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POLITIQUE TIRÉE DES PROPRES PAROLES
DE L'ÉCRITURE SAINTE.
(suite.)

 

LIVRE SIXIÈME. LES DEVOIRS DES SUJETS ENVERS LE PRINCE, ÉTABLIS PAR LA DOCTRINE PRÉCÉDENTE.

 

LIVRE SIXIÈME. LES DEVOIRS DES SUJETS ENVERS LE PRINCE, ÉTABLIS PAR LA DOCTRINE PRÉCÉDENTE.

ARTICLE PREMIER. Du service qu'on doit au prince.

Ière PROPOSITION. On doit au prince les mêmes services qu'à sa patrie.

IIe PROPOSITION. Il faut servir l'Etat comme le prince l'entend.

IIIe PROPOSITION. Il n'y a que les ennemis publics qui séparent l'intérêt du prince de l'intérêt de l'Etat.

IVe PROPOSITION. Le prince doit être aimé comme un bien public, et sa vie est l'objet des vœux de tout le peuple.

Ve PROPOSITION. La mort du prince est une calamité publique : et les gens de bien la regardent comme un châtiment de Dieu sur tout le peuple.

VIe PROPOSITION. Un homme de bien préfère la vie du prince à la sienne et s'expose pour le sauver.

ARTICLE II. De l'obéissance due au prince,

Ire PROPOSITION. Les sujets doivent au prince une entière obéissance.

IIe PROPOSITION. Il n'y a qu'une exception à l'obéissance qu'on doit au prince, c'est quand il commande contre Dieu.

IIIe PROPOSITION. On doit le tribut au prince.

IVe PROPOSITION. Le respect, la fidélité et l'obéissance qu'on doit aux rois, ne doivent être altérés par aucun prétexte.

Ve PROPOSITION. L’impiété déchirée, et même la persécution, n'exemptent pas les sujets de l'obéissance qu'ils doivent aux princes.

VIe PROPOSITION. Les sujets n'ont à opposer à la violence des princes que des remontrance respectueuses, sans mutinerie et sans murmure, et des prières pour leur conversion.

ARTICLE III. Deux difficultés tirées de l’Ecriture: de David et des Machabées.

Ire PROPOSITION. La conduite de David ne favorise pas la rébellion.

IIe PROPOSITION. Les guerres des Macchabées n'autorisent point les révoltes;

 

ARTICLE PREMIER. Du service qu'on doit au prince.

 

Ière PROPOSITION. On doit au prince les mêmes services qu'à sa patrie.

 

Personne n'en peut douter, après que nous avons vu que tout l'Etat est en la personne du prince. En lui est la puissance. En lui est la volonté de tout le peuple. A lui seul appartient de faire tout conspirer au bien public. Il faut faire concourir ensemble le service qu'on doit au prince et celui qu'on doit à l'Etat, comme choses inséparables.

 

IIe PROPOSITION. Il faut servir l'Etat comme le prince l'entend.

 

Car nous avons vu qu'en lui réside la raison qui conduit l'Etat.

Ceux qui pensent servir l'Etat autrement qu'en servant le prince et en lui obéissant, s'attribuent une partie de l'autorité royale : ils troublent la paix publique, et le concours de tous les membres avec le chef.

 

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Tels étaient les enfants de Sarvia, qui par un faux zèle voulaient perdre ceux à qui David avait pardonné. « Qu’y a-t-il entre vous et moi, enfants de Sarvia? Vous m'êtes aujourd'hui un satan (1). »

Le prince voit de plus loin et de plus haut : on doit croire qu'il voit mieux ; et il faut obéir sans murmure, puisque le murmure est une disposition à la sédition.

Le prince sait tout le secret et toute la suite des affaires : manquer d'un moment à ses ordres, c'est mettre tout en hasard. « David dit à Amasa : Assemblez l'armée dans trois jours, et rendez-vous près de moi en même temps. Amasa alla donc assembler l'armée, et demeura plus que le roi n'avait ordonné. Et David dit à Abisaï : Séba nous fera plus de mal qu'Absalon : allez vite avec les gens qui sont près de ma personne, et poursuivez-le sans relâche (2). »

Amasa n'avait pas compris que l'obéissance consiste dans la ponctualité.

 

IIIe PROPOSITION. Il n'y a que les ennemis publics qui séparent l'intérêt du prince de l'intérêt de l'Etat.

 

Dans le style ordinaire de l'Ecriture, les ennemis de l'Etat sont appelés aussi les ennemis du roi. Nous avons déjà remarqué que Saül appelle ses ennemis les Philistins, ennemis du peuple de Dieu (3). David ayant défait les Philistins : « Dieu, dit-il, a défait mes ennemis (4). » Et il n'est pas besoin de rapporter plusieurs exemples d'une chose trop claire pour être prouvée.

Il ne faut donc point penser, ni qu'on puisse, attaquer le peuple sans attaquer le roi, ni qu'on puisse attaquer le roi sans attaquer le peuple.

C'était une illusion trop grossière, que ce discours que faisait Rabsace, général de l'armée de Sennachérib roi d'Assyrie. Son maître l'avait envoyé pour exterminer Jérusalem, et transporter les Juifs hors de leur pays. Il fait semblant d'avoir pitié du peuple réduit à l'extrémité par la guerre, et tâche de le soulever contre son roi Ezéchias. Voici comme il parle devant tout le peuple aux

 

1 II Reg., XIX, 22. — 2 Ibid., XX, 4, 5, 6. — 3 I Reg., XIV, 24. — 4 II Reg., V, 20.

 

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envoyés de ce prince : « Ce n'est pas à Ezéchias votre maître que le roi mon maître m'a envoyé ; il m'a envoyé à ce pauvre peuple réduit à se nourrir de ses excréments. Puis il cria à tout le peuple : Ecoutez les paroles du grand roi, le roi d'Assyrie. Voici ce que dit le roi : Qu'Ezéchias ne vous trompe pas ; car il ne pourra vous délivrer de ma main. Ne l'écoutez pas; mais écoutez ce que dit le roi des Assyriens : Faites ce qui vous est utile, et revenez à moi. Chacun de vous mangera de sa vigne et de son figuier, et boira de l'eau de sa citerne, jusqu'à ce que je vous transporte à une terre aussi bonne et aussi fertile que la vôtre, abondante en vin , en blé, en miel, en olives et en toutes sortes de fruits : n'écoutez donc plus Ezéchias qui vous trompe (1). »

Flatter le peuple pour le séparer des intérêts de son roi, c'est lui faire la plus cruelle de toutes les guerres, et ajouter la sédition à ses autres maux.

Que les peuples détestent donc les Rabsace et tous ceux qui font semblant de les aimer, lorsqu'ils attaquent leur roi. On n'attaque jamais tant le corps, que quand on l'attaque dans la tête, quoiqu'on paroisse pour un temps flatter les autres parties.

 

IVe PROPOSITION. Le prince doit être aimé comme un bien public, et sa vie est l'objet des vœux de tout le peuple.

 

De là ce cri de Vive le roi! qui a passé du peuple de Dieu à tous les peuples du monde. A l'élection de Saül, au couronnement de Salomon, au sacre de Joas, on entend ce cri de tout le peuple : Vive le roi, vive le roi, vive le roi David, vive le roi Salomon (2) !

