au contraire il met cet article au rang de la discipline, qu'il dit lui-même être variable. Il ne parle pas mieux des évêques, et il se contente de dire que l’évêque est au-dessus des prêtres (4), sans dire qu'il y est de droit divin. Ces grands critiques sont peu favorables aux supériorités

 

1 Tom. III, part. II, p. 45, 56, 57. — 2 Ibid., p. 598. Rép. aux Rem., p. 145. — 3 Tom. I, p. 620. — 4 Abr. de la Discipl., tom. I, p. 619.

 

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ecclésiastiques, et n'aiment guère plus celle des évêques que celle du Pape.

L'auteur tâche d'ôter toutes les marques de l'autorité du Pape dans l«s passages où elle paraît (1), comme dans deux lettres célèbres de saint Cyprien : l'une au pape saint Etienne, sur Marcien d'Arles; l'autre aux Espagnols, sur Basilide et Martial, évêques déposes. Si nous en croyons M. Dupin, saint Cyprien ne demandait au Pape, contre un évêque schismatique, « que de faire la même chose que saint Cyprien pouvait faire lui-même ; » comme si leur autorité eût été égale.

La manière dont il se défend de l'objection que ses censeurs lui ont faite sur ce sujet, tend encore plus à établir cette égalité. Car après avoir dit «que tout évêque pouvait se séparer de la communion d'un autre évêque qu'il croyait dans l'erreur, et indigne de sa communion et de celle de l'Eglise (2), » il ajoute « qu'Etienne et saint Cyprien pouvaient bien déclarer Marcien excommunie et si; séparer d'avec lui; mais que ce n'était pas à eux a le déposer, etc. » C'est clairement égaler le pouvoir de saint Cyprien à celui du Pape. Car d'abord, le droit d'excommunier quelque évêque que ce soit leur est commun : quant au droit de déposer les évêques, il est bien certain que le Pape ne le faisait pas par lui-même; mais il pouvait exciter la diligence des évoques, qui étaient les juges naturels, avec une autorité et une supériorité que nul autre évêque n'avait. Cependant l'auteur met une entière égalité entre saint Etienne et saint Cyprien, et il ne reste au Pape qu'une préséance.

La réponse que fait notre auteur sur sa lettre au clergé et au peuple d'Espagne, n'établit pas moins la parfaite égalité de tous les évêques, puisqu'il dit « que si le pape saint Etienne avait donne son suffrage en faveur de Basilide qu’on avait déposé, ou qu’il eût rendu une sentence pour lui, les évêques d'Espagne faisaient bien de se précautionner et de se munir contre ce qu'il avait fait, en consultant les évêques d'Afrique, pour opposer leur autorité à celle de l'évêque de Rome ». »

Une des plus belles prérogatives de la chaire de saint Pierre,

 

1 Bibl., tom. I, p. 418, 438, 483. — 2 Rép. aux Rem., p. 189. — 3 Ibid., p. 187.

 

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est d'être la chaire de saint Pierre, la chaire principale où tous les fidèles doivent garder l'unité, et comme l'appelle saint Cyprien, la source de l’unité sacerdotale. C'est une des marques de l'Eglise catholique divinement expliquée par saint Optât ; et personne n'ignore le beau passage où il en montre la perpétuité dans la succession des papes. Mais si nous en croyons M. Dupin, il n'y a rien là pour le Pape plus que pour les autres évoques, puisqu'il prétend que la chaire principale (1), dont il est parlé, n'est pas en particulier la chaire romaine que saint Optât nomme expressément, mais la succession des évêques ; comme si celle des papes, singulièrement rapportée par saint Optât et les autres Pères, comme elle l'avait été par saint Irénée, n'avait rien de particulier pour établir l'unité de l'Eglise catholique. Il ôte même de la traduction du passage de saint Optât, ce qui marque expressément que cette chaire unique, dont il parle, est attribuée en particulier à saint Pierre et à ses successeurs, même par opposition aux autres apôtres. Cette objection lui est faite par les Pères de Saint-Vannes (2) : il garde le silence là-dessus ; et quelques avis qu'on lui donne, l'on voit bien qu'il est résolu de ne pas donner plus au Pape qu'il n'avait fait. C'est le génie de nos critiques modernes, de trouver grossiers ceux qui reconnaissent dans la papauté une autorité supérieure établie de droit divin. Lorsqu'on la reconnaît avec toute l'antiquité, c'est qu'on veut flatter Rome et se la rendre favorable, comme notre auteur le reproche à son censeur (3). Mais s'il ne faut pas flatter Rome, il ne faut non plus lui rendre odieuse, aussi bien qu'aux autres catholiques, l'ancienne doctrine de France, en ôtant au Pape ce qui lui appartient légitimement, et en outrant tout contre lui.

 

Sur le Carême.

 

Il affaiblit la tradition du jeune de quarante jours, que les docteurs catholiques ont soutenue comme apostolique, par tant de beaux témoignages des anciens Pères ; et il trouve plus probable l'observation de M. Rigault (4), qui prétend qu'on a donné ce nom

 

1 Tom. II, p. 331. — 2 Rem., p. 264. — 3 Rép. aux Rem., p. 188. —  4 Ibid., p. 82.

 

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de carême ou de quarantaine au jeune solennel des chrétiens, non à cause qu'on jeûnait quarante jours, comme tous les catholiques l'ont cru, mais à cause du jeune de quarante jours de Jésus-Christ. Ainsi on appellera carême le jeune des quatre-temps et celui des vigiles, avec autant de raison que celui du carême, puisque c'est toujours une imitation du jeune de Jésus-Christ. Au reste, il n'y a rien de moins fondé sur le langage des Pères, que cette observation de M. Rigault, le moins théologien de tous les hommes : mais c'était un critique, et un critique licencieux dans ses sentiments, pour ne rien dire de plus ; c'est un titre pour être préféré.

