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Tables

 

ABRÉGÉ DE L'HISTOIRE DE FRANCE

 

 

LIVRE PREMIER.

PHARAMOND (AN 420).

CLODION LE CHEVELU (AN 428).

MÉROVÉE (AN 447).

CHILDÉRIC I (AN 457).

CLOVIS I (AN 481).

THIERRI, CHILDEBERT I, CLOTAIRE I, CLODOMIR (AN 511).

CHILPÉRIC I, CHEREBERT, GONTRAN, SIGEBERT (AN 570).

CLOTAIRE II (AN 584).

DAGOBERT I (AN 628).

SIGEBERT, CLOVIS II (AN 644).

CLOTAIRE III (AN 656).

CHILDÉRIC II (AN 670).

THIERRI III, DAGOBERT II (AN 674).

PEPIN, MAIRE DU PALAIS (AN 681).

CLOVIS III, CHILDEBERT III (AN 691).

DAGOBERT III (AN 711).

DANIEL OU CHILPÉRIC II (AN 715).

THIERRI IV, DIT DE CHELLES (AN 721).

CHILDÉRIC III ( AN 743).

 

 

LIVRE PREMIER.

 

PHARAMOND (AN 420).

 

Honorius tenait l'empire d'Occident; la puissance romaine était abattue par les guerres civiles, et par les irruptions des Barbares, et tout l'Etat tombait en ruine par la faiblesse et la lâcheté de son chef, quand les François, nation germanique qui habitait auprès du Rhin, tâchèrent de pénétrer dans la Gaule, où ils avaient eu depuis longtemps des établissements. Ils étaient encore païens et la Gaule était chrétienne. Quelques-uns de nos historiens comptent Pharamond, fils de Marcomir, pour le premier roi des François, et disent que ce fut environ l'an 420, qu'ils l'élurent en l'élevant sur un bouclier, selon la coutume de la nation.

Les François étaient gouvernés par les lois saliques, ainsi nommées du nom des Saliens, la plus noble portion des peuples français. Les rois suivants les ont augmentées et éclaircies ; mais elles étaient dès lors en vigueur. Voici ce qu'elles portaient touchant les successions : Dans la terre salique aucune parité de l'héritage ne doit venir aux femelles; mais il appartient tout entier aux mâles (1). Les terres saliques étaient celles qui étaient données aux Saliens, ou principaux d'entre les François, à condition du service militaire, sans aucune autre servitude ; ainsi il n'est pas étonnant que les femmes en fussent exclues. Ceux qui savent nos antiquités ne doutent pas que cet article de la loi, touchant les terres saliques, ne vienne des anciennes coutumes de la nation, et n'ait été eu usage parmi les peuples dès leur origine.

 

1 Tit. LXII, De Alode, art. 6.

 

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CLODION LE CHEVELU (AN 428).

 

La partie des Gaules, voisine du Rhin, dont les François s'étaient emparés en 428, sous la conduite de leur roi Clodion, surnommé le Chevelu, leur fut ôtée par Aétius, général des Romains, qui, les ayant vaincus dans un combat, fit cependant un traité de paix avec eux l'an 434.

Mais six ans après, c'est-a-dire, en 437, ce même Clodion, dont oh fait commencer le règne en 428, passa le Rhin, malgré Aétius, qui ne put l'en empêcher : il entra même bien avant dans la Gaule, où il prit Tournay, Cambray, avec tous les pays voisins de la Somme, et établit à Amiens le siège de son empire, selon l'historien Roricon. Il mourut vers l'an 447.

 

MÉROVÉE (AN 447).

 

Clodion laissa deux fils qui se disputèrent la succession de leur père : l'aîné appela à son secours Attila, roi des Huns : le plus jeune se mit sous la protection d'Aétius, qui l'adopta pour son fils. Le rhéteur Priscus avait vu ce dernier à Rome, et il nous apprend qu'il était encore à la fleur de son âge, et qu'une longue chevelure blonde lui flottait sur les épaules. Ce jeune prince, comblé des présents de l'empereur et d'Aétius, revint dans les Gaules avec la qualité d'ami et d'allié du peuple romain.

Quoique Priscus ne nous dise point le nom de ce secondais de Clodion , on croit que c'était le même Mérovée qui était à la tête des François dans l'aimée d'Aétius, lorsqu'il combattit contre Attila, comme son frère aîné était apparemment dans celle d'Attila, roi des Huns : car il est certain qu'il y avait des François dans les deux armées. La dispute des deux frères fut le prétexte que prit Attila pour faire une invasion dans les Gaules.

Les Huns, peuples voisins du Pont-Euxin, conduits par leur roi Attila, qui s'appelait le Fléau de Dieu, pour jeter la terreur dans l'esprit des peuples, passèrent toute l'Illyrie et la Germanie, comme un torrent qui se déborde; entrèrent en Gaule, et assiégèrent Orléans. Aétius, Mérovée roi des François, et Théodoric roi des Visigoths, s'unirent pour le repousser, et lui firent lever le siège d'Orléans : ensuite, ils le poursuivirent dans les champs catalauniques, comme parlent les historiens, c'est-à-dire, dans les plaines de Châlons en Champagne, où ils le défirent.

Les troubles qui arrivèrent dans l'empire romain en Occident, à l'occasion de la mort d'Aétius, tué par les ordres de l'empereur

 

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Valentinien III, et les meurtres de ce même prince, et de Maxime son successeur, donnèrent lieu à Mérovée d'affermir sa domination dans la Germanie première, et la seconde Belgique. Il mourut vers l'an 457.

 

CHILDÉRIC I (AN 457).