Quand on abordait les rois, on commençait par ces vœux : « O roi, vivez à jamais (3)! Dieu conserve votre vie, ô roi mon seigneur ! »

Le prophète Baruch commande pendant la captivité à tout le peuple, de « prier pour la vie du roi Nabuchodonosor, et pour la vie de son fils Baltasar (4). »

 

1 IV Reg., XVIII, 27, 28, 29, etc. — 2 I Reg., X, 24; III Reg., I, 31, 34, 39 ; IV Reg., XI, 12. — 3 II Esdr., II, 3. — 4 Baruc, I, 11.

 

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Tout le peuple « offrait des sacrifices au Dieu du ciel, et priait pour la vie du roi et celle de ses enfants (1).  »

Saint Paul nous a commandé de prier pour les puissances (2), et a mis dans leur conservation celle de la tranquillité publique.

On jurait par la vie du roi comme par une chose sacrée; et les chrétiens si religieux à ne point jurer par les créatures, ont révéré ce serment, adorant les ordres de Dieu dans le salut et la vie des princes. Nous en avons vu les passages.

Le prince est un bien public que chacun doit être jaloux de se conserver. « Pourquoi nos frères de Juda nous ont ils dérobé le roi, comme si c'était à eux seuls de le garder (3) ?» et le reste que nous avons vu.

De là ces paroles, déjà remarquées : « Le peuple dit à David : Vous ne combattrez pas avec nous ; il vaut mieux que vous demeuriez dans la ville pour nous sauver tous (4). »

La vie du prince est regardée comme le salut de tout le peuple : c'est pourquoi chacun est soigneux de la vie du prince comme de la sienne, et plus que de la sienne.

« L'oint du Seigneur, que nous regardions comme le souffle de notre bouche (5), » c'est-à-dire qui nous était cher comme l'air que nous respirons. C'est ainsi que Jérémie parle du roi.

« Les gens de David lui dirent : Vous ne viendrez plus avec nous à la guerre, pour ne point éteindre la lumière d'Israël (6). »

Voyez comme on aime le prince ; il est la lumière de tout le royaume. Qu'est-ce qu'on aime davantage que la lumière? Elle fait la joie et le plus grand bien de l'univers.

Ainsi un bon sujet aime son prince comme le bien public, comme le salut de tout l'Etat, comme l'air qu'il respire, comme la lumière de ses yeux, comme sa vie et plus que sa vie.

 

1 I Esdr., VI, 10. — 2 I Tim., II, 2. — 3 II Reg., XIX, 42, etc. — 4 Ibid., XVIII, 3. — 5 Jerem. Lam., IV, 20. — 6 II Reg., XXI, 17.

 

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Ve PROPOSITION. La mort du prince est une calamité publique : et les gens de bien la regardent comme un châtiment de Dieu sur tout le peuple.

 

Quand la lumière est éteinte, tout est en ténèbres, tout est en deuil.

C'est toujours un malheur public, lorsqu'un Etat change de main, à cause de la fermeté d'une autorité établie et de la foi-blesse d'un règne naissant.

C'est une punition de Dieu pour un Etat, lorsqu'il change souvent de maître. « Les péchés de la terre, dit le Sage, sont cause que les princes sont multipliés : la vie du conducteur est prolongée, afin que la sagesse et la science abonde (1). » C'est un malheur à un Etat d'être privé des conseils et de la sagesse d'un prince expérimenté : et d'être soumis à de nouveaux maîtres, qui souvent n'apprennent à être sages qu'aux dépens du peuple.

Ainsi quand Josias eut été tué dans la bataille de Mageddo, « toute la Judée et tout Jérusalem le pleurèrent, principalement Jérémie, dont tous les musiciens et les musiciennes chantent encore à présent les lamentations sur la mort de Josias (2), »

Et ce ne sont pas seulement les bons princes comme Josias, dont la mort est réputée un malheur public ; le même Jérémie déplore encore la mort de Sédécias ; de ce Sédécias dont il est écrit « qu'il avait mal fait aux yeux du Seigneur ; et qu'il n'avait pas respecté la face de Jérémie, qui lui parlait de la part de Dieu (3). » Loin de respecter ce saint prophète, il l'avait persécuté (4). Et toutefois après la ruine de Jérusalem, où Sédécias fait prisonnier eut les yeux crevés, Jérémie, qui déplore les maux de son peuple, déplore comme un des plus grands malheurs le malheur de Sédécias. « L'oint du Seigneur, qui était comme le souffle de notre bouche, a été pris pour nos péchés : lui à qui nous disions : Nous vivrons sous votre ombre parmi les gentils (5). » Un roi captif, un roi dépouillé de ses Etats et même privé de la vue, est regardé comme le soutien et la consolation de son peuple captif avec lui.

 

1 Prov., XXVIII, 2. — 2 II Paralip., XXXV, 24. —  3 Ibid., XXXVI, 42. — 4 Jerem., XXVII et XXXVIII. — 5 Jerem. Lam., IV, 20.

 

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Ce reste de majesté semblait encore répandre un certain éclat sur la nation désolée : et le peuple touché des malheurs de son prince, les .déplore plus que les siens propres. « Le Seigneur, dit-il, a renversé sa maison ; il a oublié les fêtes et les sabbats de Sion ; le roi et le pontife ont été l'objet de sa fureur. Les portes de Jérusalem sont abattues : Dieu a livré son roi et ses princes aux gentils (1). »

Le Prophète regarde le malheur du prince comme un malheur public et un châtiment de Dieu sur tout e peuple : même le malheur d'un prince méchant ; car il ne perd pas par ses crimes la qualité d'oint du Seigneur, et la sainte onction qui l'a consacré le rend toujours vénérable.

C'est pourquoi David pleure avec tout le peuple la mort de Saul, quoique méchant. « Tes princes sont morts sur tes montagnes, ô Israël ! Comment les forts ont-ils été tués ? Ne portez point cette nouvelle dans Geth : ne l'annoncez point dans les rues d'Ascalon, de peur que les femmes des Philistins ne s'en réjouissent : de peur que ce ne soit un sujet de joie aux filles des incirconcis. Montagnes de Gelboé, que la rosée ni la pluie (a) ne distillent plus sur vous, que vos champs stériles ne portent plus de quoi offrir des prémices, puisque sur vous sont tombés les boucliers des forts, le bouclier de Saül, comme s'il n'avait pas été oint de l'huile sacrée (2). » Et le reste que nous avons déjà rapporté.

C'est ainsi que la mort du prince, quoique méchant, quoique réprouvé, fait la joie des ennemis de l'Etat et la douleur de ses sujets. Tout le pleure : tout est en deuil pour sa mort : et il faut que les choses les plus insensibles, comme les montagnes, et enfin que toute la nature s'en ressente.

 

VIe PROPOSITION. Un homme de bien préfère la vie du prince à la sienne et s'expose pour le sauver.

 

Nous l'avons vu : le peuple va combattre, il ne se soucie pas de son péril, pourvu que le prince soit en sûreté (3).

 

1 Jerem. Lam., II, 6, 9. — 2 II Reg., I, 19, 20, 21. — 3 II Reg., XVIII et XXI.

(a) IIe Edit. Et la pluie.