 

Sur le Divorce.

 

Notre auteur parle fort mal de l'indissolubilité du mariage, même pour cause d'adultère. Car d'abord il abuse d'un passage de saint Justin, pour prouver que la retraite d'une femme chrétienne d'avec son mari supposait la liberté de se remarier (1) ; de quoi saint Justin ne dit pas un mot. La femme n'était pas même dans le cas, puisque la cause de la retraite n'était pas l'adultère du mari, qui est le cas dont il s'agit, mais l'abus qu'il faisait du mariage ; de sorte que cet exemple que M. Dupin pose comme un fondement, ne fait rien à la question. Pour parler équitablement de cette matière, il fallait dire que l'esprit de l'Eglise a toujours été de permettre la séparation pour cause d'adultère, mais non pas de se remarier. Saint Clément d'Alexandrie en est un bon témoin, quand il dit que « l'Ecriture ne permet pas aux mariés de se séparer, et qu'elle établit cette loi : Vous ne quitterez point votre femme, si ce n'est pour adultère; mais qu'elle croit que c'est adultère à ceux qui sont séparés, de se remarier tant que l'un des deux est en vie (2). » Ce seul passage suffirait pour faire voir à M. Dupin que contre sa pensée, on distinguait dès ce temps-la la liberté de se séparer, d'avec celle d'épouser une autre femme.

 

1 Abr. de la Discip., p. 618. Rép. aux Rem., p. 71. Apol. I, Just au comm. — 2 Strom., lib. II ; 424.

 

 

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Sur le célibat des Clercs.

 

Il faut aussi apporter un correctif à ce que dit notre auteur sur le mariage des prêtres et des diacres. Il est fâcheux qu'en tout et partout, on le trouve si peu favorable aux règles et aux pratiques de l'Eglise.

 

Sur les Pères et la tradition : et premièrement sur saint Justin et saint Irénée.

 

C'est l'esprit de la nouvelle critique, de parler peu respectueusement des Pères, et d'avoir beaucoup de pente à les critiquer. Cet esprit est répandu dans la Nouvelle Bibliothèque. On a vu ce qu'elle dit sur saint Justin et saint Irénée, et la doctrine impie qu'elle impute sans raison à ces deux auteurs. Voici en particulier sous le nom de Photius, une critique assez rigoureuse de leurs écrits. Photius accuse saint Justin de n'avoir point l'agrément d'un discours éloquent (2) : M. Dupin ajoute du sien, « que ce caractère paraît dans tous ses ouvrages, qui sont extrêmement pleins de citations et de passages, tant de l'Ecriture que des auteurs profanes, sans beaucoup d'ordre et sans aucun ornement (3). » On pourrait dire à notre critique qu'il y a dans le Dialogue avec Tryphon, par exemple, plus d'ordre et plus de méthode qu'il ne pense, et plus d'agrément qu'il ne paraît y en avoir senti, s'il compte pour agrément une belle et noble simplicité. Que saint Justin y cite beaucoup de passages de l'Ecriture, ce n'est pas là un défaut dans un ouvrage dont ces passages dévoient faire le fond ; et l'ornement naturel qui convient à un tel traité, consiste presque tout dans la netteté, qui ne manque point dans cet ouvrage. Cela dans le fond est peu de chose; et je ne le dis que pour avertir M. Dupin, qu'il pouvait se dispenser d'interposer sur les auteurs son jugement, que personne ne lui demandait. Mais ce qu'il dit de saint Irénée sous le nom du même Photius, n'est pas supportable. Voici ses paroles : « Le savant Photius a raison

 

1 Abr. de la Discip., tom, I, p. 621. — 2 Phot. Bibl. cod. CXXV. — 3 Tom. I, p. 160.

 

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de reprendre en lui un défaut qui lui est commun avec beaucoup d'autres anciens; c'est qu'il affaiblit et qu'il obscurcit pour ainsi dire les plus certaines vérités de la religion par des raisons peu solides (1). » Il devait avoir remarqué que Photius ne dit point cela des ouvrages qui nous sont restés de saint Irénée, c'est-à-dire de ses cinq livres des hérésies, qui en effet sont trop forts et prouvent trop bien pour mériter la critique de Photius; et ce qui fait voir clairement que ce n'est pas sur ces livres que Photius exerce sa critique, c'est qu'après en avoir fait un très-court sommaire, il ajoute : « Il court plusieurs autres écrits de toutes les sortes, et des lettres du même saint Irénée; encore que la vérité exacte des dogmes ecclésiastiques y soit corrompue (2), » ou pour mieux traduire, falsifiée par des argumens bâtards, c'est-à-dire faux, mauvais et étrangers à la doctrine chrétienne. On voit donc premièrement que Photius ne parle en aucune sorte des écrits qui nous restent de saint Irénée, qui sont les cinq livres des Hérésies; mais de quelques autres ouvrages de ce Père : secondement, qu'il ne dit point que ces écrits et ces lettres soient de lui, mais qu'ils courent sous son nom : aussi en troisième lieu, ne se contente-t-il pas de dire, comme l'a traduit M. Dupin, « qu'il affaiblit el qu'il obscurcit en quelque sorte les plus certaines vérités de La religion, par des raisons peu solides » (car c'est la traduction de M. Dupin prise en partie sur le latin, et sans avoir lu le grec) ; mais Photius dit que dans ces écrits, autres que ceux que nous avons de saint Irenée, l'exacte vérité des dogmes est falsifiée, kibdeleuetai des arguments étrangers à la doctrine chrétienne; ce qui est une faute, que ni Photius ni aucun autre auteur n'ont imputée à saint Irénée.

