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LIVRE XV. — FRANÇOIS I (AN 1515).

 

François, parvenu à la couronne, joignit le litre de duc de Milan à celui de roi de France, et continua les desseins de son prédécesseur. Pour reconquérir ce duché, Louis avait résolu de donner le commandement de son armée à Charles, duc de Bourbon, second prince du sang, aussi illustre par sa valeur et par son habileté que par sa naissance. François le fit connétable, et songea en même temps aux moyens de commencer l'entreprise.

La première chose qu'il avait à, faire était de s'assurer, autant qu'il pouvait, des princes voisins. Il renouvela la ligue avec les Vénitiens, et avec Henri, roi d'Angleterre. On avait cru d'abord dans le conseil de François, qu'il se brouillerait avec un prince si fier, en donnant comme il fit la reine Marie à son amant le duc de Suffolck ; mais quand la chose fut faite, on obtint plus facilement qu'on ne pensait, le consentement de Henri, qui était l'homme du monde sur qui l'amour pouvait le plus, et il pardonna aisément une faute que cette passion avait fait faire.

En même temps l'archiduc Charles faisait proposer à François un

 

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accommodement. Ce prince n'avait que quinze ans, et dès lors son gouverneur l'accoutumait aux affaires; il lui faisait lire toutes les dépêches, et dans les occasions pressantes, il interrompait son sommeil pour lui porter les paquets. Il lui faisait proposer les affaires en son conseil, prendre les voix, dire son avis; et quand il manquait, il lui faisait connaître ses fautes en particulier, et avec douceur. Enfin il n'oubliait rien pour le rendre capable de gouverner son Etat, et les royaumes d'Espagne, dont la succession lui allait venir; car Ferdinand son aïeul défaillait visiblement, et s'attendait à une mort prochaine.

Charles, que cette mort devait obliger d'aller bientôt en Espagne, avait intérêt durant ce temps de ne point avoir les Français pour ennemis. Les Flamands étaient enclins à la révolte, et une guerre avec la France eût mis les Pays-Bas en proie. Une raison semblable obligea le roi à souhaiter d'être en paix avec Charles, dans le dessein qu'il avait de regagner le Milanais, et de rétablir Jean d'Albret dans son royaume de Navarre.

Dans une conjoncture si favorable, Henri, comte de Nassau, envoyé de Charles, arriva en France, pour faire, au nom de l'archiduc, hommage au roi des comtés de Flandres et d'Artois, et des autres terres qu'il tenait de la couronne. Il négocia la paix, et par le traité qui fut fait, Renée, seconde fille de Louis, alors âgée de quatre ans, était promise à l'archiduc, avec six cent mille ducats de dot, et le duché de Berry, province au cœur du royaume, qu'on ne craignait point de lui donner, moyennant quoi elle renonçait à toute succession directe et collatérale. Le roi devait secourir Charles d'hommes et de vaisseaux pour son voyage d'Espagne. Charles s'obligeait aussi à laisser faire le roi dans le duché de Milan, et à restituer la Navarre, quand il aurait recueilli la succession de Ferdinand. Tel fut le traité conclu entre François et l'archiduc.

Henri de Nassau, en négociant les affaires de son maître, fit aussi les siennes; et l'héritière d'Orange, qui était nourrie auprès de la reine, lui fut accordée en mariage. Cette paix étant faite, le roi tenta vainement de détacher l'empereur et le roi d'Aragon des intérêts des Sforce. Il ne réussit pas non plus auprès des Suisses, trop fiers de leurs victoires, et trop animés, tant par les harangues du cardinal de Sion, que par les promesses immenses de l'empereur et de Ferdinand.

A l'égard du Pape, François ne lui demandait autre chose que d'attendre, pour se déclarer, l'événement de la guerre, et lui promettait pour cela de grands avantages, tant pour le saint Siège que pour sa maison. Il le trouva trop engagé avec Maximilien et Ferdinand ; mais il ne voulait pas se déclarer, résolu de faire quelque temps encore le personnage de père commun. Ainsi il amusait par diverses propositions le roi et Guillaume Budée, maître des requêtes, qu'il lui avait envoyé pour ambassadeur.

 

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Budée était le plus savant homme de son temps, surtout dans les belles-lettres grecques et latines. François les aimait, et dans le dessein qu'il avait de les rétablir, il élevait les hommes savants. Le Pape avait le même dessein, et il fut le restaurateur des belles-lettres en Italie, comme le roi le fut en France. Il s'y était lui-même appliqué, et prenait plaisir d'en parler. Ainsi ayant auprès de lui un homme comme Budée, il avait un beau moyen de mêler diverses choses à la négociation.

Mais pendant qu'il croyait amuser le roi, il ne s'apercevait pas que le connétable détachait de son parti Octavien Frégose, duc de Gênes, son intime confident, qu'il avait lui-même établi dans cette place. Il quitta le titre de duc, et commanda dans Gènes au nom du roi. Durant ces négociations, la cour de Rome et l'Italie demeuraient tranquilles, et ne s'attendaient pas que le roi dût sitôt commencer la guerre. On croyait qu'il lui fallait pour le moins un an pour affermir son autorité au commencement de son règne, quoique Ferdinand, mieux instruit du naturel des Français, mandat souvent au Pape qu'ils s'accoutumaient d'abord à leur prince naturel, et jamais à un étranger.

En effet, François ne songeait qu'à lever des troupes, sous prétexte de s'opposer aux Suisses, qui menaçaient la Bourgogne, sans témoigner encore ses desseins sur le Milanais. Il fut question de trouver de l'argent, le roi en donna la charge à Antoine Duprat, qu'il avait fait chancelier de France. Celui-ci ne trouva point d'autre expédient que de vendre les charges de judicature, comme Louis XII avait vendu celles des finances. C'est ainsi que les choses vont toujours en augmentant, et ordinairement de mal en pis.

Pour avoir plus de quoi vendre, il multiplia les charges, et il créa une nouvelle chambre de vingt conseillers dans le parlement, qui obtint du roi que cette chambre ne serait pas formée de tous ces officiers de nouvelle création, mais que dix seraient ajoutés aune des anciennes chambres, et que dix des anciens composeraient la nouvelle, avec dix nouveaux conseillers. Cette première création d'offices vénaux a donné lieu dans la suite à une infinité d'autres, et a rempli le royaume d'une multitude innombrable d'officiers inutiles.

Tout le monde se récria contre cette nouvelle institution, qui rendait, disait-on, la justice même vénale. Le parlement s'y opposa de toute sa force; mais à la fin il fallut céder à l'autorité du roi, et à la nécessité des temps; et tout ce qu'il put faire, fut d'avoir la permission de mettre dans ses registres qu'il ne passait cette affaire que par le commandement absolu du roi. Aussitôt après le roi résolut son départ. Il avait de belles troupes et d'excellents officiers, parmi lesquels était Pierre de Navarre, qui, voyant que son maître l'abandonnait après de si grands services, jusqu'à lui refuser une somme médiocre pour le tirer de prison, fut contraint à la fin de prendre le parti de la France, où il se voyait si bien traité.

 

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Avec ces troupes, le roi alla à Lyon, d'où il fit partir en diligence son avant-garde, composée de vingt mille hommes, sous le commandement du connétable. Il donna l'arrière-garde au duc d'Alençon, et marcha avec le corps de bataille, après avoir déclaré sa mère régente. Au bruit de son départ, les Suisses jetèrent des troupes dans le passage des Alpes, et le Pape surpris, envoya quinze cents chevaux pour les soutenir, sous la conduite de Prosper Colonne. Ainsi il n'y avait rien de plus difficile que le passage des Alpes, les Suisses ayant occupé les détroits du Mont-Cenis et du Mont-Genèvre , et même le Pas de Suse, où les deux chemins aboutissaient.

Comme on était dans cet embarras, sans y trouver aucune issue, un paysan découvrit un nouveau chemin qu'il avait trouvé dans la roche nommée Epervière, ou la Roque-Sparvière. Ce chemin inconnu à tout le monde, quoique étrait et rude au dernier point, parut suffisant à passer des troupes, et même la cavalerie ; on eut avis en passant que Prosper Colonne était tranquillement à Villefranche sans se défier des Français, qu'il croyait arrêtés an pied des Alpes. Le connétable envoya aussitôt La Palice, fait depuis peu maréchal de France, et connu sous le nom de maréchal de Chabannes, qui trouva, contre l'ordinaire, le Pô guéable.

A la vue de Villefranche, deux gendarmes coururent à bride abattue, et choquèrent si rudement contre la porte, qu'il y en eut un des deux qui fut renversé du coup dans le fossé : et l'autre ayant mis sa lance entre les battions de la porte, empêcha qu'on ne la fermât, et en même temps la cavalerie qui suivait s'étant répandue dans la ville, Prosper Colonne fut surpris comme il dînait, et fait prisonnier avec tout ce qu'il commandait. Les Suisses en même temps abandonnèrent leur poste, et se retirèrent sous Milan, pour y assembler leur armée.

Le Pape effrayé voulait s'accommoder avec la France; mais il en fut empêché parle cardinal de Médicis, son neveu, partisan de l'empereur et de Ferdinand. La division cependant s'était mise parmi les Suisses, dont quelques troupes vinrent à Novare, où ils parlèrent d'accommodement. L'empereur ni Ferdinand ne leur tenaient rien de ce qu'ils avaient promis; mais il leur vint de l'argent du roi d'Aragon. Ainsi le cardinal de Sion, qui avait la qualité de général avec celle de légat du saint Siège, les obligea aisément à faire des demandes excessives. Elles furent méprisées par les députés du roi, et les Suisses ayant délogé de Novare, cette place se rendit à lui.

En même temps, Aimar de Prie surprit Alexandrie et Tortone, et se rendit maître de toutes les places du duché en deçà le Pô ; le roi cependant passa le Tessin, et Pavie se rendit à lui. Il manda au duc de Savoie, son oncle maternel, qui se mêlait de l'accommodement, qu'il le conclût à quelque prix que ce fût, et qu'il accordât aux Suisses leurs prétentions, quoique iniques, disant qu'il était indigne d'un roi de France de prodiguer le sang de ses alliés et de ses sujets, quand il

 

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pouvait l'épargner en donnant de l'argent. Ainsi l'accord fut fait avec les Suisses, et il fallut trouver des sommes immenses pour les contenter.

Le roi emprunta tout ce qu'il y avait dans l'armée d'argent monnayé et de vaisselle d'argent, qu'il leur envoya par Lautrec; mais les Suisses manquèrent de parole. D'autres troupes survinrent, qui leur firent rompre l'accord, et le cardinal de Sion leur persuada d'aller surprendre Lautrec avec son argent ; il en fut averti, et se retira. Le roi, voyant qu'il n'y avait plus de paix à espérer avec les Suisses, résolut de marcher contre eux. Il sut que Laurent de Médicis, avec l'armée ecclésiastique, et le vice-roi de Naples, avec celle de Ferdinand, devaient passer le Pô pour se joindre aux Suisses; d'un autre côté, Alviane était à Crémone avec l'armée vénitienne, pour se joindre à lui.

Ainsi il alla droit à Marignan, auprès de Milan, poste qui l'approchait d'Alviane, et qui était avantageux pour empocher la jonction de ses ennemis. Il eût pourtant eu peine à réussir dans ce dessein, si la mésintelligence des confédérés n'eût donné le loisir à Alviane de gagner Lodi. Aussitôt que le vice-roi en eut la nouvelle, il retourna promptement au delà du Pô, qu'il avait passé, et les Suisses se virent réduits à combattre seuls, ou à se retirer.

Ce fut alors que le cardinal de Sion employa toute son éloquence, et les remplit tellement de la gloire qu'ils remporteraient à vaincre, sans le secours de leurs alliés, toutes les forces de France, avec leur roi à la tête, qu'ils se résolurent au combat; de sorte qu'on vint dire au roi qu'ils attaquaient l'avant-garde, avant qu'il eût su leur approche. Ce fut le 13 septembre, à deux heures après midi, qu'ils commencèrent l'attaque. Ils avaient cinquante mille hommes, et le roi n'en avait pas moins. Mais les Suisses n'avaient de cavalerie que deux petits corps qui s'étaient détachés d'eux-mêmes de l'armée des confédérés, et qui avaient trouvé moyen de passer.

Le dessein de Rost, général des Suisses , était de se saisir de notre canon, et de le tourner contre nous. Ainsi tout l'effort tomba d'abord sur les lansquenets, qui gardaient l'artillerie; eux qui avaient tant ouï parler d'accommodement, et qui virent que l'ennemi laissait la cavalerie pour venir à eux, s'imaginèrent qu'ils étaient trahis, et que les Français les sacrifiaient aux Suisses ; ainsi ils reculèrent, tout prêts à se débander.

Le connétable connut leur erreur, et donna si ouvertement sur les Suisses, avec la gendarmerie, que les lansquenets eurent le temps de se rassurer. Claude de Guise, qui les commandait, les ranima : le roi survint avec la bataille et les bandes noires. C'étaient de vieilles troupes allemandes, qui avaient quitté le service sous Louis XII, et que François avait regagnées. A son arrivée le choc fut âpre et le combat opiniâtre; l'ami et l'ennemi étaient pôle-même, parce que les deux

 

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partis avaient une croix blanche à leur étendard, et les Suisses ne se reconnaissaient entre eux qu'a une clef de drap blanc, qu'ils avaient cousue devant leur pourpoint.

La nuit les surprit, et ne les sépara pas; ils demeuraient acharnés bataillon à bataillon, et homme à homme, jusqu'à ce qu'épuisés et n'en pouvant plus, ils s'arrêtèrent comme de concert. L'avantage était égal, et les Français étant mêlés parmi les Suisses, le roi se trouva à cinquante pas du plus gros bataillon des ennemis. Son cheval avait été blessé ; il avait eu lui-même quelques contusions, et il se voyait encore en péril d'être pris; car le mouvement qu'il eût fallu foire pour se retirer eût averti l'ennemi. Ainsi on se contenta d'éteindre les flambeaux autour de lui, et de parler bas. Il avait une soif extrême; on ne trouva pour tout breuvage que de l'eau teinte de sang, qu'on lui apporta dans un casque ; il se coucha à plate terre, la tête appuyée sur l'affût d'un canon.

Dès la pointe du jour, les Suisses recommencèrent l'attaque avec plus de vigueur que jamais; ils firent reculer les bandes noires environ six vingts pas, sans pourtant qu'elles se rompissent. De notre côté les lansquenets, animés par le comte de Guise, tâchaient de réparer la faute du jour précédent ; mais ce jeune prince, on combattant avec une valeur extrême, fut abattu par vingt-deux plaies, et eût péri sous son écuyer, qui, le couvrant de son corps, donna le temps à la maison du roi de venir le dégager.

Cependant les Suisses ne cossaient de presser les bandes noires, sans avoir pu durant quatre heures rien gagner que du lorrain. Au contraire, notre artillerie leur emportait des files entières, où la cavalerie se jetait et les mettait en désordre; c'est ce qui les fit résoudre à laisser un peu en repos les bandes noires, et à venir prendre la cavalerie par derrière; mais ils furent bien reçus par l'arrière-garde et par le duc d'Alençon, qui soutint leur effort de front, et cependant Aimar de Prie les prit par le flanc : de sorte qu'ils furent contraints de se retirer avec beaucoup de désordre et de précipitation. Ils perdirent dans cette occasion, selon quelques-uns, quatorze mille hommes, et huit à dix mille hommes, selon d'autres.

Après la retraite survint Alviane, qui avait marché avec une extrême diligence, au premier avis du combat. Il fut outre de le trouver achevé; de dépit il s'attacha à tailler en pièces deux compagnies qui se retiraient plus lentement que les autres. Elles firent une terrible résistance; et les efforts d'Alviane, joints à la douleur qu'il eut d'avoir si peu de part à une journée si glorieuse, lui causèrent la mort quoique temps après.

Voilà ce qui arriva à ce général, à qui quelques Italiens attribuèrent l'honneur de la victoire. La première chose que fit le roi, fut de rendre, grâces à Dieu dans le champ de bataille, où il fit dire des messes durant trois jours, et il fit bâtir une chapelle pour marque de sa reconnaissance. Ensuite, sans perdre de temps, il envoya à la ville de Milan,

 

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qui se rendit, et se retira à Pavie, pendant qu'on assiégea le château : l'armée des Suisses se dissipa, le vice-roi retourna à Naples, et le Pape effrayé, quoi que lui pût dire son neveu, vit bien qu'il n'y avait rien à faire pour lui qu'à se jeter entre les bras des Français. Il fit son accommodement par l'entremise du duc de Savoie. Le Pape et le roi convinrent qu'ils se défendraient l'un l'autre, quand leurs Etats seraient attaqués. Le roi prit sous sa protection le saint Siège, les Florentins et les Médicis, à qui il fit de grands avantages, et le Pape promit de lui rendre Parme et Plaisance.

Cette paix ne fut pas plutôt conclue, que le Pape fut fâché de l'avoir, faite si avantageuse à la France, et ne songea plus qu'à en altérer les conditions par des explications et par des délais. Il attendait pour la ratifier ce qui arriverait du château de Milan, dont on croyait que le siège pourrait tirer en longueur. En effet, Pierre de Navarre, qui avait promis de l'emporter en peu de temps, réussissait peu avec ses mines, et pensa être accablé lui-même par la ruine d'une muraille ; mais le connétable, qui voyait que les affaires avançaient peu parla force, les finit bientôt par adresse. Il y avait dans le château un de ses parents, de la maison de Gonzague, qui avait beaucoup de crédit sur l'esprit du duc, et qui, désespérant des affaires du Milanais, était bien aise de trouver ses avantages avec la France.

Il le gagna, et par son moyen il fit offrir à Jérôme Moron, chancelier de Milan, avec sa charge de chancelier qui lui serait conservée, une charge de maître des requêtes de l'hôtel du roi. Il n'y en avait alors que quatre, et elles étaient fort considérables. Ces offres n'auraient rien fait, s'il n'eût vu la sédition et la révolte des Suisses qui étaient en garnison dans le château. Il eut peur qu'ils n'abandonnassent Maximilien, comme ils avaient fait son père Ludovic, et l'engagea à se rendre. On stipula pour le duc une grosse pension en France, avec le chapeau de cardinal, si le roi voulait qu'il demeurât en Italie. Le duc sortit du château avec une gaieté surprenante, sans témoigner aucune douleur d'avoir perdu le duché, dont aussi tout le monde le jugeait indigne.

L'entrée du roi dans Milan fut remarquable par sa mine haute et relevée, par les troupes qui le suivaient, et par la manière obligeante dont il recevait tout le monde. Il écouta en même temps, par l'entremise de Laurent de Médicis, diverses demandes du Pape. Il se rendit facile à les accorder, à condition que le Pape et lui se verraient à Bologne, ce que le Pape accorda facilement. Ces deux princes espéraient de grands avantages de cette entrevue. François victorieux ne croyait pas qu'on lui pût rien refuser en face, dans l'état où se trouvaient les affaires. Léon espérait tout de la souplesse de son esprit (1516) ; et il comptait pour beaucoup d'arrêter le roi, de peur qu'il ne se jetât sur le royaume de Naples, où tout était en frayeur. Il s'avança à Bologne pour y recevoir le roi, et envoya deux légats au-devant de lui jusqu'à Reggio.

 

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Quand le roi fut arrivé à Bologne, la première chose qu'il fit fut de rendre en personne l'obédience au Pape, dans un consistoire public. Ils furent ensemble trois jours dans un même palais, vivant dans la dernière familiarité. Par le traité qui fut fait, le Pape devait rendre Modène et Reggio au duc de Ferrare, et le roi abandonnait François-Marie de La Rovère, duc d'Urbain, qui, après avoir obtenu sa protection, avait servi la France, et dont le Pape destinait l'Etat à son neveu.

On traita ensuite de la guerre de Naples, et le roi se contenta delà simple parole que le Pape lui donna, de l'aider dans cette conquête, après la mort du roi d'Aragon. Il n'y avait que l'affaire de la Pragmatique, qui était la plus difficile. La cour de Rome en souhaitait l'abolition avec ardeur, et le roi ne l'aurait jamais abandonnée, si le Pape, en abolissant les élections canoniques pour les bénéfices consistoriaux, n'en eût donné la nomination au roi et à ses successeurs. L'institution ou provision fut réservée au Pape, à qui le roi accorda un droit d'annates, que la France avait toujours contesté jusqu'alors; mais François le fixa à un prix plus modéré que la cour de Rome ne le désirait.

Voilà le principal article de ce fameux concordat entre Léon X et François I, par lequel les rois de France ont la conscience chargée d'un poids terrible, et le salut de leurs sujets est entre leurs mains; mais ils peuvent faire à eux-mêmes et à tout leur royaume un bien extrême, si, au lieu de regarder les prélatures comme une récompense temporelle, ils ne songent qu'à donner au peuple de dignes pasteurs.

Le concordat étant fait, pour l'autoriser davantage, le Pape le fit lire au concile de Latran, où il fut approuvé ; mais en France la chose reçut de grandes difficultés par les oppositions du clergé, des universités et du parlement, que l'autorité absolue du roi fit enfin cesser au bout de deux ans. Il désirait beaucoup de retourner en son royaume; mais il était bien aise auparavant de s'accorder avec les Suisses, qui avaient fait perdre aux François le duché de Milan sous Louis XII. La disposition était favorable, parce que les Suisses étaient rebutés, tant par leur défaite à Marignan, que par le peu de sûreté qu'ils avaient trouvée avec Ferdinand et Maximilien.

Mais le roi d'Angleterre, jaloux des progrès de la France, traversait sous main cet accord, et faisait de grandes offres aux Suisses, pour les obliger d'entrer en Bourgogne. Elles n'eurent d'autre effet que de donner moyen aux Suisses de se faire acheter plus cher par le roi, avec qui ils voulaient absolument renouveler l'alliance. Ils eurent tout l'argent qu'ils désiraient, et promirent de rendre les places qu'ils avaient usurpées sur le Milanais, à quoi néanmoins cinq des cantons qui s'en étaient emparés ne voulurent pas consentir; cela fait, le roi revint à Paris, et laissa le duc de Bourbon gouverneur dans le duché de Milan.

Aussitôt après son départ, le Pape se mit à chicaner sur chaque article de l'exécution du traité. Il ne craignait plus tant les Français, depuis que Ferdinand lui avait mandé qu'il avait pourvu à l'Italie, et que

 

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François allait avoir des affaires du côté de Maximilien et de Henri, roi d'Angleterre. En effet, il avait donné beaucoup d'argent à Maximilien pour se jeter dans le Milanais, et Henri avait promis en même temps d'entrer en Picardie ; mais la mort de Ferdinand donna moyen à François d'apaiser le roi d'Angleterre. Au contraire, Maximilien, qui espérait que les Espagnols lui donneraient la régence des royaumes de son petit-fils, arma puissamment pour leur plaire, et nos gens le craignaient si peu, qu'il était arrivé à Trente avec une armée nombreuse avant qu'on eût eu avis de sa marche.

Les Vénitiens s'occupaient à recouvrer leurs Etats de terre ferme, et ils assiégeaient Vérone et Bresse, avec le secours des Français. L'empereur leur fit lever le siégé, et passa l'Oglio, malgré Lautrec, qui avait promis de l'arrêter. Ainsi le connétable le vit tout à coup aux portes de Milan. Il fut contraint de mettre le feu aux faubourgs, et, se renfermant dans la ville, il résolut d'y périr plutôt que de se rendre. Il lui vint treize mille Suisses de secours, conduits par le colonel Albert de La Pierre, toujours affectionné à la France; mais quand ils surent que l'armée de l'empereur était pour la plus grande partie composée de leurs compatriotes, aucun d'eux ne voulut tirer l'épée, si ce n'est peut-être trois cents, qui demeurèrent auprès de leur colonel.

L'empereur ne fut pas mieux servi; car s'imaginant que les Français abandonneraient tout à son arrivée, et qu'il paierait ses Suisses de l'argent qu'il trouverait dans le Milanais, il n'en avait point apporté ; mais l'affaire dura plus qu'il ne pensait. Les Suisses voulurent avoir leur paie, et l'empereur demeura court. Le secours qui était venu aux François lui fit peur; il se défia de sa propre armée, qui se dissipa toute entière en un moment. Peu après le connétable, ayant eu quelque mécontentement, quitta de lui-même son gouvernement. On croit qu'il appréhenda d'être abandonné de la Cour, et ne voulut pas s'exposer à perdre un duché si considérable.

Le gouvernement fut donné à Odet de Foix, seigneur de Lautrec, frère de la comtesse de Chateaubriant, que le roi aimait. Ce nouveau gouverneur, peu après qu'il fut arrivé, assiégea Bresse avec les Vénitiens, à qui il la rendit quand elle fut prise. Il mit ensuite avec eux le siège devant Vérone; mais il allait lentement, en attendant des nouvelles de l'accommodement qui se traitait entre François et le nouveau roi d'Espagne.

Artus Gouffier, seigneur de Boissi, grand-maître de France, et Guillaume de Chièvre, étaient pour cela à Noyon. Ils avaient été tous deux gouverneurs de leurs maîtres, et tous deux ils avaient le principal crédit dans leurs conseils. L'alliance fut renouvelée par leur entremise, à condition que François donnerait à Charles, Louise sa fille, qui n'avait pas un an, avec le droit qu'il avait sur le royaume de Naples, et que, jusqu'à ce qu'elle fût en Age, Charles paierait tous les ans cent mille écus pour son entretien. Que si la petite princesse venait à mourir, et

 

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qu'elle n'eût point de sœur, Charles devait épouser Renée, qui lui avait été promise. Il s'obligeait à rendre le royaume de Navarre dans six mois; et si les états de Castille l'en empêchaient, il était libre à François d'agir par la force, sans que la paix fût rompue par cette entreprise.

L'empereur avait deux mois de temps pour entrer dans ce traité, et alors il devait rendre la ville de Vérone, moyennant cent mille écus, pour être ensuite restituée aux Vénitiens. A ces conditions, il se fit une ligue défensive entre la France et l'Espagne, et François s'obligea à secourir Charles, pour se mettre en possession de ses royaumes. L'empereur, après avoir hésité assez longtemps, ratifia le traité ; Vérone fut remise entre les mains de Lautrec, qui la rendit aux Vénitiens, et les treize cantons suisses, dont quelques-uns avaient refusé de renouveler l'alliance avec le roi, le firent d'un commun accord.

Le Pape avait tâché de traverser ce traité, parce qu'il n'aimait pas les Vénitiens, et qu'il était bien aise que la France eût des ennemis. Le roi le savait, et était d'ailleurs très-mal satisfait du Pape, qui, loin de le secourir comme il y était obligé, s'opposait autant qu'il pouvait à ses desseins. Ainsi il laissa faire Lautrec, qui sous main facilita au duc d'Urbain les moyens de ramasser des troupes, par lesquelles il recouvra son Etat; mais au fond, il ne voulait point de guerre avec le saint Siège, tellement que, sur les plaintes du Pape, il se fit un nouvel accord, où le secours que devaient se donner le Pape et le roi, fut spécifié plus expressément que jamais, mais avec aussi peu d'effet.

François s'appliqua plus utilement à gagner le roi d'Angleterre. Charles, on partant de l'Ecluse pour aller en Espagne, relâcha à Douvres, comme s'il y eût été jeté par la tempête : son dessein était de réveiller la jalousie de Henri; mais il ne trouva pas dans son esprit les dispositions qu'il souhaitait. Co prince, en le recevant magnifiquement, lui déclara qu'il ne voulait rompre avec aucun de ses voisins. Ainsi Charles s'en alla sans rien faire; mais François, qui vit le temps favorable, songea à retirer Tournay des mains de Henri. Cette place lui était à charge par la grande dépense qu'elle lui faisait : il avait peine à la rendre, tant à cause qu'il l'avait prise lui-même, et l'aimait comme sa conquête, qu'à cause qu'il trouvait honteux de l'abandonner. Bonnivet, amiral de France, frère de Boissi, qui négociait en Angleterre, trouva moyen de vaincre cette difficulté.

Environ dans ce même temps le roi eut un Dauphin (1518), l'amiral proposa de le marier avec Marie, fille de Henri, et les Anglais ne crurent point se faire tort de donner Tournay en faveur de ce mariage, pour servir de dot à leur princesse. François promit une somme considérable pour que cette place lui fût cédée par avance ; et comme il ne se trouva point d'argent dans les coffres, Henri se contenta qu'il lui donnât pour otages huit personnes des plus qualifiées de son royaume. Le Dauphin fut tenu au nom du Pape par Laurent de Médicis, qui lui

 

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donna le nom de François. Ce fut une occasion au Pape d'obtenir de nouvelles grâces pour son neveu. François lui fit épouser l'héritière de la maison de Boulogne, l'une des plus puissantes de France, et promit, foi de roi, de n'entrer jamais dans des intérêts contraires au Pape. C’était tout dire pour lui, car jamais prince ne fut plus religieux observateur de ses promesses; mais le Pape n'agissait pas avec la même sincérité.

Cependant Maximilien songeait à laisser l'empire dans sa maison, et à faire pour cela un roi des Romains ; mais les constitutions de l'empire n'en permettaient l'élection qu'après que l'empereur avait reçu la couronne par le Pape; ce que Maximilien n'avait pas fait. C'est pourquoi il pria Léon de le faire couronner en Allemagne par un légat, quoique la chose fût sans exemple; aussi cette innovation ne plaisait pas à la cour de Rome. Au reste, l'empereur était encore irrésolu sur celui de ses deux petits-fils qu'il ferait roi des Romains : son inclination le portait pour Ferdinand ; il prétendait partager sa maison en deux branches, dont l'une aurait les royaumes d'Espagne et ce qui en dépendait; et l'autre aurait l'empire avec les pays héréditaires et les Pays-Bas ; car son dessein était de les faire tomber à celui qu'il laisserait empereur.

Par cet établissement, il regardait sa maison comme la plus puissante et la plus solidement établie qui fût jamais. Comme il était dans ce dessein, la mort le surprit, et Charles songea à l'empire. Il eut un grand concurrent, à qui il ne s'attendait pas; ce fut François, qui, aussitôt après la mort de Maximilien, envoya pour cela Bonnivet son favori à Francfort, où se fait ordinairement l'élection de l'empereur. Il fit représenter au Pape que la grande puissance de Charles en Italie lui donnerait le moyen de réveiller les anciennes prétentions des empereurs en ce pays, et que c'était pour cette raison que, dans les investitures que les papes accordaient aux rois de Naples, ils inséraient toujours la condition qu'ils ne seraient point empereurs : d'un autre côté il faisait dire aux Allemands que s'ils élisaient des princes d'Autriche et les fils des empereurs, l'empire à la fin deviendrait héréditaire dans cette maison, qui, étant d'ailleurs si puissante en Allemagne, s'y pouvait aisément rendre la maîtresse, au lieu qu'un roi de France n'ayant rien, dans l'empire, on ne pouvait attendre de lui que de la protection.

Charles au contraire faisait remontrer par ses agents, qu'il était dangereux de mettre l'empire entre les mains des Français, dont les rois, accoutumés à un commandement absolu, ne pourraient. jamais s'accommoder aux tempéraments et à la douceur du gouvernement germanique ; que la nation française regardait l'empire comme un bien injustement arraché à la maison de Charlemagne, où il avait été héréditaire, en sorte que les rois de France, si on les faisait empereurs, croiraient rentrer dans les droits de leurs prédécesseurs, et dans leur

 

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possession ancienne, sans se mettre en peine de l'élection (1519). Ainsi qu'il valait bien mieux donner l'empire à un prince accoutumé dès la naissance aux mœurs allemandes, et qui d'ailleurs, par la grandeur de ses Etats, était seul capable de résister à l'ennemi commun, dont les progrès étonnants menaçaient la chrétienté d'une prompte ruine, si on ne lui opposait une puissance égale à la sienne. En effet, l'empereur Sélim, enflé de la conquête de l'Egypte, semblait devoir bientôt attaquer la Hongrie, l'île de Corfou et les lies voisines, d'où le passage était si aisé en Italie.

Telles étaient les raisons des deux contendants, à quoi ils joignaient de grandes sommes d'argent, qu'ils distribuaient ou promettaient aux électeurs; et du reste la chose se passait entre eux avec beaucoup d'honnêteté, sans qu'un intérêt si pressant leur fit rien dire d'offensant l'un contre l'autre. Au contraire, François déclara aux ambassadeurs de Charles qu'il ne savait point mauvais gré à leur maître de prétendre à l'empire, et qu'il attendait de lui les mêmes sentiments. Les villes libres d'Allemagne entrèrent dans les intérêts de Charles, et ne voulurent point souffrir que l'empire sortit d'Allemagne.

A l'égard des Suisses, ils eussent souhaité qu'on exclût les deux princes comme trop puissants; mais des deux ils préféraient Charles, dont la puissance plus dissipée leur paraissait moins redoutable; et ils représentèrent cette raison aux électeurs. Le Pape, dont la recommandation était puissante, surtout auprès des électeurs ecclésiastiques, était dans les mêmes sentiments; mais il ne croyait pas pouvoir donner l'exclusion à Charles, s'il ne fortifiait en apparence le parti de François, afin d'obliger les électeurs à élire un tiers, par la difficulté de prendre parti entre deux rois si puissants.