 

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La manière dont on fait la garde autour du prince, à la ville et à la campagne, le fait voir. Quand David entra de nuit dans la tente de Saül, il fallut passer au travers d'Abner et de tout le peuple, qui reposoit autour de lui *. Et David ayant pris la coupe du roi et sa pique *, pour montrer qu'il avait été maître de sa vie, « crie de loin à Abner et à tout le peuple : Abner, êtes-vous un homme ? Pourquoi gardez-vous si mal le roi votre maître ? quelqu'un est entré dans sa tente pour le tuer. Vive le Seigneur, vous méritez tous la mort, vous tous qui gardez si mal le roi votre maître, l'oint du Seigneur. Regardez où est sa pique et sa coupes. »

Le peuple doit garder le prince ; le peuple campe autour de lui; il faut avoir enfoncé tout le camp , avant qu'on puisse venir au prince ; on doit veiller afin que le prince repose en sûreté ; qui néglige de le garder est digne de mort.

Quand le roi était à la ville, le peuple et les grands mêmes couchaient à sa porte. « Urie (quoiqu'il fût homme de commandement ) couchait à la porte du palais royal, avec les autres serviteurs du roi son maître (4).»

Durant la rébellion d'Absalon, Ethaï Géthéen marchoit devant lui à la tète de six cents hommes de Geth, tous braves soldats. C'était des troupes étrangères, dont David voulait éprouver la fidélité, et il dit à Ethaï : « Pourquoi venir avec nous ? Retournez, et attachez-vous au nouveau roi. Vous êtes étranger, et vous êtes sorti de votre pays : vous arrivâtes hier, et dès aujourd'hui vous marcherez avec nous? Pour moi, j'irai où je dois aller ; mais vous, allez, ramenez vos frères, et le Seigneur récompensera la fidélité et la reconnaissance que vous m'avez témoignée. Ethaï répondit au roi : Vive le Seigneur, et vive le roi mon maître ; en quelque lieu que vous soyez, ô roi mon seigneur, j'y serai avec vous ; et je ne vous quitterai ni à la vie ni à la mort. David lui dit : Venez (5). » A la réponse qu'il lui fit, il le connut pour un homme qui savait ce que c'était de servir les rois.

 

1 I Reg., XXVI, 7. — 2 Ibid., 12. — 3 Ibid., 14,15,16. — 4 II Reg., XI, 9. — 5 Ibid. XV, 19, 20, 21, 22.

 

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ARTICLE II. De l'obéissance due au prince,

 

Ire PROPOSITION. Les sujets doivent au prince une entière obéissance.

 

Si le prince n'est ponctuellement obéi, l'ordre public est renversé , et il n'y a plus d'unité, par conséquent plus de concours ni de paix dans un Etat.

C'est pourquoi nous avons vu que quiconque désobéit à la puissance publique, est jugé digne de mort. « Qui sera orgueilleux, et refusera d'obéir au commandement du pontife et à l'ordonnance du juge, il mourra, et vous ôterez le mal du milieu d'Israël (1).»

C'est pour empêcher ce désordre que Dieu a ordonné les puissances ; et nous avons ouï saint Paul dire en son nom : « Que toute âme soit soumise aux puissances supérieures ; car toute puissance est de Dieu : il n'y en a point que Dieu n'ait ordonnée. Ainsi qui résiste à la puissance, résiste à l'ordre de Dieu (2). »

« Avertissez-les d'être soumis aux princes et aux puissances , de leur obéir ponctuellement, d'être prêts à toute bonne œuvre (3). »

Dieu a fait les rois et les princes ses lieutenants sur la terre, afin de rendre leur autorité sacrée et inviolable. C'est ce qui fait dire au même saint Paul « qu'ils sont ministres de Dieu (4) : » conformément à ce qui est dit dans le livre de la Sagesse, « que les princes sont ministres de son royaume (5). »

De là saint Paul conclut « qu'on leur doit obéir par nécessité, non-seulement par la crainte de la colère, mais encore par l'obligation de la conscience (6). »

Saint Pierre a dit aussi : « Soyez soumis pour l'amour de Dieu à l'ordre qui est établi parmi les hommes. Soyez soumis au roi, comme à celui qui a la puissance suprême ; et aux gouverneurs,

 

1 Deut., XVII, 12. — 2 Rom., XIII, 1, 2. — 3 Tit., III, 1. — 4 Rom., XIII, 4. — 5 Sap., VI, 6. — 6 Rom., XIII, 5.

 

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comme étant envoyés de lui, parce que c'est la volonté de Dieu (1). »

A cela se rapporte, comme nous avons déjà vu, ce que disent ces deux apôtres, « que les serviteurs doivent obéir à leurs maîtres , quand même ils seraient durs et fâcheux (2). Non à l'œil et pour plaire aux hommes, mais comme si c'était à Dieu (1).»

Tout ce que nous avons vu pour montrer que la puissance des rois est sacrée, confirme la vérité de ce que nous disons ici : et il n'y a rien de mieux fondé sur la parole de Dieu, que l'obéissance qui est due par principe de religion et de conscience aux puissances légitimes.

Au reste quand Jésus-Christ dit aux Juifs : « Rendez à César, ce qui est dû à César (4), » il n'examine pas comment était établie la puissance des Césars : c'est assez qu'il les trouvât établis et régnants : il voulait qu'on respectât dans leur autorité l'ordre de Dieu et le fondement du repos public.

 

IIe PROPOSITION. Il n'y a qu'une exception à l'obéissance qu'on doit au prince, c'est quand il commande contre Dieu.

 

La subordination le demande ainsi. « Obéissez au roi comme à celui à qui appartient l'autorité suprême, et au gouverneur comme à celui qu'il vous envoie (5). » Et encore : « Il y a divers degrés ; l'un est au-dessus de l'autre : le puissant a un plus puissant qui lui commande, et le roi commande à tous les sujets (6). »

L'obéissance est due à chacun selon son degré, et il ne faut point obéir au gouverneur au préjudice des ordres du prince.

Au-dessus de tous les empires est l'empire de Dieu. C'est à vrai dire le seul empire absolument souverain, dont tous les autres relèvent ; et c'est de lui que viennent toutes les puissances.

Comme donc on doit obéir au gouverneur, si dans les ordres qu'il donne il ne paraît rien de contraire aux ordres du roi : ainsi doit-on obéir aux ordres du roi, s'il n'y paraît rien de contraire aux ordres de Dieu.

 

1 I Petr., II, 13, 14, 15. — 2 I Petr., II, 18. — 3 Ephes., VI, 5 ; Colos., III, 22, 23. — 4 Matth., XXII, 21. — 5 1 Petr., II, 13, 14. —  6 Eccles., V, 7, 8.

 

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Mais par la même raison comme on ne doit pas obéir au gouverneur contre les ordres du roi, on doit encore moins obéir au roi contre les ordres de Dieu.

C'est alors qu'a lieu seulement cette réponse que les apôtres font aux magistrats : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes (1). »

 

IIIe PROPOSITION. On doit le tribut au prince.

 

Si, comme nous avons vu, on doit exposer sa vie pour sa patrie et pour son prince, à plus forte raison doit-on donner une partie de son bien pour soutenir les charges publiques. Et c'est ce qu'on appelle ici le tribut.