Il est donc plus clair que le jour, que la censure de Photius ne tombe pas sur les cinq livres des Hérésies: elle ne tombe pas non plus sur une lettre et deux ou trois pages que nous avons de fragments de saint Irénée, où constamment il n'y a rien que de très-beau. Ainsi elle tombe visiblement sur des écrits attribués à saint Irénée, que M. Dupin n'a pas vus. puisqu'on n'en a plus rien du tout; et toutefois notre auteur, non-seulement fait tomber

 

1 Tom. I, p. 199. —  2 Phot. cod. CXX.

 

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cette critique sur les écrits que nous avons, mais encore il ne craint point d'ajouter que Photius a raison; et afin que saint Irénée ne soit pas le seul qu'il critique, il ajoute que « ce défaut, d'affaiblir les vérités de la religion, lui est commun avec beaucoup d'autres Pères; » afin qu'un lecteur ignorant enferme ce qu'il lui plaira dans cette censure générale. Voilà comment ces grands savants et ces grands critiques lisent les livres et décident des saints Pères.

 

Saint Léon et saint Fulgence.

 

Qui est-ce qui demandait à M. Dupin son sentiment sur saint Léon, dont il dit à la vérité, « qu'il est exact sur les points de doctrine, et habile sur la discipline ; mais qu'il n'est pas fort fertile sur les points de morale : qu'il les traite assez sèchement et d'une manière qui divertit plutôt qu'elle ne touche (1)? » Qu'avait affaire son lecteur qu'on lui déprimât la morale de saint Léon, sans raison, sans nécessité, sans lui dire du moins un mot du caractère de piété envers Jésus-Christ, qui reluit dans tous ses ouvrages ? Mais pourquoi dire de saint Fulgence, l'un des plus solides et des plus graves théologiens que nous ayons, « qu'il aimait les questions épineuses et scolastiques (2)? » comme s'il s'y était jeté sans nécessité ; à quoi il ajoute ce petit trait de ridicule pour saint Fulgence, « qu'il donnait quelquefois dans le mystique. » Il ne veut pas que rien lui échappe, ni qu'aucun Père sorte de ses mains sans égratignures.

 

Le pape saint Etienne.

 

M. Dupin a traité le démêlé entre le pape saint Etienne et saint Cyprien, avec un entêtement si visible contre ce saint pape, qu'il n'y a pas moyen de le dissimuler. On pourrait remarquer d'abord que le pape est toujours Etienne, et saint Cyprien toujours saint; quoiqu'ils soient tous deux martyrs.

Si M. Dupin voulait élever la modération de saint Cyprien au-dessus de celle du pape saint Etienne, du moins ne

 

1 Tom. III, part. II, p. 388. — 2 Tom. IV, p. 74.

 

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devait-il pas le louer « de ce qu'il n'a point prétendu faire la loi au Pape (1). » Il ne restait plus qu'à le louer de ce qu'il ne l'avait pas excommunié. Il devait se souvenir que saint Etienne avait droit d'agir en supérieur, comme saint Augustin le reconnaît, mais qu'il n'en pouvait pas être de même de saint Cyprien.

D'ailleurs, il ne fallait pas dissimuler que si c'a été à saint Cyprien une marque de modération si digne d'être relevée, de n’avilir point rompu l'unité, cette louange lui est commune avec saint Etienne, puisque (laissant aux bancs la dispute sur l'excommunication prononcée par le Pape ) il est bien constant qu'il n'a pas poussé la chose à bout ; et saint Augustin nous apprend lui-même que la paix fut conservée de part et d'autre.

M. Dupin demeure d'accord (2) que la lettre de Firmilien contre le Pape est fort emportée, et il assure que ce l'ait ne regarde point saint Cyprien ; mais il oublie que c'est saint Cyprien qui a traduit cette lettre, qui l'a publiée en Afrique, en un mot, qui l'a approuvée et comme adoptée. La candeur et l'équité, qui doivent être inséparables de la critique, dévoient porter M. Dupin à ne pas taire ces choses, et à ne pas charger saint Etienne seul, comme si saint Cyprien n'avait excédé en rien, encore que saint Augustin, qui le ménage autant qu'il peut, ne l'ait pas excusé en tout.

Loin de conserver cette équité, M. Dupin trouve que « Firmilien et plus excusable qu'Etienne, parce qu'il avait conçu de l'indignation contre la manière dont Etienne avait traité les députés de saint Cyprien. » Ainsi Firmilien, qui avait appelé du nom de Judas, d'hérétique et de pire qu’hérétique un pape, qui dans le fond avait raison, est pointant selon ce critique plus excusable que lui.