Au reste, comme il n'y avait guère apparence que François pût réussir dans cette brigue, il lui fit proposer de s'unir avec lui, pour faire élire le marquis de Brandebourg, par où il aurait le contentement de donner du moins l'exclusion à son compétiteur; mais François se croyait trop fort pour quitter la partie. En effet, quelques électeurs s'étaient déjà engagés à lui, et il avait des amis qui lui promettaient les autres.

Bonnivet faisait beaucoup de voyages, déguisé et pendant la nuit, et donnait beaucoup d'argent pour gagner des voix ; mais cependant les amis de François lui manquaient. Charles trouvait moyen de les détacher : il avait engagé dans ses intérêts le roi de Bohême son beau-frère, et l'un des électeurs; il en gagna trois autres, ou par argent, ou par crainte, car il fit faire quelque mouvement aux troupes qu'il avait prêtées en Allemagne; ainsi il fut élu empereur, et Bonnivet revint en diligence, chargé de confusion.

Le Pape accepta aussitôt l'élection, contre la teneur de l'investiture qu'il avait donnée à Charles pour le royaume de Naples. Ce fut une grande douleur à François, qu'un avantage si considérable remporté

 

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sur lui, fût la première action d'un prince de vingt ans; et il ressentait beaucoup de honte, après avoir fait-tant de bruit, de n'avoir eu que deux voix. Il eut depuis ce temps une éternelle jalousie contre l'empereur, qui, de son côté, devenu fier par l'avantage qu'il venait de remporter, s'en promettait beaucoup d'autres.

Ce prince souhaitait de pouvoir rompre le traité de Noyon, qu'il avait fait, disait-il, par une espèce de contrainte, dans l'appréhension où il était de trouver de la révolte en Espagne. Ainsi une guerre furieuse menaçait la chrétienté sous deux princes si belliqueux, et si jaloux l'un de l'autre. Pour la prévenir, Boissi et Chièvre résolurent de s'aboucher à Montpellier ; ils avaient tous deux de bonnes intentions pour la paix, et le rang qu'ils tenaient dans les conseils de leurs princes, les rendait comme maîtres de l'exécution; mais Boissi mourut sur ces entrefaites. Bonnivet qui succéda à la faveur, quoique avec moins d'autorité, ne songea qu'à se conserver les bonnes grâces de son maître, en le flattant dans toutes ses inclinations.

Dans les jalousies qu'avaient les deux princes (1520), rien ne leur était plus important que de ménager le roi d'Angleterre. Ils y pensèrent tous deux en même temps; François prévint l'empereur, et il se fit entre Ardres et Guines une entrevue des deux rois. On dressa au roi une tente magnifique, celle du roi d'Angleterre fut agréable et surprenante par la nouveauté de la décoration. Le premier jour de la conférence se passa sérieusement à parler d'affaires; mais les deux rois, après les avoir ébauchées, les laissèrent discuter à leurs ministres, c'est-à-dire au chancelier Duprat, d'un côté, et au cardinal d'Yorck, de l'autre. Cependant ce n'était que jeux et tournais; les deux rois coururent souvent l'un contre l'autre, et les prix étaient donnes par les plus belles dames des deux nations, qui étaient venues à cette assemblée. Henri donna le premier festin, et François Je rendit avec magnificence.

Comme ces princes vivaient avec une extrême familiarité, un matin François se rendit à la porte de Henri, et voulut lui donner sa chemise. Quelques-uns le blâmèrent de n'avoir pas assez ménagé sa dignité, et d'autres d'avoir trop exposé sa personne; mais François se sentait si grand, que rien ne pouvait le ravilir, et son cœur, incapable de supercherie, ne lui permettait pas d'en soupçonner les autres : le mal fut qu'au milieu de ces divertissements, et malgré ces apparences d'amitié sincère, les affaires ne se faisaient pas. Le roi d'Angleterre déclara à François qu'il voulait demeurer neutre, c'est-à-dire qu'il voulait attendre l'événement pour se ranger à loisir au parti le plus fort. Ainsi cette entrevue, où François dépensa tant d'argent, fut inutile.

Charles fit ses affaires avec moins d'appareil, mois plus solidement. En venant d'Espagne en Allemagne, il passa en Angleterre, et étant arrivé à Kent, il eut une longue conférence avec le roi son oncle. Il ne lui parla pas défaire la guerre à François, ce prince y était peu

 

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disposé ; mais on lui proposant le glorieux dessein d'entretenir la paix de l'Europe, il l'obligea à se rendre arbitre et médiateur entre les deux princes, et à déclarer la guerre à celui des deux qui ne vomirait pas en passer par son avis. Cette proposition, équitable eu apparence, tendait en effet à engager Henri contre François, qui, ayant deux royaumes à redemander à Charles, celui de Naples pour lui, et celui de Navarre pour son allié, n'avait garde de mettre en compromis ce qui lui était du par un traité. Charles après cola continua son voyage, et vint se faire couronner à Aix-la-Chapelle.

Le Pape cependant était dans un grand embarras, il lui était difficile de demeurer entre les deux rois. Il y voyait cet inconvénient, que ces princes ayant déjà le tiers de l'Italie, se ligueraient ensemble pour on occuper le reste, ou que s'ils se faisaient la guerre, l'Italie serait la proie du victorieux. Ainsi il fallait prendre parti, et son intention était de prendre celui du plus fort, mais c'est ce qui était difficile à décider ; dans ce doute la liaison plus particulière qu'il avait avec la France, et le prétexte que lui donnait le royaume de Naples, que Charles ne devait plus posséder étant empereur, le détermineront on faveur de François.

Il conclut donc avec lui un traité secret, par lequel il est dit que la conquête de ce royaume se ferait entre eux à frais communs, que quelques provinces seraient réunies à l'Etat ecclésiastique, et que l'investiture du reste serait donnée au second fils de France, qui serait nourri à Naples, sous la tutelle d'un cardinal légat, jusqu'à ce qu'il eût quatorze ans.

Charles était occupé des affaires d'Allemagne, et il avait assemblé une diète à Worms, pour les régler. Il y avait de grands mouvements dans l'empire, au sujet de Martin Luther, moine augustin, qui avait commencé depuis environ trois ans à soulever le peuple contre le Pape et contre l'Eglise. Léon voyant la chrétienté si cruellement menacée par Sélim, empereur des Turcs, avait, à l'exemple de Jules II son prédécesseur, donné par toute l'Eglise des indulgences en faveur de ceux qui contribueraient à lever des troupes contre le Turc. Les prédicateurs ignorons, et transportés d'un faux zèle, prêchaient ces indulgences d'une étrange sorte; et on eût dit qu'il ne fallait que donner de l'argent pour être sauvé.

Cependant on amassait des sommes immenses, dont on faisait des usages détestables, principalement en Allemagne et dans tout le Nord. Il était encore arrivé un autre inconvénient à Vittemberg on Saxe ; on avait fait prêcher les indulgences aux jacobins, à la place des augustins, à qui on avait accoutumé de donner cette commission. Sur cela Luther se mit à prêcher premièrement confie les abus des indulgences, contre ceux de la cour de Rome et de l'ordre ecclésiastique, et enfin, contre la doctrine même de l'Eglise, et de l'autorité du saint Siège; car il s'échauffait de plus en plus, à mesure qu'il se voyait écouté. Son

 

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éloquence populaire et séditieuse était admirée; sa doctrine flattait le peuple, qu'elle déchargeait de jeûnes, d'abstinences et de confessions; ce qu'il couvrait pourtant d'une piété apparente.

Les princes entraient volontiers dans son parti, pour profiter du bien des églises, qu'ils regardaient déjà comme leur proie. Ainsi toute l’Allemagne était pleine de ses sectateurs, qui parlaient de lui comme d'un nouveau prophète. Léon, au lieu de réformer les abus qui donnaient lieu à l'hérésie, ne songeait qu'à perdre Luther. Si on s'y fût bien pris au commencement, on eût pu ou le gagner ou l'arrêter par la crainte ; car il était intimidé, et ne demandait qu'une issue qui ne lui fût pas tout à fait honteuse, mais on aima mieux le pousser.

Léon X anathématisa par une bulle solennelle sa personne et sa doctrine pernicieuse; et lui de son côté s'emporta à des insolences inouïes ; car il fit censurer par l'université de Vittemberg les Décrétales, et les fit brûler publiquement, comme on avait fait ses livres à Rome. Il ajouta à cet outrage qu'il fit au saint Siège, des railleries contre Léon, d'autant plus piquantes, qu'elles n'étaient pas éloignées de la vraisemblance; car il est certain entre autres choses qu'il avait donné à sa sœur les revenus des indulgences, et que l'argent s'en levait par ses ministres avec une avarice honteuse.

L'empereur dissimula quelque temps, et ne fut pas fâché de laisser un peu échauffer les choses; il voyait qu'il en serait toujours le maître, et il voulait s'en faire un mérite auprès du saint Siège. Léon ne tarda pas de venir à lui; Manuel, son ambassadeur, auparavant méprisé à Rome, fut regardé de meilleur œil, et on croit que dès ce temps le Pape concerta avec lui, malgré les traités, les moyens de chasser François d'Italie.

Quoi qu'il en soit, l'empereur, sollicité par Léon, et pressé par sa conscience de remédier à un mal qui ne s'était que trop accru, après avoir ouï Luther à la diète de Worms, où il était venu sur la foi publique, le mit au ban de l'empire, lui et ses sectateurs, et le déclara soumis à toutes les peines décernées contre les criminels de lèse-majesté divine et humaine : mais l'électeur de Saxe son protecteur, lui donna retraite, et l'Allemagne se vit plus que jamais menacée de guerres sanglantes par cette hérésie.

L'Espagne n'était pas moins en trouble; Charles en donnait toutes les charges aux Flamands, avec qui il avait été nourri, et à qui il se fiait davantage qu'aux Espagnols ses nouveaux sujets. Après la mort du grand cardinal Ximénès, qui avait si sagement présidé aux conseils de son aïeul Ferdinand et aux siens, il donna l'archevêché de Tolède au frère de Chièvre, et laissa à Chièvre lui-même le gouvernement des affaires durant son absence. Les grandes villes entrèrent dans le ressentiment de la nation, et aussitôt après le départ de Charles, toute l'Espagne se révolta.

Cependant les six mois dans lesquels Charles avait promis de restituer

 

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la Navarre, étant accomplis sans que la chose fût exécutée, François résolut, selon le traité de Noyon, de remettre Jean d'Albret en possession par la force : ainsi il leva une armée en Guyenne. André de Foix (1321), seigneur de l'Esparre, frère de Lautrec, en eut le commandement, et il conquit en quinze jours la Navarre, qu'il trouva toute dégarnie.

Il l'eût aisément conservée s'il en fût demeuré là; mais il passa l'Ebre contre ses ordres, et assiégea une place dans la Castille ; à cette nouvelle les Espagnols se réveillèrent. Logrogne, qui fut la place assiégée, tint assez longtemps pour leur donner le loisir de se reconnaître. Les ministres de l'empereur leur représentèrent combien il serait honteux a, la nation que ses divisions intestines missent le royaume en proie. Il n'en fallut pas davantage pour les réunir, et le duc de Nocera se mit à la tête des troupes. Il trouva les nôtres ruinées : un des lieutenans-généraux, croyant l'affaire finie, avait pris de l'argent de la plupart des soldats, pour leur donner leur congé. Le duc de Nocera tomba sur l'Esparre, qui combattit sans attendre le secours qui lui venait. Il fut battu et pris, et la Navarre reconquise en aussi peu de temps qu'elle avait été perdue.

François ne se rebuta pas, et, à vrai dire, les deux princes se regardaient secrètement comme ennemis. Charles ne songeait à rendre ni la Navarre ni Naples ; et son mariage accordé avec une princesse d'un an, lui paraissait une illusion: ainsi ils n'avaient tous deux que la guerre dans l'esprit, et la question était seulement à qui trouverait une meilleure occasion de se déclarer.

Durant ces dispositions, et au milieu de la diète de Worms, Robert de La Marck, prince de Sedan et seigneur de Bouillon, eut une grande affaire avec l'empereur, qui avait donné un relief d'appel à la chambre impériale de Spire, sur un jugement rendu par ses officiers de Bouillon ; il prétendait que ce duché ne relevait point de l'empire, et parce que Charles refusa de lui rendre justice sur cette entreprise, un si petit prince osa défier l'empereur en pleine diète par un héraut. En même temps il se mit sous la protection de la France, et fit assiéger Virton, place du Luxembourg, par Fleurange son fils ainé, grand homme de guerre, et qui avait bien servi à la bataille de Marignan.

Quoique le roi fût irrité contre Robert, qui s'était attaché à Charles, dans l'affaire de son élection à l'empire, il reprit aisément ses premiers sentiments pour une maison qui avait toujours été attachée aux rois de France, et qui ne s'en était séparée en cette occasion que par quelque mécontentement particulier. Quand le roi d'Angleterre vit ce commencement de division, il en prévit les conséquences, et se crut obligé par sa qualité de médiateur à les prévenir. Il fit faire à Robert des propositions équitables, et envoya en même temps le duc de Suffolk à François. Il le trouva dangereusement malade d'un coup qu'il avait reçu en jouant ; car le comte de Saint-Pol ayant fait le jour des rois un roi

 

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de la fève, François l'alla attaquer dans une espèce de fort où il s'était renfermé, et pendant qu'on se jetait de part et d'autre beaucoup de pelotes de neige, un étourdi jeta un tison qui blessa le roi à la tête.

Suffolk l'ayant trouvé en cet état, obtint de lui aisément qu'il fit commander à La Marck de lever le siège de Virton. Il fallut obéir, et François étant revenu en santé, fit dire au roi d'Angleterre que, puisqu'il avait fait ce qu'il demandait, il obligeât l'empereur à lui rendre les royaumes de Naples et de Navarre. Il savait bien que l'empereur ne le ferait pas; mais il voulait le mettre dans son tort, et cherchait l'occasion d'exécuter le projet fait entre le Pape et lui pour le royaume de Naples. Il ne savait pas encore que les choses étaient bien changées.

Manuel, ambassadeur de l'empereur, avait fait avec Léon une ligue pour chasser les Français d'Italie. Francisque Sforce, frère de Maximilien, devait être duc de Milan ; le Pape devait avoir Parme et Plaisance ; et l'empereur le devait aider à déposséder le duc de Ferrare. Ce traité devait être secret, jusqu'à ce que le Pape eût trouvé un prétexte de rompre avec François ; car il était honteux de manquer si grossièrement de parole. Le roi ne laissa pas d'être assez tôt averti de son infidélité ; on lui conseillait de déclarer le traité à l'empereur, pour lui faire voir le peu de sûreté qu'il y avait en la parole du Pape. Il ne le voulut jamais, parce qu'il avait promis le secret, il dit qu'il ne voulait point manquer de parole, même à ceux qui lui en manquaient.

Le Pape cependant fit une entreprise sur Gênes qui fut découverte. Il ne se ralentit pas pour cela, et conçut divers desseins sur le Milanais. Les affaires y allaient en grand désordre, et les Français s'y étaient rendus fort odieux.

Sous Louis XII, qui aimait l'ordre en tout, et dont les finances étaient réglées, les soldats étaient payés et soumis; mais il n'en était pas de même sous François : les dépenses étaient excessives et sans ordre ; comme on ne payait point les soldats, on ne savait comment les retenir dans la discipline. Lautrec réussit à les réprimer pendant qu'il fut à Milan, car il était homme d'ordre et d'autorité; mais il eut congé de venir en France pour quelques affaires, et le roi envoya en sa place son jeune frère Lescun, un des plus braves hommes de son siècle, mais emporté et sans règle.

Ainsi la licence des soldats était extrême. Le gouverneur chassait tous les jours quelques habitants de Milan, ou pour avoir leur bien dans la nécessité des affaires, ou parce qu'étant maltraités, ils complotaient contre le service, et le nombre des bannis égalait presque celui des citoyens qui restaient dans la ville. Comme ils étaient dispersés en si grand nombre, le chancelier Moron s'en rendit le chef, et entreprit de les réunir. Il était sorti de Milan, gagné par le Pape, et mécontent de n'avoir pas eu la charge de maître des requêtes qui lui avait été

 

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promise. On dit que le chancelier Duprat ne voulait point d'un tel homme dans le conseil.

Moron ainsi relire, persuada à Francisque Sforce de rentrer dans le duché de ses pères, qui avait été perdu par la lâcheté de son frère Maximilien : il assembla les bannis, qui, soutenus par le Pape, firent une entreprise sur Crémone. Ils furent découverts, et comme Lescun, fait en ce temps maréchal de France, sous le nom de maréchal de Foix, allait les tailler en pièces, François Guichardin (c'est l'historien) les sauva, en les recevant dans Regge, dont il était gouverneur, aussi bien que de Modène.

Le maréchal investit aussitôt la place pour les empêcher d'échapper, et pressait le gouverneur de les rendre. Comme Lescun était en pourparler avec lui, entre la porte et le fossé, un bruit se répandit que les Français voulaient surprendre la place : le peuple s'étant ému aussitôt, le maréchal fut en grand péril, et Guichardin eut peine à le sauver. Le Pape fut ravi de ce désordre, pour avoir occasion de se déclarer contré la France. Il assembla aussitôt le consistoire, où il se plaignit avec une extrême véhémence de l'ambition de François, qui s'emportait, disait-il, jusqu'à entreprendre contre les terres de l'Eglise; il déclara peu de temps après son traité avec l'empereur, comme s'il l'eût fait depuis peu de jours. Il donna le commandement de ses troupes à Frédéric de Gonzague, marquis de Mantoue : celles d'Espagne avaient pour général dom Fernando d'Avalos, marquis de Pescaire, et par-dessus eux, Prosper Colonne, qui était le généralissime de toute l'armée.

Les Florentins entrèrent dans la figue, et tous ensemble résolurent d'attaquer le Milanais. A peu près dans le même temps, le comte de Nassau, celui à qui François avait fait épouser l'héritière d'Orange, ravagea les terres de La Marck, et après lui avoir tout ôté, à la réserve de Sedan et de Jamets, il menaçait la Champagne. Le roi, sans s'étonner de se voir attaqué par tant d'endroits, fit aller Bonnivet avec la flotte du côté d'Espagne, renvoya Lautrec en Italie, et marcha en personne du côté de Reims.

Ce fut avec regret que Lautrec retourna à Milan (1522); il voyait le désordre des finances, et se défiait de Louise de Savoie, mère du roi, qu'on appelait Madame, et à qui ce prince en laissait la disposition. Louise haïssait la comtesse de Châteaubriant, sœur de Lautrec, et ainsi, quelques promesses qu'elle lui fit, il augurait mal de son voyage. A son arrivée à Milan, et le propre jour de Saint-Pierre, sur les six heures du soir, et dans un air fort serein, un grand feu tomba du ciel tout à coup, renversa une grosse tour qui était sur la porte du château, consuma beaucoup de poudre et d'autres munitions, et tua plus de cent cinquante hommes, avec le gouverneur du château.

Pendant que la guerre s'allumait de tous côtés, le roi d'Angleterre ménagea une conférence à Calais, dans laquelle les esprits ne firent que s'aigrir; les envoyés de l'empereur y firent des propositions qui

 

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auraient paru exorbitantes, quand même leur maître aurait été victorieux ; car ils demandèrent le duché de Bourgogne, et la souveraineté des comtés de Flandre et d'Artois. Pendant la conférence, les impériaux commencèrent la guerre vers Tournay.

Un gentilhomme de Hainaut, nommé Léques, secouru des forces de l'empereur, sous prétexte d'une querelle particulière du cardinal de Bourbon, trouva le moyen de chasser tons les Français du Tournaisis. Il prit Ardres, qu'il rasa, et en même temps le gouverneur de Flandres mit le siège devant Tournay. Ces heureux succès excitèrent le comte de Nassau à faire quelque entreprise ; il assiégea Mouson, et le roi, quoique assez proche avec son armée, ne put empêcher que l'épouvante ne se mit dans la place à un tel point, qu'elle se rendit sans résistance. Nassau trouva à Mézières une défense plus vigoureuse ; aussi cette place était-elle défendue par cet illustre chevalier Bavard, à qui sa valeur et sa fidélité ont donné tant de réputation dans nos histoires. Il n'avait que deux cents chevaux, et deux mille hommes de pied de nouvelles levées, dont encore une grande partie se sauva. Cependant il ne laissa pas de soutenir trois assauts, et de ruiner l'armée impériale, qui fut contrainte à la fin de lever le siège.

Nassau se retira en colère le long de la Picardie, mit le feu partout où il passa, et donna lieu aux cruautés qui s'exercèrent de part et d'autre durant cette guerre. La valeur de Bayard fut récompensée sur-le-champ d'une compagnie de cent hommes d'armes, et du collier de Saint-Michel. L'empereur vint à son armée, qu'il trouva si affaiblie, qu'elle n'était plus en état d'être opposée à celle de France. Il s'alla poster entre Cambray et Valenciennes ; ainsi le comte de Saint-Pol, prince du sang, entra sans peine dans Mouson, que les ennemis abandonnèrent, et le roi, poursuivant les impériaux, prit en passant Bapaume et Landrecies, qui furent rasés.

Il eût pu tirer d'autres avantages du désordre de ses ennemis, si une intrigue de Cour ne l'en avait empêché. Il n'avait pas d'inclination pour le connétable, dont l'humeur grave et sévère ne s'accommodait pas avec la sienne libre et enjouée : mais l'amour de la mère du roi lui fit plus de mal que l'aversion du roi même. Madame, c'est ainsi, comme on vient de le dire, qu'on appelait cette princesse, avait eu de la passion pour le connétable, dès qu'il avait paru à la Cour, et lui avait fait entendre qu'elle voulait bien l'épouser. Refusée avec mépris, elle entra dans une colère implacable, dont elle lui fit sentir les tristes effets en diverses occasions; mais en voici un des plus fâcheux.

Elle avait donné sa fille Marguerite, depuis reine de Navarre, au duc d'Alençon, homme faible de corps et d'esprit, qui n'avait rien de recommandable que la qualité de premier prince du sang. Il crut qu'elle suffisait pour disputer le commandement de l'avant-garde au connétable, chose qui jusqu'alors n'avait jamais été contestée à ceux qui avaient cette dignité. Quoique Madame l'estimât peu, elle appuya sa

 

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prétention pour faire déplaisir à son concurrent ; le duc d'Alençon gagna sa cause, mais il fallut donner à ce général incapable, un lieutenant plus habile, qui eût toute la confiance; ce fut le maréchal de Châtillon. Le connétable souffrit cette injure au dedans avec un dépit extrême, et au dehors avec plus de prudence et de modération qu'où aurait cru ; mais le roi se trouva mal de ce choix.

L'empereur averti qu'il avait fait construire un pont sur l'Escaut, en-dessous de Bouchain, dans le dessein de le combattre, envoya douze mille lansquenets et quatre mille chevaux pour lui empêcher le passage. Ils trouvèrent nos gens déjà passés au nombre de seize cents hommes d'armes, et de vingt-six mille hommes de pied. La partie n'était pas égale, de sorte qu’ils se retirèrent en grand désordre.

Le maréchal de Châtillon n'était pas informé de leur marche, mais le connétable, qui avait de meilleurs avis, vint trouver le roi, et lui remontra qu'on en aurait bon marché si on les chargeait, parce qu’ils avaient à marcher en retraite dans une plaine de trois lieues, devant une armée beaucoup plus forte. Tous les officiers généraux étaient de même avis, et ne demandaient qu'à donner; mais le maréchal de Châtillon, sous prétexte d'un brouillard qui empêchait de reconnaître l’ennemi, dit qu'il ne fallait point hasarder la personne du roi. Ainsi François manqua une occasion qu'il ne recouvra jamais, et l'empereur, qui crut son armée perdue, se retira avec cent chevaux. Durant ce temps Bonnivet assiégeait Fontarobio, et la pressait vivement. Tournay était aussi à l'extrémité, et il était temps d'aller au secours d'une place si importante.

Comme le roi se préparait à passer la Scarpe dans ce dessein, il fut arrêté quelques jours par des propositions d'accommodement que lui firent les ambassadeurs du roi d'Angleterre. La conférence se continuait à Calais, où l'on était tombé d'accord d'une suspension d'armes, pendant laquelle les rois conviendraient d'arbitres pour régler leurs différends. Les choses étaient disposées à la paix, mais la nouvelle de la prise de Fontarobio rompit tontes les mesures.

Bonnivet, jaloux de sa conquête, conseilla au roi de ne la pas rendre; et il y avait d'ailleurs pou de sûreté avec Charles, qui ne différait la guerre que pour prendre ses avantages. Ainsi se commença une guerre de trente-huit ans, pendant laquelle la chrétienté perdit presque tout ce qu'elle avait dans la Grèce et dans les tics voisines. La saison étant avancée, les pluies continuelles empêchèrent le roi de passer la Scarpe, et l'obligèrent de se retirer vers l'Artois. Pendant cette retraite, le connétable surprit Hesdin; mais Tournay fut obligé de se rendre, après avoir tenu cinq mois.

En Italie la haine augmentait contre les Français. Manfroi Palavicin, parent du Pape, et allié de presque tous les potentats d'Italie, tâchant de surprendre Côme, fut surpris lui-même, et envoyé à Lautrec, qui lui fit couper la tête. Il fit plus, il donna sa confiscation à son frère le

 

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maréchal de Foix : action qui anima tellement les peuples contre lui, que tout était disposé à la révolte. Les confédérés se persuadèrent que cette disposition serait favorable à leurs desseins, et Colonne vint assiéger Parme; mais le maréchal de Foix se jeta dedans avec quatre cents lances et cinq mille fantassins, et pendant qu'il se défendait avec vigueur, malgré la désertion des Italiens, qui s'enfuirent par une brèche, Lautrec ramassait ses troupes pour le secourir.

Ce général avait beaucoup de régiments suisses, auxquels l'armée des Vénitiens vint se joindre avec celle du duc de Ferrure; il alla aux ennemis, et leur fit honteusement lever le siège. A cette nouvelle, le Pape consterné eût envie de se réconcilier avec la France; mais François avait retiré son ambassadeur, et Léon se rassura bientôt, ayant obtenu des Suisses la levée de douze mille hommes. Les cantons qui ne voulaient point donner de troupes contre le roi, accordèrent celles-ci, à condition de les employer seulement à la défense de l'Etat ecclésiastique; le Pape accepta la condition dans l'espérance qu'il pourrait les pousser plus loin, quand ils seraient en Italie, étant assuré comme il était du cardinal de Sion, qui les devait conduire.

Les confédérés passèrent le Pô du côté de Mantoue, pour se joindre plus facilement à ce cardinal, et tenir les Vénitiens en jalousie : en effet le sénat promit de retirer les troupes qu'il avait avec les Français, ce qui donna l'assurance aux confédérés, quoique faibles de s'engager un peu trop avant. Tous les historiens accusent Lautrec d'avoir manqué l'occasion de les ruiner, sans toutefois dire comment. Il est certain que tout d'un coup les affaires tournèrent mal, mais la cause en venait de plus haut.

Le même jour que Lautrec partit de Paris, Madame détourna quatre cent mille écus que le roi avait ordonnés pour le Milanais. De Beaune de Samblançay, trésorier de l'épargne, n'osa résister à cette princesse, qui voulut être payée de tous ses appointements, et malgré les ordres du roi, lui donna cette somme ; ainsi Lautrec manqua d'argent, et par là de tout; ses soldats désertaient tous les jours, et f or li fi aient l'armée ennemie où le cardinal de Médicis répandait l'argent en abondance. Les cantons qui ne voulaient point se mêler dans cette guerre, commandèrent à leurs sujets des deux armées de se retirer ; mais le cardinal de Sion eut l'adresse de détourner les courriers qui apportaient cet ordre dans son camp.

Comme Lautrec n'avait point d'argent à leur donner, il se vit abandonné tout d'un coup, et de vingt mille Suisses, à peine lui en resta-t-il quatre cents. Il est certain que pour peu d'argent il eût pu les retenir au moins durant un mois ; c'était assez pour obliger l'armée ennemie, plus faible que celle de France, à se retirer; la seule saison l'y eût forcée, car on était au mois de novembre. Elle se serait même bientôt débandée, parce que ce n'étaient que des troupes ramassées, et que le Pape, qui seul donnait de l'argent, n'en pouvait pas toujours fournir;

 

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mais par malheur pour la France, Lautrec en manqua le premier, et au lieu d'arrêter l'ennemi à l'Oglie, comme il avait fait jusqu'alors, il fut trop heureux de pouvoir défendre l'Adde.

Quoiqu'il eût peu de troupes, il n'était pas aisé de passer cette rivière devant un homme aussi résolu que lui. Colonne l'amusa, et en faisant semblant de vouloir passer d'un côté, il passait de l’autre. Lautrec en fut averti; mois il perdit beaucoup de temps à délibérer, et trouva les ennemis si bien retranchés, qu’il n'y eut plus moyen de les forcer. Il s'en retourna à Milan, où tout était disposé à la révolte, et il fit mourir plusieurs citoyens. Les peuples irrités envoyèrent dire à Moron que si Colonne s'avançait, la ville se révolterait.

Ce général marcha aussitôt, et le marquis de Pescaire, qui conduisait l'avant-garde, trouva le rempart du faubourg abandonné par les Vénitiens. Il poussa plus loin, et la porte Romaine lui fut livrée avec si peu de bruit, que des fuyards trouvèrent Lautrec qui se promenait désarmé devant le château. Il y jeta ce qu'il put de soldats, et il se retira à Côme, où ce qui lui restait de Suisses, attirés par le voisinage de leur pays, l'abandonnèrent : Plaisance, Pavie, et plusieurs autres places se rendirent, Lautrec abandonna Parme pour se jeter dans Crémone, qui avait appelé l'ennemi. Pescaire prit Côme à bonne composition; mais il ne tint pas parole.

A la nouvelle de la prise de Milan, le Pape fut transporté de joie, et quelques-uns attribuèrent à l'émotion que lui causa cette joie, la fièvre qui le prit en même temps. Elle fut petite d'abord, mais elle augmenta tellement, qu'elle l'emporta en peu de jours. On remarque plus sa constance que sa piété dans cette importante occasion. Il n'avait que quarante-quatre ans, et on crut que ses jours lui avaient été avancés. Quelques historiens ont osé jeter du soupçon contre François, comme s'il l'avait fait empoisonner; mais la magnanimité de ce prince le met au-dessus d'une telle accusation.

La mort du Pape laissa les affaires de la ligue en mauvais état. Il portait la plus grande partie des frais de la guerre, et comme il avait épuisé les finances de l'Eglise, l'armée dépérit beaucoup faute d'argent. On ne fut pas longtemps sans créer un nouveau Pape : l'empereur eut le crédit de faire élire tout d'une voix le cardinal Adrien, natif d'Utrecht, qui avait été son précepteur. Il reçut la nouvelle de son exaltation en Biscaye où il commandait, et prit le nom d'Adrien VI.

Tout était alors favorable à l'empereur; le roi d'Angleterre lui prêta deux cent cinquante mille écus. Il retint un peu de temps avec cet argent les troupes qui se débandaient, mais ce secours était faible pour ses besoins, et les confédérés furent obligés d'abandonner toutes leurs conquêtes, excepté la ville de Milan, celle de Novare, Pavie, et Alexandrie, où le peuple nourrissait la garnison:

Cependant le roi, affligé des pertes qu'il avait faites, songeait à rétablir ses affaires. Il avait obtenu des Suisses seize mille hommes pour

 

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recouvrer le Milanais. Colonne de son côté, renforcé de quatre mille Allemands que le peuple de Milan avait levés à ses frais, mit le siège devant le château; et Lautrec s'étant joint aux Vénitiens et aux Suisses, l'assiégea lui-même dans son camp. Il s'y était fortifié d'une terrible manière, en fermant la place d'un double fossé pour empêcher les sorties de la garnison et le secours du dehors.

Durant tout ce temps il n'est pas croyable combien Moron aida à soutenir le parti; il persuada aux chefs de rétablir la maison Sforce, et que c'était le seul moyen de retenir le peuple dans une bonne disposition. Il fit donner le duché au jeune Francisque, homme sans vertu et sans mérite, qui jamais ne fit rien de considérable, et qui n'eut que le nom de duc. Aussi n'avait-on besoin que d'un nom pour amuser le vulgaire.

Après cette nomination, Moron fit avancer le nouveau duc à Pavie, pour l'introduire à la première occasion dans Milan, qui le désirait avec; ardeur. Pour tirer de l'argent du peuple, il suscita un augustin, qui prêchait contre les Français, contre lesquels, disait-il, la colère de Dieu était déclarée, et qu'il fallait tous exterminer. Ainsi mêlant la religion aux intérêts politiques, il tirait tout ce qu'il voulait.