Saint Jean Baptiste l'enseigne. « Les publicains (c'était eux qui recevaient les impôts et les revenus publics) vinrent à lui pour être baptisés, et lui demandaient : Maître, que ferons-nous pour être sauvés (2) ? » Il ne leur dit pas : Quittez vos emplois, car ils sont mauvais et contre la conscience : « mais il leur dit : N'exigez pas plus qu'il ne vous est ordonné (3) »

Notre-Seigneur le décide. Les pharisiens (a) croyaient que le tribut qu'on payoit par tête à César dans la Judée ne lui était pas dû. Ils se fondaient sur un prétexte de religion, disant que le peuple de Dieu ne devait point payer de tribut à un prince infidèle. Ils voulurent voir ce que dirait Notre-Seigneur sur ce sujet : parce que, s'il parlait pour César, ce leur était un moyen de le décrier parmi le peuple ; et s'il parlait contre César, ils le déféreraient aux Romains. Ainsi ils lui envoyèrent leurs disciples qui lui demandèrent : « Est-il permis de payer le tribut qu'on exige par tête pour César? Jésus connaissant leur malice leur dit : Hypocrites, pourquoi tâchez-vous de me surprendre? Montrez-moi une pièce de monnaie. Ils lui donnèrent un denier. Et Jésus leur dit : De qui est cette image et cette inscription ? De César, lui dirent-ils. Alors il leur dit : Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu (3). »

 

1 Act., V, 29. — 2 Luc., III, 12. — 3 Ibid., 13. — 4 Matth., XXII, 17, 18, 19, .20, 21, (a) Ces pharisiens.

 

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Comme s'il eût dit : Ne vous servez plus du prétexte de la religion, pour ne point payer le tribut. Dieu a ses droits séparés de ceux du prince. Vous obéissez à César ; la monnaie dont vous vous servez dans votre commerce, c'est César qui la fait battre : s'il est votre souverain, reconnaissez sa souveraineté en lui payant le tribut qu'il impose.

Ainsi les tributs qu'on paie au prince, sont une reconnaissance de l'autorité suprême ; et on ne les peut refuser sans rébellion.

Saint Paul l'enseigne expressément. « Le prince est ministre de Dieu, vengeur des mauvaises actions. Soyez-lui donc soumis par nécessité, non-seulement par la crainte de la colère du prince, mais encore par l'obligation de votre conscience. C'est pourquoi vous lui payez tribut ; car ils sont ministres de Dieu, servant pour cela. Rendez donc à chacun ce que vous lui devez : le tribut à qui est dû le tribut : la taille à qui elle est due : la crainte à qui elle est due : et l'honneur, à qui est dû l'honneur (1). »

On voit par ces paroles de l'Apôtre, qu'on doit payer le tribut au prince religieusement et en conscience : comme on lui doit rendre l'honneur et la sujétion qui est due à son ministère.

Et la raison fait voir que tout l'Etat doit contribuer aux nécessités publiques auxquelles le prince doit pourvoir.

Sans cela il ne peut ni soutenir ni défendre les particuliers, ni l'Etat même. Le royaume sera en proie , les particuliers périront dans la ruine de l'Etat. De sorte qu'à vrai dire , le tribut n'est autre chose qu'une petite partie de son bien qu'on paie au prince, pour lui donner moyen de sauver le tout.

 

IVe PROPOSITION. Le respect, la fidélité et l'obéissance qu'on doit aux rois, ne doivent être altérés par aucun prétexte.

 

C'est-à-dire qu'on les doit toujours respecter, toujours servir, quels qu'ils soient, bons ou médians. « Obéissez à vos maîtres, non-seulement quand ils sont bons et modérés, mais encore quand ils sont durs et fâcheux (2). »

 

1 Rom., XIII, 4, 5, 6, 7. — 2 I Petr., II, 18.

 

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L'Etat est en péril et le repos public n'a plus rien de ferme, s'il est permis de s'élever pour quelque cause que ce soit contre les princes.

La sainte onction est sur eux : et le haut ministère qu'ils exercent au nom de Dieu , les met à couvert de toute insulte.

Nous avons vu David, non-seulement refuser d'attenter sur la vie de Saül, mais trembler pour avoir osé lui couper le bord de sa robe, quoique ce fût à bon dessein. « Que j'ose lever ma main contre l'oint du Seigneur, à Dieu ne plaise. Et le cœur de David fut frappé, parce qu'il avait coupé le bord de la Cotte d'armes de Saül (1). »

Les paroles de saint Augustin sur ce passage sont remarquables. « Vous m'objectez, dit-il à Pétilien, évêque donatiste, que celui qui n'est pas innocent ne peut avoir la sainteté. Je vous demande, si Saül n'avait pas la sainteté de son sacrement et de l'onction royale, qu'est-ce qui causait en lui de la vénération à David ? Car c'est à cause de cette onction sainte et sacrée, qu'il l'a honoré durant sa vie et qu'il a vengé sa mort. Et son cœur frappé trembla, quand il coupa le bord de la robe de ce roi injuste. Vous voyez donc que Saül, qui n'avait point l'innocence, ne laissait pas d'avoir la sainteté ; non la sainteté de vie, mais la sainteté du sacrement divin, qui est saint même dans les hommes mauvais (2). »

Il appelle sacrement l'onction royale ; ou parce qu'avec tous les Pères, il donne ce nom à toutes les cérémonies sacrées ; ou parce qu'en particulier l'onction royale des rois dans l'ancien peuple, était un signe sacré institué de Dieu, pour les rendre capables de leur charge et pour figurer l'onction de Jésus-Christ même.

Mais ce qu'il y a ici de plus important, c'est que saint Augustin reconnaît après l'Ecriture, une sainteté inhérente au caractère royal, qui ne peut être effacé par aucun crime.

C'est, dit-il, cette sainteté que David injustement poursuivi à mort par Saul, David sacré lui-même pour lui succéder a respectée dans un prince réprouvé de Dieu. Car il savait que c'était

 

1 I Reg., XXIV, 6, 7. — 2 Lib. II cont. litt. Petit., cap. XLVIII, n. 112.

 

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à Dieu seul à faire justice des princes ; et que c'est aux hommes à respecter le prince, tant qu'il plaît à Dieu de le conserver.

Aussi voyons-nous que Samuel après avoir déclaré à Saül que Dieu l'avait rejeté, ne laisse pas de l'honorer. « J'ai mal fait, lui dit Saül ; mais je vous prie, portez mon péché, et retournez avec moi pour adorer le Seigneur. Samuel lui répondit : Je n'irai pas avec vous, parce que vous avez rejeté la parole du Seigneur, et le Seigneur vous a aussi rejeté : il ne veut plus que vous soyez roi. Samuel se tournait pour se retirer, et Saül le prit par le haut de son manteau qui se déchira. Sur quoi Samuel lui dit : Le Seigneur a séparé de vous le royaume d'Israël, et l'a donné à un plus homme de bien. Ce Dieu puissant et victorieux ne s'en dédira pas ; car il n'est pas comme un homme, pour se repentir de ses desseins. J'ai péché, répondit Saül; mais honorez-moi devant les sénateurs de mon peuple et devant tout Israël ; et retournez avec moi, afin que j'adore avec vous le Seigneur votre Dieu. Alors Samuel suivit Saül, et Saül adora le Seigneur (1). »

On ne peut pas déclarer plus clairement à un prince sa réprobation ; mais Samuel à la fin se laisse fléchir, et consent à honorer Saül devant les grands et devant le peuple : nous montrant par cet exemple que le bien public ne permet pas qu'on expose le prince au mépris.

Roboam traita durement le peuple ; mais la révolte de Jéroboam et des dix tribus qui le suivirent, quoique permise de Dieu en punition des péchés de Salomon, ne laisse pas d'être détestée dans toute l'Ecriture, qui déclare qu'en se révoltant contre la maison de David, ils se révoltaient contre Dieu qui régnait par elle (2).

