Politique VII
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LIVRE VII. DES DEVOIRS  PARTICULIERS 
DE  LA   ROYAUTÉ.

 

ARTICLE PREMIER. Division générale des devoirs du prince.

ARTICLE II. De la religion, en tant qu'elle est le lien des  nations et de la société civile.

Ire PROPOSITION. Dans l'ignorance et la corruption du genre humain, il s'y est toujours conservé quelques principes de religion.

IIe PROPOSITION. Ces idées de religion avaient dans ces peuples quelque chose de ferme et d'inviolable.

IIIe PROPOSITION. Ces principes de religion, quoiqu'appliqués à l'idolâtrie et à l'erreur, ont suffi pour établir une constitution stable d'Etat et de gouvernement.

IVe PROPOSITION. La véritable religion étant fondée sur des principes certains, rend la constitution des Etats plus stable et plus solide.

ARTICLE III. Que la véritable religion se fait connaître par des marques sensibles.

Ire PROPOSITION. La vraie religion a pour marque manifeste son antiquité.

IIe PROPOSITION. Toutes les fausses religions ont pour marque manifeste leur innovation.

IIIe PROPOSITION. La suite du sacerdoce rend cette marque sensible.

IVe PROPOSITION. Cette marque d'innovation est ineffaçable.

Ve PROPOSITION. La même marque est donnée pour connaître les schismatiques séparés de l'Eglise chrétienne.

VIe PROPOSITION. Il ne suffit pas de conserver la saine doctrine sur les fondements de la foi : il faut en tout et partout être uni à la vraie Eglise.

VIIe PROPOSITION. Il faut toujours revenir à l'origine.

VIIIe PROPOSITION. L'origine du schisme est aisée à trouver.

IXe PROPOSITION. Le prince doit employer son autorité pour détruire dans son Etat les fausses religions.

Xe PROPOSITION. On peut employer la rigueur contre les observateurs des fausses religions : mais la douceur est préférable.

XIe PROPOSITION. Le prince ne peut rien faire de plus efficace, pour attirer les peuples à la religion, que de donner bon exemple.

XIIe PROPOSITION. Le prince doit étudier la loi de Dieu.

XIIIe PROPOSITION. Le prince est exécuteur de la loi de Dieu.

XIVe PROPOSITION. Le prince doit procurer que le peuple soit instruit de la loi de Dieu.

ARTICLE IV. Erreurs des hommes du monde et des politiques, sur les affaires et les exercices de la religion.

Ie PROPOSITION. La fausse politique regarde avec dédain les affaires de la religion; et on ne se soucie ni des matières qu'on y traite, ni des persécutions qu'on fait souffrir à ceux qui la suivent. Première erreur des puissances et des politiques du inonde.

IIe PROPOSITION. Autre erreur des grands de la terre sur la religion : Ils craignent de l'approfondir.

IIIe PROPOSITION. Autre procédé des gens du monde, qui prennent la religion pour une folie, sans aucun soin de faire justice, ou d'empêcher les vexations qu'on fait à l'innocence.

IVe PROPOSITION. Autre erreur : Les égards humains font que ceux qui sont bien instruits de certains points de religion, n'en osent ouvrir la bouche.

Ve PROPOSITION. Indifférence des sages du monde sur la religion.

VIe PROPOSITION. Comment la politique en vint enfin à persécuter la religion, avec une iniquité manifeste.

VIIe PROPOSITION. Les esprits faibles se moquent de la piété des rois.

VIIIe PROPOSITION. Le sérieux de la religion connu des grands rois. Exemple de David.

IXe PROPOSITION. Le prince doit craindre trois sortes de fausse piété : et premièrement la piété à l'extérieur et par politique.

Xe PROPOSITION. Seconde espèce de fausse piété : La piété forcée ou intéressée.

XIe PROPOSITION. Troisième espèce de fausse piété : La piété mal entendue, et établie où elle n'est pas.

ARTICLE V. Quel soin ont eu les grands rois du culte de Dieu.

Ire PROPOSITION. Les soins de Josué, de David et de Salomon, pour établir l'arche d'alliance et bâtir le temple de Dieu.

IIe PROPOSITION. Tout ce qu'on fait pour Dieu de plus magnifique, est toujours au-dessous de sa grandeur.

IIIe PROPOSITION. Les princes font sanctifier les fêtes.

IVe PROPOSITION. Les princes ont soin, non-seulement des personnes consacrées à Dieu, mais encore des biens destinés à leur subsistance.

Ve PROPOSITION. Les soins admirables de David.

VIe  PROPOSITION. Soin des lieux et des vaisseaux sacrés.

VIIe PROPOSITION. Louanges de Josias et de David.

VIIIe   PROPOSITION. Soin de Néhémias et comme il protège les lévites contre les magistrats.

IXe PROPOSITION. Réflexions que doivent faire les rois, à l'exemple de David, sur leurs libéralités envers les églises ; et combien il est dangereux de mettre la main dessus.

Xe PROPOSITION. Les rois ne doivent pas entreprendre sur les droits et l'autorité du sacerdoce : et ils doivent trouver bon que l'ordre sacerdotal les maintienne contre toute sorte d'entreprises.

XIe PROPOSITION. Exemple des rois de France, et du concile de Chalcédoine.

XIIe PROPOSITION. Le sacerdoce et l'empire sont deux puissances indépendantes, mais unies.

XIIIe PROPOSITION. En quel péril sont les rois qui choisissent de mauvais pasteurs.

XIVe PROPOSITION. Le prince doit protéger la piété, et affectionner les gens de bien.

XVe PROPOSITION. Le prince ne souffre pas les impies, les blasphémateurs, les jureurs, les parjures, ni les devins.

XVIe PROPOSITION. Les blasphèmes font périr les rois et les armées.

XVIIe PROPOSITION. Le prince est religieux observateur de son serment.

XVIIIe PROPOSITION. Où l'on expose le serment du sacre des rois de France.

XIXe PROPOSITION. Dans le doute, on doit interpréter en faveur du serment.

ARTICLE VI. Des motifs de religion particuliers aux rois.

Ire PROPOSITION. C'est Dieu qui fait les rois, et qui établit les maisons régnantes.

IIe PROPOSITION. Dieu inspire l'obéissance aux peuples, et il y laisse répandre un esprit de soulèvement.

IIIe PROPOSITION. Dieu décide de la fortune des Etats.

IVe proposition. Le bonheur des princes vient de Dieu; et a souvent de grands retours.

Ve PROPOSITION. Il n'y a point de hasard dans le gouvernement des  choses humaines; et la fortune n'est qu'un mot, qui n'a aucun sens.

VIe PROPOSITION. Comme tout est sagesse dans le monde, rien n'est hasard.

VIIe PROPOSITION. Il y a une providence particulière dans le gouvernement des choses humaines.

VIIIe PROPOSITION. Les rois doivent plus que tous les autres s'abandonner à la providence de Dieu.

IXe PROPOSITION. Nulle puissance ne peut échapper les mains de Dieu.

Xe PROPOSITION. Ces sentiments produisent dans le cœur des rois une piété véritable.

XIe PROPOSITION. Cette piété est agissante.

XIIe PROPOSITION. Le prince qui a failli ne doit pas perdre espérance ; mais retourner à Dieu par la pénitence.

XIIIe  PROPOSITION. La religion fournit aux princes des motifs particuliers de pénitence.

XIVe PROPOSITION. Les rois de France ont une obligation particulière à aimer l'Eglise ; et à s'attacher au saint Siège.

 

ARTICLE PREMIER. Division générale des devoirs du prince.

 

Les sujets ont appris leurs obligations. Nous avons donné aux princes la première idée des leurs. Il faut descendre au détail : et afin de ne rien omettre, faisons une exacte distribution de ces devoirs.

La fin du gouvernement est le bien et la conservation de l'Etat.

Pour le conserver, il faut : en premier lieu, y entretenir au dedans une bonne constitution.

En second lieu, profiter des secours qui lui sont donnés.

En troisième lieu , il faut sauver les inconvénients dont il est menacé.

 

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Ainsi se conserve le corps humain, en y maintenant une bonne constitution : en se prévalant des secours dont la faiblesse des choses humaines veut être appuyée : en lui procurant les remèdes convenables contre les inconvénients et les maladies dont il peut être attaqué.

La bonne constitution du corps de l'Etat consiste en deux choses : dans la religion et dans la justice : ce sont les principes intérieurs et constitutifs des Etats. Par l'une, on rend à Dieu ce qui lui est dû ; et par l'autre, on rend aux hommes ce qui leur convient.

Les secours essentiels à la royauté et nécessaires au gouvernement , sont les armes : les conseils : les richesses ou les finances : où on parlera du commerce et des impôts.

Enfin nous finirons par la prévoyance des inconvénients qui accompagnent la royauté : et des remèdes qu'on y doit apporter.

Le prince sait tous ses devoirs particuliers quand il sait faire toutes ces choses. C'est ce que nous allons lui enseigner dans les livres suivants. Commençons à lui expliquer ce qu'il doit à la religion.

 

ARTICLE II. De la religion, en tant qu'elle est le lien des  nations et de la société civile.

 

Ire PROPOSITION. Dans l'ignorance et la corruption du genre humain, il s'y est toujours conservé quelques principes de religion.

 

Il est vrai que saint Paul parlant aux peuples de Lycaonie, il leur a dit « que Dieu avait laissé toutes les nations aller chacune dans leurs voies (1).» Comme s'il les avait entièrement abandonnées à elles-mêmes, et à leurs propres pensées en ce qui regarde le culte de Dieu, sans leur en laisser aucun principe. Il ajoute cependant, au même endroit, « qu'il ne s'était pas laissé lui-même sans témoignage, répandant du ciel ses bienfaits, donnant la pluie et les temps propres à produire des fruits : remplissant nos cœurs de la nourriture convenable et de joie (2). » Ce qu'il n'aurait

 

1 Act., XIV, 15. — 2 Ibid., 16.

 

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pas dit à ces peuples ignorants, si malgré leur barbarie il ne leur fût resté quelque idée de la puissance et de la bonté divine.

On voit aussi parmi ces barbares une connaissance de la Divinité , à laquelle ils voulaient sacrifier (1). Et cette espèce de tradition de la Divinité, du sacrifice et de l'adoration instituée pour la reconnaître, se trouve dès les premiers temps si universellement répandue parmi les nations où il y a quelque espèce de police, quelle ne peut être venue que de Noé et de ses enfants.

Ainsi quoique le même saint Paul parlant aux Gentils convertis à la foi, leur ait dit « qu'ils étaient auparavant sans Dieu en ce monde (2), » il ne veut pas dire qu'ils fussent absolument sans divinité, puisqu'il reproche ailleurs aux Gentils « qu'ils se laissaient entraîner à l'adoration des idoles sourdes et muettes (3). »

Si donc il reproche aussi aux Athéniens (4) les temps d'ignorance, où l'on vivait sans connaissance de Dieu, c'est seulement pour leur dire qu'ils n'avaient de Dieu que des connaissances confuses et pleines d'erreur, quoiqu'au reste ils ne fussent pas tout à fait destitués de la connaissance de Dieu, puisque même ils l'adoraient quoiqu'inconnu (5), et qu'ils lui rendissent dans leur ignorance quelque sorte de culte.

De semblables idées de la Divinité se trouvent dans toute la la terre de toute antiquité ; et c'est ce qui fait qu'on ne trouve aucun peuple sans religion, de ceux du moins qui n'ont pas été absolument barbares, sans civilité et sans police.

 

IIe PROPOSITION. Ces idées de religion avaient dans ces peuples quelque chose de ferme et d'inviolable.

 

« Passez aux îles de Cethim, disait Jérémie, et envoyez en Cédar (aux pays les plus éloignés de l'Orient et de l'Occident); considérez attentivement ce qui s'y passe : et voyez si une seule de ces nations a changé ses dieux : et cependant ce ne sont pas des dieux. » Ces principes de religion étaient donc réputés pour

 

1 Act., XIV, 10-12. — 2 Ephes., II, 12.—  3 I Cor XII, 2. —  4 Act., XVII, 30. — 5 Act., XVII, 23. — Jerem., II , 10, 11.

 

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inviolables : et c'est aussi par cette raison qu'on a eu tant de peine d'en retirer ces nations.

 

IIIe PROPOSITION. Ces principes de religion, quoiqu'appliqués à l'idolâtrie et à l'erreur, ont suffi pour établir une constitution stable d'Etat et de gouvernement.

 

Autrement il s'ensuivrait qu'il n'y aurait point de véritable et légitime autorité hors de la vraie religion et de la vraie Eglise : ce qui est contraire à tous les passages où l'on a vu que le gouvernement des empires, même idolâtres, et où règne l'infidélité, était saint, inviolable, ordonné de Dieu et obligatoire en conscience.

La religion du serment reconnue dans toutes les nations, prouve la vérité de notre proposition.

Saint Paul observe deux choses dans la religion du serment (1). L'une, qu'on jure par plus grand que soi. L'autre, qu'on jure par quelque chose d'immuable. D'où le même Apôtre conclut « que le serment fait parmi les hommes le dernier affermissement, la dernière et finale décision des affaires. »

Il y faut encore ajouter une troisième condition : c'est qu'on jure par une puissance qui pénètre le plus secret des consciences; en sorte qu'on ne peut la tromper, ni éviter la punition du parjure.

Cela posé et le serment étant établi parmi toutes les nations, cette religion établit en même temps la sûreté la plus grande qui puisse être parmi les hommes, qui s'assurent les uns les autres par ce qu'ils jugent le plus souverain, le plus stable, et qui seul se fait sentir à la conscience.

C’est pourquoi il a été établi qu’en deux cas, où la justice humaine ne peut rien; dont l'un est quand il faut traiter entre deux puissances égales, et qui n'ont rien au-dessus d'elles; et l'autre est lorsqu'il faut juger des choses cachées, et dont on n'a pour témoin ni pour arbitre que la conscience ; il n'y a point d'autre, moyen d'affermir les choses que par la religion du serment.

 

1 Hebr., VI, 13, 10, 17, 18.

 

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Pour cela il n'est pas absolument nécessaire qu'on jure par le Dieu véritable : et il suffit que chacun jure par le Dieu qu'il reconnaît. Ainsi comme le remarque saint Augustin (1), on affermissait les traités avec les barbares par les serments en leurs dieux. Juratione barbaricâ. Ce que ce Père prouve par le serment qui affermit le traité de paix entre Jacob et Laban, chacun d'eux jurant par son Dieu : Jacob par le vrai Dieu, « qui avait été redouté et révéré par son père Isaac ; » et Laban idolâtre jurant par ses dieux (2) : comme il paraîtra à ceux qui sauront le bien entendre.

        C'est donc ainsi que la religion, vraie ou fausse, établit la bonne foi entre les hommes, parce qu'encore que ce soit aux idolâtres une impiété de jurer par de faux dieux, la bonne foi du serment qui affermit un traité n'a rien d'impie ; étant au contraire en elle-même inviolable et sainte, comme l'enseigne le même docteur au même lieu. C'est pourquoi Dieu n'a pas laissé d'être le vengeur des faux serments entre les infidèles, parce qu'encore que les serments par les faux dieux soient en abomination devant lui, il n'en est pas moins le protecteur de la bonne foi, qu'on veut établir par ce moyen.

Nous avons vu (3) que les nations qui ne connaissaient pas le vrai Dieu, n'ont pas laissé d'affermir leurs lois par les oracles de leurs dieux; cherchant d'établir la justice et l'autorité, c'est-à-dire la tranquillité et la paix, par les moyens les plus inviolables qui se trouvassent parmi les hommes.

Par là ils ont prétendu que leurs lois et leurs magistrats devenaient des choses saintes et sacrées. Et Dieu même n'a pas dédaigné de punir l'irréligion des peuples qui profanaient les temples qu'ils croyaient saints, et les religions qu'ils croyaient véritables, à cause qu'il juge chacun par sa conscience.

Que si l'on demande ce qu'il faudrait dire d'un Etat où l'autorité publique se trouverait établie sans aucune religion : on voit d'abord qu'on n'a pas besoin de répondre à des questions chimériques. De tels Etats ne furent jamais. Les peuples où il n'y a

 

1 Aug., Epist. XLVII, ad Public. n. 2. — 2 Gen., XXXI, 53, etc. — 3 Ci-devant, liv. I, art. 4, VIIe propos.

 

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point de religion sont en même temps sans police, sans véritable subordination et entièrement sauvages. Les hommes n'étant point tenus par la conscience, ne peuvent s'assurer les uns les autres. Dans les empires où les histoires rapportent que les sa-vans et les magistrats méprisent la religion, et sont sans Dieu dans leur cœur, les peuples sont conduits par d'autres principes, et ils ont un culte public.

Si néanmoins il s'en trouvait où le gouvernement fût établi, encore qu'il n'y eût aucune religion (ce qui n'est pas et ne paraît pas pouvoir être), il y faudrait conserver le bien de la société le plus qu'il serait possible : et cet état vaudrait mieux qu'une anarchie absolue, qui est un état de guerre de tous contre tous.

 

IVe PROPOSITION. La véritable religion étant fondée sur des principes certains, rend la constitution des Etats plus stable et plus solide.

 

Quoiqu'il soit vrai que les fausses religions, en ce qu'elles ont de bon et de vrai, qui est qu'il faut reconnaître quelque divinité à laquelle les choses humaines sont soumises, puissent suffire absolument à la constitution des Etats : elles laissent néanmoins toujours, dans le fond des consciences, une incertitude et un doute, qui ne permet pas d'établir une parfaite solidité.

On a honte dans son cœur des fables dont sont composées les fausses religions, et de ce qu'on voit dans les écrits des sages païens. Quand il n'y aurait d'autre mal que celui d'adorer des choses muettes et insensibles, comme les astres, la terre et les éléments : ou que de croire la Divinité figurable, d'en attacher la vertu au bois, à la pierre et aux métaux; et d'adorer les idoles, c'est-à-dire l'ouvrage de ses mains : c'est quelque chose de si insensé et de si bas, qu'on ne peut s'empêcher d'en rougir au dedans de soi : et c'est pourquoi les sages païens n'en voulaient rien croire, encore qu'à l'extérieur ils se conformassent aux coutumes populaires, comme saint Paul le leur a reproché (1).

De là vient l'irréligion : et l'athéisme prend facilement racine

 

1 Rom., I, 20, etc.

 

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dans de telles religions : comme il paraît par l'exemple des épicuriens, avec lesquels saint Paul disputait (1).

Cette secte n'admettait des dieux qu'en paroles et par politique, pour se soustraire à la haine et aux châtiments publics. Mais au reste tout le monde savait que les dieux que les épicuriens admettaient, sans soin des choses humaines, sans puissance et sans providence, ne faisaient aucun bien, et n'appuyaient en aucune sorte la foi publique. On les tolérait toutefois, encore que leur déisme fût au fond un vrai athéisme; et que leur doctrine, qui flattait les sens, gagnât publiquement le dessus parmi les gens qui se piquaient d'avoir de l'esprit.

Les stoïciens, qui leur étaient opposés, contre lesquels saint Paul disputa aussi (2), n'avaient pas une opinion plus favorable à la Divinité, puisqu'ils faisaient un dieu de leur sage, et même le préféraient à leur Jupiter.

Ainsi les fausses religions n'avaient rien qui se soutint. Aussi ne consistaient-elles que dans un zèle aveugle, séditieux, turbulent, intéressé, plein d'ignorance, confus et sans ordre ni raison : comme il paraît dans l'assemblée confuse et tumultueuse des Ephésiens, et dans leurs clameurs insensées en faveur de leur grande Diane (3). Ce qui est bien éloigné du bon ordre, et de la stabilité raisonnable qui constitue les Etats : c'est cependant la suite inévitable de l'erreur. Il faut donc chercher le fondement solide des Etats dans la vérité, qui est la mère de la paix : et la vérité ne se trouve que dans la véritable religion.

 

ARTICLE III. Que la véritable religion se fait connaître par des marques sensibles.

 

Ire PROPOSITION. La vraie religion a pour marque manifeste son antiquité.

 

« Souvenez-vous des anciens jours ; pensez à toutes les générations particulières : interrogez votre père, et il vous l'annoncera :

 

1 Act., XVII, 18. — 2 Ibid. — 3 Ibid., XIX, 24, 28, 34, etc.

 

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demandez à vos ancêtres, et ils vous le diront (1).» C'est le témoignage qu'en rendait Moïse à tout le peuple dans ce dernier cantique qu'il lui laissait comme l'abrégé et le mémorial éternel de son instruction. D'où il conclut : « N'est ce pas Dieu qui est votre père, qui vous a possédés, qui vous a faits, qui vous a créés (2)? » Voilà sur quoi il fonde la religion.

Salomon dit la même chose : « N'outrepassez point les bornes que vos pères ont établies (3). » Ne changez rien, n'innovez rien.

Jérémie a encore donné ce grand caractère à la religion, pour détruire les nouveautés que le peuple y introduisait (a). « Tenez-vous, dit-il, sur les grands chemins, et informez-vous des voies anciennes, et quelle est la bonne voie, et marchez-y : et vous trouverez la consolation et le rafraîchissement de vos âmes (4). »

Tout cela veut dire qu'en quelque état qu'on regarde la religion et en quelque temps qu'on se trouve, on verra toujours ses ancêtres, et même son père devant soi : on trouvera toujours des bornes posées, qu'il n'est pas permis d'outrepasser : on verra toujours devant soi le chemin battu, dans lequel on ne s'égare jamais.

Les apôtres ont donné le même caractère à l'Eglise chrétienne. « O Timothée (ô homme de Dieu, ô pasteur, ô prédicateur, qui que vous soyez, et en quelque temps que vous veniez) : gardez le dépôt qui vous a été confié (une chose qui vous a été laissée, que vous trouverez toujours toute établie dans l'Eglise) : évitant les profanes nouveautés dans les paroles. » Ce que l'Apôtre répète par deux fois (5).