Mais c'est que M. Dupin ne veut pas demeurer d'accord que le Pape ait eu raison. C'est là sa grande erreur. Car il est constant par saint Augustin, par saint Jérôme, par Vincent de Lérins, que l'Eglise universelle a suivi le sentiment de saint Etienne : que saint Cyprien et les autres de son parti ne sont excusables qu'à cause qu'ils ont erré avant la définition de toute l'Eglise : qu'après

 

1 Rép. aux Rem., p. 169. — 2 Ibid., p. 170.

 

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après cette décision, ceux qui ont suivi leurs sentiments sont hérétiques : que le décret de saint Etienne était fondé sur une tradition apostolique: que ceux qui s'y opposèrent reconnurent eux-mêmes dans la suite, que la doctrine de leurs ancêtres était différente de la leur, et qu'ils y revinrent à la fin. M. Dupin dissimule tous ces faits qui sont constans. Il dit bien, à la vérité, « que le sentiment de saint Augustin a depuis été embrassé par l'Eglise ; mais il ne veut point dire que ce sentiment de saint Augustin était, selon saint Augustin même, une tradition apostolique (1) : » que l'Eglise par conséquent la suivait déjà avant que d'en avoir fait une expresse déclaration dans ses conciles. Il veut faire croire à son lecteur « qu'on ne s'est point servi, dans l'Orient, de la distinction de saint Augustin (2), » c'est-à-dire de la distinction qu'il fallait faire entre le baptême administré par les hérétiques avec la forme ordinaire, ou sans cette forme. C'est néanmoins cette distinction que saint Jérôme suit aussi bien que lui, et à laquelle il reconnaît que tous les adversaires du pape saint Etienne étaient enfin revenus. M. Dupin aime mieux dire que ceux d'Orient rebaptisaient ou ne rebaptisaient pas les hérétiques, sans avoir aucune raison de cette différence, encore qu'on put aisément la lui montrer même dans les Pères grecs. Voilà sa théologie. L'on peut voir combien elle est faible, pour ne pas dire erronée.

Il s'obstine à vouloir trouver une aussi grande erreur dans saint Etienne que dans saint Cyprien. On sait d'où il a pris cette critique ; mais elle est contraire à ce qu'on vient de voir. On a vu par saint Augustin et les autres Pères, que ce qu'on opposait à saint Cyprien était une tradition apostolique. Ce n'était donc pas une erreur qu'on opposait à une erreur, mais une vérité constante et ancienne. L'état de la question, comme il est posé par Eusèbe, par saint Augustin, par saint Jérôme, par Vincent de Lérins, par tous les autres, ne charge saint Etienne d'aucune erreur. Il n'y avait rien de plus droit, ni de plus simple que le décret de ce Pape : « Qu'on ne change rien à ce qui a été réglé par la tradition » (c'est ainsi que le traduit M. Dupin (3)) ; et

 

1 Tom. I, p. 404. — 2 Ibid.. p. 481. — 3 Rép. aux Rem., p. 168.

 

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Saint Augustin ne se plaint pas que cette tradition fût fausse, puisqu'on vient devoir qu'il la tient apostolique, et qu'il se contente de dire qu'elle ne fut pas d'abord assez solidement prouvée. Ainsi saint Etienne est absous de la critique moderne par le témoignage de tous les anciens. On ne lui peut opposer que ses adversaires, qui dans la chaleur de la dispute ont mal pris ses sentiments. Encore Firmilien, quoi qu'en puisse dire M. Dupin, répète plusieurs fois que l'intention de ce Pape et de ceux qui lui adhéraient, était d'approuver le baptême, pourvu qu'il lut conféré au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit (1) Tout cela est clair. On ne peut alléguer contre ce fait aucun auteur ancien de quelque poids, si ce n'est peut-être un inconnu, qui est l'anonyme de Rigault, dont l'esprit et le raisonnement sont si peu justes, qu'on voit bien qu'il n'est pas capable de juger cette question au préjudice du témoignage de tous les auteurs qu'on vient d'entendre.

Il est vrai que M. Dupin se veut appuyer du décret de saint Etienne, en traduisant ces paroles : « A quâcumqae hœresi venerit ad vos, DE QUELQUE MANIÈRE QUE LES HÉRÉTIQUES EUSSENT ÉTÉ BAPTISÉS (2), » ce qu'il répète par deux fois; mais ce n'est pas là traduire, c'est visiblement falsifier le décret du Pape.

Il commet encore une autre faute en traduisant ces mots : Manus ei imponantur in poenitentiam : QU'ON LUI IMPOSE SEULEMENT LES MAINS POUR LE RECEVOIR (3). Avec sa permission, il fallait exprimer le mot de pénitence, qui seul caractérise cette imposition des mains, et en montre la différence d'avec le sacrement de confirmation, par lequel quelques auteurs ont voulu croire qu'on recevait les hérétiques.

Par tout cela, on voit le génie de la nouvelle critique qui veut, à quelque prix que ce soit, trouver que les papes ont tort; ce qui dans ce lait est de plus grande conséquence qu'on ne pense, puisque si, dans la dispute qui s'éleva entre saint Etienne et saint Cyprien, les deux partis sont également dans l'erreur, il s'ensuit que la profession de la vérité était éteinte dans l'Eglise.

