Politique IV
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LIVRE IV. SUITE DES CARACTÈRES DE LA ROYAUTÉ.

 

ARTICLE PREMIER. L'autorité royale est absolue.

Ire PROPOSITION. Le prince ne doit rendre compte à personne de ce qu'il ordonne.

IIe PROPOSITION. Quand le prince a jugé, il n'y a point d'autre jugement.

IIIe PROPOSITION. Il n'y a point de force coactive contre le prince.

IVe PROPOSTION. Les rois ne sont pas pour cela affranchis des lois.

Ve PROPOSTION. Le peuple doit se tenir en repos sous l'autorité du prince.

VIe PROPOSITION. Le peuple doit craindre le prince; mais le prince ne doit craindre que de faire mal.

VIIe PROPOSITION. Le prince doit se faire craindre des grands et des petits.

VIIIe PROPOSITION. L'autorité royale doit être invincible.

IXe PROPOSTION. La fermeté est un caractère essentiel à la royauté.

Xe PROPOSTION. Le prince doit être ferme contre son propre conseil et ses favoris, lorsqu'ils veulent le faire servir a leurs intérêts particuliers.

XIe PROPOSITION. Il ne faut pas aisément changer d'avis après une mûre délibération.

ARTICLE II. De la mollesse, de l'irrésolution et de la fausse fermeté.

Ire PROPOSITION. La mollesse est l'ennemie du gouvernement : caractère du paresseux et de l'esprit indécis.

IIe PROPOSITION. Il y a une fausse fermeté.

IIIe PROPOSITION. Le prince doit commencer par soi-même à commander avec fermeté, et se rendre maître de ses passions.

IVe PROPOSITION. La crainte de Dieu est le vrai contre-poids de la puissance : le mince le craint d'autant plus qu'il ne doit craindre que lui.

 

 

ARTICLE PREMIER. L'autorité royale est absolue.

 

Pour rendre ce terme odieux et insupportable, plusieurs affectent de confondre le gouvernement absolu et le gouvernement arbitraire. Mais il n'y a rien de plus distingué, ainsi que nous le ferons voir lorsque nous parlerons de la justice.

 

Ire PROPOSITION. Le prince ne doit rendre compte à personne de ce qu'il ordonne.

 

Observez les commandements qui sortent de la bouche du

 

 

1 Eccli., VII, 22. — 2 Ibid., 12. — 3 Prov., XXV, 23.

 

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roi, et gardez le serment que vous lui avez prêté. Ne songez pas à échapper de devant sa face, et ne demeurez pas dans de mauvaises œuvres, parce qu'il fera tout ce qu'il voudra. La parole du roi est puissante ; et personne ne lui peut dire : Pourquoi faites-vous ainsi? Qui obéit n'aura point de mal (1). »

Sans cette autorité absolue, il ne peut ni faire le bien, ni réprimer le mal : il faut que sa puissance soit telle que personne ne puisse espérer de lui échapper : et enfin la seule défense des particuliers contre la puissance publique, doit être leur innocence.

Cette doctrine est conforme à ce que dit saint Paul : « Voulez-vous ne craindre point la puissance, faites le bien (2).»

 

IIe PROPOSITION. Quand le prince a jugé, il n'y a point d'autre jugement.

 

Les jugements souverains sont attribués à Dieu même. Quand Josaphat établit des juges pour juger le peuple : « Ce n'est pas, disait-il, au nom des hommes que vous jugez, mais au nom de Dieu (3). »

C'est ce qui fait dire à l’Ecclésiastique : « Ne jugez point contre le juge (4). » A plus forte raison contre le souverain juge qui est le roi. Et la raison qu'il en apporte, « c'est qu'il juge selon la justice. » Ce n'est pas qu'il juge toujours : mais c'est qu'il est réputé y juger ; et que personne n'a droit de juger, ni de revoir après lui.

Il faut donc obéir aux princes comme à la justice même, sans quoi il n'y a point d'ordre ni de fin dans les affaires.

Ils sont des dieux, et participent en quelque façon à l'indépendance divine. « J'ai dit : Vous êtes des dieux, et vous êtes tous enfants du Très-Haut (5). »

Il n'y a que Dieu qui puisse juger de leurs jugements, et de leurs personnes, a Dieu a pris sa séance dans l'assemblée des dieux, et assis au milieu il juge les dieux (6). »

C'est pour cela que saint Grégoire, évêque de Tours, disait au roi Chilpéric, dans un concile : « Nous vous parlons ; mais vous

 

1 Eccles., VIII, 2-5. — 2 Rom., XIII, 3. — 3 II Paral., XIX, 6. — 4 Eccli., VIII, 17. — 5 Psal. LXXXI, 6. — 6 Ibid. 3.

 

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nous écoutez si vous voulez. Si vous ne voulez pas, qui vous condamnera, sinon celui qui a dit qu'il était la justice même (1)? »

De là vient que celui qui ne veut pas obéir au prince, n'est pas renvoyé à un autre tribunal; mais il est condamné irrémissiblement à mort, comme l'ennemi du repos public et de la société humaine. « Qui sera orgueilleux et ne voudra pas obéir au commandement du pontife et à l'ordonnance du juge, il mourra, et vous ôterez le mal du milieu de vous (2). » Et encore ; « Qui refusera d'obéir à tous vos ordres, qu'il meure (3). » C'est le peuple parle ainsi à Josué.

Le prince se peut redresser lui-même, quand il connaît qu'il a mal fait; mais contre son autorité, il ne peut y avoir de remède que dans son autorité.

C'est pourquoi il doit bien prendre garde à ce qu'il ordonne, « Prenez garde à ce que vous faites ; tout ce que vous jugerez retombera sur vous; ayez la crainte de Dieu; faites tout avec grand soin (4). »

C'est ainsi que Josaphat instruisait les juges, à qui il connaît son autorité : combien y pensait-il quand il avait à juger lui-même !

 

IIIe PROPOSITION. Il n'y a point de force coactive contre le prince.

 

On appelle force coactive une puissance pour contraindre à exécuter ce qui est ordonné légitimement. Au prince seul appartient le commandement légitime; à lui seul appartient aussi la force coactive.