Le moyen que les apôtres ont laissé à l'Eglise pour cela, est celui-ci, que saint Paul marque au même Timothée : « Mon fils, fortifiez-vous dans la grâce qui est en Jésus-Christ. Et ce que vous avez ouï de moi en présence de plusieurs témoins, laissez-le, et le confiez à des hommes fidèles qui soient capables d'en instruire d'autres (6). »

Jésus-Christ avait proposé le même moyen, et l'avait rendu

 

1 Deut., XXXII, 7.— 2 Ibid., 6. — 3 Prov., XXII, 28. — 4 Jerem., VI, 16. — 5 I Tim., VI, 20; II Tim., II, 16. — 6 II Tim., 1, 2.

 

(a) 1e Edit. Que le peuple introduisait.

 

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éternel, en disant à ses apôtres et en leurs personnes à leurs successeurs, selon le ministère qu'il leur a commis : « Allez, enseignez, baptisez : et moi je suis avec vous, tous les jours (sans interruption), jusqu'à la fin des siècles (1) : » parce qu'il promet qu'il n'y aura jamais d'interruption dans cette suite du ministère extérieur. Ce qui se confirme encore par cette parole : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise : et les portes d'enfer ne prévaudront point contre elle (2). » D'où il s'ensuit qu'en quelque temps et en quelque état qu'on soit, on trouvera toujours l'Eglise ferme : Jésus-Christ toujours avec ses pasteurs : la bonne doctrine par conséquent toujours établie et venue de main en main. Ce qui fera qu'on dira en tout temps : Je crois l'Eglise catholique. Et toujours avec saint Paul : « Si quelqu'un vous annonce et vous donne pour évangile autre chose que ce que vous avez reçu, qu'il soit anathème (3). »

Sur ce fondement, en quelque état et en quelque temps qu'on se trouve après Jésus-Christ, on possédera toujours la vérité, en allant devant soi dans le chemin battu par nos pères : en révérant les bornes qu'ils ont posées : et en les interrogeant de ce qu'ils croyaient. Par ce moyen, de proche en proche, on trouvera Jésus-Christ : lorsqu'on y sera arrivé, on interrogera encore ses pères, et on trouvera qu'ils croyaient le même Dieu, et attendaient le même Christ à venir : sans qu'il intervienne d'autre changement entre hier et aujourd'hui, sinon celui d'attendre hier, celui qu'aujourd'hui on croit venu. Ce qui fait dire à l’Apôtre : « Dieu que je sers, selon la foi qui m'a été laissée par mes ancêtres (4). » Et parlant à Timothée : « Souvenez-vous de la foi qui est en vous, sans fiction : et qui a premièrement habité (comme dans un lieu permanent et dans une demeure ordinaire), dans votre aïeule Loïde et dans votre mère Eunice (5). » Et encore plus généralement : « Jésus-Christ était hier, et aujourd'hui, et il est aux siècles des siècles. » D'où le même apôtre conclut : « Ne vous laissez point emporter à des doctrines variables et étrangères (6). »

 

1 Matth., XXVIII, 19, 20. — 2 Matth., XVI, 18. — 3 Gal., I, 9. — 4 II Tim., I, 3. — 5 Ibid., 5. — 6 Hebr., XIII, 8. 9.

 

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Par ce moyen, après la succession de l'Eglise qui a son commencement dans les apôtres et en Jésus-Christ, vous venez à celle de la loi et de ses pontifes, qui ont leur commencement dans Moïse et dans Aaron. C'est là que Moïse nous apprend à interroger encore nos pères : et on trouve qu'ils adoraient le Dieu d'Abraham, d’Isaac et de Jacob, qui adoraient celui de Melchisédech, qui adorait celui de Sem et de Noé, qui adorait celui d'Adam : dont la mémoire était récente, la tradition toute fraîche, le culte très-bien établi et très-connu. De sorte qu'en quelque temps donné que ce puisse être, en remontant de proche en proche, on vient à Adam et au commencement de l'univers par un enchaînement manifeste.

 

IIe PROPOSITION. Toutes les fausses religions ont pour marque manifeste leur innovation.

 

Pour confondre les idolâtries des rois de Juda, même dans les temps les plus ténébreux : celle d'Achaz, de Manassés, d'Amon, de Joachaz et de ses enfants, jusqu'au dernier roi qui fut Sédécias, il ne faut que leur dire avec Moïse : « Interrogez votre père, demandez à vos ancêtres (2). » Et sans recourir jusqu'à eux et remonter jusqu'à l'origine des histoires oubliées, il n'y avait qu'à leur dire : Interrogez Josias, dont la mémoire est toute récente : interrogez Ezéchias : interrogez Manassés lui-même, dont les égarements ont été les plus extrêmes ; et souvenez-vous de la pénitence par laquelle Dieu l'a fait revenir au culte de son père Ezéchias. Au-dessus d'Ezéchias et du temps d'Achaz, interrogez Ozias son père, son aïeul Joatham et son bisaïeul Amasias : interrogez Josaphat, interrogez Asa : voyez quelle religion ils ont suivie. Pour confondre Abiam et son père Roboam fils de Salomon, qui à la fin se sont égarés, obligez-les à interroger Salomon : s'ils vous objectent ses dernières actions, rappelez-leur les premières, lorsque la sagesse de Dieu était en lui si visiblement. Montrez-leur David et Samuel qui l'a oint : et Héli, sous qui Samuel s'était formé : et de proche en proche tous les juges jusqu'à

 

1 Deut., XXXII, 6, 7.

 

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Josué; et immédiatement au-dessus de Josué, Moïse même. Mais Moïse vous renvoie à vos ancêtres, et il ne fait que vous montrer des patriarches, dont la mémoire était toute fraîche jusqu'à Abraham, et le reste que nous avons dit.

Il est vrai que dans cette suite, il y avait souvent eu de mauvais exemples : et c'est pourquoi il est dit de certains rois qu'ils firent mal devant le Seigneur, comme de Joakim et de ses successeurs : « Celui-ci fit mal devant le Seigneur, ainsi qu'avaient fait ses pères ». » Et en général de tout le peuple : « Ils firent mal comme leurs pères, qui ne voulaient point obéir au Seigneur (1). » Cependant à travers la suite des mauvais exemples que souvent on recevait de ses derniers pères, il était toujours aisé de démêler ceux qui demeuraient dans la foi des anciens pères et ceux qui l'abandonnaient. De sorte qu'on disait toujours : Interrogez vos ancêtres et le Dieu de vos pères.

 

IIIe PROPOSITION. La suite du sacerdoce rend cette marque sensible.

 

La succession du sacerdoce marquait aussi la suite de la religion. Le sang de Lévi une fois consacré à cet office, n'a jamais cessé de donner des ministres au temple et à l'autel : d'Aaron et de ses enfants sortis de Lévi, sont toujours sortis des pontifes et des sacrificateurs, sans que jamais la succession du sacerdoce ait été interrompue pour peu que ce fût : et parmi ces sacrificateurs il y en a toujours eu qui conservaient le vrai culte, les vrais sacrifices et toute la religion établie de Dieu par Moïse. Témoins « les sacrificateurs enfants de Sadoc, qui ont toujours conservé, dit le Seigneur, les cérémonies de mon sanctuaire, pendant que les enfants d'Israël et même ceux de Lévi s'égaraient (3). »

Tout ce qu'on chantait dans le temple, les Psaumes de David et des autres que tout le peuple savait par cœur, le temple même, l'autel même, la pâque, la circoncision et tout le reste des observances légales, étaient en témoignage (a) aux errants. Tout

 

1 IV Reg., XXIII, 32, 37. —  2 Ibid., XVII, 14. — 2 Ezech., XLVIII, 11.

(a) IIe Edit. : Un témoignage.

 

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rappelait à David, à Moïse, à Abraham, à Dieu créateur de tout, et toujours de proche en proche : en sorte qu'il n'y avait qu'à ouvrir les yeux, pour reconnaître la suite de la religion toute manifeste par des faits constants et sans aucun embarras, pourvu seulement qu'on voulût voir.

Le schisme de Jéroboam avait de pareilles marques d'innovation. Car la mémoire du temple bâti par Salomon était récente. Il n'était pas moins visible que Salomon n'avait fait que suivre les desseins de son père David, qui lui-même n'avait fait autre chose que de désigner selon les préceptes tant de fois réitérés par Moise, le lieu où le Seigneur voulait être servi.

Ainsi Jéroboam et les schismatiques qui le suivaient, n'avaient qu'à interroger leurs pères : et même qu'à se souvenir, pare qu'ils avaient vu de leurs yeux sous Salomon et sous David, dans le temps où tout le peuple était réuni dans un même culte et où tout Israël était d'accord, que c'était en sa pureté le culte établi par Moïse, dont tous recevaient les oracles.

Il n'était pas moins évident que les schismatiques s'étaient retirés des lévites enfants de Lévi, et des sacrificateurs enfants d'Aaron ; à qui toute la nation et les schismatiques eux-mêmes, ne pouvaient pas ignorer que Dieu n'eût donné le sacerdoce, et tout le ministère de la religion.

Jéroboam savait bien lui-même qu'Ahias, prophète du Seigneur, qui lui avait prédit qu'il serait roi, servait le Dieu de ses pères, et détestait ses veaux d'or. Il continue dans son schisme à le consulter, et en reçoit de dures réponses suivies d'un prompt effet Il était notoire à tout le monde, que les veaux d'or de Jéroboam n'avaient été érigés que par une pure politique, contre les maximes véritables de la religion; comme il a été expliqué ailleurs. Et enfin il n'y avait rien de plus évident que ce que disait Abia, fils de Roboam, aux: schismatiques, pour les rappeler à  l’unité de leurs frères : « Dieu (qui a toujours été notre roi) possède encore le royaume par les enfants de David. Il est vrai que vous avez parmi vous un grand peuple, et les veaux d'or vos nouveaux dieux que Jéroboam a fabriqués (2). » Mais vous avez

 

1 III Reg., XIV, 1, 2 et seq. — 2 II Par., XIII, 8, 9, 10, 12.

 

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rejeté les sacrificateurs du Seigneur, les enfants d'Aaron et les lévites » (que vous-mêmes vous reconnaissiez avec nous, et à qui vous savez bien que Dieu a donné le sacerdoce par Moïse) : « et vous vous êtes fait des sacrificateurs, comme les autres peuples du monde » (sans succession, sans ordre de Dieu ) : « le premier venu est fait sacrificateur. Pour nous, notre Seigneur c'est Dieu même, que nous n'avons point abandonné : et nous persistons à reconnaître les sacrificateurs qu'il nous a donnés, qui sont les enfants d'Aaron et les Lévites, chacun en son rang. Ainsi Dieu est dans notre armée avec ses sacrificateurs qu'il a établis. Enfants d'Israël, ne combattez point contre le Seigneur votre Dieu : car cela ne vous sera point utile (1).» C'était ouvertement combattre contre Dieu, que d'innover si manifestement dans la religion, et que d'en mépriser tous les monuments (a) qui restaient encore.

 

IVe PROPOSITION. Cette marque d'innovation est ineffaçable.

 

Le long temps n'effaçait point cette tache. On se souvenait toujours de David et de Salomon, sous qui toutes les tribus étaient unies. On ne se souvenait pas moins distinctement de Jéroboam, qui les avait séparées. Deux ou trois cents ans après le schisme, Ezéchias disait encore aux schismatiques : « Enfants d'Israël, retournez au Seigneur Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob (2).» On leur parlait d'y retourner, comme à ceux qui s'en étaient séparés. « Ne soyez point, poursuivait-il, comme vos pères et vos frères, qui se sont retirés du Dieu de leurs pères (3). » On leur apprenait à distinguer leurs derniers pères des premiers, dont on s'était séparé. « N'imitez pas vos pères, qui se sont retirés des leurs. Suivez le Dieu de vos pères, et remontez à la source. Venez à son sanctuaire, qu'il a sanctifié pour toujours (4).» Ce n'était pas pour un temps que David et Salomon avaient fait le temple en exécution de la loi de Moïse : « Servez donc le Dieu de vos pères ; » le Dieu de Salomon et de David, qui était sans contestation celui de Moïse et celui d'Abraham.

 

1 II Paralip., XIII, 8, 9, 10, 12.— 2 II Paralip., XXX, 6. — 3 Ibid., 7.— 4 Ibid., 8.

(a) IIe Edit. Les mouvements.

 

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Le caractère du schisme était d'avoir rompu cette chaîne. Cette marque d'innovation suit les schismatiques de génération en génération ; et une tache de cette nature ne se peut jamais effacer.

 

Ve PROPOSITION. La même marque est donnée pour connaître les schismatiques séparés de l'Eglise chrétienne.

 

Ainsi en est-il arrivé à tous ceux qui ont fait de nouvelles sectes dans la religion, et autant parmi les chrétiens que parmi les Juifs. L'apôtre saint Jude leur a donné pour caractère « de se séparer eux-mêmes (1). » Et il a expressément marqué que c'était là l'instruction commune que tous les apôtres avaient laissée aux églises. « Pour vous, dit-il, mes bien-aimés, souvenez-vous des paroles de la prédiction des apôtres : qu'il viendrait dans les derniers temps des trompeurs, qui marcheraient selon leurs désirs dans leurs impiétés (2). » Pour les connaître sans difficulté voici leur marque : « Ce sont ceux, ajoute-t-il, qui se séparent eux-mêmes. » C'est une tache ineffaçable : et les apôtres, qui craignaient pour les fidèles la séduction de ces trompeurs, se sont accordés à en donner ce caractère sensible. Ils rompront avec tout le monde ; ils renonceront à la religion qu'ils trouveront établie, et s'en sépareront. Ils ont toujours sur le front ce caractère d'innovation, selon la prédiction des apôtres.

Nulle hérésie ne s'en est sauvée, quoi qu'elle ait pu faire. Ariens, macédoniens, nestoriens, pélagiens, eutychiens, tous les autres, dans quelques siècles qu'ils aient paru, loin ou proche de nous, portent dans leur nom, qui vient de celui de leur auteur, la marque de leur nouveauté. Ou nommera éternellement Jéroboam, qui s'est séparé et qui a fait pécher Israël. Le schisme est toujours connu par son auteur : la plaie ne se ferme pas par le temps; et pour peu qu'on y regarde de près, la rupture paraît toujours fraîche et sanglante.

 

1 Ep. Jud., 19. — 2 Ibid., 17, 18, 19.

 

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VIe PROPOSITION. Il ne suffit pas de conserver la saine doctrine sur les fondements de la foi : il faut en tout et partout être uni à la vraie Eglise.

 

Les Samaritains adoraient le vrai Dieu, qui était le Dieu de Jacob; et ils attendaient le Messie. La Samaritaine déclare l'un et l'autre, lorsqu'elle dit au Sauveur : « Nos pères ont adoré dans cette montagne (1). » Et un peu après : « Le Christ va venir, et nous apprendra toutes choses (2). » Doctrine qu'on sait d'ailleurs avoir été commune aux Samaritains avec le peuple de Dieu. Et néanmoins , parce qu'ils étaient séparés de Jérusalem et du temple, sans communiquer à la vraie Eglise et à la tige du peuple de Dieu, cette femme reçoit cette sentence de la bouche du Fils de Dieu : « Vous adorez ce que vous ne savez pas : pour nous (pour nous autres Juifs), nous adorons ce que nous savons, et le salut vient des Juifs (3). » C'est de nous que viendra le Christ ; c'est parmi nous qu'il le faut chercher, et il n'y a de salut que parmi les Juifs.

Ainsi en est-il de tous les schismes; et c'est en vain qu'on s'y glorifie d'avoir conservé les fondements du salut.

 

VIIe PROPOSITION. Il faut toujours revenir à l'origine.

 

Quelque temps qu'ait duré un schisme, il ne prescrira jamais contre la vérité. Le schisme de Samarie avait sa première origine dans celui de Jéroboam ; et il y avait près de mille ans qu'il subsistait, quand le Fils de Dieu le réprouva par la sentence qu'on vient d'entendre.

Les Chutéens appelés depuis les Samaritains, avaient été introduits dans la terre des dix tribus séparées, que les Assyriens en avaient chassées (4). Leur religion naturelle était le culte des idoles ; mais instruits par un prêtre des Israélites, ils y joignirent quelque chose du culte de Dieu, suivant que le pratiquaient les schismatiques. Ils étaient donc à leur place, et leur succédèrent ; mais

 

1 Joan., IV, 20. — 2 Ibid., 25. — 3 Ibid., 22. — 4 IV Reg., XVII, 24 et seq.

 

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quoiqu'ils se soient corrigés dans la suite, et du faux culte des Israélites, et de leurs idolâtries particulières, ne rendant plus d'adoration ni de culte qu'au vrai Dieu : tout cela et le long temps de leur séparation fut inutile ; et Jésus-Christ a décidé qu'il n'y avait de salut pour eux qu'en revenant à la tige.

 

VIIIe PROPOSITION. L'origine du schisme est aisée à trouver.

 

La connaissance de l'origine de celui des Samaritains dépendait de certains faits qui étaient notoires; telle qu'était l'histoire de Jéroboam et de la première séparation des dix tribus après le règne de David et de Salomon, où tout le peuple était uni. Ce commencement ne s'oublie jamais : et on oublierait aussitôt son père et sa mère que David et Salomon et Jéroboam, dont le dernier avait séparé ce que les deux autres avaient conservé dans l'union qu'on avait toujours gardée avant eux.

Ce mal ne se répare point. Après cent générations on trouve encore le commencement, c'est-à dire la fausseté de sa religion. Ce qui rend ce commencement et la date du schisme manifeste dans toutes les sectes séparées qui sont ou qui furent jamais, c'est qu'il y a toujours un point où l'on demeure court, sans qu'on puisse remonter plus haut. Il n'en était pas ainsi du vrai peuple, à qui la succession de ses prêtres et de ses lévites rendait témoignage : tout parlait pour lui, le temple même et la cité sainte, dont il était en possession de tout temps. Mais au contraire les schismatiques de Samarie ne pouvaient jamais établir leur succession, ni remonter jusqu'à la source, ni par conséquent effacer la marque de la rupture. C'est pourquoi le Fils de Dieu prononce contre eux la condamnation qu'on a ouïe.

Tous les schismes ont la même marque. Encore que le sacerdoce ou le ministère chrétien ne suive pas la trace du sang, comme celui de l'ancien peuple, la succession n'en est pas moins assurée. Les pontifes, ou les évêques du christianisme, se suivent les uns les autres, sans interruption ni dans les sièges ni dans la doctrine ; mais le novateur, qui change la doctrine de son

 

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prédécesseur, il se fera remarquer par son innovation. Les catéchismes, les rituels, les livres de prières, les temples mêmes et les autels, où son prédécesseur et lui-même avant l'innovation ont servi Dieu, porteront témoignage contre lui. C'est ce qui faisait dire à Jésus-Christ : « Vous adorez ce que vous ne savez pas (1). » Vous ne savez pas l'origine, ni de la religion, ni de l'alliance. « Pour nous (pour les Juifs du nombre desquels je suis), nous adorons ce que nous savons. » Nous en connaissons l'origine, jusqu'à la source de Moïse et d'Abraham : et le salut n'est que pour nous.

 

IXe PROPOSITION. Le prince doit employer son autorité pour détruire dans son Etat les fausses religions.

 

Ainsi Asa, ainsi Ezéchias, ainsi Josias, mirent en poudre les idoles que leurs peuples adoraient. Il ne leur servit de rien d'avoir été érigés par les rois : ils en abattirent les temples et les autels : ils en brisèrent lés vaisseaux qui servaient à l'idolâtrie : ils en brûlèrent les bois sacrés : ils en exterminèrent les sacrificateurs et les devins : et ils purgèrent la terre de toutes ces impuretés (2). Leur zèle n'épargna pas les personnes les plus augustes, ou qui leur étaient les plus proches : ni les choses les plus vénérables, dont le peuple abusait par un faux culte. Asa ôta à sa mère Maacha, fille d'Absalon, la dignité qu'elle prétendait se donner en présidant au culte d'un Dieu infâme : et pour la punir de son impiété, il fut contraint de la dépouiller de la marque de la royauté (3). On gardait religieusement le serpent d'airain, que Moïse avait érigé dans le désert par ordre de Dieu. Ce serpent, qui était la figure de Jésus-Christ (4) et un monument des miracles que Dieu avait opérés par cette statue (5), était précieux à tout le peuple. Mais Ezéchias ne laissa pas de le mettre en pièces (6), et lui donna un nom de mépris, parce que le peuple en fit une idole et lui brûla de l'encens. Jéhu est loué de Dieu pour avoir fait mourir les faux prophètes de Baal, qui séduisaient le peuple, sans en

 

1 Joan., IV, 22. — 2 III Reg., XV, 11, 12, 13; IV Reg., XVIII, 4 ; XXIII, 5, 6, 7 et seq. II Par., XIV, 2, 3, 4, 5; XV, 8 ; XXXIV, 1, 2, 3 et seq. — 3 III Reg., XV, 2, 13. II Part. XV, 16. — 4 Joan., III, 14. — 5  Num., XXI, 9. — 6 IV Reg., XVIII, 4.

 

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laisser échapper un seul (1) : et en cela il ne faisait qu’imiter le zèle d'Elie (2). Nabuchodonosor fit publier par tout son empire un édit où il reconnaissait la gloire du Dieu d'Israël, et condamnait sans miséricorde à la mort ceux qui blasphémaient son nom (3).

 

Xe PROPOSITION. On peut employer la rigueur contre les observateurs des fausses religions : mais la douceur est préférable.

