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DE L'INSTRUCTION
DE MONSEIGNEUR LE DAUPHIN
AU PAPE INNOCENT XI.

 

DE L'INSTRUCTION DE MONSEIGNEUR LE DAUPHIN  AU PAPE INNOCENT XI.

I. La règle sur les études donnée par le Roi.

II. La Religion.

III. La grammaire : les auteurs latins : et la géographie.

IV. L’histoire. Celle de France composée par Monseigneur le Dauphin, en latin et en français.

V. Saint Louis modèle d'un roi parfait.

VI. L'exemple du Roi.

VII. La Philosophie. Traité de la Connaissance de Dieu et de soi-même.

VIII. La logique : la rhétorique : et la morale.

IX. Les principes de la jurisprudence.

X. Les autres parties de la philosophie.

XI. Les mathématiques.

XII. Trois derniers ouvrages pour recueillir les fruit des études. Le premier : Histoire universelle, pour expliquer la suite de la religion, et les changements des empires.

XIII. Second ouvrage : Politique tirée des propres paroles de la Sainte Ecriture.

XIV. Troisième ouvrage ; L’état du royaume et de toute l’Europe.

INNOCENT PP. XI.

 

Nous avons souvent ouï dire au Roi, très-saint Père, que Monseigneur le Dauphin étant le seul enfant qu'il eût, le seul appui d'une si auguste famille et la seule espérance d'un si grand royaume lui devait être bien cher : mais qu'avec toute sa tendresse il ne lui souhaitait la vie que pour faire des actions dignes de ses ancêtres et de la place qu?il devait remplir, et qu'enfin il aimerait mieux ne l'avoir pas que de le voir fainéant et sans vertu.

C'est pourquoi dès que Dieu lui eut donné ce prince, pour ne le pas abandonner à la mollesse, où tombe comme nécessairement un enfant qui n'entend parler que de jeux, et qu'on laisse trop longtemps languir parmi les caresses des femmes et les amusements du premier âge, il résolut de le former de bonne heure au travail et à la vertu. Il voulut que dès sa plus tendre jeunesse et pour ainsi dire dès le berceau, il apprit premièrement la crainte de Dieu, qui est l'appui de la vie humaine, et qui assure aux Rois mêmes leur puissance et leur majesté : et ensuite toutes les sciences convenables à un si grand Prince, c'est-à-dire celles qui peuvent servir au gouvernement, et à maintenir un royaume; et même celles qui peuvent de quelque manière que ce soit perfectionner l'esprit, donner de la politesse, attirer à un prince l'estime des hommes savants : en sorte que Monseigneur le Dauphin pût servir d'exemple pour les mœurs, de modèle à la jeunesse, de protecteur aux gens d'esprit : et en un mot, se montrer digne fils d'un si grand Roi.

 

I. La règle sur les études donnée par le Roi.

 

La loi qu'il imposa aux études de ce Prince, fut de ne lui laisser passer aucun jour sans étudier. Il jugea qu'il y a bien de la différence entre demeurer tout le jour sans travailler, et prendre quelque diver-

 

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tissement pour relâcher l'esprit. Il faut qu'un enfant joue, qu'il se réjouisse; cela l'excite : mais il ne faut pas l'abandonner de sorte au jeu et au plaisir, qu'on ne Je rappelle chaque jour à des choses plus sérieuses, dont l'étude serait languissante, si elle était trop interrompue. Comme toute la vie des princes est occupée et qu'aucun de leurs jours n'est exempt de grands soins, il est bon de les exercer dès l'enfance à ce qu'il y a de plus sérieux, et de les y faire appliquer chaque jour pendant quelques heures : afin que leur esprit soit déjà rompu au travail, et tout accoutumé aux choses graves, lorsqu'on les met dans les affaires. Cela même fait partie de cette douceur, qui sert tant à former les jeunes esprits : car la force de la coutume est douce, et l'on n'a plus besoin d'être averti de son devoir, depuis qu'elle commence à nous en avertir d'elle-même.

Ces raisons portèrent le Roi à destiner chaque jour certaines heures â l'étude, qu'il crut pourtant devoir être entremêlées de choses divertissantes, afin de tenir l'esprit de ce Prince dans une agréable disposition, et de ne lui point faire paraître l'étude sous un visage hideux et triste qui le rebutât. En quoi certes il ne s'est pas trompé : car en suivant cette méthode, il est arrivé que le Prince averti par la seule coutume, retournait gaiement et comme en se jouant à ses exercices ordinaires, qui ne lui étaient en effet qu'un nouveau divertissement, pour peu qu'il voulût appliquer son esprit.

Mais le principal de cette institution fut sans doute d'avoir donné pour gouverneur à ce jeune prince M. le Duc de Montausier, illustre dans la guerre et dans les lettres, mais plus illustre encore par sa piété; et tel, en un mot, qu'il semblait né pour élever le fils d'un héros. Depuis ce temps, le Prince a toujours été sous ses yeux, et comme dans ses mains : il n'a cessé de travailler à le former, toujours veillant à l'entour de lui, pour éloigner ceux qui eussent pu corrompre son innocence, ou par de mauvais exemples, ou même par des discours licencieux. Il l'exhortait sans relâche à toutes les vertus, principalement à la piété : il lui en donnait en lui-même un parfait modèle, pressant et poursuivant son ouvrage avec une attention et une constance invincible ; et en un mot, il n'oubliait rien de ce qui pouvait servir à donner au Prince toute la force de corps et d'esprit dont il a besoin. Nous tenons à gloire d'avoir toujours été parfaitement d'accord avec un homme si excellent en toute chose, que même en ce qui regarde les lettres, il nous a non-seulement aidés à exécuter nos desseins, mais il nous en a inspiré que nous avons suivis avec succès.