 

Mérovée eut pour successeur Childéric, prince bien fait de corps et d'esprit, vaillant et habile; mais il avait un grand défaut, c'est qu'il s'abandonnait à l'amour des femmes jusqu'à les prendre par force, et même des femmes de qualité; ce. qui lui attira la haine de tout le monde. Ainsi les François le chassèrent, et le contraignirent de se retirer en Allemagne, chez le roi de Thuringe : les seigneurs élurent en sa place Aegidius ou Gillon, maître de la milice romaine. Mais le roi, en partant, laissa à la cour Guyeman, son intime confident, qui, s'étant mis dans les bonnes grâces de Gillon, lui conseilla de charger le peuple, et de maltraiter les seigneurs, principalement ceux qu'il savait être les plus grands ennemis de Childéric. Il espérait par ce moyen ramener les peuples en faveur de Childéric et les disposer ensuite à chasser Gillon. Les choses étant ainsi préparées, Guyeman renvoya à Childéric la moitié d'une pièce de monnaie qui devait être le signe de son retour. Basine, femme du roi de Thuringe, le suivit en France, et il l'épousa, sans se mettre en peine des droits du mariage, ni de la fidélité qu'il devait à un roi qui l'avait si bien reçu. Après son retour, il s'avança jusqu'à la Loire, et donna un combat auprès d'Orléans ; il prit ensuite la ville d'Angers, comme nous l'apprenons de Grégoire de Tours. L'auteur de la Vie de sainte Geneviève dit qu'il était maître de Paris : mais cependant il y a lieu de douter que Childéric ait étendu sa domination si loin, étant mort à Tournay, et les Romains étant encore maîtres de Soissons.

 

CLOVIS I (AN 481).

 

Childéric eut de Basine un fils nommé Clovis, ou Louis; car ces deux noms sont la même chose, puisque l'empereur Louis le Débonnaire, en parlant de ce premier roi chrétien, dit qu'il portait le même nom que lui. Clovis n'était âgé que de quinze ans lorsque son père mourut. On ne voit pas que ce prince ait entrepris aucune guerre avant sa vingtième année. On dit qu'il employa ce temps de repos à s'instruire, à rendre la justice au peuple, à manier les armes, à monter à cheval. Enfin étant à l'âge de vingt ans, il envoya défier à une bataille Syagrius, fils de Gillon, qui faisait sa résidence à Soissons, et

 

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que Grégoire de Tours appelle roi des Romains ou Gaulois, qui vivaient au milieu des peuples barbares, cantonnés en différentes parties des Gaules. Clovis s'étant joint avec Ragnacaire son parent, vint attaquer Syagrius, qui fut défait, et se réfugia chez Alaric roi des Visigoths. Mais Clovis menaça Alaric de lui faire la guerre, s'il ne lui livrait Syagrius ; lorsqu'il l'eut en sa puissance, il le fit mourir. La dixième année de son règne, il entreprit une expédition contre les Thuringiens, qu'il soumit, et les rendit ses tributaires. Il songea ensuite à se marier.

La réputation de Clotilde, nièce de Gondebaud roi des Bourguignons, s'était répandue bien loin : la renommée publiait que cette princesse, illustre par sa beauté et par sa vertu, demeurait malgré elle en Bourgogne ; qu'elle haïssait fort son oncle, qui avait fait mourir son père, et qu'elle en était elle-même fort maltraitée. Gondebaud était arien, et la princesse était catholique. Clovis, selon le moine Roricon, touché de ses belles qualités et de sa réputation, envoya Aurélien, illustre Gaulois, son confident, pour la demander en mariage. Celui-ci ayant appris l'extrême bonté qu'elle avait pour lés pauvres, s'habilla en pauvre lui-même, et en cet état, se mêla parmi ceux à qui elle devait foire ses libéralités à la sortie de l'église. La princesse étant venue à lui, il prit cette occasion de lui découvrir en secret les ordres qu'il avait de son maître. Elle se rendit volontiers à ses désirs, touchée de la passion que lui témoignait un si grand roi, dont le nom faisait tant de bruit ; et de l'adresse extraordinaire avec laquelle il faisait sonder ses intentions : c'est ainsi que Roricon raconte cette ambassade, qui a bien l'air d'une historiette ; mais, quoi qu'il en soit, il vint des ambassadeurs (491) pour faire la demande de Clotilde. Gondebaud n'osa la refuser, par la crainte qu'il eut de déplaire à Clovis.

Ainsi fut conclu ce mariage, d'où Dieu avait résolu de faire naître tant d'avantages pour le roi et pour toute la nation. Clotilde ayant eu un fils, obtint de Clovis la permission de le faire baptiser; l'enfant mourut après son baptême, et cet accident éloigna beaucoup Clovis du christianisme, que sa femme tâchait de lui persuader de tout son pouvoir. Il ne laissa pas de lui permettre encore de faire baptiser son second fils. Aussitôt l'enfant fut attaqué d'une si grande maladie, que tout le monde croyait qu'il allait mourir, et Clovis commençait de s'emporter fort violemment contre la reine; mais comme elle obtint de Dieu la santé de cet enfant par ses prières ardentes, elle remit l'esprit de son mari.

Dieu préparait de plus grandes choses en faveur de la nation française et de ses rois, qu'il avait destinés pour être les protecteurs invincibles de son Eglise et de la religion chrétienne (406). Une multitude effroyable d'Allemands s'étant jetés dans les Gaules pour s'en emparer, Clovis fut à leur rencontre à Tolbiac dans le pays des Ubiens

 

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(ce sont ceux de Cologne). Il se donna là une sanglante bataille; et comme l'armée de Clovis commençait à plier, voici le vœu qu'il fit : « O Dieu de Clotilde, si vous m'accordez la victoire, je vous promets que j'embrasserai la religion chrétienne, et que j'y attirerai tout mon peuple. » Il n'en dit pas davantage, et incontinent le combat fut rétabli ; ses troupes reprirent cœur, et mirent l'ennemi en fuite. Le roi ayant obtenu ce qu'il demandait, fit venir saint Rémi, archevêque de Reims, homme célèbre en son temps par sa piété et par sa doctrine, qui, l'ayant instruit dans la foi et dans les préceptes de la religion, le baptisa le propre jour de Noël.

La sœur de Clovis et plus de trois mille François suivirent l'exemple du roi. Dès ce temps, la piété de la nation commença d'être célèbre par toute la terre ; la foi toujours pure des rois de France, depuis ce commencement jusqu'à nos jours, leur a mérité l'honneur d'être appelés très-chrétiens, et fils aines de l'Eglise, par la commune voix de toute la chrétienté : et comme ils ont été les premiers à recevoir la foi catholique, ils l'ont aussi toujours fidèlement conservée. Après cela, Clovis fit la guerre à Alaric roi des Visigoths; il le tua de sa main dans un combat, défit toute son armée, et chassa les Visigoths de celte partie de l'Aquitaine qui est entre la Loire et la Garonne, en se rendant maître de Bordeaux, de Toulouse et d'Angoulême. Le bruit d'une si grande victoire obligea l'empereur Anastase à donner le consulat à Clovis ; après quoi il marcha toujours en longue robe selon la coutume des Romains, et il prit le diadème et le nom d'Auguste.