 

« Le prince est ministre de Dieu. Ce n'est pas en vain qu'il porte l'épée : quiconque fait mal, le doit craindre comme le vengeur de son crime (4). » Il est le protecteur du repos public, qui est appuyé sur la religion ; et il doit soutenir son trône, dont elle est le fondement, comme on a vu. Ceux qui ne veulent pas souffrir que le prince use de rigueur en matière de religion, parce que la religion doit être libre, sont dans une erreur impie. Autrement il faudrait souffrir dans tous les sujets et dans tout l'Etat, l'idolâtrie, le mahométisme, le judaïsme, toute fausse religion, le blasphème, l'athéisme même, et les plus grands crimes seraient les plus impunis.

    Ce n'est pourtant qu'à l'extrémité qu'il en faut venir aux rigueurs, surtout aux dernières. Abia était armé contre les rebelles et les schismatiques d'Israël (5) : mais avant que de combattre, il fait précéder la charitable invitation que nous avons vue.

    Ces schismatiques étaient abattus, et leur royaume détruit sous Ezéchias et sous Josias ; et ces princes étaient très-puissants. Mais sans employer la force, Ezéchias envoya des ambassadeurs dans toute l'étendue de ce royaume, « depuis Bersabée jusqu'à Dan, pour les inviter en son nom et au nom de tout le peuple à la pâque (6) » qu'il préparait avec une magnificence royale. Tout respire la compassion et la douceur dans les lettres qu'il leur adresse. « Et quoique ceux de Manassé, d'Ephraïm et de Zabulon, se moquassent avec insulte de cette invitation charitable, » il ne

 

1 IV Reg., X, 25, 26, 30. — 2 III Reg., XVIII, 40. — 3 Dan., III, 96, 98. Ibid., IV, 4 et seq., 34. — 4 Rom., XIII, 4. —  5 II Paral., XIII, 9 et seq. — 6 Ibid., XXX, 5 et seq.

 

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prit point de là occasion de les maltraiter, et il en eut pitié comme de malades.

« Ne vous endurcissez pas, leur disait-il, contre le Dieu de vos pères : soumettez-vous au Seigneur, et venez à son sanctuaire qu'il a sanctifié pour toujours : servez le Dieu de vos pères, et sa colère se détournera de dessus vous. Si vous retournez au Seigneur, vos frères et vos enfants, que les Assyriens tiennent captifs, trouveront miséricorde devant leurs maîtres; et ils reviendront en cette terre : car le Seigneur est bon, pitoyable et clément ; et il i:e détournera pas sa face de vous, si vous retournez à lui (1).  »

Pour Josias, il se contenta de « renverser l'autel de Bethel, que Jéroboam avait érigé contre l'autel de Dieu : et tous les autels érigés dans la ville de Samarie, et dans les tribus de Manassé, d'Ephraïm et de Siméon, jusqu'à Nephtali (2). » Mais il n'eut que de la pitié pour les enfants d'Israël, et ne leur fit aucune violence; ne songeant qu'à les ramener doucement au Dieu de leur? pères, et faisant faire d'humbles prières pour les restes d'Israël et de Juda (3).

Les princes chrétiens ont imité ces exemples, mêlant selon l'occurrence la rigueur à la condescendance. Il y a de fausses religions qu'ils ont cru devoir bannir de leurs Etats sous peine de mort; mais je ne veux exposer ici que la conduite qu'ils ont tenue contre les schismes et les hérésies. Ils en ont ordinairement banni les auteurs. Pour leurs sectateurs, en les plaignant comme des malades, ils ont employé avant toutes choses, pour les ramener, de douces invitations. L'empereur Constant, fils de Constantin, fit porter aux donatistes des aumônes abondantes, sans y ajouter autre chose qu'une exhortation pour retourner à l'unité, dont ils s'étaient séparés par un aheurtement et une insolence inouïe. Quand les empereurs virent que ces opiniâtres abusaient de leur honte, et s'endurcissaient dans l'erreur, ils firent des lois pénales, qui consistaient principalement à des amendes (a) considérables.

 

1 II Par., XXX, 8,9. — 2 IV Reg., XXIII, 15, 19. II Paralip., XXXIV, 6.— 3 II Paral., XXXIV, 21.

(a) IIe. Edit. En des amendes.

 

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Ils en vinrent jusqu'à leur ôter la disposition de leurs biens, et à les rendre intestables. L'Eglise les remerciait de ces lois ; mais elle demandait toujours qu'on n'en vînt point au dernier supplice, que les princes aussi n'ordonnaient que dans les cas où la sédition et le sacrilège étaient unis à l'hérésie. Telle fut la conduite du quatrième siècle. En d'autres temps on a usé de châtiments plus rigoureux : et c'est principalement envers les sectes qu'une haine envenimée contre l'Eglise, un aheurtement impie, un esprit de sédition et de révolte, portait à la fureur, à la violence et au sacrilège.

 

XIe PROPOSITION. Le prince ne peut rien faire de plus efficace, pour attirer les peuples à la religion, que de donner bon exemple.

 

« Tel qu'est le juge du peuple, tels sont ses ministres : tel qu'est le souverain d'un Etat, tels en sont les citoyens   »

« Dès l'Age de huit ans, le roi Josias marcha dans les voies de son père David, sans se détourner ni à droite ni à gauche. A seize ans, et dans la huitième année de son règne, pendant qu'il était encore enfant, il commença à rechercher (avec un soin particulier) le Dieu de son père David (2). » A vingt ans et à la douzième année de son règne, il renversa les idoles, non-seulement dans tout son royaume, mais encore dans tout le royaume d'Israël, qui était de l'ancien domaine de la maison de David, quoiqu'alors assujetti par les Assyriens.

« A la dix-huitième année de son règne, il renouvela l'alliance de tout le peuple avec Dieu, étant debout sur le degré du temple, à la vue de tout le peuple, qui jura solennellement après lui de marcher dans toutes les voies du Seigneur : et tout le monde acquiesça à ce pacte. Il ôta donc de dessus la terre et de toutes les régions, non-seulement de Juda, mais encore d'Israël, toutes les abominations. Et il fit que tout ce qui restait d'Israël (et les dix tribus autant que les autres) servirent le Seigneur leur Dieu. Durant tous les jours de Josias, ils ne s'éloignèrent point du Seigneur

 

1 Eccli., X, 2. — 2 IV Reg., XXII, 1, 2. II Paralip., XXXIV, 1,    3.

 

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Dieu de leurs pères (1). » Tant a de force dans un roi l'exemple d'une vertu commencée dès l'enfance, et continuée constamment durant tout le cours de la vie.

 

XIIe PROPOSITION. Le prince doit étudier la loi de Dieu.

 

« Quand le roi sera assis sur le trône de son empire, il fera décrire en un volume la loi du Deutéronome (qui est l'abrégé de toute la loi de Moïse), dont il recevra un exemplaire des sacrificateurs de la race de Lévi : et il l'aura avec lui, et il le lira tous les jours de sa vie, afin qu'il apprenne à craindre le Seigneur son Dieu, et à garder ses paroles (2). » Il doit faire de la loi de Dieu la loi fondamentale de son royaume.

On voit ici deux grands préceptes pour les rois. L'un, de recevoir la loi de Dieu des mains des Lévites, afin que la copie qu'ils en auront soit sure, sans altération et conforme à celle qui se lisait dans le temple. L'autre, de prendre son temps pour en lire ce qu'il pourra avec attention. Dieu ne lui ordonne pas d'en lire beaucoup à la fois : mais de se faire une habitude de la méditer, et de compter cette sainte lecture parmi ses affaires capitales. Heureux le prince qui lirait ainsi l'Evangile : à la fin il se trouverait bien récompensé de sa peine.

 

XIIIe PROPOSITION. Le prince est exécuteur de la loi de Dieu.

 

C'est pourquoi l'une des principales cérémonies du sacre des rois de Juda, était de lui mettre en main la loi de Dieu. « Ils prirent le fils du roi, et ils lui mirent le diadème sur le front, et la loi de Dieu à la main ; et le pontife Joïada l'oignit avec ses enfants , et ils crièrent : Vive le roi (3) ! » Qu'il vive, en employant sa puissance pour faire servir Dieu qui la lui donne, et qu'il tienne la main à l'exécution de sa loi !

C'est ce que David lui prescrit par ces paroles : « Maintenant,

 

1 IV Reg., XXII, 3; XXIII, 2. 3, etc. II Paralip., XXXIV, 8, 29, 30, etc. — 2 Deut., XVII, 18, 19. Voyez ci-devant, liv. V, art. 1, IXe propos. — 3 II Par., XXIII, 11.

 

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ô rois, entendez : instruisez-vous, arbitres de la terre : servez le Seigneur en crainte (1). » Servez-le comme tous les autres : car vous êtes avec (a) tous les autres ses sujets : mais servez-le comme rois, dit saint Augustin, en faisant servir à son culte votre puissance royale, et que vos lois soutiennent les siennes.

De là vient que les lois des empereurs chrétiens, et en particulier celles de nos anciens rois, Clovis, Charlemagne et ainsi des autres, sont pleines de sévères ordonnances contre ceux qui manquaient à la loi de Dieu : et on les mettait à la tète, pour servir de fondement aux lois politiques. De quoi nous verrons peut-être un plus grand détail.

 

XIVe PROPOSITION. Le prince doit procurer que le peuple soit instruit de la loi de Dieu.

 

« A la troisième année de son règne, Josaphat envoya les grands du royaume, et avec eux plusieurs lévites et deux prêtres : et ils enseignaient le peuple, ayant en main la loi du Seigneur : et ils allaient par toutes les villes du royaume de Juda, et ils instruisaient le peuple (2). »

Le prince ne doit régner que pour le bien du peuple, dont il est le père et le juge. Et si Dieu a ordonné aussi expressément aux rois d'écrire eux-mêmes le livre de la loi, d'en avoir toujours avec eux un exemplaire authentique, de le lire tous les jours de leur vie, comme nous l'avons déjà remarqué : on ne peut douter que ce ne soit principalement pour les rendre capables d'en instruire leurs peuples, et de leur en procurer l'intelligence ; comme fit le vaillant et pieux roi Josaphat.

Quel soin, quel empressement ne voyons-nous pas encore dans le roi Josias d'écouter cette loi, et d'en faire lui-même la lecture au peuple, aussitôt que le grand-prêtre Helcias lui eut remis entre les mains l'exemplaire authentique du Deutéronome, qui avait été égaré dès les premières années du règne de l'impie Manassés son aïeul, et que ce pontife venait de retrouver dans le

 

1 Ps. II, 10. — 2 II Par., XVII, 1, 8, 9. Ci-devant liv. V, art. 1, XVIIIe propos.

(a) Ire Edit. : Comme...

 

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temple du Seigneur? « Le roi ayant fait assembler tous les anciens de Juda et de Jérusalem, il monta au temple du Seigneur, accompagné de tous les hommes de Juda et des citoyens de Jérusalem, des prêtres, des lévites, des prophètes et de tout le peuple, depuis le plus petit jusqu'au plus grand. Ils se mirent tous à écouter dans la maison du Seigneur : et le roi leur lut toutes les paroles de ce livre de l'alliance, qui avait été trouvé dans la maison du Seigneur (1).»

L'Ecriture nous fait assez entendre qu'on devait imputer la principale cause des désordres et des impiétés auxquelles s'étaient abandonnés les rois de Juda, prédécesseurs de Josias, aussi bien que la juste vengeance que le Seigneur allait exercer sur eux, à la négligence qu'ils avaient eue de s'instruire sur la loi de Dieu, et à l'ignorance profonde de cette loi où ils avaient laissé tomber le peuple. « Car, dit ce prince, la colère du Seigneur s'est embrasée contre nous, et est prête de fondre sur nos têtes, parce que nos pères n'ont point écouté les paroles du Seigneur, et n'ont point accompli ce qui a été écrit dans ce Livre (2). »

En effet leur négligence avait été portée à un tel excès, que ces rois avaient laissé égarer l'exemplaire authentique du Deutéronome, que Moïse avait mis en dépôt à côté de l'arche d'alliance, et qui fut retrouvé du temps de Josias.

Ce fut aussi sans doute pour récompenser le zèle dont fut rempli ce saint roi en cette mémorable occasion, que Dieu l'exempta expressément de la sentence terrible qu'il avait prononcée contre les rois de Juda. « Quant au roi de Juda, qui nous a envoyés ici pour prier et pour consulter le Seigneur, répondit aux envoyés de Josias la prophétesse Olda inspirée de Dieu, voici ce que dit le Seigneur Dieu d'Israël : Parce que vous avez écouté les paroles de ce livre (que vous en avez pénétré le sens, que vous en avez instruit votre peuple), que votre cœur en a été attendri, que vous vous êtes humilié devant moi en entendant les maux dont j'ai menacé Jérusalem et ses habitants : je vous ai aussi exaucé, dit le Seigneur. Je vous ferai reposer avec vos pères : vous serez mis

 

1 IV Reg., XXIII, 1, 2. II Paralip., XXXIV, 29, 30. — 2 IV Reg., XXII, 13. II Paralip., XXXIV, 21.

 

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en paix dans votre tombeau, et vos yeux ne verront point tous les malheurs que je dois faire tomber sur cette ville et sur ses habitants (1).» Juste récompense de la sainte ardeur qu'eut ce prince pieux, d'écouter la loi de Dieu, de s'y rendre attentif, et d'en avoir procuré l'intelligence à son peuple.

 

ARTICLE IV. Erreurs des hommes du monde et des politiques, sur les affaires et les exercices de la religion.

 

Ie PROPOSITION. La fausse politique regarde avec dédain les affaires de la religion; et on ne se soucie ni des matières qu'on y traite, ni des persécutions qu'on fait souffrir à ceux qui la suivent. Première erreur des puissances et des politiques du inonde.

 

Il n'y a rien de plus bizarre que les jugements des hommes d'Etat et des politiques sur les affaires de la religion.

La plupart les traitent de bagatelles et de vaines subtilités. Les Juifs amenaient saint Paul avec une haine obstinée, « au tribunal de Gallion, proconsul d'Achaïe, et lui disaient que cet homme voulait faire adorer Dieu contre ce que la loi en avait réglé ». » Ils croyaient avoir attiré son attention , par une accusation si griève et si sérieuse. « Mais Paul n'eut pas plutôt ouvert la bouche (pour sa défense) que le proconsul l'interrompit, et du haut de son tribunal : S'il s'agissait, dit-il aux Juifs, de quelque injustice et de quelque mauvaise action, je vous donnerais tout le temps que vous souhaiteriez. Mais pour les questions de mots et de noms, et de disputes sur votre loi, faites-en comme vous voudrez : je ne veux point être juge de ces choses (3). » Il ne dit pas : Elles sont trop hautes, et passent mon intelligence : il dit que tout cela n'est que dispute de mots et vaines subtilités, indignes d'être portées à un jugement sérieux et d'occuper le temps d'un magistrat.

Les Juifs voyant que ce juge se mettait si peu en peine de leurs

 

1 IV Reg., XXIII, 18, 19, 20; II Paralip., XXXI, 26, 27, 28. — 2 Act., XVIII, 12, 13. — 3 Ibid., 14. 15.

 

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plaintes, et semblait abandonner Paul et son compagnon à leur fureur, « se jetèrent sur Sosthènes, et le battaient (1) » (sans aucun respect pour le tribunal d'un si grand magistrat) : « et Gallion ne se mettait point en peine de tout cela. » Tout lui paraissait bagatelles dans ces disputes de religion, et une ardeur imprudente de gens entêtés de choses vaines.

IIe PROPOSITION. Autre erreur des grands de la terre sur la religion : Ils craignent de l'approfondir.

 

D'autres semblaient prendre la chose plus sérieusement. Félix, gouverneur de Judée, était très-bien informé de cette voie (2), c'est-à-dire du christianisme. C'est pourquoi entendant Paul discourir de la justice, que les magistrats dévoient rendre avec tant de religion : de la chasteté, qu'on devait garder avec tant de soin et de précaution (parole si dure aux mondains, qui n'aiment que leurs plaisirs) ; et du jugement à venir, où Dieu demanderait compte de toutes ces choses avec une sévérité implacable : pour ne point trop approfondir des matières si désagréables, quoiqu'il ne put s'empêcher d'en être effrayé, Félix lui dit : « C'en est assez pour maintenant ; je vous appellerai en un autre temps plus commode (3). » Des objets qui l'occupaient davantage dissipaient ces frayeurs : l'avarice le dominait ; et il ne mandait plus saint Paul « que dans l'espérance qu'il lui donnerait de l'argent, le laissant captif durant deux ans, et permettant néanmoins à tous ses amis de le voir (4). »

 

IIIe PROPOSITION. Autre procédé des gens du monde, qui prennent la religion pour une folie, sans aucun soin de faire justice, ou d'empêcher les vexations qu'on fait à l'innocence.

 

Festus, nouveau gouverneur envoyé à la place de Félix, était à peu près dans le sentiment de Gallion, sinon qu'il poussait encore la chose plus loin. Le roi Agrippa et la reine Bérénice, celle qui depuis fut si célèbre par la passion que Tite eut pour elle,

 

1 Act., XVIII, 17.— 2 Act., XXIV, 22. — 3 Ibid., 25. — 4 Ibid., 26.

 

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désiraient beaucoup d'entendre saint Paul : et Festus leur en voulut donner le plaisir dans une assemblée solennelle, qu'on tint exprès pour cela avec une grande pompe. « Au reste, disait-il au roi, je n'ai rien trouvé de mal en cet homme : mais il y avait entre lui et les Juifs qui me l'amenaient des disputes sur leurs superstitions, et sur un certain Jésus qui était mort, et dont Paul assurait qu'il était vivant » Ces gens occupés du monde et de leur grandeur, traitaient ainsi les affaires de la religion et du salut éternel : sans même daigner s'informer de faits aussi importants et aussi extraordinaires que ceux qui regardaient le Fils de Dieu : car tout cela ne faisait rien à leurs intérêts, ni à leurs plaisirs, ou aux affaires du monde. Comme saint Paul eut pris la parole, et qu'il commençait à entrer dans le fond des questions, Festus l'interrompit ; et sans respecter la présence du roi et de la reine, ni attendre leur jugement et celui de l'assemblée, « il lui cria à haute voix : Paul, vous êtes fol ; trop d'étude vous a tourné l'esprit   »

On voit par là que quelque équitable que parût Festus envers saint Paul, lorsqu'il demeure d'accord « qu'il ne l'a point trouvé criminel, et qu'on l'aurait pu renvoyer, s'il n'avait point appelé à l'empereur (4) : il entrait dans ce sentiment un secret mépris du fond de la chose, que Festus ne jugeait pas assez importante pour en faire la matière d'un jugement, ou mériter que l'empereur en prit connaissance. La seule affaire qu'il trouvait ici, était de savoir ce qu'il en manderait à l'empereur : « Je ne sais, dit-il, qu'en écrire au maître (5).» Et il avait peur qu'on ne crût qu'il lui renvoyait des affaires tout à fait frivoles. Car de l'informer des miracles ou de la doctrine de Jésus-Christ, ou de Paul, et d'examiner les prophéties, où l'Apôtre mettait son fort, ou enfin de parler sérieusement de l'affaire du salut éternel, il n'en était pas question.

Cependant cet homme équitable, qui ne voulait point condamner saint Paul, ne craignait pas de le livrer à ses ennemis. Car au lieu de le juger à Césarée, où tout était disposé pour cela.

 

1 Act., XXV, 1, 2, etc. 13, 14 , 19, 22, 23, 25. — 2 Ibid., XXVI, 1, 2 et seq. — 3 Ibid., 24. — 4 Ibid., XXV, 18, 25; XXVI, 32. — 5 Ibid., XXV, 26.

 

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et le renvoyer aussitôt, il proposa de le transporter à Jérusalem, pour faire plaisir aux Juifs, qui avaient fait un complot pour le tuer, ou sur le chemin, ou bien dans Jérusalem, où tout le peuple était à eux. Ce qui obligea saint Paul de dire à Festus : « Je n'ai fait aucun tort aux Juifs, comme vous le savez parfaitement : personne ne me peut livrer à eux. J'appelle à César, et c'est à son tribunal que je dois être jugé (1). »

Voici donc tout ce que Festus trouvait de réel et de sérieux dans cette affaire ; faire plaisir aux Juifs, contenter la curiosité d'Agrippa, et résoudre ce qu'il fallait écrire à l'empereur. Quand on allait plus avant et qu'on voulait examiner le fond, on était fol.

 

IVe PROPOSITION. Autre erreur : Les égards humains font que ceux qui sont bien instruits de certains points de religion, n'en osent ouvrir la bouche.

 

Agrippa qui était Juif, attaché à sa religion et bien instruit des prophéties, agissait  plus sérieusement. Saint Paul, qui le connut, le prit à témoin des faits qu'il avançait touchant Jésus-Christ. « Et lorsque Festus lui cria qu'il était fol : Non, non, dit-il, très-excellent Festus, je ne suis pas fol : le roi sait la vérité de ce que je dis, et je parle hardiment devant lui. Car tout cela ne s'est point passé dans un coin, mais aux yeux de tout le public. » Puis adressant la parole au roi lui-même : « O roi Agrippa, dit-il, ne croyez-vous pas aux prophètes? Je sais que vous y croyez (3). » Saint Paul voulait l'engager à dire de bonne foi devant Festus et les Romains, ce qu'il savait sur ce sujet-là ; et il devait ce témoignage à des païens. Mais il ne fait qu'éluder : et sans rien dire de tant de merveilles qui s'étaient passées en Judée, ni même oser témoigner ce qu'il croyait des prophéties où il était tant parlé du Christ, il se contenta de répondre à saint Paul par manière de raillerie : « Peu s'en faut que vous ne me persuadiez d'être chrétien (4). »

Voilà ce que pensaient les grands de la terre, les rois, et tous

 

1 Act., XXV, 9, 10, 11. — 2 Ibid., XXVI, 21, 25, 26. — 3 Act., XXVI, 27. — 4 Ibid.,

 

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les hommes du monde, sur la grande affaire de ce temps-là, qui était celle de Jésus-Christ. On ne voulait ni la savoir, ni l'approfondir, ni dire ce que l'on en savait. Qui peut après cela s'étonner de ce qu'on en trouve si peu de chose dans les histoires profanes ?