C'est aussi pour cela que saint Paul ne donne le glaive qu'à lui seul, a Si vous ne faites pas bien, craignez ; car ce n'est pas en vain qu'il a le glaive (5). »

Il n'y a dans un Etat que le prince qui soit armé; autrement tout est en confusion, et l'Etat retombe en anarchie.

Qui se fait un prince souverain, lui met en main tout ensemble, et l'autorité souveraine de juger, et toutes les forces de l'Etat.

 

1 Greg. Tur., lib. VI Hist. — 2 Deuter., XVII, 12, 13. — 3 Jos., I, 18. — II Paral., XIX, 6, 7. — 3 Rom., XIII, 4.

 

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« Notre roi nous jugera, et il marchera devant noue, et il conduira nos guerres (1). » C'est ce que dit le peuple juif quand il demanda un roi. Samuel leur déclare sur ce fondement, que la puissance de leur prince sera absolue, sans pouvoir être restreinte par aucune autre puissance (2). « Voici le droit du roi qui régnera sur vous, dit le Seigneur : il prendra vos enfants, et les mettra à son service : il se saisira de vos terres et de ce que vous aurez de meilleur, pour le donner à ses serviteurs, et le reste. »

Est-ce qu'ils auront droit de faire tout cela licitement? A Dieu ne plaise. Car Dieu ne donne point de tels pouvoirs : mais ils auront droit de le faire impunément à l'égard de la justice humaine. C'est pourquoi David disait : « J'ai péché contre vous seul: ô Seigneur, ayez pitié de moi (3) ! » Parce qu'il était roi, dit saint Jérôme sur ce passage (4), et n'avait que Dieu seul à craindre.

Et saint Ambroise dit sur ces mêmes paroles : J'ai péché contre vous seul: « Il était roi; il n'était assujetti à aucunes lois, parce que les rois sont affranchis des peines qui lient les criminels. Car l'autorité du commandement ne permet pas que les lois les condamnent au supplice. David donc n'a point péché contre celui qui n'avait point d'action pour le faire châtier (5). »

Quand la souveraine puissance fut accordée à Simon le Macchabée, on exprima en ces termes le pouvoir qui lui fut donné : « Qu'il serait le prince, et le capitaine général de tout le peuple, et qu'il aurait soin des saints ( c'est ainsi qu'on appelait les Juifs ) : et qu'il établirait les directeurs de tous les ouvrages publics, et de tout le pays; et les gouverneurs qui commanderaient les armes et les garnisons; et que ce serait à lui de prendre soin du peuple; et que tout le monde recevrait ses ordres, et que tous les actes et décrets publics seraient écrits en son nom ; et qu'il porterait la pourpre et l'or; et qu'aucun du peuple ni des prêtres ne ferait contre ses ordres, ni ne s'y pourrait opposer, ni ne tiendrait d'assemblée sans sa permission; ni ne porterait la pourpre ou la boucle d'or, qui est la marque du prince; et que quiconque ferait au contraire, serait criminel (6). Le peuple consentit à ce

 

1 I Reg., VIII, 20. — 2 Ibid., 11, etc. — 3 Psal. L, 6. — 4 Hier., in Psal. L — 5 Ambr., in Psal, L; et Apolog. David., cap. X, n. 51. — 6 I Mach., XIV, 42-45.

 

 

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décret, et Simon accepta la puissance souveraine à ces conditions. Et il fut dit que cette ordonnance serait gravée en cuivre, et affichée au parvis du temple au lieu le plus fréquenté; et que l'original en demeurerait dans les archives publiques entre les mains de Simon et de ses enfants (1). »

Voilà ce qui se peut appeler la loi royale des Juifs, où tout le pouvoir des rois est excellemment expliqué. Au prince seul appartient le soin général du peuple : c'est là le premier article et le fondement de tous les autres : à lui les ouvrages publics ; à lui les places et les armes; à lui les décrets et les ordonnances; à lui les marques de distinction; nulle puissance que dépendante de la sienne; nulle assemblée que par son autorité.

C'est ainsi que pour le bien d'un Etat, on en réunit en un toute la force. Mettre la force hors de là, c'est diviser l'Etat ; c'est ruiner la paix publique; c'est faire deux maîtres, contre cet oracle de l'Evangile : « Nul ne peut servir deux maîtres (2). »

Le prince est par sa charge le père du peuple ; il est par sa grandeur au-dessus des petits intérêts; bien plus, toute sa grandeur et son intérêt naturel, c'est que le peuple soit conservé, puisqu’enfin le peuple manquant, il n'est plus prince. Il  n'y a donc rien de mieux, que de laisser tout le pouvoir de l'Etat à celui qui a le plus d'intérêt à la conservation et à la grandeur de l'Etat même.

 

IVe PROPOSTION. Les rois ne sont pas pour cela affranchis des lois.

 

« Quand vous vous serez établi un roi, il ne lui sera pas permis de multiplier sans mesure ses chevaux et ses équipages; m d'avoir une si grande quantité de femmes qui amollissent son courage; ni d'entasser des sommes immenses d'or et d'argent. Et quand il sera assis dans son trône, il prendra soin de décrire cette loi, dont il recevra un exemplaire de la main des prêtres de la tribu de Lévi, et l'aura toujours en main, la lisant tous les jours de sa vie, afin qu'il apprenne à craindre Dieu, et a garder ses ordonnances et ses jugements. Que son cœur ne s'enfle pas

 

1 I Machab., XIV, 46-49. — 2 Matth., VI, 24.

 

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au-dessus de ses frères, et qu'il marche dans la loi de Dieu sans se détourner (a) à droite et à gauche, afin qu'il règne longtemps lui et ses enfants (1). »

Il faut remarquer que cette loi ne comprenait pas seulement la religion, mais encore la loi du royaume, à laquelle le prince était soumis autant que les autres ou plus que les autres, par la droiture de sa volonté.