Théodoric roi d'Italie, beau-père d'Alaric, entreprit de venger la mort de son gendre, et de défendre le royaume d'Amalaric son petit-fils , que Clovis s'efforçait de chasser des Gaules, et qu'il voulait renfermer dans les Pyrénées. Il fit passer, à ce dessein, une grande armée dans la Gaule Narbonnaise , et défit Clovis, jusque-là victorieux, qui perdit alors trente mille hommes dans une seule bataille. Etonné de cette perte, il fut contraint d'abandonner cette province : son esprit s'étant aigri par cette défaite, il devint cruel sur la fin de sa vie; de sorte que non-seulement il dépouilla tous ses parents, mais encore il les fit mourir d'une manière barbare. Ce sont des taches à sa mémoire, si contraires, non-seulement à l'esprit du christianisme, mais encore aux sentiments d'humanité, qu'il est. impossible de les excuser, et l'on ne: peut s'empêcher d'être surpris de voir Grégoire, de Tours, après avoir rapporté quelques-unes de ces actions sanguinaires, qui procurèrent à Clovis des richesses immenses et encore plus de pouvoir faire cette réflexion : Que c'était ainsi que Dieu le faisait prospérer, parce qu'à marchait droit devant ses yeux.

Au reste, on ne peut disconvenir qu’il n'ait été un prince brave, courageux, habile, que l'on doit regarder comme le fondateur de la monarchie française. Il est étonnant qu'étant mort dans un âge peu avancé, c'est-à-dire, à quarante-cinq ans, il ait laissé à ses enfants un Etat aussi

 

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étendu, et aussi formidable à tous ses voisins. Il a corrigé, dans les lois saliques, ce qui était contraire à la religion chrétienne. Il établit à Paris le siège de son empire, et ayant conquis presque toute la Gaule, il fut cause que dans la suite elle fut appelée du nom de France : ce qui arriva, ou sur la fin de son règne, ou dans le commencement du règne de ses enfants. On appela dans la suite en particulier Austrasie, le pays d'entre le Rhin et la Meuse; Neustrie le pays depuis la Meuse jusqu’à la Loire, et le pays d'au delà de cette dernière rivière conserva son ancien nom d'Aquitaine.

 

THIERRI, CHILDEBERT I, CLOTAIRE I, CLODOMIR (AN 511).

 

Après la mort de Clovis, son royaume fut partagé par le sort entre ses quatre enfants. Thierri, né d'une concubine avant son mariage, fut roi de Metz; Childebert, de Paris; Clotaire, de Soissons; et Clodomir, d'Orléans. Sous ces rois, les lois saliques furent rédigées en un seul corps par l'ordre de Childebert, et furent augmentées et corrigées dans les règnes suivants. Clodomir fut tué étant à la guerre contre les Bourguignons (524), et laissa trois fils, Thibauld, Clotaire et Clodoalde, dont les deux premiers furent égorgés de la propre main de leur oncle Clotaire : après quoi ce prince barbare partagea leur royaume avec son frère Childebert, qui avait consenti, quoiqu'à regret, à ce crime. Mais Clotaire ayant réuni en sa seule personne les royaumes dé ses frères qui étaient morts sans héritiers (ce qui était l'unique objet de ses vœux), Dieu voulut le punir de la cruauté qu'il avait exercée sur ses neveux, et permit que Cramne, son fils aîné, se révoltât deux fois contre lui. La première, il obtint sa grâce; mais s'étant révolté une seconde fois, il se retira dans un château, où le roi l'attaqua, et demanda à Dieu qu'il lui fit justice de son fils, comme il avait fait d'Absalon à David. Sa prière fut exaucée, et l'armée de Cramne ayant été mise en déroute, il fut brûlé, par ordre du roi, avec sa femme et ses enfants, dans le château où il s'était renfermé. Après cette expédition, il commença à ressentir de la douleur d'avoir fait mourir ses enfants d'une mort si inhumaine. Il fil un an de pénitence, abattu de tristesse, et il mourut (561)? et laissa quatre enfants.

 

CHILPÉRIC I, CHEREBERT, GONTRAN, SIGEBERT (AN 570).

 

Le royaume fut partagé entre eux de cette sorte : Chilpéric, fut roi de

 

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Soissons; Cherebert, de Paris; Gontran d'Orléans; el Sigebert de Metz. Le royaume de Paris vint à Chilpéric après la mort de son frère Cherebert. Sigebert épousa Brunehaut, fille d'Atanagilde roi des Visigoths, qui habitaient l'Espagne. Chilpéric épousa Frédégonde, femme de basse naissance, belle à la vérité, et d'un grand esprit, mais très-méchante, et qui n'oublia rien pour régner. Il s'éleva une guerre cruelle entre Chilpéric et Sigebert, où le dernier ayant eu l'avantage, Frédégonde prit des mesures pour s'en défaire, afin de rétablir par ce moyen les affaires de son mari. Chilpéric ayant donc été obligé de se renfermer dans la ville de Tournay, avec sa femme et ses enfants, la reine Frédégonde gagna deux assassins qui, étant allés à Vitry, maison royale située entre Douay et Arras, où Sigebert recevait les hommages des François, sujets de Chilpéric, et ayant demandé à parler à ce prince, le tuèrent de deux coups de couteau au milieu de ses principaux domestiques (575).

Ensuite, pour assurer le royaume à ses enfants, elle fit mourir ceux que Chilpéric avait eus de son premier mariage. Elle en perdit aussi quelques-uns des siens. Enfin peu de temps après la naissance de Clotaire, c'est-à-dire, ce prince ayant à peine quatre mois, Chilpéric fut tué en revenant de la chasse (584). Quelques historiens, mais fort éloignés de ce temps, ont écrit que cet assassinat avait été fait par ordre de Frédégonde, parce que Chilpéric avait découvert ses amours avec Landri. Au reste, les anciens historiens, et Grégoire de Tours lui-même, n'ont marqué ni l'auteur ni les causes de ce meurtre, et je ne veux point donner pour certain ce qui ne l'est pas.