 

Ve PROPOSITION. Indifférence des sages du monde sur la religion.

 

Mais il n'y eut rien alors de plus merveilleux que les Athéniens. Athènes était de tout temps le siège de la politesse, du savoir et de l'esprit : les philosophes y triomphaient : et depuis qu'assujettie aux Romains elle n'avait plus à traiter de la paix et de la guerre, ni des affaires d'Etat, elle s'était toute tournée à la curiosité : « en sorte qu'on n'y pensait à autre chose, qu'à dire ou à ouïr quelque nouveauté (1), » surtout en matière de doctrine, saint Paul y étant arrivé, il se trouvait dans le Lycée avec les philosophes stoïciens et épicuriens. « Il discourait avec eux. Les uns disaient : Que veut dire ce discoureur ? Et les autres : C'est assurément un homme qui s'est entêté de nouvelles divinités (ou comme ils parlaient), de nouveaux démons (2). » Ils se souvenaient que parmi eux on avait fait une pareille accusation à Socrate : et ils s'en tenaient toujours à leurs anciennes idées. Sur cela on le mena à l'Aréopage (3), la plus célèbre compagnie de toute la Grèce, sans autre vue que de contenter la curiosité des Athéniens, et on tint pour cela le sénat exprès. Paul fut écouté , tant qu'il débita les grands principes de la philosophie : et la Grèce fut bien aise de lui entendre citer si à propos ses poètes. Mais depuis qu'il vint au principal, qui était de leur annoncer Jésus-Christ ressuscité, et les miracles que Dieu avait faits pour montrer que ce Jésus-Christ était celui qu'il avait choisi pour déclarer sa volonté aux hommes : « Les uns se moquèrent de Paul (4) : » les autres, plus polis à la vérité, mais au fond ni mieux disposés, ni moins indifférents, lui dirent honnêtement : « Nous vous entendrons une autre fois sur cette matière. Et Paul sortit ainsi du milieu d'eux (6). » En pénétrant davantage, l'affaire fût

 

1 Act., XVII, 21. — 2 Ibid., 18. — 3 Ibid., 19 et seq.—  4 Ibid., 32.— 5 Ibid., 32,33.

 

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devenue sérieuse : il eût fallu tout de bon se convertir : et le monde ne voulait songer qu'à la curiosité et à son plaisir.

On en avait usé de même dès le commencement envers Jésus-Christ. Hérode, à qui Pilate l'avait renvoyé, ne voulait voir que des miracles ; et il aurait souhaité qu'un Dieu employât sa toute-puissance pour le divertir. Parce qu'il ne voulut pas lui faire un jeu des ouvrages de sa puissante main, il le méprisa, et le renvoya comme un fol avec un habit blanc dont il le revêtit (1).

Pilate ne fit pas mieux. Comme Jésus lui eut dit : « Je suis né, et je suis venu dans le monde afin de rendre témoignage à la vérité (2) : » parole profonde, où il voulait lui apprendre à chercher la vérité de Dieu, il lui repartit : « Et qu'est-ce que la vérité (3) ? » Après quoi il leva le siège sans s'en informer davantage : comme s'il eût dit : La vérité, dites-vous? et qui la sait? ou que nous importe de la savoir, cette vérité qui nous passe? Les mondains, et surtout les grands, ne s'en soucient guère; et ils n'ont à cœur que les plaisirs et les affaires.

Nous ne sommes pas meilleurs que tous ceux dont nous venons de parler : et si nous ne méprisons pas si ouvertement Jésus-Christ et sa doctrine; quand il en faut venir au sérieux de la religion, c'est-à-dire à la pratique et à sacrifier son ambition ou son plaisir à Dieu et à son salut, nous nous rions secrètement de ceux qui nous le conseillent : et la religion ne nous est pas moins un jeu qu'aux infidèles.

 

VIe PROPOSITION. Comment la politique en vint enfin à persécuter la religion, avec une iniquité manifeste.

 

Si on n'eût fait que discourir de la religion comme d'une matière curieuse, le monde ne l'aurait peut-être pas persécutée : mais comme on vit qu'elle condamnait ceux qui ne la suivaient pas, les intérêts s'en mêlèrent. Les Pharisiens ne purent souffrir qu'on décriât leur avarice, ni qu'on vînt ruiner la domination qu'ils usurpaient sur les consciences. Ceux qui faisaient des idoles, et les autres qui profitaient parmi les païens du culte superstitieux,

 

1 Luc., XXIII, 8, 11. — 2 Joan., XVIII, 37. — 3 Ibid., 38.

 

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animaient le peuple. On se souvint « que Diane était la grande déesse des Ephésiens, quand on vit qu'en la décriant, la majesté de son temple que tout le monde révérait (1), » et ensemble la grande considération, et le grand profit qui venait de ce côté-là aux particuliers et au public (2), s'en allait à rien.

Rome elle-même se fâcha qu'on voulût décrier ses dieux, à qui elle se persuadait qu'elle devait ses victoires. Les empereurs s'irritèrent de ce qu'on ne voulait plus les adorer. La politique romaine décida qu'il s'en fallait tenir à la religion ancienne, et qu'y souffrir du changement, c'était l'exposer à sa ruine. On voulut s'imaginer des séditions, des révoltes, des guerres civiles, dans l'établissement du christianisme : encore que l'expérience fit voir qu'en effet la religion s’établissait sans même que les persécutions, quelque violentes qu'elles tussent, excitassent, je ne dis pas aucun mouvement et aucune désobéissance, mais même aucun murmure dans les chrétiens. Mais le monde superbe et corrompu ne voulait pas se laisser convaincre d'ignorance et d'aveuglement, ni souffrir une religion qui changeait la face du monde.

 

VIIe PROPOSITION. Les esprits faibles se moquent de la piété des rois.

 

Michol, femme de David nourrie dans le faste et sans piété avec son père Saül, quand elle vit le roi son mari tout transporté devant l'arche qu'il faisait porter dans Sion avec une pompe royale, « le méprisa en son cœur. Qu'il était beau, disait-elle, de voir le roi d'Israël avec les servantes, marchant nu comme un bateleur (3) ! » Ne faisait-il pas là un beau personnage? Mais David, quoiqu'il l'aimât tendrement, lui répondit : «Vive le Seigneur, qui m'a élevé plutôt que votre père et sa maison : je m'humilierai encore plus que je n'ai fait devant lui, et je serai méprisable à mes yeux; et je tiendrai à gloire de m'humilier, comme vous disiez, avec les servantes (4). »

Il ne faut point laisser dominer cet esprit de raillerie dans les Cours, surtout dans les femmes, quand même elles seraient reines,

 

1 Act., XIX, 27, 28. — 2 Ibid., 25, 26. — 3 II Reg., VI, 16, 20. — 4 Ibid., 21, 22.

 

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puisque c'est là au contraire ce qu'on doit le plus réprimer. Dieu récompensa la piété de David, et punit Michol par une éternelle stérilité (1).

 

VIIIe PROPOSITION. Le sérieux de la religion connu des grands rois. Exemple de David.

 

L'arche était dans l'ancien peuple le symbole de la présence de Dieu, bien inférieur à celui que nous avons dans l'Eucharistie : et néanmoins la dévotion de David pour l'arche était immense. Quand il la fit transporter en Sion, il fit au peuple de grandes largesses en l'honneur d'un jour si solennel. « On immolait des victimes (tout le long du chemin où passait l'arche). Elle marchait au son des trompettes, des tambours, et des hautbois, et de toute sorte d'instruments de musique. » Le roi dépouillé de l'habit royal qu'il n'osa porter devant Dieu, « et revêtu simplement d'une tunique de lin, allait après avec tout le peuple et ses capitaines en grande joie, jouant de sa lyre et dansant de toutes ses forces, dans le transport où il était (2). » C'était des cérémonies que le temps autorisait.

Dans une occasion plus lugubre, lorsqu'en punition de son péché il fuyoit devant Absalom, nous avons vu qu'on lui apporta l'arche comme la seule chose qui lui pouvait donner de la consolation. Mais il ne se jugea pas digne de la voir en l'état où il était, où Dieu le traitait comme un pécheur. «Hé! dit-il, si je trouve grâce devant le Seigneur (après ces jours de châtiments), il me la montrera un jour en son tabernacle (3). » C'était là le plus cher objet de ses vœux. Et durant le temps de Saül, banni de son pays et des saintes assemblées du peuple de Dieu, il ne sou-piroit qu'après l'arche. Grand exemple pour faire connaître ce qu'on doit sentir en présence de l'Eucharistie, dont l'arche n'était qu'une figure imparfaite.

 

1 II Reg., VI, 23. — 2 Ibid., 13 et seq.; I Par., XV, 25 et seq. — 3 II Reg., XV, 25

 

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IXe PROPOSITION. Le prince doit craindre trois sortes de fausse piété : et premièrement la piété à l'extérieur et par politique.

 

Deux raisons doivent faire craindre au prince de donner trop à l'extérieur, dans les exercices de la piété. La première, parce qu'il est un personnage public : par conséquent composé et peu naturel, s'il n'y prend garde par les grands égards qu'il doit avoir pour le public, qui a les yeux attachés sur lui. Secondement, parce qu'en effet la piété est utile à établir la domination : de sorte qu'insensiblement le prince pourrait s'accoutumer à la regarder de ce côté-là. Ainsi Saül disait à Samuel qui l'abandonnait, et ne voulait plus assister avec lui au sanctuaire de Dieu devant tout le peuple : «J'ai mal fait; mais honorez-moi devant Israël et devant les sénateurs de mon peuple ; et retournez avec moi pour adorer le Seigneur votre Dieu (1). » Il ne voulait plus l'appeler le sien ; et peu soigneux de la religion , il ne songeait plus qu'à garder les dehors par politique.

Ainsi les rois d'Israël se montraient quelquefois pieux contre Baal et ses idoles. Mais ils se gardaient bien de détruire les veaux d'or que Jéroboam avait érigés pour y attacher le peuple. Car « il avait dit en lui-même : Le royaume retournera à la maison de David, si ce peuple monte toujours à Jérusalem dans la maison du Seigneur pour y offrir les sacrifices. Le cœur de ce peuple se tournera vers Roboam roi de Juda, et ils me feront mourir, et ils retourneront à lui. Ainsi par un conseil médité, il fit deux veaux d'or : et il leur dit : Ne montez plus à Jérusalem ; ô Israël, voilà tes Dieux, qui t'ont tiré de la terre d'Egypte (2). »

Ainsi Jéhu massacra tous les sacrificateurs de Baal, et il en brisa la statue, et il mit le feu dans son temple. Et comme s'il eût voulu s'acquitter de tous les devoirs de la religion, il prend dans son chariot le saint homme Jonadab fils de Réchab, pour être témoin de sa conduite. « Venez, lui dit-il, et voyez mon zèle pour le Seigneur. Mais il ne se retira pas des péchés de

 

1 I Reg., XV, 30. — 2 III Reg., XII, 26, 27, 28.

 

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Jéroboam, ni des veaux d'or qu'il avait dressés à Bethel et à Dan (1). » La raison d'Etat ne le voulait pas.

Telle est la religion d'un roi politique. Il fait paraître du zèle dans les choses qui ne blessent pas son ambition, et il semble même vouloir contenter les plus gens de bien : mais la fausse politique l'empêche de pousser la piété jusqu'au bout. Joachaz, un des successeurs de Jéhu dans le royaume d'Israël, sembla vouloir aller plus loin. « Dieu avait livré Israël à Hazaël roi de Syrie, et à son fils Benadad : et Joachaz pria le Seigneur, qui écouta sa voix : car il eut pitié d'Israël, que ces rois avaient réduit à l'extrémité (2). » Mais Joachaz, qui semblait vouloir retourner à Dieu de tout son cœur dans sa pénitence, n'eut pas la force d'abattre ces veaux d'or, qui étaient le scandale d'Israël : « et il ne se retira pas des péchés de Jéroboam : Dieu aussi l'abandonna. Et le roi de Syrie fit de lui et de son peuple, comme on fait de la poudre qu'on secoue dans la batture (3). »

Tout cet extérieur de piété n'est qu'hypocrisie : et il est familier aux princes rusés, qui ne songent qu'à amuser le peuple par les apparences. Ainsi Hérode, ce vieux et dissimulé politique, faisant semblant d'être zélé pour la loi des Juifs, jusqu'à rebâtir le temple avec une magnificence qui ne cédait rien à celle de Salomon, en même temps il élevait des temples à Auguste.

Et on sait ce qu'il voulut faire contre Jésus-Christ (4). A ne regarder que l'extérieur, il ne désirait rien tant que d'adorer avec les Mages ce roi des Juifs, nouveau-né. Il assembla le conseil ecclésiastique comme un homme qui ne voulait autre chose que d'être éclairci des prophéties ; mais tout cela pour couvrir le noir dessein d'assassiner le Sauveur, que le titre de roi des Juifs rendait odieux à son ambition, encore que la manière dont il voulut paraître aux hommes montrât assez que son royaume n'était pas de ce monde.

 

1 IV Reg., X, 15, 28, 29. — 2 IV Reg., XIII, 3, 4, 5. — 3 Ibid., 6. 7. — 4 Matth., II, 3, 4 et seq.

 

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Xe PROPOSITION. Seconde espèce de fausse piété : La piété forcée ou intéressée.

 

Telle était celle d'Holopherne, lorsqu'il disait à Judith : « Votre Dieu sera mon Dieu, s'il fait pour moi ce que vous promettez (1), » c'est-à-dire tant de victoires. Les ambitieux adoreront qui vous voudrez, pourvu que leur ambition soit contente.

« Hérode craignait saint Jean qui le reprenait (avec une force invincible) : car il savait que c'était un homme saint et juste ; et il faisait plusieurs choses par son avis, et il l’écoutait volontiers (2). » Car nous avons vu que ces politiques veulent quelquefois contenter les gens de bien. Mais tout cela n'était qu'artifice ou terreur superstitieuse, puisqu'il craignait tellement saint Jean, qu'après lui avoir fait couper la tête il craignait encore qu'il ne fût ressuscité des morts (3) pour le tourmenter.

Ecoutez un Antiochus, ce superbe roi de Syrie. « Il est juste, dit-il, d'être soumis à Dieu, et qu'un mortel n'entreprenne pas de s'égaler à lui. Et il ne parle que d'égaler aux Athéniens les Juifs, qu'il ne jugeait pas dignes seulement de la sépulture, et d'affranchir Jérusalem, qu'il avait si cruellement opprimée ; combler de dons le temple qu'il avait dépouillé : et enfin de se faire Juif (4). » Mais c'est qu'il sentait la main de Dieu, à laquelle il s'imaginait se pouvoir soustraire par toutes ces vaines promesses. Dieu méprisa sa pénitence forcée : « et ce méchant demandait la miséricorde qu'il ne devait pas obtenir (5). »

Galère Maximien et Maximin, les deux plus cruels persécuteurs de l'Eglise des chrétiens, moururent avec un aveu aussi forcé et aussi vain de leur faute (6) : et avant que de les livrer au dernier supplice, Dieu leur fit faire amende honorable à son peuple, qu'ils avaient si longtemps tyrannisé.

 

1 Judith, XI, 21.— 2 Marc, VI, 20. Luc, m, 19.— 3 Marc, VI, 16. — 4. II Machab., IX, 11, 12 et seq.— 5 II Machab., IX, 13.— 6 Euseb., Hist. Eccl., lib. VIII, cap. XVI, XVII, et lib. IX, cap. X ; Lactant., de Mort. persecut., n. XXXIII et XLIX.

 

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XIe PROPOSITION. Troisième espèce de fausse piété : La piété mal entendue, et établie où elle n'est pas.

 

« Va, et passe au fil de l'épée ce méchant peuple d'Amalec : et ne réserve rien de cette nation impie, que j'ai dévouée à la vengeance , dit le Seigneur à Saül. Et ce prince sauva du butin les brebis et les bœufs, pour les immoler au Seigneur. Mais Samuel lui dit : Sont-ce des victimes ou des sacrifices que le Seigneur demande, et non pas qu'on obéisse à sa voix ? L'obéissance vaut mieux que le sacrifice, et il est meilleur d'obéir que d'offrir la graisse des béliers; car désobéir, c'est comme qui consulterait les devins; et ne se soumettre pas, c'est le crime d'idolâtrie (1). »

La sentence partit d'en haut. « Dieu t'a rejeté, dit Samuel; et tu ne seras plus roi (2). »

Hérode, qui fit mourir saint Jean-Baptiste, au milieu de ses plus grands crimes n'était pas sans quelques sentiments de religion. Il mit en prison le saint Précurseur qui le reprenait hautement de son inceste. Mais en même temps nous avons vu « qu'il le craignait, sachant que c'était un homme juste et saint : qu'il le faisait venir souvent, et même suivait ses conseils (3). » Il le livra néanmoins à la fin : et injustement scrupuleux, la religion du serment l'emporta à son crime. « Il fut fâché de s'être engagé : mais à cause du serment qu'il avait fait et de la compagnie, il passa outre (4). » Il en eut peur, après même qu'il l'eut fait mourir : « et entendant les miracles de Jésus, Jean, dit-il, que j'ai décollé revit en lui, et c'est sa vertu qui opère (5). » Il méprisait la religion, la superstition le tyrannise. Il écoutait et considérait celui qu'il tenait dans les fers, un prisonnier qui avait du crédit à la Cour ; l'intrépide censeur du prince et l'ennemi déclaré de sa maîtresse, qui néanmoins se faisait écouter : un homme qu'on faisait mourir, et qu'après cela on craignait encore. Tant de craintes qui se combattaient : celle de perdre un homme saint, d'ouïr de sa bouche des reproches trop libres, celle de troubler

 

1 Reg., XV, 18 et seq.— 2 Ibid., 23.— 3 Marc, VI, 20. — 4 Matth., XIV, 9 ; Marc. VI, 26. — 5 Matth., XIV, 1, 2.

 

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ses plaisirs, celle de paraître faible à la compagnie, celle de la justice divine qui ne cessait de revenir, quoique si souvent repoussée : tout cela faisait ici un étrange composé. On ne sait que croire d'un tel prince : on croit tantôt qu'il a quelque religion, et tantôt qu'il n'en a point du tout. C'est une énigme inexplicable, et la superstition n'a rien de suivi.

On multiplie ses prières, qu'on fait rouler sur les lèvres sans y avoir le cœur. Mais c'est imiter les gentils, « qui s'imaginent, dit le Fils de Dieu, être exaucés en multipliant leurs paroles (1). » Et on entend de la bouche du Sauveur : « Ce peuple m'honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi (2). »

On gâte de très-bonnes œuvres : on jeûne et on garde avec soin les abstinences de l'Eglise : il est juste. Mais, comme dit le Fils de Dieu, « on laisse des choses de la loi plus importantes, la justice, la miséricorde, la fidélité. Il fallait faire les unes, et ne pas omettre les autres (3). Savez-vous quel est le jeûne que j'aime, dit le Seigneur? Délivrez ceux qui sont détenus dans les prisons; déchargez un peuple accablé d'un fardeau qu'il ne peut porter ; nourrissez le pauvre ; habillez le nu : alors votre justice sera véritable et resplendissante comme le soleil (4). »

Vous bâtissez des temples magnifiques; vous multipliez vos sacrifices, et vous faites dire des messes à tous les autels. Mais Jésus-Christ répond : « Allez apprendre ce que veut dire cette parole : J'aime mieux la miséricorde que le sacrifice (5). Le sacrifice agréable à Dieu, c'est un cœur contrit et abaissé devant lui (6). La vraie et pure religion, c'est de soulager les veuves et les oppressés, et de tenir son âme nette de la contagion de ce siècle (7). »

Mettez donc chaque œuvre en son rang. Si en faisant les petites, vous croyez vous racheter de l'obligation de faire les grandes, vous serez de ceux dont il est écrit : « Ils se fient dans des choses de néant. Ils ont tissu des toiles d'araignées. Leurs toiles ne sont pas capables de les habiller, et ils ne seront pas couverts de leurs œuvres : car leurs œuvres sont des œuvres inutiles, et leurs pensées sont des pensées vaines (8). »

 

1 Matth., VI, 7.— 2 Ibid., XV, 8; Isa., XXIX, 13.— 3 Matth., XXIII, 23.— 4 Isa., LVIII, 6, 7,8. — 5 Matth., IX, 13. — 6 Ps. I, 19. — 7 Jac., I, 27. — 8., Isa., LIX, 4, 5, 6,7.

 

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ARTICLE V. Quel soin ont eu les grands rois du culte de Dieu.

 

Ire PROPOSITION. Les soins de Josué, de David et de Salomon, pour établir l'arche d'alliance et bâtir le temple de Dieu.

 

Josué n'eut pas plutôt conquis et partagé la Terre promise, que pour la mettre à jamais sous la protection de Dieu qui l'avait donnée à son peuple, « il établit le siège de la religion à Silo, où il mit le tabernacle (1). » Il fallait commencer par là, et mettre Dieu en possession de cette terre et de tout le peuple, dont il était le vrai roi.

David trouva dans la suite un lieu plus digne à l'arche et au tabernacle, et l'établit dans Sion, où il la fit transporter en grand triomphe (2) : et Dieu choisit Sion et Jérusalem, comme le lieu où il établissait son nom et son culte.