Tous les prophètes qui ont vécu sous les médians rois : Elie et Elisée sous Achab et sous Jézabel en Israël : Isaïe sous Achaz et sous Manassés : Jérémie sous Joachim, sous Jéchonias, sous Sédécias : en un mot, tous les prophètes sous tant de rois impies et médians, n'ont jamais manqué à l'obéissance, ni inspiré la révolte, mais toujours la soumission et le respect.

Nous venons d'ouïr Jérémie après la ruine de Jérusalem, et

 

1 I Reg., XV, 24, 25, 26, 27, 28, 30, 31. — 2 II Paralip., XIII, 5, 6, 7, 8.

 

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l'entier renversement du trône des rois de Juda, parler encor avec un respect profond de son roi Sédécias. « L'oint du Seigneur, que nous regardions comme le souffle de notre bouche, a été pris pour nos péchés, lorsque nous lui disions : Nous vivrons sous votre ombre parmi les gentils (1). »

Les bons sujets ne se tenaient pas quittes du respect qu'ils dévoient à leur roi, après même que son royaume fut renversé, et qu'il fut emmené comme un captif avec tout son peuple. Ils respectaient jusque dans les fers et après la ruine du royaume, le caractère sacré de l'autorité royale.

 

Ve PROPOSITION. L’impiété déchirée, et même la persécution, n'exemptent pas les sujets de l'obéissance qu'ils doivent aux princes.

 

Le caractère royal est saint et sacré même dans les princes infidèles ; et nous avons vu que Cyrus est appelé par Isaïe « l'oint du Seigneur (2). »

Nabuchodonosor était impie et orgueilleux jusqu'à vouloir s'égaler à Dieu, et jusqu'à faire mourir ceux qui lui refusaient un culte sacrilège : et néanmoins Daniel lui dit ces mots : « Vous êtes le roi des rois, et le Dieu du ciel vous a donné le royaume, et la puissance, et l'empire, et la gloire (3). »

C'est pourquoi le peuple de Dieu priait pour la vie de Nabuchodonosor, de Baltasar (4), et d'Assuérus (5).

Achab et Jézabel avoient fait mourir tous les prophètes du Seigneur. Elie s'en plaint à Dieu (6) : mais il demeure toujours dans l'obéissance.

Les prophètes durant ce temps font des prodiges étonnants, pour défendre le roi et le royaume (7).

Elisée en fit autant sous Joram fils d'Achab (8), aussi impie que sou père.

Rien n'a jamais égalé l'impiété de Manassés, qui pécha et fit pécher Juda contre Dieu, dont il tâcha d'abolir le culte, persécutant les fidèles serviteurs de Dieu et faisant regorger Jérusalem

 

1 Jerem. Lam., IV, 20.— 2 Isa., XLV, 1. — 3 Dan., II, 37. — 4 Baruch, I, 11. — 5 I Esd., VI, 11. — 6 III Reg., XIX, 10, 14. — 7 Ibid., XX. — 8 IV Reg., III, VI, VII.

 

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de leur sang (1). Et cependant Isaïe, et les saints prophètes qui le reprenaient de ses crimes, jamais n'ont excité contre lui le moindre tumulte.

Cette doctrine s'est continuée dans la religion chrétienne.

C'était sous Tibère, non-seulement infidèle, mais encore méchant, que Notre-Seigneur dit aux Juifs : « Rendez à César ce qui est à César (2). »

Saint Paul appelle à César (3), et reconnaît sa puissance.

Il fait prier pour les empereurs (4), quoique l'empereur qui régnait du temps de cette ordonnance fût Néron, le plus impie et le plus méchant de tous les hommes.

Il donne pour but à cette prière la tranquillité publique, parce qu'elle demande qu'on vive en paix, même sous les princes méchants et persécuteurs.

Saint Pierre et lui commandent aux fidèles d'être soumis aux puissances (5). Nous avons vu leurs paroles; et nous avons vu quelles étaient alors les puissances dans lesquelles ces deux saints apôtres faisaient respecter aux fidèles l'ordre de Dieu.

En conséquence de cette doctrine apostolique, les premiers chrétiens, quoique persécutés durant trois cents ans, n'ont jamais causé le moindre mouvement dans l'empire. Nous avons appris leurs sentiments par Tertullien, et nous les voyons dans toute la suite de l'histoire ecclésiastique.

Ils continuaient à prier pour les empereurs, même au milieu des supplices auxquels ils les condamnaient injustement. « Courage, dit Tertullien, arrachez, ô bons juges, arrachez aux chrétiens une âme qui répand des vœux pour l'empereur (6). »

Constance fils de Constantin le Grand, quoique protecteur des ariens et persécuteur de la foi de Nicée, trouva dans l'Eglise une fidélité inviolable.

Julien l'Apostat son successeur, qui rétablit le paganisme condamné par ses prédécesseurs, n'en trouva pas les chrétiens moins fidèles ni moins zélés pour son service : tant ils savaient distinguer

 

1 IV Reg., XXI , 2, 3, 10. — 2 Matth., XXII, 21. — 3 Act., XXV, 10, 11, etc. — 4 I Tim, II, 1, 2.—  5 Rom., XIII, 5 ; I Petr., II, 13, 14, 17, 18. — 6 Tertul., Apolog., n. 30.

 

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l'impiété du prince, d'avec le sacré caractère de la majesté souveraine.

Tant d'empereurs hérétiques qui vinrent depuis : un Valens, une Justine, un Zenon, un Basilisque, un Anastase, un Héraclius, un Constant, quoiqu'ils chassassent de leur siège les évêques orthodoxes, et même les papes; et qu'ils remplissent l'Eglise de carnage et de sang ; ne virent jamais leur autorité attaquée ou affaiblie par les catholiques.

Enfin durant sept cents ans, on ne voit pas seulement un seul exemple où l'on ait désobéi aux empereurs sous prétexte de religion. Dans le huitième siècle tout l'empire demeure (a) fidèle à Léon Isaurien, chef des iconoclastes et persécuteur des fidèles. Sous Constantin Copronyme son fils, qui succéda à son hérésie et à ses violences aussi bien qu'à sa couronne, les fidèles d'Orient n'opposèrent que la patience à la persécution. Mais dans la chute de l'empire, lorsque les césars suffisaient à peine à défendre l'Orient où ils s'étaient renfermés, Rome abandonnée près de deux cents ans à la fureur des Lombards, et contrainte d'implorer la protection des Français, fut obligée de s'éloigner des empereurs.

On pâtit longtemps avant que d'en venir à cette extrémité ; et on n'y vint enfin que quand la capitale de l'empire fut. regardée par ses empereurs comme un pays exposé en proie, et laissé à l'abandon.

 

VIe PROPOSITION. Les sujets n'ont à opposer à la violence des princes que des remontrance respectueuses, sans mutinerie et sans murmure, et des prières pour leur conversion.

 

Quand Dieu voulut délivrer les Israélites de la tyrannie de Pharaon, il ne permit pas qu'ils procédassent par voie de fait contre un roi dont l'inhumanité envers eux était inouïe. Ils demandèrent avec respect la liberté de sortir, et d'aller sacrifier à Dieu dans le désert.

Nous avons vu que les princes doivent écouter même les particuliers ; à plus forte raison doivent-ils écouter le peuple, qui leur

 

(a) IIe Edit. demeura.