 

CLOTAIRE II (AN 584).

 

Clotaire II, encore enfant, succéda à son père Chilpéric, et Frédégonde sa mère fut régente du royaume. Childebert, roi d'Austrasie, fils de Sigebert, n'eut pas plutôt appris la mort de son oncle Chilpéric, qu'il songea à s'emparer de Paris. Mais Gontran le prévint, et eut en sa puissance Frédégonde avec son fils; mais elle sut bientôt gagner par ses caresses ce vieillard facile. La guerre se continua entre Clotaire et Childebert, et les armées étant en présence, on ait que Frédégonde porta son fils de rang en rang, et que par ce moyen elle anima tellement les soldats, qu'ils mirent les ennemis en déroute. Frédégonde non contente de ce succès, envoya sous main deux clercs pour tuer, par trahison, Childebert et Brunehaut. Ce n'est qu'avec horreur qu'on ht dans Grégoire de Tours les discours que Frédégonde tint à ces deux hommes pour les engager à commettre ces crimes sans crainte. Je ne crois pas que le Vieux de la Montagne, si fameux dans nos histoires des croisades, en dût tenir d'autres aux assassins dont il se servait Les

 

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deux émissaires de Frédégonde furent découverts, et Childebert les fit mourir au milieu des supplices qu'ils avaient bien mérités; et il ne resta à celte barbare princesse que la honte d'avoir manqué son coup. Elle régna plusieurs années après tant de crimes. Clotaire, son fils, recueillit la succession de tous ses parents (590), et réunit toute la France sous son empire; car son oncle Contran mourut sans enfants. Childebert, son cousin germain laissa deux fils, Théodebert roi d'Austrasie, et Théodoric roi de Bourgogne, sous la tutelle de leur aïeule Brunehaut. Ils eurent entre eux une grande guerre, où Théodebert fut tué avec son fils. Théodoric mourut peu de temps après, et laissa quatre enfants.

Brunehaut, leur bisaïeule, songeait à mettre Sigebert (614), qui était l'aîné, sur le trône de ses pères. Mais cependant les seigneurs d'Austrasie, s'ennuyant d'être gouvernés par une femme, et gagnés par les artifices de Clotaire, lui livrèrent la reine avec trois de ses enfants. Le seul Childebert s'échappa, et on ne sait ce qu'il est devenu. De ceux qui furent remis entre les moins de Clotaire, il en fit mourir deux, c'est-à-dire, Sigebert et Corbe : on dit qu'il pardonna à Mérovée, dont il était parrain ; mais depuis on n'a plus entendu parler de lui. Il fit ensuite faire le procès à Brunehaut, qui fut condamnée à mort. Celte malheureuse reine, attachée par un pied et par un bras à la queue d'un cheval indompté, fut traînée dans des chemins pierreux et pleins de buissons, où son corps fut mis en pièces. Plusieurs soutiennent qu'elle était innocente; mais que Clotaire la chargea de plusieurs grands crimes, pour diminuer l'horreur d'un attentat si odieux, et d'un traitement si indigne fait à une reine. C'est ainsi qu'il se rendit maître de toute la Gaule. Il gouverna mieux ce grand royaume qu'il ne l'avait acquis; car il rétablit les lois en leur ancienne vigueur, il rendit très-soigneusement la justice au peuple, et soulagea ses sujets surchargés en diminuant les impôts. Mais il eut toujours de la peine à gouverner les Austrasiens, qui voulaient avoir un roi chez eux; de sorte qu'il leur envoya Dagobert, son fils ainé (622), sous la conduite de Pépin, qui fut appelé l'Ancien.

 

DAGOBERT I (AN 628).

 

Clotaire II étant mort l'an 628, Dagobert retourna en Neustrie, pour prendre possession du royaume de son père, et ramena Pépin avec lui, en apparence pour se servir de ses sages conseils, mais en effet de peur qu'il ne détournât les seigneurs d'Austrasie de son service, à cause du crédit qu'il avait dans ce pays. Il ne donna aucun partage à son frère Aribert : cela parut fort étrange et tout à fait opposé à la coutume de la famille royale ; de sorte que les seigneurs firent donner à ce prince une

 

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partie de l'Aquitaine et de la Septimanie, pour la posséder à titre de royaume. Il y vécut avec éclat, et sut très-bien soutenir l'honneur de la royauté. Pour Dagobert, il fut fort adonné à ses passions ; car outre un grand nombre de concubines, il eut encore en même temps, comme en mariage légitime, trois femmes qu'il appela reines, et ses excès furent poussés si loin, que les historiens ont eu honte de les rapporter. Outre cela il accabla le peuple d'impôts, et n'épargna pas même les biens des églises. Au milieu de tous ces désordres, il ne lais-soit pas de faire beaucoup de bien aux pauvres et aux monastères ; telle était la dévotion de ce prince. Son frère Aribert étant mort, et le fils de ce prince ayant aussi fort peu vécu, il retira les provinces qui lui avaient été données. Il donna à son fils Sigebert le royaume d'Austrasie, où il l'envoya demeurer, en retenant cependant auprès de lui Pépin qui en était maire. Il destina à Clovis, son second fils, le royaume de Neustrie avec celui de Bourgogne. Sur la fin de sa vie, il prit une meilleure conduite. C'est lui qui a bâti et enrichi le fameux monastère de Saint-Denis, où les rois de France sont enterrés, et où il a été inhumé lui-même. Ce fut en 635 que Judicaël, roi de la petite Bretagne, vint lui faire hommage à Clichy, et promit de lui être toujours soumis ainsi qu'à ses successeurs.

 

SIGEBERT, CLOVIS II (AN 644).

 

Dagobert laissa ses deux fils fort jeunes. Ce fut en ce temps-là que commença le déclin de la maison royale, par l'énorme autorité qu'usurpèrent les maires du palais. Car, comme ils gouvernaient tout durant la longue minorité de ces jeunes princes, ils les élevèrent dans l'oisiveté, sans leur inspirer aucuns sentiments dignes de leur rang et de leur naissance. Ainsi ils les tinrent toujours dans leur dépendance; et c'est ce qui donna commencement à la fainéantise des rois. Sous Clovis il y eut deux maires du palais, Ega et Erchinoalde, d'où les maisons d'Autriche, de Lorraine, de Bade, et plusieurs autres se disent descendues. Pépin eut la même charge sous Sigebert. Clovis fut tellement dépendant des commandements plutôt que des conseils d'Erchinoalde, maire du palais, que, par son autorité, il épousa une esclave nommée Bathilde, femme très-vertueuse et de grand courage, que les François avaient prise dans une irruption qu'ils avaient faite au delà du Rhin, et que l'auteur de sa vie dit avoir été d'une naissance illustre parmi les Saxons.