C'est ce que les princes ont peine à entendre. « Quel prince me trouverez-vous, dit saint Ambroise, qui croie que ce qui n'est pas bien ne soit pas permis; qui se tienne obligé à ses propres lois : qui croie que la puissance ne doive pas se permettre ce qui est défendu par la justice? Car la puissance ne détruit pas les obligations de la justice ; mais au contraire c'est en observant ce que prescrit la justice, que la puissance s'exempte de crime : et le roi n'est pas affranchi des lois; mais s'il pèche il détruit les lois par son exemple. » Il ajoute : « Celui qui juge les autres, peut-il éviter son propre jugement, et doit-il faire ce qu'il condamne (2)?»

De là cette belle loi d'un empereur romain : « C'est une parole digne de la majesté du prince, de se reconnaître soumis aux lois (3). »

Les rois sont donc soumis comme les autres à l’équité des lois, et parce qu'ils doivent être justes, et parce qu'ils doivent au peuple l'exemple de garder la justice ; mais ils ne sont pas soumis aux peines des lois : ou, comme parle la théologie, ils sont soumis aux lois, non quant à la puissance coactive, mais quant à la puissance directive.

 

Ve PROPOSTION. Le peuple doit se tenir en repos sous l'autorité du prince.

 

C'est ce qui paraît dans l'apologue où les arbres se choisissent un roi (4). Ils s'adressent à l'obvier, au figuier, et à la vigne. Ces arbres délicieux, contents de leur abondance naturelle, ne voulurent pas se charger des soins du gouvernement. « Alors tous

 

1 Deuter., XVII, 16, 17, etc. — 2 Ambr., l. 11, Apol. David, altera, cap. III, n. 8. — 3 L. Digna, c. de Legib. — 4 Judic., IX, 8-13.

 

(a) IIe édit. : Sans détourner.

 

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les arbres dirent au buisson : Venez et régnez sur nous (1). » Le buisson est accoutumé aux épines et aux soins. Il est le seul gui naisse armé, il a sa garde naturelle dans ses épines. Par là il pouvait paraître digne de régner. Aussi le fait-on parler comme appartient à un roi. « Il répondit aux arbres qui l'avaient élu Si vous me faites vraiment votre roi, reposez-vous sous mon ombre; sinon il sortira du buisson un feu qui dévorera les cèdres du Liban (2). »

Aussitôt qu'il y a un roi, le peuple n'a plus qu'à demeurer en repos sous son autorité. Que si le peuple impatient se rem ne veut pas se tenir tranquille sous l'autorité royale, le feu de la division se mettra-dans l'Etat, et consumera le buisson avec tous les autres arbres, c'est-à-dire le roi et les peuples : les cèdres du Liban seront brûlés ; avec la grande puissance, qui est la royale, les autres puissances seront renversées, et tout l'Etat ne sera plus qu'une même cendre.

Quand un roi est autorisé, « chacun demeure en repos, et sans crainte sous sa vigne, et sous son figuier, d'un bout du royaume à l'autre (3). »

Tel était l'état du peuple juif sous Salomon. Et de même sous Simon le Machabée. « Chacun cultivait sa terre en paix: les vieillards assis dans les rues parlaient ensemble du bien public ; et les jeunes gens se paraient, et prenaient l'habit militaire. Chacun assis sous sa vigne et sous son figuier, vivait sans crainte (4). »

Pour jouir de ce repos, il ne faut pas seulement la paix au dehors, il faut la paix au dedans, sous l'autorité d'un prince absolu.

 

VIe PROPOSITION. Le peuple doit craindre le prince; mais le prince ne doit craindre que de faire mal.

 

« Qui sera orgueilleux et ne voudra pas obéir au commandement du pontife, et à l'ordonnance du juge, il mourra, et vous ôterez le mal du milieu d'Israël : et tout le peuple qui entendra

 

 

1 Judic, IX, 14. — 2 Ibid., 15. — 3 III Reg., IV, 25. — 4 I Machab., XIV, 8,

 

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son supplice craindra, afin que personne ne se laisse emporter à l'orgueil (1).»

La crainte est un frein nécessaire aux hommes à cause de leur orgueil, et de leur indocilité naturelle.

Il faut donc que le peuple craigne le prince; mais si le prince craint le peuple, tout est perdu. La mollesse à Aaron, à qui Moïse avait laissé le commandement pendant qu'il était sur la montagne, fut cause de l'adoration du veau d'or. « Que vous a fait ce peuple, lui dit Moïse (2), et pourquoi l'avez-vous induit à un si grand mal? » Il impute le crime du peuple à Aaron, qui ne l'avait pas réprimé, quoiqu'il en eût le pouvoir.

Remarquez ces termes : « Que vous a fait ce peuple pour l'induire à un si grand mal? » C'est être ennemi du peuple, que de ne lui résister pas (a) dans ces occasions.

Aaron lui répondit : « Que mon seigneur ne se fâche point contre moi; vous savez que ce peuple est enclin au mal : ils me sont venus dire : Faites des dieux qui nous précèdent ; car nous ne savons ce qu'est devenu Moïse, qui nous a tirés d'Egypte (3). »

Quelle excuse à un magistrat souverain de craindre de fâcher le peuple? Dieu ne la reçoit pas, « et irrité au dernier point contre Aaron, il voulut l'écraser; mais Moïse pria pour lui (4). »

Saul pense s'excuser sur le peuple, de ce qu'il n'a pas exécuté les ordres de Dieu. Vaine excuse, que Dieu rejette; car il était établi pour résister au peuple, lorsqu'il se portait au mal. « Ecoutez, lui dit Samuel, ce que le Seigneur a prononcé contre vous : Vous avez rejeté sa parole, il vous a aussi rejeté, et vous ne serez pas roi. Saül dit à Samuel : J'ai péché d'avoir désobéi au Seigneur et à vous en craignant le peuple, et cédant à ses discours (5). »

Le prince doit repousser avec fermeté les importuns qui lui demandent des choses injustes. La crainte de fâcher poussée trop avant, dégénère en une faiblesse criminelle. « Il y en a qui

 

1 Deuter., XVII, 12,13. — 2 Exod., XXXII, 21, — 3 Ibid., 22, 23. — 4 Deuter., IX, 20. — 5 I Reg., XV, 16, 23, 24.

 

(a) IIe édit. : Que de ne lui pas résister,

 

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perdent leur âme par une mauvaise honte : l'imprudent qu'ils n'osent refuser les fait périr (1). »

 

VIIe PROPOSITION. Le prince doit se faire craindre des grands et des petits.