 

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porte avec respect ses justes plaintes par les voies permises. Pharaon . tout endurci et tout tyran qu'il était, ne laissait pas du moins d'écouter les Israélites. Il écoutait Moïse et Aaron (1). Il reçut à son audience «les magistrats du peuple d'Israël, qui vinrent se plaindre à lui avec de grands cris, et lui disaient : Pourquoi traitez-vous ainsi vos serviteurs (2)? »

Qu'il soit donc permis au peuple oppressé de recourir au prince par ses magistrats et par les voies légitimes : mais que ce soit toujours avec respect.

Les remontrances pleines d'aigreur et de murmure sont un commencement de sédition qui ne doit pas être souffert. Ainsi les Israélites murmuraient contre Moïse, et ne lui ont jamais fait une remontrance tranquille (3).

Moïse ne cessa jamais de les écouter, de les adoucir, de prier pour eux, et donna un mémorable exemple de la bonté que les princes doivent à leurs peuples; mais Dieu pour établir l'ordre, de grands châtiments de ces séditieux.

Quand je dis que ces remontrances doivent être respectueuses, j'entends qu'elles le soient effectivement, et non-seulement en apparence, comme celles de Jéroboam et des dix tribus, qui dirent à Roboam : « Votre père nous a imposé un joug insupportable : diminuez un peu un joug si pesant, et nous vous serons fidèles sujets (4). »

Il y avait dans ces remontrances quelque marque extérieure de respect, en ce qu'ils ne demandaient qu’une petite diminution et promettaient d'être fidèles. Mais faire dépendre leur fidélité de la grâce qu'ils demandaient, c'était un commencement de mutinerie.

On ne voit rien de semblable dans les remontrances que les chrétiens persécutés faisaient aux empereurs. Tout y est soumis, tout y est modeste ; la vérité de Dieu y est dite avec liberté ; mais ces discours sont si éloignés des termes séditieux, qu'encore aujourd'hui on ne peut les lire sans se sentir porté à l'obéissance.

L'impératrice Justine, mère et tutrice de Valentinien II, voulut

 

1 Exod., V, 4, 5. — 2 Ibid., V, 15. — 3 Num., XI, XIII, XIV, XX, XXI, etc.— 4 III Reg., XII, 4 ; II Par., X, 4.

 

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obliger saint Ambroise à donner une église aux ariens qu'elle protégeait, dans la ville de Milan, résidence de l'empereur. Tout le peuple se réunit avec son évêque, et assemblé à l'église il attendait l'événement de cette affaire. Saint Ambroise ne sortit jamais de la modestie d'un sujet et d'un évêque. Il fit ses remontrances à l'empereur. « Ne croyez pas, lui disait-il, que vous ayez pouvoir doter à Dieu ce qui est à lui. Je ne puis pas vous donner l'église que vous demandez : mais si vous la prenez, je ne dois pas résister (1). » Et encore : « Si l'empereur veut avoir les biens de l'Eglise, il peut les prendre ; personne de nous ne s'y oppose : qu'il nous les ôte, s'il veut; je ne les donne pas; mais je ne les refuse pas (2). »

« L'empereur, ajoutait-il, est dans l'Eglise; mais non au-dessus de l'Eglise. Un bon empereur loin de rejeter le secours de l'Eglise, le recherche. Nous disons ces choses avec respect; mais nous nous sentons obligés de les exposer avec liberté (3). »

Il contenait le peuple assemblé tellement dans le respect, qu'il n'échappa jamais une parole insolente. On priait, on chantait les louanges de Dieu, on attendait son secours.

Voilà une résistance digne d'un chrétien et d'un évêque. Cependant parce que le peuple était assemblé avec son pasteur, on disait au palais que ce saint pasteur aspirait à la tyrannie. Il répondit : « J'ai une défense; mais dans les prières des pauvres. Ces aveugles et ces boiteux, ces estropiés et ces vieillards, sont plus forts que les soldats les plus courageux (4). » Voilà les forces d'un évêque, voilà son armée.

Il avait encore d'autres armes, la patience et les prières qu'il faisait à Dieu. « Puisqu'on appelle cela une tyrannie, j'ai des armes, disait-il; j'ai le pouvoir d'offrir mon corps en sacrifice. Nous avons notre tyrannie et notre puissance. La puissance d'un évêque est sa faiblesse. Je suis fort quand je suis faible, disait saint Paul (5). »

En attendant la violence dont l'Eglise était menacée, le saint évêque était à l'autel, demandant à Dieu avec larmes qu'il n'y

 

1 Ambr., Ep. XXI, al. XIII, n. 16, 22. — 2 Ambr., orat. de Basilicis non tradendis., n. 33. — 3 Ibid., n. 36. — 4 Ibid., n. 33. — 5 Ambr., Ep. XXI, al. XIII, n. 23.

 

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eût point de sang répandu, ou du moins qu'il plût à Dieu de se contenter du sien. « Je commençai, dit-il, à pleurer amèrement en offrant le sacrifice; priant Dieu de nous aider de telle sorte, qu'il n'y eût point de sang répandu dans la cause de l'Eglise ; qu'il n'y eût du moins que le mien qui fût versé, non-seulement pour le peuple, mais même pour les impies   »

Dieu écouta des prières si ardentes : l'Eglise fut victorieuse, et il n'en coûta le sang à personne.

Peu de temps après, Justine et son fils presque abandonnés de tout le monde eurent recours à saint Ambroise, et ne trouvèrent de fidélité ni de zèle pour leur service qu'en cet évêque, qui s'était opposé à leurs desseins dans la cause de Dieu et de l'Eglise.

Voilà ce que peuvent les remontrances respectueuses : voilà ce que peuvent les prières. Ainsi faisait la reine Esther ; ayant conçu le dessein de fléchir Assuérus son mari, après qu'il eut résolu de sacrifier tous les Juifs à la vengeance d'Aman, elle fit dire à Mardochée : « Assemblez tous les Juifs que vous trouverez à Suse, et priez pour moi. Ne mangez ni ne buvez pendant trois jours et trois nuits : je jeûnerai de même avec mes femmes : après, je m'exposerai à perdre la vie, et je parlerai au roi contre la loi, sans attendre qu'il m'appelle (2). »

Quand elle parut devant le roi, « les yeux étincelants de ce prince témoignèrent sa colère : mais Dieu se ressouvenant des prières d'Esther et de celles des Juifs, changea la fureur du roi en douceur (3). » Et les Juifs (a) furent délivrés à la considération de la reine.

Ainsi quand le Prince des apôtres fut arrêté prisonnier par Hérode, « toute l'Eglise priait pour lui sans relâche (4). » Et Dieu envoya son ange pour le délivrer. Voilà les armes de l'Eglise : des vœux et des prières persévérantes.

Saint Paul prisonnier pour Jésus-Christ, n'a que ce secours et ces armes. « Préparez-moi un logement; car j'espère que Dieu me donnera à vos prières (5). »

 

1 Ambr., Ep. XXI, al. XIII, n. 5. — 2 Esther., IV, 16. — 3 Ibid., Xv, 10, 11 ; et VIII, IX. — 4 Act., XII, 5 et seq. — 5 Ep. ad Philem., 22.

(a) Edit. : Les Juifs.

 

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En effet il sortit de prison, « et il fut délivré de la gueule du lion (1). » Il appelle ainsi Néron, l'ennemi non-seulement des chrétiens, mais de tout le genre humain.