Sigebert, plein de religion, mais peu actif, laissa tout faire à Pépin, dont l'autorité fut si grande, que sa maison s'éleva bientôt au-dessus des autres, de sorte que son fils Grimoalde eut assez de crédit pour conserver celte grande charge après la mort de son père. Elevé à un si

 

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haut point, et crut encore pouvoir aspirer à la royauté, et obtint de Sigebert, tant il avait de pouvoir sur son esprit, qu'encore qu'il fût fort jeune, et marié depuis peu, il adoptât son fils Childebert. Depuis cette adoption, Sigebert eut un fils nommé Dagobert, qu'il recommanda en mourant à Grimoalde, et le laissa en sa garde. Mais, quand ce prince fut un peu grand, Grimoalde le fit enlever et conduire en Irlande, que les auteurs de ce temps-là nommaient Scotia. Et, comme il, était maître des affaires, il plaça son fils sur le trône (653). Les seigneurs australiens ne purent souffrir cet attentat; ils dépossédèrent ce nouveau roi Childebert, que Grimoalde avait voulu établir, et le menèrent lui-même à Clovis, qui le fit enfermer en prison à Paris, où il mourut. Ils ne rappelèrent pourtant pas Dagobert, fils de Sigebert ; mais ils se soumirent à Clovis, qui, par ce moyen, eut le royaume de France tout entier.

 

CLOTAIRE III (AN 656).

 

Clovis laissa trois fils; Clotaire, Childéric, et Thierri. Le premier succéda d'abord seul aux Etats de son père ; mais en 660, Childéric fut élu roi d'Austrasie; ces princes étaient encore en bas âge, et le troisième, nommé Thierri, qui était au berceau, n'eut point de partage. Bathilde, mère des rois, gouvernait avec beaucoup de prudence et de justice. Ebroin fut maire du palais en Neustrie ; c'était un homme adroit et vaillant, qui sut cacher son ambition et sa cruauté naturelle, par la crainte qu'il avait de déplaire à la reine; il répondait parfaitement à ses desseins, et servait très-bien sous ses ordres. En ce même temps, Sigebrand fut appelé à la cour, et élevé à l'épiscopat par la protection de la reine, dont il avait gagné les bonnes grâces par la sagesse de sa conduite.

Ebroin, qui se conformait à l'humeur et aux inclinations de cette princesse, fil semblant d'être ami de Sigebrand, jusqu'à ce que la vanité de cet homme fit qu'il laissa mal interpréter la bonté que la reine avait pour lui. Ebroin se servit de ce soupçon pour la ruine de l'un et de l'autre. Sigebrand fut tué par ses ennemis, dont Ebroin se déclara le protecteur. Ceux-ci allèrent ensuite à la reine, et lui conseillèrent de se retirer dans l'abbaye de Chelles qu'elle avait fondée avec une magnificence royale. Elle entra sans peine dans ce dessein : Ebroin devint le maître de tout; et ses vices, mal couverts, commencèrent alors à se déclarer. Haï de tout le monde, il éloigna de la cour tous les seigneurs, et leur défendit d'y venir sans être mandés. Clotaire III étant venu à mourir sans enfants, Ebroin appela au royaume Thierri, sous le nom duquel il prétendait régner. Il fit ce choix lui Seul, sans appeler les seigneurs à la délibération, et il renouvela les

 

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défenses de venir à la cour sans ordre. Les seigneurs de Neustrie se joignirent à ceux d'Austrasie pour mettre Childéric sur le trône, et ayant pris Ebroin au dépourvu, ils le firent moine dans le couvent de Luxeuil, et jetèrent Thierri dans celui de Saint-Denis.

 

CHILDÉRIC II (AN 670).

 

Childéric s'étant aperçu, au commencement de son nouveau règne, que la puissance des maires du palais remportait sur l'autorité royale, fit une loi, par laquelle il défendit que les enfants succédassent à leurs pères dans leurs charges ; mais les seigneurs, estimant que cette loi était faite pour abattre leur trop grande puissance, trouvèrent le moyen de le plonger dans les plaisirs, et par là dans la fainéantise. De la mollesse il passa, comme il est assez ordinaire, à des cruautés inouïes, ce qui le rendit odieux à tout le monde. Bodile, un des seigneurs qu'il avait fait battre de verges, l'assassina, et tua avec lui sa femme, et un petit enfant qu'il avait. Il en resta cependant un autre nommé Daniel, que nous verrons roi, sous le nom de Chilpéric II.

 

THIERRI III, DAGOBERT II (AN 674).

 

Après la mort de Childéric, les Neustriens firent revenir Thierri, que nous avons dit avoir été mis dans un monastère. Thierri étant rétabli, Ebroin se persuada qu'il avait trouvé un temps favorable pour reprendre le gouvernement ; il sortit du monastère, et se mit à la tête de ceux gui haïssaient Childéric. Il surprit et tua Lcudésie, maire du palais. Mais comme Thierri l'avait pris en haine, et ne voulait point lui laisser reprendre l'autorité, il eut l'audace de supposer un fils à Clotaire, fils de Clovis il, qu'il fit reconnaître roi d'Austrasie, sous le nom de Clovis III. Thierri en ayant pris l'alarme, consentit à la volonté d'Ebroin, qui abandonna aussitôt ce fils supposé ; et ce fût alors que les Austrasiens rappelèrent Dagobert, fils de Sigebert, à qui Grimoalde avait été le royaume, et qu'il avait fait conduire en Irlande. Mais Dagobert n'eut qu'une partie du royaume d'Austrasie. C'est ainsi que les maires du palais se jouaient des princes ; ils les faisaient, ils les étaient, ils les rétablissaient, de sorte qu'ils semblaient plutôt un jouet de la fortune, que des rois. Dagobert II roi d'Austrasie, et son fils Sigebert étant morts en 080, Thierri III se vit encore la maître de toute la monarchie française.