 

Salomon dès le commencement de son règne, parle ferme à Adonias son frère. Aussitôt que Salomon eut été couronné, Ado-nias lui envoya dire : « Que le roi Salomon me jure qu'il ne fera point mourir son serviteur. Salomon répondit : S'il fait son devoir il ne perdra pas un seul cheveu ; sinon, il mourra (2). »

Dans la suite Adonias cabala pour se faire roi, et Salomon le fit mourir (3).

Il fît dire au grand prêtre Abiathar qui avait suivi le parti d'Adonias : « Retirez-vous à la campagne dans votre maison : vous méritez la mort; mais je vous pardonne, parce que vous avez porté l'arche du Seigneur devant mon père David, et que vous l'avez fidèlement servi (4). »

Sa dignité et ses services passés lui sauvèrent la vie; mais il lui en coûta la souveraine sacrificature, et il fut banni de Jérusalem.

Joab, le plus grand capitaine de son temps et le plus puissant homme du royaume, était aussi du même parti. Ayant appris que Salomon l'avait su, il se réfugia au coin de l'autel, où Salomon ordonna à Banaïas de le tuer. « Ainsi, dit-il, vous éloignerez de moi, et de la maison de mon père, le sang innocent que Joab a répandu, en tuant deux hommes de bien, et qui valaient mieux que lui, Abner fils de Ner, et Amasa fils de Jether : et leur sang retombera sur sa tête (5). »

L'autel n'est pas fait pour servir d'asile aux assassins ; et l'autorité royale se doit faire sentir aux méchants, quelque grands qu'ils soient.

Dans le Nouveau Testament et parmi des peuples plus humains, il faut moins faire de ces exécutions sanglantes qu'il ne s'en faisait dans l'ancienne loi et parmi les Juifs, peuple dur et enclin à

 

1 Eccli., XX, 24. — 2 III Reg., I, 51, 52. — 3 Ibid., II, 22-25. —  4 Ibid., 26. — 5 Ibid., 28, 31 -33.

 

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la révolte. Mais enfin le repos public oblige les rois à tenir tout le monde en crainte, et plus encore les grands que les particuliers, parce que c'est du côté des grands qu'il peut arriver de plus grands troubles.

 

VIIIe PROPOSITION. L'autorité royale doit être invincible.

 

S'il y a dans un Etat quelque autorité capable d'arrêter le cours de la puissance publique, et de l’embarrasser dans son exercice., personne n'est en sûreté. Jérémie exécutait les ordres de Dieu, en déclarant que la ville en punition de ses crimes, serait livrée au roi de Babylone. « Les grands s'assemblèrent autour du roi, et lui dirent ; Nous vous prions que cet homme soit mis à mort : car il abat par la malice le courage des gens de guerre, et de tout le peuple : c'est un méchant qui ne veut pas le bien de l’Etat, mais sa ruine. Le roi Sédécias leur répondit : Il est en vos mains; car le roi ne vous peut rien refuser (1). » Le gouvernement était faible, et l'autorité royale n'était plus un refuge à l’innocent persécuté.

Le roi voulait le sauver, parce qu'il savait que Dieu lui avait commandé de parler comme il avait fait. « Il fit venir Jérémie auprès de lui en particulier ; et il lui dit : « Vous ne mourrez pas, mais que les seigneurs ne sachent point ce qui se passe entre nous ; et s'ils entendent dire que vous m'avez parlé, et qu'ils vous demandent : Qu'est-ce que le roi vous a dit? répondez : Je me suis jeté aux pieds du roi, afin qu'il ne me renvoyât pas dans ma prison pour y mourir (2).» Prince faible, qui craignait les grands, et qui perdit bientôt son royaume, n'osant suivre les conseils que lui donnait Jérémie par ordre de Dieu.

Evilhmérodac, roi de Babylone, fut un de ces princes faibles, qui se laissent mener par force. Par son ordre Daniel avait découvert les fourbes des prêtres de Bel, et avait fait crever le dragon sacré que les Babyloniens adoraient. « Ce que les seigneurs ayant ouï, ils entrèrent dans une grande colère; et s'étant assemblés contre le roi, ils disaient : Le roi s'est fait Juif,

 

1 Jerem., XXXVIII. 4, 5. — 2 Ibid., 14. 24-26.

 

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a renversé Bel, il a tué le dragon sacré et les prêtres. Et ayant dit ces choses entre eux, ils vinrent au roi : Livrez-nous Daniel, lui dirent-ils, autrement nous vous ferons mourir, vous et votre maison (1). »

Il leur accorda leur demande (2); et si Dieu délivra Daniel des bêtes farouches, ce roi n'en était pas moins coupable de sa mort, à laquelle il avait donné son consentement.

On entreprend aisément contre un prince faible. Celui-ci, qui se laisse intimider par les menaces qu'on lui fait de le faire mourir, lui et sa maison, fut tué en une autre occasion pour ses débauches et ses injustices (3) : car tout prince faible est injuste, et sa maison perdit la royauté.

Ainsi ces faiblesses sont pernicieuses aux particuliers, à l'Etat et au prince même, contre qui ou ose tout quand il se laisse entamer.

Le prophète Daniel fut encore exposé aux bêtes farouches, par la faiblesse de Darius le Mède. « Il voulait donner à Daniel le gouvernement du royaume, parce que l'esprit de Dieu paraissait en lui, plus que dans tous les autres hommes. Les grands et les satrapes jaloux de sa grandeur, cherchèrent l'occasion de le perdre, et surprirent le roi. Puissiez-vous vivre à jamais, ô roi Darius; les grands de votre royaume, et les magistrats, et les satrapes, les sénateurs, et les juges, sont d'avis qu'on publie un édit royal, par lequel il soit fait défense d'adresser durant trente jours aucune prière à qui que ce soit, Dieu ou homme, excepté à vous (4). »

Le roi fît cette loi, autant tyrannique qu'impie, selon la forme la plus authentique, et qui la rendait irrévocable parmi les Mèdes et les Perses (5). On ne doit point d'obéissance aux rois contre Dieu, « Ainsi Daniel priait à son ordinaire trois fois le jour, ses fenêtres ouvertes, tournées vers Jérusalem. Ceux qui avaient conseillé la loi entrèrent en foule , et le trouvèrent en prières (6). »

Il firent leur plainte au roi ; et pour le presser davantage, ils le prennent par la coutume des Mèdes et des Perses, et par sa

 

1 Dan., XIV, 27, 28. — 2 Ibid., 29, etc. — 3 Beros., apud Joseph., l. 1, cont. Appion. — 4 Dan., VI, 3. 4. 6, 7. — 5 Ibid., 8, 9. — 6 Ibid., 10. 11.