 

1 Epist. Firmil., apud Cyp. — 2 Tom. I, p. 404. Rép. aux Rem., p. 172. — 3 Rép., p. 169.

 

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Saint Augustin

 

Saint Augustin est sans doute celui de tous les saints Pères que M. Dupin maltraite le plus. Il aurait pu se passer de dire de son Traité sur les Psaumes, « qu'il est plein d'allusions inutiles, de subtilités peu solides et d'allégories peu vraisemblables, » et d'ajouter encore avec cela « que ce Père fait profession d'expliquer la lettre (1). » Un peu devant il venait de dire encore, « qu'il s'étend beaucoup sur des réflexions peu solides, où il s'éloigne de son sujet par de longues digressions. » Il devait dire du moins que ces longues digressions dans des sermons (car ses Traités sur les Psaumes n'étaient presque rien autre chose), avaient pour fin d'expliquer des matières utiles à son peuple, tant pour la morale que contre les hérésies de son temps et de son pays.

M. Dupin sait bien que ces digressions sont fréquentes dans les serinons des Pères, qui traitant la parole de Dieu avec une sainte liberté, se jetaient sur les matières les plus propres à l'utilité de leurs auditeurs, et songeaient plus à l'édification qu'à une scrupuleuse exactitude du discours. Les sermons de saint Chrysostome, qui sont les plus beaux qui nous restent de l'antiquité, sont pleins de ces édifiantes et saintes digressions. M. Dupin ne traite pas mieux les livres De la Cité de Dieu; et surtout il trouve mauvais « qu'on en admire communément l'érudition, quoiqu'ils ne contiennent rien qui ne soit pris de Varron, de Cicéron, de Sénèque, et des autres auteurs profanes, dont les ouvrages étaient assez communs (2). » Sans doute saint Augustin n'avait point déterré des auteurs cachés, qui valent ordinairement moins que les autres, mais qui donnent à ceux qui les citent la réputation de savants ; et il s'était contenté de prendre dans des auteurs célèbres , ce qui était utile à son sujet. Voilà l'idée d'érudition que se proposent les nouveaux critiques. M. Dupin ajoute aussi qu'il n'y a rien de « fort curieux ni de bien recherché dans ce livre de saint Augustin, et qu'il n'est pas même toujours exact. » Pour l'exactitude, on n'en saurait trop avoir en ce genre-là. Mais quand il

 

1 Tom. III, part. 1, p. 696, 697. — 2 Ibid., p. 756.

 

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serait arrivé à saint Augustin, comme à tant d'autres grands hommes, d'avoir manqué dans des minuties, il y a trop de petitesse à leur en faire un procès. Pour ce qui est du curieux et du recherché, où notre critique et ses semblables veulent à présent mettre toute l'érudition, il lui fallait préférer l'utile et le judicieux, qui constamment ne manquent point à saint Augustin ; et pour ne parler pas davantage de l'érudition profane, ce Père a bien su tirer des saints docteurs qui l'ont précédé, les témoignages nécessaires à l'établissement de la tradition. Il ne fallait donc pas dire, comme fait notre auteur, « qu'il avait beaucoup moins d'érudition que d'esprit ; car il ne savait pas les langues, et il avait fort peu lu les anciens (1). » Il en avait assez lu pour soutenir la tradition : le reste mérite son estime, mais en son rang. Ces grandes éruditions ne font souvent que beaucoup offusquer le raisonnement , et ceux qui y sont portés plus que de raison, ont ordinairement l'esprit fort court. Je ne sais ce que veut dire notre auteur, « que saint Augustin s'étend ordinairement sur des lieux communs. » C'est ce que font, aussi bien que lui, tous ceux qui ont à traiter la morale, surtout devant le peuple ; mais pour les ouvrages polémiques ou dogmatiques, on peut dire avec certitude que personne ne serre de plus près son adversaire que saint Augustin, ni ne poursuit plus vivement sa pointe. Ainsi les lieux communs seraient ici mal allégués.

Mais la grande faute de notre auteur sur le sujet de saint Augustin , est de dire qu'il a enseigné sur la grâce et sur la prédestination , une doctrine différente de celle des Pères qui l'ont précédé (2). Il faudrait dire en quoi, et on verrait, ou que ce n'est rien de considérable, ou que ceux qui lui font ce reproche se trompent et n'entendent pas la matière.

M. Dupin dit crûment, après M. de Launoy, de qui il se glorifie de l'avoir appris, que « les Pères grecs et latins n'avaient ni parlé, ni raisonné comme lui sur la prédestination et sur la grâce : que saint Augustin s'était formé un système là-dessus qui n'avait pas été suivi par les Grecs, ni goûté de plusieurs catholiques d'Occident, quoique ce Père se fût fait beaucoup de

 

1 Tom. III, part. I, p. 819. — 2 Ibid.. part. II, p. 592. Rép. aux Rem., p. 144.

 

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disciples, et que ces questions n'étaient pas de celles quœ hœreses inferunt, aut hœreticos faciunt. » Tout cela se pourrait dire peut-être sur des minuties ; mais par malheur pour M. de Launoy et pour ceux qui se vantent d'être ses disciples, c'est que par ces prétendues différences avec saint Augustin, ils font les Grecs et quelques occidentaux de vrais demi-pélagiens, ainsi qu'on a déjà vu que l'a fait M. Dupin. On sait que ces catholiques d'Occident, qui ne goûtaient point la doctrine de saint Augustin, étaient demi-pélagiens, qu'ils ont été condamnés comme tels par l'Eglise, et surtout par le concile d'Orange ; et néanmoins c'est de ceux-là que M. de Launoy et ses sectateurs disent qu'ils n'erraient pas dans la foi (1).