 

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II. La Religion.

 

L'étude de chaque jour commençait soir et matin par les choses saintes : et le Prince, qui demeurait découvert pendant que durait cette leçon, les écoutait avec beaucoup de respect.

Lorsque nous expliquions le Catéchisme, qu'il savait par cœur, nous l'avertissions souvent qu'outre les obligations communes de la vie chrétienne, il y en avait de particulières pour chaque profession, et que les Princes, comme les autres, avaient de certains devoirs propres, auxquels ils ne pouvaient manquer sans commettre de grandes fautes. Nous nous contentions alors de lui en montrer les plus essentiels selon sa portée; et nous réservions à un âge plus mûr, ce qui nous semblait ou trop profond ou trop difficile pour un enfant.

Mais dès lors à force de répéter, nous fîmes que ces trois mots, piété, bonté, justice, demeurèrent dans sa mémoire avec toute la liaison qui est entre eux. Et pour lui faire voir que toute la vie chrétienne et tous les devoirs des Rois étaient contenus dans ces trois mots, nous disions que celui qui était pieux envers Dieu, était bon aussi envers les hommes que Dieu a créés à son image, et qu'il regarde comme ses enfants : ensuite nous remarquions que qui voulait du bien à tout le monde, rendait à chacun ce qui lui appartenait, empêchait les méchants d'opprimer les gens de bien, punissait les mauvaises actions, réprimait les violences, pour entretenir la tranquillité publique. D'où nous tirions cette conséquence, qu'un bon prince était pieux, bienfaisant envers tous par son inclination, et jamais fâcheux à personne, s'il n'y était contraint par le crime et par la rébellion. C'est à ces principes que nous avons rapporté tous les préceptes que nous lui avons donnés depuis plus amplement : il a vu que tout venait de cette source, que tout aboutissait là, et que ses études n'avaient point d'autre objet que de le rendre capable de s'acquitter aisément de tous ses devoirs.

Il savait dès lors toutes les histoires de l'Ancien et du Nouveau Testament : il les récitait souvent : nous lui faisions remarquer les grâces que Dieu avait faites aux Princes pieux, et combien ses jugements avaient été terribles contre les impies, ou contre ceux qui avaient été rebelles à ses ordres.

Etant un peu plus avancé en âge, il a lu l'Evangile, les Actes des Apôtres, et les commencements de l'Eglise. Il y apprenait à aimer Jésus-Christ; à l'embrasser dans son enfance; à croire pour ainsi dire avec lui, en obéissant à ses parens, en se rendant agréable à Dieu et aux hommes, et en donnant chaque jour de nouveaux témoignages de sagesse. Après il écoutait ses prédications, il était ravi de ses miracles,

 

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il admirait la bonté qui le portait à faire du bien à tout le monde; il ne le quittait pas mourant, afin d'obtenir la grâce de le suivre ressuscitant et montant aux cieux. Dans les Actes, il apprenait à aimer et à honorer l'Eglise, humble, patiente, que le monde n'a jamais laissée en repos, éprouvée par les supplices, toujours victorieuse. Il voyoït les Apôtres la gouvernant selon les ordres de Jésus-Christ, et la formant par leurs exemples plus encore que par leur parole; saint-Pierre y exerçant l'autorité principale, et tenant partout la première place : les Chrétiens soumis aux décrets des Apôtres, sans se mettre en peine de rien, dès qu'ils étaient rendus. Enfin nous lui faisons remarquer tout ce qui peut établir la foi, exciter l'espérance et enflammer la charité. La lecture de l'Evangile nous servait aussi à lui inspirer une dévotion particulière pour la sainte Vierge, qu'il voyait s'intéresser pour les hommes, les recommander à son Fils comme leur avocate; et leur montrer en même temps que ce n'est qu'en obéissant à Jésus-Christ, qu'on en peut obtenir des grâces. Nous l'exhortions à penser souvent à la merveilleuse récompense qu'elle eut de sa chasteté et de son humilité, par le gage précieux qu'elle reçut du ciel, quand elle devint Mère de Dieu, et qu'il se fit une si sainte alliance entre elle et le Père éternel. Nous lui faisions observer en cet endroit combien les mystères de la religion étaient purs, que Jésus-Christ devait être vierge, qu'il ne pouvait êlre donné qu'à une vierge de devenir sa Mère : et qu'il s'ensuivait de là que la chasteté devait être le fondement de la dévotion envers Marie puisqu'elle devait à cette vertu toute sa grandeur et même toute sa fécondité.

Que si en lisant l'Evangile il paraissait songer à autre chose, on n'avoir pas toute l'attention et le respect que mérite cette lecture, nous lui ôtions aussitôt le livre, pour lui marquer qu'il ne le fallait lire qu'avec révérence. Le Prince, qui regardait comme un châtiment d'être privé de cette lecture, apprenait à lire saintement le peu qu'il lisait, et à y penser beaucoup. Nous lui expliquions clairement et simplement les passages. Nous lui marquions les endroits qui servent à convaincre les hérétiques, et ceux qu'ils ont malicieusement détournés de leur véritable sens. Nous l'avertissions souvent qu'il y avait bien des choses en ce livre qui passaient son âge, et beaucoup même qui passaient  l’esprit humain : qu'elles y étaient pour abattre l'orgueil des hommes et pour exercer leur foi; qu'il n'était pas permis en chose si haute de croire à son sens, mais qu'il fallait tout expliquer selon la tradition ancienne et les décrets de l'Eglise : que tous les novateurs se perdaient infailliblement; et que tous ceux qui s'écartaient de cette règle, n’avaient qu'une piété fausse et pleine de fard.