 

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propre autorité. « Sachez, ô roi, que c'est une loi inviolable parmi les Mèdes et les Perses, que toute ordonnance faite par le roi ne peut être changée (1). »

Darius abandonna Daniel, qui l'avait si bien servi, et se contenta d'en témoigner une sensible douleur (2). Dieu délivra ce prophète encore une fois ; mais le roi l'avait immolé autant qu'il était en lui à la fureur des lions, et à la jalousie des grands plus furieux que les lions mêmes.

Un roi est bien faible, qui répand le sang innocent pour n'avoir pu résister aux grands de son royaume, ni révoquer une loi injuste et faite par une surprise évidente. Assuérus, roi du même peuple, révoqua bien la loi publiée contre les Juifs (3), quand il en connut l'injustice, quoiqu'elle eût été faite de la manière la plus authentique.

C'est une chose pitoyable de voir Pilate dans l'histoire de la Passion. « Il savait que les Juifs lui amenaient et accusaient Jésus par envie (4). »

Il leur avait déclaré « qu'il ne voyait en cet homme aucune cause de mort (5). Il leur dit encore une fois : Vous l'accusez d'avoir excité le peuple à sédition ; et voilà que l’interrogeant devant vous, je n'ai rien trouvé de ce que vous lui reprochez. Hérode, à qui je l'ai renvoyé , ne l'a pas non plus trouvé digne de mort. Et ils se mirent à crier : Faites-le mourir ; mettez en liberté Barabbas, qui avait été arrêté pour sédition et pour meurtre. Pilate leur parla encore, pensant délivrer Jésus : et ils crièrent de nouveau : Crucifiez-le, crucifiez-le. Et il leur dit pour la troisième fois : Mais quel mal a-t-il fait? Pour moi je ne le trouve pas digne de mort ! Je le châtierai, et le renverrai. Et ils faisaient des efforts horribles , criant qu'on le crucifiât ; et leurs cris s'augmentaient toujours. Enfui Pilate leur accorda leur demande. Il délivra le meurtrier et le séditieux, et abandonna Jésus à leur volonté (6). »

Pourquoi tant contester poux enfin abandonner la justice? Toutes ses excuses le condamnent. « Prenez-le vous-mêmes, leur

 

1 Dan., VI, 15. — 2 Ibid., 16, 18. — 3 Esth., VIII, 5, 8. — 4 Matth., XXVII, 18 ; Marc., XV, 10. — 5 Luc., XXIII, 4. — 6 Ibid., 14, 15, etc.

 

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dit-il, et jugez-le selon votre loi (1). » Et encore : « Prenez-le vous-mêmes, et crucifiez-le. » Comme si un magistrat était innocent, de laisser faire un crime qu'il peut empêcher.

On lui allègue la raison d'Etat : « Si vous le renvoyez, vous offenserez César. Qui se fait roi est son ennemi (2). Mais il savait bien, et Jésus le lui avait déclaré, que son royaume n'était point de ce monde (3). » Il craignit les mouvements du peuple, et les menaces qu'ils lui faisaient, de se plaindre de lui à César. Il ne devait craindre que de mal faire.

C'est en vain a qu'il lave ses mains devant tout le peuple en disant : Je suis innocent du sang de cet homme juste ; c'est à vous à y aviser (4) : » l’Ecclésiastique le condamne. « Ne soyez point juge, si vous ne pouvez enfoncer par force l'iniquité : autrement vous craindrez la face du puissant, et votre justice trébuchera (5). »

Cette faiblesse des juges est déplorée par le Prophète. « Le grand sollicite, et le juge ne peut rien refuser (6). »

Que si le prince lui-même, qui est le juge des juges, craint les grands, qu'y aura-t-il de ferme dans l'Etat? Il faut donc que l'autorité soit invincible, et que rien ne puisse forcer le rempart, à l'abri duquel le repos public et le salut des particuliers est à couvert.

 

IXe PROPOSTION. La fermeté est un caractère essentiel à la royauté.

 

Quand Dieu établit Josué pour être prince et capitaine général, il dit à Moïse : « Donne tes ordres à Josué, et raffermis, et le fortifie : car il conduira le peuple, et lui partagera la terre que ta ne feras seulement que voir (7). »

Quand il eut été désigné successeur de Moïse qui allait mourir, a Dieu lui dit lui-même : Sois ferme et fort; car tu introduiras mon peuple dans la terre que je lui ai promise, et je serai avec toi (8). »

 

1 Joan., XVIII, 31; XIX, 6. — 2 Ibid., XIX, 12. — 3 Ibid., XVIII, 36. — 4 Matth., XXVII, 24. — 5 Eccli., VII, 6. — 6 Mich., VII, 3. — 7 Deuter., III, 28. — 8 Ibid.9 XXXI, 23.

 

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Quand après la mort de Moïse il se met à la tête du peuple, Dieu lui dit encore (1) : « Moïse mon serviteur est mort : lève-toi, et passe le Jourdain : sois ferme, courageux et fort. » Et encore : « Sois ferme et fort, et garde la loi que Moïse mon serviteur t'a donnée. » Et encore : a Je te le commande, sois ferme et fort, ne crains point, ne tremble point : je suis avec toi. » De même que s'il lui disait : Si tu trembles, tout tremble avec toi. Quand la tête est ébranlée, tout le corps chancelle : le prince doit être fort ; car il est le fondement du repos public dans la paix et dans la guerre.