Il fit aussi, comme on a vu, les préparatifs du temple, où Dieu voulait être servi avec beaucoup de magnificence, y consacrant les dépouilles des nations vaincues (3).

Il en désigne le lieu, que Dieu même avait choisi, et charge Salomon de le bâtir.

Salomon fit ce grand ouvrage avec la magnificence qu'on a vue ailleurs. Car il le voulait proportionner, autant qu'il pouvait, à la grandeur de celui qui voulait y être servi. « La maison, dit-il, que je veux bâtir est grande, parce que notre Dieu est au-dessus de tous les dieux. Qui serait donc assez puissant, pour lui bâtir une maison digne de lui (4) ? »

 

IIe PROPOSITION. Tout ce qu'on fait pour Dieu de plus magnifique, est toujours au-dessous de sa grandeur.

 

Ce fut le sentiment de Salomon, après qu'il eut bâti un temple si riche que rien n'égala jamais. « Qui pourrait croire, dit-il, que

 

1 Jos., XVIII, 1. — 2 II Reg., VI, 12 et seq. —  3 II Reg., VII ; I Paralip., XXII. — 4 II Paral., II, 5.

 

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Dieu habite sur la terre avec les hommes, lui que les cieux, et les cieux des cieux ne peuvent renfermer (1) ?» Et David, qui en avait fait les préparatifs, quoiqu'il n'eût rien épargné et qu'il eût consacré à cet ouvrage « cent mille talents d'or : un million de talents d'argent : avec du cuivre et du fer sans nombre : et les pierres avec tous les bois qu'il fallait pour un si grand édifice (2), » sans épargner le cèdre, qui est le plus précieux : il trouvait tout cela pauvre à comparaison de son désir : « J'ai, dit-il, offert tout cela dans ma pauvreté (3). »

 

IIIe PROPOSITION. Les princes font sanctifier les fêtes.

 

Moïse fait mettre en prison, et ensuite il punit de mort par ordre de Dieu celui qui avait violé le sabbat (4). La loi chrétienne est plus douce, et les chrétiens plus dociles n'ont pas besoin de telles rigueurs : mais aussi se faut-il garder de l'impunité.

Les ordonnances sont pleines de peines contre ceux qui violent les fêtes, et surtout le saint dimanche. Et les rois doivent obliger les magistrats à tenir soigneusement la main à l'entière exécution de ces lois contre lesquelles on manque beaucoup sans qu'on y ait apporté tous les remèdes nécessaires.

C'est principalement de la sanctification des fêtes que dépend le culte de Dieu : dont le sentiment se dissiperait dans les occupations continuelles de la vie, si Dieu n'avait consacré des jours pour y penser plus sérieusement, et renouveler en soi-même l'esprit de la religion.

Les saints rois Ezéchias et Josias sont célèbres dans l'histoire du peuple de Dieu, pour avoir fait solenniser la Pâque avec religion et une magnificence extraordinaire. Tout le peuple fut rempli de joie : « on n'avait jamais rien vu de semblable depuis le temps de Salomon. » C'est ce qu'on dit de la pâque d'Ezéchias (5). Et on dit de celle de Josias (6) « qu'il ne s'en était point fait de semblable sous tous les rois précédents, ni depuis le temps de Samuel. »

 

1 II Paral., VI, 18.— 2 I Paral., XXII, 14.— 3 Ibid.— 4 Num., XV, 32 et seq. — 5 II Paral., XXX, 26. — 6 IV Reg) XXIII, 22, 23; II Paral., XXXV, 18.

 

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Les fêtes des chrétiens sont beaucoup plus simples, moins contraignantes ; et en même temps beaucoup plus saintes et beaucoup plus consolantes que celles des Juifs, où il n'y avait que des ombres des vérités qui nous ont été révélées. Et cependant on est bien plus lâche à les célébrer.

 

IVe PROPOSITION. Les princes ont soin, non-seulement des personnes consacrées à Dieu, mais encore des biens destinés à leur subsistance.

 

« Honorez le Seigneur de toute votre âme ; honorez aussi ses ministres (1). »

        « Qui vous écoute, m'écoute ; qui vous méprise, me méprise, » dit Jésus-Christ même à ses disciples (2).

« Prenez garde de n'abandonner jamais le lévite, tant que vous serez sur la terre (3). » La terre vous avertit en vous nourrissant, que vous pourvoyiez à la subsistance des ministres de Dieu qui la rend féconde.

Toute la loi est pleine de semblables préceptes. Abraham en laissa l'exemple à toute sa postérité, en donnant la dime des dépouilles remportées sur ses ennemis à Melchisédech le grand pontife du Dieu très-haut, qui le bénissait et offrait le sacrifice pour lui et tout le peuple (4).

Abraham suivit en cela une coutume déjà établie. On la voit dans tous les peuples, dès la première antiquité. Et nous en avons un beau monument dans l'Egypte, sous Pharaon et Joseph. Tous les peuples vendirent leur terre au roi pour avoir du pain, « excepté les sacrificateurs, à qui le roi avait donné leur terre, qu'ils ne furent point obligés de vendre comme les autres : sans compter que leur nourriture leur était fournie des greniers publics par ordre du roi (5). »

Le peuple d'Israël ne se plaignait pas d'être chargé de la nourriture des lévites et de leurs familles, qui faisaient plus d'une douzième partie de la nation, étant une de ses tribus des plus abondantes. Au contraire on les nourrissait avec joie. Il y avait

 

1 Eccli., VII, 33 — 2 Luc., X, 16. — 3 Deut., XII, 10. — 4 Gen., XIV, 18, 19, 20. — 5 Ibid., XLVII, 22.

 

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du temps de David trente-huit mille lévites, à les compter depuis trente ans : sans y comprendre les sacrificateurs enfants d'Aaron, divisés en deux familles principales par les deux fils d'Aaron, et subdivisés du temps de David en vingt-quatre familles très-nombreuses sorties de ces deux premières (1). Tout le peuple les entretenait de toutes choses très-abondamment avec leurs familles. Car les lévites n'avaient d'autres possessions ni partages parmi leurs frères, que les dîmes, les prémices, les oblations, et le reste que le peuple leur donnait. Et on mettait dans cet entretien un des principaux exercices de la religion, et le salut de tout le peuple.

 

Ve PROPOSITION. Les soins admirables de David.

 

Les grands rois de la maison de David ont rendu leur règne célèbre par le grand soin qu'ils ont pris de maintenir l'ordre du ministère, et de toutes les fonctions des sacrificateurs et des lévites, selon la loi de Moïse.

David leur en avait donné l'exemple ; et il fit ce beau règlement qui fut suivi et exécuté par ses successeurs. Ce roi aussi pieux et aussi sage que guerrier et victorieux, employa à cette grande affaire les dernières années de sa vie, pendant que tout le royaume était en paix : assisté des principaux du royaume et surtout du souverain pontife, avec les chefs des familles lévitiques et sacerdotales, et des prophètes Gad et Nathan (2) : étant lui-même prophète et rangé dans l'Ecriture au nombre des hommes inspirés de Dieu.

Avec ce conseil et par une inspiration particulière, il régla les heures du service. « Il ordonna aux lévites de venir au temple le matin et le soir, pour y bénir Dieu et pour y chanter ses louanges (3). »

Il établit la subordination nécessaire dans ce grand corps des ministres consacrés à Dieu, en ordonnant aux lévites de servir « chacun à leur rang, en gardant les rits sacrés et toutes les

 

1 I Paralip., XXIII, 3 et seq. — 2 Ibid., XXIII, 2 et seq. ; XXIV, 6 : II Paral., XXIX, 23.— 3 I Paral., XXIII, 30.

 

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observances des enfants d'Aaron, qui présidaient à ces fonctions par l’ordre de Dieu   (1),» et selon la loi de Moïse.

Parmi ces lévites, il y en avait trois principaux « qui servaient auprès du roi : » Asaph, Idithun et Héman. Ce dernier était appelé le Voyant ou le prophète du roi (2) ; et Asaph prophétisait aussi auprès du prince; il est aussi appelé le Voyant (3), et se rendit si célèbre par ses cantiques, qu'on le rangeait avec David. Tels étaient les ecclésiastiques, pour parler à notre manière, qui approchaient le plus près de la personne du roi : des gens inspirés de Dieu et les plus célèbres de leur ordre. David avait aussi auprès de lui un sacrificateur nommé Ira, qui était honoré du titre de prêtre ou de sacrificateur de David (4).

 

VIe  PROPOSITION. Soin des lieux et des vaisseaux sacrés.

 

Le roi Joas, instruit par Joïada souverain pontife, fit venir les lévites avec les autres sacrificateurs, pour les obliger à travailler aux réparations du temple qu'ils négligeaient depuis plusieurs années. Il en prescrivit l'ordre, et en régla les fonds : et un officier commis par le roi les touchait avec le pontife, ou quelqu'un commis de sa part, pour les mettre entre les mains des ouvriers, a qui rétabliraient le temple dans sa première splendeur et solidité. Le reste de l'argent fut apporté au roi et au pontife : et on v en fit des vaisseaux sacrés d'or et d'argent, pour servir aux sacrifices (5). »

Ezéchias ne se rendit pas moins célèbre, lorsqu'il assembla les lévites et les sacrificateurs (6), pour les obliger à purifier avec soin le temple et les vaisseaux sacrés, qui avaient été profanés parles rois impies. Et il fit soigneusement exécuter le règlement de David (7).

On ne peut assez louer le saint roi Josias, et le soin qu'il prit de purifier et de rebâtir le temple (8). Dieu inspira un auteur sacré pour lui donner cet éloge, afin d'exciter les rois à de semblables pratiques.

 

1 I Paral., XXII, 32 ; XXIV, 19.— 2 Ibid., XXV, 2, 5, 6. — 3 II Paral., XXIX, 30.— 4 II Reg., XX, 26.— 5 IV Reg., XII, 4, 7 et seq ; II Paral., XXIV , 5, 6 et seq.— 6 II  Paral., XXIX, 5, 16 et s.— 7 Ib., 25. — 8 IV Reg., XXII et XXIII ; II Paral., XXXIV.

 

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VIIe PROPOSITION. Louanges de Josias et de David.

 

L’Ecclésiastique parle ainsi de Josias : « La mémoire de Josias est douce comme une composition de parfums faite d'une main habile ; elle est douce en toutes les bouches comme du miel, et comme une excellente musique dans un banquet, où on a servi du vin le plus exquis. Il a été envoyé de Dieu pour inspirer la pénitence à la nation ; et il a ôté (du temple et de la terre) toutes les abominations. Dieu gouverna son cœur et fortifia sa piété dans un temps d'iniquité et de désordre (1), » où tout était corrompu par les mauvais exemples des rois ses prédécesseurs.

        Le même auteur sacré célèbre aussi en ces termes les louanges de David : « Il a glorifié Dieu dans toutes ses œuvres. Il l'a loué de tout son cœur, » (dans ses divins Psaumes que tout le peuple chantait). « Il a aimé de tout son cœur le Dieu qui l'a voit fait, et Dieu l'a rendu puissant contre ses ennemis. Il a rangé les chantres devant l'autel, et il a composé des airs agréables pour les hommes, qu'ils dévoient chanter par leur voix harmonieuse. Il a rempli de splendeur la célébration du service divin : et sur la fin de sa vie il a distribué les temps, en sorte qu'on louât le saint nom du Seigneur ; et que dès le matin on le célébrât dans son sanctuaire (2). »

Voilà comme le Saint-Esprit loue les rois pieux, qui ont pris soin de régler les ministères sacrés, de décorer le temple, et de faire faire le service divin avec la splendeur convenable.

 

VIIIe   PROPOSITION. Soin de Néhémias et comme il protège les lévites contre les magistrats.

 

Il ne faut pas oublier Néhémias, gouverneur du peuple de Dieu sous les rois de Perse, et restaurateur du temple et de la cité sainte. Il fit justice aux lévites qu'on avait privés de leurs droits (3). Les chantres sacrés et tous les autres ministres, qui avaient été contraints de se retirer chez eux, et d'abandonner le

 

1 Eccli., XLIX, 1, 2, 3, 4. — 2  Eccli., XLVII, 9, 10, 11,12. —  3 Esdr., XIII, 10.

 

 

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service faute d'avoir reçu le juste salaire qui leur était ordonné, furent rappelés. Il ôta à Tobie le maniement qu'Eliasib sacrificateur, son parent, lui avait donné pour l'enrichir; et disposa selon l'ancien ordre, des fonds destinés au temple et au service divin (1). « Il soutint la cause des lévites contre les magistrats (qui avaient manqué à leurs devoir envers eux), et il mit leurs grains et leurs revenus en des mains fidèles : préposant à ce ministère le prêtre Sélémias et quelques lévites (2). Au surplus en prenant soin d'eux, il leur fit soigneusement garder les règlements de David (3). La subordination fut observée : le peuple rendait honneur aux lévites (en leur donnant ce qu'il leur devait) : et les lévites le rendaient aux enfants d'Aaron, qui étaient leurs supérieurs (4). Ils gardaient soigneusement toutes les observances de leur Dieu (5). »

Néhémias y tenait la main : il ordonnait aux sacrificateurs et aux lévites de veiller à ce qui leur était prescrit. « Il disait aux lévites de se purifier : et ne pouvait souffrir ceux qui profanaient le sacerdoce, et méprisaient le droit sacerdotal et lévitique (6), » c'est-à-dire les règlements que leur prescrivaient leurs offices. Ce qui lui faisait dire avec confiance : « O Dieu, souvenez-vous de moi en bien : et n'oubliez par le soin que j'ai eu de la maison de mon Dieu et de ses cérémonies, et de l'ordre sacerdotal et lévitique (7). »

O princes, suivez ces exemples. Prenez en votre garde tout ce qui est consacré à Dieu : et non-seulement les personnes, mais encore les lieux et les biens qui doivent être employés à son service. Protégez les biens des églises, qui sont aussi les biens des pauvres. Souvenez-vous d'Héliodore et de la main de Dieu qui fut sur lui, pour avoir voulu envahir les biens mis en dépôt dans le temple (8). Combien plus faut-il conserver les biens, non-seulement déposés dans le temple, mais donnés en fonds aux églises ?

 

1 II Esdr., XIII, 5, 7, 8, 9. — 2 Ibid., I 1, 13. — 3 Ibid., XII, 24, 44, 43. — 4 Ibid., 46. — 5 Ibid., 44. — 6 Ibid., XIII, 22, 29. — 7 Ibid., 14, 30, 31. — 8 II Machab., III, 24 et seq.

 

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IXe PROPOSITION. Réflexions que doivent faire les rois, à l'exemple de David, sur leurs libéralités envers les églises ; et combien il est dangereux de mettre la main dessus.

 

Ces grands biens viennent des rois, je l'avoue : ils ont enrichi les églises de leurs libéralités ; et les peuples n'en ont point fait, sans que leur autorité y ait concouru : mais tout ce qu'ils ont donné, ils l'avaient premièrement reçu de Dieu. « Qui suis je ? disait David : qu'est-ce que tout mon peuple, que nous osions vous promettre tous ces présents pour votre temple? Tout est à vous, et nous vous donnons ce que nous avons reçu de votre main (1). »

Il continue : « Nous sommes des voyageurs et des étrangers devant vous, comme tous nos pères (2). » Nous n'avons rien qui nous soit propre : notre vie même n'est pas à nous. « Nos jours s'en vont comme une ombre, et nous n'avons qu'un moment à vivre. » Tout nous échappe, et il n'y a rien qui soit à nous. « O Seigneur notre Dieu, toute cette abondance de richesses, que nous préparons pour votre saint temple vient de votre main, et tout est à vous (3). »

Quel attentat de ravir à Dieu ce qui vient de lui, ce qui est à lui, et ce qu'on lui donne ; et de mettre la main dessus pour le reprendre de dessus les autels !

Mais le péril est bien plus grand de mettre la main sur les ministres de Dieu. « Ne touchez point à mes oints, dit David (4) : » il parlait d'Abraham et d'Isaac (a), qui étaient au rang de ses sacrificateurs et de ses ministres. « Dieu ne permet pas aux peuples de leur nuire, et il châtie les rois qui les offensent (5). »

« Hérode fit couper la tête à Jacques, frère de Jean : et par complaisance pour les Juifs, il ajouta à son crime de mettre la main même sur Pierre, qu'il fit garder par seize soldats, dans le dessein de l'exposer au peuple après la fête de Pâque (6). » Mais Dieu, qui le destinait à souffrir dans un autre temps et dans un

 

1 I Paralip., XXIX, 14. — 2 Ibid., 15. — 3 I Paralip., XXIX, 16. — 4 Ps. CIV. 15. — 5 Ibid., 14. — 6 Act., VII, 1, 2, 3, 4.

(a) D'Abraham, d'Isaac.

 

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lien plus célèbre, non-seulement le sut tirer de la prison, mais il sut encore faire sentir au tyran sa main puissante. Car peu de temps après, livré à un orgueil insensé, pendant qu'il se laissait louer et admirer comme un Dieu, « l'Ange du Seigneur le frappa, et il mourut mangé de vers (1). »

Saul, qui fit massacrer Abimélec et les autres sacrificateurs pour avoir favorisé David, est en abomination devant Dieu et devant les hommes. « Ses officiers à qui il commanda de les tuer, eurent horreur d'étendre leurs mains contre les prêtres du Seigneur. » Et il n'y eut que Doëg Iduméen, un étranger et de la race des impies, qui osât souiller ses mains de leur sang, sans respecter le saint habit qu'ils portaient (2). David pour avoir été l'occasion innocente de ce meurtre sacrilège, en frémit. « Je suis coupable, dit-il, de ce sang injustement répandu. Il prit en sa protection Abiathar fils d'Abimélec. Demeurez avec moi, lui dit-il, ne craignez rien ; qui en veut à votre vie, attaque la mienne, et mon salut est inséparable du vôtre (3). »

 

Xe PROPOSITION. Les rois ne doivent pas entreprendre sur les droits et l'autorité du sacerdoce : et ils doivent trouver bon que l'ordre sacerdotal les maintienne contre toute sorte d'entreprises.

 

Lorsqu'Ozias voulut entreprendre sur ces droits sacrés et porter sa main à l'encensoir, les prêtres étaient obligés par la loi de Dieu à s'y opposer, autant pour le bien de ce prince que pour la conservation de leur droit, qui était, comme on a dit, celui de Dieu. Ils le firent avec vigueur : et se mettant devant le roi avec leur pontife à leur tête, ils lui dirent : « Ce n'est point votre office, Ozias, de brûler de l'encens devant le Seigneur; mais c'est celui des sacrificateurs et des enfants d'Aaron, que Dieu a députés à ce ministère. Sortez du sanctuaire : ne méprisez pas notre parole : car cette entreprise par laquelle vous prétendez vous honorer, ne vous sera pas imputée à gloire par le Seigneur notre Dieu (4). »

        Au lieu de céder à ce discours et à l'autorité du pontife et de

 

1 Act.. XII, 22, 23. — 2 I Reg., XXII, 16, 17, 18. — 3 Ibid., 22, 23. — 4 II Paral., XXVI, 16, 17, 18.

 

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ses prêtres (1), « Ozias se mit en colère, menaçant les prêtres, persistant à tenir en main l'encensoir pour offrir l'encens. La terre trembla (2). La lèpre parut sur le iront de ce prince en présence des piètres, qui (avertis par ce miracle) furent contraints de le chasser du sanctuaire. Lui-même effrayé d'un coup si soudain, sentit qu'il venait de la main de Dieu, et prit la fuite. La lèpre ne le quitta plus : il le fallut séparer selon la loi. Et son fils Joathan prit l’administration du royaume, et le gouverna sous l'autorité du roi son père (3). »

Au contraire le pieux roi Josaphat, loin de rien attenter sur les droits sacrés du sacerdoce, distingua exactement les deux fonctions, la sacerdotale et la royale, en donnant cette instruction « aux lévites, aux sacrificateurs, et aux chefs des familles d'Israël qu'il envoya dans toutes les villes pour y régler les affaires : « Amarias sacrificateur, votre pontife, conduira ce qui regarde le service de Dieu : et Zabadias fils d’Ismahel, qui est chef de la maison de Juda, conduira, celles qui appartiennent à la charge de roi : et vous aurez les lévites pour maîtres et pour docteurs (4). »

On voit avec quelle exactitude il distingue les affaires, et détermine à chacun de quoi il se doit mêler : ne permettant pas à ses ministres d'attenter sur les ministres des choses sacrées, ni réciproquement à ceux-ci d'entreprendre sur les droits royaux.

A la vérité nous avons vu que les rois se sont mêlés des choses saintes : nous avons vu en même temps que c'était en exécution des anciens règlements, et des ordres déjà donnés de la part de Dieu : et encore avec les pontifes, les sacrificateurs et les prophètes.

Les choses saintes réservées à l'ordre sacerdotal, sont encore plus clairement distinguées dans le Nouveau Testament, d'avec les choses civiles et temporelles réservées aux princes. C'est pourquoi les rois chrétiens dans les affaires de la religion, se sont soumis les premiers aux décisions ecclésiastiques. Cent exemples le feraient voir, si la chose était douteuse : mais en voici un entre les autres, qui regarde les rois de France.

 

1 II Paralip., XXVI, 19, 20, 21.— 2 Amos., I, 1 ; Zachar., XIV, 5. — 3 II Paralip., XIX, 8, 11.

 

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XIe PROPOSITION. Exemple des rois de France, et du concile de Chalcédoine.