Après avoir lu plusieurs fois l’Evangile, nous avons lu les histoires du Vieux Testament, et principalement celle des Rois : où nous remarquions

 

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que c'est sur les Rois que Dieu exerce ses plus terribles vengeances; que plus le faite des honneurs, où Dieu même les élève en leur donnant la souveraine puissance, est haut, plus leur sujétion devient grande à son égard; et qu'il se plait à les faire servir d'exemple du peu que peuvent les hommes, quand le secours d'en haut leur manque.

Quant aux Epîtres des Apôtres, nous en avons choisi les endroits qui servent à former les mœurs chrétiennes. Nous lui avons aussi fait voir dans les Prophètes, avec quelle autorité et quelle majesté Dieu parle aux rois superbes : comment d'un souffle il dissipe les armées, renverse les empires, et réduit les vainqueurs au sort des vaincus, en les faisant périr comme eux. Lorsque nous trouvions dans l'Evangile les prophéties qui regardent Jésus-Christ, nous prenions soin de montrer au Prince, dans les Prophètes mêmes, les lieux d'où elles étaient tirées. Il admirait ce rapport de l'Ancien et du Nouveau Testament : l'accomplissement de ces prophéties nous servait de preuve certaine pour établir ce qui regarde le siècle à venir. Nous montrions que Dieu, toujours véritable, qui avait accompli à nos yeux tant de grandes choses prédites de si loin, n'accomplirait pas moins fidèlement tout ce qu'il nous faisait encore attendre : de sorte qu'il n'y avait rien de plus assuré que les biens qu'il nous promettait, et les maux dont il nous menaçait après cette vie. A cette lecture nous avons souvent mêlé les Vies des Saints, les Actes les plus illustres des martyrs, et l'Histoire religieuse, afin de divertir le Prince en l’instruisant. Voilà ce qui regarde la religion.

 

III. La grammaire : les auteurs latins : et la géographie.

 

Nous ne nous arrêterons pas à parler de l'étude de la grammaire. Notre principal soin a été de lui faire connaître premièrement la propriété, et ensuite l'élégance de la langue latine et de la française. Pour adoucir l'ennui de cette étude, nous lui en faisions voir l'utilité; et autant que son âge le permettait, nous joignions à l'étude des mots la connaissance des choses.

Par ce moyen il est arrivé que tout jeune il entendait fort aisément les meilleurs auteurs latins : il en cherchait même les sens les plus cachés; et à peine y hésitait-il, dès qu'il y voulait un peu penser. Il apprenait par cœur les plus agréables et les plus utiles endroits de ces auteurs, et surtout des poètes : il les récitait souvent, et dans les occasions il les appliquait à propos aux sujets qui se présentaient.

En lisant ces auteurs, nous ne nous sommes jamais écartés de notre principal dessein, qui était de faire servir toutes ses études à lui acquérir tout ensemble la piété, la connaissance des mœurs et celle de

 

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la politique. Nous lui faisions connaître par les mystères abominables des Gentils, et par les fables de leur théologie, les profondes ténèbres où les hommes demeuraient plongés en suivant leurs propres lumières. Il voyait que les nations les plus polies et les plus habiles en tout ce qui regarde la vie civile, comme les Egyptiens, les Grecs et les Romains, étaient dans une si profonde ignorance des choses divines, qu'ils adoraient les plus monstrueuses créatures delà nature : et qu'elles ne se sont retirées de cet abîme, que depuis que Jésus-Christ a commencé de les conduire. D'où il lui était aisé de conclure que la véritable religion était un don de la grâce. Nous lui faisions aussi remarquer que les Gentils, bien qu'ils se trompassent dans la leur, avaient néanmoins un profond respect pour les choses qu'ils estimaient sacrées : persuadés qu'ils étaient que la religion était le soutien des Etats. Les exemples de modération et de justice que nous trouvions dans leurs histoires, nous servaient à confondre tout Chrétien qui n'aurait pas le courage de pratiquer la vertu, après que Dieu même nous l'a apprise. Au reste nous faisions le plus souvent ces observations, non comme des leçons, mais comme des entretiens familiers; et cela les faisait entrer plus agréablement dans son esprit : de sorte qu'il faisait souvent de lui-même de semblables réflexions. Et je me souviens qu'ayant un jour loué Alexandre d'avoir entrepris avec tant de courage la défense de toute la Grèce contre les Perses, le Prince ne manqua pas de remarquer qu'il serait bien plus glorieux à un prince chrétien de repousser et d'abattre l'ennemi commun de la Chrétienté, qui la menace, et la presse de toutes parts.