Aussitôt Josué commande avec fermeté. « Il donna ses ordres aux chefs, et leur dit : Traversez le camp, et commandez à tout le peuple qu'il se tienne prêt; nous allons passer le Jourdain. Il parla aussi à ceux de Ruben et de Gad, et à la demi-tribu de Manassé : Souvenez-vous des ordres que vous a donnés Moïse, et marchez avec vos armes devant vos frères , et combattez vaillamment (2). »

Il n'hésite en rien, il parle ferme, et le peuple le demande ainsi pour sa propre sûreté, « Qui ne vous obéira pas, qu'il meure : seulement soyez ferme et agissez en homme (3). »

Le moyen d'affermir le prince, c'est d'établir l'autorité, et qu'il voie que tout est en lui. Assuré de l’obéissance, il n'est en peine que de lui-même : en s’affermissant il a tout fait, et tout suit : autrement il hésite, il tâtonne et tout se fait mollement. Le chef tremble quand il est mal assuré de ses membres.

Voilà comme Dieu installe les princes : il affermit leur puissance, et leur ordonne d'en user avec fermeté.

David suit cet exemple, et parle ainsi à Salomon : « Dieu soit avec vous mon fils : qu'il vous donne la prudence, et le sens qu'il faut pour gouverner son peuple. Vous réussirez si vous gardez les préceptes que Dieu a donnés par Moïse : soyez ferme, agissez en homme ; ne craignez point, ne tremblez point (4). »

Il lui réitère en mourant la même chose : et voici les dernières paroles de ce grand roi à son fils ; « J'entre dans le chemin de toute la terre : soyez ferme, et agissez en homme, et gardez les

 

1 Jos., I, 2, 6,7, 9. — 2 Ibid., 10-14. — 3 Ibid., 18. —  5 I Paral., XXII, 11-13.

 

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commandement du Seigneur votre Dieu (1).» Toujours la fermeté et le courage : rien n'est plus nécessaire pour soutenir l'autorité; mais toujours la loi de Dieu devant les yeux : on n'est ferme que quand on la suit.

Néhémias savait bien que la puissance publique devait être menée avec fermeté. « Tout le monde me voulait intimider, espérant que nous cesserions de travailler aux murailles de la ville : et moi je m'affermissais davantage. Sémaïas me disait : Enfermons-nous dans la maison de Dieu au milieu du temple ; car on viendra cette nuit pour vous tuer : et je répondis : Mes semblables ne fuient jamais. Je connus que ces faux prophètes n'étaient pas envoyés de Dieu, et qu'ils avaient été gagnés pour m'épouvanter, afin que je péchasse, et qu'ils eussent quelque reproche à me faire (2). »

Ceux qui intimident le prince et l'empêchent d'agir avec force, sont maudits de Dieu. « O Seigneur, souvenez-vous de moi, et faites à Tobie, à Sanaballat et aux prophètes qui voulaient m'effrayer, faites-leur, Seigneur, selon leurs œuvres (3). »

 

Xe PROPOSTION. Le prince doit être ferme contre son propre conseil et ses favoris, lorsqu'ils veulent le faire servir a leurs intérêts particuliers.

 

Outre la fermeté contre les périls, il y a une autre sorte de fermeté, qui n'est pas, moins nécessaire au prince : c'est la fermeté contre l'artifice de ses favoris et contre l'ascendant qu'ils prennent sur lui.

La faiblesse d'Assuérus, roi de Perse, fait pitié dans le livre d'Esther. Aman irrité contre les Juifs par la querelle particulière qu'il avait avec Mardochée, entreprend de le perdre avec tout son peuple. Il veut faire du roi l'instrument de sa vengeance; et faisant le zélé pour le bien de l'Etat, il parle ainsi : « Il y a un peuple dispersé par toutes les provinces de votre royaume, qui a des lois et des cérémonies particulières, et méprise les ordres du roi. Vous savez qu'il est dangereux à l’Etat qu'il ne devienne insolent par l'impunité ; ordonnez, s'il vous plaît, qu'il périsse, et

 

1 III Reg., II, 2, 3. — 2 II Esdr., VI, 9-13. — 3 Ibid., 14.

 

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je ferai entrer dix mille talents dans vos coffres. Le roi tira de sa main l'anneau dont il se servait, et le donnant à Aman : Cet argent, dit-il, est à vous ; et pour le peuple, faites-en ce que vous voudrez (1). » Aussitôt les ordres sont expédiés, les courriers sont dépêchés par tout le royaume (2), et la facilité du roi va faire périr cent millions d'hommes en un moment.

Que les princes doivent prendre garde à ne se pas rendre aisément ! Aux autres la difficulté de l'exécution donne lieu à de meilleurs conseils; dans le prince, à qui parler c'est faire, on ne peut comprendre combien la facilité est détestable. Il n'en coûte que trois mots à Assuérus, et la peine de tirer son anneau de son doigt : par un si petit mouvement, cent millions d'innocents vont être égorgés, et leur ennemi va s'enrichir de leurs dépouilles.

Tenez-vous donc ferme, ô prince ! Plus il vous est facile d'exécuter vos desseins, plus vous devez être difficile à vous laisser ébranler pour les prendre.

C'est à vous principalement que s'adresse cette parole du Sage : « Ne tournez pas à tout vent, et n'entrez pas en toutes voies (3). » Le prince aisé à mener, et trop prompt à se résoudre, perd tout.

Assuérus fut trop heureux de s'être ravisé, et d'avoir pu révoquer ses ordres avant leur exécution. Elle est ordinairement trop prompte, et ne vous laisse que le repentir d'avoir fait un mal irréparable.

 

XIe PROPOSITION. Il ne faut pas aisément changer d'avis après une mûre délibération.

 

Mais autant qu'il faut être lent à se résoudre, autant faut-il être ferme quand on s'est déterminé avec connaissance. « N'entrez point en toutes voies, » vous a dit le Sage (4) : et il ajoute : « C'est ainsi que va le pécheur, dont la langue est double. » C'est-à-dire qu'il dit et se dédit, sans jamais s'arrêter à rien. Il poursuit : a Soyez fermes dans la vérité de votre sens, et que votre discours soit un : » qu'il ne change pas aisément, selon le grec.