Que si Dieu n'écoute pas les prières de ses fidèles; si pour éprouver et pour châtier ses enfants, il permet que la persécution s'échauffe contre eux, ils doivent alors se ressouvenir que Jésus-Christ les a « envoyés comme des brebis au milieu des loups (3). »

Voilà une doctrine vraiment sainte, vraiment digne de Jésus-Christ et de ses disciples.

 

ARTICLE III. Deux difficultés tirées de l’Ecriture: de David et des Machabées.

 

Ire PROPOSITION. La conduite de David ne favorise pas la rébellion.

 

David persécuté par Saül, ne se contenta pas de prendre la fuite : mais encore « il assembla ses frères et ses parents ; tous les mécontents, tous ceux qui étaient accablés de dettes, et dont les affaires étaient en mauvais état, se joignirent à lui au nombre de quatre cents, et il fut leur capitaine (3). »

Il demeura en cet état dans la Judée, armé contre Saül qui l'avait déclaré son ennemi, et qui le poursuivit comme tel avec toutes les forces d'Israël (4).

Il se retira enfin dans le royaume d'Achis, roi des Philistins, avec lequel il traita, et en obtint la ville de Siceleg (5).

Achis regardait tellement David comme l'ennemi juré des Israélites, qu'il le mena avec lui les allant combattre, et lui dit : « Je vous donnerai ma vie en garde tout le reste de mes jours (6). »

En effet David et ses gens marchaient à la queue avec Achis ; et il ne se retira de l'armée des Philistins que lorsque les satrapes, qui se déficient de lui, obligèrent le roi à le congédier (7).

Il paraît qu'à ne se retire qu'à regret. « Qu'ai-je fait, dit-il à Achis, et qu'avez-vous remarqué en moi qui vous déplaise

 

1 II Tim., IV, 17. — 2 Matth., X, 16. — 3 I Reg., XXII, I, 2. — 4 Ibid., 6, 7; XXIX, 2, 3 ; XXVI, I, 2, 3,4. — 5 Ibid., XXVII, 6. — 6 I Reg., XXVIII, 1, 2 . —7 Ibid., XXIX, 4, 2, 3, etc.

 

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puis que je suis avec vous, pour m'empêcher de vous suivre et de combattre les ennemis du roi mon seigneur (1) ? »

Etre armé contre son roi, traiter avec ses ennemis, aller combattre avec eux contre son peuple : voilà tout ce que peut faire un sujet rebelle.

Mais pour justifier David, il ne faut que considérer toutes les circonstances de l'histoire.

Ce n'était pas un sujet comme les autres; il était choisi de Dieu pour succéder à Saül, et déjà Samuel l'avait sacré (5).

Ainsi le bien public, autant que son intérêt particulier, l'obligeait à garder sa vie, que Saül lui voulait ôter injustement.

Son intention toutefois n'était pas de demeurer en Israël, avec ces quatre cents hommes qui suivaient ses ordres. « Il s'était retiré auprès du roi de Moab avec son père et sa mère, jusqu'à ce qu'il plût à Dieu de déclarer sa volonté (3). »

Ce fut un ordre de Dieu porté par le prophète Gad (4), qui l'obligea de demeurer dans la terre de Juda où il était plus aimé, parce que c'était sa tribu.

Au reste il n'en vint jamais à aucun combat contre Saül, ni contre son peuple. Il fuyait de désert en désert, seulement pour s'empêcher d'être pris (5).

Etant dans le Carmel, au plus riche pays de la Terre Sainte et au milieu des biens de Nabal, l'homme le plus puissant du pays, il ne lui enleva jamais une brebis dans un immense troupeau; et loin de le vexer, il le défendait contre les courses des ennemis (6).

Quelque cruelle que fut la persécution qu'on lui fit, il ne perdit jamais l'amour qu'il avait pour son prince, dont il regarda toujours la personne comme sacrée (7).

« Il sut que les Philistins attaquaient la ville de Ceïlan, et pillaient les environs. Il y fut avec ses gens ; il tailla en pièces les Philistins; il leur prit leur bagage et leur butin ; et sauva ceux de Ceïlan (8). »

« Ses gens s'opposaient à ce dessein. Quoi! disaient-ils, à peine

 

1  I Reg., XXIX. 8. — 2 Ibid., XVI, 12, 13. — 3 Ibid., XXII, 3, 4. — 4 Ibid., 5. — 5 Ibid., XXII, XXIII, XXIV, XXVI. — 6 Ibid., XXV, 15, 16, — 7 Ibid., XXIV, XXVI. —  8 Ibid., XXIII, 1, 5.

 

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pouvons-nous vivre en sûreté dans la terre de Juda? Que n'aurons-nous pas à craindre si nous marchons vers Ceïlan contre les Philistins (1) ? » Mais le zèle de David l'emporta sur leur crainte.

C'est ainsi que poursuivi à outrance, il ne perd jamais le désir de servir son prince et son pays.

Il est vrai qu'à la fin il se retira chez Achis, et qu'il traita avec lui. Mais encore qu'il eût l'adresse de persuader à ce prince qu'il faisait des courses sur les Juifs en effet il n'enlevait rien qu'aux Amalécites et aux autres ennemis du peuple de Dieu.

Quant à la ville que lui donna le roi Achis, il l'incorpora au royaume de Juda3 ; et le traité qu'il fit avec l'ennemi profita à son pays.

Que si pour ne point donner de défiance à Achis, il le suit quand il marche contre Saül : si pour la même raison il témoigne qu'il ne se retire qu'à regret, c'est un effet de la même adresse qui lui avait sauvé la vie.

Il faut tenir pour certain que dans cette dernière rencontre il n'eût pas plus combattu contre son peuple, qu'il avait fait jusqu'alors. Il était à la queue du camp avec le roi des Philistins (4), auquel il paraît assez que la coutume de ces peuples ne permet-toit pas de se hasarder.

De savoir ce qu'il eût fait dans la mêlée, si le combat fût venu jusqu'au roi Achis, c'est ce qu'on ne peut deviner. Ces grands hommes abandonnés à la Providence divine, apprennent sur l'heure ce qu'ils ont à faire ; et après avoir poussé la prudence humaine jusqu'où elle peut aller, ils trouvent, quand elle est à bout, des secours divins, qui contre toute espérance les dégagent des inconvénients où ils semblaient devoir être inévitablement enveloppés.

 

IIe PROPOSITION. Les guerres des Macchabées n'autorisent point les révoltes;

 

Les Juifs conquis par les Assyriens étaient passés successivement sous la puissance des Perses, sous celle d'Alexandre et enfin sous celle des rois de Syrie.

 

1 I Reg., XXIII, 3, 4, 5. — 2 Ibid., XXVII, 2, 3, 8, 9, 10, etc. — 3 Ibid., 6. — 4 Ibid., XXIX, 2.

 

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Il y avait environ trois cent cinquante ans qu'ils étaient dans cet état, et il y en avait cent cinquante qu'ils reconnaissaient les rois de Syrie, lorsque la persécution d'Antiochus l'Illustre leur fit prendre les armes contre lui, sous la conduite des Machabées. Ils firent longtemps la guerre, durant laquelle ils traitèrent avec les Romains et avec les Grecs, contre les rois de Syrie leurs légitimes seigneurs, dont enfin ils secouèrent le joug, et se firent des princes de leur nation.