Notre auteur tâche de répondre à ce qu'on lui a objecté, que « les savants de notre siècle se sont imaginé deux traditions contraires au sujet de la grâce (2). » Il croit satisfaire à cette objection en répondant que « feu M. de Launoy, dont le censeur veut parler, lui a appris que la véritable tradition de l'Eglise est celle que décrit Vincent de Lérins : Quod ubique, quod semper, quod ad omnibus : qu'il n'avait donc garde de dire qu'il y avait deux traditions dans l'Eglise sur la grâce. » Cela est vrai ; mais M. Dupin ne nous dit pas tout le fin de la doctrine de son maître. Nous l'avons ouï parler, et on ne nous en imposera pas sur ses sentiments. Il disait que les Pères grecs, qui avaient précédé saint Augustin, avaient été de la même doctrine que tinrent depuis les demi-pélagiens et les Marseillais : que depuis saint Augustin, l'Eglise avait pris un autre parti : qu'ainsi il n'y avait point sur cette matière de véritable tradition, et qu'on en pouvait croire ce qu'on voulait. Il ajoutait encore, puisqu'il faut tout dire, que Jansénius avait fort bien entendu saint Augustin , et qu'on avait eu tort de le condamner ; mais que saint Augustin avait tort lui-même, et que c'était les Marseillais ou demi-pélagiens qui avaient raison ; en sorte qu'il avait trouvé le moyen d'être tout ensemble demi-pélagien et janséniste. Voilà ce que nous avons oui de sa bouche plus d'une fois, et ce que d'autres ont ouï aussi bien que nous,

 

1 Voyez ce qu'il dit sur saint Chrys., tom. III, part. I, p. 130. — 2 Rép. aux Rem., p. 144.

 

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et voilà ce qui suit encore de la doctrine et des expressions de M. Dupiu.

Au reste il semble affecter de traiter ces matières de subtiles, de délicates et d'abstraites (1) ; ce qui porte naturellement dans les esprits l'idée d'inutiles et de curieuses. La matière de la Trinité, de l'Incarnation, de l'Eucharistie et les autres ne sont ni moins subtiles, ni moins abstraites; mais on aime mieux dire qu'elles sont hautes, sublimes, impénétrables au sens humain. Il fallait parler de même de celle que saint Augustin a traitée contre les pélagiens et demi-pélagiens. Car après tout, de quoi s'agit-il? Il s'agit de savoir à qui il faut demander la grâce de bien faire, à qui il faut rendre grâces quand on a bien fait : il s'agit de reconnaître que Dieu incline les cœurs à tout le bien par des moyens très-certains et très-efficaces, et de confesser un pareil besoin de ce secours, tant dans le commencement des bonnes œuvres que dans leur parfait accomplissement : il s'agit de reconnaître que cette grâce que Dieu donne dans le temps, a été préparée, prévue , prédestinée de toute éternité : que cette prédestination est gratuite à la regarder dans son total, et présuppose en Dieu une prédilection spéciale pour ses élus. Voilà l'abrégé de la doctrine de saint Augustin sur la grâce, et tout le terme où il tend. C'est aussi ce qu'on enseigne unanimement dans toutes les écoles catholiques, sans en excepter aucune. Il n'y a rien là ni de si abstrait, ni de si métaphysique; tout cela est solide et nécessaire à la piété. C'est une manifeste calomnie de dire avec M. de Launoy rapporté par M. Dupin , que les Pères grecs et latins soient contraires à saint Augustin à cet égard. Ce saint docteur cite pour lui saint Cyprien ; et M. Dupin demeure d'accord que ce Père a très-bien parlé, non-seulement de la nécessité, mais encore de l’efficace de la grâce (2) : il cite saint Ambroise, qui n'est pas moins exprès, et il ne serait pas malaisé d'ajouter une infinité de témoignages aux leurs. Il n'y a donc rien de plus constant dans l'antiquité que la doctrine de l'efficace de la grâce ; et la prédestination n'étant autre chose que la préparation éternelle de cette grâce, ainsi que saint Augustin l'explique si nettement, surtout dans ses

 

1 Tom. III, part. II, p. 591. — 2 Tom. I, p. 463.

 

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derniers livres, il n'y avait rien de plus visible que l'erreur des Marseillais et de quelques Gaulois, qui attaquaient la grâce et la prédestination.

Si saint Augustin est entré plus avant que les Pères ses prédécesseurs dans cette matière : s'il en a parlé plus précisément et plus juste, la même chose est arrivée dans toutes les autres matières, lorsque les hérétiques les ont remuées. Quand M. Dupin ose assurer « que les Pères grecs et latins se sont peu mis en peine de rechercher les moyens d'accorder le libre arbitre avec la grâce, ou que s'ils l'ont fait, ils l'ont fait d'une manière bien différente de saint Augustin (1)» avec sa permission, il ne parle pas correctement ; car s'il veut dire que les anciens Pères sont contraires à saint Augustin dans la conciliation que proposaient les demi-pélagiens du libre arbitre et de la grâce, en disant que le libre arbitre commence et que la grâce achève le bien ; ce n'est plus saint Augustin, mais la tradition et la foi qu'il fait attaquer aux Pères. S'il veut dire que saint Augustin n'a pas reconnu le libre arbitre dans la notion commune que tout le monde en avait, il sait bien que cela est faux, s'il veut dire que saint Augustin ne reconnaît point d'autre secours que celui qui est donné aux prédestinés, ou qu'il ne confesse pas qu'il y a des grâces pour les réprouvés, avec lesquelles ils pourraient, s'ils voulaient, faire le bien ; ou que selon la doctrine de ce Père, la grâce nécessite tellement le libre arbitre, qu'il ne puisse y résister, ou qu'il n'y a point d'occasion où on la rejette, il se dément lui-même, puisqu'il fait dire le contraire à saint Augustin (2). Si ce Père établit ces vérités aussi bien, ou peut-être mieux que les anciens : si M. Dupin en est d'accord, il ne restait donc autre chose à dire, sinon que toute la diversité qui se trouve dans les Pères vient de celle des temps et des personnes auxquelles ils avaient affaire, et de l'obligation de traiter les choses différemment, quant à la manière, après que les questions sont agitées. Mais quand on entend M. Dupin dire d'un côté, que la lettre de Célestin, les capitules qui la suivent et les canons du concile d'Orange sont d'illustres approbations de la doctrine de saint Augustin (3),» et dire ailleurs indiscrètement, que les