Lautrec cependant incommodait beaucoup la ville; il désespéra de forcer Colonne dans ses lignes qui étaient trop fortes ; mais il brûlait les moulins, ravageait la campagne, et empêchait les convois : il coupa les canaux qui portaient de l'eau à la ville, et enfin elle avait à craindre les dernières extrémités, car il n'était pas possible de fournir longtemps des vivres aux bourgeois et à l'armée ; mais Moron durant ces misères ne s'oublia pas, il supposa des lettres interceptées sous le nom du roi, comme s'il eût écrit à Lautrec de prendre la ville à quelque prix que ce fût, et de n'y laisser pierre sur pierre. Ainsi le peuple effrayé se résolut à tout souffrir.

Cependant le maréchal de Foix revenait de France avec quelques troupes et de l'argent. Il se résolut en passant d'assiéger Novare, espérant que le feu du château qui était à nous, jetterait l'épouvante dans la place; il avait fait une brèche, et il se préparait à donner l'assaut; mais les Suisses refusèrent d'y aller, disant pour excuse qu'ils n'étaient pas faits pour les sièges. Le maréchal, sans s'étonner, fit descendre de cheval deux cents hommes d'armes qu'il avait, il se mit à leur tête, força la muraille et passa tout au fil de l'épée. Il punit ainsi la rage d'un peuple qui avait égorgé les Français, et en avait mangé le cœur.

Comme fi. approchait de Milan, Lautrec fut obligé d'envoyer au-devant de lui une partie de l'armée pour l'escorter. Mais il ne put empêcher que le jeune Sforce, qui attendait à Pavie, n'entrât de nuit à Milan. L'argent que le maréchal apportait ne dura guère, et la plus grande partie tomba dans l'eau en passant un bac, où la cavalerie se

 

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Après l'entrée du duc, le peuple qui l'adorait s'encouragea tellement à se défendre, qu'il n'y avait non plus moyen de le lasser, que de forcer Colonne dans ses lignes; ainsi Lautrec leva le siège, et alla droit à Pavie. Le marquis de Mantoue qui y commandait ne soupçonnait rien, parce que Lautrec était au delà du Tessin. Cette rivière se trouva guéable, et la ville pensa être surprise : l'entreprise manqua par la faute d'un gentilhomme nommé Colombière, qui eut peur cette fois, quoiqu'on l'appelât sans peur. Nous perdîmes quatre cents hommes qui s'étaient trop avancés, et Lautrec ne laissa pas de former le siège; mais le Tessin s'étant débordé, les vivres ne venaient plus dans le camp, et il fallut se retirer.

Il venait alors de l'argent de France, et comme Lautrec allait au-devant pour faciliter le passage, les Suisses voulaient être payés sans attendre un seul moment, sinon ils protestaient de s'en retourner. Mais pour montrer que ce n'était pas la crainte qui les obligeait à la retraite, ils priaient Lautrec de les mener sur-le-champ contre l'ennemi, et Albert de La Pierre, auteur du conseil, offrait d'aller à la tête. Depuis l'arrivée de Sforce à Milan, Colonne s'était mis en campagne, et il s'était retranché dans le jardin d'une ferme nommée la Bicoque.

Ce jardin, assez spacieux pour y mettre l'armée en bataille, était d'ailleurs agréable, et il avait beaucoup d'eau. Les allées en étaient traversées de plusieurs petits canaux qui se jetaient dans un fossé à fond de cuve, dont le jardin était entouré, de sorte que ce heu était fortifié par sa nature, et il ne fallait que le border d'artillerie pour le rendre inaccessible. Les Suisses ne laissèrent pas d'en vouloir faire l'attaque; on n'en était pas d'avis au conseil de guerre, au contraire on conseillait à Lautrec de laisser aller les Suisses, et de jeter dans les places le reste des troupes; qu'au reste il n'y avait rien à craindre des ennemis, et que la division se mettrait bientôt dans une armée toute composée de mercenaires, à qui il n'y avait point d'argent à donner.

Malgré tous ces avis, Lautrec qui était d'un naturel impétueux, et d'ailleurs animé contre les Suisses, dit brusquement qu'il fallait combattre, parce que si ces téméraires gagnaient la victoire, les affaires du roi en iraient mieux, et s'ils étaient battus, ils seraient punis de leur défection et de leur témérité. Il partagea l'armée en trois, le maréchal de Foix en avait une partie, où étaient les Italiens soudoyés par le roi. François-Marie de La Rovère, duc d'Urbain, qui avait recouvré depuis peu son duché, commandait les Vénitiens ; Lautrec s'était réservé le reste de l'armée, où étaient presque tous les Suisses.

L'attaque commença par eux, et comme ils furent dans un vallon à la portée du mousquet, Anne de Montmorency qui les conduisait, les pria d'attendre qu'une autre aile de notre armée et notre artillerie pussent agir en même temps. Ils s'obstinèrent à donner, sans vouloir différer

 

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un moment, et quoiqu'ils eussent perdu mille hommes, avant seulement que de pouvoir approcher du fossé, ils se jetèrent à corps perdu dans l'eau, qui passait leurs piques; ils en sortirent à la fin avec de grands efforts, et se mirent à grimper; mais autant qu'il en paraissait, autant y en avait-il de tués. Les ennemis riaient en les tuant, et Albert de La Pierre, furieux de voir tant de braves gens à la boucherie, était encore plus outré de ce qu'on les tuait en se moquant.

Cependant le maréchal de Foix, qui devait se saisir du pont de la ferme, s'en était approché sans perte à la faveur d'un coteau; mais il trouva la garde du pont plus forte qu'il ne l'avait espéré. Il ne laissa pas de pénétrer assez avant dans le camp, là il fut abandonné des Italiens, et enveloppé par les ennemis, malgré lesquels il se dégagea et se retira en bon ordre. Au milieu de ce tumulte, le duc d'Urbain était en repos avec les Vénitiens, et s'était mis à couvert. On voyait bien qu'on pouvait espérer quelque chose du côté du pont; mais les Suisses rebutés refusèrent même de demeurer en contenance de gens qui voulaient combattre.

Enfin après avoir vainement tenté la force, Lautrec voulait expérimenter si la ruse réussirait mieux. Il fit avancer des gens avec des écharpes rouges, comme s'ils venaient de Naples, envoyés par le vice-roi pour le secours de Colonne. Ils furent bientôt découverts, et il fallut abandonner l'entreprise. Les ennemis cependant n'eussent pas évité leur perte, si on avait cru le maréchal de Chabannes, qui proposa de les bloquer. Il ne fallait que huit jours pour les faire périr de famine dans leur camp; mais les Suisses, troublés de la mort d'un si grand nombre de leurs compagnons, ne voulurent rien entendre, et s'en allèrent.

Aussitôt après la retraite de nos gens, la sédition se mit dans le camp des ennemis. Les Allemands demandèrent à Colonne une montre, et le prix ordinaire de la victoire. Colonne disait qu'il n'en devait point, parce qu'il n'y avait point eu de bataille. Sur cela ils se mutinèrent; le général pensa périr dans cette sédition, et U eut une peine extrême à l'apaiser. Un peu après, il nous surprit quelques places, et s'approcha de Crémone, la plus forte et la mieux munie que l'Italie eût alors. Le maréchal de Foix s'y était jeté, et s'y défendait avec sa vigueur ordinaire, attendant le secours de quatre cents lances et de dix mille hommes de pied que l'amiral amenait.

Ce favori, enflé de sa conquête de Fontarabie, se croyait capable de tout, et se fit donner le commandement d'Italie. Il n'eut pas sitôt quitté les côtes d'Espagne, que Fontarabie fut assiégée parle prince d'Orange. Le roi d'Angleterre, irrité contre François, à qui cette place avait fait refuser la paix, consentit à payer la moitié des frais de ce siège; mais le comte du Lude le soutint avec une vigueur qui fit bientôt perdre aux Espagnols l'espérance de le forcer ; de sorte qu’ils se réduisirent à le prendre par famine.

 

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Pendant que l'amiral préparait ce qui était nécessaire pour passer en Italie, et que le maréchal de Foix se défendait à Crémone, Lautrec était sur le territoire de Bresse, où il eut le déplaisir d'apprendre qu'Arone, place importante, où il mettait son argent, avait été surprise par les ennemis. Ce qui lui restait de troupes ne subsistait plus que par les Vénitiens, qui se lassèrent enfin de les nourrir; et Lautrec, accusé en France de la perte du Milanais, s'y rendit pour se justifier. Il fut très-mal reçu du roi, qui ne daignait le regarder, loin de vouloir l'entendre; mais le lendemain le connétable dit en plein conseil qu'il l'avait entendu, et qu'il avait de grandes raisons pour se justifier, et des avis importons à donner pour le service. Sur cela on le fit venir, et d'abord le roi lui reprocha qu'il lui avait fait perdre le plus beau duché de la chrétienté. Lautrec, sans s'étonner, répondit que c'était un grand malheur, mais qu'il fallait voir par la faute de qui il était arrivé. Ensuite il raconta comment l'argent lui avait toujours manqué, et que faute d'en avoir, il n'avait pu retenir les troupes; qu'à la vérité si l'armée n'eût été composée que de François, il aurait pu leur persuader d'attendre, et qu'en effet la cavalerie avait servi dix-huit mois sans paie ; mais que les Suisses et les autres troupes n'avaient pas le même zèle pour le service, et se débandaient si on ne les payait à point nommé.

Le roi parut étonné de cette réponse, et crut lui fermer la bouche, en lui disant qu'il avait commandé qu'on lui envoyât à diverses fois de grandes sommes. Lautrec dit qu'il en avait touché quelques-unes, mais toujours trop tard, et lorsque le mal était sans remède; qu'au reste le plus souvent il n'avait reçu que des lettres, et des promesses sans effet « Mais du moins, poursuivit le roi, vous avez touché les quatre cent mille écus que je défendis si expressément de détourner. » Il entra dans une extrême colère quand il sut que cette somme n'avait pas été payée, et manda aussitôt Samblancay, trésorier de son épargne, pour lui en demander la raison. En attendant, il reprocha à Lautrec que Colonne, qui n'avait pas eu plus d'argent que lui, avait mieux fait ses affaires. Lautrec ne manqua pas de réplique; il répondit que Colonne avait tout le pays pour lui, au lieu que le peuple maltraité par les Français, par la nécessité où ils étaient, avait pour eux une haine implacable. A ce coup, le roi avait peine à se modérer, tant il était au désespoir de voir un duché si important perdu faute d'ordre. Il fut bien plus en colère, quand il apprit de Samblancay que dans le temps qu'il allait envoyer l'argent, Madame était venue en personne demander toutes ses pensions et appointements, le menaçant de le perdre s'il ne la payait sur l'heure, encore qu'il lui remontrât qu'il n'y avait dans les coffres que la partie destinée pour le Milanais, et qu'elle avait pris sur elle de faire agréer la chose au roi; mais elle n'avait eu garde de lui en parler, et le roi l'ayant mandée, elle fut bien étonnée d'entendre les reproches qu'il lui fit en plein conseil.

 

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Elle ne s'en défendit qu'en rejetant la faute sur le malheureux Samblançay; elle ne nia pas ce qui était constant, qu'elle s'était fait payer de ses appointements ; mais elle soutint que Samblançay ne l'avait point avertie que ce fût de l'argent du Milanais, et pressa le roi si violemment de le faire arrêter, qu'il en donna l'ordre sur-le-champ. En se levant il dit à Lautrec qu'il était homme d'honneur, mais négligent et trop opiniâtre. Pour Samblançay, le chancelier, dévoué à Madame, aigrit le roi contre lui; on lui fit son procès par commissaire, et le chancelier présida à ce jugement ; il fut condamné à être pendu par les artifices de Gentil, un de ses juges, et exécuté publiquement. Le roi, qui connut quelques années après son innocence, put bien rendre l'honneur à sa mémoire, et faire mourir le juge inique par les artifices duquel il avait été condamné; mais il ne put rendre la vie à l'innocent, ni effacer cette tache de son règne.

Les affaires du Milanais achevèrent bientôt de se ruiner. La division se mit dans la garnison de Crémone, faute d'argent, et les Italiens menacèrent de livrer une porte à l'ennemi. Le maréchal de Foix les en empêcha; mais ne pouvant plus se fier à eux, il fit sa composition, à condition cependant qu'il aurait trois mois pour attendre le secours d'une armée royale, après quoi il rendrait la ville, et toutes les autres places du Milanais, à la réserve des châteaux de Crémone, de Novare et de Milan. Colonne cependant assiégea Gènes, et le connétable fit résoudre qu'on enverrait au secours le jeune duc de Longueville, prince de grande espérance : il trouva les affaires en mauvais état; il y avait une brèche qui obligea les assiégés à capituler. Pendant la capitulation la place fut surprise et pillée.

On désespéra en France de sauver le Milanais, et l'amiral qui était auprès d'Ast fut rappelé. Le maréchal de Foix abandonna les places au temps convenu, et revint en France. Dans les autres endroits la guerre ne fut pas si malheureuse pour la France; le comte du Lude tenait ferme dans Fontarabie, et la garnison était résolue à périr, plutôt qu'à se rendre. Il y avait déjà dix mois qu'il se défendait, quand le roi ne voulant pas laisser mourir tant de braves gens, envoya le maréchal de Châtillon pour les dégager. Il mourut sur le chemin ; Anne de Montmorency fut fait maréchal de France en sa place, et le commandement de cette armée fut donné au maréchal de Chabannes. Il força les lignes avec peu de perte, Lude fut rappelé pour recevoir la récompense de ses services, et on laissa le gouvernement à Franger, homme de réputation, mais au fond de peu de mérite.

Cependant le roi d'Angleterre déclara la guerre ouvertement; il y fut engagé par l'empereur, qui le vit en passant pour s'en retourner en Espagne. Les Anglais vinrent à Calais sous la conduite de Suffolk, mari de la veuve de Louis XII, et investirent Hesdin, avec Bure gouverneur des Pays-Bas. Le comte de Vendôme, qui commandait notre armée sur cette frontière, ne se sentant pas assez fort pour leur résister

 

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en campagne, renforça la garnison, et jeta dans la place quelques officiers qui se défendirent quarante-deux jours. Cette défense donna le temps aux garnisons voisines de s'assembler, et d'assiéger les ennemis dans leur camp. Enfin les pluies survinrent, les maladies et la désertion des soldats obligèrent Suffolk à repasser en Angleterre.

Durant ces divisions des chrétiens, l'ennemi commun ne s'endormait pas. Soliman II, empereur des Turcs (1523), prince entreprenant et belliqueux, se rendit maître de Belgrade en Hongrie; et la défense admirable du grand-maître Pierre de Villiers de l'Isle-Adam, ne l'empocha pas d'emporter Rhodes, où étaient alors établis les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Depuis ce temps ils errèrent en divers lieux, jusqu'à ce que Charles V leur donnât Malte, chose qui ne lui fut pas moins utile que glorieuse, puisqu'elle lui servait à mettre à couvert son royaume de Sicile. Il ne leur fit ce présent que cinq ou six ans après la perte de Rhodes, et leur première retraite fut à Rome, où le pape Adrien les fit recevoir.

Ce bon pape était arrivé à Rome avec de grands desseins pour la paix, et tout ce qu'il devait à l'empereur ne l'empêcha pas de songer qu'il devait encore plus à toute la chrétienté, dont il était le père commun. Occupé de cotte pensée, il avait refusé à l'empereur de l'attendre à Barcelone, parce qu'il ne voulait point se rendre suspect au roi. Cependant le duc de Sesse et milord Dudlei, ambassadeurs de l'empereur et du roi d'Angleterre, pressaient les Vénitiens de se joindre à eux, et le roi, pour les obliger à renouveler l'alliance, leur promettait d'envoyer bientôt une grande armée en Italie.

Montmorency, et depuis l'évêque de Bayeux leur firent des propositions si avantageuses, qu'ils étaient ébranlés en faveur du roi, et les emportements des ennemis semblaient les déterminer à ce parti, car ils vinrent audacieusement déclarer en plein sénat, que si dans trois jours pour tout délai on ne leur faisait une réponse favorable, ils allaient se retirer. Le sénat, étonné d'une manière d'agir si hautaine, fut prêt à conclure avec les Français; mais une lettre de Badouare, ambassadeur de la république en France, les fit tout d'un coup changer de dessein.

Cette lettre portait que le roi, uniquement occupé à ses plaisirs, ne songeait que par manière d'acquit aux affaires d'Italie et à la guerre ; qu'au reste, quand il voudrait la soutenir, il n'était plus en état de le faire, par les dépenses excessives qui avaient épuisé ses finances; qu'il n'y avait plus moyen de remplir ses coffres, qu'en recourant aux voies extraordinaires, qui feraient crier le peuple, et exciteraient quelque révolte ; que la disposition y était déjà toute entière, et même que le connétable, irrité de la persécution que lui faisait Madame, qui voulait le dépouiller de ses biens, traitait secrètement avec l'empereur; que la cabale était grande dans la Cour et dans tout le royaume, et que la France avait à craindre une révolution universelle.

 

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Ces raisons persuadèrent au sénat qu'il n'y avait rien à espérer de François, en sorte qu'il conclut la ligue avec l'empereur et le roi d'Angleterre. Il est vrai que le connétable était étrangement persécuté de Madame, qui lui disputait les biens de la maison de Bourbon. Ce prince, quoique cadet de cette auguste maison, les avait toujours prétendus en vertu d'une ancienne substitution par laquelle dès l'origine ils devaient passer de mêle en mêle : et néanmoins, pour éviter tout procès, il avait été bien aise d'épouser Suzanne, unique héritière de Pierre, dernier duc de Bourbon, qu'Anne de France sa mère lui offrit. Le mariage avait été célébré avec grande solennité sur la fin du règne de Louis XII, qui avait signe au contrat, avec vingt-cinq ou trente princes, prélats ou seigneurs. Par ce contrat le duc était reconnu pour légitime héritier de la maison de Bourbon; et pour le surplus des biens qui pouvaient appartenir aux uns et aux autres, ils s'en faisaient une dotation mutuelle. Cette princesse mourut en couches en 1522, et ne laissa point d'enfants.

Madame, qui n'avait pu éteindre par aucun effort la passion qu'elle avait pour le connétable, sentit qu'elle revenait plus que jamais avec l'espérance de l'épouser. Comme elle était dans cet état, le chancelier, sa créature, et ennemi particulier du connétable, qui lui avait refusé quelque grâce, vint la trouver pour lui dire qu'elle avait de quoi réduire ce prince, et qu'il lui mettrait en main tous les biens de la maison de Bourbon, dont elle était, disait-il, la seule héritière depuis la mort de Suzanne. En effet, à ne regarder que la proximité du sang, Madame excluait le connétable ; mais il avait pour lui la substitution et la donation.

Le chancelier, qui trouvait des remèdes à tout, lui promit de détruire ces doux moyens, et donna assez de couleur à, l'affaire, pour obliger Madame à l'entreprendre. Elle espérait tout de son crédit, et fut ravie de se sentir en pouvoir de réduire la fierté du connétable, ou de s'en venger. Elle voulut cependant auparavant tenter les voies de douceur ; elle fit entendre au connétable les moyens qu'eUe avait de le ruiner, et celui qu'il avait de se rendre heureux.

Bonnivet, qu'elle employa à cette négociation, y était peu propre, parce qu'il ne souhait-il rien tant que la perte du connétable, par la disgrâce duquel il s'assurait le commandement absolu des armées ; mais quand il eût agi dans toutes les intentions de Madame, il n'eût rien gagné sur le connétable, qui, outre son aversion ancienne pour cette princesse, espérait d'épouser Renée de France, sœur de la reine, qu'elle-même lui avait offerte; ainsi il refusa Madame avec dédain, et elle se résolut à commencer le procès.

L'affaire fut plaidée solennellement au parlement ; les sollicitations de Madame et celles du chancelier, qui avait tout crédit dans cette compagnie, dont il avait été premier président, étaient les plus fortes pièces contre le connétable, et il désespéra de pouvoir maintenir son

 

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bon droit contre tant d'autorité et tant d'artifices. Madame fit pourtant appointer l'affaire, afin d'avoir le loisir de faire parler de nouveau au connétable. Les propositions furent reçues avec un pareil dédain, et le connétable demanda hautement au roi madame Renée.

Dans le refus qui lui en fut fait, il n'avait pas sujet de se plaindre du roi, parce qu'on le fit refuser par la princesse elle-même, qui dit qu'elle ne voulait point épouser un prince qu'on allait dépouiller; mais le connétable, qui sentit d'où lui venait le coup, entra dans un dépit extrême contre Madame, et dés lors résolut de traiter avec l'ennemi. On ne sait pas s'il avait sollicité le premier l'empereur, ou si l'empereur, attentif à tout ce qui pouvait servir ses affaires, l'avait fait rechercher.

Quoi qu'il en soit, il eut assez longtemps dans sa maison Adrien de Croi, comte de Reux, premier gentilhomme de la chambra de l'empereur, et sait que l'ambassadeur de Venise en eût quelque avis certain, ou qu'il s'en doutât seulement par l'état où il voyait les choses, il est certain que le premier mauvais effet que François ressentit du mécontentement de Bourbon, fut qu'il en perdit les Vénitiens; Ainsi il avait contre lui tous les potentats d'Italie, excepté le Pape, qui persistait toujours dans le dessein de faire la paix.

Le cardinal Soderini, son principal confident, et ami de la France, l'entretenait dans la pensée d'unir plutôt. les princes chrétiens contre les Turcs, que de prendre part dans leurs divisions. En lui donnant des conseils si conformes à son humeur, il s'insinua tellement dans ses bonnes grâces, qu'il éloigna le cardinal de Médicis, à qui le Pape avait d'abord donné sa confiance, comme à l'auteur de son exaltation. Par ses conseils le Pape envoya des légats à l'empereur et aux rois de France et d'Angleterre; mais les divers intérêts des princes rendirent sa médiation inutile.

François, à qui le mauvais état des affaires ne permettait pas d'espérer une paix avantageuse, ne voulait qu'une trêve; encore la voulait-il de peu de durée. Par une raison contraire, l'empereur souhaitait la paix, et non une trêve. Mais le roi d'Angleterre, poussé par les conseils ambitieux du cardinal Vplsey, archevêque d'York, son principal ministre, ne voulait ni trêve ni paix, s'étant persuadé que, dans ces divisions, il pourrait attaquer la France, ou du moins se rendre l'arbitre de la chrétienté.

Durant ces négociations, le roi attendait avec impatience l'événement d'une conjuration qui se tramait en Sicile. Le cardinal de Soderini était celui qui la ménageait ; mais le cardinal de Médicis, qui était piqué de jalousie de ce qu'il avait pris sa place, l'observa de si près, qu'il découvrit ses desseins, et donna moyen au duc de Sesse de surprendre le courrier qui allait en France avec ses paquets. On apprit en les ouvrant que la conjuration était en état d'éclater; les complices furent châtiés rigoureusement, et le Pape, irrité contre Soderini, qui

 

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l'avait trompé, le fit mettre prisonnier au château Saint-Ange, où il fit faire son procès, pour avoir voulu livrer aux François un fief du saint Siège.

Pendant que le Pape était irrité, les Espagnols trouvèrent moyen de l'animer contre la France. On lui fit regarder le roi comme le seul obstacle à l'union de la chrétienté, et il entra dans la ligue avec tous les autres. Le roi était à Chambord, maison de plaisance qu'il avait fait bâtir tout nouvellement. Il y apprit ces nouvelles, et il y prit une résolution digne de son courage, qui était d'aller en personne à la tête d'une grande armée en Italie, pour soutenir tant d'ennemis. En même temps il eut avis que Nicolas de Longueval, comte de Bossu, gouverneur de Guise, par une fausse intelligence avec le duc d'Arscot, gouverneur du Hainaut, dressait une embuscade inévitable aux Flamands. Il promettait à ce duc de lui livrer sa place ; lui et Fiennes, gouverneur de Flandre, devaient s'avancer de plusieurs côtés pour s'en saisir.

En même temps les Français avaient disposé des troupes pour envelopper les ennemis. Ils étaient prêts à se venir jeter d'eux-mêmes dans le piège que le comte leur avait tendu; mais le roi voulut être de la partie, et vint en poste sur cette frontière : une marche si précipitée ne put être sans grand éclat, et fit penser à Fiennes, ou que le gouverneur le trompait, ou que le roi avait découvert la conjuration. Ainsi l'affaire manqua ; et le roi, fâché d'en avoir été la cause, voulut couvrir sa faute en faisant ravitailler Térouanne, fort pressée par les ennemis. Fiennes s'étant mis en campagne, pour l'en empêcher, se présenta devant nos gens ; une terreur panique se répandit dans son armée, qui prit la fuite fort vite, et Disne, capitaine de grande valeur, répara leur désordre, et favorisa sa retraite.

Fiennes put bien empêcher l'armée de périr; mais il ne put empêcher qu'elle se débandât quelques jours après. Ainsi la Flandre demeurait ouverte, et François y aurait pu faire de grands progrès, s'il n'avait eu dans l'esprit son entreprise d'Italie. Il prit le chemin de Lyon, où il avait donné rendez-vous à toutes les troupes. Comme il était à Saint-Pierre-le-Moutiers, dans le Nivernais, deux gentilshommes normands demandèrent à lui parler, et d'abord ils se jetèrent à ses genoux : c'était Matignon et d'Argouges, domestiques du connétable, dont ils vinrent lui découvrir la conjuration. L'envoyé de l'empereur avait traité avec lui au nom de son maître.

Par ce traité, qui ne fut que verbal, le connétable s'engageait à fournir trois cents hommes d'armes, et cinq mille hommes de pied de ses terres, pour les joindre à douze mille impériaux qui devaient entrer en Bourgogne. L'empereur en même temps devait passer les Pyrénées du côté du Languedoc; le connétable promettait de s'y rendre, et de traverser avec lui tout le royaume, pour aller tous ensemble tomber sur le roi, qui serait enveloppé par ce moyen, et devait être livré entre les mains du connétable. Le roi d'Angleterre devait aussi entrer dans

 

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la Picardie ; ces trois princes avaient partage entre eux le royaume de France. On composait à Bourbon un nouveau royaume de Bourgogne, de ses provinces révoltées, du duché de Bourgogne, qu'Aimar de Prie avait promis de lui livrer, et de la Franche-Comté, que l'empereur lui donnait avec Eléonore sa sœur, veuve du roi de Portugal ; et le traité étant conclu, le connétable, qui n'attendait que le temps de commencer l'exécution, vint à Moulins, ville de sa dépendance, où il faisait le malade, afin d'avoir un prétexte de s'absenter de la Cour.

Matignon et d'Argouges, qui le devaient suivre, étaient allés en leur pays pour donner ordre à leurs affaires. Là, pressés par le remords de leur conscience, ils se confessèrent à un curé d'être entrés dans une conspiration contre l'Etat. Ce confesseur leur déclara qu'il ne suffisait pas de s'en retirer, mais qu'ils étaient obligés de la découvrir, et que pour leur en donner l'exemple, il allait tout déclarer au sénéchal de Normandie.

Ces gentilshommes, voyant tout le dessein découvert, par où ils devaient le moins craindre qu'il le fût, appréhendèrent d'être prévenus; ils allèrent au roi, lui découvrirent les complices, et obtinrent leur grâce. Il est malaisé d'expliquer l'embarras où il se trouva; il n'y avait point d'apparence de passer en Italie, tant qu'il sentirait dans le royaume un si grand commencement de révolte; de faire arrêter le connétable au milieu de ses provinces où il était adoré, c'était une chose impossible. Il résolut de l'aller trouver à Moulins, qui n'était pas éloigné de son chemin ; il lui parla noblement, lui témoignant qu'il savait que l'empereur l'avait sollicité ; mais qu'il ne voulait pas croire qu'il eût rien fait contre son devoir.

Le connétable, qui le vit instruit, lui avoua ce qu'il ne put lui nier, et ajouta que s'il avait écouté des propositions, il y avait été poussé par les indignes traitements que Madame lui avait faits. A cela le roi lui répondit qu'il ne pouvait empêcher sa mère de faire un procès ; mais quel qu'en fût l'événement, il lui promettait de lui rendre tousses biens ; cette promesse ne contenta guère Bourbon, qui ne voulait pas être à la merci de Madame, ni réduit à n'attendre de soulagement que lorsqu'elle serait morte. Il répondit pourtant au roi avec une profonde dissimulation ; et ce prince sincère, qui croyait aisément tout gagner par sa franchise, ne prit d'autres précautions, que d'ordonner au connétable de le suivre, ce qu'il lui promit aussitôt qu'il le pourrait. Il continua son voyage jusqu'à Lyon, d'où il ne tarda pas de faire partir l'amiral, avec ordre de l'attendre à Verceil avec l'armée.

A l'égard du connétable, quelque temps après le départ du roi, il prit le chemin de Lyon en litière, feignant toujours d'être malade. Sitôt qu'il fut arrivé à la Palice, il apprit que le parlement avait mis en séquestre les terres de la maison de Bourbon; il fit semblant alors que son mal s'était augmenté, et qu'il ne pouvait plus même supporter le mouvement de la litière; il dépêcha un gentilhomme pour faire ses

 

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excuses au roi, et s'en retourna à sa maison de Chantelle : il n'y fut pas plutôt, qu'il envoya Huraut, évêque d'Autun, pour assurer le roi que s'il lui plaisait de casser l'arrêt du parlement, et de lui donner son abolition, il le servirait plus fidèlement que jamais; mais Madame, qui avait de bons espions auprès du connétable, le prévint, et obtint du roi qu'il ferait arrêter l'évêque, et assiéger le connétable dans Chantelle.

Le maréchal de Chabannes, et le bâtard de Savoie, grand-maître de France, eurent ordre d'exécuter cette entreprise. Ils marchèrent en diligence avec quatre mille hommes qu'on leur donna, et ayant trouvé en chemin l'évêque d'Autun, ils l'arrêtèrent ; mais un de ses domestiques s'étant échappé, alla dire au connétable ce qui s'était passé : il ne douta plus qu'il ne fût perdu ; et quoique le château de Chantelle fût assez fort, il n'osa y attendre le siège. Il en partit en même temps, et alla par des chemins détournés à un autre château qu'il avait en Auvergne, dont un gentilhomme nommé Arnauld était gouverneur.

On peut croire qu'il n'y passa pas une nuit tranquille. Environ sur le minuit, quand il crut que tous ses gens étaient profondément endormis, il se leva et éveilla Pomperan et Estanzane, deux gentilshommes à lui, dont l'un lui devait la vie, et l'autre était un vieux gentilhomme en qui il s'assurait absolument, quoiqu'il improuvât tous ses desseins, dont il lui avait fait confidence. Il leur dit en deux mots qu'il allait en Franche-Comté; qu'il avait besoin de l'un d'eux pour l'accompagner, et de l'autre pour couvrir sa fuite. On dit qu'il les fit tirer au sort, et qu'il échut à Pomperan de suivre son maître. Quelque temps après son départ, et deux heures avant le jour, Estanzane donna les ordres pour partir à tout l'équipage, comme s'il eût été le connétable, et marcha quelque temps en cet état. Comme il vit que le jour approchait, et qu'il allait être découvert, il se tourna vers les domestiques, et leur dit qu'ils avaient perdu leur maître, qu'il avait été obligé de se retirer en diligence, et que le plus grand regret qu'il avait eu était d'être parti sans leur avoir dit adieu; il leur déclara qu'ils pouvaient prendre parti : pour lui il tourna vers la Franche-Comté, où son maître s'était rendu par de longs détours, en passant pour domestique de Pomperan, et après avoir fait ferrer ses chevaux à l'envers.

Il alla ensuite à Mantoue chez le duc de Gonzague son parent, et de là à Gênes, et enfin à Plaisance, pour conférer avec Lannoi, vice-roi de Naples, sur les affaires de la guerre : son intention était de passer en Espagne pour épouser la princesse que l'empereur lui avait promise : mais l'empereur avait bien d'autres pensées ; et il n'avait garde de rien faire pour le connétable, avant d'avoir tiré de grands avantages de sa rébellion. Il envoya le comte de Reux pour lui dire qu'il pouvait aller en Espagne, ou demeurer en Italie pour y commander l'armée ; mais ses ordres secrets portaient qu'à quelque prix que ce fût, il fallait l'obliger à prendre ce dernier parti.

 

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Pour l'y engager, le comte lui représenta qu'il lui serait honteux de paraître à la cour de l'empereur comme un prince dépouillé, et qu'il valait mieux pour sa gloire qu'il eût auparavant exécuté quelque chose de considérable. Il l'exhorta donc à prendre le commandement de l'armée d'Italie, et d'envoyer cependant quelqu'un des siens pour soulever ses provinces, avec les troupes que l'empereur avait dans la Franche-Comté. Il n'en fallut pas davantage pour persuader un homme qui se piquait autant d'honneur que le connétable ; il demeura en Italie, et envoya La Motte des Noyers pour lever des troupes en Allemagne, avec lesquelles il devait tenter d'exciter quelque mouvement dans le duché de Bourgogne ou dans les provinces voisines; mais ses intelligences lui manquèrent.