 

Les sectateurs d'Elipandus archevêque de Tolède, et de Félix évêque d'Urgel, qui renouvelaient en Espagne l'hérésie de Nestorius, prièrent Charlemagne de prendre connaissance de ce différend, avec promesse de s'en rapporter à sa décision. Ce prince les prit au mot, et accepta l'offre dans le dessein de les ramener à l'unité de la foi, par l'engagement où ils étaient entrés. Mais il savait comme un prince peut être arbitre en ces matières. Il consulta le saint Siège, et en même temps les autres évêques, qu'il trouva conformes à leur chef : et sans discuter davantage la matière dans sa lettre qu'il écrit aux nouveaux docteurs, il leur envoie « les lettres, les décisions, et les décrets formés par l'autorité ecclésiastique : les exhortant à s'y soumettre avec lui, et à ne se croire pas plus savants que l'Eglise universelle : leur déclarant en même temps, qu'après ce concours de l'autorité du Siège apostolique, et de l'unanimité synodale : ni les novateurs ne pouvaient plus éviter d'être tenus pour hérétiques : ni lui-même et les autres fidèles n'osaient plus avoir de communion avec eux (1). » Voilà comme ce prince décida : et sa décision ne fut autre chose qu'une soumission absolue aux décisions de l'Eglise.

Voilà pour ce qui regarde la foi. Et pour la discipline ecclésiastique, il me suffit de rapporter ici l'ordonnance d'un empereur roi de France : « Je veux, dit-il aux évêques, qu'appuyés de notre secours et secondés de notre puissance, comme le bon ordre le prescrit, vous puissiez exécuter ce que votre autorité demande (2). » Partout ailleurs la puissance royale donne la loi, et marche la première en souveraine. Dans les affaires ecclésiastiques, elle ne fait que seconder et servir : famulante, ut decet, potestate nostra : ce sont les propres termes de ce prince. Dans les affaires non-seulement de la foi, mais encore de la discipline ecclésiastique, à l'Eglise la décision : au prince la protection, la défense, l'exécution des canons et des règles ecclésiastiques.

 

1 Epist. Car. Mag. ad Elipond. tom. Concil. Gall.; Labb., tom. VII, col. 1047. — 2  Lud. Pii, Capit. XI, tit. IV, tom. II, Concil. Gall.

 

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C'est l'esprit du christianisme, que l'Eglise soit gouvernée par les canons. Au concile de Chalcédoine, l'empereur Marcien souhaitant qu'on établit dans l'Eglise certaines règles de discipline, lui-même en personne les proposa au concile, pour être établies par l'autorité de cette sainte assemblée (1). Et dans le même concile, s'étant émue sur le droit d'une métropole une question où les lois de l'empereur scmbloient ne s'accorder pas avec les canons, les juges préposés par l'empereur pour maintenir le bon ordre d'un concile si nombreux, où il y avait six cent trente évoques, firent remarquer cette contrariété aux Pères, et leur demandèrent ce, qu'ils pensaient de cette affaire. Aussitôt « le saint concile s'écria d'une commune voix : Que les canons l'emportent : qu'on obéisse aux canons (2) : » montrant par cette réponse, que si par condescendance et pour le bien de la paix elle cède en certaines choses qui regardent son gouvernement à l'autorité séculière, son esprit, quand elle agit librement (ce que les princes pieux lui défèrent toujours très-volontiers ), est d'agir par ses propres règles et que ses décrets prévalent partout.

 

XIIe PROPOSITION. Le sacerdoce et l'empire sont deux puissances indépendantes, mais unies.

 

Le sacerdoce dans le spirituel et l'empire dans le temporel, ne relèvent que de Dieu. Mais l'ordre ecclésiastique reconnaît l'empire dans le temporel : comme les rois dans le spirituel, se reconnaissent humbles enfants de l'Eglise. Tout l'état du monde roule sur ces deux puissances. C'est pourquoi elles se doivent l'une à l'autre un secours mutuel. « Zorobabel (qui représentait la puissance temporelle) sera revêtu de gloire; et il sera assis, et dominera sur son trône : et le pontife ou le sacrificateur sera sur le sien, et il y aura un conseil de paix, (c'est-à-dire un parfait concours) entre ces deux (3). »

 

1 Conc. Chalced., act. VI : tom. IV Concil., col. 575 et seq. — 2 Conc. Chalced., act. XIII, col. 710. — 3 Zach., VI, 13.

 

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XIIIe PROPOSITION. En quel péril sont les rois qui choisissent de mauvais pasteurs.

 

Ceci se dit à l'occasion des rois qui ont reçu de l'Eglise, sous quelque forme que ce soit, le droit de nommer ou de présenter aux évêchés et aux autres prélatures : principalement à l'occasion des rois de France, qui ont ce droit par un concordat perpétuel. Je ne craindrai point de dire que c'est la partie la plus importante de leurs soins, et aussi la plus dangereuse, et dont ils rendront à Dieu un plus grand compte.

        Toute l'instruction du peuple dépend de là. « Les lèvres du sacrificateur gardent la science, et le peuple recherche la loi dans sa bouche (1). Le roi même la reçoit de sa main. C'est l'Ange (2) (c'est l'envoyé, c'est l'ambassadeur) du Seigneur des armées (3). Nous sommes ambassadeurs pour Jésus-Christ, dit saint Paul, et Dieu exhorte par nous (4). »

L'expérience ne fait que trop voir que l'ignorance ou les désordres des pasteurs ont causé presque tous les maux de l'Eglise, et des scandales à faire tomber en erreur, s'il se pouvait, jusqu'aux élus.

Si donc les pasteurs ne sont, comme dit saint Paul, « des ouvriers irréprochables, qui sachent traiter droitement la parole de vérité (5), » c'est la plus grande tentation du peuple fidèle.

Jésus-Christ a établi ses apôtres « pour être la lumière du monde, et les a mis sur le chandelier pour éclairer la maison de Dieu (6) » (plus encore par leur bonne vie que par leur doctrine). « Mais si la lumière qui est en nous n'est que ténèbres, que seront les ténèbres mêmes (7)? »

Vous donc, qui regardez plus ou la brigue ou la faveur que le mérite, en mettant des sujets indignes ou par l'ignorance ou par la vie, avez-vous entrepris de rendre le sacerdoce et l'Eglise même méprisables? Ecoutez ce que dit un prophète à de tels pasteurs : « Vous vous êtes détournés de la voie, et vous avez scandalisé le peuple de Dieu, en n'observant pas la loi (que vous

 

1 Malach., II, 7. — 2 Deut., XVII, 18. — 3 Malach., II, 7. — 4 II Cor., V, 20.— 5 II Tim., II, 15. — 6 Matth., V, 14, 15. — 7 Ibid., VI, 23.

 

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prêchiez) : je vous ai livrés au mépris des peuples (vous tomberez dans le décri) : vous serez vils à leurs yeux (1). »

Car que fera-t-on « d'un sel insipide et affadi? Il n'est plus bon, dit le Fils de Dieu, que pour être foulé aux pieds (2). »

Il est écrit de « Simon fils d'Onias, souverain pontife, qu'en montant au saint autel, il honorait et ornait le saint habit qu'il portait (3). » Par une raison contraire les pontifes qui ne sont pas saints, en montant à l'autel déshonorent (a) le saint habit qui les fait regarder avec tant de respect, et ternissent l'éclat de l'Eglise et de la religion.

Que ferez vous donc, ô prince, pour éviter le malheur de donner à l'Eglise de mauvais pasteurs ? Faites ce que dit saint Paul : « Qu'ils soient éprouvés, et puis qu'ils servent (4). » S'il parle ainsi des diacres, que dirait-il des évêques? Le clergé est une milice : ne mettez pas à la tête celui qui n'a jamais eu de commandement. Consultez la voix publique. « Il faut, dit saint Paul, que celui qu'on veut faire évêque, ait bon témoignage, même de ceux de dehors (même, s'il peut, des hérétiques et des infidèles : à plus forte raison des fidèles) : de peur qu'il ne tombe dans le mépris (5). »

Toutes les fois qu'il faut nommer un évêque, le prince doit croire que Jésus-Christ même lui parle en cette sorte : O prince qui me nommez des ministres, je veux que vous me les donniez dignes de moi. Je vous ai fait roi, faites-moi régner, et donnez-moi des ministres qui puissent me faire obéir. Qui m'obéit vous obéit : votre peuple est le peuple que j'ai mis en votre garde. Mon Eglise est entre vos mains. Ce choix n'était pas naturellement de votre office : vous avez voulu vous en charger : prenez garde à votre péril et à mon service.

Les rois ne doivent pas croire sous prétexte qu'ils ont le choix des pasteurs, qu'il leur soit libre de les choisir à leur gré : ils sont obligés de les choisir tels que l'Eglise veut qu'on les choisisse. Car l'Eglise leur en laissant la nomination ou le choix, n'a pas prétendu exempter ses ministres de sa discipline (b).

 

1 Malach., II, 8, 9.— 2 Matth., V, 13. — 3 Eccli., L, I, 12. — 4 I Tim., III, 10.— 5 Ibid., 7.

 

(a) IIe Edit. : Déshonoraient. — (6) IIe Edit. : De la discipline.

 

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L'abrégé de toutes les lois de l'Eglise est celle-ci, du concile de Trente (1). En choisissant les évêques, on est obligé « de choisir ceux qu'on jugera en conscience les plus dignes et les plus utiles à l'Eglise, à peine de péché mortel. » Décret qu'on ne peut trop lire, et trop souvent inculquer aux princes. « Telle est la ville, quel est son conducteur, » dit le Saint-Esprit (2). Ainsi « tout l'état et tout l'ordre de la famille de Jésus-Christ est en péril, si ce qu'on veut trouver dans le corps ne se trouve auparavant dans le chef (3), » dit le concile de Trente. Il en est de même à proportion de tous les prélats et de tous les ministres de l'Eglise.

Le prince par un mauvais choix des prélats, se charge devant Dieu et son Eglise du plus terrible de tous les comptes : et non-seulement de tout le mal qui se fait par les indignes prélats, mais encore de l'omission de tout le bien qui se ferait s'ils étaient meilleurs.

 

XIVe PROPOSITION. Le prince doit protéger la piété, et affectionner les gens de bien.

 

Ils sont le soutien de son Etat. « S'il se trouve cinquante justes dans cette abominable (qu'on ne nomme pas) ; s'il s'y en trouve quarante-cinq ; s'il s'y en trouve quarante, ou trente, ou vingt; s'il s'y en trouve jusqu'à dix, je ne perdrai pas la ville pour l'amour de ces dix justes (4), » dit le Seigneur à Abraham;

 

XVe PROPOSITION. Le prince ne souffre pas les impies, les blasphémateurs, les jureurs, les parjures, ni les devins.

 

« Le roi sage dissipe les impies, et courbe des voûtes sur eux (5). » Il les enferme dans des cachots, d'où personne ne les peut tirer. Ou comme d'autres traduisent sur l'original : « Il tourne des roues sur eux. » Il les brise, il les met en poudre, en faisant rouler sur eux des chariots armés de fer : comme fit Gédéon à ceux de Soccoth (6), et David aux enfants d'Ammon ».

Le Seigneur dit à Moïse : « Menez le blasphémateur hors du

 

1 Conc. Trid., sess. XXIV, de reform., cap. I. — 2 Eccli., X, 2. — 3 Conc. Trid., ibid. — 4 Gen.. XVIII, 26 et seq. — 5 Prov., XX, 20. — 6 Jud., VIII, 16. — 7 II Reg., XII. 81 ;  I Par., XX, 3.

 

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camp » (il ne faut point qu'on y respire le même air que lui, et son dernier soupir exhalé dedans l'infecterait) : « et que ceux qui l'ont ouï mettent la main sur sa tête (en témoignage), et que tout le peuple le lapide. Et tu diras, ajoute-t-il, à tout Israël : Celui qui maudit son Dieu, portera son péché ; que celui qui blasphème le nom du Seigneur, meure de mort. Toute la multitude l'accablera de pierres, soit qu'il soit citoyen ou étranger (1).» Chacun se doit purger de la part qu'on pourrait avoir à un crime si abominable.

Nabuchodonosor un prince infidèle, étonné des merveilles de Dieu qui avait délivré des flammes ces trois jeunes hommes si célèbres dans l'histoire sainte, fit cette ordonnance : « C'est de moi, dit-il, qu'est parti ce décret royal : Quiconque blasphémera contre le Dieu de Sidrach, Misach, et Abdénago, qu'il périsse et que sa maison soit renversée : car il n'y a pas un autre Dieu, qui puisse sauver comme celui-là (2). »

Le parjure est un impie et un blasphémateur : « qui prend le nom de Dieu en vain (3) : » qui par là traite Dieu de chose vaine : qui ne croit pas que Dieu soit juste, ni puissant, ni véritable : qui le défie de lui faire du mal, et ne craint non plus sa justice qu'il invoque contre soi-même, que si au lieu de Dieu il nommait une idole vaine et muette.

Le jurement fréquent tient du blasphème, et expose au parjure. « Le discours mêlé de beaucoup de serments fait dresser les cheveux : et l'irrévérence du nom de Dieu pris en vain, fait boucher les oreilles (4). L'homme qui jure beaucoup sera rempli d'iniquité, et la plaie ne sortira point de sa maison (5). »

C'est par la même raison que le prince doit exterminer de dessus la terre les devins et les magiciens, qui s'attribuent à eux-mêmes, ou qui attribuent aux démons la puissance divine. Et on sait ce qui arriva à Saül, pour avoir lui-même violé l'ordonnance qu'il avait faite contre cette impiété (6).

 

1 Levit., XXIV, 13 et seq. — 2 Dan., III, 96. — 3 Exod., XX, 7. — 4  Eccli.. XXVII, 15. — 5 Eccli., XXIII, 12. — 6 I Reg., XXVIII, ci-devant, liv. V, art. 3, Ire propos.

 

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XVIe PROPOSITION. Les blasphèmes font périr les rois et les armées.

 

Sennachérib roi d'Assyrie, après avoir fait à Ezéchias et à son peuple des menaces pleines de blasphèmes, et leur avoir envoyé des ambassadeurs avec une lettre où étaient ces paroles (1) : « Que votre Dieu, en qui vous mettez votre confiance, ne vous trompe pas. Les dieux des autres nations les ont-ils sauvés? Où est le roi d'Emath et le roi d'Arphad, et les rois de tant d'autres peuples vaincus, » qui ont invoqué leurs dieux inutilement contre moi ? « Voici, dit Ezéchias, un jour d'affliction, un jour de menace, un jour de blasphème » (mais, ô Seigneur, nous ne pouvons rien). Tout ce peuple fait des efforts inutiles, « semblables à ceux d'une femme dont l'enfant est prêt à sortir, et qui n'a pas assez de force pour accoucher. Mais peut-être que Dieu écoutera les blasphèmes de ses ennemis » (qui le comparent aux idoles des Gentils). Et Ezéchias prit les lettres de la main des ambassadeurs : et il alla dans le temple, et il les étendit tout ouvertes devant le Seigneur (2). » Il n'eut point de plus fortes armes. Et les blasphèmes de ce prince impie le firent périr lui et son armée : et il y eut en une nuit cent quatre-vingt-cinq mille hommes égorgés de la main d'un ange (3).

Quoique Dieu ne fasse pas toujours des exécutions si éclatantes, il sait venger les blasphèmes par des voies aussi efficaces, quoique plus cachées. Celui qui avait envoyé son ange contre Sennachérib, inspira contre Nicanor un invincible courage à Judas le Machabée et à ses soldats. L'impie périt avec son armée immense qui menaçait le ciel : « la main qu'il avait levée contre le temple y fut attachée. Sa tête fut exposée au haut d'une tour. Et sa langue, dont il avait dit : Y a-t-il un Dieu puissant dans le ciel? et moi je suis puissant sur la terre : fut donnée en proie aux oiseaux du ciel. Et tous les deux bénirent le Seigneur en disant : Béni soit Dieu qui a conservé son temple (4). »

 

1 IV Reg., XIX, 10, 11, 42, 13.—  2 IV Reg., XIX, 3, 4. — 3 Ibid., 14, 15, 35. — 4 II Mach., XV, 4, 5, 32, 33, 34.

 

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XVIIe PROPOSITION. Le prince est religieux observateur de son serment.

 

Nous avons vu les qualités du serinent marquées par saint Paul (1) : et premièrement, a qu'on jure par plus grand que sois. »

Cela regarde les rois d'une manière toute spéciale. On jure (a) par plus grand que soi : c'est-à-dire on jure (b) par son souverain, par son juge. Dieu est le souverain des rois et des puissances suprêmes. Il est leur juge spécial, parce que lui seul les peut juger, et qu'il faudrait qu'il les jugeât quand il ne jugerait pas le reste des hommes.

« On jure, ajoute l'Apôtre, par quelque chose d'immuable. » Ce qu'il explique en disant « qu'on jure par quelque chose qui ne peut mentir, ni tromper personne (3). » Et c'est ce qui devait être principalement ordonné à l'égard des rois : parce que tout le monde étant si porté à les flatter et à les tromper, il fallait prendre contre eux pour témoin et pour juge celui qui seul ne es flatte pas.

Le prince jure à Dieu dans son sacre (comme nous allons le voir plus au long), de maintenir les privilèges des églises : de conserver la foi catholique qu'il a reçue de ses pères : d'empêcher les violences, et de rendre justice à tous ses sujets. Ce serment est le fondement du repos public : et Dieu est d'autant plus obligé par sa propre vérité à se le faire tenir, qu'il en est le seul vengeur.

Il y a une autre sorte de serment, que les puissances souveraines font à leurs égales, de garder la foi des traités. Car comme dans tout traité on se soumet pour l'exécution à quelque juge, ceux qui n'ont pour juge que Dieu ont recours à lui dans leurs traités, comme au dernier appui de la paix publique.

De tout cela il résulte que les princes qui manquent à leurs

 

1 Ci-devant, liv. VII, art. 2, IIIe propos., p. 293. — 2 Hebr., VI, 16. — 3 Hebr., VI, 18.

(a) IIe Edit. : On juge. — (b) On juge.

 

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serments (ce qu'à Dieu ne plaise qu'il leur arrive jamais), autant qu'il est en eux, rendent vain ce qu'il y a de plus ferme parmi les hommes : et en même temps rendent impossible la société et le repos du genre humain. Par où ils font Dieu et les hommes leurs justes et irréconciliables ennemis : puisque pour les concilier, il ne reste plus rien au-dessus de ce qu'ils ont rendu nul.

Qui ne sent pas combien cela est terrible, n'a plus rien qu'il puisse sentir que l'enfer même : et la vengeance de Dieu manifestement et impitoyablement déclarée.

 

XVIIIe PROPOSITION. Où l'on expose le serment du sacre des rois de France.

 

L'archevêque consacrant, ou les évêques, parlent en ces termes au roi dès le commencement de son sacre, au nom de toutes les églises qui lui sont sujettes : « Nous vous supplions d'accorder à nous et à nos églises que vous conserverez et défendrez le privilège canonique, avec la loi et la justice qui leur est due » Ce qui comprend les immunités ecclésiastiques, également établies par les canons et par les lois. Et le roi répond : « Je vous promets de conserver à vous et à vos églises, le privilège canonique, avec la loi, et la justice qui leur est due. Et je leur promets de leur accorder la défense de ces choses, ainsi qu'un roi la doit accorder par droit dans son royaume à un évêque, et à l'église qui lui est commise. »

Puis on chante le Te Deum. Et le roi debout fait les promesses suivantes : « Je promets au nom de Jésus-Christ, ces trois choses au peuple chrétien qui m'est sujet. Premièrement, que tout le peuple chrétien de l'Eglise de Dieu conserve en tout temps sous nos ordres, la paix véritable. En second lieu, que j'interdise toute rapacité et iniquité. En troisième lieu, qu'en tout jugement j'ordonne l'équité et la miséricorde. »

Après qu'on a dit les Litanies, le prince prosterné se relève, et est interrogé en cette sorte par le seigneur métropolitain : « Voulez-vous tenir la sainte foi, qui vous a été laissée par des hommes

 

1 Cérémonial français, pag. 14.

 

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catholiques, et l'observer par des bonnes œuvres. Et le roi répond : Je le veux. Le métropolitain continue : Voulez-vous être le tuteur et le défenseur des églises et des ministres des églises? Et le roi répond : Je le veux. Le métropolitain demande encore : Voulez-vous gouverner et défendre votre royaume qui vous a été accordé de Dieu, selon la justice de vos pères? Et le roi répond : Je le veux : et autant qu'il me sera possible, avec la grâce de Dieu, en consolation à tout le monde. Ainsi je promets de le faire fidèlement, en tout et partout (1). »

On lui demande enfin « s'il veut défendre les saintes églises de Dieu, et leurs pasteurs, et tout le peuple qui lui est soumis, justement et religieusement, par une royale providence, selon les coutumes de ses pères (2). Et après qu'il a répondu qu'il le fera de tout son pouvoir, l'évoque demande au peuple s'il ne s'engage pas à se soumettre à un tel prince (qui lui promet la justice et toute sorte de bien), et s'assujettir à son règne, avec une ferme fidélité ; et obéir à ses commandements, selon ce que dit l'Apôtre : Que toute âme soit assujettie aux puissances supérieures (3) : soit au roi, comme étant au-dessus de tous les autres (4). Qu'alors il soit répondu dune même voix, par tout le clergé, et par tout le peuple : Qu'il soit ainsi : Qu'il soit ainsi. Amen. Amen. »

Après l'onction accoutumée, un évêque fait cette prière : « Accordez-lui, Seigneur, qu'il soit le fort défenseur de sa patrie, le consolateur des églises et des saints monastères, avec une grande piété et une royale munificence. Qu'il soit le plus courageux et le plus puissant de tous les rois : le vainqueur de ses ennemis. Qu'il abatte ceux qui se soulèveront contre lui, et les nations païennes. Qu'il soit terrible à ses ennemis, par la grande force de la puissance royale. Qu'il paroisse magnifique, aimable et pieux aux grands du royaume : et qu'il soit craint et aimé de tout le monde (5).»