Voilà une révolte manifeste : ou si ce n'en est pas une, cet exemple semble montrer, qu'un gouvernement tyrannique, et surtout une violente persécution où les peuples sont tourmentés pour la véritable religion, les exempte de l'obéissance qu'ils doivent à leurs princes.

Il ne faut nullement douter que la guerre des Macchabées ne fût juste, puisque Dieu même l'a approuvée : mais si on remarque les circonstances du fait, on verra que cet exemple n'autorise pas les révoltes que le motif de la religion a fait entreprendre depuis.

La religion véritable jusqu'à la venue du Messie, devait se perpétuer dans la race d'Abraham, et par la trace du sang.

Elle devait se perpétuer dans la Judée, dans Jérusalem, dans le temple, lieu choisi de Dieu pour y offrir les sacrifices, et y exercer les cérémonies de la religion interdites partout ailleurs.

Il était donc de l'essence de la religion, que les enfants d'Abraham subsistassent toujours, et subsistassent dans la terre donnée à leurs pères, pour y vivre selon la loi de Moïse : dont aussi les rois de Perse et les autres jusqu'à Antiochus, leur avoient toujours laissé le libre exercice.

Cette famille d'Abraham fixée dans la Terre Sainte, en devait être transportée une seule fois par un ordre exprès de Dieu, mais non pour en être éternellement bannie. Au contraire le prophète Jérémie qui avait porté au peuple l'ordre de passer à Babylone (1), où Dieu voulait qu'ils subissent la peine due à leurs crimes, leur avait en même temps promis qu'après soixante et dix ans de captivité ils seraient rétablis dans leur terre, pour y pratiquer comme

 

1 Jerem., XXI, 7, 8, 9.

 

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auparavant la loi de Moïse, et y exercer leur religion à l'ordinaire dans Jérusalem et dans le temple rebâti (1).

Le peuple ainsi rétabli devait toujours demeurer dans cette terre, jusqu'à l'arrivée de Jésus-Christ; auquel temps Dieu devait former un nouveau peuple, non plus du sang d'Abraham, mais de tous les peuples du monde, et disperser en captivité par toute la terre les Juifs infidèles à leur Messie.

Mais auparavant ce Messie devait naître dans cette race, et commencer dans Jérusalem au milieu des Juifs, cette Eglise qui devait remplir tout l'univers. Ce grand, mystère de la religion est attesté par tous les prophètes, et ce n'est pas ici le lieu d'en rapporter les passages.

Sur ces fondements il paraît que laisser éteindre la race d'Abraham, ou souffrir qu'elle fût chassée de la Terre Sainte au temps des rois de Syrie, c'était trahir la religion et anéantir le culte de Dieu.

Il ne faut plus maintenant que considérer quel était le dessein d'Antiochus.

Il ordonna que les Juifs quittassent leur loi pour vivre à la mode des gentils, sacrifiant aux mêmes idoles et renonçant à leur temple, qu'il fit profaner jusqu'à y mettre sur l'autel de Dieu l'idole de Jupiter Olympien (2).

Il ordonna la peine de mort contre ceux qui désobéiraient (3).

Il vint à l'exécution : toute la Judée regorgeait du sang de ses enfants (4).

Il assembla toutes ses forces « pour détruire les Israélites et les restes de Jérusalem : et pour effacer dans la Judée la mémoire du peuple de Dieu, y établir les étrangers, et leur distribuer par sort toutes les terres (5). »

Il avait résolu de vendre aux gentils tout ce qui échapperait à la mort : et les marchands des peuples voisins vinrent en foule avec de l'argent pour les acheter (6).

Ce fut dans cette déplorable extrémité, que Judas le Macchabée

 

1 Jerem., XXV, 12; XXVII, 10, 14 ; XXIX, 10, 14 ; XXX, 3, etc.— 2 I Mach., I, 43, 46, 47, etc., M. — 3 Ibid., 52.—  4 Ibid., 60, 73, 64, etc. II Mach., VI, 8, 9, 10, etc. — 5 I Mach., III, 35; 36. — 6 I Mach., III, 41 ; II Mach., VIII, 11, 14, 34, 26.

 

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prit les armes avec ses frères et ce qui restait du peuple juif. Quand ils virent le roi implacable tourner toute sa puissance « à la ruine totale de la nation, ils se dirent les uns aux autres : Ne laissons pas détruire notre peuple, combattons pour notre patrie et pour notre religion, qui périrait avec nous (1). »

Si des sujets ne doivent plus rien à un roi qui abdique la royauté, et qui abandonne tout à fait le gouvernement : que penserons-nous d'un roi qui entreprendrait de verser le sang de tous ses sujets, et qui las de massacres, en vendrait le reste aux étrangers? Peut-on renoncer plus ouvertement à les avoir pour sujets, ni se déclarer plus hautement, non plus le roi et le père, mais l'ennemi de tout son peuple ?

C'est ce que fit Antiochus à l'égard de tous les Juifs, qui se virent non-seulement abandonnés, mais exterminés en corps par leur roi ; et cela sans avoir fait aucune faute, comme Antiochus lui-même est contraint h la fin de le reconnaître. « Je me souviens des maux que j'ai faits dans Jérusalem et des ordres que j'ai donnés sans raison, pour exterminer tous les habitants de la Judée (2). »

Mais les Juifs étaient encore en termes bien plus forts, puisque selon la constitution de ces temps et de l'ancien peuple avec eux périssait la religion : et que c'était y renoncer que de renoncer à leur terre. Ils ne pouvaient donc se laisser ni vendre, ni transporter, ni détruire en corps : et en ce cas la loi de Dieu les obligeait manifestement à la résistance.

Dieu aussi ne manqua pas à leur déclarer sa volonté, et par des succès miraculeux, et par les ordres exprès que Judas reçut, lorsqu'il vit en esprit le prophète Jérémie « qui lui mettait en main une épée d'or, en prononçant ces paroles : Recevez cette sainte épée que Dieu vous envoie, assuré qu'avec elle vous renverserez les ennemis de mon peuple d'Israël (3). »

C'est à Dieu de choisir les moyens de conserver son peuple. Quand Assuérus surpris par les artifices d'Aman, voulut exterminer tout le peuple Juif, Dieu rompit ce dessein impie, changeant par le moyen de la reine Esther le cœur de ce roi, qu'une

 

1 I Mach., I, 42, 43. — 2 Ibid., VI, 12. — 3 II Machab., XV, 15, 16.

 

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malheureuse facilité plutôt qu'une malice obstinée avait engagé dans un si grand crime. Mais pour le superbe Antiochus, qui faisait ouvertement la guerre au ciel, Dieu voulut l'abattre d'une manière plus haute ; et il inspira à ses enfants un courage contre lequel les richesses, la force et la multitude ne furent que d'un secours fragile.

Dieu leur donna tant de victoires, qu'à la fin les rois de Syrie firent la paix avec eux, et autorisèrent les princes qu'ils avoient choisis, les traitant d'amis et de frères (1) : de sorte que tous les titres de puissance légitime concoururent à les établir (a).

 

1 I Mach., XI, 24, 25, etc.; XIV, 38, 39, etc.; XV, 1,2, etc.

 

(a) On trouvera ces difficultés, et plusieurs autres matières concernant les devoirs de la sujétion sous l'autorité légitime, traitées à fond dans le cinquième Avertissement contre le ministre Jurieu, et dans la Défense de l'histoire des variations contre le ministre Basnage. (Note de la 1re édit. )

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