Aimar de Prie et les autres conjurés furent arrêtés, et rien ne remua dans le royaume. On fit le procès au connétable; il fut condamné à mort, sa charge lui fut ôtée, et ses biens furent confisqués, et le roi donna la vie à ses complices. On lui envoya redemander l'épée de connétable et le collier de l'Ordre, il dit qu'il avait laissé le collier à Chan telle, sous son chevet, et que pour l'épée, on la lui avait ôtée dès le temps qu'on avait donne le commandement au duc d'Alençon, quoiqu'il n'y eût eu aucune révolte.

Comme il y avait plusieurs personnes soupçonnées, le conseil du roi lui persuada de ne point quitter le royaume en cet état, et il envoya ordre à Bonnivet de marcher droit à Milan. L'armée était composée de quatorze à quinze mille hommes d'armes, de six mille Allemands, et de douze à quinze mille Suisses ; ce fut dans les premiers jours de septembre qu'il commença de passer les monts. Au bruit de cette marche, Colonne, tout affaibli qu'il était par son grand âge et par ses maladies, s'avança au bord du Tessin pour en disputer le passage aux François ; car Novare, Vigevano, et tout ce qui est en deçà de cette rivière, s'était déjà rendu sans résistance ; mais comme les eaux étaient basses, la vigilance de Colonne fut trompée, et pendant qu'il gardait soigneusement un endroit, l'amiral passa par l'autre.

Colonne craignit alors pour Pavie, où il envoya Antoine de Lève avec des troupes, et pour lui il se retira à Milan avec le reste de l'armée. Il trouva la ville eu désordre ; une longue négligence en avait laissé ruiner toutes les défenses ; la bourgeoisie consternée refusa de prendre les armes; on n'attendait que le moment que Bonnivet arriverait avec l'armée, et on était prêt à lui ouvrir les portes ; mais il fut amusé par des négociations inutiles, où il se laissa engager par Galéas Visconti, de l'ancienne famille des ducs de Milan, qui lui faisait espérer contre toute apparence de faire chasser les impériaux par les Milanais.

Pendant qu'il écoutait ces propositions, quatre ou cinq jours que l'armée passa sans rien faire aux bords du Tessin, donnèrent le temps à Colonne de rassurer les habitants, et de réparer les fortifications; il fit

 

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plus, car il appela toutes les garnisons, hors celles de Crémone et de Pavie. Il ne se soucia point d'abandonner les autres places ; il ne s'agissait que d'éviter la première impétuosité de l'armée française. Colonne, qui espérait tout du temps et de l'hiver qui était proche, se contenta de munir Milan : ainsi quand l'amiral approcha, il trouva la place en bon état, et dix mille hommes de guerre dedans, sans les habitants : ainsi il fut réduit à faire seulement un blocus, et il écrivit au roi qu'il n'avait pas voulu tenter la force, de peur d'exposer au pillage une ville qu'il fallait garder pour en tirer des contributions. Sa faveur fit passer ses raisons pour bonnes, et le roi espérait de grands succès de sa conduite.

Environ dans ce temps le Pape mourut. A l'occasion de cette mort, le duc de Ferrare, assisté des Français, tenta vainement de prendre Modène et Plaisance. Bayard fut plus heureux à surprendre Lodi. après quoi il secourut la citadelle de Crémone, assiégée depuis vingt-deux mois; il n'y trouva plus que huit soldats, résolus de périr tous plutôt que de se rendre. Après avoir mis la citadelle en état, il assiégea à son tour la ville, que les pluies l'empêchèrent de prendre, et l'amiral le rappela pour presser de plus en plus le blocus de Milan.

La France cependant, qui faisait de si grands efforts contre l'Italie, était elle-même pressée, et en grand péril par trois endroits. La Motte des Noyers entra en Champagne avec douze à. quinze mille hommes, et y prit quelques petites places; les Espagnols avaient trente mille hommes du côté de Guyenne, et les Anglais, joints aux Impériaux, attaquèrent la Picardie en pareil nombre : ce qui restait de troupes à la France était bien éloigné de ce qu'il en fallait pour résister à tant d'ennemis ; mais la valeur et l'habileté de ses chefs la sauvèrent. Claude de Guise, gouverneur de Champagne, tomba à l'improviste sur La Motte des Noyers avec sa cavalerie, l'enveloppa et le défit. Les Espagnols, qui croyaient enlever tout d'un coup la Guyenne, entièrement dégarnie, furent arrêtés par Lautrec, gouverneur de cette province.

Ce seigneur, maltraité à la Cour depuis la perte du Milanais, s'était retiré dans son gouvernement, et quoiqu'il fût abandonné, il ne laissa pas de se soutenir. D'abord il ravitailla Fontarabie, et s'enferma dans Bayonne. Lorsqu'on alla l'assiéger, il y soutint un assaut terrible contre toute l'armée espagnole, quoiqu'il n'eût pour tous soldais que les bourgeois animés de sa présence. Les Espagnols, contraints de lever honteusement le siège, s'en vengèrent sur Fontarabie, que Frauget leur rendit d'abord, et fut quelque temps après, pour sa lâcheté, dégradé sur un échafaud, par le jugement du conseil de guerre.

La Picardie fut en plus grand péril que la Guyenne, et La Trimouille eut besoin contre eux de toute sa prudence. Il avait très-peu de monde; mais il sut si bien s'en servir, que les ennemis le trouvaient toujours dans toutes les places d'où ils s'approchaient, en quoi il fut merveilleusement secondé par la vigilance incroyable et la valeur du brave

 

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Créqui de Pontderémi, qui se signala dans cette guerre. A la fin pourtant les Anglais passèrent la Somme à Braye; ils prirent et brûlèrent Roye; Montdidier se rendit à eux trop facilement, et ils vinrent jusqu'à la rivière d'Oise, à onze lieues de Paris. En même temps le roi y envoya de Lyon le duc de Vendôme, avec quatre cents hommes d'armes. La saison était avancée; et les Anglais, qui croyaient engloutir la France, furent contraints de se retirer sans pouvoir rien conserver de ce qu'ils avaient pris dans la Picardie. Il était environ la Toussaint; et la même incommodité de la saison. qui avait chassé les Anglais, fatiguait beaucoup notre armée d'Italie.

Colonne avait soutenu Milan par sa vigilance et son industrie ; car pendant que l'amiral rompait les moulins, et détournait le canal, il fit faire dans la ville un si grand nombre de moulins à bras, qu'avec l'abondance de grain que le pays fournissait, le pain ne manqua pas; mais l'argent manquait tout à fait. Colonne, pour en avoir, s'était accordé avec le duc de Ferrare, à qui il avait promis de livrer Modène, en donnant cinquante mille ducats. Le collège des cardinaux, qui gouvernait pendant la vacance, empêcha que cette place ne fût enlevée au saint Siège : quoique cette affaire n'eût pas réussi, les assiégés ne laissaient pas de se défendre, et l'armée française dépérissait tous les jours.

Il arriva encore un autre désordre dans les affaires. L'amiral craignit que les ennemis ne se saisissent du pont qu'il avait fait à Vigevano, par où les vivres venaient dans son camp, et il rappela Bavard pour le garder. Il ne considéra pas que par ce moyen il abandonnait Lodi, et laissait les passages tellement ouverts, que Milan recevait avec abondance tous les secours nécessaires. Alors il fallut quitter Milan, qu'il n'y avait plus moyen d'affamer, et Bonnivet décampa pour s'aller loger à Biagrassa. Ce poste, éloigné de Milan de quatorze milles, lui parut avantageux, parce qu'il pouvait de là fatiguer la ville, et qu'il n'avait rien à y craindre étant le maître de tout le pays d'alentour.

Pendant qu'il se retirait, Bourbon et les autres chefs pressaient Colonne de le poursuivre : il ne le voulut jamais, disant qu'il n'y avait qu'à laisser faire l'amiral, qui achèverait bien tout seul de ruiner son armée. Un peu après la retraite, le conclave, qui semblait attendre le succès du siège pour élire un Pape, se détermina au cardinal de Médicis, qui prit le nom de Clément VII.

Colonne, après avoir délivré Milan, empêcha encore Bonnivet de prendre Arone, placo d'importance ; mais il ne jouit pas longtemps de la gloire qu'il s'était acquise; il mourut vers la fin de l'année, et ne quitta le commandement à Lannoy, que la veille de sa mort. Pescaire fut envoyé pour être son lieutenant, et Bourbon, à qui l'on avait promis le commandement entier de l'armée, fut trop heureux de le partager avec Lannoy.

 

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Cependant l'amiral ne laissait pas d'incommoder le Milanais dans les postes qu'il avait occupés ; mais le Pape, plus agissant que son prédécesseur, fit joindre ses troupes avec le vice-roi, en même temps que l'armée vénitienne et six mille lansquenets arrivèrent aussi à Milan. Quand ces troupes furent arrivées, les impériaux résolurent de se mettre en campagne, et se postèrent à cinq milles de Biagrassa.

L'amiral s'était retranché dans un logement très-fort, où il avait pour deux mois de vivres, et espérait que les ennemis se ruineraient par eux-mêmes. Ils prétendaient le faire périr de la même sorte (1524) ; et Bourbon, très-bien averti de ce qui se passait dans le camp de Bonnivet, les empocha de combattre; car il savait que l'argent commençait à lui manquer.

Les choses étant ainsi comme en suspens, le château de Crémone fut pris par famine, la maladie se mit dans notre camp, et l'amiral fut contraint de quitter son poste de Biagrassa, en y laissant garnison, pour défendre Vigevano que les ennemis allaient occuper. Il leur présenta la bataille qu'ils refusèrent ; Verceil, d'où lui venait la plus grande partie de ses vivres, se révolta, et il commençait à craindre; mais un renfort qui lui vint releva ses espérances. Outre cela, Rence de Ceri, baron romain, capitaine célèbre en ce temps, avait cinq mille Grisons dans le Bergamasque, qui devaient se joindre à la garnison de Lodi, ou faire une diversion dans les terres de Venise. Mais Jean de Médicis, à la tête des Vénitiens, prit des postes si avantageux, qu'il empêcha la jonction des Grisons, et les dissipa.

A son retour il fut averti par Bourbon que Biagrassa était en mauvais état, et le força en quatre jours. Il restait encore une ressource à l'amiral, c'était le secours des Suisses, qui descendaient en grand nombre de leurs montagnes pour le joindre. Il les attendit quelque temps à Novare, et voyant que son armée dépérissait tous les jours, il résolut d'aller au-devant d'eux. Ils étaient au nombre de huit mille sur les bords de la Sésia, qui les séparait d'avec notre armée, et ils hésitaient à la passer, sur ce que le roi ne leur avait pas envoyé quatre cents hommes d'armes qu'il leur avait promis.

Bonnivet espérait qu'en les joignant, il les déterminerait à agir; mais il n'eut pas plutôt décampé, que les impériaux marchèrent après. Lannoy n'en était pas d'avis, et voulait qu'on fit un large passage à l'ennemi qui se retirait; mais Bourbon, qui avait avis du désordre de notre camp, représentait qu'il était aisé de défaire des fugitifs, qui encore avaient à passer une rivière en leur présence, et il attira Pescaire à son sentiment. Ils résolurent de donner, et ils trouvèrent l'amiral en défense à la queue du dernier bataillon.

En cet étal il lui arriva un nouveau malheur ; les Suisses qui étaient dans son armée se débandèrent pour joindre leurs compagnons à l'autre bord. L'amiral, sans perdre de temps, couvrit le désordre avec sa gendarmerie, et soutint vigoureusement le choc des ennemis; mais

 

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étant blessé au bras droit d'une arquebusade, sa blessure et la crainte de tomber entre les mains de Bourbon son capital ennemi, lui fit remettre le commandement à Bayard ; car le maréchal de Montmorency, qui avait toujours commandé l'avant-garde en cette campagne, était demeuré malade. Bayard, qui avait souvent averti l'amiral de ses fautes, avec une liberté digne d'un aussi brave homme qu'il était, lui dit en acceptant le commandement, qu'il était bien tard pour le lui donner, et que les affaires étaient sans remède; mais qu'il servirait sa patrie jusqu'au bout, aux dépens de sa propre vie.

Il donna ensuite ses ordres, et se joignit avec Vandenesse, frère du maréchal de Chabannes. Par leur valeur et par leur conduite, l'armée passa toute entière. Il leur en coûta la vie à tous deux : Vandenesse tomba tout roide d'un coup au travers du corps; et Bayard, mortellement blessé, après avoir vu la retraite heureusement achevée, se fit mettre au pied d'un arbre, le visage tourné vers les ennemis, attendant la mort avec un courage intrépide, et recommandant toujours son âme à Dieu.

Le hasard ayant conduit Bourbon au lieu où il était, il lui cria : « Pauvre chevalier Bayard, je le plains d'être en un état si pitoyable. — C'est vous, Monseigneur, repartit Bayard, c'est vous qui êtes à plaindre, vous qui servez contre votre roi et contre votre serment; pour moi, je meurs en brave homme au service de ma patrie. » Il mourut un moment après, également regretté des ennemis et des Français. Pescaire étant aussi accouru au lieu où il était, lui avait fait dresser une tente, et après sa mort il fit embaumer son corps, et le renvoya avec un grand convoi.

Cependant l'armée continuait sa retraite en bon ordre ; quand elle fut en sûreté, les Suisses se retirèrent dans leur pays, et Bonnivet marcha vers la France. Il trouva en son chemin les quatre cents lances qui devaient joindre les Suisses fort complètes et en bon état, mais venues trop tard, comme il arrivait souvent en ces temps. Après cette retraite, il fut aisé aux impériaux de reprendre toutes les places du Milanais.

Cette nouvelle fut reçue en France avec une extrême douleur ; Bonnivet n'en parut pas avec moins de confiance à la Cour. Il comparait sa retraite aux plus belles actions qui eussent jamais été faites à la guerre : toute la Cour se moquait de lui; mais il eut assez d'adresse pour ne point déplaire au roi. Il appréhendait pourtant qu'après avoir ruiné une armée si considérable, on n'osât plus lui confier le commandement, et c'est ce qui l'obligea à persuader au roi d'aller en personne en Italie. Il ne fut point difficile de faire entrer dans ce sentiment un prince qui n'avait rien tant à cœur que la gloire, et qui n'avait été arrêté dans son royaume en ces dernières occasions que par des nécessités évidentes. Mais les ennemis étaient plus prêts que lui, et Bourbon les sollicitait sans cesse de ne point laisser inutile une armée  

 

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victorieuse; la saison leur était favorable, et la terre commençait à se couvrir de verdure.

Les Anglais étaient prêts à concourir avec eux à la ruine de la France, qu'ils croyaient à demi vaincue ; Charles et Henri avaient fait un traité par lequel ils partageaient entre eux le royaume; Bourbon y avait sa part, et on avait déjà, réglé que, malgré le nom de roi qu'on lui donnait, il serait tenu de faire hommage au roi d'Angleterre. Ce roi devait donner à l'empereur des sommes immenses, ou entrer dans la Picardie avec une puissante armée, auquel cas l'empereur lui devait donner des troupes, et fournir l'artillerie ; mais dans de si grands objets, la principale espérance des deux princes était sur Bourbon.

Il était irrité qu'on eût fait sans sa participation un traité où l'on décidait de sa fortune. Sa colère ne l'empêcha, pas d'accepter le commandement, et si l'on eût suivi ses conseils, la France eût eu peine à éviter sa ruine. Il était d'avis de passer le Dauphiné, sans assiéger aucune place, et de descendre du côté de Lyon où il avait ses intelligences. De là il voulait entrer dans les provinces de son domaine, et répandre partout dans sa marche des manifestes contre le gouvernement, en promettant au peuple de le soulager de tous impôts, artifice ordinaire dont on flatte la multitude ignorante.

Comme il n'y avait presque de troupes en France que les restes de l'armée d'Italie, tout était à craindre d'un tel conseil; mais le bonheur de la France voulut qu'il ne fût pas suivi : Moncade, que sa souplesse et son habileté à la guerre avait mis en grand crédit auprès de l'empereur, lui représenta de quelle conséquence il était d'exposer toutes les forces de l'empire au milieu de la France, sous la conduite d'un rebelle, qui serait ravi de faire sa paix avec son roi, aux dépens de l'empereur dont il était mécontent, ll trouvait plus à propos d'assiéger une ville maritime, où la nécessité d'avoir une armée navale partagerait le pouvoir de Bourbon, et il espérait d'avoir ce commandement. Il ne fut point trompé dans sa pensée.

L'empereur entra dans son sentiment, et ordonnant à Bourbon d'assiéger Marseille, il donna le commandement de l'armée navale à Moncade. Pour diminuer encore davantage le pouvoir de Bourbon, il voulut que les Espagnols fussent commandés par Pescaire, sous prétexte que cette nation ne se résoudront jamais à obéir à un étranger. Quoique l'empereur envoyât ses ordres à Bourbon avec beaucoup d'excuses et de compliments, il ne se payait point de tant de belles paroles, et il ne pouvait digérer qu'on lui donnât tant de compagnons, ou plutôt tant de surveillons; mais il n'était plus temps de reculer, il n'y avait qu'à obéir. Il partit donc avec cinq cents hommes d'armes, huit cents chevau-légers, et douze mille hommes de pied.

Comme il ne trouva point d'armée qui s'opposât à la sienne, il entra sans peine en Provence, et prit d'abord Toulon et Aix. Là il apprit la mort de la reine. Cette princesse était adorée de tous les Français,

 

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et par son propre mérite, et par la mémoire toujours chérie du roi Louis XII son père.

Bourbon, qui voyait les peuples assez mécontents, et encore aigris par ces bruits, se servit de cette occasion pour renouveler ses premiers desseins. Il représenta aux Espagnols la France sans armée, les peuples émus et prêts à se révolter, et enfin tout le royaume perdu, si on avait le courage de l'attaquer. On le laissa raisonner, et Pescaire mit le siège devant Marseille, selon les ordres de l'empereur. Rence de Ceri était dedans avec deux cents lances, et trois mille vieux soldats, avec lesquels il se défendait vigoureusement.

Le roi cependant ne s'endormait pas ; après avoir rétabli son armée, il envoya avec l'avant-garde le maréchal de Chabannes, résolu de le suivre de près. Les Espagnols n'avaient osé entrer dans Avignon, et quoique le Pape fût peu soigneux de leur donner le secours qu'il leur devait par les traités, ils respectèrent son domaine; mais le maréchal qui n'avait pas la même raison de l'épargner, entra dans la place, sous prétexte de la garder au Pape.

Quand les impériaux apprirent qu’il était si proche, le trouble se mit dans leur camp; d'ailleurs l'argent y manquait; les Etats de Castille et des royaumes voisins, loin d'octroyer à l'empereur celui qu'il leur avait demandé, ne lui avaient présenté que des requêtes pour leur décharge, de sorte qu'il n'avait pu entrer en Guyenne, comme il l'avait projeté. Le roi d'Angleterre n'était point entré en Picardie : ces deux princes faisaient de grandes plaintes l'un de l'autre, et se reprochaient mutuellement de grands manquements de parole; ils avaient raison tous deux; mais le roi d'Angleterre paraissait le plus dégoûté. Le cardinal d'York, principal ministre, commençait à s'incliner vers la France, et tournait de ce côté l'esprit de son maître.

Dans cette bonne disposition, il reçut les envoyés de François, qui, n'ayant affaire qu'en Provence, vint avec toutes ses forces. A son approche le maréchal s'avança à Salon de Craux, qui n'était qu'à huit lieues de Marseille. La terreur redoubla dans le camp des ennemis, et ils furent contraints de lever le siège en grande hâte, après avoir perdu beaucoup de monde, et tout leur butin. Le roi ne se contenta pas de les avoir chassés de son royaume, il crut qu'en marchant droit à Milan, il réduirait aisément tout le pays. L'importance était d'y arriver le premier; et ce prince, pour prévenir la diligence des ennemis, partit sans vouloir écouter personne que l'amiral qui le pressait. Il évita la rencontre de sa mère, qui, voyant l'hiver approcher, car c'était la mi-octobre, venait exprès de Lyon pour rompre son voyage; et il lui manda d'aller à Paris faire vérifier les lettres de régence qu'il lui laissait.

Durant les premiers jours les deux armées firent presque une égale diligence. Mais Pescaire, qui connut de quelle conséquence il lui était de joindre promptement Lannoy, que les soldats qu’il avait dans le Milanais avaient presque abandonné faute d'argent, tout d'un coup fit

 

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une marche de trente milles pour se jeter dans Pavie, où Lannoy le rencontra. Là ils délibérèrent de ce qu'ils avaient à faire, et le vice-roi ayant laissé un grand renfort à Pavie, sous le commandement d'Antoine de Lève, résolut d'aller à Milan avec le reste de l'armée; mais Moron, qu'il y avait envoyé quelques jours auparavant pour lui mander des nouvelles, l'empêcha d'entrer dans une ville que la peste avait désolée; et loin d'y appeler du secours, il porta le duc Sforce à l'abandonner. Le roi ne tarda pas à s'en approcher ; mais il n'y voulut jamais entrer, ll se contenta d'y envoyer La Trimouille, et d'y mettre une garnison capable de faire le siège du château.

Cela fait, il assembla le conseil de guerre; la fin du mois d'octobre approchait, et il lui était d'une extrême importance de bien employer le temps. Jean Stuart, duc d'Albanie, les maréchaux de Chabannes et de Foix, avec tous les vieux officiers étaient d'avis que, sans s'arrêter à un siège, pas même à celui du château de Milan, on fit marcher La Trimouille avec toutes les troupes pour accabler les impériaux pendant qu'ils étaient en désordre ; mais Bonnivet l'emporta sur tant de grands hommes, et contre la pluralité des avis, il fit entreprendre le siège de Pavie.

Alors les impériaux commencèrent à se rassurer. Ils étaient dispersés en divers endroits en grande crainte, et presque sans vivres; le Pape et les Florentins les amusaient de belles paroles : les Vénitiens n'en faisaient guère plus. Dans un si triste état, ce fut pour eux un coup de salut que de leur donner le temps de respirer. Le roi, qui croyait emporter facilement Pavie, la fit battre avec tant de vivacité, qu'il y eut brèche au bout de deux jours. Comme on allait à l'assaut, on découvrit du haut des ruines un nouveau fossé que Lève avait fait creuser, garni d'arquebusiers, et hors d'état d'être forcé. Il fallut se retirer, et le maréchal de Foix fit une seconde tentative aussi inutile que la première : ainsi on résolut d'attaquer la ville d'une autre façon.

Un côté de murailles était défendu par un bras du Tessin, et parce qu'il n'était pas guéable, on n'avait pas cru nécessaire de fortifier la ville de ce côté-là. On entreprit de le détourner, et on commença pour cela de grands travaux. Cependant le duc de Bourbon qui vit que le siège tirait en longueur, crut qu'il aurait le loisir de faire des levées en Allemagne pour venir attaquer le roi avec plus de forces; il n'avait point d'argent, et l'empereur n'était point en état d'en fournir; mais le duc de Savoie engagea jusqu'à ses pierreries pour lui en faire trouver. On ne sait pas par quel intérêt ce duc se laissa gagner contre sa sœur mère du roi, et, contre ce prince son neveu, qu'il avait jusqu'alors tendrement aimé; on sait seulement que depuis qu'il eut épousé l'infante de Portugal, parente de l'empereur, il changea bientôt pour la France. Avec l'argent que Bourbon eut par son moyen, il se fit bientôt considérer en Allemagne, où il gagna aisément Fronsberg, luthérien emporté, qui ne demandait qu'à passer en Italie pour avoir occasion

 

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de faire la guerre au Pape. Par le moyen de cet homme, qui avait beaucoup de crédit, il levait des troupes en grande hâte, craignant toujours que les Espagnols, qui manquaient d'argent, n'abandonnassent Pavie, ou que le roi ne fût contraint de se retirer avant son retour ; mais les affaires du siège allaient lentement, et le roi ne s'opiniâtrait pas moins à le continuer.

On s'était tourmenté en vain durant trois semaines à détourner la rivière, qui, enflée des pluies et des neiges, emporta tout à coup l'ouvrage de trente mille pionniers. Cette lenteur du siège donna lieu à. de grandes négociations; le Pape fit sonder les sentiments de Lannoy sur la trêve, et comme il ne l'en trouva pas éloigné, il le fit consentir lui et ses collègues qu'elle se ferait pour cinq ans, en laissant au roi les places de deçà l'Adde, excepté Lodi. Il n'y avait rien de plus avantageux pour la France que cette trêve, qui dégageait le roi honnêtement d'un siège aussi hasardeux que celui de Pavie, et lui laissait la partie du Milanais la plus grande, la plus fertile, et la plus voisine de France; mais Bonnivet s'y opposa. Il ne cessait de représenter au roi, qui n'était que trop aisé à piquer d'honneur, quelle gloire ce lui serait de réduire une ville aussi importante. Ainsi, sans songer aux incommodités de la saison et au dépérissement des troupes, on ne pensa qu'aux moyens de continuer le siège. Tout ce que put faire le Pape, fut de s'accorder avec le roi, qu'il croyait le plus fort, en faisant ligue offensive et défensive avec lui, à condition qu'il protégerait le saint Siège, l'état de Florence, et la maison de Médicis. Le traité était fait pour la vie des deux contractants, et devait être tenu secret, jusqu'à ce qu'il plût au Pape de le découvrir : le roi se tenant fort par cet accommodement, conçut de nouveaux desseins.

Quoiqu'il eût besoin de toutes ses troupes devant Pavie, il envoya le duc d'Albanie vers le royaume de Naples, avec six cents hommes d'armes et dix mille hommes de pied. Il prétendait par là, ou prendre ce royaume au dépourvu, ou obliger Lannoy à lui abandonner le Milanais. En effet, il fut tenté de quitter tout pour aller au secours du royaume de Naples, qu'il appréhendait de voir périr durant qu'il en était vice-roi ; car le Pape, après avoir fait ce qu'il pouvait pour détourner le roi de cette entreprise, avait été obligé de donner passage à nos troupes, en s'excusant envers Lannoy le mieux qu'il put ; ce qui n'empêcha pas que Pescaire ne fit résoudre dans le conseil qu'on s'attacherait à la défense du Milanais, comme à l'affaire capitale, eu envoyant ordre aux gouverneurs dans le royaume de Naples de tenir le plus qu'ils pourraient.

Le même Pescaire fut cause qu'on refusa une trêve que le roi n'eût pu refuser. Elle lui laissait les places qu'il avait prises, et séquestrait celles que tenaient l'empereur et le duc Sforce, jusqu'à ce que par une paix on eût assuré le duché à un second ou troisième fils de François. Pescaire empêcha cet accord trop désavantageux aux affaires de son

 

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maître, et le Pape, à l'occasion de ce refus, déclara le traité qu'il avait fait avec le roi.

Ce traité nous apporta de grands avantages. Les poudres nous ayant manqué, le duc de Ferrare en fournit avec toutes les munitions nécessaires, et le convoi passa dans les terres du Pape, malgré les plaintes des impériaux. Il arriva encore au roi une chose heureuse ; Moncade, qui avait pris Savone, et qui, s'étant rendu maître de la rivière de Gènes, empêchait les secours de France tout préparés à Marseille, fut pris lui-même par André Doria, et sa flotte dissipée, après quoi Rence de Céri joignit le duc d'Albanie au delà de l'Apennin.

Cependant les impériaux n'étaient pas sans espérance (1525); malgré les rigueurs de l'hiver, le duc de Bourbon s'approchait avec cinq cents chevaux et six mille hommes de pied, en attendant de plus grandes troupes. Lannoy s'avança à Lodi, et y assembla son armée, composée de dix-neuf à vingt mille hommes, entre autres de seize mille d'infanterie espagnole et allemande, des meilleures troupes du monde. Pour se donner le loisir d'attendre le duc de Bourbon, ils firent par adresse entrer dans la place quelques tonneaux pleins d'argent, et apaisèrent les lansquenets, qui commençaient à se mutiner.

Enfin Bourbon arriva avec ses Allemands, et aussitôt après les généraux résolurent d'attaquer les lignes. Ils prétendaient ou donner bataille, s'ils le pouvaient avec avantage, ou en tout cas forcer un passage, et rafraîchir les assiégés. La difficulté était d'engager au combat des troupes à qui on n'avait point d'argent à donner. Il fallut user d'artifice : Pescaire persuada aux Espagnols que les Allemands voulaient commencer l'attaque, et qu'il les fallait prévenir. Bourbon excita les Allemands par un discours semblable qu'il leur fit des Espagnols, et ces deux nations allaient au combat à l'envi l'une de l'autre. Pour profiter de leurs bonnes dispositions, les généraux résolurent de camper à Lodi. Ils prirent en passant le château Saint-Ange, poste important, qu'un italien gagné leur abandonna, et vinrent se loger près de notre armée, qu’ils fatiguèrent durant quinze jours par des escarmouches continuelles.

Le roi commençait à regretter les troupes du duc d'Albanie, qui ne faisaient qu'un bruit inutile. Il payait à la vérité une grande armée; mais par la négligence des officiers principaux, et l'avarice des autres, il s'en fallait beaucoup que ses troupes fussent complètes. Il fut contraint de rappeler La Trimouille, avec une partie de la garnison qu'il avait à Milan : mais en même temps six mille Grisons le quittèrent, rappelés par leurs supérieurs, à qui la surprise d'une de leurs places donna l'alarme. Voilà à quoi on s'expose, quand on met sa confiance dans les étrangers.

Un peu après, le roi eut avis qu'un renfort de quatre mille hommes qui lui venait de Savone avait été défait dans l'Alexandrin par la cavalerie du duc de Milan. Après tant de fâcheuses nouvelles, La Trimouille,

 

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les généraux, tous les vieux officiers de l'année et le Pape, conseillaient au roi de se retirer sans donner bataille, et sans attendre les ennemis qui étaient plus forts que lui : ils l'assuraient que cette retraite ne serait pas pour longtemps, parce que l'armée ennemie, composée de tant d'étrangers, que l'argent seul amenait, le voyant manquer sans ressource, se dissiperait en quinze jours.

Le roi, qui avait dit si souvent qu'à quelque prix que ce fût il prendrait Pavie, aima mieux hasarder toute son armée et sa propre personne, que de reculer. Bonnivet l'affermissait dans cette résolution, disant que le moindre pas en arrière ferait tomber le courage aux François, accoutumés à craindre l'ennemi, si on ne les obligeait à le chercher, ou du moins à l'attendre. Cependant il était vrai que l'argent manquait aux impériaux, et qu'ils craignaient tous les jours que leurs troupes ne se débandassent. Pour empêcher ce malheur, ils crurent qu'il n'y avait point de temps à perdre, et résolurent de donner pendant la nuit du 24 février, fête de saint Mathias, jour que les impériaux estimaient heureux, parce que c'était celui de la naissance et de l'élection de l'empereur.

Ils marchèrent contre notre armée, qui était avantageusement postée, retranchée de toutes parts de bons fossé:, et défendue de forts vers les endroits les plus faibles. Le flanc droit avait pour défense, avec de grands fossés, les murs du parc de Mirabel, maison de plaisance des ducs de Milan. Le roi était logé dans le parc, et tellement retranché, qu'il ne pouvait être forcé : il avait résolu dans le conseil de ne point hasarder sa personne, et sans sortir de son fort, d'envoyer- de là tous les ordres où il serait nécessaire ; du reste on ne voulait point en venir à une bataille, mais défendre seulement l'endroit que les ennemis voudraient forcer. Ils commencèrent à donner l'alarme par plusieurs feintes attaques dans les quartiers les plus éloignés de Mirabel, ayant des chemises blanches sur leurs armes pour se reconnaître.

A deux heures devant le jour, ils rompirent soixante brasses des murs du parc, et y entrèrent d'abord avec deux mille arquebusiers, et quelques compagnies de chevau-légers. Leur armée était partagée en quatre brigades, dont la quatrième faisait le corps de réserve. Ils avaient trouvé moyen d'avertir Antoine de Lève de leur dessein, et ils lui donnèrent le signal dont on était convenu. Le choc commença par Ferrand de Castriot, marquis de Saint-Ange, qui, soutenu de trois bataillons, gagnait le château de Mirabel, dont il voulait se saisir, laissant à gauche le roi, trop fort pour être attaqué. Deux compagnies de gendarmes sortirent pour leur résister.

Comme ils avaient à passer à la tête de notre armée, et que notre artillerie les foudroyait et leur emportait des files entières, ils se couchaient sur le ventre, sans éviter le canon qui les voyait d'une éminence, et ils couraient. A la file pour gagner un vallon qui les eût mis à couvert. Cependant le marquis de Saint-Ange perdit son meilleur

 

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officier, et sa brigade parut ébranlée. Pescaire vint le soutenir; mais le maréchal de Chabannes qui commandait l'avant-garde, étant sorti en même temps, poussa un gros d'Espagnols, dont il encloua le canon; la brigade du duc de Bourbon fut encore plus maltraitée parles bandes noires, qui, l'ayant autrefois extrêmement aimé, l'avaient en horreur depuis sa révolte. Notre canon faisait de tous côtés un effet terrible; et Jacques de Genouillac, seigneur d'Assier, maître de l'artillerie, se promettait lui seul de défaire les ennemis, quand le roi, qui les croyait ébranlés, se persuada qu'en paraissant il rendrait la victoire indubitable.