Nous n'avons pas jugé à propos de lui faire lire les ouvrages des auteurs par parcelles; c'est-à-dire de prendre un livre de l'Enéide par exemple, ou de César, séparé des autres. Nous lui avons fait lire chaque ouvrage entier de suite et comme tout d'une haleine, afin qu'il s'accoutumât peu à peu, non à considérer chaque chose en particulier, mais à découvrir tout d'une vue le but principal d'un ouvrage, et l'enchaînement de toutes ses parties : étant certain que chaque endroit ne s'entend jamais clairement, et ne paraît avec toute sa beauté qu'à celui qui a regardé tout l'ouvrage comme on regarde un édifice, et en a pris tout le dessein et toute l'idée.

Entre les poètes, ceux qui ont plu davantage à Monseigneur le Dauphin, sont Virgile et Térence; et entre les historiens, c'a été Salluste et César. Il admirait le dernier comme un excellent maître pour faire des grandes choses, et pour les écrire. Il  le regardait comme un homme de qui il fallait apprendre à faire la guerre. Nous suivions ce grand capitaine dans toutes ses marches, nous lui voyions faire ses campements, mettre ses troupes en bataille, former et exécuter ses desseins; louer et châtier à propos les soldats, les exercer au travail,

 

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leur élever le cœur par l'espérance, les tenir toujours en baleine conduire une puissante armée sans endommager le pays, retenir dans le devoir ses troupes par la discipline, et ses alliés par la foi et la protection ; changer sa manière selon les lieux où il faisait la guerre et selon les ennemis qu'il avait en tète; aller quelquefois lentement, niais user le plus souvent d'une si grande diligence, que l'ennemi surpris et serré de près, n'ait ni le temps de délibérer ni celui de fuir : pardonner, aux vaincus, abattre les rebelles ; gouverner avec adresse les peuples, subjugués, et leur faire ainsi trouver sa victoire douce pour la mieux assurer.

On ne peut dire combien il s'est diverti agréablement et utilement dans Térence, et combien de vives images de la vie humaine lui ont passé devant les yeux en le lisant. Il a vu les trompeuses amorces de la volupté et des femmes ; les aveugles emportements d'une jeunesse que la flatterie et les intrigues d'un valet ont engagé dans un pas difficile et glissant; qui ne sait que devenir, que l'amour tourmente, qui ne sort de peine que par une espèce de miracle, et qui ne trouve le repos qu'en retournant ci son devoir. Là le Prince remarquait les mœurs et le caractère de chaque âge et de chaque passion exprimé par cet admirable ouvrier, avec tous les traits convenables à chaque personnage, des sentiments naturels, et enfin avec cette grâce et cette bienséance que demandent ces sortes d'ouvrages. Nous ne pardonnions pourtant rien à ce poète si divertissant, et nous reprenions les endroits où il a écrit trop licencieusement. Mais en même temps nous nous étonnions que plusieurs de nos auteurs eussent écrit pour le théâtre avec beaucoup moins de retenue, et condamnions une façon d'écrire si déshonnête comme pernicieuse aux bonnes mœurs.

Il faudrait faire un gros volume, pour rapporter toutes les remarques que nous avons faites sur chaque auteur, et principalement sur Cicéron, que nous avons admiré dans ses discours de philosophie,, dans ses oraisons, et même lorsqu'il railloit librement et agréablement avec ses amis.

Parmi tout cela nous voyions la Géographie en jouant et comme en faisant voyage : tantôt en suivant le courant des fleuves, tantôt rasant les côtes de la mer et allant terre à terre ; puis tout d'un coup cinglant en haute mer, nous traversions dans les terres, nous voyions les ports et les villes, non en les courant comme feraient des voyageurs sans curiosité, mais examinant tout, recherchant les mœurs, surtout celles de la France, et nous arrêtant dans les plus fameuses villes pour connaître les humeurs opposées de tant de divers peuples qui composent cette nation belliqueuse et remuante : ce qui joint à la vaste étendue d'un royaume si peuplé, faisait voir qu'il ne pouvait être conduit qu'avec une profonde sagesse.

 

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IV. L’histoire. Celle de France composée par Monseigneur le Dauphin, en latin et en français.

 

         Enfin nous lui avons enseigné l’Histoire. Et comme c’est la maîtresse de la vie humaine et de la politique, nous l’avons fait avec une grande exactitude : mais nous avons eu principalement eu soin de lui apprendre celle de la France, qui est la sienne. Nous ne lui avons pas néanmoins la peine de feuilleter les livres ; et à la réserve de quelques auteurs de la nation, comme Philippes de Commines et du Bellay, dont nous lui avons fait lire les plus beaux endroits, nous avons été nous-mêmes dans les sources, et nous avons tiré des auteurs les plus approuvés, ce qui pouvait le plus servir à lui faire comprendre la suite des affaires. Nous en récitions de vive voix autant qu il en pouvait facilement retenir : nous le lui faisions répéter; il l'écrivait en français; et puis il le mettait en latin : cela lui servait de thème, et nous corrigions aussi soigneusement son français que son latin. Le samedi il relisait tout d'une suite ce qu'il avait composé durant la semaine; et l'ouvrage croissant, nous l'avons divisé par livres, que nous lui faisions relire très-souvent.