 

1 Rép. aux Rem., p. 145. — 2 Tom. III, part. I, p. 812, 813. — 3 Ibid., 816.

 

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Pères grecs et latins, anciens et modernes, sont contraires à saint Augustin, c'est vouloir donner l'idée que les Pères détruisent les Pères, et que la tradition s'efface elle-même.

 

Saint Jérôme.

 

En général, il fait passer saint Jérôme pour un esprit emporté, outré, excessif, qui ne dit rien qu'avec exagération, même contre les hérétiques. Il y avait ici bien des correctifs à apporter, qui auraient donné des idées plus justes de ce Père. On aurait pu contre-balancer ces défauts, en remarquant la précision et la netteté admirable qui accompagnent ordinairement son discours, et les marques qu'il a données de sagesse et de modestie en tant d'endroits. Il eût été bon de ne pas dire si crûment, « que le travail, les jeûnes, les austérités et les autres mortifications, la solitude et les pèlerinages sont le sujet de presque tous ses conseils et de ses exhortations ; » comme s'il n'avait pas insisté incomparablement davantage sur les autres vertus chrétiennes et cléricales. Il semble qu'on ait voulu le faire passer pour un bon moine, qui n'avait en tête que les pratiques de la vie monastique ; ce qui est encore confirmé par ce qu'on ajoute, qu'il parle souvent de la virginité et de l'état monastique, d'une manière qui ferait presque croire qu'il est nécessaire de mener cette vie pour être sauvé. En général on ne doit pas supporter dans M. Dupin la liberté qu'il se donne de condamner si durement les plus grands hommes de l’Eglise. Le monde est déjà assez porte à critiquer el à croire que les dévots de tous les siècles sont gens faibles ou excessifs. Que si l'on rabat l'estime des Pères jusque dans l'esprit du peuple, on ne laisse aucune ressource à la piété contre les préventions des gens du monde. Les hommes s'attacheront toujours, selon leur coutume, à ce qu'on leur aura montré de défectueux dans les saints docteurs (1) : les hérétiques en triompheront ; et il est indigne d'un théologien d'aider leur malignité, et celle du siècle et du genre humain.

 

1 Sur S. Gr. de Naz., tom. II, p. 598, 655; sur S. Basil., ibid., p. 553.

 

 

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Sur l'Eucharistie, et sur la théologie de la Trinité.

Je ne prétends pas accuser M. Dupin de mal parler de l'Eucharistie, mais il est certain qu'il n'a pas su ce qu'il fallait dire pour bien établir dans les trois premiers siècles la foi de la présence réelle. Il se contente de dire que les docteurs de ce temps « n'ont point douté que l'Eucharistie ne fût le corps et le sang de Jésus-Christ, et l'ont appelée de ce nom (1). » C'est de même que s'il se fût contenté de dire que les Pères croyaient Jésus-Christ Dieu, et l'appelaient de ce nom. On sait bien que les hérétiques ne nient point les expressions de l'Ecriture. M. Dupin n'aurait pas manqué d'occasions de faire voir plus précisément les sentiments de saint Justin, par exemple, sur la présence réelle ou des autres, eu quel endroit il eût voulu. En un mot, ce n'est pas assez pour faire voir la foi catholique dans les Pères, de dire qu'ils ont répété les termes de l'Ecriture, que personne ne rejette, sans convaincre par leur témoignage l'abus que les hérétiques en ont fait.

M. Dupin a bien su prendre cette précaution à l'égard de la divinité de Jésus-Christ ; et il eut été seulement à désirer qu'il eût démêlé plus clairement les sentiments qu'il attribue aux Pères des trois premiers siècles, en disant qu'ils ont appelé « génération une certaine prolation ou émission du Verbe, qu'ils imaginent s'être faite, quand Dieu a voulu créer le monde (2); » en quoi il commet une double faute : l'une, celle de parler de cette expression, comme si elle était de tous les Pères, ce qui n'est pas : l'autre est celle de donner crûment, en termes vagues, cette certaine émission du Verbe, que ces Pères imaginaient ; ce qui en soi n'est qu'un pur galimatias, ou, comme il l'appelle lui-même, une imagination, et encore une imagination fort creuse. Il n'y avait qu'un mot à dire pour rendre tout cela clair, et tirer ces Pères d'affaire ; mais ce n'est pas ici le lieu d'en dire davantage ; et il suffit de faire sentir à M. Dupin qu'en précipitant un peu moins l'édition de ses livres, il produirait quelque chose de plus

 

1 Abr. de la Doctr., tom. I, p. 612. — 2 Ibid., p. 608.

 

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correct et de plus profond, comme il est capable de le faire, et l'a fait heureusement en beaucoup d'endroits.