En lui donnant le sceptre, la main de justice et l'épée, l'archevêque lui dit : « Que cette épée est bénite, afin d'être selon l'ordre de Dieu, la défense des saintes églises (6) : et on l'avertit de se

 

1 Cérémonial français, pag. 16. — 2 Pag. 10, 17. — 3 Rom., XIII, 1. — 4 I Petr., II, 13.— 5 Cérémonial français, pag. 19. — 6 Ibid., 20 21.

 

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souvenir de celui à qui il a été dit par le Prophète : Mettez votre épée à votre côté, ô très-puissant (1). Afin que l'équité ait toute sa force : que les remparts de l'iniquité soient puissamment détruits : et enfin que vous méritiez par le soin que vous prendrez de la justice, de régner éternellement avec le Fils de Dieu, dont vous êtes la figure (2). »

Le roi promet aussi « de conserver la souveraineté, les droits et noblesses de la couronne de France : sans les aliéner ou les transporter à personne ; et d'exterminer de bonne foi, selon son pouvoir, tous hérétiques (a) notés et condamnés par l'Eglise (3). » Et il affermit toutes ces choses par serment.

        Dans la bénédiction de l'épée, on prie Dieu, « qu'elle soit en la main de celui qui désire s'en armer, pour la défense et la protection des églises, des veuves, des orphelins, et de tous les serviteurs de Dieu (4). » Ainsi on montre que la force n'est établie qu'en faveur de la justice et de la raison, et pour soutenir la faiblesse.

Les richesses, l'abondance de toute sorte de biens, la splendeur et la magnificence royale, sont demandées à Dieu pour le roi, par cette prière : « Faites, Seigneur, que de la rosée du ciel et de la graisse de la terre, le blé, le vin, l'huile, et toute la richesse et l'abondance des fruits, lui soient données et continuées par la sagesse divine. En sorte que durant son règne, la santé et la paix soit dans le royaume : et que la gloire et la majesté de la dignité royale éclate dans le palais aux yeux de tout le monde, et envoie partout les rayons de la puissance royale (5). »

        Cette splendeur doit porter dans tous les esprits, une impression de la puissance des rois, et paraître comme une image de la cour céleste.

Quel compte ne rendront point à Dieu les princes qui négligeraient de tenir des promesses si solennellement jurées?

 

1 Psal., XLIV, 4. — 2 Cérémonial français, pag. 20, 21.— 3 Ibid., pag. 33. — 4 Ibid., p. 34. — 5 Ibid., 35.

(a) Edit. : Tous les hérétiques. — (b) L'abondance et toute sorte de biens.

 

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XIXe PROPOSITION. Dans le doute, on doit interpréter en faveur du serment.

 

C'est ainsi que fit Josué. La ville de Gabaon était de celles que Dieu avait destinées à la demeure de son peuple, et dont il avait ordonné que les habitants seraient passés sans miséricorde au fil de l'épée, à cause de leurs crimes, aussi bien que tous les autres. Les Amorrhéens habitants de Gabaon, effrayés des victoires de Josué et des Israélites, usèrent de finesse : et feignant de venir de pays bien éloignés, ils les abordèrent en disant qu'ils « venaient de loin, émerveillés des prodiges que Dieu faisait en leur faveur, pour se soumettre à leur empire (1). » Ils firent tout ce qu'il fallait pour tromper Josué et les autres chefs, qui leur promirent la vie avec serment.

Trois jours après, on connut la vérité. La question fut de savoir si on s'en tiendrait à l'alliance jurée. Deux fortes raisons s'y opposaient : l'une était la fraude de ces peuples, à qui on ne pardonna que sur un faux exposé ; l'autre était le commandement de Dieu, qui ordonnait qu'on les exterminât entièrement. Mais Josué et les chefs du peuple s'en tinrent au serment et à l'alliance.

Contre la surprise, on disait qu'il fallait s'être informé de la vérité avant que de s'engager « et interroger la bouche du Seigneur (2), » en quoi Josué avait manqué ; mais que l'engagement étant pris, et le nom de Dieu y étant interposé, il s'en fallait tenir là.

Au commandement divin de faire passer tous ces peuples au fil de l'épée, Josué et les chefs opposaient un commandement plus ancien et plus important, de ne prendre pas en vain le nom de Dieu. « Nous avons juré par le nom du Seigneur Dieu d'Israël, que nous leur sauverions la vie : nous ne pouvons la leur ôter (3).» Tout le peuple qui murmurait auparavant se rendit à cette raison : et approuva la décision de Josué et de ses chefs.

Dieu même la confirma, lorsqu'il délivra Gabaon des rois

 

1 Jos., IX, 3 et seq. — 2 Jos., IX, 14. — 3 Ibid., 19.

 

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Amorrhéens qui la tenaient assiégée, par cette fameuse victoire où Josué arrêta le soleil (1).

Et longtemps après, du vivant de David, parce que pendant le règne de Saül, ce prince cruel avait voulu remuer cette question, et sous prétexte de zèle faire mourir les Gabaonites ; Dieu envoya la peste en punition de cet attentat, et ne se laissa fléchir qu'après qu'on eut puni rigoureusement la cruauté de Saül dans sa famille (2) : soit qu'elle y eût concouru, soit qu'elle fût justement châtiée pour d'autres crimes. Ainsi la décision de Josué fut confirmée par une déclaration manifeste de la volonté de Dieu : et tout le peuple y demeura ferme jusqu'aux derniers temps.

La force de la décision eut un effet perpétuel : et non-seulement sous les rois, mais encore du temps d'Esdras et au retour de la captivité (3).

C'est ainsi que furent sauvés les Gabaonites. La foi du peuple de Dieu, la sainteté des serments, la majesté et la justice du Dieu d'Israël, éclatèrent magnifiquement dans cette occasion : et il resta à la postérité un exemple mémorable, d'interpréter les traités en faveur du serment.

 

ARTICLE VI. Des motifs de religion particuliers aux rois.

 

Ire PROPOSITION. C'est Dieu qui fait les rois, et qui établit les maisons régnantes.

 

Saül cherchait les ânesses de son père Cis : David paissoit les brebis de son père Isaï, quand Dieu les a élevés d'une condition si vulgaire à la royauté (4).

        Comme il donne les royaumes, il les coupe par la moitié quand il lui plaît. Il fit dire à Jéroboam par son prophète : « Je partagerai le royaume de Salomon, et je t'en donnerai dix tribus, à cause qu'il a adoré Astarthé la déesse des Sidoniens, et Chamos le dieu de Moab, et Moloch le dieu des enfants d'Ammon. Je lui

 

1 Jos., X. — 2 II Reg., XXI, 1, 2 et seq. — 3 Esdr., II, 70; VII , 7, 24 ; VIII, 17 , 20; II Esdr., VII, 60 : X, 28. — 4 I Reg., IX, X, XVI.

 

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laisserai une tribu à cause de David mon serviteur : et Jérusalem la cité sainte que j'ai choisie (1). »

Le prophète Jéhu, fils d'Hanani, eut aussi ordre de dire à Baasa, le troisième roi d'Israël après Jéroboam : «Je t'ai élevé de la poussière, et je t'ai donné la conduite de mon peuple d'Israël; et tu as marché sur les voies de Jéroboam, et tu as excité mon indignation contre toi : je te perdrai, toi et ta maison (2). »

Par la même autorité un prophète alla à Jéhu, fils de Josaphat, fils de Namsi : « et le trouvant au milieu des grands, il dit tout haut : O prince, j'ai à vous parler. A qui de nous voulez-vous parler, répondit Jéhu ? A vous, prince, continua le prophète. Et il le tira selon l'ordre qu'il avait reçu de Dieu, dans le cabinet le plus secret de la maison, et lui dit : Le Seigneur vous a oint roi sur le peuple d'Israël : et vous détruirez la maison d'Achab votre seigneur (3). »

Dieu exerce le même pouvoir sur les nations infidèles. « Va, dit-il au prophète Elie, retourne sur tes pas par le désert jusqu'à Damas : et quand tu y seras arrivé, tu oindras Hazaël pour être roi de Syrie (4). »

Par ces actes extraordinaires, Dieu ne fait que manifester plus clairement ce qu'il opère dans tous les royaumes de l'univers, à qui il donne des maîtres tels qu'il lui plaît. « Je suis le Seigneur, dit-il; c'est moi qui ai fait la terre avec les hommes et les animaux : et je les mets entre les mains de qui je veux (5). »

        C'est Dieu encore qui établit les maisons régnantes. Il a dit à Abraham : « Les rois sortiront de vous (6) ; » et à David : « Le Seigneur vous fera une maison (7) ; » et à Jéroboam : « Si tu m'es fidèle, je te ferai une maison comme j'ai fait à David (8). »

        Il détermine le temps que doivent durer les maisons royales. « Tes enfants seront sur le trône jusqu'à la quatrième génération, dit-il à Jéhu (9). »

« J'ai donné ces terres à Nabuchodonosor, roi de Babylone. Ces

 

1 III Reg., XI, 31, 32, 33. — 2 Ibid., XVI, 1, 2, 3. — 3 IV Reg., IX, 4,5 et seq. —  4 III Reg., XIX, 15. — 5 Jerem., XXVII, 5. — 6 Gen., XVII, 6. — 7 II Reg., VII, 11. — 8 III Reg., XI,38. — 9 IV Reg., X, 30.

 

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peuples seront assujettis à lui, à son fils et au fils de son fils, jusqu'à ce que le temps soit venu (1). »

Et tout cela est la suite de ce conseil éternel, par lequel Dieu a résolu « de faire sortir tous les hommes d'un seul, pour les répandre sur toute la face de la terre, en déterminant les temps et les termes de leur demeure (2). »

 

IIe PROPOSITION. Dieu inspire l'obéissance aux peuples, et il y laisse répandre un esprit de soulèvement.

 

Dieu, qui tient en bride les flots de la mer, est le seul qui peut aussi tenir sous le joug l'humeur indocile des peuples. Et c'est pourquoi David lui chantait : « Béni soit le Seigneur mon Dieu, mon protecteur en qui j'espère, qui soumet mon peuple à ma puissance (3). »

Il agit dans les cœurs des nouveaux sujets qu'il avait donnés à Saül : « et une partie de l'armée, dont Dieu toucha le cœur, suivit Saül (4). »

En inspirant l'obéissance aux sujets, il met aussi dans le cœur du prince une confiance secrète, qui le fait commander sans crainte : « Et Dieu donna à Saül un autre cœur (5). » Lui qui se regardait auparavant, comme le dernier de tout le peuple d'Israël, prend en main le commandement et des peuples, et des armées : et sent en lui-même toute la force qu'il fallait pour agir en maître.

Après que le prophète envoyé de Dieu eut parlé à Jéhu pour le faire roi, « les seigneurs lui demandèrent : Que vous voulait cet insensé? Et il leur dit : Le connaissez-vous, et savez-vous ce qu'il m'a dit ? Ils lui répondirent : Tout ce qu'il aura dit est faux : mais ne laissez pas de nous le raconter (6). » Voilà ce qu'ils dirent, peu disposés, comme on voit, à en croire le prophète. Mais Jéhu ne leur eut pas plutôt rapporté que ce prophète l'avait sacré roi, que « tous aussitôt prirent leurs manteaux, les étendant sous ses pieds en forme de tribunal, et firent sonner la trompette, et

 

1 Jerem., XXVII,6, 7. — 2 Act., XVII, 26.— 3 Ps. CXLIII, 1, 2. — 4 I Reg., X, 26.— 5  Ibid., 9; IX , 21. — 6 IV Reg., IX, 11,12.

 

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crièrent : Jéhu est roi (1). » Et ils oublièrent Joram leur roi légitime, pour qui ils venaient d'exposer leur vie dans une bataille sanglante contre le roi de Syrie, et dans le siège de Ramoth Galaad : tant Dieu changea promptement les cœurs.

Il faut toujours se souvenir que ces choses si extraordinaires ne servent qu'à manifester ce que Dieu fait ordinairement d'une manière aussi efficace, quoique plus cachée. En même temps qu'il inspire aux grands de suivre Jéhu par un secret jugement de sa providence, il se répand dans le peuple un esprit de soulèvement universel, et rien ne le soutient plus dans le royaume. Jéhu marche avec sa troupe conjurée, à Jezraël où était le roi. Comme on le vit arriver, Joram envoie pour lui demander s'il venait en esprit de paix (2). De quelle paix me parlez-vous, dit-il à celui qui lui faisait ce message? Passez ici, et suivez-moi. Joram en envoya un autre pour faire la même demande : il reçut la même réponse, et il imita le premier en se joignant à Jéhu. Le roi, qui ne recevait aucune réponse, avance en personne avec le roi de Juda, croyant étonner Jéhu par la présence de deux rois unis, dont l'un était son souverain. « Aussitôt qu'il eut aperçu Jéhu, il lui dit : Venez-vous en paix? Quelle paix y a-t-il pour vous? répliqua-t-il. Et en même temps il banda son arc, et perça d'un coup de flèche le cœur de Joram, qui tomba mort à ses pieds (3). » Il restait dans le palais la reine Jézabel mère de Joram : « elle parut à la fenêtre richement parée, les yeux colorés d'un fard exquis. Qui est celle-là, dit Jéhu? Et il ordonne aux eunuques de cette princesse, de la précipiter du haut en bas (4). » Après toute cette sanglante exécution, il envoie des ordres à Samarie de faire mourir les enfants du roi (5) : et tous les grands du royaume résolurent de les faire mourir au nombre de soixante et dix, dont ils portèrent les têtes à Jéhu : et il envahit le royaume sans résistance. Dieu vengea par ce moyen les impiétés d'Achab et de Jézabel, sur eux et sur leur maison.

Voilà l'esprit de révolte qu'il envoie, quand il veut renverser les trônes. Sans autoriser les rébellions, Dieu les permet : et

 

1 IV Reg IX 13. — 2 Ibid., 18, 10, 20, 21. — 3 Ibid., 22 et seq. — 4 Ibid., 30 et seq. — 5 Ibid., X, I et seq.

 

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punit les crimes par d'autres crimes, qu'il châtie aussi en son temps, toujours terrible et toujours juste.

 

IIIe PROPOSITION. Dieu décide de la fortune des Etats.

 

« Le Seigneur Dieu frappera Israël, comme on remue un roseau dans l'eau ; et l'arrachera de la bonne terre, qu'il avait donnée à leurs pères : et comme par un coup de vent, il les transportera (a) à Babylone (1). » Tant est grande la facilité avec laquelle il renverse les royaumes les plus florissants.

 

IVe proposition. Le bonheur des princes vient de Dieu; et a souvent de grands retours.

 

Enflé d'une longue suite de prospérités, un prince insensé dit en son cœur : Je suis heureux, tout me réussit ; la fortune, qui m'a toujours été favorable, gouverne tout parmi les hommes, et il ne m'arrivera aucun mal. « Je suis reine, » disait Babylone, qui se glorifiait dans son vaste et redoutable empire : « je suis assise » (dans mon trône heureuse et tranquille) : je serai toujours dominante ; jamais je ne serai veuve, jamais privée d'aucun bien : jamais je ne connaîtrai ce que c'est que stérilité et faiblesse (2). » Tu ne songes pas, insensée, que c'est Dieu qui t'envoie ta félicité : peut-être pour t'aveugler, et te rendre ton infortune plus insupportable. « J'ai tout mis entre les mains de Nabuchodonosor roi de Babylone; et jusqu'aux bêtes, je veux que tout fléchisse sous lui. Les rois et les nations qui ne voudront pas subir le joug périront, non-seulement par l'épée de ce conquérant, mais de mon côté je leur enverrai la famine et la peste, jusqu'à ce que je les détruise entièrement (3). » Afin que rien ne manque ni à son bonheur ni au malheur de ses ennemis.

Mais tout cela n'est que pour un temps, et cet excès de bonheur a un prompt retour. « Car pendant qu'il se promenait dans sa Babylone, dans ses salles et dans ses cours; et qu'il disait en son

 

1 III Reg., XIV, 15. — 2 Isaï., XLVII, 7, 8. — 3 Jerem., XXVII, 6-8.

(a) IIe Edit.: H lca tianspoita.

 

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cœur : N'est-ce pas cette grande Babylone, que j'ai bâtie dans ma force et dans l'éclat de ma gloire ? » sans seulement jeter le moindre regard sur la puissance suprême, d'où lui venait tout ce bonheur : « une voix partit du ciel, et lui dit : Nabuchodonosor, c'est à toi qu'on parle. Ton royaume te sera ôté à cet instant : on te chassera du milieu des hommes : tu vivras parmi les bêtes, jusqu'à ce que tu apprennes que le Très-Haut tient en sa main les empires, et les donne à qui il lui plait (1).»

O prince ! prenez donc garde de ne pas considérer votre bonheur comme une chose attachée à votre personne ; si vous ne pensez en même temps qu'il vient de Dieu, fini le peut également donner et ôter. « Ces deux choses, la stérilité et la viduité viendront sur vous en un même jour, dit Isaïe (2). » Tous les maux vous accableront. « Et pendant que vous n'aurez à la bouche que la paix et la sécurité, la ruine survient tout à coup (3). »

Ainsi le roi Baltasar au milieu d'un festin royal qu'il faisait avec ses seigneurs et ses courtisans en grande joie (4), ne songeait qu'à « louer ses dieux d'or et d'argent, d'airain et de marbre, » qui le comblaient de tant de plaisirs et de tant de gloire; quand ces trois doigts (si célèbres) parurent en l'air, qui écrivaient sa sentence sur la muraille : « Mané : Thécel : Pharès. Dieu a compté tes jours, et ton règne est à sa fin. Tu as été mis dans la balance, et tu as été trouvé léger. Ton empire est divisé et il va être livré aux Mèdes et aux Perses. »

 

Ve PROPOSITION. Il n'y a point de hasard dans le gouvernement des  choses humaines; et la fortune n'est qu'un mot, qui n'a aucun sens.

 

C'est en vain que les aveugles enfants d'Israël « dressaient une table à la Fortune, et lui sacrifiaient (5). » Ils l'appelaient la reine du ciel, la dominatrice de l'univers; et disaient à Jérémie (6): O prophète, « nous ne voulons plus écouter vos discours : nous en ferons à notre volonté. Nous sacrifierons à la reine du ciel : et nous lui ferons des effusions, comme ont fait nos pères, nos

 

1 Dan., IV, 26-29. — 2 Isa., XLVII, 9. — 3 I Thess., V, 3. — 4 Dan., V, 1 et seq. — 5 Isaï., LXV, 11. — 6 Jerem., XLIV, 16, 17.

 

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princes et nos rois. Et tout nous réussissait, et nous regorgions de biens. »

C'est ainsi que séduits par un long cours d'heureux succès, les hommes du monde donnent tout à la fortune, et ne connaissent point d'autre divinité. Ou ils appellent la reine du ciel, l'étoile dominante et favorable, qui selon leur opinion fait prospérer leurs desseins. C'est mon étoile, disent-ils, c'est mon ascendant, c'est l'astre puissant et bénin qui a éclairé ma nativité, qui met tous mes ennemis à mes pieds.

Mais il n'y a dans le monde, ni fortune ni astre dominant. Rien ne domine que Dieu. « Les étoiles, comme son armée, marchent à son ordre chacune luit dans le poste qu'il lui a donné. Il les appelle par leur nom, et elles répondent : Nous voilà. Et elles se réjouissent, et luisent avec plaisir pour celui qui les a faites (1). »

 

VIe PROPOSITION. Comme tout est sagesse dans le monde, rien n'est hasard.

 

« Dieu a répandu la sagesse sur toutes ses œuvres (2). Dieu a tout vu, Dieu a tout mesuré, Dieu a tout compté (3). Dieu a tout fait avec mesure, avec nombre et avec poids (4). » Rien n'excède, rien ne manque. A regarder le total, rien n'est plus grand ni plus petit qu'il ne faut : ce qui semble défectueux d'un côté, sert à un autre ordre supérieur et plus caché, que Dieu sait. Tout est épandu (a) à pleines mains : et néanmoins tout est fait et donné par compte. « Jusqu'aux cheveux de notre tète, ils sont tous comptés (5). Dieu sait nos mois et nos jours : il en a marqué le terme, qui ne peut être passé (6). Un passereau même ne tombe pas sans votre Père céleste (7). » Ce qui emporterait d'un côté, a son contre-poids de l'autre : la balance est juste, et l'équilibre parfait.

Où la sagesse est infinie, il ne reste plus de place pour le hasard.

 

1 Baruch, III, 34, 35.— 2 Eccli., I, 10. — 3 Ibid., 9. — 4 Sap., XI, 21. — 5 Matth., X, 30. — 6 Job, XIV, 5. — 7 Matth., X, 29.

(a) Répandu.

 

VIIe PROPOSITION. Il y a une providence particulière dans le gouvernement des choses humaines.

 

« L'homme prépare son cœur, et Dieu gouverne sa langue (1). »

« L'homme dispose ses voies : mais Dieu conduit ses pas (2). »

On a beau compasser dans son esprit tous ses discours et tous ses desseins; l'occasion apporte toujours je ne sais quoi d'imprévu : en sorte qu'on dit et qu'on fait toujours plus ou moins qu'on ne pensait. Et cet endroit inconnu à l'homme dans ses propres actions et dans ses propres démarches, c'est l'endroit secret par où Dieu agit, et le ressort qu'il remue.