L'assiduité avec laquelle il a continué ce travail l'a mené jusqu'aux derniers règnes : si bien que nous avons presque toute notre histoire en latin et en français, du style et de la main de ce Prince. Depuis quelque temps, comme nous avons vu qu'il savait assez de latin, nous l'avons fait cesser d'écrire l'Histoire en cette langue. Nous la continuons en français avec le même soin ; et nous l'avons disposée de sorte qu'elle s'étendit à proportion que l'esprit du Prince s'ouvrait, et que nous voyions son jugement se former; en récitant fort en abrégé ce qui regarde les premiers temps, et beaucoup plus exactement ce qui s'approche des nôtres. Nous ne descendons pas néanmoins dans un trop grand détail des petites choses, et nous ne nous amusons pas à rechercher celles qui ne sont que de curiosité : mais nous remarquons les mœurs de la nation bonnes et mauvaises : les coutumes anciennes, les lois fondamentales : les grands changements et leurs causerie Secret des conseils : les événements inespérés, pour y accoutumer l’esprit et le préparer à tout : les fautes des rois et les calamités qui les ont suivies : la foi qu’ils ont conservée pendant ce grand espace de temps qui s’est passé depuis Clovis jusqu’à nous : cette constance à défendre la religion catholique, et tout ensemble le profond respect qu’ils ont toujours eu pour le saint Siège, dont ils ont tenu à gloire et d’être les enfants les plus soumis. Que ç’a été cet attachement inviolable à la religion et à l'Eglise, qui a fait subsister le

 

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royaume depuis tant de siècles. Ce qu'il nous était aisé de faire voir par les épouvantables mouvements que l'hérésie a causés dans tout le corps de l'Etat, en affaiblissant la puissance et la majesté-royale, et en réduisant presque à la dernière extrémité un royaume si florissant : sans qu'il ait pu reprendre sa première force qu'en abattant l'hérésie, 'Mais afin que le Prince apprit de l'Histoire la manière de conduire les affaires, nous avons coutume, dans les endroits où elles paraissent en péril, d'en exposer l'état, et d'en examiner toutes les circonstances, pour délibérer, comme on ferait dans un conseil, de ce qu'il y aurait à faire en ces occasions : nous lui demandons son avis; et quand il s'est expliqué, nous poursuivons le récit pour lui apprendre les événements. Nous marquons les fautes, nous louons ce qui a été bien fait : et conduits par l'expérience, nous établissons la manière de former les desseins et de les exécuter.

 

V. Saint Louis modèle d'un roi parfait.

 

Au reste si nous prenons de toute l'histoire de nos Rois des exemples pour la vie et pour les mœurs, nous ne proposons que le seul saint Louis comme le modèle d'un roi parfait. Personne ne lui conteste la gloire de la sainteté : mais après l'avoir fait paraître vaillant, ferme, juste, magnifique, grand dans la paix et dans la guerre, nous montrons en découvrant les motifs de ses actions et de ses desseins, qu'il a été très habile dans le gouvernement des affaires. C'est de lui que nous tirons la plus grande gloire de l'auguste maison de France, dont le principal honneur est de trouver tout ensemble dans celui à qui elle doit son origine, un parfait modèle pour les mœurs, un excellent maître pour leur apprendre à régner, et un intercesseur assuré auprès de Dieu.

 

VI. L'exemple du Roi.

 

Après saint Louis, nous lui proposons les actions de Louis le Grand, et cette histoire vivante qui se passe à nos yeux : l'Etat affermi par de bonnes lois, les finances bien ordonnées, toutes les fraudes qu'on y faisait découvertes, la discipline militaire établie avec autant de prudence que d'autorité : ces magasins, ces nouveaux moyens d'assiéger les places et de conduire les armées en toute saison; le courage invincible des chefs et des soldats, l'impétuosité naturelle de la nation soutenue d'une fermeté et d'une constance extraordinaire; cette ferme croyance qu'ont tous les Français, que rien ne leur est impossible

 

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sous un si grand Roi : et enfin le Roi même qui vaut tout seul une grande armée : la force, la suite, le secret impénétrable de ses conseils, et ces ressorts cachés dont l'artifice ne se découvre que par les effets qui surprennent toujours : les ennemis confus et dans l'épouvante; les alliés fidèlement défendus; la paix donnée a l'Europe à des conditions équitables après une victoire assurée : enfin cet incroyable attachement à défendre la religion, cette envie de l'accroître, et ces efforts continuels de parvenir à tout ce qu'il y a de plus grand et de meilleur. Voilà ce que nous remarquons dans le père, et ce que nous recommandons au fils d'imiter de tout son pouvoir.

 

VII. La Philosophie. Traité de la Connaissance de Dieu et de soi-même.

 

Pour les choses qui regardent la philosophie, nous les avons distribuées, de sorte que celles qui sont hors de doute et utiles à la vie, lui puissent être montrées sérieusement, et dans toute la certitude de leurs principes. Pour celles qui ne sont que d'opinion et dont on dispute, nous nous sommes contentés de les lui rapporter historiquement, jugeant qu'il était de sa dignité d'écouter les deux parties et d'en protéger également les défenseurs, sans entrer dans leurs querelles, parce que celui qui est né pour le commandement doit apprendre à juger, et non à disputer.