Il sortit donc de son fort, et se mit malheureusement entre son artillerie et les ennemis. Ainsi le canon se tut; les impériaux rassurés tournèrent tête contre le roi; sa gendarmerie les poussa d'abord, et le marquis de Saint-Ange fut tué, quelques-uns disent de la main du roi; mais il n'a pas besoin d'éloges douteux. Alors la mêlée fut âpre, et au milieu du tumulte, Pescaire fit avancer deux mille arquebusiers choisis, qu'il avait mis en croupe derrière la cavalerie espagnole ; leur décharge fut furieuse, et les Français virent à leur tour leurs rangs éclaircis. Lève sortit de sa place, et les prit par derrière; l'aile droite deux fois poussée, fut deux fois ralliée par le maréchal de Chabannes. Au troisième choc tout plia, le cheval du maréchal fut tué sous lui, et ce vieillard intrépide, abandonné des siens, se jetait dans les bataillons suisses pour combattre à pied avec eux. Il fut pris par un Italien, à qui un Espagnol le voulait ôter, et plutôt que de le laisser entre ses mains, il le tua.

En même temps le duc d'Alençon voyant l'aile droite défaite, se retira sans combattre, avec l'aile gauche qu'il commandait, et alla mourir à Lyon de honte et de désespoir. Sa retraite perdit l'armée de France; les Suisses, qu'il devait couvrir avec sa cavalerie, voyant qu'il tournait le dos, se crurent trahis et prirent la fuite. Le roi, qui avait perdu avec eux sa principale espérance, restait avec les seuls lansquenets, au nombre de quatre ou cinq mille, avec lesquels il marcha tête baissée contre l'ennemi ; ils furent bientôt accablés par la multitude.

Là périrent auprès du roi un grand nombre de seigneurs, parmi lesquels se trouva La Trimouille, ce grand capitaine, âgé de soixante et quinze ans, heureux en tant de combats. Le marquis de Saint-Séverin, grand écuyer, porté par terre d'un coup mortel, vit Langey qui venait à lui pour le relever, et lui cria qu'il allât au roi, que pour lui il n'avait plus besoin de rien. Le maréchal de Foix, blessé pareillement à mort, voulait avant de mourir venger sur Bonnivet les malheurs de la France ; mais les ennemis l'avaient prévenu, et l'amiral était tombé mort : tout le reste des seigneurs fut pris ou tué.

Le roi ayant eu son cheval tué sous lui, et étant blessé à la jambe, combattait à pied avec une poignée de gens, et ne voulait pas se

 

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rendre, jusqu'à ce que Pomperan l'ayant reconnu, malgré la poussière et le sang dont quelques blessures l'avaient couvert, il écarta la multitude qui l'entourait, et fit approcher Lannoy, à qui le roi se rendit ; le maréchal de Montmorency, envoyé la veille pour garder un poste, était retourné au bruit du canon pour servir son maitre; il arriva trop tard pour combattre, et seulement assez tôt pour l'accompagner dans la prison. Parmi les prisonniers se trouvèrent le roi de Navarre, le comte de Saint-Pol, prince du sang, Fleurange, La Roche-du-Maine, Montpezat, et plusieurs autres qui s'étaient signalés dans le combat. Trivulce, qui commandait à Milan, n'eut pas plutôt appris cette nouvelle, qu'il s'enfuit avec tous ses gens, et le propre jour de la victoire, le Milanais fut délivré de tous les Français.

Un prisonnier de cette importance, tombé inopinément entre les mains des impériaux, étonnait ceux qui l'avaient pris. Son malheur lui attirait du respect; et les Espagnols, qui venaient avec empressement pour le regarder, regrettaient de n'avoir point un tel roi, et murmuraient contre l'empereur, qui parmi tant de guerres demeurait tranquillement dans son royaume, se contentant de combattre par ses lieutenants.

Pescaire l'aborda avec beaucoup de soumission et de modestie, environné des principaux officiers. Le roi l'ayant reçu avec un air plein de douceur et de majesté, loua hautement sa valeur, quoique fatale à lui et aux siens, et dit qu'il croyait qu'un si honnête homme porterait l'empereur à user modérément de ses avantages. Il déclara que pour lui il n'enviait pas à ce prince les victoires que la fortune lui donnait, mais l'occasion d'exercer sur un roi vaincu une générosité digne de deux si grands princes. Tout le monde était ravi de voir un roi de trente ans porter si constamment une si mauvaise fortune. On le traita toujours en roi, et lui aussi ne rabattit rien de sa grandeur. Le duc de Bourbon s'étant approché à genoux à un souper pour lui présenter la serviette, quelques-uns disent qu'il la reçut par politique; mais la plupart assurent qu'il la refusa avec un juste dédain, et le dernier est plus convenable à son humeur franche et à sa fierté naturelle.

Cependant le vice-roi était en peine où il renfermerait son prisonnier; il eût bien souhaité qu'on eût pu le transporter à Naples ou en Espagne; mais il n'osait l'y faire passer par mer, dans la crainte que les galères et les vaisseaux du roi ne l'enlevassent. Il lui paraissait aussi dangereux de le laisser en Italie, où il prévoyait qu'il se ferait bientôt de grandes cabales pour sa délivrance : il ne trouvait pas même de sûreté à garder dans l'armée un prince dont l'abord gagnait tout le monde, et l'espérance de sauver un si grand roi, dont la libéralité était si connue, pouvait tenter les soldats mécontents faute d'être payés. Enfin il résolut de le faire promptement conduira à Pizzighitone, château fort du Milanais, en attendant les ordres de l'empereur, et les ouvertures que le temps pouvait donner.

 

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La nouvelle de la défaite et de la prise du roi vola bientôt de tous côtés; toute l'Italie en trembla, et craignit qu'une victoire si complète ne lui donnât bientôt un maître. Le duc d'Albanie s'arrêta tout court, et lui qui auparavant menaçait Naples, ne songeait plus qu'à la retraite.

Dans une si terrible conjoncture, les Vénitiens furent les premiers à prendre une vigoureuse résolution, et proposèrent ou Pape de se joindre à eux, pour tomber promptement sur les impériaux, pendant que leurs troupes étaient affaiblies par le combat, et qu'étonnés eux-mêmes d'un si grand succès, ils ne savaient encore ce qu'ils avaient à faire pour en profiter. Le Pape, touché de leurs raisons, donna d'abord sa parole pour l'union qu'ils lui proposaient, mais l'archevêque de Capoue, son nonce, revint en même temps d'auprès de Lannoy, chargé de belles promesses; et le Pape, qui craignait tout des victorieux, fut ravi de finir ses craintes par un accord. Il ne put persuader aux Vénitiens de s'engager aux conditions que le vice-roi leur proposait; mais le reste de l'Italie suivit l'exemple du Pape, et même acheta la paix par de grandes sommes, que Lannoy employa à payer l'armée.

Toutes ces choses se firent bien vite, et furent presque rapportées en même temps à la régente, avec la prise du roi son fils. Il n'est pas besoin de dire quelle fut la consternation de toute la France, le roi pris, tous les chefs tués, la fleur de la noblesse et des troupes taillées en pièces, le royaume en alarme, épuisé d'hommes et d'argent, les vainqueurs puissants, l'Italie réduite à leur obéir, l'Angleterre unie avec eux, faisaient craindre à la régente une irruption, et mettaient l'Etat en péril.

A cela se joignaient les soins du dedans; elle n'était pas aimée, et le chancelier, sa créature, qui était haï au dernier point, rendait le gouvernement odieux. Elle avait mandé les princes du sang et les gouverneurs des principales provinces, entre autres Charles, duc de Vendôme, gouverneur de l'Ile-de-France et de Picardie, et premier prince du sang, par la mort du duc d'Alençon, et par la condamnation du duc de Bourbon.

Ce prince, passant à Paris pour se rendre à Lyon, fut sollicité par les principaux du parlement de la ville à prendre en main le gouvernement comme lui appartenant de droit : ils l'assuraient que Paris, qui donnait le branle à toutes les villes, le reconnaîtrait; mais il vit les partialités qui naitraient de cette entreprise, et déclara au contraire qu'il donnerait l'exemple à tout le monde d'obéir à la régente. Sa modération sauva l'Etat, et la régente, qui en reconnut le mérite, régla les affaires par ses conseils.

La première chose qu'il conseilla fut fâcheuse, mais nécessaire; ce fut d'augmenter les impôts, parce que les finances étaient épuisées. L'argent fut employé à lever de nouvelles troupes, dont la régente

 

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garnit les frontières; elle envoya en même temps des vaisseaux pour recevoir l'armée du duc d'Albanie, que l'Italie chassait de tous côtés, et dépêcha en Angleterre, pour voir si la prodigieuse puissance de l'empereur ne donnerait point quelque ombrage à Henri. Tel fut l'ordre qu'on donna aux affaires du royaume.

En Espagne, on croyait la France déjà conquise, et on ne parlait que de la monarchie universelle; mais plus les desseins de l'empereur étaient vastes, plus il témoigna de modération. Aussitôt qu'il sut la nouvelle, il alla en rendre grâces à Dieu, communia le lendemain, et fut en procession à l'église de Notre-Dame hors de Madrid ; du reste il défendit toutes les marques de réjouissance, disant qu'on ne devait se réjouir que des victoires remportées sur les infidèles. Il répondit dans le même sens aux compliments que lui faisaient les ambassadeurs : il reçut bien même ceux des Vénitiens, leur déclarant toutefois qu'il ne les croyait pas sincères : enfin il témoignait à tout le monde qu'il voulait, eu donnant la paix, rendre commune à toute la chrétienté la victoire qu'il avait gagnée en particulier.

Les avis furent partagés dans son conseil sur ce qu'il devait faire de la personne du roi; l'évêque d'Osma, son confesseur, lui conseillait de gagner le roi en lui donnant sa liberté et sa sœur Eléonore en mariage : il lui représentait la gloire immortelle qui suivrait une si belle action; au lieu que la rigueur qu'il tiendrait à son prisonnier mettrait toute l'Europe contre lui, et donnerait moyen aux luthériens d'infecter le reste de l'Allemagne. On dit que son secrétaire Gatinar lui conseilla au contraire de tenir le roi dans une perpétuelle prison, et de se rendre le seul maître de la chrétienté, pour opposer au Turc une plus grande puissance. Le duc d'Albe proposa un avis mitoyen, qui fut suivi par l'empereur; ce fut de faire amener le roi en Espagne, s'il se pouvait, et de ne le relâcher qu'en tirant de lui quelques provinces, avec une grosse rançon, capable d'épuiser la France d'argent.

Sur cet avis, l'empereur fit partir le comte de Bure, fils du comte de Reux, pour visiter le roi de sa part, et lui proposer ces conditions : de lui céder la Bourgogne, de renoncer aux souverainetés de Flandre et d'Artois, et à toutes ses prétentions sur l'Italie, de donner la Provence au duc de Bourbon par-dessus son apanage, et de payer au roi d'Angleterre tout ce que l'empereur lui devait. Voilà à quoi aboutit cette grande modération et ce grand désir de la paix que l'empereur avait témoigné.

Le roi d'Angleterre avait bien cru qu'il n'y aurait rien de modéré dans ses conseils ; et aussitôt après la prise du roi, il avait pris une secrète résolution de se tourner vers la France. Cor, quoiqu'il eût témoigné d'abord de la joie, et publié qu'il allait descendre en Picardie, il ne le fit que pour contenter ses peuples, et satisfaire en apparence à l'alliance qu'il avait avec l'empereur. Le cardinal de Volsey n'était pas moins bien intentionné. L'empereur, qui jusqu'alors l'avait extrêmement

 

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ménagé, jusqu'à lui écrire de sa main et à se qualifier son fils dans toutes ses lettres, changea tout à fait de style après la bataille de Pavie ; ce qui piqua le cardinal, et le fortifia dans le dessein de servir la France. Ainsi l'envoyé de la régente fut bien reçu, et il se conclut entre les deux rois une alliance par laquelle le roi d'Angleterre fit exprimer qu'on ne pourrait démembrer aucune partie du royaume, sous prétexte de racheter le roi.

Depuis ce temps, il ne fit que chercher un prétexte de rompre avec l'empereur, en lui proposant de faire un partage du royaume de France entre eux; mais comme ce qu'il choisissait pour lui était sans comparaison le meilleur, l'empereur comprit son dessein, et ne voulut rien conclure. Aussitôt le roi d'Angleterre licencia l'armée qu'il tenait prête à descendre en France ; et loin de demander aucun dédommagement à la régente, il s'obligea à l'assister d'hommes et d'argent.

Si la régente se fût avisée d'envoyer d'abord en Italie, elle eût pu empêcher le traité du Pape; mais son envoyé le trouva déjà engagé avec le vice-roi. L'affaire demeura pourtant en quelque façon en suspens, parce que l'empereur refusa de ratifier quelques articles ; ce qui obligea le Pape à ne pas les ratifier de sa part.

A l'égard des Vénitiens, pendant qu'ils disputaient des conditions avec Lannoy, le jeune Selve, envoyé de France, fils du premier président, leur apprit le traité conclu avec l'Angleterre. Aussitôt ils reprirent cœur, et loin de s'engager, ils rappelèrent Pesaro, qui négociait de leur part avec Lannoy.

Les affaires étaient en cet état, quand les propositions de l'empereur furent apportées à Pizzighilone. Le roi les rejeta avec une hauteur digne de lui, et répondit qu'il aimait mieux mourir prisonnier, que de consentir à des propositions si honteuses. Il dit même qu'il s'étonnait qu'on lui demandât des provinces, puisqu'outre qu'il n'avait pas la volonté d'en céder aucune, il n'en avait pas le pouvoir : que les rois de France étaient obligés, par le serment de leur sacre, à ne rien aliéner de leur couronne, et que de telles aliénations étaient nulles par les lois fondamentales du royaume. Au lieu de ces conditions, il offrit de rétablir le duc de Bourbon, et de lui donner sa sœur, veuve du duc d'Alençon, d'épouser la reine Eléonore, et de reconnaître le duché de Bourgogne comme tenu en dot de cette princesse. L'ouverture de cette proposition fut fâcheuse, et donna lieu d'insister sur l'aliénation de la Bourgogne ; le maréchal de Montmorency fut élargi, pour aller faire avec Bure ces propositions à l'empereur, à qui la régente les fit porter en même temps de la part du conseil de France.

Lannoy était cependant dans de grandes agitations sur ce qu'il ferait de son prisonnier. Il lui paraissait impossible de le tenir plus longtemps dans le Milanais, et il ne savait comment faire pour le transporter ailleurs. Il se défiait de Bourbon et de Pescaire, qu'il voyait tous

 

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deux mécontents : l'un, parce que l'empereur n'avait encore accompli aucun article de son traite ; l'autre, parce qu'on lui avait refusé le comté de Carpi après la bataille de Pavie, dans un temps où il croyait qu'on ne pouvait rien refuser à ses services. Ils se plaignaient hautement ; et Lannoy qui les soupçonnait de vouloir délivrer le roi, ne se fiait point aux soldats dont ils étaient maîtres, de sorte qu'il n'osait pas même mener François à Naples, loin d'être en état de le conduire en Espagne.

Pour se tirer de cet embarras, il se servit d'un expédient dont un homme moins habile que lui ne se serait jamais avisé; ce fut d'insinuer au roi que le moyen le plus court d'obtenir sa liberté était d'aller en personne pour la traiter eu Espagne. Le roi goûta ce dessein ; et jugeant de l'empereur par lui-même, il crut qu'il lui persuader ait un acte de générosité, s'il pouvait le voir, et traiter avec lui, non de prince à prince, mais de cavalier à cavalier.

Quand Lannoy l'eut amené à son point, il lui proposa de prêter ses galères pour le voyage, parce que l'empereur n'en avait pas assez; le roi accepta le parti avec joie, croyant sa liberté déjà assurée. Il fallut tromper Bourbon et Pescaire, et le roi entra encore dans la tromperie; il fit plus. André Doria, qui commandait les galères, les ayant amenées selon ses ordres, se mit en état de le sauver. Sur cela Lannoy déclara qu'on se porterait aux extrémités, et François parut pour empêcher ses gens de le délivrer. Ils furent contraints d'abandonner les galères aux Espagnols, après quoi François y entra, et un si grand roi se fit lui-même mener en triomphe à son ennemi, sur sa propre flotte.

Il partit au commencement du mois de juin, la navigation fut heureuse, et le roi arriva à Barcelone, avant que l'empereur eût nouvelle de son départ; mais pendant que Lannoy se réjouissait d'avoir amené à son maître un tel prisonnier, il pensa le perdre. Ses soldats se mutinèrent, faute d'argent, jusqu'à tirer sur lui-même, ll était avec le roi à une fenêtre, et la balle donna à l'endroit où le roi était appuyé; mais Lannoy ne put s'échapper qu'en grimpant de maison en maison par les gouttières : ce fut le roi lui-même qui apaisa les soldats, tant par ses discours que par l'argent qu'il leur donna.

L'empereur témoigna plus de joie de son arrivée en Espagne, qu'il n'avait fait de sa prise. Il le fit recevoir partout avec honneur; mais il résolut de le renfermer au château de Xativa, où les rois d'Aragon mettaient les prisonniers d'Etat. Le vice-roi fit changer un ordre si rigoureux ; François fut amené dans le château de Madrid, avec permission d'aller de jour où il voudrait, environné de ses gardes.

L'empereur refusa de le voir jusqu'à ce qu'on fût convenu de tout; et François, qui était venu sur cette espérance, tomba dans une profonde mélancolie. Le maréchal de Montmorency, qu'il avait envoyé à l'empereur, lui apporta pour consolation un passeport de deux mois, pour Marguerite, duchesse d'Alençon, sa sœur, qui venait traiter de

 

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sa délivrance, avec une suspension d'armes pour le reste de l'année.

Quand le bruit du départ du roi se répandit en Italie, on eut peine à croire une chose si surprenante. On ne pouvait comprendre comment il s'était résolu à rendre lui-même sa prison plus sûre, et à rompre toutes les mesures que ses amis prenaient pour sa délivrance ; mais rien n'égala l'étonnement du duc de Bourbon et du marquis de Pescaire : ils ne pouvaient souffrir que Lannoy les eût trompés en leur enlevant le roi, et en rendant leur fidélité suspecte. Pescaire en fit ses plaintes à l'empereur, avec une véhémence, et une hardiesse extraordinaires. Il lui remontra combien il était injuste que Lannoy eût tout l'honneur d'une victoire .à laquelle.il n'avait aucune part. Bourbon écrivit dans le même sens, et ajouta, que le vice-roi avait fait perdre tout le fruit de la victoire à l'empereur, en les empêchant, Pescaire et lui, de faire entrer l'armée victorieuse en France, pendant que tout y était en crainte et en confusion.

Charles répondit à l'un et à l'autre avec beaucoup d'honnêteté, et manda à Pescaire, entre autres choses, que le service que Lannoy lui avait rendu en lui amenant le roi de France, ne l'empêchait pas de reconnaître celui que Pescaire même avait rendu par la victoire de Pavie dont Lannoy ne lui enviait pas la gloire. IL ajouta de grandes gratifications à ces paroles honnêtes ; mais il ne satisfit pas l'esprit ambitieux de Pescaire. Il était au désespoir de ce que les actions de son ennemi étaient approuvées, et il fit éclater son ressentiment dans toute l’Italie.

Moron, qui en fut bientôt instruit, conçut en même temps un grand dessein contre l'empereur, dans lequel il espéra de faire entrer Pescaire; il voulait lui persuader de tailler en pièces tous les Espagnols qui étaient dans le Milanais, et de se faire déclarer roi de Naples. Il proposa l'affaire au Pape et aux Vénitiens, de la part du duc de Milan, et de concert avec lui. Ils comprirent aisément que l'empereur voulait se rendre maître de ce duché, ce qui leur était insupportable; car ils n'y voulaient non plus les Espagnols que les Français ; de sorte qu'ils consentirent aux propositions que Moron se chargea de faire au marquis.

Il l'aborda donc, en lui disant qu'il était né Italien, et qu'il lui était réservé d'affranchir sa patrie ; que si toute l'Italie avait fait tant d'efforts pour chasser les Français, ce n'était pas pour se mettre entre les mains des Espagnols, et que s'il voulait les chasser, on lui donnerait les moyens de se faire roi de Naples. Pescaire écouta la proposition, et demanda seulement de quelle part on lui parlait, sur quoi Moron le fit assurer par les ministres du Pape et des Vénitiens, que leurs maîtres étaient du complot. Il lui fil voir ensuite que l'investiture de Naples, accordée à Charles par le saint Siège, était nulle, comme ayant été donnée à un empereur contre les lois fondamentales de l'inféodation; et sur ce que Pescaire objectait que, comme Napolitain, il avait juré fidélité à l'empereur, on lui répondit qu'il devait plutôt obéir au

 

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saint Siège, à qui appartenait la souveraineté absolue, qu'à l'empereur, qui en relevait.

Le marquis parut satisfait de ces réponses, et le traité fut résolu entre lui, le Pape, les Vénitiens, et Moron qui agissait pour le duc Sforce. La chose fut donc portée en France à la duchesse d'Angoulême, qui entra dans la confédération, irritée des nouvelles difficultés que faisait naître l'empereur à la délivrance du roi son fils, depuis qu'il le tenait en Espagne. Le duc de Milan étant tombé malade dans le même temps, l'exécution du traité fut différée, et Pescaire continuait à tout écouter.

Le roi fut attaqué dans le même temps d'une maladie dangereuse, causée par le chagrin où le jetèrent ses espérances frustrées, et la dure persévérance de l'empereur à ne le point voir. L'extrémité où était le roi lui fît changer de résolution; l'empereur savait la cause de son mal, et jugeant bien que sa présence en serait le meilleur remède, il résolut de lui rendre une visite, tant il eut peur de le perdre sans pouvoir profiler de sa prise. Il vint donc en poste de Tolède à Madrid, et l'exhortant de songer à sa santé, il lui donna sa parole de lui rendre sa liberté aussitôt qu'il serait guéri. Ce discours lui redonna la vie, et la duchesse d'Alençon sa sœur étant arrivée dans ce temps, elle aida beaucoup à le rétablir; mais à mesure que les forces lui revendent, la négociation devenait plus épineuse, et les ministres de l'empereur proposaient toujours de nouvelles difficultés. Cependant comme il s’agissait de donner au roi la princesse qui était promise au duc de Bourbon, la bienséance ne permettait pas à l'empereur d'aller plus avant sans la participation de ce prince; de sorte qu'il lui. écrivit de sa propre main, pour l'inviter à venir en Espagne, il partit aussitôt qu'il eut reçu cette lettre ; et un peu après le duc de Milan, qui venait de recouvrer sa santé, se vit en état de perdre entièrement son duché.

L'empereur avait su la conspiration, et Pescaire lui-même lui en avait donné l'avis; mais on doute s'il le fit de son bon gré, ou seulement parce qu'il apprit qu'il avait été averti d'ailleurs. On dit que Lève, ayant pris du soupçon des entretiens fréquents de Moncade avec le marquis, trouva moyen d'arrêter Montebona, ministre du Pape, qui jamais ne fut vu depuis, et qu'il découvrit la conjuration par ses papiers qu'il surprit. On ajoute que la régente, troublée de ce que Senti, ministre des Vénitiens, qui remportait les paquets, avait été tué par des voleurs, donna ordre de tout déclarer à l'empereur, de peur que sous ce prétexte il ne traitât le roi plus rigoureusement, et que ce fut pour cette raison que Pescaire de son côté avertit son maitre, craignant d'être prévenu.

Quoi qu'il en soit, l'empereur ou crut ou feignit de croire que Pescaire n'avait écouté les propositions que pour tirer le secret des confédérés; et ce qui est assuré, c'est qu'il ne parut point qu'il eût diminué sa confiance; il agit au contraire comme obligé au marquis de ce qu'il

 

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lui donnait le moyen de s'emparer des Etats du duc de Milan, qu'il convainquait de félonie. Ainsi il lui commanda d'arrêter Moron, et lui envoya des patentes de gouverneur de Milan, avec ordre de s'en rendre maitre. Il ne fut pas difficile de s'assurer du chancelier, qui ne se défiait de rien ; il vint avec joie à Novare où Pescaire l'avait mandé, sous prétexte de conclure le traité, et fut mis incontinent en prison. Après cela Pescaire surprit aisément toutes les places du Milanais, et étant entré dans Milan, il obligea tout le peuple à jurer fidélité à l'empereur. Il ne restait au duc que le château de Crémone et celui de Milan, dans lequel il se renferma avec huit cents hommes seulement, mais avec une résolution que Pescaire n'attendait pas. Toute l'Italie prit l'alarme d'une usurpation si ouverte ; les Vénitiens, qui n'espéraient plus faire un accord solide avec la régente depuis que François s'était mis lui-même hors d'état de profiter de leur secours, étaient sur le point de s'accommoder avec l'empereur.

Cette invasion suspendit le traité, et le Pape même, malgré ses engagements précédents, ne voulait plus de paix avec l'empereur, s'il ne rétablissait le duc Sforce. Cependant le duc de Bourbon arriva à la cour d'Espagne, où il fut bien traité de Charles; mais il fut en horreur à tous les grands, jusque-là que l'empereur ayant demandé à l'un d'eux sa maison pour le loger, il répondit que l'empereur pouvait disposer de tout, mais qu'il mettrait le feu dans son logis aussitôt que le duc en serait sorti, et n'y demeurerait jamais après qu'un traître y aurait logé.

La négociation pour la délivrance du roi se continuait et n'avançait pas. On lui demandait toujours des provinces, et ce prince n'espérant plus aucune condition raisonnable, renvoya sa sœur, avec ordre de dire à sa mère qu'on ne pensât plus à lui, mais seulement au bien de l'Etat, et qu'on couronnât le Dauphin.

La duchesse partit quelque temps après avec une extrême diligence, secrètement avertie que l'empereur voulait la surprendre, sur ce que le terme de son passeport allait expirer. On croit que ce fut le duc de Bourbon qui lui donna cet avis, touché d'amour pour cette belle princesse, que le roi proposait de lui donner en mariage. Quoi qu'il en soit, elle se rendit en un jour dans les terres du roi de Navarre, à peu près dans le même temps que ce prince s'était sauvé d'entre les mains des Espagnols, laissant à sa place un de ses pages qu'il avait mis dans son lit.

Par la retraite de la duchesse, les affaires demeurèrent entre les mains des ambassadeurs que la régente avait envoyés avec elle. L'Italie cependant fut délivrée d'une grande crainte, par la mort de Pescaire, arrivée au commencement de décembre. Il donna ordre en mourant qu'on délivrât Moron, honteux d'avoir emprisonné un homme qui était venu sur sa parole. Il s'avisa trop tard de lui faire cette justice, et ses ordres demeurèrent sans exécution. Sitôt que l'empereur sut cette

 

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mort, il destina au duc de Bourbon le commandement de ses armées en Italie, et il fit mine de le vouloir faire duc de Milan. Voici ce qui le porta à ce dessein ou à cette feinte.

Il s'était embarrassé entre deux traités qu'on le pressait de conclure : le Pape et les Italiens demandaient le rétablissement de Sforce, prêts à s'accorder avec la France s'il le refusait. D'un autre côté les ambassadeurs de France s'étaient avancés jusqu'à céder la Bourgogne; il semblait que le roi ne s'en souciât plus, disant hautement que si on voulait qu'il tînt les conditions, on lui en fît d'équitables.

Ce discours fut rapporté à l'empereur, qui ne s'en mit guère en peine, parce qu'il crut avoir trouvé les moyens de tenir le roi obligé par de bons otages qu'il se ferait donner en le délivrant : ainsi la difficulté ne consistait selon lui qu'à déterminer avec qui il lui convenait le mieux de traiter. Les ministres espagnols étaient d'avis que ce fût avec les Italiens ; Lannoy et les Flamands, ravis de voir réunir en la personne de Charles toute la succession de la maison de Bourgogne, voulaient qu'il conclût avec le roi. Les uns et les autres soutenaient que leur sentiment était le meilleur pour rendre l'empereur maître de l'Italie. Les Espagnols prétendaient que, pourvu qu'il tint le roi en prison, ni Sforce, ni le Pape, ni les Vénitiens ne lui seraient pas un grand obstacle : les Flamands disaient au contraire que, pourvu que le roi lui abandonnât l'Italie par un bon traité, elle ne lui ferait aucune peine à conquérir.

L'empereur se détermina au dernier parti, ne pouvant se résoudre à rétablir Sforce, par la crainte qu'il avait d'être obligé de relâcher Moron en même temps. Il craignait ce rusé vieillard, qui remuait toute l'Italie, et il aima mieux encore délivrer le roi que lui ; mais auparavant il appela Bourbon, et lui dit qu'il avait voulu le faire duc de Milan, du consentement des Italiens ; mais qu'ils s'obstinaient à conserver Sforce, et cependant que malgré eux, il lui donnerait ce riche duché. Pour être en état de le faire, il lui dit qu'il fallait délivrer le roi de France : et comme il ne le pouvait qu'en lui donnant sa sœur en mariage, il lui en demanda son consentement.

Le duc l'accorda sans peine, et à cause de sa nouvelle inclination pour la duchesse d'Alençon : pour la cacher à l'empereur, il le pria seulement qu'il ne fût point présent aux fiançailles. L'empereur l'envoya en Italie, à la place de Pescaire, et peu de jours après il conclut avec les ambassadeurs de France.

Les conditions, arrêtées le 14 de février 1526, furent qu'il y aurait amitié perpétuelle entre les deux princes; que le roi serait remis en liberté le dixième du mois de mars, et rendu sur les frontières de ses Etals; que le 20 avril suivant il consignerait à l'Empereur le duché de Bourgogne, avec toutes ses dépendances, affranchi de la souveraineté de France; qu'au même moment que le roi serait délivré, le Dauphin et le second fils de France, ou le Dauphin seul avec douze des principaux seigneurs du royaume, qui sont nommés par le traité, passeraient

 

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en Espagne pour servir d'otages; que le roi renoncerait à la souveraineté de Flandre et d'Artois, et à ses droits sur Naples, Milan, Gênes et quelques places des Pays-Bas, qui sont dénommées; que le mariage du roi avec Eléonore, sœur de l'empereur, se ferait en France, et que la tille de cette princesse et du roi de Portugal, serait fiancée au Dauphin, quand ils auraient l'âge; que le roi abandonnerait Henri d'Albret, roi de Navarre, et ses autres alliés; qu'il y aurait ligue défensive entre les deux princes durant trois ans, et que quand l'empereur passerait en Italie pour se faire couronner, le roi lui prêterait et lui entretiendrait durant trois mois un certain nombre de vaisseaux ; que le roi rendrait au duc de Bourbon tous ses Etals et tous ses biens confisqués, sans l'obliger à retourner en France; qu'il accorderait l'amnistie à tous les Français qui l'auraient suivi, et conviendrait avec lui d'arbitres dans quarante jours, pour juger des prétentions que ce prince avait sur la Provence; qu'il acquitterait l'empereur de cinq cent mille écus envers le roi d'Angleterre; et que les deux princes prieraient le Pape d'assembler un concile général, pour exterminer les hérésies, et unir les princes chrétiens contre les infidèles.

Le roi fut obligé de jurer qu’il retournerait en prison, s'il manquait à l'exécution de ces articles ; mais personne ne crut en Espagne que des conditions si iniques pussent être accomplies ; et Galinara, chancelier de l'empereur, trouva ce traité de toutes façons si honteux à son maitre, qu'il refusa de le signer et de le sceller, quelque ordre qu'il en reçût. Depuis ce traité, les deux princes étaient souvent et longtemps ensemble en particulier et en public. Ils allèrent ensemble plusieurs fois à la promenade, et chez la reine Eléonore. Les fiançailles furent célébrées avec la solennité convenable ; du reste le roi demeura avec sa garde ordinaire, jusqu'au temps porté par le traité, et jusqu'à ce que la ratification de la régente fût arrivée.

Durant ce temps il négociait avec le Pape, pour tâcher de lui faire agréer Bourbon pour duc de Milan, au cas que Sforce se trouvât coupable, ou qu'il vint à mourir; mais le Pape ne voulut jamais d'un prince que sa révolte rendait irréconciliable avec le roi, et absolument dépendant de l'empereur.

La régente n'eut pas plutôt appris la conclusion du traité, qu'elle partit avec ses deux petits-fils, pour aller recevoir le roi. Elle ne fut pas longtemps à se déterminer sur l'alternative qui lui était donnée pour les otages : car quelque tendresse qu'elle eût pour Henri, son second petit-fils, dont l'enjouement faisait son plaisir, elle aima mieux le laisser que les douze seigneurs qui faisaient la force du royaume.

A la première nouvelle dé son départ, le roi s'avança à Fontarabie. La régente arriva à Bayonne le 16 mars, deux jours avant que l'échange e dût faire. Enfin, au jour marqué, qui était le 18 de ce mois, Lautrec avec les deux princes se rendit sur le bord de la rivière d'Andaye. Le

 

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roi monta sur une barque, accompagné de Lannoy, et de huit hommes armés. En même temps on fit partir les deux princes avec pareil nombre d'hommes.