 

PEPIN, MAIRE DU PALAIS (AN 681).

 

Il y avait en ce temps en Austrasie un fils d'Anségise, qui avait été principal ministre du roi Sigebert : ce fils s'appelait Pépin, et était fort recommandable en vertu et en prudence. Il descendait du côté paternel de saint Arnoul, évêque de Metz, et du côté maternel de Pépin le Vieux. Il avait tout pouvoir en Austrasie, et s'était tellement acquis tous les cœurs, que Dagobert étant mort, on ne mit point de roi en sa place dans ce royaume qu'il gouverna ( 680 ) sous le nom de prince. Il s'y conduisit si bien, que les Neustriens le choisirent pour être maire du palais, après qu’Ebroin, haï par ses cruautés, eut été tué par Hermenfroy. Ainsi Pépin eut toute la France en son pouvoir, ou sous le nom de Prince, ou sous celui de maire.

 

CLOVIS III, CHILDEBERT III (AN 691).

 

En 690, arriva la mort de Thierri, dont les deux fils, Clovis III et Childebert III régnèrent l'un après l'autre, le premier étant mort sans enfants (695).

 

DAGOBERT III (AN 711).

 

Dagobert succéda à son père Childebert. Pépin, maire du palais, mourut en 714.11 avait eu deux fils, Grimoalde de Plectrude, et Charles Martel d'une concubine qui s'appelait Alpaïde. Grimoalde ayant été tué en 714, avait laissé un fils nommé Théodoald, que Pépin fit maire du palais de Neustrie: Charles fut prince d'Austrasie. Plectrude, après la mort de Pépin, se saisit de Charles, qu'elle retint prisonnier à Cologne, pour être maîtresse en Austrasie, comme elle l'était en Neustrie, par le moyen de son petit-fils Théodebalde ou Théodoald. Mais les seigneurs de Neustrie, ennuyés du gouvernement d'une femme, vinrent à Dagobert, qui avait alors dix-sept ans, et l'excitèrent à la guerre. Ils lui dirent qu'il était temps qu'il tirât la dignité royale, depuis tant de temps avilie, du mépris où elle était; qu'il fallait enfin qu'il s'éveillât, et qu'il prit la conduite des affaires. Animé par ces discours, il leva une armée, avec laquelle il s'avança contre les Austrasiens qui ramenaient Théodebalde, et leur donna bataille auprès de Compiègne, où il les défit. Le carnage fut horrible, et Théodebalde eut peine à se sauver. Le jeune prince ne sut point profiter de sa victoire, et laissa créer un maire du palais en Neustrie. Reinfroi fut nommé à cette charge, à laquelle, comme les soldats et les capitaines avaient accoutumé

 

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d'obéir, le roi fut compté pour rien, et mourut peu de temps après, en 716, laissant un fils nommé Thierri. Reinfroi le trouva trop jeune pour le mire roi ; ainsi il éleva à la royauté Daniel, fils de Childéric II, que Bodile avait tué, et le nomma Chilpéric.

 

DANIEL OU CHILPÉRIC II (AN 715).

 

Ayant ainsi disposé les choses, Reinfroi mena,le nouveau roi dans le royaume d'Austrasie : son dessein était de l'ôter à Plectrude, et d'abattre la puissance de cette femme emportée. Il avait fait alliance avec Radbode, duc de Frise, qui devait le secourir dans cette entreprise. Plectrude demeurait à Cologne, où elle avait transporté tous les trésors de Pépin : ses richesses la rendaient extrêmement fière. Cependant Charles Martel s'étant échappé de prison, et ayant assemblé quelques troupes, commença à examiner par quels moyens il pourrait défendre, tant contre Plectrude que contre Reinfroi, l'Austrasie que Pépin lui avait laissée. Il résolut de commencer par Reinfroi, et de l'attaquer avant qu'il se fût joint avec Radbode. Le combat fut long et opiniâtre; Charles, qui l'emportait par la valeur, fut cependant contraint de céder au nombre. Reinfroi victorieux marcha à Cologne ; Radbode l'attendait aux environs, et tous deux ensemble dévoient faire le siège de cette ville ; mais Chilpéric et son maire Reinfroi s'en étant approchés, Plectrude détourna cet orage, en leur donnant de l'argent et des présents, après quoi ils ne songèrent plus qu'à se retirer. Charles, dont le courage n'avait point été abattu dans la défaite de son armée, en ramassa les débris, et poursuivit l'ennemi dans les défilés des Ardennes. Reinfroi, étant sorti de cette forêt, étendit ses troupes dans une vaste campagne, et vint camper à Amblef, près de l'abbaye de Stavelo. Charles n'osa rien entreprendra, parce qu'il n'était point en forces.

Comme il était dans cette peine, un soldat s'approcha, et lui promit de mettre en désordre l'armée ennemie, s'il lui permettait de l'attaquer seul. Charles se moqua de sa témérité, et lui dit qu'il pouvait aller où le poussait son courage. Aussitôt qu'il eut reçu cette permission, il alla droit au camp de l'ennemi, où il trouva les soldats couchés, les uns d'un côté, les autres de l'autre, sans crainte et sans sentinelles, et se mit à crier d'une voix terrible : Voici Charles avec ses troupes; en même temps, l'épée à la main, il perce tous ceux qu'il rencontre. Toute, l'armée fut saisie d'une si grande frayeur, que Charles s'étant avancé, sur l'avis qu'il eut du désordre, et n'ayant avec lui que cinq cents hommes au plus, cette poignée de gens parut aux ennemis alarmés une multitude effroyable ; on les voyait, tremblons, courir de différents côtés; ils prirent enfin la fuite avec une si étrange précipitation,

 

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que Reinfroi et le roi même curent peine à s'échapper. Charles, maître du camp et du bagage, no poursuivit pas les fuyards, de peur qu'ils ne reconnussent le peu qu'il avait de forces, et qu'ils ne songeassent à se rallier. Le bruit de cette victoire rendit son nom illustre par toute la France, et le fît redouter de ses ennemis.