Mais après avoir considéré que la philosophie consiste principalement à rappeler l'esprit à soi-même, pour s'élever ensuite comme par un degré sûr jusqu'à Dieu, nous avons commencé par là, comme par la recherche la plus aisée, aussi bien que la plus solide et la plus utile qu'on se puisse proposer. Car ici pour devenir parfait philosophe, l'homme n'a besoin d'étudier autre chose que lui-même; et sans feuilleter tant de livrés, sans faire de pénibles recueils de ce qu'opt dit les philosophes, ni aller chercher bien loin des expériences, en remarquant seulement ce qu'il trouve en lui, il reconnaît par là l'auteur de son être. Aussi avions-nous dès les premières années jeté les semences d'une si belle et si utile philosophie : et nous avions employé toute sorte de moyens pour faire que le prince sût dès lors discerner l'esprit d'avec le corps, c'est-à-dire cette partie qui commande en nous, de celle qui obéit, afin que l’âme  commandant au corps, lui représentât Dieu commandant au monde entier et à l’âme  même. Mais lorsque le voyant plus avancé en âge, nous avons cru qu'il était temps de lui enseigner méthodiquement la philosophie, nous en avons formé le plan sur ce précepte de l'Evangile : Considérez-vous attentivement vous-mêmes (1) ; et sur cette parole de David : O Seigneur, j'ai tiré de moi une

 

1 Luc, XXI, 34.

 

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merveilleuse connaissance de ce que vous êtes (1). Appuyés sur ces deux passages, nous avons fait un Traité de la Connaissance de Dieu et de soi-même, où nous expliquons la structure du corps et la nature de l'esprit, par les choses que chacun expérimente en soi : et faisons voir qu'un homme qui sait se rendre présent à lui-même, trouve Dieu plus présent que toute autre chose, puisque sans lui il n'aurait ni mouvement, ni esprit, ni vie, ni raison : selon cette parole vraiment philosophique de l'Apôtre prêchant à Athènes, c'est-à-dire dans le lieu où la Philosophie était comme dans son fort : « Il n'est pas loin de chacun de nous, puisque c'est en lui que nous vivons, que nous sommes mus, et que nous sommes (2) ; » et encore : « Puisqu'il nous donne à tous la vie, la respiration, et toutes choses (3). » A l'exemple de saint Paul, qui se sert de cette vérité comme connue aux philosophes, pour les mener plus loin, nous avons entrepris d'exciter en nous par la seule considération de nous-mêmes ce sentiment de la Divinité, que la nature a mis dans nos âmes en les formant : de sorte qu'il paraisse clairement que ceux qui ne veulent point reconnaître ce qu'ils ont au-dessus des bêtes, sont tout ensemble les plus aveugles, les plus méchants et les plus impertinents de tous les hommes»

 

VIII. La logique : la rhétorique : et la morale.

 

De là nous avons passé à la logique et à la morale, pour cultiver ces deux principales parties que nous avions remarquées en notre esprit; c'est-à-dire la faculté d'entendre et celle de vouloir. Pour la logique, nous l'avons tirée de Platon et d'Aristote, non pour la faire servir à de vaines disputes de mots, mais pour former le jugement par un raisonnement solide : nous arrêtant principalement à cette partie qui sert à trouver les arguments probables, parce que ce sont ceux que l'on emploie dans les affaires. Nous avons expliqué comment il les faut lier les uns aux autres; de sorte que tout faibles qu'ils sont chacun à part, ils deviennent invincibles par cette liaison. De cette source nous avons tiré la rhétorique, pour donner aux arguments nus, que la dialectique avait assemblés, comme des os et des nerfs, de la chair, de l'esprit et du mouvement. Ainsi nous n'en avons pas fait une discoureuse, dont les paroles n'ont que du son : nous ne l'avons pas faite enflée et vide de choses, mais saine et vigoureuse : nous ne l'avons point fardée, mais nous lui avons donné un teint naturel et une vive couleur ; en sorte qu'eUe n'eût d'éclat que celui qui sort de la vérité même. Pour cela nous avons tiré d'Aristote, de Cicéron, de Quintilien et des autres, les meilleurs préceptes; mais nous nous sommes beaucoup plus servis

 

1 Psal. CXXXVIII, 6. — 2 Ad., XVII, 27, 28. — 3 Ibid., 25.

 

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d'exemples que de préceptes, et nous avions coutume en lisant les discours qui nous émouvaient le plus, d'en ôter les figures et les autres ornements de paroles, qui en sont comme la chair et la peau; de sorte que n'y laissant que cet assemblage d'os et de nerfs dont nous venons de parler, c'est-à-dire les seuls arguments, il était aisé de voir ce que la logique faisait dans ces ouvrages, et ce que la rhétorique y ajoutait.

Pour la doctrine des mœurs, nous avons cru qu'elle ne se devait pas tirer d'une autre source que de l'Ecriture et des maximes de l'Evangile; et qu'il ne fallait pas, quand on peut puiser au milieu d'un fleuve, aller chercher des ruisseaux bourbeux. Nous n'avons pas néanmoins laissé d'expliquer la Morale d'Aristote : à quoi nous avons ajouté cette doctrine admirable de Socrate, vraiment sublime pour son temps, qui peut servir à donner de la foi aux incrédules, et à faire rougir les plus endurcis. Nous marquions en même temps ce que la philosophie chrétienne y condamnait, ce qu'elle y ajoutait, ce qu'elle y approuvait : avec quelle autorité elle en confirmait les dogmes véritables, et combien elle s'élevait au-dessus ; en sorte qu'on fût obligé d'avouer que la philosophie, toute grave qu'elle paraît, comparée à la sagesse de l'Evangile, n'était qu'une pure enfance.

 

IX. Les principes de la jurisprudence.

 

Nous avons cru qu'il serait bon de donner au Prince quelque teinture des lois romaines, en lui faisant voir par exemple, ce que c'est que le droit, de combien de sortes il y en avait, la condition des personnes, la division des choses; ce que c'est que les contrats, les testaments, les successions, la puissance des magistrats, l'autorité des jugements et les autres principes de la vie civile.