On avait affermi au milieu de la rivière une barque vide, où de part et d'autre on devait descendre en même temps. Le roi passa dans la barque où étaient les princes, et en même temps les princes passèrent dans celle où était le roi. Sitôt qu'il fut à bord, il monta sur un cheval turc, et courut sans s'arrêter jusqu'à Saint-Jean du Luz, d'où il arriva bientôt à Bayonne : il y fut reçu par la régente sa mère, et par toute la Cour, avec une joie qui ne peut s'exprimer.

La première chose qu'il y fit, fut d'écrire de sa main au roi d'Angleterre, pour lui donner avis de sa délivrance, qu'il croyait devoir à ses soins, l'assurant que dorénavant il ne ferait rien que par ses conseils. Lannoy et les autres ambassadeurs de l'empereur eurent ordre de le suivre jusqu'à Bayonne, pour lui faire ratifier le traité en lieu libre. Il dit qu’il ne pouvait démembrer aucune partie de son royaume sans les Etats-généraux, qui avaient plus d'intérêt à le conserver que lui, qui n'en avait que l'usufruit : il ajouta qu'il fallait savoir encore plus particulièrement les sentiments de ses sujets de Bourgogne; qu'il tiendrait au plus tôt les assemblées nécessaires pour cela, et ferait savoir la réponse à l'empereur.

Il alla à Cognac, où il demeura quelque temps : il y trouva des envoyés du Pape et des Vénitiens, qui venaient se réjouir de sa liberté. Ceux du Pape avaient ordre, s'ils trouvaient le roi en doute de ce qu'il ferait, de lui insinuer les moyens de revenir contre son traité ; que s'il y était disposé de lui-même, d'écouter ce qu'on leur dirait. Les Vénitiens avaient donné une pareille instruction à leurs ministres, avec cette différence qu'ils devaient parler plus franchement.

Ils n'eurent pas de peine à découvrir les sentiments du roi ; il se plaignit hautement de l'inhumanité de l'empereur, et déclara que le serment auquel on l'avait forcé dans sa prison ne pouvait rompre celui qu'il avait fait à son sacre, de ne jamais rien aliéner de sa Couronne ; qu'il l'avait bien dit à l'empereur, et qu'il s'étonnait que ce prince, après la déclaration qu'il lui avait faite, lui eût imposé des conditions non-seulement iniques, mais impossibles. Il proposa ensuite aux ministres du Pape et des Vénitiens, une ligue qui aurait pour fondement la délivrance de ses deux enfants, et l'expulsion des Espagnols hors d'Italie, leur ayant déclaré qu'il ne voulait plus rien prétendre sur le duché de Milan, mais seulement y maintenir Sforce.

Lannoy vint le trouver à Cognac, de la part de l'empereur, pour savoir sa dernière résolution sur l'exécution du traité. Il avait tenu, pour la forme, une assemblée de notables, qui lui avaient répondu qu'il n'était pas en son pouvoir de démembrer son royaume ; les Etats de Bourgogne avaient déclaré qu'ils ne voulaient point passer sous une domination étrangère, et que le roi ne pouvait les y contraindre. Il fit

 

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cette réponse à Lannoy, et ajouta cependant que si l'empereur voulait se contenter de deux millions d'or, au lieu de la Bourgogne, il était prêt d'accomplir le reste du traité.

Pendant que ces choses se négociaient, Antoine de Lève pressait tellement le château de Milan, que Sforce fut obligé de déclarer au Pape et aux Vénitiens, que s'il n'était promptement secouru, il serait contraint de se rendre. C'est ce qui obligea ces deux puissances à presser leur accord avec la France; et l'empereur ayant défendu aux Espagnols d'aller plaider à Rome, ce fut une nouvelle raison qui aigrit le Pape contre lui ; mais le roi ne leur dissimula point qu'il attendait encore une réponse de Charles.

C'est une chose étrange qu'il n'eût pas prévu celle de François, quoique son conseil d'Espagne lui eût souvent représenté que ce traité, qu'il croyait si avantageux, n'était qu'une illusion. Il s'opiniâtra à vouloir absolument la Bourgogne, et entra dans un tel dépit de s'être abusé, que pour la première fois, il sacrifia son intérêt à sa vengeance. Il envoya Moncade, pour donner au Pape la carte blanche, avec ordre pourtant de passer en France, pour savoir si Lannoy perdait toute espérance d'avoir la Bourgogne.

Sitôt qu'il eut appris qu'il n'y avait plus rien à espérer, il alla faire sa commission envers le Pape, qu'il trouva résolu à conclure avec la France. Une lettre de Lève interceptée lui avait persuadé que les affaires des impériaux étaient sans ressource. Ainsi Lannoy eut le déplaisir d'entendre publier la ligue entre le Pape, le roi et les Vénitiens, à condition de conserver Sforce, et de délivrer les enfants de France, avec une rançon, dont le roi d'Angleterre serait l'arbitre. François ne se réserva en Italie que Gênes et le comté d'Ast, ancien patrimoine de ses ancêtres. Il devait aider la ligue d'hommes et d'argent, et le royaume de Naples devait demeurer à la disposition du Pape, avec quelques réserves pour le roi d'Angleterre et pour le cardinal de Volsey. En même temps on songea à faire lever le siège du château de Milan, et à reprendre la ville.

Les peuples, accablés d'exactions, étaient disposés à s'aider, et Moncade n'avait pas calmé les soldats, pour le peu d'argent qu'il avait distribué aux troupes ; mais il fallait user de diligence, et les confédérés allaient lentement. Ils furent assez longtemps à ratifier l'accord, et le roi en attendant ne voulut rien faire. Le duc d'Urbain, nommé général par les Vénitiens, ne voulut point avancer qu'il n'eût du moins cinq mille Suisses de ceux que le Pape faisait lever. Ces levées furent traversées par les ministres du roi, qui crurent qu'elles se faisaient pour l'empereur ; car le Pape cachait son nom, appréhendant que le roi ne e crût trop engagé, et négligeât de le satisfaire.

Durant ces retardements, l'occasion de reprendre Milan échappa. Le peuple ne pouvant plus souffrir les violences des Espagnols, fit un nouvel effort pour s'en affranchir; mais, destitué de secours, il succomba

 

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et fut désarmé. Ceux de Lodi réussirent mieux dans le dessein de se rendre aux confédérés. Le duc d'Urbain et Guichardin l'historien, qui commandaient les troupes ecclésiastiques, se trouvèrent à propos devant cette place, où ils furent reçus sans difficulté. Enfin le duc d'Urbain, après beaucoup de délais, se résolut d'attaquer Milan par les faubourgs : il fut prévenu par le duc de Bourbon, qui se jeta dans la place avec huit cents fantassins espagnols. Ce prince, après avoir quitté la cour de l'empereur, s'était longtemps amusé à Barcelone, et le roi avait promis que ses galères empêcheraient son passage. La ligue fit de grandes plaintes de ce qu'il n'avait point tenu parole. On disait hautement qu'il avait un grand cœur et des pensées dignes de lui; mais que les plaisirs lui faisaient souvent négliger les affaires, qui périssaient faute d'être pressées.

L'arrivée de Bourbon empêcha le succès de l'attaque que méditait le duc d'Urbain; il fit une seconde tentative, qui lui réussit aussi peu; et cependant Sforce, qui n'avait plus dans le château que pour un jour de vivres, fut contraint de capituler. Il n'y avait guère d'apparence qu'il dût faire un traité supportable, dans l'extrémité où ses affaires étaient réduites; mais Philippe Salo, qu'il envoya pour traiter, ayant reconnu que les impériaux craignaient les confédérés, fit une capitulation assez raisonnable. Il conserva son maître dans le château de Crémone, qui tenait pour lui. On lui donna de l'argent pour entretenir ses troupes, et Côme pour sa retraite, jusqu'à ce que son procès fût achevé. Il fut aussi convenu que ce traité ne pourrait préjudicier aux droits de sa famille sur le duché de Milan. Cet accord fut fait le 23 juillet.

Sforce se prépara à aller à Côme ; mais il voulait y être le maître. Les Espagnols n'ayant pas voulu en retirer leur garnison, il se retira à Lodi, où il ratifia la ligue. Tout le monde fut étonné de la joie que témoigna le duc d'Urbain de la reddition du château. Il exagérait le danger qu'il y aurait à secourir une place si bien assiégée, quoique d'autres plus résolus ne trouvassent pas l'affaire si difficile. Il témoigna qu'il voulait bloquer Milan, et en attendant les Suisses, il envoya quelques troupes mettre le siège devant la ville de Crémone : s'il agissait mollement, le roi de son côté ne se pressait pas. Il espérait retirer ses enfants des mains des Espagnols, plutôt par un accord que par force.

Le Pape découragé lui faisait offrir le duché de Milan, s'il envoyait une armée contre le royaume de Naples. Le roi demandait une permission de lever un décime sur le clergé de France ; pendant qu'on traitait ces choses, rien ne s'avançait. Il vint pourtant à la fin au duc d'Urbain treize mille Suisses, que François lui envoyait. Il n'attaqua pas pour cela Milan ? aisé à prendre cependant à cause que la garnison était affaiblie, et il mena toutes les troupes au siège de Crémone, qui jusque-là allait fort mal. Cependant l'armée navale de France, commandée par Pierre de Navarre,

 

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prit Savone, et se rendit maîtresse de toute la rivière du Ponent, puis s'étant jointe à celle des Vénitiens et à celle du Pape, elle ferma si bien par mer l'entrée de Gènes, que quatre mille hommes avancés par terre l'eussent réduite; mais le duc d'Urbain ne songeait qu'au siège de Crémone, qui en effet fut contrainte de se rendre.

En ce même temps, le Pape se trouva dans un extrême embarras, par la trahison des Colonne. Ils étaient attachés à l'empereur, et l'aîné de cette maison était connétable héréditaire de Naples. Les ministres de ce prince soulevèrent cette puissante maison contre le Pape, qui se trouva le plus fort, mais qui ne put se garantir de la surprise. Vespasien Colonne, qui était le plus agréable de tous les hommes, et qui paraissait le plus sincère, sut si bien persuader le Pape de ses bonnes intentions pour son service, qu'il lui fit congédier ses troupes. Lorsque les Colonne le virent dans une pleine sécurité, ils occupèrent tous les passages, et ayant empêché par ces moyens qu'il ne vint à Rome aucune nouvelle, ils y arrivèrent durant la nuit, avec six mille hommes, qui se saisirent de trois portes, et entrèrent dans la ville, conduits par les agents de l'empereur, et par le Cardinal Pompée Colonne.

Le Pape étonné ne vit d'abord autre chose à faire que de s'asseoir dans le siège de Saint-Pierre avec ses habits pontificaux, pour y attendre la mort, et eut peine à se rendre à la prière des cardinaux, qui le pressaient de se retirer au château Saint-Ange. Dans cette conjoncture, il fut aisé à Moncade d'obtenir de lui une trêve, en l'obligeant de rappeler ses armées de terre et de mer, et de pardonner aux Colonne.

Les affaires de l'empereur ne laissaient pas d'être en mauvais état. Les troupes, qui manquaient d'argent, poussaient à bout la patience des peuples par d'horribles inhumanités; ainsi il prêtait l'oreille aux propositions de paix que faisait le roi d'Angleterre; mais cependant il équipait une grande flotte, que Lannoy devait commander, et avec son secret aveu Fronsberg levait quatorze mille Allemands : celui-ci disait qu'il allait secourir son fils, bloqué dans Milan; le roi d'Angleterre se laissait amuser par des négociations; et François, qui se flattait de l'espérance d'un accord, ne songeait qu'à se divertir.

Le sultan Soliman, empereur des Turcs, ne fut point simple spectateur des divisions des chrétiens, sans en profiter : il trouva dans celles qui troublaient en particulier la Hongrie, une belle occasion de partager ce royaume. Le jeune roi Louis avait péri dans une révolte, où la fleur de la noblesse fut tuée, et ensuite le plat pays ravagé par les Turcs. Pour comble de malheur, les Hongrois se partagèrent dans l'élection qu'il leur fallut faire d'un roi. Ferdinand, frère de l'empereur, qui prétendait avoir droit sur le royaume du côté d'Anne sa femme, sœur du dernier roi, fut reconnu par une partie de la noblesse, et

 

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Jean de Zapol, vaivode de Transylvanie, élu par l'autre, fut obligé par sa faiblesse à se mettre sous la protection du Turc ; ainsi ce malheureux royaume se vit en même temps déchiré par deux puissantes factions, et en proie à l'ennemi commun.

Le Pape ne savait que faire parmi tant de désordres. Tantôt il lui prenait envie d'aller trouver tous les princes chrétiens, pour les liguer contre les Turcs; tantôt il délibérait de se jeter entre les bras de l'empereur; et puis entrant en défiance d'un prince qui conduisait ses affaires avec une si profonde dissimulation, il demeurait irrésolu. Les Colonne, qui se sentaient soutenus, l'inquiétaient dans le coeur de son pays, et remportaient sur lui divers avantages. Il y avait peu de ressource dans les forces des confédérés : le marquis de Saluées, qui commandait l'armée de France, n'avait que très-peu de troupes. Le duc d'Urbain, général des Vénitiens, haïssait autant les Médicis que le Pape, qui n'avait songé qu'à le dépouiller; et il ne suivait aucun dessein. Il commençait à bloquer Milan, et puis il quittait cette entreprise, sous prétexte de s'opposer aux Allemands, qui s'avançaient vers Mantoue.

Les choses allèrent ainsi jusque vers la fin de novembre, et rien n'empêcha les Allemands de joindre le duc de Bourbon dans le Milanais. Il venait de délivrer Moron, condamné à perdre la tête, et qui s'était racheté de vingt mille ducats. Cet habile courtisan sut si bien s'insinuer auprès du duc de Bourbon, qu'il devint premièrement son conseiller le plus affidé, et ensuite son gouverneur absolu.

Le duc était alors recherché des deux côtés; l'empereur semblait vouloir lui donner le duché de Milan ; et le roi ne voulait point consentir à une trêve, que l'empereur offrait aux confédérés, si Bourbon n'y entrait. Il y envoya secrètement un des aumôniers de sa mère, pour négocier avec lui; mais Moron lui représenta que ces deux princes le jouaient également; que la France le traiterait toujours de rebelle, et que la mère du roi ne consentirait jamais i lui rendre les terres dont elle l'avait dépouillé ; qu'il y avait à la vérité de plus belles apparences, mais pas plus de solidité dans les offres de l'empereur, puisqu'en faisant semblant de le vouloir faire duc de Milan, il l'empêchait en effet d'entier le plus fort dans aucune place : bien plus, il le laissait sans argent, contraint, pour en avoir, de faire des vexations insupportables, et exposé à la fureur de la populace accablée, ou du soldat mutiné.

Sur cela il lui ouvrit un moyen, qu'il disait être le seul pour assurer sa fortune, c'était de gagner ses troupes et les Allemands, pour se rendre maître de Naples, où il ne trouverait nulle résistance, et où toute l'Italie serait ravie de le maintenir, pour se délivrer du joug des Espagnols. On dit que le duc, désespéré du mauvais état de ses affaires, prêta l'oreille à ces discours, et qu'il alla joindre les Allemands dans ce dessein. Ils étaient dans le Plaisantin, avec dessein de se rendre

 

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maître de Plaisance; mais le duc d'Urbain était dans le pays, avec le marquis de Saluces, qui avait jeté du monde dans la ville, de sorte que Bourbon la voyant si bien pourvue, n'osa l'attaquer.

Cependant le Pape et Lannoy mêlaient aux négociations de continuelles entreprises l'une sur l'autre. Le comte de Vaudemont, de la maison de Lorraine, qui commandait les troupes du Pape, s'empara des terres des Colonne (1527), et entra dans le royaume de Naples. Ses progrès furent arrêtés par une trêve. Quelque temps après, le vice-roi assiégea Frusinone, place forte dans les terres de l'Eglise. Le Pape promit cent cinquante mille écus, pour avoir une trêve de trois ans, pour lui et les Vénitiens. Pendant que l'on en portait l'avis à Venise, et qu'on attendait le consentement du sénat, Rence de Ceri, un des généraux des troupes ecclésiastiques, fit lever le siège au vice-roi.

Le Pape, ravi de ce succès, résolut avec Guillaume de Langey, officier général de l'armée de France, d'attaquer le royaume de Naples. Salerne se révolta; Rence de Ceri prit Aquila, et quelques autres places de l'Abruzze; Naples manquait de vivres, et si François avait fourni l'argent qu'il avait promis sur la dime que le Pape avait accordée, tout ce royaume était en péril; mois Rence de Ceri, fut obligé, faute d'argent, d'abandonner l'entreprise, et de se retirer à Rome. Alors le Pape perdit tout à fait courage, et donna soixante mille écus à Lannoy, pour avoir une trêve de huit mois; mais cela ne l'assurait pas contre Bourbon, qui avait ses desseins particuliers, et toutes les forces de l'empereur sous son commandement.

Son armée était de trente à quarante mille hommes bien aguerris. Les Allemands, qui n'avaient touché qu'un ducat par tôle en leur pays, et deux ou trois tout au plus en Italie, ne laissaient pas de s'engager dans le pays, sous l'espérance du pillage. Bourbon, qui avait épuisé tout ce qu'il pouvait avoir d'argent, ou sur son crédit, ou par violence, leur avait abandonné jusqu'à sa vaisselle d'argent, et fit marcher l'armée vers la Toscane, dans le dessein de piller ou Florence ou Rome même.

Le Pape cependant ne craignait rien ; les actes d'hostilité avaient cessé du côté de Naples, et le vice-roi était venu à Rome, ce qui l'avait tellement confirmé, qu'il congédia toutes ses troupes, à la réserve de deux cents chevaux, et de deux mille hommes de pied. Sur la nouvelle de la trêve, le duc d'Urbain avait fait repasser le Pô aux troupes vénitiennes, et l'Etat ecclésiastique serait demeuré sans défense, si Guichardin n'eut persuadé au marquis de Saluces de le garder avec le peu de troupes qu'il avait.

Ce fut en vain qu'on signifia la trêve au duc de Bourbon, et qu'on lui promit de l'argent pour cesser les hostilités qu'il exerçait pendant son voyagé. Il était si peu maître de ses soldats, que les gentilshommes que lui envoya Langey purent à peine l'aborder. Lannoy vint en personne à Bologne, pour s'aboucher avec lui ; mais le duc manqua au

 

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rendez-vous qu'il lui avait donné, et quoiqu'il promit au Pape d'accepter la trêve, il continua sa marche; pressé par la misère, et entraîné par ses soldats avides du pillage, il ne gardait plus de mesures.

Il n'y avait d'espérance qu'au duc d'Urbain, et Guichardin fil tout ce qu'il put pour obliger le Pape à lui donner satisfaction : il le trouva implacable; et le duc irrité, au lieu de devancer Bourbon, qu'il eût pu arrêter étant maître du pays, se contentait de le suivre en queue : Bourbon allait droit à Florence, sur l'avis qu'il eut que la ville s'était révoltée contre les Médicis, à qui le Pape l'avait de nouveau soumise. La résolution que prirent les Florentins de secouer le joug, fit espérer au duc de Bourbon, qu'au milieu de ces divisions il pourrait surprendre la ville, pour la donner au pillage ; mais Langey averti de l'entreprise, en donna avis au marquis de Saluées, et lui marqua un chemin par lequel il pouvait prévenir les impériaux. Le marquis obligea le duc d'Urbain de se joindre à lui, et ils arrivèrent tous deux aux environs de Florence, longtemps avant le duc de Bourbon.

Ce prince, désespère d'avoir manqué son coup, ne trouva aucun moyen de consoler ses soldats, qu'en leur proposant le pillage de Rome. Cette proposition fut suivie des cris de joie de toute l'armée, et principalement du corps des Allemands que Fronsberg, luthérien déterminé, avait composé de gens de sa secte.

Langey partit en même temps, pour avertir le Pape de ce dessein, et ne put jamais l'émouvoir, persuadé qu'il était que la trêve le mettait en sûreté. Jamais Rence de Ceri ne put obtenir de lui qu'il levât des troupes, jusqu'à ce qu'il sût que Bourbon marchait sans artillerie et sans bagage, avec une telle diligence, qu'il arrivait toujours plus tôt qu'on ne l'attendait; il ne resta plus au Pape autre chose à faire que de se renfermer au château Saint Ange; et Rence de Ceri, aidé de Langey, leva à la haie deux mille hommes de méchantes troupes, pour défendre la ville, en attendant le secours des confédérés : il se tenait si assuré de gagner le temps nécessaire, qu'il ne voulut pas même qu'on rompit les ponts, et cependant le duc de Bourbon étant arrivé prés de Borne, le 5 mai, fit sommer le Pape de lui donner passage dans la ville pour aller au royaume de Naples.

Le lendemain un cas imprévu l'obligea de donner l'assaut. Un enseigne de la garnison se voulut sauver par la brèche, et ayant dans sa fuite rencontré les ennemis, il retourna sur ses pas ; il fut suivi, la brèche fut découverte, et le duc de Bourbon, résolu de forcer la ville par cet endroit, marcha à la tête des siens ; il fut jeté par terre à la première arquebusade, et expira; le prince d'Orange, qui était près de lui, fit couvrir son corps, pour ne point retarder l'ardeur des soldats. Sa trahison efface toutes ses vertus, et fait qu'on plaint moins ses malheurs.

Le Pape, qui était résolu de se sauver du château Saint-Ange, commença à respirer quand il sut la mort de Bourbon ; mais ses affaires

 

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n'en allèrent pas mieux. Philibert de Châlons, prince d'Orange, prit le commandement des troupes, et le jour même la ville fut forcée; il n'y eut cruauté ni insolence que n'exerçassent les Allemands, et les Espagnols aussi emportés qu'eux, jusqu'à traîner par les rues les prélats et les cardinaux, même ceux de leur nation, revêtus de leurs habits de cérémonie, pour plus grande dérision. La perte causée par le pillage fut inestimable, et il n'y eut maux que Rome ne souffrit, à la réserve de l'incendie. Il vint du secours de Florence, mais trop tard; la ville était déjà prise. L'armée des confédérés s'avançait, et le duc d'Urbain avait ordre des Vénitiens de tout hasarder pour dégager le Pape; ii n'en fit pas davantage pour cela, et se feignant trop faible, il se retira, sans même vouloir écouter le Pape, qui le priait d'attendre quelques jours pour lui donner le moyen de capituler. Ainsi une armée de plus de quinze mille hommes de pied demeura inutile.

Le vice-roi vint à Rome à la prière du Pape, et croyant avoir le commandement, il trouva le prince d'Orange déjà établi par les soldats, mais sans autorité. On ne pouvait les arracher du pillage, et le Pape resta plusieurs jours au château Saint-Ange en grande frayeur. Quelle horreur pour lui d'être exposé à la fureur des Allemands ! Enfin il fit son accord : Rence de Ceri et Langey. capitulèrent aussi, et sortirent avec armes et bagage ; mais on imposa au Pape de dures conditions.

Ce fut de payer des sommes immenses à divers termes fort courts, et de rendre le château Saint-Ange, la forteresse d'Ostie, et plusieurs autres places pour sûreté à ses ennemis. Il devait demeurer prisonnier au château Saint-Ange jusqu'au premier paiement, et après être transporté à Gaète ou à Naples, pour y attendre la résolution de l'empereur. Le Pape n'ayant pu trouver l'argent qu'il avait promis, il demeura au château Saint-Ange, à la garde du même Espagnol qui avait gardé François dans sa prison. Les soldats continuaient cependant à saccager Rome, qui fut deux mois entiers à leur merci. La plupart des villes cédées par le Pape ne voulurent pas se rendre; les Vénitiens s'emparèrent de Ravenne et de quelques autres places au nom de la ligue.

A Florence, le cardinal de Cortone, qui y commandait au nom du Pape, remit le gouvernement entre les mains du peuple, et se relira à Lucques. Les Florentins rétablirent les magistrats populaires, et rompirent les statues des Médicis. Quand l'empereur sut la nouvelle du sac de Rome, il usa de sa dissimulation ordinaire : il disait que Bourbon et Fronsberg avaient agi sans ses ordres, et faisait faire en Espagne des processions solennelles pour la liberté du Pape ; c'est ainsi qu'il amusait le peuple, et cependant il tenait de secrets conseils pour faire transporter le Pape en Espagne; mais les rois de France et d'Angleterre, qui avaient résolu d'agir contre l'empereur plus efficacement que jamais, après la détention du Pape, se liguèrent encore plus étroitement entre eux et avec les Vénitiens.

 

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Le roi d'Angleterre s'obstina à vouloir que Lautrec fût déclaré général de la ligue, contre le sentiment de François, qui le regardait comme un général aussi imprudent que malheureux, et contre celui de Lautrec même, qui n'espérait aucun bon succès, parmi tant de profusions que faisait François dans les choses inutiles. Pour concerter les moyens d'exécuter les desseins des deux rois, le cardinal d'York vint à Calais avec une suite plus que royale, et le roi s'étant rendu à Amiens, il fut arrêté qu'on enverrait de leur part offrir la paix à l'empereur, s'il rendait les enfants du roi pour deux millions d'écus, s'il mettait le Pape et ses pays en liberté, et l'Italie au même état qu'elle était avant que Charles VIII entrât dans le Milanais , mais l'empereur refusa ces conditions, et la paix fut jurée entre les deux rois le 8 août.

Peu après, Lautrec, quoiqu'il n'eût que la moitié de ses troupes, entra en Italie, où il prit le Bosco, place forte du Milanais, auprès d'Alexandrie : un peu après, la ville de Gènes, incommodée par les prises continuelles que faisaient André Doria et les galères françaises, se remit sous la puissance du roi, et Lautrec, après l'y avoir reçue, prit Alexandrie, que les confédérés l'obligèrent de rendre au duc de Milan ; il lui rendit aussi Vigève, puis ayant passé le Tessin, il marcha droit à Milan ; mais ayant appris qu'il y était entré du secours, il tourna court à Pavie, qu'il assiégea du côté du château, et l'armée vénitienne de l'autre.

Les Français, qui désiraient avec une ardeur excessive la prise de cette ville, pour effacer la honte de la bataille du Parc, précipitèrent l'attaque sans commandement, avant que la brèche fût raisonnable, et ils furent repoussés. Le lendemain la batterie ayant fait son effet, Lautrec emporta la ville d'assaut, et eut peine à empêcher qu'elle ne fût mise en cendres; mais il ne put empêcher le pillage ni les cruautés que firent les soldats, en vengeance de la prise de François, et de la perte des plus grands hommes de la France.

En ce même temps, Alphonse, duc de Ferrare, entra dans la ligue. Lautrec le gagna, sous promesse de lui faire rendre tout ce qu'il avait possédé, et de faire donner en mariage à Hercule d'Esté, son fils aîné, Renée fille de Louis XII. En l'état où étaient les choses, il était aisé de rétablir Sforce dans tout le Milanais, et même de prendre Milan, réduit à l'extrémité, sans qu'Antoine de Lève, dénué d'hommes et d'argent, pût la secourir; mais le légat du Pape voulait qu'on quittât tout pour aller vers Rome délivrer son maître, et Lautrec résolut de répondre à ses empressements. Sa marche et les menaces du roi d'Angleterre, qu se préparait à entrer dans les Pays-Bas, obligèrent enfin l'empereur à traiter de la délivrance du Pape, qui fut conclue le dernier octobre, à condition qu'il ne ferait jamais rien qui fût contraire aux intérêts de l'empereur : on exigea de lui plus de six cent mille ducats, et on l'obligea de donner des otages pour sûreté du paiement, avec quelques forteresses.

 

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L'empereur fît semblant de ne point prendre part à cette honteuse résolu lion, de mettre à rançon le père commun de la chrétienté, arrêté au préjudice d'une trêve; et on disait qu'on ne lui demandait de si grandes sommes, que pour contenter l'armée. Moron conseilla au Pape de tout signer, pourvu qu'il se retirât du château Saint-Ange, où il était exposé à toutes sortes de maux, même à la peste, qui, ayant infecté la ville, ne tarda pas à incommoder le château; car, quoiqu'il eût donné des otages, on retenait sa personne jusqu'à ce qu'il eût payé. A la fin les Espagnols ayant honte de sa longue détention, et craignant les approches de l'armée de France, qui s'avançait vers le royaume de Naples, reçurent ordre de l'empereur de mettre le Pape en liberté : mais ce pontife, appréhendant de nouvelles difficultés de la part du général Moncade, se déguisa en marchand, et la cavalerie espagnole le conduisit à Orviéte, où il entra sans aucune suite, la nuit du 9 décembre; il fallut payer sa rançon, dont les Espagnols profitèrent aussi bien que les Allemands, et pour faire trouver de l'argent, il consentit de vendre un chapeau de cardinal.

Aussitôt qu'il fut mis en liberté, Lautrec partit de Bologne, où il avait perdu beaucoup de temps pour entrer dans le royaume de Naples, avec une armée de trente mille hommes. On traitait durant tout ce temps de la paix générale, qui n'était plus arrêtée que parce que François voulait qu'aussitôt qu'il aurait donné au roi d'Angleterre des otages pour la retraite de ses troupes hors d'Italie, l'empereur rendit ses enfants; au contraire, l'empereur voulait que le roi retirât ses troupes, et il se chargeait de donner des otages au roi d'Angleterre; rien ne put vaincre la méfiance de ces deux princes, et enfin les deux rois se résolurent à déclarer la guerre à l'empereur par un héraut (1528).

Ils rappelèrent leurs ambassadeurs : l'empereur retint en Espagne celui du roi, qui en fit autant à celui de l'empereur. La déclaration de la guerre fut faite le 21 janvier. Comme Lautrec faisait des progrès extraordinaires dans le royaume de Naples, et que les villes se rendaient à lui dès qu'il en approchait de vingt à trente milles, les impériaux marchèrent sous les ordres du prince d'Orange pour s'opposer à ses desseins, et Lautrec les poussait toujours pour les obliger à un combat. Enfin ils se retirèrent partie dans Naples, partie dans Gaète, qui lurent les deux seules places qu'ils gardèrent dans tout le royaume ; et on remarque que tous ces pillards, enrichis par tant de sacrilèges, périrent presque tous en moins d'un an. La peste en emporta dans Rome plus des deux tiers, et il y en eut à peine deux cents qui réussirent à se sauver dans la suite de cette guerre. Au lieu de poursuivre les restes de cette malheureuse armée, Lautrec s'amusa à prendre Melphe, ville du royaume de Naples, dont le prince fut fait prisonnier. Cependant l'empereur ayant relâché l'ambassadeur de France, François

 

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voulut aussi renvoyer Antoine Perrenot, appelé depuis le cardinal de Granvelle, ambassadeur de l'empereur. Avant de le congédier, il voulut s'éclaircir avec lui d'une manière éclatante, sur certains discours que l'empereur avait tenus, se plaignant que le roi avait manqué de parole, et qu'il n'avait pas répondu à un appel qu’il lui avait lait. Sur cela François assembla dans la grande salle du palais tous les ministres des princes étrangers, avec tous les princes et seigneurs, en présence desquels étant revêtu de ses habits royaux, il dit à l’ambassadeur que l'empereur n'avait jamais eu de lui une parole qui pût valoir, puisque jamais il ne l'avait ni vu ni trouvé en aucun combat; que s'il voulait parler de sa prison, il déclarait qu'un prisonnier gardé ne pouvait être tenu à rien, et que jamais homme n'avait été plus rigoureusement gardé que lui, puisqu'étant au lit de la mort, on le tenait entre les mains de quatre ou cinq cents arquebusiers.

Comme l'empereur se glorifiait d'avoir fait un appel au roi, il déclara hautement qu’il n'en avait nulle connaissance, et de peur que son procédé ne fût sujet à pareil reproche, il fit lire un cartel de défi qu’il faisait à l'empereur, dont voici les termes principaux.

« Nous François, par la grâce de Dieu, roi de France et seigneur de Gènes, à vous Charles, par la même grâce, élu empereur de Rome et roi des Espagnes, savoir faisons : qu'étant avertis que vous vous vantez d'avoir notre foi et promesse, sous laquelle nous sommes sortis de votre puissance, encore qu’il sait notoire qu'un homme gardé n'a point de foi à obliger; nous ajoutons de plus qu'autant de fois que vous avez dit et direz que nous avons manqué de parole, ou fait chose indigne d'un gentilhomme aimant son honneur, vous avez menti par la gorge, et mentirez; sur quoi vous n'avez rien à nous écrire, mais seulement à nous assurer le camp où. nous vous porterons les armes, protestant que tout ce que vous direz contre notre honneur, aussi bien que le délai du combat, tournera à votre honte. » Cet écrit est daté du 28 mars 1527. (C'est 1528, selon notre usage présent; mais alors en France l'année commençait à Pâques.)