 

Sur le second concile de Nicée.

 

La critique de M. Dupin (1), sur ce concile universellement reçu en Orient et en Occident, et expressément approuvé par les conciles suivants, et entre autres par celui de Trente, a scandalisé tout le monde. Elle ne tend en effet qu'à faire voir que presque toutes les preuves dont on se sert dans ce concile, aussi bien que celles qu'Adrien I emploie pour le défendre, sont nulles et peu concluantes ; ce qui ne sert qu'à faire penser aux hérétiques que la décision de ce concile est très-mal fondée, puisque si la réfutation de M. Dupin avait lieu, il ne resterait rien ou presque rien dont on la pût soutenir. Je ne voudrais point garantir sans exception, toutes les pièces citées dans ce concile, ni toutes les réflexions qu'ont faites les particuliers qui le composèrent ; mais j'oserais bien assurer que les censures de M. Dupin viennent presque toujours de n'avoir pas bien entendu à quoi chaque pièce peut être employée, ni le vrai état de la question. Au reste quoique vers la fin notre auteur semble prendre un bon parti, ni la prudence, ni la piété, ni la bonne théologie ne permettaient pas de décrier un concile qui a été universellement reçu, aussitôt que la doctrine en a été bien entendue.

 

CONCLUSION.

 

Sans pousser plus loin l'examen d'un livre si rempli d'erreurs et de témérités, en voilà assez pour faire voir qu'il tend manifestement à la subversion de la religion catholique : qu'il y a partout un esprit de dangereuse singularité qu'il faut réprimer ; et en un mot, que la doctrine en est insupportable.

Il ne faut avoir aucun égard aux approbateurs, qui sont eux-mêmes inexcusables d'avoir lu si négligemment et approuvé si légèrement d'intolérables erreurs, et une témérité qui jusqu'ici

 

1 Abr. de la Doctr., tom. V, p. 456 et suiv.

 

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n'a point eu d'exemple dans un catholique. Je sais d'ailleurs que quelques-uns d'eux improuvent manifestement l'audace de cet auteur, et il y en a qui s'en sont expliqués fort librement avec moi-même ; ce qui ne suffit pas pour les excuser.

Il est d'autant plus nécessaire de réprimer cette manière téméraire et licencieuse d'écrire de la religion et des saints Pères, que les hérétiques commencent à s'en prévaloir, comme il paraît par l'auteur de la Bibliothèque de Hollande, qui est un socinien déclaré. Jurieu a objecté M. Dupin aux catholiques, et on verra les hérétiques tirer bien d'autres avantages de ce livre, s'il n'y a quelque chose qui le note.

Il y a aussi beaucoup de péril que les catholiques n'y sucent insensiblement l'esprit de singularité, de nouveauté, aussi bien que celui d'une fausse et téméraire critique contre les saints Pères; ce qui est d'autant plus à craindre que cet esprit ne règne déjà que trop parmi les savants du temps.

Il n'y a point d'autre remède à cela, sinon que l'auteur se rétracte, ou qu'on le censure, ou qu'il sorte quelque témoignage qui fasse du moins voir au public que sa doctrine n'est pas approuvée. Le silence serait une connivence et une prévarication criminelle. Le plus doux et le plus honnête pour l'auteur, est qu'il se rétracte, mais d'une manière nette et précise. Plus il le fera nettement, plus son humilité sera exemplaire et louable ; s'il n'en a pas le courage, il pourra colorer sa rétractation du terme d'explication ; et on pourra s'en contenter, pourvu qu'elle soit si nette qu'il n'y reste rien de suspect ni d'équivoque.

Voilà le seul remède au mal qui est déjà fait. Mais comme l'auteur a terriblement abusé du privilège qui lui a été accordé, il sera nécessaire à l'avenir de mettre ses livres entre les mains de théologiens exacts, qui ne lui laissent rien passer, et qui sachent lui parler franchement.

Je suis obligé d'avertir qu'on doit particulièrement prendre garde à son travail sur l'Ecriture, parce que ce qu'il en a déjà fait paraître, fait voir qu'il penche beaucoup à affaiblir les témoignages de Jésus-Christ et de sa divinité.

C'est un esprit que Grotius a introduit dans le monde savant.

 

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On croit n'être point savant, si l'on ne donne à son exemple dans les singularités ; si l'on paraît content des preuves que jusqu'ici on a trouvées suffisantes ; en un mot, si l'on ne fait parade d'un littéral judaïque et rabbinique, et d'une érudition plutôt profane que sainte.

Quoique je parle ici avec la liberté et la candeur que demande la matière, je n'ai dans le fond que de l'amitié pour M. Dupin, dont on rendra les travaux utiles à l'Eglise, si l'on cesse de le flatter, et si l'on peut lui persuader de n'aller pas si vite, et de digérer un peu davantage ce qu'il écrit; enfin, de rendre sa théologie plus exacte, et sa critique plus modeste et plus judicieuse.

C'est un ouvrage digne de la piété et de la prudence de M. le Chancelier; et je ne prends la liberté de lui présenter ce Mémoire, qu'à cause de la connaissance que j'ai qu'il apportera par ses lumières un prompt et efficace remède à un mal qui est fort pressant.

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