X. Les autres parties de la philosophie.

 

Nous ne dirons rien ici de la métaphysique, parce qu'elle est toute répandue dans ce qui précède. Nous avons mêlé beaucoup de physique en expliquant le corps humain : et pour les autres choses qui regardent cette étude, nous les avons traitées selon noire projet, plus historiquement que dogmatiquement. Nous n'avons pas oublié ce qu'en a dit Aristote : et pour l'expérience des choses naturelles, nous avons fait faire devant le Prince les plus nécessaires et les plus belles. Il n'y a pas moins trouvé de divertissement que de profit. Elles lui ont fait connaître l'industrie de l'esprit humain, et les belles inventions des arts, soit pour découvrir les secrets de la nature, ou pour l'embellir,

 

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ou pour l'aider. Mais ce qui est plus considérable, il a découvert l'art de la nature même, ou plutôt la providence de Dieu, qui est à la fois si visible et si cachée.

 

XI. Les mathématiques.

 

Les mathématiques, qui servent le plus à la justesse du raisonnement, lui ont été montrées par un excellent maître : qui ne s'est pas contenté comme c'est l'ordinaire, de lui apprendre à fortifier des places, à les attaquer, à faire des campements ; mais qui lui a encore appris à construire des forts, à les dessiner de sa propre main, à mettre une armée en bataille, et à la faire marcher. Il  lui a enseigné les mécaniques, le poids des liquides et des solides, les différents systèmes du monde, et les premiers livres d'Euclide : ce qu'il a compris avec tant de promptitude, que ceux qui le voyaient en étaient surpris.

Au reste, toutes ces choses ne lui ont été enseignées que peu à peu, chacun en son lieu. Et notre soin principal a été qu'on les lui donnât à propos, et chaque chose en son temps, afin qu'il les digérât plus aisément, et qu'elles se tournassent en nourriture.

 

XII. Trois derniers ouvrages pour recueillir les fruit des études. Le premier : Histoire universelle, pour expliquer la suite de la religion, et les changements des empires.

 

Maintenant que le cours de ses études est presque achevé, nous avons cru devoir travailler principalement à trois choses.

Premièrement à une Histoire universelle, qui eût deux parties : dont la première comprit depuis l'origine du monde jusqu'à la chute de l'ancien Empire Romain, et au couronnement de Charlemagne : et la seconde, depuis ce nouvel empire établi par les François. Il y avait déjà longtemps que nous l'avions composée, et même que nous l'avions fait lire au Prince : mais nous la repassons maintenant, et nous y avons ajouté de nouvelles réflexions, qui font entendre toute la suite de la religion, et les changements des empires, avec leurs causes profondes que nous reprenons dès leur origine. Dans cet ouvrage, on voit paraître la religion toujours ferme et inébranlable, depuis le commencement du monde : le rapport des deux Testaments lui donne cette force ; et l'Evangile qu'on voit s'élever sur les fondements de la loi, montre une solidité qu'on reconnaît aisément être à toute épreuve. On voit la vérité toujours victorieuse, les hérésies renversées, l'Eglise fondée sur la Pierre les abattre par le seul poids d'une autorité si bien

 

 

 

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établie, et s’affermir avec le temps : pendant qu’on voit au contraire les empires les plus florissants, non-seulement s'affaiblir par la suite des années, mais encore se défaire mutuellement, et tomber les uns sur les autres. Nous montrons d'où vient d'un côté une si ferme consistance ; et de l'autre, un état toujours changeant et des ruines inévitables. Cette dernière recherche nous a engagés à expliquer en peu de mots les lois et les coutumes des Égyptiens, des Assyriens et des Perses, celles des Grecs, celles des Romains, et celles des temps suivants : ce que chaque nation a eu dans les siennes qui ait été fatal aux autres et à elles-mêmes, et les exemples que leurs progrès ou leur décadence ont donnés aux siècles futurs. Ainsi nous lirons deux fruits de l'Histoire universelle. Le premier est de faire voir tout ensemble l'autorité et la sainteté de la religion, par sa propre stabilité et par sa durée perpétuelle. Le second, chaque empire, nous pouvons sur leur exemple trouver les moyens de soutenir les Etats, si fragiles de leur nature, sans toutefois oublier que ces soutiens mêmes sont sujets à la loi commune de la mortalité, qui est attachée aux choses humaines, et qu'il faut porter plus haut ses espérances.

 

XIII. Second ouvrage : Politique tirée des propres paroles de la Sainte Ecriture.

 

Par le second ouvrage, nous découvrons les secrets de la politique, les maximes du gouvernement, et les sources du droit, dans la doctrine et dans les exemples de la sainte Ecriture. On y voit non-seulement avec quelle piété il faut que les rois servent Dieu, ou le fléchissent après l'avoir offensé ; avec quel zèle ils sont obligés à défendre la foi de l'Eglise, à maintenir ses droits, et a choisir ses pasteurs : mais encore l'origine de la vie civile ; comment les hommes ont commencé à former leur société; avec quelle adresse il faut manier les esprits; comment il faut former le dessein de conduire une guerre, ne l'entreprendre pas sans bon sujet, faire une paix, soutenir l'autorité, faire des lois et régler un Etal. Ce qui fait voir clairement que l'Ecriture sainte surpasse autant en prudence qu'en autorité tous les autres livres qui donnent des préceptes pour la vie civile : et qu'on ne voit en nul autre endroit, des maximes aussi sûres pour le gouvernement.