Après la lecture de l'écrit, le roi reprit son discours, et continua ses reproches contre l'empereur; premièrement sur la détention du Pape, où ce prince faisait semblant de ne prendre aucune part; mais le roi fit voir que c'était trop grossièrement abuser le monde, puisque, loin de châtier ses gens qui avaient commis un tel attentat, il leur avait permis de tirer rançon du vicaire de Jésus-Christ, et avait réduit le saint Père à une telle extrémité, qu’il avait été contraint de vendre jusqu'aux bénéfices, chose horrible à dire, principalement en nos jours, disait François, où il court tant d'hérésies ; il ajouta sur ses enfants, que l'empereur se vantait de tenir en son pouvoir, que c'était là sa grande douleur, de les voir entre les mains d'un prince qui exigeait pour leur délivrance de plus dures conditions que celles qu'avaient exigées les infidèles des rois ses prédécesseurs, lorsqu'ils avaient été leurs prisonniers;

 

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mais que le désir qu'il' avait de délivrer ses enfants ne l'obligerait jamais de manquer à ses alliés; et parce que l'empereur reprochait au roi d'empêcher les chrétiens de s'unir contre les Turcs, il répondit qu'encore qu'il n'eût point le Turc sur les bras, comme l'avait l'empereur dans la Hongrie et sur les frontières d'Autriche, il serait toujours plus prêt à repousser cet ennemi de la chrétienté, que ne serait l'empereur. Ce prince dit ensuite quelque chose du roi d'Angleterre, qu'il appela toujours son bon frère et perpétuel allié j et l'ambassadeur ayant refusé de se charger d'aucune parole, sur ce qu'il était sans pouvoir, François envoya porter le défi à Charles par un héraut: l'empereur en renvoya un pour faire réponse, à peu près sur le même ton, mais sans rien conclure; de sorte que ces procédés n'aboutirent qu'à faire du bruit inutilement.

Lautrec continuait à s'avancer dans le royaume de Naples, quoique l'argent lui manquât : il se plaignait que les bâtiments et les plaisirs du roi épuisaient toutes les finances. Il amassait des vivres de toutes parts pour nourrir une armée immense, mais dont les deux tiers étaient inutiles. Il était déjà maître de tout le pays et de toutes les places, et enfin le premier mai il arriva devant Naples, où il mit le siège ; huit galères, commandées parle comte Philippin Doria, l'y vinrent joindre; elles furent détachées d'une armée navale que le roi avait envoyée dans le même temps en Sicile, dans l'espérance que ce royaume lui serait livré par intelligence.

André Doria, oncle de Philippin, et Rence de Ceri, commandaient la flotte qui s'approcha de la Sicile, selon le projet, dans le temps que Lautrec arriva à Naples ; mais la tempête la jeta dans l'île de Corse, d'où elle passa en Sardaigne pour avoir des vivres. Le vice-roi s'y étant opposé, elle prit Sassari d'assaut; mais la maladie se mit dans l'armée, et la mésintelligence parmi les chefs. Rence de Ceri et Doria entrèrent dans d'extrêmes jalousies l'un contre l'autre ; il fallut revenir à Gênes, d'où l'on envoya à Naples le comte Philippin, pour fermer le port du côté de la terre.

Lautrec ayant fortifié quelques postes principaux autour de la place, elle se trouva pressée. Le dessein était de la prendre par famine plutôt que par force, et les ennemis de leur côté n'oubliaient rien pour s'ouvrir les passages par mer et par terre; repoussés à diverses fois devant les forts, ils espéraient de mieux réussir en attaquant les galères.

Le petit nombre que nous en avions donna lieu à cette espérance. Les Vénitiens, qui avaient promis d'y joindre les leurs, étaient occupés à prendre quelques villes maritimes qui leur étaient cédées par le traité. Ainsi Hugues de Moncade, vice-roi de Sicile, et qui après la mort de Lannoy l'était encore de Naples par provision, se crut assez fort pour battre Philippin, pourvu qu'il le pût surprendre. Il n'avait que six galères et quatre autres moindres vaisseaux ; mais pour intimider

 

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l'ennemi, il fit suivre quantité de bateaux de pêcheurs à vide. Tout le succès dépendait du secret ; mais Lautrec fut averti du dessein par les intelligences qu'il avait à Naples; car il restait dans cette ville beaucoup de bourgeois de la faction angevine, fort affectionnés à la France. Lautrec donna l'avis à Philippin, et lui envoya quatre ou cinq cents arquebusiers.

A l'abord de Moncade, Philippin fut surpris du grand nombre devais-seaux, et l'attaque des ennemis fut vigoureuse ; les arquebusiers la soutinrent, et Philippin ayant reconnu la tromperie, fondit avec cinq galères sur les ennemis ; il en détacha trois autres pour les prendre en flanc, et arma une grande partie des forçats, promettant la liberté à tous ceux qui prendraient un ennemi pour mettre à leur place. Son artillerie fit un effet prodigieux. Moncade, ayant eu le bras percé d'un coup d'arquebuse, mourut pendant l'action ; deux de ses galères furent coulées à fond, il y en eut deux de prises, une cinquième se rendit après le combat.

Les ennemis y perdirent l'élite de leur armée, le marquis du Gast fut pris avec beaucoup de gens de qualité, et après un tel malheur, il s'en fallut peu que Naples ne perdît courage. Les vivres commencèrent à y manquer, la peste suivit la famine, et la place était de tous côtés menacée de sa ruine. Lautrec, plein de confiance, commença à se négliger ; il avait intercepté une lettre du prince d'Orange, où il marquait à l'empereur qu'il n'y avait de vivres que pour six semaines, et que n'ayant point d'argent pour payer la montre courante, la révolte des Allemands était infaillible. Sur cette assurance, il dispersa la cavalerie en divers quartiers pour lui faciliter les moyens de vivre, il ne songea pas que les ennemis eurent par là occasion non-seulement d'en défaire un grand nombre, mois encore de faire entrer de petits convois dans la place, et même d'empêcher les vivres d'arriver dans notre camp; la maladie s'y mit aussi. Les ennemis infectèrent les fontaines et les citernes, et l'armée diminuait tous les jours.

Cependant et l'empereur et le roi résolurent dans le même temps d'envoyer du secours à leurs gens. Le duc de Brunsvick amenait en Italie douze mille lansquenets, avec six cents chevaux : François, comte de Saint-Pol, de la maison de Bourbon, devait s'opposer à cette armée avec quatre cents lances, cinq cents chevaux, et neuf mille hommes de pied; mais le comte se préparait encore à partir de France, quand les Allemands arrivèrent dans le Milanais. Ils y trouvèrent Antoine de Lève, plein de grandes espérances par la prise qu'il venait de faire de Pavie. Ils se joignirent à lui pour assiéger Lodi, d'où ils furent repoussés, et ils s'en retournèrent en leur pays sans rien faire davantage. On dit que l'empereur les laissa exprès manquer d'argent, et qu'il s'était repenti d'avoir envoyé au secours de Naples le duc de Brunsvick, qui avait des prétentions sur ce royaume du côté de son bisaïeul, comme donataire de la reine Jeanne sa femme. En

 

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même temps que les Allemands se reliraient, le comte de Saint-Pol entrait en Piémont, et la flotte vénitienne de vingt-deux galères, arriva au golfe de Naples, après avoir pris Brinde et Ottrante.

Pendant que les affaires paraissaient en si bonne disposition pour la France, elles changèrent tout d'un coup par la défection d'André Doria. Il avait de grands mécontentements, et dans ses démêlés avec Rence de Ceri, il avait trouvé la Cour peu favorable; il ne plaisait point aux favoris, dont il ne voulait point dépendre. Ainsi ils étaient toujours à chercher des occasions de le faire passer dans l'esprit du roi pour un homme pointilleux et difficile. Au surplus, ils lui donnaient de grandes louanges, afin que le blême fût moins suspect. Cependant, comme il n'y avait rien de plus important pour les affaires d'Italie que de le maintenir dans le service, Lautrec envoya Langey pour représenter au roi que c'était tout perdre que de mécontenter Doria, sans qui il n'y avait rien à espérer du côté de Naples. On fit peu de cas de cet avis. Doria était touché des misères de son pays qu'on ruinait; on faisait accommoder le port de Savone pour y transporter le commerce, et l'ôter tout à fait à Gênes; on avait aussi ôté à cette ville la gabelle du sel, qui faisait un de ses meilleurs revenus.

Doria faisait instance auprès du roi pour l'obliger à donner satisfaction à son pays; pour lui il demandait seulement qu'on lui fit raison de la rançon de quelques prisonniers d'importance qu'il avait faits, et de ce qui lui était dû. pour l'entretien de ses galères. L'intérêt du maréchal de Montmorency, à qui le roi avait donné l'impôt du sel à Savone, fit rejeter ses propositions. Le chancelier, ami du maréchal, les éluda toutes, et pendant qu'on le traitait si mal à la Cour, le marquis du Gast, qu'il tenait prisonnier, n'oubliait rien pour l'aigrir. Doria, sous prétexte qu'on lui avait ôté ses prisonniers, s'était servi de ceux qu'on avait pris à la dernière bataille navale, et entre autres du marquis, qui ne songeait qu'à le détacher des intérêts de la France; les nouvelles qu'il eut de la Cour achevèrent de le déterminer.

Au lieu de le satisfaire, on nomma pour commander sur la mer de Levant, Barbezieux, cadet de la maison de La Rochefoucauld, homme de cœur, mais sans expérience et sans crédit parmi les troupes, à qui on donna des ordres secrets de se saisir non-seulement des galères de Doria, mais encore de sa personne, s'il le pouvait. Ses ordres ne purent être si cachés, que Doria n'en eût l'avis; et il conclut aussitôt son traité avec l'empereur, par l'entremise du marquis du Gast, à condition que Gênes serait remise en pleine liberté sous la protection de l'empereur, Savone rendue aux Génois, et lui entretenu avec douze galères, à soixante mille ducats de pension.

Quand Barbezieux arriva à Gênes, il lécha vainement de surprendre Doria, trop averti de ses desseins; mais un peu après le comte Philippin, qui par ordre de son oncle laissait entrer des vivres dans Naples, s'en retira tout à fait, et les galères de Venise, dépourvues de biscuit,

 

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furent obligées dans le même temps d'en aller charger vers la Calabre, de sorte que le port de Naples demeura libre. L'armée navale de France ne tarda pas à y aborder; mais elle n'amena à Lautrec qu'un faible secours, et la place ravitaillée ne craignit plus de périr sitôt par la famine.

Cependant la maladie ravageait l'armée de Lautrec ; lui-même fut frappé, et les affaires allaient tous les jours en dépérissant ; nos troupes, diminuées par la peste, achevaient de sembler par le travail prodigieux que demandait la garde du camp. Le circuit en était si grand, qu'il fallait que toute l'armée, sans excepter les malades, fût toujours en armes. Les Vénitiens retournèrent si mal pourvus, qu'ils furent contraints de laisser le port dégarni pour aller chercher à vivre.

Au milieu de tant de maux, on ne put persuader à Lautrec de lever le blocus pour rafraîchir ses troupes dans les pays voisins qui étaient à lui. il s'était vanté au roi d'obliger la ville de se rendre à discrétion, et plutôt que de changer, il se flattait de vaines espérances. De peur de l'accabler tout à fait pendant sa maladie, on n'osait lui rapporter le triste état de l'armée. Enfin, comme il commença à se mieux porter, il força deux pages à lui dire ce qui se passait. il apprit que le camp n'était plus qu'un cimetière; il en eut le cœur si serré, que son mal reprit sa force, et l'emporta.

Un grand nombre de seigneurs, et entre autres le comte de Vaudemont, périrent de la même sorte, et le marquis de Saluces prit la charge de ces troupes ruinées; il ne fut pas longtemps sans tomber lui-même malade. La plupart des officiers l'étaient aussi; il restait à peine cent hommes d'armes, de huit cents qui avaient commencé le siège, et vingt-cinq mille hommes de pied se trouvaient réduits à quatre mille. Les ennemis cependant ne s'oubli aient pas; ils prirent Capoue et Noie, d'où les vivres venaient aux François. Il fallut enfin lever le siège. Pierre de Navarre, ayant été pris dans la retraite, mourut à Naples, et ce fut un grand bonheur au marquis de se retirer sans grande perte dans Averse. Il y fut bientôt assiégé, et contraint de se rendre à discrétion le 30 d'août, avec tous les officiers; il fut transporté à Naples, où il mourut peu de temps après.

Les affaires allaient d'abord un peu mieux dans le Milanais. Le comte de Saint-Pol s'était joint avec le duc d'Urbain, et avait repris Pavie; mais la peste était si furieuse à Gènes, que la garnison l'avait abandonnée, en sorte que Théodore Trivulce, qui en était gouverneur, fut contraint de se retirer au château.

Comme Doria était averti de ce qui s'y passait, il ne tarda pas à s'y rendre, et y étant reçu sans résistance., il rendit le gouvernement à la noblesse, content de vivre en sa maison en simple particulier, après avoir mérité le titre de Libérateur de sa pairie. On dit que le désir qu'eut Trivulce de sauver son argent, l'obligea à rendre trop tôt le château, et il est certain d'ailleurs que le comte de Saint-Pol, dont l'armée

 

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diminuait tous les jours, faute d'argent, n'osa approcher de Gênes. Tout ce qu'il fit, fut de jeter dans Savone quelque secours qui ne la défendit pas longtemps. Les Génois la prirent, comblèrent le port, et rasèrent les murailles.

L'hiver empêcha Saint-Pol de faire aucune entreprise (1520). Au printemps suivant les confédérés firent des projets inutiles sur Milan, et le comte de Saint-Pol lâcha de reprendre Gênes. Comme il marchait dans ce dessein, le débordement d'un torrent, enflé d'une pluie soudaine, l'obligea à passer un jour à Landriane, où Antoine de Lève le vint surprendre. Il fut abandonné parles siens, et fait prisonnier; un petit reste de son armée se réfugia à Pavie. Les Espagnols, maîtres du pays, reprenaient tous les jours de nouvelles places, et les confédérés demeurèrent sans espérance.

Durant tout ce temps on faisait de grandes négociations pour la paix. La duchesse d'Angoulême, et Marguerite d'Autriche, tante de l'empereur, gouvernante des Pays-Bas, s'étaient rendues à Cambray pour la traiter, vers la fin du mois de mai, et le Pape, qui voyait les affaires des confédérés ruinées, travaillait de toute sa force à se concilier l'empereur, dont il prétendait se servir pour établir à Florence la domination de sa maison : une conjoncture importante lui donna un puissant moyen de gagner ce prince.

Le roi d'Angleterre s'était dégoûté de Catherine d'Aragon sa femme, tante maternelle de l'empereur, et le cardinal de Volsey lui avait mis dans l'esprit qu'il pouvait faire dissoudre ce mariage. Sa raison était que Catherine, veuve d'Arthus, frère aîné de Henri, n'avait pu devenir la femme du cadet, et que la dispense que le Pape avait donnée pour ce mariage était nulle, comme accordée au préjudice des lois divines. Ce fondement est si faux, que même la loi de Dieu ordonne en certains cas à un frère d'épouser la veuve de son frère. Cependant le cardinal flattait par cette raison la passion de son maître ; il contentait aussi la sienne propre, en prétendant marier avec Henri, Marguerite, sœur de François, et en obligeant le roi à se venger de l'empereur, qui avait changé en mépris l'extrême considération qu'il avait eue autrefois pour lui. Henri avait d'autres pensées, et son dessein était d'épouser Anne de Boulen, fille d'honneur de sa femme, dont il était devenu éperdument amoureux; mais il se gardait bien de découvrir d'abord cette pensée, qui aurait trop souffert de contradiction. Il faisait semblant d'entrer dans les sentiments de son favori pour la France, et il pressa le Pape de lui donner des commissaires pour examiner la validité de son mariage.

Les affaires des confédérés étaient alors florissantes, et le Pape était disposé par cette raison à favoriser le roi d'Angleterre; ainsi il lui donna pour commissaire son propre ministre, le cardinal de Volsey, avec quelques autres prélats de son royaume. Il fit plus, il donna au cardinal Campège son légat, une bulle qu'il pourrait montrer au roi d'Angleterre

 

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pour dissoudre son mariage, avec défenses toutefois de la délivrer sans un nouvel ordre signé de la main du Pape; mais quand l'empereur eut repris le dessus, il changea bien de manière; il ordonna au cardinal de brûler la bulle, et évoqua l'affaire à Rome, résolu de favoriser l'empereur, autant que ce prince entrerait dans ses intérêts. C'est ainsi que ce Pape intéressé faisait servir à la politique les affaires de la religion.

Cependant la passion du roi d'Angleterre pour Anne de Boulen s’augmentait tous les jours. Cette maitresse impérieuse l'aigrit contre le cardinal de Volsey, à qui il se prit de ce que la bulle avait été brûlée; il le chassa de la Cour. Le chagrin que lui causa sa disgrâce, lui fit perdre peu de temps après la vie, et l'Angleterre se réjouit de voir périr misérablement le plus superbe des favoris.

L'empereur, qui se regardait comme insulté personnellement par le dessein que le roi d'Angleterre avait formé contre la reine sa femme, prit le parti de rechercher l'amitié du Pape, dont l'autorité donnait le branle aux affaires d'Italie : ce prince lui fit offrir des conditions fort avantageuses. Il promettait de rétablir les Médicis dans Florence, et de donner Marguerite, sa fille naturelle, avec une grande doté Alexandre, fils de Laurent de Médicis, à qui le Pape destinait la puissance séculière de sa maison. Il s'engageait aussi à faire rendre au saint Siège Ravenne, Modène, Regge, et quelques autres places importantes : en reconnaissance de quoi le Pape accorda l'investiture de Naples à l'empereur, et réduisit le cens annuel dû au saint Siège par les rois de Naples, à six mille ducats par an.

Pendant que ce traité se négociait, la mère du roi et la tante de l'empereur avançaient en grand secret à Cambray les affaires de la paix. Marguerite se cachait du Pape, avec qui son neveu irai toit, et la duchesse d'Angoulême avait encore plus d'intérêt à se cacher des alliés, que le roi tâchait de tenir en bonne disposition, en leur proposant toujours de nouveaux desseins de guerre. Enfin, après beaucoup de difficultés, la paix fut conclue par l'entremise du Pape. Le roi payait à l'empereur deux millions d'or pour la rançon de ses enfants, et acquittait l'empereur envers le roi d'Angleterre des grandes sommes que lui devait la maison d'Autriche; il promettait d'épouser Eléonore, sœur de l'empereur, et de donner le duché de Bourgogne au fils qui naitrait de ce mariage. Il renonçait à la souveraineté de Flandre et d'Artois, et à son droit sur Naples, sur Milan et sur Salins. La politique d'Espagne n'oublia pas les héritiers de Charles de Bourbon, à qui il fut stipulé qu'on rendrait les biens de ce prince.

François n'eut pas les mêmes égards pour les barons de Naples qui avaient suivi son parti ; il n'en fit nulle mention dans le traité : il y comprit à la vérité les Vénitiens et les Florentins, à condition cependant qu'ils régleraient leurs différends avec l'empereur, ce qui au fond ne disait rien; pour Sforce, il demeura abandonné. Voilà à quoi fut réduit

 

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un roi si puissant et si généreux, moins par le malheur de ses affaires, que par le désir de revoir ses enfants, qui étaient captifs depuis si longtemps.

Ce traité, signé vers la fin du mois de juillet, demeura secret, de concert entre les deux princesses, qui voulaient empêcher les nouveaux desseins que cette paix pourrait faire prendre aux intéressés. Les articles furent publiés le septième août, au grand déplaisir des confédérés, dont le roi durant quelques jours évitait les ambassadeurs : il fit ce qu'il put pour les apaiser par des promesses en l'air, dont aussi ils parurent peu satisfaits, surtout le roi d'Angleterre, qu'on avait grand intérêt de ménager; car on s'obligeait par le traité à lui payer cinq cent mille écus, sans qu'on sût sur quoi les prendre, et le roi ne s'y était engagé que dans l'espérance que le roi d'Angleterre ne presserait pas le paiement. C'était une chose assez difficile à obtenir, et Langey fut chargé d'une négociation si embarrassante : il y réussit pourtant, parce qu'il sut entrer avec lui dans l'affaire de son mariage.

Langey était homme de lettres; elle roi d'Angleterre savait qu'il était considéré dans les universités de France, d'Italie et d'Allemagne. Il crut donc qu'il obtiendrait aisément par son moyen, des consultations favorables pour son affaire, d'autant plus que Langey lui en apportait par avance, sous noms empruntés, qui furent à son gré, et le gagnèrent tellement, que non-seulement il donna terme de cinq ans pour le paiement, mais il fit encore présent à Henri d'Orléans son filleul, d'une fleur de lis d'or, que le père de l'empereur lui avait engagée pour cinquante mille écus.

L'empereur s'était cependant rendu à Gênes. Il avait un grand désir de recevoir la couronne impériale de la main du Pape, et de se montrer à l'Italie, où ses victoires l'avaient rendu si glorieux et si redoutable. Il crut que sa présence achèverait d'y établir son autorité; ainsi il n'eut pas plutôt fait son accord avec le Pape, qu'il se résolut à partir.

Il reçut à Gênes une ambassade des Florentins, contre lesquels il avait donné des ordres fâcheux au prince d'Orange, moins pour satisfaire le Pape, que pour ruiner les plus fidèles alliés de la France. Le prince devait les assiéger avec toute l'armée impériale, et quoiqu'ils fussent résolus de se bien défendre, ils tâchèrent auparavant d'apaiser l'empereur; mais il refusa audience à leurs ambassadeurs, jusqu'à ce qu'ils eussent reçu la bénédiction du Pape. Le roi exécutait ponctuellement le traité de Cambray, et faisait rendre les villes de la Pouille, que Rence de Ceri tenait encore.

Les Vénitiens virent bien alors qu'il n'y avait plus rien à faire du côté de Naples, et ils retirèrent leur armée navale pour distribuer leurs troupes dans les villes de Lombardie. Ils tirèrent parole de Sforce, qu'il ne s'accorderait pas sans eux; mais le duc un peu après perdit Pavie, et demeura si faible, qu'à peine lui resta-t-il aucune espérance. Environ dans le même temps, Pérouse fut rendue au prince d'Orange.

 

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Tout cédait à l'empereur, et le fardeau de la guerre allait tomber tout entier sur les Florentins. Ils furent assièges par le prince d'Orange, et abandonnés par François, eu qui ils avaient mis leurs espérances.

On croit qu'il y fut porté par le chancelier, qui en obtint du Pape pour sa récompense le chapeau de cardinal, qu'il avait jusqu'alors inutilement poursuivi. L'empereur s'occupait en Italie à négocier avec le Pape et avec les autres potentats, pendant que son frère Ferdinand perdait les plus belles villes de la Hongrie, sous prétexte de secourir le roi Jean. Soliman s'était rendu maître de Cinq-Eglises, de Bude, d'Albe-Royale et d'Altembourg. Il assiégea Vienne en Autriche avec une armée immense, sans que l'empereur se remuât pour défendre ni le royaume de son frère, ni les pays héréditaires de sa maison. Il se fiait au bon état de la place, et à la valeur de Philippe, comte palatin du Rhin, qui la défendait. Celle conjoncture servit au Pape et aux princes d'Italie à mieux ménager leurs intérêts, et la négociation était déjà fort avancée, quand on sut que Soliman, après un mois d'attaque opiniâtre, avait été contraint de lever le siège avec perte de soixante mille hommes. Il menaçait de retourner bientôt avec de plus grandes forces.

L'empereur, heureux partout, alla à Bologne, où le Pape le couronna avec la même solennité que s'il avait été à Rome. Il fit la paix des Vénitiens et de Sforce. Ce malheureux duc fut obligé de se reconnaître coupable, et d'implorer à genoux la clémence de l'empereur, à qui il fallut promettre des sommes immenses, que les Milanais, tout épuisés qu'ils étaient, trouvèrent moyen de fournir, tant ils avaient en horreur la domination étrangère; ainsi il fut rétabli.

Les Vénitiens rendirent Ravenne et Cervie au saint Siège, et tous les ports de la Pouille à l'empereur, qui fil ligue avec eux, avec le Pape et avec le duc de Milan, pour la défense de l'Italie. Après cette paix conclue, il passa enfin en Allemagne, pour chercher quelque remède aux maux extrêmes dont la menaçaient et le Turc et l'hérésie de Luther, qui faisait de si grands progrès qu'elle semblait devoir bientôt être la maîtresse. Il laissa ordre en partant d'employer contre Florence toute son armée d'Italie, qui désormais n'avait pins que cette affaire.

Les Florentins se défendaient au delà de toute espérance, et François, qui les avait abandonnés, ne songeait qu'à délivrer ses enfants. Il alla dans ce dessein à Bordeaux, avec la somme destinée à leur rançon, qu'il avait ramassée avec une peine extrême. Le maréchal de Montmorency, grand-maître de France, se rendit à Baronne le 10 mars 1530, pour faire l'échange des princes, qui à peu près dans le même temps avaient été amenés à Fontarabie; mais il y eut des difficultés qui durèrent près de quatre mois; enfin l'argent fut compté. On donna au connétable de Castille tous les papiers concernant les souverainetés de Flandre et d'Artois. Les princes furent échangés au milieu de la

 

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rivière de Bidassoa. La reine Eléonore fut amenée, et le roi l'épousa près Mont-Marsan, où il s'était avancé pour la recevoir.

En ce même temps, François et Henri firent quelques tentatives auprès de l'empereur, pour l'accommodement des Florentins. L'entremise de deux si grands rois leur fut inutile. Un grand secours qui leur venait fut défait par le prince d'Orange; mais il fut tué dans le combat, et Ferrand de Gonzague, marquis de Mantoue, eut ordre d'achever le siège. Le roi cependant jouissait d'un repos qu'il n'avait jamais goûté depuis le commencement de son règne ; car il n'avait vu que des guerres presque toujours malheureuses, et sa prison, dont il n'avait été délivré que par celle de ses enfants, lui avait causé des chagrins qu'on peut aisément imaginer.

Il avait le plaisir de revoir ces aimables princes, dont il avait été privé durant quatre ans, et son nouveau mariage donnait lieu à des magnificences extraordinaires. Il mêlait à ces plaisirs celui des belles-lettres qui lui était naturel ; car quoiqu'il n'eût pris dans sa jeunesse qu'une teinture assez légère des études, il avait acquis depuis beaucoup de belles connaissances, par les discours des habiles gens à qui il donnait grand accès auprès de sa personne, et qu'il prenait plaisir d'élever : ainsi les sciences fleurirent de son temps. Il s'appliqua à les cultiver, principalement pendant la poix, en appelant de tous côtés les plus célèbres professeurs, à qui il donnait des appointements magnifiques, surtout à ceux de la langue sainte et de la langue grecque, les plus belles et les plus utiles de toutes les langues. Il enrichit aussi beaucoup sa bibliothèque : ses libéralités s'étendirent bien loin hors de son royaume ; tellement que tous les gens de lettres de l'Europe louaient à l'envi la générosité de François, qu'ils appelaient d'une commune voix le père et le restaurateur des sciences; et à peine les victoires même l'auraient-elles rendu plus célèbre qu'il le fut parmi ses malheurs.

Il était malaisé que la paix fût stable entre les deux princes. Les vastes prétentions de Charles, son bonheur, sa puissance, sa profonde dissimulation ne laissaient guère de repos à François. Il ne pouvait souffrir que l'empereur lui détachât tous les jours quelques-uns de ses alliés. Il avait perdu le duc de Savoie, que le sang lui rendait si proche, l'empereur ayant donné à ce duc le comté d'âst pour sa ré compense. François était indigné de voir entre les mains d'un ennemi presque déclaré l'héritage de ses enfants. Il voyait de plus quelques-uns de leurs domestiques, qui les avaient servis pendant leur prison, retenus en galère, sans que l'empereur voulût les relâcher, et il n'ignorait pas les pratiques que faisait Ferdinand pour rompre l'alliance des Suisses avec la France; de son côté il ne manquait pas de moyens de nuire à l'empereur, et l'état des affaires d'Allemagne lui en fournissait des occasions favorables.

Au sortir d'Italie, Charles s'était rendu à Augsbourg, où la diète de

 

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l'empire était convoquée. Les luthériens s'y trouvèrent en grand nombre : là fut présentée à l'empereur, au nom des princes et des villes de leur parti, leur confession de foi, appelée pour cette raison la Confession d'Augsbourg. Les zwingliens présentèrent aussi celle que Zwingle leur avait dressée. Il avait commencé à prêcher de nouveaux dogmes en Suisse, en même temps que Luther troubla l'Allemagne, mais il différait d'avec lui sur le point de l'Eucharistie, où Zwingle croyait le corps de Jésus-Christ présent seulement en figure et eu vertu, au lieu que Luther le tenait présent réellement et en substance, niant seulement la transsubstantiation, c'est-à-dire, que le pain soit changé au corps de Jésus-Christ. Dieu permit cette division entre les ennemis de l'Eglise, pour affaiblir leur parti.

Carlostad, autrefois maître de Luther, et devenu son disciple depuis qu'il avait dogmatisé, avait abandonné son sentiment pour suivre celui de Zwingle, et il avait eu plusieurs luthériens pour sectateurs; mais ceux de la Confession d'Augsbourg étaient demeurés sans comparaison les plus forts, et ils se rendaient tous les jours plus redoutables.. Ils prirent le nom de protestants, parce qu'ils protestèrent contre les décrets d'une diète tenue à Spire.

Les catholiques, qui les voyaient s'agrandir, se liguèrent contre eux dans une assemblée faite à Nuremberg, et vers la fin de l'année, l'empereur commença à se déclarer sur le dessein qu'il avait conçu de faire élire son frère Ferdinand, roi des Romains, afin d'avoir un autre lui-même en Allemagne, pendant que tant de royaumes qu'il avait à gouverner l'appelaient ailleurs.

Tout cela fit trembler les protestants, qui s'assemblèrent aussitôt après à Smalcalde, où ils se liguèrent pour défendre leur religion, et empêcher, disaient-ils, les entreprises de l'empereur sur la liberté germanique. Cette ligue était composée des princes de Saxe, de Lunebourg, d'Anhalt et de liesse, tous luthériens. Les villes de leur religion, des plus puissantes de l'empire, y étaient entrées, et les ducs de Bavière, quoique catholiques, y avaient été attirés par l'intérêt commun des princes de l'empire, persuadés qu'ils étaient que la maison d'Autriche les opprimerait tous sans peine, en s'approprient l'empire comme héréditaire, à quoi elle tendait ouvertement.

Les princes n'eurent pas plutôt conclu leur ligue, qu'ils envoyèrent à François, pour lui demander sa protection, sans entrer avec lui dans l'affaire de la religion ; ils lui représentaient seulement qu'il était digne de lui de les aider à sauver les restes de la liberté de l'empire, et de s'opposer à un prince qui, s'établissent en Allemagne une puissance sans bornes, s'ouvrait manifestement le chemin à la monarchie universelle ; mais parmi ces difficultés qu'on suscitait à l'empereur, il ne laissait pas d'avancer toujours ses desseins. Ce fut en vain que les princes de la ligue de Smalcalde écrivirent aux électeurs que pour faire un roi des Romains il fallait le consentement de tout l'empire.

 

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ils étaient déjà gagnés, et malgré les oppositions du duc de Saxe, l'élection de Ferdinand passa le 5 janvier, de l'avis de tous les autres électeurs.

Les princes sentirent bien qu'après une action si hardie (1511), l'empereur ne tarderait pas à marcher contre eux, et ils sollicitèrent François de se déclarer. La formidable puissance de la maison d'Autriche fit qu'il écouta les propositions, résolu toutefois de ne rien faire contre le traité de Cambray ; et afin de n'oublier rien pour entretenir la paix, il souffrit que la reine Eléonore sa femme, avec la duchesse d'Angoulême sa mère, négociassent secrètement une entrevue entre l'empereur et lui, où l'on chercherait les moyens de les unir par une ferme alliance.

Le roi la désirait plus qu'il ne l'espérait, et à vrai dire, les deux princes ne songeaient qu'à s'amuser l'un l'autre par cette négociation, pendant que chacun de son côté tâchait de se faire de nouveaux amis. Durant ce temps l'empereur se préparait à aller à Ratisbonne tenir la diète qu'il y avait indiquée; et comme les princes de la ligue voyaient bien qu'il y ferait prendre des résolutions extrêmes contre eux, ils pressèrent tellement le roi, qu'il se résolut à conclure, ll avait un homme en Allemagne qui ménageait cette affaire; mais il était trop' uni avec le roi d'Angleterre pour la finir sans la participation de ce prince, à qui la ligue avait aussi député; il le trouva disposé à faire plus qu'il ne voulait.

Le roi d'Angleterre voyait bien que l'empereur ne lui pardonnerait jamais l'affront qu'il lui faisait, en répudiant sa tante; et quoiqu'il eût autrefois écrit contre Luther, il haïssait un peu moins les luthériens, depuis les sujets de plaintes qu'il croyait avoir contre le Pape. Ainsi il voulait qu'on fit une ligue offensive et défensive avec les princes de Smalcalde, et on avait peine à le réduire an sentiment de François, qui n'en voulait faire qu'une défensive.