 

1 Esther, III, 8-11. — 2 Ibid., 12, etc. — 3 Eccli., V, 11.—  4 Ibid., 11, 12.

 

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ARTICLE II. De la mollesse, de l'irrésolution et de la fausse fermeté.

 

Ire PROPOSITION. La mollesse est l'ennemie du gouvernement : caractère du paresseux et de l'esprit indécis.

 

« La main des forts dominera; la main nonchalante paiera tribut (1). » Un grand roi le dit : c'est Salomon. Au lieu des forts, l'hébreu porte : De ceux qui sont appliqués et attentifs : l'attention est la force de l'âme.

« Le paresseux veut et ne veut pas : les hommes laborieux s'engraisseront (2). » L'hébreu porte encore : Les hommes attentifs et appliqués.

Celui qui veut mollement, veut sans vouloir : il n'y a rien de moins propre à exercer le commandement, qui n'est qu'une volonté ferme et résolue.

Il ne veut rien ; il n'a que des désirs languissants. « Les désirs tuent le paresseux ; il ne veut point travailler : il ne fait que souhaiter tout le long du jour (3). » Il voudrait toujours , il ne veut jamais.

Aussi rien ne lui réussit, il perd toutes les affaires. « Qui est mol et languissant dans son ouvrage, est frère du dissipateur (4). »

Nous avons dit que la crainte ne convient pas au commandement : le paresseux craint toujours, tout lui paraît impossible, « Le paresseux dit : Il y a un lion dans le chemin, je serai tué au milieu des rues (5) ; » et encore : « Le paresseux dit : Il y a un lion dans le chemin; une lionne attend sur le passage : le paresseux se roule en son lit, comme une porte sur son gond. » Assez de mouvement, peu d'action. Et ensuite: « Le paresseux cache sa main sous ses bras, et ce lui est un travail de la porter jusqu'à sa bouche (6). »

Comment aidera les autres celui qui ne sait pas s'aider lui-

 

1 Prov., XII, 24. — 2 Ibid., XIII, 4. — 3 Ibid., XXI, 25. — 4 Ibid., XVIII, 9. — 5 Ibid., XXII, 13. — 6 Ibid., XXVI, 13-15.

 

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même? « La crainte abat le paresseux; les efféminés manqueront de tout (1). »

La négligence abat les toits; les mains languissantes font entrer la pluie de tous côtés dans les maisons (2).

Tout est faible sous un paresseux. « Soyez prompts dans tous vos ouvrages, et la faiblesse ne viendra jamais au-devant de vous, pour traverser vos desseins (3). »

Les affaires en effet sont difficiles, on n'en surmonte la difficulté que par une activité infatigable. On manque tous les jours tant d'entreprises, que ce n'est qu'à force d'agir sans cesse qu'on assure le succès de ses desseins. « Semez donc le matin ; ne cessez pas le soir: vous ne savez lequel des deux profitera; et si c'est tous les deux, tant mieux pour vous (4).»

 

IIe PROPOSITION. Il y a une fausse fermeté.

 

L'opiniâtreté invincible de Pharaon le fait voir. C'était endurcissement, et non fermeté. Cette dureté est fatale à lui et à son royaume. L'Ecriture en fait foi dans tout le livre de l’Exode.

La force du commandement poussée trop loin; jamais plier, jamais condescendre, jamais se relâcher, s'acharner à vouloir être obéi à quelque prix que ce soit; c'est un terrible fléau de Dieu sur les rois et sur les peuples.

Celui qui a dit : « Ne tournez pas à tout vent (5), » avait dit un peu auparavant : « Ne forcez point le cours d'un fleuve (6). » Il y a une légèreté, et aussi une roideur excessive.

Une fausse fermeté conseillée à Roboam par de jeunes gens sans expérience, lui fit perdre dix tribus. Le peuple demandait d'Être un peu soulagé des impôts très-grands que Salomon exigeait : soit qu'ils se plaignissent sans raison d'un prince qui avait rendu l'or et l'argent communs dans Jérusalem; ou qu'en effet Salomon les eut grevés dans le temps qu'il donna tout à ses passions. Les vieillards qui connaissaient l'état des affaires et l’humeur du peuple juif, lui conseillaient de l'apaiser avec de

 

1 Prov., XVIII, 8. — 2 Eccles., X, 18. — 3 Eccli., XXXI, 27. — 4 Eccles., XI, 6. — 5 Eccli., V, 11. — 6 Ibid., IV, 32.

 

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douces paroles suivies de quelques effets. « Si vous donnez quelque chose à leurs prières, et que vous leur parliez doucement, ils vous serviront toute votre vie (1). »

Mais la jeunesse téméraire, qu'il consulta dans la suite, se moqua de la prévoyance des vieillards, et lui conseilla, non un simple refus, mais un refus accompagné de paroles dures et de menaces insupportables. « Mon petit doigt, leur dit-il (2), est plus gros que tout le corps de mon père : mon père vous a foulés, et moi je vous foulerai encore davantage : mon père vous a fouettés avec des verges, et moi je vous fouetterai avec des chaînes de fer : et le roi n'acquiesça pas au désir du peuple, parce que Dieu s'était éloigné de lui, et voulait accomplir ce qu'il avait dit contre Salomon : Qu'en punition de ses crimes il partagerait son royaume après sa mort (3). »

Ainsi cette dureté de Roboam était un fléau envoyé de Dieu, et une juste punition tant de Salomon que de lui.

Les jeunes gens qu'il consultait ne manquaient pas de prétextes : il faut soutenir l'autorité ; qui se laisse aller au commencement, on lui met à la fin le pied sur la gorge. Mais par-dessus tout cela il fallait connaître les dispositions présentes, et céder à une force qu'on ne pouvait vaincre. Les bonnes maximes outrées perdent tout. Qui ne veut jamais plier, casse tout à coup.

 

IIIe PROPOSITION. Le prince doit commencer par soi-même à commander avec fermeté, et se rendre maître de ses passions.

 

« Ne marchez point après vos désirs, retirez-vous de votre propre volonté. Si vous suivez vos désirs, vous donnerez beaucoup de joie à vos ennemis (4). » Il faut donc résister à ses propres volontés, et être ferme premièrement contre soi-même.