Reinfroi, accompagné de Chilpéric, eut peine à joindre Radbode, et n'osa jamais attaquer Cologne. Mais Charles, au sortir du quartier d'hiver, ayant assemblé une armée considérable, vint attaquer Chilpéric et Reinfroi, qui étaient alors campés à Vincy, près de Cambray. Co fut là que se donna la sanglante bataille de Vinciac ou Vincy, que nos historiens ont comparée à la bataille de Fontenay, par le grand carnage qui s'y fit. Charles y remporta une victoire complète, et poursuivit Chilpéric et Reinfroi jusqu'à Paris. Mais il ne voulut pas laisser ralentir le courage de ses soldats victorieux dans l'attaque de cette ville. Il tourna toutes ses forces contre Plectrude, qu'il effraya tellement, qu'elle lui ouvrit les portes de Cologne, et lui remit les trésors de Pépin. Ainsi il fut maître de l'Austrasie, où il se fit reconnaître pour prince ; il marcha ensuite en Neustrie pour s'y faire élire maire du palais, et mit en 718 sur le trône Clotaire IV, fils de Thierri III, pour l'opposer au roi Chilpéric. Cependant Reinfroi avait appelé Eude duc d'Aquitaine. Celui-ci agissait comme souverain, et ne voulait point reconnaître le roi ni le royaume de France. Reinfroi lui ayant accordé ce droit, qu'il avait déjà usurpé, il lui amena un grand secours; mais Charles les défit sans peine, tant la terreur était grande dans tous les esprits. Chilpéric s'enfuit en Aquitaine, et Reinfroi à Angers. Charles trouva Paris abandonné et s'en empara; il gouvernait tout en qualité de maire du palais. Clotaire IV vécut fort peu, n'ayant régné qu'un an, et Charles ne fit point de roi durant quelques mois, pour sonder les dispositions des François. Comme il vit que les Nous trions demandaient un roi, il leur donna Chilpéric, qu'il rappela d'Aquitaine. Tout étant paisible au dedans, il alla réduire les Saxons. Pendant ce temps Chilpéric mourut en 721, et Charles fit roi Thierri IV, dit de Chelles, fils de Dagobert III.

 

THIERRI IV, DIT DE CHELLES (AN 721).

 

Sous ce prince, Charles défit Reinfroi, à qui il voulut bien laisser Angers, après qu'il eut demandé pardon. Ensuite il dompta les Saxons, les Suèves et les Allemands, qui s'étaient révoltés. Il subjugua les Bavarois qui avaient donné retraite à Plectrude. Il défit les Sarrasins, nation arabique, qui avaient conquis l'Espagne, et tâchaient de se jeter dans les Gaules, dont ils prétendaient que la partie qui avait appartenu aux Visigoths devait leur revenir. J'ai cru qu'il était à propos

 

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d'insérer ici par où commença l'empire de cette nation barbare, et comment il s'étendit dans l'Espagne.

L'an 622 de Notre-Seigneur, sous l'empire d'Héraclius, et du temps de Clotaire II roi de France, Mahomet, capitaine des Arabes, inventa une nouvelle religion, brutale à la vérité, et pleine de fables ridicules et prodigieuses, mais accommodée au génie de cette nation farouche et ignorante, et inventée par son auteur avec un merveilleux artifice pour la politique et pour la guerre ; c'est-à-dire, non-seulement pour établir un empire, mais encore pour l'étendre. Cette pernicieuse superstition, sortie d'un tel commencement, prit fin en peu de temps. Mahomet se rendit maître de l'Arabie et des pays voisins, en partie par adresse, et en partie par force. Ses successeurs, appelés califes, c'est-à-dire vicaires de Dieu, prirent en peu de temps la Palestine, la Perse, la Syrie, l'Egypte, et toute la côte d'Afrique. Il leur était aisé de passer de là en Espagne, et voici l'occasion qui leur en donna le moyen.

Du temps du roi Rodrigue, le comte Julien avait une fille d'une très-grande beauté, et d'une égale vertu. Le roi en devint éperdument amoureux, et comme elle était invincible à ses caresses, il s'emporta jusqu'à la prendre de force. Elle fit incontinent savoir à son père l'outrage qu'on lui avait fait. Le père, brûlant du désir de se venger, employa tout contre Rodrigue (724). Quand ce malheur arriva, Julien était ambassadeur près des Maures, c'est ainsi qu'on appelait ordinairement les Sarrasins d'Afrique, il fit son accord avec eux, et revint à la cour, dissimulant son dépit, et feignant qu'il voulait profiter de la faveur de sa fille comme un habile courtisan ; mais après qu'il eut attiré à son parti ceux qu'il voulait, il pria le roi de lui permettre d'envoyer sa fille auprès de sa femme, qu'il avait laissée en Afrique, sous prétexte qu'elle était malade ; il obtint son congé peu après, et suivit lui-même sa fille ; il fit en passant une ligue avec les seigneurs des environs de Gibraltar, et lorsque tout fut disposé, il appela les Maures, qui remportèrent d'abord de grands avantages.

Le roi partit de Tolède pour aller à leur rencontre dans l'Andalousie, et les empêcher d'entrer dans cette province. Il se donna une bataille générale sur le bord du fleuve Guadalôte (725), auprès d'une ville qui s'appelait Cœsariana, située vis-à-vis de Cadix. Les chrétiens furent taillés en pièces et le roi étant contraint de prendre la fuite, se noya (à ce que l'on dit) dons ce fleuve. Par ce seul combat la conquête fut achevée, et celle défaite dos chrétiens fit la décision de toute la guerre, car les Maures, aussitôt après, ravagèrent sons s'arrêter toute l'Espagne, prirent Séville, Cordoue, Murcie, Tolède, et contraignirent une partie des chrétiens, qui ne purent pas supporter le joug de ces infidèles, de se retirer en Galice, en Biscaye, et dans les Asturies, où, défendus par les montagnes, ils fondèrent un nouveau royaume, sous la conduite de Pélage, dont les rois de Castille sont

 

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sortis. Les Maures tenaient le reste de l'Espagne, et de là s'étaient déjà répandus dans les Gaules, du coté du Languedoc, qu'ils avaient conquis jusqu'au Rhône.