 

XIV. Troisième ouvrage ; L’état du royaume et de toute l’Europe.

 

Le troisième ouvrage comprend les lois et les coutumes particulières du royaume de France. En comparant ce royaume avec tous les

 

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autres, on met sous les yeux du Prince tout l'état de la Chrétienté et même de toute l'Europe.

Nous achèverons tous ces desseins, autant que le temps et notre industrie le pourra permettre. Et quand le Roi nous redemandera ce fils si cher, que nous avons lâché par son commandement et sous ses ordres d'instruire dans tous les beaux-arts, nous sommes prêts à le remettre entre ses mains, pour faire des études plus nécessaires, sous de meilleurs maîtres, qui sont le Roi même et l'usage du monde et des affaires.

Voilà, très-saint Père, ce que nous avons fait pour nous acquitte de notre devoir. Nous avons planté, nous avons arrosé : plaise à Dieu de donner l'accroissement. Au reste depuis que celui dont vous tenez la place sur la terre, vous a inspiré parmi tant soins, de jeter un regard paternel sur nos travaux, nous nous servons de l’autorité de Votre Sainteté même, pour porter le Prince à la vertu : et nous éprouverons avec joie que les exhortations que nous lui faisons de votre part, font impression sur son esprit. Que nous sommes heureux très Saint-Père, d'être secourus dans un ouvrage si grand par un si grand Pape, dans lequel nous voyons revivre saint Léon, saint Grégoire, et saint Pierre même !

 

Très-Saint Père,

 

De votre Sainteté,

 

A Saint Germain-en-Laye, le 8 mars 1679 :  Le fils très-obéissant et très-dévot

Ainsi signé, + J. Bénigne, ancien Évêque de Condom.

 

Et au-dessus : A Notre très-saint Père le Pape Innocent XI.

 

P. 30 le Latin n’est pas transcrit.

 

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INNOCENT PP. XI.

 

Vénérable Frère, salut et bénédiction apostolique. La méthode que vous vous êtes proposée, pour former dès ses plus tendres années aux bonnes choses le Dauphin de France, et que vous continuez d'employer avec tant de succès auprès de ce jeune Prince, pendant qu'il s'avance à un âge plus mûr; nous a paru mériter que nous dérobassions quelque temps aux importantes affaires de la Chrétienté, pour lire la lettre où vous avez si élégamment et si pleinement décrit cette méthode. La félicité publique sera le fruit de la bonne semence que vous jetterez, comme dans une terre fertile, dans l'esprit d'un Prince que toute l'Eglise respecte déjà comme l'héritier d'un si grand royaume, et qu'elle voit sous la conduite d'un illustre père, se rendre digne non-seulement de protéger la foi catholique, mais encore de l'étendre. Entre tant d’instructions de la véritable sagesse, dont vous remplissez l'esprit du Dauphin, celles-là sans doute sont les plus belles et les plus

 

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dignes d’être sans cesse, qui apprennent à unir ensemble  comme choses inséparables, les intérêts et la gloire des rois avec le bien de leurs peuples comme choses inséparables d'un bon gouvernement. Le Prince que vous instruisez connaîtra un jour avec un grand accroissement du bien public, et un agréable ressouvenir de l’éducation qu'il aura reçue de vous, qu’il n’est point si beau ni si glorieux d'être né dans la royauté que de savoir s’en bien servir, non pas à contenter ses passions ou le désir d’une gloire vaine mais à procurer le bonheur du genre humain. Il connaîtra qu’il ne doit jamais former de desseins ni commencer d’entreprises qui s’éloignent de la voie de la justice, et qui ne se rapportent à l’avancement de la gloire de Dieu : pensant souvent en lui-même que les biens dont nous jouissons en cette vie, comme ils sont des présents de Dieu, doivent être rapportés à celui qui nous les a donnés, et devant qui s'élèvent ou tombent comme il lui plait les plus triomphants et les plus florissants empires. Au reste pour ce qui regarde le Siège apostolique, nous espérons que ce Prince sera puissamment excité à lui donner dans toutes les occasions des marques d'une obéissance filiale, tant par l'exemple des rois de France ses prédécesseurs, qui par le respect qu'ils ont toujours eu pour le saint Siège, ont attiré sur ce royaume d'infinis trésors de la libéralité du Ciel; que par la tendresse et l'affection véritablement maternelle que nous ressentons pour lui dans notre cœur. Cependant nous ne cessons de rendre grâces à la bonté de Dieu, qu'il se soit trouvé un homme tel que vous, digne d'élever et d'instruire un Prince né pour de si grandes choses; et nous lui demandons soigneusement dans nos prières que cette âme naturellement portée au bien, que le Dauphin a reçue en partage, y fasse chaque jour par vos instructions et par vos soins de nouveaux progrès ; et qu'ainsi puissent être instruits à l'avenir tous ceux qui gouvernent la terre. Quant à vous, vénérable Frère, nous vous donnons de bon cœur notre bénédiction apostolique, comme une marque de l'amitié que nous vous portons et de la grande estime que nous faisons de votre vertu. Donné à Rome à Saint-Pierre, sous l’anneau du Pêcheur, le 19 avril 1679, et le IIIe  de notre pontificat.

 

Signé, MARIUS SPINULA.

 

Et au-dessus : A notre vénérable Frère l’Evêque de Condom

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