Le premier de tous les empires est celui qu'on a sur ses désirs, « Ta cupidité te sera soumise, et tu la domineras (5). »

C'est la source et le fondement de toute l'autorité. Qui l'a sur soi-même, mérite de l'avoir sur les autres. Qui n'est pas maître

 

1 III Reg., XII, 7. — 2 Ibid., 10, 11, 15. — 3 Ibid., XI, 31, etc. — 4 Eccli., XVIII, 30, 31. — 5 Gen., IV, 7.

 

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de ses passions, n'a rien de fort ; car il est faible dans le principe» Sédécias, qui disait aux grands : « Le roi ne vous peut rien refuser (1),» n'était faible devant eux, que parce qu'il l’était en lui-même, et ne savait pas maîtriser sa crainte. Evilmérodac abattu par la même passion, se laissa maltraiter et abattre par les seigneurs qui lui disaient : « Livrez-nous Daniel, ou nous vous tuerons (2). »

Si Darius eût eu assez de force sur lui-même pour soutenir la justice, il aurait eu de l'autorité sur les grands qui lui demandaient le même prophète, et n'aurait pas eu la faiblesse de sacrifier un innocent à leur jalousie

Pilate avait succombé intérieurement à la tentation de la faveur, quand il se laissa forcer à crucifier Jésus-Christ. Il avait beau avoir en main toute la puissance romaine dans la Judée, il n'était pas puissant, puisqu'il ne put résister à l’iniquité connue.

David, quelque grand roi qu'il fut, n'était plus puissant, quand sa puissance ne lui servit qu'à des actions qu'il a pleurées toute sa vie, et qu'il eût voulu n'avoir pas pu faire.

Salomon n'était plus puissant, quand sa puissance le rendit le plus faible de tous les hommes.

Hérode n'était point puissant, lorsque désirant de sauver saint Jean-Baptiste, dont une malheureuse lui demandait la tête, il n'osa le faire « de peur de la fâcher (4). » Il entra dans son crime quelque égard pour les assistants, devant lesquels il craignit de paraître faible, s'il manquait d'accomplir le serment qu'il avait fait. « Le roi était fâché d'avoir promis la tête de saint Jean-Baptiste; mais à cause du serment qu'il avait fait et des assistants, il commanda qu'on la donnât (1). »

C'est la plus grande de toutes les faiblesses, que de craindre trop rie paraître faible.

Tout cela fait connaître qu'il n'y a point de puissance, si on n'est premièrement puissant sur soi-même; ni de fermeté véritable, si on n'est premièrement ferme contre ses propres passions.

 

1 Jerem., XXXVIII, 5. — 2 Dan., XIV, 28. — 3 Ibid., VI, 12 et seq. — 4 Marc.,

VI, 26. — 5 Matth., XIV, 9.

 

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« Il faut souhaiter, dit saint Augustin, d'avoir une volonté droite, avant que de souhaiter d'avoir une grande puissance (1). »

 

IVe PROPOSITION. La crainte de Dieu est le vrai contre-poids de la puissance : le mince le craint d'autant plus qu'il ne doit craindre que lui.

 

Pour établir solidement le repos public et affermir un Etat, nous avons vu que le prince a dû recevoir une puissance indépendante de toute autre puissance qui soit sur la terre. Mais il ne faut pas pour cela qu'il s'oublie ni qu'il s'emporte, puisque moins il a de compte à rendre aux hommes, plus il a de compte à rendre à Dieu.

Les méchants, qui n'ont rien à craindre des hommes, sont d'autant plus malheureux, qu'ils sont réservés comme Caïn à la vengeance divine.

« Dieu mit un signe sur Caïn, afin que personne ne le tuât (2). » Ce n'est pas qu'il pardonnât à ce parricide ; mais il fallait une main divine pour le punir comme il méritait.

Il traite les rois avec les mêmes rigueurs. L'impunité à l'égard des hommes, les soumet à des peines plus terribles devant Dieu. Nous avons vu que la primauté de leur état leur attire une primauté dans les supplices. « La miséricorde est pour les petits; mais les puissants seront puissamment tourmentés : aux plus grands est préparé un plus grand tourment (3). »

Considérez comme Dieu les frappe dès cette vie. Voyez comme il traite un Achah : comme il traite un Antiochus : comme il traite un Nabuchodonosor, qu'il relègue parmi les bêtes : un Baltazar, à qui il dénonce sa mort.et la ruine de son royaume, au milieu d'une grande fête qu'il faisait à toute sa Cour : enfin comme il traite tant de méchants rois : il n'épargne pas la grandeur ; mais plutôt il la fait servir d'exemple.

Que ne fera-t-il point contre les rois impénitents, s'il traite si rudement David humilié devant lui, qui lui demande pardon? « Pourquoi as-tu méprisé ma parole, et as-tu fait le mal devant

 

1 August, de Trinit., lib. XIII, cap. XIII. — 2 Gen., IV, 15. — 3 Sapient., VI, 6, 7, 9.

 

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mes yeux? Tu as tué une par le glaive des enfants d'Ammon; tu lui as ravi sa femme. Le glaive s'attachera à ta maison à jamais, parce que tu m'as méprisé. Et voici ce que dit le Seigneur : Je susciterai contre toi ton propre fils : je te ravirai tes femmes, et les donnerai à un autre qui en abusera publiquement et à la lumière du soleil. Tu Tas fait en secret, et tu as cru pouvoir cacher ton crime ; et moi j'en ferai le châtiment à la vue de tout le peuple et devant le soleil, parce que tu as fait blasphémer les ennemis du Seigneur (1). »

Dieu le fit comme il l'avait dit, et il n'est pas nécessaire de rapporter ici la révolte d'Absalon et toutes ses suites.

Ces châtiments font trembler. Mais tout ce que Dieu exerce de rigueur et de vengeance sur la terre, n'est qu'une ombre à comparaison des rigueurs du siècle futur, « C'est une chose horrible de tomber entre les mains du Dieu vivant (2). »

Il vit éternellement; sa colère est implacable et toujours vivante; sa puissance est invincible; il n'oublie jamais; il ne se lasse jamais; rien ne lui échappe.

 

1 II Reg., XII, 9, 10, etc. — 2 Hebr., X, 31.

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