Eude (728) songea à se fortifier de leur secours contre la puissance de Charles. Il s'était déjà accommodé avec les Gascons et les Bretons; mais «pour s'affermir davantage, il avait donné sa fille à Munuza, Sarrasin, gouverneur de Cerdagne. Comme ils étaient voisins, ils promirent de s'entre-secourir dans tous leurs desseins, Eude voulait se conserver l'Aquitaine, et Munuza songeait à se faire souverain de Cerdagne. Abderame, gouverneur général de toutes les Espagnes, n'ignorait pas leurs complots ; ainsi il se jeta dans la Cerdagne, où il arrêta Munuza, dont il envoya la tête au calife ; il entra ensuite dans l'Aquitaine, où il passa la Garonne, et prit Bordeaux. Eude épouvante de ces progrès, fut contraint d'appeler à son secours Charles Martel, à qui auparavant il préparait une guerre si cruelle.

Ce prince revenait de Bavière, où il avait remporté plusieurs victoires. Quoiqu'il n'ignorât pas les mauvais desseins du duc d'Aquitaine , il sacrifia ses mécontentements particuliers au bien de l'Etat, et résolut de s'opposer aux Sarrasins. Cependant Abderame, qui ne trouvait point de résistance, était entré bien avant dans les Gaules, et ayant traversé tout le Poitou, il allait tomber sur Tours, quand Charles vint à sa rencontre. Là, s'étant joint avec les troupes du duc (735), il passa environ six jours à de légères escarmouches ; après quoi on combattit un jour tout entier : il se fit un grand carnage des Sarrasins , et Abderame lui-même fut tué. Les Sarrasins ne laissèrent pas de tenir ferme, et de combattre en leurs rangs ; de sorte que la mort de leur général ne fut en aucune sorte connue ni remarquée par nos troupes. La nuit sépara le combat.

Le lendemain Charles fit sortir son armée du camp, et demeura longtemps en bataille ; et sur le rapport qu'on lui fit que les Sarrasins s'étaient retirés à la faveur de la nuit, il entra victorieux dans leur camp, et y fit un grand butin. Après avoir mis ordre aux affaires d'Aquitaine, il fit heureusement d'autres expéditions contre ceux de Frise; puis retournant en Aquitaine, où Eude avait renouvelé la guerre, il le contraignit à prendre la fuite. Eude étant mort, Charles mita la raison son fils Hunauld qui refusait d'obéir; il réduisit les Bourguignons rebelles; il battit les Maures de Septimanie, et les chassa de cette province, qu'il unit à la France, au lieu que jusqu'alors elle avait appartenu à l'Espagne. Il vainquit les Saxons qui recommençaient la guerre, et fut cause par ses victoires qu'une multitude innombrable de peuples embrassèrent la religion chrétienne. Il prit Lyon et Avignon, et dompta la Provence révoltée.

Par tant de grandes actions, il mérita d'être appelé duc des François après la mort de Thierri, arrivée en 737, et gouverna quelques années le royaume avec un pouvoir absolu, sons qu'on fit aucun roi. Il fut

 

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tellement redouté par ses voisins, qu’étant malade, et épuisé de veilles et de travaux, il réprima par sa seule autorité, sans y employer la force de ses armes, Luitprand roi des Lombards, qui tourmentait l'Eglise romaine et le pape Grégoire III. Etant près de mourir, il assembla les seigneurs, et partagea le royaume de France entre ses trois enfants. Carloman eut l'Austrasie, Pépin la Neustrie, la Bourgogne et la Provence; Grifon, né d'une autre mère, n’eut qu'un petit nombre de places, et fut facilement dépouillé par ses deux frère, peu après la mort de Charles Martel.

 

CHILDÉRIC III ( AN 743).

 

Carloman et Pépin auront l'autorité absolue : cependant, pour contenter les soigneurs qui demandaient un prince de la maison de Clovis, ils tirent roi, on 743, Childéric lit, que l'on croit fils de Thierri IV : ensuite ils battirent le duc de Bavière, et rangèrent à son devoir Hunauld, toujours infidèle, et le contraignirent de leur donner des otages. Il soumirent aussi les Saxons ; et ces peuples s’étant révoltés dans la dans la suite, Carloman les réduisit, aussi bien que les Allemands qui ne pouvaient s'accoutumer à porter le joug. Au milieu da tant de victoires, ce prince, dégoûté du monde, se retira dans un monastère, et laissa tout le royaume à Pépin son frère, qui eut alors un fils nommé Charles, qui devait être un jour l'honneur de la France. Pépin alla en Saxe, d'où il chassa son frère Grifon qui commençait à brouiller. Chassé de ce pays, il se réfugia an Bavière, où il fut battu ; Pépin lui accorda le pardon qu'il lui demandait, et pardonna aussi aux seigneurs qui l'avaient suivi. Après un si grand nombre d'exploit; il vit quelque apparence de se faire roi, et de prendre le nom d'une dignité dont il avait déjà toute la puissance. Il comptait que par ce moyen il serait paisible, parce qu'il ne resterait aucune espérance à Grifon, ni aux enfants de Carloman.

Mais il avait à combattre l'amour naturel des François pour la maison royale; d'ailleurs ces peuples étaient retenus par le serment qu'ils avaient prêté à Childéric. Pépin s'appliqua à gagner le noblesse et le peuple par une douce et sage administration. On ne pouvait plus supporter la folie de Childéric, qu'on appelait l’Insensé, et Pépin avait l'estime et les inclinations de tous les Français. Dans cette conjoncture, il leur proposa de demander au pape Zacharie, si le serment qu'ils avaient fait les obligeait d'obéir à celui qui n'avait que le nom de roi, ou à celui qui en avait l'autorité. Le Pape leur conseilla d'abandonner un homme inutile, et d'obéir à celui qui faisait les fonctions de roi et en avait la puissance. Les ayant délivrés, par cette réponse, de l'obligation

 

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de leur serment, ils firent Pépin roi tout d'une voix, et ce fut par lui que commença la seconde race.

Le règne de Pharamond, que l'on regarde communément comme le premier roi des Français, commença environ l'an 430 de la naissance de Notre-Seigneur, ainsi que nous avons dit auparavant. La première race finit en l'an 752. Ainsi elle dura trois cent trente-deux ans, dont il y en eut cent vingt occupés par les rois fainéants, princes qui, n'ayant que le nom de rois, tombèrent dans le mépris, et furent enfin tout à fait chassés.

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