S'il gouverne de cette sorte les hommes en particulier, à plus forte raison les gouverne-t-il en corps d'Etats et de royaumes. C'est aussi dans les affaires d'Etat, « que nous sommes (principalement) en sa main, nous et nos discours, et toute sagesse, et la science d'agir (3). »

« Dieu a fait en particulier les cœurs des hommes; il entend toutes leurs œuvres. C'est pourquoi, ajoute le Psalmiste, le roi n'est pas sauvé par sa grande puissance, ou par une grande armée, mais parla puissante main de Dieu (4). » Lui qui gouverne les cœurs de tous les hommes, et qui tient en sa main le ressort qui les fait mouvoir, a révélé à un grand roi qu'il exerce spécialement ce droit souverain sur les cœurs des rois : « Comme la distribution des eaux (est entre les mains de celui qui les conduit), ainsi le cœur du roi est entre les mains de Dieu, et il l’incline où il lui plaît (5). » Il gouverne particulièrement le mouvement principal, par lequel il donne le branle aux choses humaines.

 

VIIIe PROPOSITION. Les rois doivent plus que tous les autres s'abandonner à la providence de Dieu.

 

Toutes les propositions précédentes aboutissent à celle-ci. Plus l'ouvrage des rois est grand, plus il surpasse la faiblesse humaine, plus Dieu se l'est réservé, et plus le prince qui le manie doit s'unir à Dieu, et s'abandonner à ses conseils.

 

1 Prov., XVI, 1. — 2 Ibid., 9. — 3 Sap., VII, 16.— 4 Ps. XXXII, 15, 16. — 5 Prov., XXI, 1.

 

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En vain un roi s'imaginerait qu'il est l'arbitre de son sort, à cause qu'il l'est de celui des autres : il est plus gouverné qu'il ne gouverne : « Il n'y a point de sagesse, il n'y a point de prudence, il n'y a point de conseil contre le Seigneur   »

« Les pensées des mortels sont tremblantes, et leur prévoyance incertaine (2). »

« Il s'élève plusieurs pensées dans le cœur de l'homme (elles le rendent timide et irrésolu) : les conseils de Dieu sont éternels (3). » Ceux-là seuls subsistent toujours, ils sont invincibles.

 

IXe PROPOSITION. Nulle puissance ne peut échapper les mains de Dieu.

 

Salomon bien averti par un prophète que Jéroboam partagerait un jour son royaume, tâche de le faire mourir; mais en vain, puisqu'il trouve une retraite assurée chez Sésac, roi d'Egypte (4).

Achab roi d'Israël est averti par Michée qu'il périrait dans une bataille (5). «Je changerai d'habit, dit-il, et j'irai ainsi au combat. » Mais pendant que l'ennemi le cherche en vain, et tourne tout l'effort contre Josaphat roi de Juda, qui seul paraissait en habit royal, « il arriva qu'un soldat en tirant en l'air blessa le roi d'Israël entre le col et l'épaule. Je suis blessé, s'écria-t-il : tournez, continua t il à celui qui conduisait son chariot ; et tirez-moi du combat. » Mais le coup qu'il avait reçu était mortel ; et il en mourut le soir même.

Tout semblait concourir à le sauver. Car encore qu'il y eût ordre de l'attaquer seul, on ne le connaissait pas : et Josaphat, qu'on prit pour lui, fut délivré, Dieu détournant tous les coups qu'on lui parfait. Achat), contre qui on ne tirait pas faute de pouvoir le connaître, fut atteint par une flèche tirée au hasard. Mais ce qui semble tiré au hasard, est secrètement guidé par la main de Dieu.

Il n'y avait plus qu'un moment pour sauver Achab : le soleil

 

1 Prov., XXI, 30. — 2 Sap., IX, 14. — 3 Prov., XIX, 21. — 4 III Reg., XI, 40. — 5 II Paralip., XVIII, 27-29 et seq.

 

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allait se coucher; la nuit allait séparer les combattants : mais il fallait qu'il périt : « et il fut tué au soleil couchant   »

C'est en vain que Sédécias croit dans la prise de Jérusalem avoir évité par la fuite les mains de Nabuchodonosor, à qui Dieu voulait le livrer (1) : « il est repris avec ses enfants, qui furent tués à ses yeux : et on les lui crève, » après ce triste spectacle.

David était sage et prévoyant plus qu'homme de son siècle : et il se servit de toute son adresse pour couvrir son crime. Mais Dieu le voyait : « Tu l'as fait, dit-il, en cachette : mais moi j'agirai à découvert. (Et tout ce que tu crois avoir enveloppé dans des ténèbres impénétrables), paraîtra aux yeux de tout Israël, et aux yeux du soleil (3). »

Les finesses sont inutiles : tout ce que l'homme fait pour se sauver, avance sa perte : « Il tombe dans la fosse qu'il a creusée: et le filet qu'on a tendu nous prend nous-mêmes   »

Il n'y a donc de recours qu'à s'abandonner à Dieu avec une pleine confiance.

 

Xe PROPOSITION. Ces sentiments produisent dans le cœur des rois une piété véritable.

 

Telle fut celle de David. Lorsque fuyant devant son fils Absalon, abandonné de tous les siens, il dit à Sadoc sacrificateur et aux lévites qui lui amenaient l'arche d'alliance du Seigneur : « Reportez-la dans Jérusalem : si j'ai trouvé grâce devant le Seigneur, il me la montrera et le tabernacle. Que s'il me dit : Vous ne me plaisez pas, il est le maître, qu'il fasse ce qu'il lui plaira (5).» Je suis soumis à sa volonté.

Ses serviteurs fondaient en larmes, le voyant obligé de fuir avec tant de précipitation et d'ignominie : mais David avec un cœur intrépide, leur relève le courage. Il veut même par une générosité qui lui était naturelle, renvoyer six cents de ses plus vaillants soldats, avec Ethaï le Gélhéen, qui les commandait, pour ne les pas exposer à une ruine qui paraissait inévitable (6). «Pourquoi venez-vous avec nous? Retournez. Pour moi, ajoute-t-il,

 

1 II Paralip., XVIII, 34. — 2 Jerem., XXXIX, 4-7. — 3 II Reg., XI, 12. — 4 Ps. VII, 16; XXIV, 8; Eccli., XXVII, 29.— 5 II Reg., XV, 24-26. — 6 Ibid , 19-21.

 

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j'irai où je dois aller. » Quel courage, quelle grandeur d'âme ! mais en même temps quelle résignation à la volonté de Dieu ! Il reconnaît la main divine qui le poursuit justement : et met toute sa confiance en cette même main qui seule peut le sauver.

 

XIe PROPOSITION. Cette piété est agissante.

 

Il y a un abandon à Dieu qui vient de force et de piété : il y en a un qui vient de paresse. S'abandonner à Dieu sans faire de son côté tout ce qu'on peut, c'est lâcheté et nonchalance.

La piété de David n'a point ce bas caractère. En même temps qu'il attend avec soumission ce que Dieu ordonnera du royaume et de sa personne pendant la révolte d'Absalon, sans perdre un moment de temps, il donne tous les ordres nécessaires aux troupes, à ses conseillers, à ses principaux confidents, pour assurer sa retraite et rétablir les affaires (1).

Dieu le veut : agir autrement, c'est le tenter contre sa défense : « Vous ne tenterez pas le Seigneur votre Dieu (2). » Ce n'est pas en vain qu'il vous a donné une sagesse, une prévoyance, une liberté : il veut que vous en usiez. Ne le faire pas et dire en son cœur : J'abandonnerai tout au gré du hasard ; et croire qu'il n'y a point de sagesse parmi les hommes, sous prétexte qu'elle est subordonnée à celle de Dieu : c'est disputer contre lui ; c'est vouloir secouer le joug, et agir en désespéré.

 

XIIe PROPOSITION. Le prince qui a failli ne doit pas perdre espérance ; mais retourner à Dieu par la pénitence.

 

Ainsi Manassés roi de Juda, après tant d'impiétés et d'idolâtrie ; après avoir répandu tant de sang innocent, jusqu'à en faire regorger les murailles de Jérusalem (3), frappé delà main de Dieu, «et livré à ses ennemis qui le transportèrent à Babylone, et chargé de fers, pria le Seigneur son Dieu dans son angoisse, et se repentit avec beaucoup de douleur devant le Dieu de ses pères : et il lui fit des prières, et il le pria instamment. Et Dieu

 

1 II Reg., XV-XVIII. — 2 Deut., VI, 16. — 3 IV Reg., XXI, 2, 16.

 

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écouta sa prière, et il le ramena à Jérusalem dans son trône : et Manassés reconnut que le Seigneur était le vrai Dieu (1). » Mais il faut bien remarquer que la pénitence de ce prince fut sérieuse, son humilité sincère et ses prières pressantes.

Dieu ne laisse pas quelquefois d'avoir égard à la pénitence des impies, lorsque même sans se convertir, ils sont effrayés de ses menaces. Achab ayant entendu les menaces que Dieu faisait par le prophète Elie, en fut effrayé (2). « Il déchira ses habits, et couvrit sa chair d'un cilice, et il jeûna : et il se coucha en son lit revêtu d'un sac : et il marcha la tête baissée (cette tête auparavant si superbe). Et le Seigneur dit à Elie : N'avez-vous pas vu Achab humilié devant moi? Parce donc qu'il s'est humilié à cause de moi, je ne ferai pas tomber sur lui tout le mal dont je l'ai menacé : mais je frapperai sa maison du temps de son fils. »

Dieu semble avoir de la complaisance à voir les grands rois et les rois superbes humiliés devant lui. Ce n'est pas que les plus grands rois soient plus que les autres hommes à ses yeux, devant lesquels t ut est également un néant : mais c'est que leur humiliation est d'un plus grand (a) exemple au genre humain.

On ne finirait jamais si on voulait ici parler de la pénitence de David, si célèbre dans toute la terre. Elle a tellement effacé tous ses péchés, qu'il semble même que Dieu les ait entièrement oubliés. David est demeuré comme auparavant, l'homme selon le cœur de Dieu : le modèle des bons rois : et le père par excellence du Messie. Dieu lui a rendu, et même augmenté, non-seulement l'esprit de justice, mais encore l'esprit de prophétie et les dons extraordinaires : en sorte qu'on peut dire qu'il n'a rien perdu.

 

XIIIe  PROPOSITION. La religion fournit aux princes des motifs particuliers de pénitence.

 

« J'ai péché contre vous seul, » disait David (3). Contre vous seul, puisque vous m'aviez rendu indépendant de toute autre puissance que de la vôtre. Tel est le premier motif : « J'ai péché

 

1 II Paralip., XXXIII, 11-13. — 2 III Reg., XXI, 27-29. — 3 Ps. L, 6.

(a) Edit. II : Est d'un grand.

 

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contre vous seul. » Je dois donc par ce motif spécial de l'offense que j'ai commise contre vous, me dévouer entièrement à la pénitence.

Le second motif, c'est que si les princes sont exposés à de plus dangereuses tentations, Dieu leur a donné de plus grands moyens de les réparer par leurs bonnes œuvres.

Le troisième, c'est que le prince dont les péchés sont plus écla-tans, les doit expier aussi par une pénitence plus édifiante.

 

XIVe PROPOSITION. Les rois de France ont une obligation particulière à aimer l'Eglise ; et à s'attacher au saint Siège.

 

« La sainte Eglise romaine, la mère, la nourrice et la maîtresse de toutes les églises, doit être consultée dans tous les doutes qui regardent la foi et les mœurs : principalement par ceux qui comme nous ont été engendrés en Jésus-Christ par son ministère, et nourris par elle du lait de la doctrine catholique. » Ce sont les paroles d'Hincmar, célèbre archevêque de Reims.

Il est vrai qu'une partie de ce royaume, comme l'église de Lyon et les voisines, ont reçu la foi d'une mission qui leur venait d'Orient et par le ministère de saint Polycarpe, disciple de l'apôtre saint Jean. Mais comme l'Eglise est une par tout l'univers, cette mission orientale n'a pas été moins favorable à l'autorité du saint Siège, que celle qui en est venue directement. Ce qui paraît par la doctrine de saint Irénée évêque de Lyon, qui dès le second siècle a célébré si hautement la nécessité de s'unir à l'Eglise romaine : «comme à la principale église de l'univers : fondée par les deux principaux apôtres, saint Pierre et saint Paul (1).  »

L'Eglise gallicane a été fondée par le sang d'une infinité de martyrs. Et je ne veux ici nommer qu'un saint Pothin, un saint Irenée, les saints martyrs de Lyon et de Vienne, et saint Denis avec ses saints compagnons.

L'Eglise gallicane a porté des évêques des plus doctes, des plus saints, des plus célèbres qui aient jamais été : et je ne ferai mention que de saint Hilaire et de saint Martin.

 

1 Iren., lib.  III adv. Hœres., cap. III.

 

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Quand le temps fut arrivé que l'empire romain devait tomber en Occident, Dieu, qui livra aux Barbares une si belle partie de cet empire et celle où était Rome, devenue le chef de la religion : il destina à la France des rois qui dévoient être les défenseurs de l'Eglise. Pour les convertir à la foi avec toute la belliqueuse nation des Francs, il suscita un saint Remi homme apostolique : par lequel il renouvela tous les miracles qu'on avait vus éclater dans la fondation des plus célèbres églises, comme le remarque saint Remi lui-même dans son testament (1).

Ce grand saint et ce nouveau Samuel appelé pour sacrer les rois, sacra ceux de France en la personne de Clovis, comme il dit lui-même, « pour être les perpétuels défenseurs de l'Eglise et des pauvres (2) » qui est le plus digne objet de la royauté. Il les bénit et leurs successeurs, qu'il appelle toujours ses enfants : et priait Dieu nuit et jour, qu'ils persévérassent dans la foi. Prière exaucée de Dieu avec une prérogative bien particulière, puisque la France est le seul royaume de la chrétienté qui n'a jamais vu sur le trône que des rois enfants de l'Eglise.

        Tous les saints qui étaient alors furent réjouis du baptême de Clovis : et dans le déclin de l'empire romain, ils crurent voir dans les rois de France, « une nouvelle lumière pour tout l'Occident et pour toute l'Eglise (3). »

Le pape Anastase II crut aussi voir dans le royaume de France nouvellement converti, « une colonne de fer, que Dieu élevait pour le soutien de sa sainte (a) Eglise, pendant que la charité se refroidissait partout ailleurs (4), » et même que les empereurs avaient abandonné la foi.

Pelage II se promet des descendants de Clovis comme des voisins charitables de l'Italie et de Rome, la même protection pour le saint Siège qu'il avait reçue des empereurs (5). Saint Grégoire le Grand enchérit sur ses saints prédécesseurs, lorsque touché de la foi et du zèle de ces rois, il les met « autant au-dessus des autres

 

1 Test. S. Remig., apud Flod., lib. I, cap. XXVIII.— 2  Ibid.— 3 Epist. Avit. Vienn. ad Clodov., tom. I Conc. Gall., p. 154. — 4 Anastas. II, Ep. II ad Clod., tom. IV Conc., col. 1282. — 5 Pelag. II, Ep. ad Aunach., tom. I Conc. Gall., p. 376.

(a) Edit. II: De la sainte.

 

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souverains, que les souverains sont au-dessus des particuliers (1). »

Les enfants de Clovis n'ayant pas marché dans les voies que saint Remi leur avait prescrites, Dieu suscita une autre race pour régner en France. Les papes et toute l'Eglise la bénirent en la personne de Pépin, qui en fut le chefs. L'empire y fut établi, en la personne de Charlemagne et de ses successeurs. Aucune famille royale n'a jamais été si bienfaisante envers l'Eglise romaine. Elle en tient toute sa grandeur temporelle : et jamais l'empire ne fut mieux uni au sacerdoce, ni plus respectueux envers les papes, que lorsqu'il fut entre les mains des rois de France.

Après ces bienheureux jours, Rome eut des maîtres fâcheux : et les papes eurent tout à craindre, tant des empereurs que d'un peuple séditieux. Mais ils trouvèrent toujours en nos rois ces charitables voisins que le pape Pelage II avait espérés. La France plus favorable à leur puissance sacrée que l'Italie et que Rome même, leur devint comme un second siège, où ils tenaient leurs conciles et d'où ils faisaient entendre leurs oracles à toute l'Eglise : comme il paraît par les conciles de Troyes, de Clermont, de Toulouse, de Tours et de Reims.

Une troisième race était montée sur le trône. Race, s'il se peut, plus pieuse que les deux autres; sous laquelle la France est déclarée par les papes « un royaume chéri et béni de Dieu, dont l'exaltation est inséparable de celle du saint Siège3. » Race aussi, qui se voit seul) dans tout l'univers, toujours couronnée et toujours régnante, depuis sept cents ans entiers sans interruption : et ce qui lui est encore plus glorieux, toujours catholique, Dieu par son infinie miséricorde, n'ayant même pas permis qu'un prince, qui était monté sur le trône dans l'hérésie, y persévérât.

Puisqu'il paraît par cet abrégé de notre histoire que la plus grande gloire des rois de France leur vient de leur foi, et de la protection constante qu'ils ont donnée à l'Eglise, ils ne laisseront

 

1 Greg. Magn., Epist. lib. IV , ep. VI, tom. II. col. 795. — 2 Paul. I, Ep. x, ad Franc., tom. II Conc. Gall., p. 59.— 3 Alex. III, Ep. XXX, tom. X Conc, col. 1212; Greg. IX, tom. XI Conc, col. 367.

 

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pas affaiblir cette gloire : et la race régnante la fera passer à la postérité jusque la fin des siècles.

Elle a produit saint Louis, le plus saint roi qu'on ait vu parmi les chrétiens. Tout ce qui reste aujourd'hui de princes de France, est sorti de lui. Et comme Jésus-Christ disait aux Juifs : « Si vous êtes enfants d'Abraham, faites les œuvres d'Abraham (1) ; » il ne me reste qu'à dire à nos princes : Si vous êtes enfants de saint Louis, faites les œuvres de saint Louis (a).

 

1 Jonn., VIII, 39.

 

(a) Nous insérons ici un fragment des Mémoires de Louis XIV, qui a un rapport particulier aux matières traitées dans ce liv. VII. On y remarquera que les instructions du père à son fils s'accordent parfaitement avec les leçons de l'instituteur à son élève ; et on verra en même temps quelle importance ce grand roi mettait à inspirer au dauphin, en toute occasion, les sentiments de religion dont il était lui-même pénétré.

Après avoir parlé des mesures qu'il prit pour la répression des duels, il continue ainsi :

Je rétablis par une nouvelle ordonnance la rigueur des anciens édits contre les jurements, dont je fis bientôt après quelques exemples; et pour autoriser toutes ces actions extérieures par une marque de piété personnelle , j'allai publiquement à pied, avec tous mes domestiques, aux stations du jubilé, voulant que tout le monde conçût par le profond respect que je rendais a Dieu, que c'était de sa grâce et de sa protection, plutôt que de ma propre conduite, que je prétendais obtenir l'accomplissement de mes desseins et la félicité de mes peuples.

Car vous devez savoir avant toutes choses, mon fils, que nous ne saurions montrer trop de respect pour celui qui nous fait respecter de tant de milliers d'hommes.

La première partie de la politique est celle qui nous enseigne aie bien servir La soumission que nous avons pour lui est la plus belle leçon que nous puissions donner de celle qui nous est due; et nous péchons contre la prudence, aussi bien que contre la justice, quand nous manquons de vénération pour celui dont nous ne sommes que  les lieutenants. Ce que nous avons d'avantages sur les autres hommes est pour nous un nouveau titre de sujétion ; et après ce qu'il a fait pour nous, notre dignité se relève par tous les devoirs que nous lui rendons. Mais sachez que, pour le servir selon ses désirs, il ne faut pas se contenter de lui rendre un culte, extérieur comme l'ont la plupart des autres hommes; des obligations plus signalées veulent de nous des devoirs plus épurés : et comme en nous donnant le sceptre, il nous a donné ce qui paraît de plus éclatant sur la terre, nous devons, en lui donnant notre cœur, lui donner ce qui est de plus agréable à ses yeux.

Quand nous aurons armé tous nos sujets pour la défense de sa gloire, quand nous aurons relevé ses autels abattus, quand nous aurons fait connaître son nom aux climats les plus reculés de la terre, nous n'aurons fait que l'une des parties de notre devoir ; et sans doute nous n'aurons pas fait celle qu'il désire le plus de nous, si nous ne nous sommes soumis nous-mêmes au joug de ses commandements. Les actions de bruit et d'éclat ne sont pas toujours celles qui le touchent davantage ; et ce qui se passe dans le secret de notre cœur est souvent ce qu'il observe avec plus d'attention.

Il est infiniment jaloux de sa gloire; mais il sait mieux que nous discerner en quoi elle consiste. Il ne nous a peut-être faits si grands qu'afin que nos respects l'honorassent davantage; et si nous manquons de remplir en cela ses desseins, peut-être qu'il nous laissera tomber dans la poussière de laquelle il nous a tirés.

Plusieurs de mes ancêtres, qui ont voulu donner à leurs successeurs de pareils enseignements, ont attendu pour cela l'extrémité de leur vie ; mais je ne suivrai pas en ce point leur exemple. Je vous en parle dès cette heure, mon fils, et vous en parlerai toutes les fois que j'en trouverai l'occasion. Car outre que j'estime qu'on ne peut de trop bonne heure imprimer dans les jeunes esprits des pensées de cette conséquence, je crois qu'il se peut taire que ce qu'ont dit ces princes, dans un état si pressant, ait quelquefois été attribué à la vue du péril où ils se trouvaient ; au lieu que vous en parlant maintenant, je suis assuré que la vigueur de mon âge, la liberté de mon esprit et l'état florissant de mes affaires, ne vous pourront jamais laisser pour ce discours aucun soupçon de faiblesse ou de déguisement.

Mém. de Louis XIV, ann. 1661 à 1666 :  fragmenta. Ire part. pag. 33 et suiv. ( Edit. de Vers. )

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