L'ambassadeur de l'empereur eut vent de cette menée, et en fit ses plaintes au roi, qui répondit qu'il garderait inviolablement les traités; mais que pour prendre plaisir à obliger son maitre, il lui en donnait trop peu de sujet : ainsi il dépêcha Langey en Allemagne, avec ordre de déclarer aux princes qu'il était prêt de les secourir s'ils étaient attaqués, et qu'au reste il n'avait tardé à s'expliquer avec eux que dans l'espérance d'attirer le roi d'Angleterre dans ses sentiments.

La liaison que François prenait avec les princes de la ligue, invita Jean, roi de Hongrie, à rechercher, à leur exemple, la protection de la France, par une ambassade solennelle. François crut que, sans violer la paix de Cambray, et sans rompre avec la maison d'Autriche, il pouvait faire le mariage de ce prince avec la sœur du roi de Navarre, et lui payer argent comptant une dot considérable, qu'il lui serait libre d'employer à se défendre. Des affaires si importantes qui se tramaient contre l'empereur, l'obligèrent d'envoyer de Ratisbonne, où il tenait

 

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la diète, le marquis de Balancera, pour prier François de prêter ses galères, sa gendarmerie, et de grandes sommes d'argent qui le missent en état de résister au Turc, dont les mouvements menaçaient la Hongrie; que la maison d'Autriche ferait le reste, et qu'elle espérait opposer à Soliman une armée de gens de pied du moins aussi forte que la sienne.

Son intention était de rejeter sur François la haine de l'invasion du Turc, s'il refusait ce secours, ou de l'épuiser d'hommes et d'argent s'il était assez facile pour l'accorder. François répondit avec hauteur, disant qu'il n'était pas banquier ni marchand, pour ne faire que fournir de l'argent, mais prince chrétien, qui dans une telle affaire voulait bien avoir sa part dans le péril, pourvu qu'on lui en donnât dans la gloire; que son armée de mer était destinée à garder ses côtes, et que pour sa gendarmerie, qui était la force de son royaume, qu'elle ne marchait point qu'il ne fût lui-même à la tête; qu'au reste, il voyait bien par les discours de l'ambassadeur, que l'Allemagne, munie d'une armée aussi puissante que celle dont-il lui avait parlé, n'aurait pas besoin de secours ; de sorte qu'il valait bien mieux garder l'Italie abandonnée, ce qu'il offrait de faire avec cinquante mille combattants, et de conduire encore de plus grandes forces partout où il serait besoin, avec son bon frère le roi d'Angleterre.

Il savait bien que l'empereur n'aurait garde d'accepter ses offres; mais il voulut opposer artifice à artifice, et faire une réponse aussi captieuse que la proposition. L'empereur s'en servit pour persuader aux Allemands que le roi ne tenait aucun compte de leurs périls, et ne songeait au contraire qu'à s'en prévaloir, pour enlever à l'empire ce qui lui restait en Italie.

Ce discours fit son effet, même sur les princes de la ligue, tellement que Langey, qui les vit ébranlés, ne tarda plus à conclure absolument le traité, par lequel il promettait de les secourir, s'ils étaient attaqués contre les droits de l'empire. François eut nouvelle en même temps que le roi d'Angleterre consentait à la ligue défensive, et promettait de plus de contribuer de cinquante mille écus, à la conservation des libertés du Saint-Empire.

Ce traité, conclu dans la Bavière, fut apporté au roi comme il était en Bretagne, où François, dauphin, avait été déclaré duc dans les Etats de cette province, à condition que venant à la couronne, la Bretagne y serait réunie, et que les fils aînés de France porteraient, avec le titre de Dauphin, celui de duc de Bretagne, avec les armes de cette province, jointes à celles de France et de Dauphine.

Aussitôt que le traité d'Angleterre eut été porté à Langey, l'union des deux rois avec la ligue fut conclue, et il fut arrêté entre tons les princes qu'ils ne pourraient faire aucun traité sans communication mutuelle. Le roi s'obligeait de donner cent mille écus, qui ne pourraient être employés à aucune invasion, mais à la simple défense des

 

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droits de l'empire, et la somme fut déposée entre les mains des ducs de Bavière, à qui le roi se finit de l'entier accomplissement de ses in tentions.

Langey revint en France, glorieux d'avoir achevé une affaire si délicate, et passa eu Angleterre, pour régler l'entrevue qui devait se faire entre les deux rois. On parlait toujours de celle de l'empereur et du roi, qui laissait faire sa mère et sa femme, jusqu'à ce que la mort de la première mit fin à tout cet amusement.

L'empereur, qui savait profiler de tout, s'en était servi pour rendre suspect au Pape tout ce qu'on lui proposait de la part du roi. Pour se l'acquérir tout à fait, il mit les Florentins sous la puissance de la maison de Médicis. Ils avaient soutenu toutes les incommodités d'un long siège, et trahis par leurs propres capitaines, ils avaient été contraints de se rendre à l'empereur, qu'ils suppliaient de régler dans un certain temps le gouvernement de leur ville. Il leur ôta leur liberté, comme à des gens qui avaient pris les intérêts de la France contre l'empire, et leur donna pour prince absolu Alexandre de Médicis, révoquant ce qu'il leur laissait de privilèges, aussitôt qu’ils attenteraient quelque chose contre l'autorité des Médicis.

Il se préparait cependant des affaires plus importantes du côté d'Allemagne (1532). Soliman avait traversé la Hongrie, et Charles, étant à la diète de Ratisbonne, apprit, par les lettres de son frère Ferdinand, que Vienne était menacée par une armée de six cent mille hommes. Sur ces nouvelles, les affaires de la religion, qui occupaient la diète, furent remises à une autre assemblée.

L'empereur demanda trente mille livres aux Etats de l'empire, ce qu'ils accordèrent sans peine. Le Pape promit quatre mille écus par mois, et envoya ses meilleures troupes sous le jeune cardinal Hippolyte de Médicis, qui ne respirait que les armes. Pour la maison d'Autriche, jamais elle ne parut plus puissante, ayant levé à elle seule quatre-vingt-dix mille hommes de pied, et trente mille chevaux, qui attendirent sous le canon de Vienne Soliman qui s'approchait : il mit le siège devant Lintz, qu'il leva au bout d'un mois, sous prétexte d'aller combattre l’empereur. C'était un grand spectacle de voir en présence les deux plus puis-sans princes du monde : Charles d'un côté, Soliman de l'autre, avec deux armées si redoutables; mais ils ne firent que se regarder, et tous deux parurent craindre l'événement d'un combat, qui eût décidé de la fortune de deux grands empires.

Soliman se retira furieux, après avoir détaché deux partis de vingt mille chevaux chacun pour ravager les provinces héréditaires; et Charles, qui le pouvait forcer à combattre, fut plus circonspect que ses capitaines, qui le pressaient de donner. Il crut que, sans mettre tout au hasard, il devait se contenter d'avoir rendu inutiles de si grands efforts du Turc; mais il est malaisé d'entendre pourquoi il manqua

 

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l'occasion d'abattre en Hongrie le parti de Jean Sepusse. Soliman s'était retiré; des deux détachements qu'il avait faits, l'un avait été taillé en pièces, et l'autre s'en retournait chargé de butin : il n'y avait, ce semble, qu'à, se montrer aux Hongrois; Ferdinand le pressait de ne l'abandonner pas ; mais rien ne le put arrêter : il voulut repasser en Espagne, sans alléguer d'autre raison que le désir de revoir l'impératrice. Pour éviter le blâme qu'une retraite si soudaine lui attirait, il laissa à Ferdinand une grande partie des troupes, mais en si mauvais ordre, qu'il n'en tira nulle utilité. On publia dans toute l'Europe qu'il était jaloux de son propre frère, et qu'il craignait de le voir en état de se soutenir par lui-même en Allemagne.

Vers la fin du mois d'octobre, les rois de France et d'Angleterre se rendirent à Boulogne-sur-Mer. Ils publièrent qu'ils s'assemblaient pour chercher les moyens de repousser le Turc. Le roi d'Angleterre faisait de grandes plaintes du Pape, sur ce qu'il voulait l'obliger de traiter à Rome l'affaire de son divorce, contre l'usage toujours observé d'envoyer des juges sur les lieux, pour entendre les parties, qui dans de telles affaires ne peuvent guère s'expliquer par procureur. Il se plaignait aussi des grandes exactions que faisait l'Eglise romaine sur le peuple et sur le clergé d'Angleterre. Il prétendait porter ses plaintes au concile universel, et voulait que François se joignit à lui pour sommer le Pape de l'assembler. S'il en eût été cru, on n'aurait pas épargné les menaces, mais le roi ne voulait pas y aller si vite; c'était terriblement choquer le Pape que de lui parler de concile.

L'Église n'en avait jamais eu plus de besoin; il n'y avait que ce seul remède contre l'hérésie de Luther, et contre tant d'abus qui s'étaient glissés. Le scandale qu'ils causaient était le prétexte le plus plausible que les hérétiques pussent donner à leur séparation; ils n'avaient encore osé s'élever ouvertement contre l'autorité des conciles, et au contraire ils demandaient eux-mêmes qu'on en tint un, faisant semblant de vouloir se soumettre à ses décisions ; mais le Pape, occupé delà grandeur de sa famille, n'écoutait point ces raisons. Il regardait le concile comme un obstacle à ses desseins, craignant toujours que si l'on venait à réformer l'Eglise, à la fin il ne fût tenu de réformer et lui-même et la cour de Rome. Ainsi, quoiqu'il eût promis un concile aux sollicitations de l'empereur, il ne manquait jamais de prétextes spécieux pour en éluder la convocation.

François, qui connaissait cette répugnance, croyait qu'il fallait servir le roi d'Angleterre par des moyens plus conformes à l'humeur du Pape, On traitait le mariage d'un des cadets de François, avec Catherine de Médicis, nièce du Pape, qu'on appelait la duchesse d'Urbain. C'était le duc d'Albanie son oncle qui négociait cette affaire, et le roi avait tant de passion de détacher le Pape d'avec l'empereur, qu'il y était entré bien avant. Il croyait que ce mariage le lierait étroitement avec le Pape, et lui donnerait moyen d'agir utilement pour son ami.

 

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Pendant que les deux rois étaient ensemble, la nouvelle leur vint que Charles, en retournant en Espagne, repassait par l'Italie, et qu'il devait revoir le Pape à Bologne. Cette nouvelle entrevue jeta de la défiance dans leurs esprits. Ils résolurent ensemble que les cardinaux de Tournon et de Grammont se trouveraient à Bologne-la-Grasse au temps que le Pape y arriverait, sous prétexte de l'accompagner dans une cérémonie si considérable ; mais en effet ils avaient ordre de parler au nom des deux rois : et comme ils présumaient que le Pape serait plus fier par l'union qu'il paraissait avoir avec l'empereur, ils crurent qu'il fallait agir avec un peu de hauteur.

Ainsi l'instruction des cardinaux les obligeait à représenter combien le Pape avait d'intérêt à ne point choquer deux si grands rois inséparablement unis. Ils devaient parler des conciles nationaux qu'ils pourraient assembler dans leurs royaumes pour remédier aux désordres, et du concile général qu'ils pourraient aussi lui proposer, sans donner lieu aux délais dont il amusait le monde depuis si longtemps; qu'au reste il n'était plus de saison de les menacer de censures, qu'il avait déjà assez d'affaires du côté de l'Allemagne et des Suisses; et qu'en cas qu'il lés maltraitât, ils iraient à Rome si bien suivis, qu'il serait trop heureux de révoquer ses sentences; qu'ainsi le plus court pour lui était de traiter plus doucement les affaires d'Angleterre, et de regarder ce qui arriverait, s'il poussait les choses à l'extrémité.

Ces paroles étaient dures; aussi l'intention de François n'était pas d'en venir aux effets, et les cardinaux avaient ordre à la fin d'adoucir le Pape, en lui proposant une conférence des deux rois avec lui à Nice, où les affaires s'accommoderaient à l'amiable. Les choses ayant été ainsi disposées, Henri et François se séparèrent, et celui-ci vint passer l'hiver à Paris; les cardinaux arrivèrent à Bologne-la-Grasse au commencement de l'année suivante. Il y avait quelques jours que le Pape et l'empereur conféraient ensemble; il s'agissait de continuer la ligue d'Italie, où l'empereur voulait faire comprendre la seigneurie de Gènes, quoique la France n'y eût pas renoncé.

Le Pape inclinait à ses sentiments, parce qu'il savait les mauvaises dispositions du roi d'Angleterre, et qu'il voulait se faire un appui contre un prince dont les intérêts seraient portés par François. Dans cette conjoncture les cardinaux jugèrent dangereux d'irriter le Pape, et craignirent qu'en le pressant de la part des rois, ils ne l'obligeassent d'autant plus à se livrer à l'empereur. Ainsi, laissant à part toutes les mesures dont on avait chargé leurs instructions, ils remontrèrent au Pape que le roi le voulait prendre pour juge du droit qu'il avait sur Gènes; ils lui proposèrent une entrevue pour y traiter les affaires, surtout celles du mariage de Catherine de Médicis, duchesse d'Urbain, et le conjuraient en même temps, tant pour le bien de la chrétienté, que pour son intérêt particulier, de tenir tout en état en attendant. A ces paroles, le Pape commença à se rassurer de la crainte

 

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où il était de se voir réduit à dépendre tout à fait de l'empereur.

Ce prince, le trouvant plus froid, ne fut pas longtemps à découvrir la cause de ce changement, et il se mita représenter au Pape que le roi ne voulait que l'amuser en lui parlant d'un mariage qui avait si peu d'apparence. Il lui proposa en même temps une affaire plus vraisemblable, qui était de donner sa nièce au duc Sforce; mais le Pape repartit que le moins qu'il pouvait faire était d'écouler un roi de France, qui lui faisait tant d'honneur, et qu'il ne fallait pas le choquer dans un temps où le roi d'Angleterre le sollicitait à se séparer du saint Siège.

Cependant (1533), pour ménager toutes choses, il consentit à la continuation de la ligue d'Italie, en faisant toutefois entendre au roi qu'elle tournerait à la fin à son avantage, puisqu'elle obligeait l'empereur à licencier ses troupes si aguerries, qui lui avaient gagné tant de victoires : sur de si vaines apparences, François avançait le mariage.

L'empereur, qui ne crut jamais qu'il voulût de bonne foi une alliance si inégale, déclara au Pape qu'il ne prétendait point l'empêcher de procurer à sa nièce et à sa maison un avantage si considérable. Lui-même lui conseilla de demander aux cardinaux français s'ils avaient pouvoir de conclure : ils ne l'avaient pas, mais ils offrirent de le faire venir, et ne demandaient que le temps qu'il fallait pour avoir réponse d'un courrier qu'ils dépêcheraient.

Quand le Pape vit la procuration en bonne forme, il ne fut pas moins surpris, que s'il eût vu un enchantement; et l'empereur étonné n'eut plus autre chose a, faire, que de le prier d'insérer en sa faveur quelques conditions dans le traité qu'il ferait avec le roi : à quoi le Pape répondit que l'honneur que recevait sa maison était si grand, que c'était au roi et non pas à lui, de faire des conditions. Il fut pourtant assez heureux, pour qu'une si haute alliance ne lui coûtât que des paroles.

Il sut persuader à François, que, pour ménager sa dignité, il ne fallait rien exiger de lui avec le mariage, et qu'ensuite il ferait si bien de lui-même, que le roi réparerait, par son union avec le saint Siège, les pertes que lui et son prédécesseur avaient faites pour n'y avoir pas été assez unis. Tels étaient les discours du Pape.

François, qui connaissait combien était grand ce qu'il faisait pour lui, crut qu'il aurait autant de reconnaissance, qu'il recevait d'honneur, et donna son fils sur cette espérance, encore le bonheur du Pape voulut-il qu'on aimât mieux en France lui donner pour sa nièce le duc d'Orléans que le duc d'Angoulême son cadet.

On s'imagina qu'il procurerait tant d'élévation à celui des enfants de France qui deviendrait son neveu, qu'il y aurait de quoi donner de la jalousie à l'autre, et on crut qu'en préférant le duc d'Angoulême, on ferait au duc d'Orléans un tort qui mettrait une division éternelle entre les frères.

On fondement si léger fit qu'on choisit pour Catherine le second fils de France, sans considérer combien il était proche de la couronne,

 

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que les temps suivants nous feront en effet voir sur sa tôle. Pour achever le mariage, il fut résolu que le Pape et le roi se rendraient à Nice. Celle résolution fut tenue secrète, et l'empereur partit de Bologne sans en rien savoir. François en fit avertir le roi d'Angleterre, afin qu'il se trouvât à l'entrevue, et qu'il y sollicitai lui-même son divorce; mais les affaires avaient pris un autre cours.

Henri impatient avait obtenu de Thomas Cranmer, archevêque de Cantorbéry, primat d'Angleterre, qui prenait la qualité de légat né du saint Siège, qu'il déclarât nul son mariage avec Catherine d'Aragon, et le mariât avec Anne de Boulen. Il tenait l'affaire secrète, en attendant le succès de l'entrevue, résolu de se séparer de l'Eglise romaine, si le Pape lui refusait sa demande. Henri avait fait dire ce secret à François, qui n'oublia rien pour lui obtenir des juges sur les lieux, avant qu'on vint à savoir ce qui s'était passé en Angleterre; mais le Pape remettait toute la conférence de Nice.

Le temps destiné à la tenir s'approchait, et le Pape n'attendait que l'éloignement de l'empereur pour la déclarer. Aussitôt qu'il fut parti d'Italie, et qu'il eut pris le chemin d'Espagne, il la fit agréer aux cardinaux. Les empêchements qu'y voulut mettre l'empereur furent inutiles, et le refus que fit le duc de Savoie de prêter Nice, fit résoudre le Pape à venir en France; mais avant le temps convenu, on sut à Rome et en Espagne la sentence donnée par Cranmer contre la reine d'Angleterre: les cardinaux, persuadés par diverses consultations de la validité de son mariage, et excités par les sollicitations de l'empereur, pressèrent tellement le Pape, qu'il prononça l'excommunication contre Henri, au cas que dans un certain temps il ne réparât l'attentat qu'il avait commis.

Quoique le roi fût louché de cette sentence prononcée contre son ami, il ne désespéra pas d'y apporter du remède, parce qu'elle n'était que comminatoire, et qu'elle donnait du temps au roi d'Angleterre; mais il lui vint en même temps de Milan une autre nouvelle qui lui causa bien plus d'émotion.

Le duc de Milan, accablé par la puissance de l'empereur, et n'espérant plus de liberté que par le support de la France, souhaita d'avoir auprès de lui un ministre du roi, mais si caché, que les Espagnols n'en pussent rien soupçonner. Il avait demandé pour cet emploi François de Merveille, natif de Milan, écuyer d'écuries du roi, qui avait fait grande fortune en France eu dressant des chevaux, et en apprenant la jeune noblesse à les monter. Il avait été connu du duc dans un voyage qu'il avait fait en son pays, où il s'était signalé par ses libéralités. Le roi l'avait renvoyé avec deux sortes de lettres au duc; les unes secrètes, où il paraissait ministre du roi; les autres qu'on pouvait montrer en cas de besoin, qui étaient de simples lettres de recommandation, afin qu'il fût favorisé dans ses affaires particulières. Cette finesse n'empêcha pas que l'empereur ne soupçonnât ce qui était : il fit de grandes menaces

 

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au duc de Milan, et ne se paya pas de l'excuse qu'il lui donnait, que ce gentilhomme n'était à Milan que pour ses affaires, ni des lettres qui semblaient le faire voir. Il fallut venir à des preuves plus réelles, et Sforce, intimidé par l'empereur, résolut de sacrifier Merveille à sa jalousie.

Il lui suscita Castillon, seigneur Milanais, qui lui fit une querelle, et quelque soin que prit Merveille pour l'apaiser, elle fut poussée si avant, qu'on en vint aux mains. Castillon prit mal ses mesures, il fut tué par les Français. Le duc fit arrêter l'envoyé, ravi de pouvoir se justifier sans laisser aucun soupçon de sa conduite; après qu'il lui eut fait faire son procès avec une étrange précipitation, contre toutes les formalités observées dans le Milanais, il lui fil couper la tête dans la prison.

Il est aisé de juger combien le roi fut sensible à cet affront. Il en fit ses plaintes à tous les princes chrétiens, comme d'un attentat commis contre le droit des gens; mais surtout il en demandait réparation à l'empereur, protestant de se la faire lui-même, si elle lui était refusée, et l'assurant toutefois que ce serait sans renouveler ses prétentions sur le Milanais, qu'il ne voulait point avoir par cette voie.

L'empereur fut ravi d'avoir rendu le duc irréconciliable avec le roi, et non content d'excuser son action, il lui donna aussitôt en mariage une fille de sa sœur et de Christiern, roi de Danemark. Le duc tenta vainement de sa justifier auprès du roi, à qui il envoya son neveu, dont les raisons furent aussi mal reçues que la conduite de son oncle était mauvaise. Un peu après le Pape fut porté sur les galères de France à Marseille, qui avait été choisie pour l'entrevue. Il logea le premier jour hors de la ville, et fit son entrée le lendemain avec beaucoup de magnificence, en habits pontificaux, porté dans une chaire sur les épaules de deux hommes.

Un jour après le roi vint lui rendre l'obédience, où Jean du Belley, frère de Langey, alors évêque de Bayonne, et depuis de Paris, commença à lui faire connaître son grand génie; car Guillaume Poyet, président au parlement, qui passait pour un des plus éloquents hommes de son temps, ayant préparé une harangue latine, dont le sujet ne plut pas au Pape, à qui elle fut communiquée la veille de la-cérémonie, le président n'osa entreprendre d'en faire une autre pour le lendemain, et l'évêque de Bayonne, qui prit sa place, fit admirer son éloquence.

On commença à traiter les affaires, et le roi était si persuadé des bonnes intentions du Pape, que sans rien exiger pour ses intérêts, il parla seulement de la conclusion du mariage, il fut fait et consommé. Le Pape en fut quitte pour foire quatre cardinaux français, et pour de belles paroles qu'il donna sur le Milanais. François fit bien plus d'insistance pour le roi d'Angleterre que pour lui-même, ll n'en obtint pas davantage; la chose fut remise à Rome, pour y être traitée en plein consistoire.

 

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Le roi et le Pape se séparèrent le 20 novembre, après avoir été plus d'un mois ensemble, et avoir consumé un temps si considérable en cérémonies ou en vains discours. Au retour de Marseille, le roi reçut à Avignon le jeune duc de Wirtemberg, qui lui demandait sa protection pour être rétabli dans ses Etats.

Son père Ulric en avait été dépossédé par les princes de la ligue de Souabe, à cause de sa cruauté, et surtout pour avoir traité avec des violences inouïes sa femme Sabine, sœur des ducs de Bavière, qui étaient des principaux de la ligue. L'empereur avait investi de ce duché Ferdinand son frère, qui en était en possession; mais le jeune prince Christophe ne fut pas plutôt arrivé à l'âge de dix-huit à vingt ans, que son mérite attira la compassion de tous les princes. Ses oncles les ducs de Bavière furent fâchés de lui voir porter l'iniquité de son père, qui semblait de son côté s'être corrigé, et il y avait une diète convoquée à Augsbourg, pour traiter de leur rétablissement.

En l'état où était le roi avec l'empereur, il fut aisé au jeune prince d'obtenir sa protection. Il envoya en Allemagne Guillaume du Belley, seigneur de Langey, qui y avait déjà fait de si grandes et de si heureuses négociations. Il eut ordre non-seulement de solliciter les intérêts des princes dépossédés, mais encore de faire tous ses efforts pour rompre la ligue de Souabe, qui était toute à l'avantage de la maison d'Autriche.

En même temps qu'il partit pour l'Allemagne, son frère, Jean da Belley, évêque de Paris, fut dépêché en Angleterre (1534), pour empêcher Henri de rompre avec le saint Siège. Ce prélat, agréable au roi d'Angleterre, à cause de sa doctrine et de la beauté de son génie, lui persuada de fléchir le Pape par quelque soumission. Il s'offrit d'aller à Rome, et le roi promit de lui envoyer sa procuration pour se soumettre, en cas qu'il pût apaiser le Pape. Il partit sur cette parole, et trouva le Pape irrité contre Henri, qui semblait ne se plus défendre qu'en menaçant de faire schisme.

L'évêque l'adoucit un peu, en lui promettant d'obtenir du roi d'Angleterre un ample pouvoir de traiter. Il convint d'un terme préfix, dans lequel il devait recevoir réponse; le terme vint, et il n'eut aucune nouvelle. On était au cœur de l'hiver, et l'évêque crut que le courrier était retardé par le mauvais temps, mais les créatures de l'empereur tirent tant de bruit, que le Pape ne put résister à leurs instances. Il renvoya l'affaire au consistoire, où ils étaient tout-puissants. Ce fut en vain que l'évêque se jeta aux pieds du Pape, pour obtenir seulement six jours de délai. La sentence définitive d'excommunication fut prononcée; le courrier vint deux jours après avec la procuration.

Le roi d'Angleterre offrait de se soumettre au saint Siège, pourvu seulement que quelques cardinaux suspects ne fussent point de ses juges, et qu'il plût au Pape de déléguer quelqu'un à Cambray, pour écouter les témoins qu'il produirait. Il nommait Cambray comme un

 

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lieu qui ne devait pas être suspect, et où les témoins ne pourraient être forcés. Mors le Pape et les cardinaux se repentirent d'avoir tant hâté leur décision ; mais l'affaire fut sans remède. Le roi d'Angleterre, indigné d'une telle précipitation, se retira de l'Eglise, qu'il avait si bien défendue, et malgré les anciennes traditions, il se déclara lui-même chef de l'Eglise anglicane. Ainsi changea un royaume autrefois si catholique.

La passion d'un roi emporté le sépara du saint Siège, d'où la foi y était venue; et la sentence du Pape, juste dans le fond, mais précipitée dans la procédure, fut l'occasion d'un si grand malheur. La négociation de Guillaume de Langey eut un meilleur succès; les princes de la ligue furent persuadés par ses discours, qu'il n'était plus temps de s'unir pour soutenir la maison d'Autriche, dorénavant trop puissante; au contraire, qu'il valait mieux diminuer un pouvoir capable de les accabler.

Ainsi la ligue de Souabe, qui avait duré soixante-dix ans, fut rompue, et Ferdinand s'étant opposé au rétablissement des deux princes de Wirtemberg, les ducs de Bavière, le landgrave de liesse, et leurs alliés, résolurent de l'entreprendre de force. Ils avaient besoin de l'argent du roi, qui ne voulait point en prêter contre la maison d'Autriche, à cause du traité de Cambray. L'expédient qu'on trouva fut que le duc lui vendrait le comté de Montbéliard, à charge de rachat. Avec ce secours, les princes armèrent, et par une grande victoire ils reprirent le duché de Wirtemberg, où ils rétablirent Ulric. Il fît ensuite sa paix avec la maison d'Autriche, et relira son comté.

Le landgrave de Hesse, qui avait conduit cette guerre, avait promis par le traité fait avec Langey, qu'après qu'elle serait achevée, il mènerait les troupes dans le Milanais, pour venger la mort de Merveille. Il ne se vit point en état d'exécuter sa promesse, pour être trop exposé à la maison d'Autriche, qui ne manquerait pas à le dépouiller pendant son absence; mais François ne laissa pas de persister dans son dessein : outre qu'il faisait lever en Allemagne vingt enseignes de lansquenets, sous la conduite du comte Guillaume de Furstemberg, il ordonna qu'on formât sept légions, chacune de six mille hommes, et désigna les provinces où elles seraient levées. Ces légions furent divisées en six compagnies de mille hommes, qui avaient chacune un capitaine pour les commander. Il trouvait belle cette imitation des anciens Romains. Avec ces forces, il se croyait en état d'attaquer le Milanais ; mais il ne fallait pas laisser derrière les terres du duc de Savoie, qui paraissait ennemi, et même le plus sûr chemin était de les traverser.

Charles (c'était le nom du duc), quoique proche parent du roi, lui refusa le passage dans le Piémont, disant qu'il voulait vivre dans une exacte neutralité. Le roi était déjà piqué contre lui : il avait toujours sur le cœur l'argent qu'il avait prêté au duc de Bourbon révolté pour lever des troupes contre son roi, et l'attachement qu'il avait montré

 

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depuis si longtemps à favoriser l'empereur. Ainsi il se sentait porté à lui faire la guerre; et afin d'en avoir une raison plus plausible, il résolut de demander dans le duché de Savoie la part qu'il prétendait lui appartenir du chef de sa mère, pour le respect de laquelle il disait avoir différé d'inquiéter sa maison.

Quoiqu'il espérât peu de secours du côté du Pape, il croyait que le moins qu'il pouvait faire était de demeurer neutre, et il comptait pour quelque chose de n'avoir pas dans cette guerre le même obstacle du côté de Rome, qu'il avait eu dans les autres. Mais pendant qu'il se préparait à son entreprise, il apprit la mort de Clément. Il mourut le 5 de septembre, âgé de cinquante-six ans, au milieu de ses desseins ambitieux. Le cardinal du Prat, chancelier, aspira à la papauté, et s'en étant expliqué au roi, à qui il offrit des sommes immenses, pour avancer ce dessein, il fut premièrement méprisé, et ensuite chassé de la Cour. Le roi fit saisir ses biens, qu'il avait étalés si hors de propos.

A Rome, les cardinaux, qui voulaient la paix, se bêlèrent d'élire un pape qui ne fût point partial, avant que les créatures de l'empereur et du roi fussent arrivées. Ils élurent unanimement Alexandre Farnèse, âgé de soixante-dix-sept ans, doyen du sacré collège, qui prit le nom de Paul III. Une des raisons de l'élire fut le zèle qu'il avait toujours témoigné pour la tenue du concile, que tous les gens de bien désiraient.

Ce fut un peu après son exaltation que la secte luthérienne, après avoir renversé toute l'Allemagne, commença à troubler la France. De faux zélés de cette secte tirent des affiches sacrilèges contre la croyance de l'Eglise, et surtout contre le sacrifice la Messe. Après les avoir attachées à toutes les rues, ils eurent la hardiesse de les répandre dans la propre chambre du roi.

On avait tenté divers moyens de le rendre favorable à la nouvelle doctrine : quand le roi d'Angleterre rompit avec le saint Siège, pour rendre sa vengeance plus illustre, il s'efforça d'entraîner François avec lui. La nouveauté avait gagné quelques princesses de la maison royale. Le roi recevait tous les jours de nouvelles attaques sur ce point par des moyens délicats et imperceptibles. Marguerite, sa sœur bien-aimée, connaissant son inclination pour les gens de lettres, s'en servit pour l'obliger à faire venir Melanchthon, l'un des plus savants hommes et des plus polis de son temps, mais aussi un des chefs des luthériens.

Le cardinal de Tournon rompit ce coup : on dit qu'il entra dans la chambre du roi avec un livre sous son bras. Le roi qui aimait les livres, ne manqua pas de lui demander ce que c'était, et le cardinal lui répondit que c'était un ancien évêque de l'Eglise gallicane; le roi l'ouvrit aussitôt, et trouva les ouvrages de saint Irénée, évêque de Lyon et martyr, qui vivait dans le deuxième siècle de l'Eglise. Il lui demanda aussitôt de quel avis il était sur les nouvelles doctrines; et le cardinal qui avait prévu cet effet de sa curiosité, lui lut des passages importants sur le point de l'Eucharistie, sur l'autorité de la tradition, et sur

 

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la prééminence de l'Eglise romaine, tenue dès les premiers temps pour le centre de la communion ecclésiastique. Il s'étendit ensuite à faire voir que Luther et ses sectateurs avaient renversé, avec les anciennes maximes de l'Eglise, les fondements du christianisme, et fit tant d'impression sur l'esprit du roi, que depuis il n'écoula jamais les nouveautés sans horreur.

il fit faire, le 19 janvier 1535, une procession solennelle, où il assista en personne. Là, dans un concours incroyable de peuple, il représenta les malheurs que l'hérésie avait toujours causés dans les Etats. Il fit voir en particulier que, depuis que Luther et Zwingle s'étaient révoltés contre l'Eglise, il s'était répandu parmi les peuples des opinions séditieuses, qui avaient armé les sujets les uns contre les autres et contre leurs princes, et avaient sapé les fondements de la tranquillité publique. De là étaient nées les fureurs des anabaptistes, qui venaient de faire encore nouvellement dans Munster des révoltes et des carnages infinis : il fit voir que ce n'était pas ainsi que la doctrine évangélique s'était établie, qu'elle n'avait excité dans l'empire romain ni troubles, ni révoltes, ni séditions; mais qu'elle avait au contraire augmenté la concorde des citoyens, et l'obéissance envers les princes, qui n'avaient point de meilleurs sujets que les premiers chrétiens : au lieu que ces docteurs nouveaux, qui se disaient réformateurs, suscitaient tous les jours mille fanatiques capables de tout entreprendre sous prétexte de piété; d'où il concluait que ces nouveautés n'étaient pas moins pernicieuses à l'Etat qu'à la religion : et il exhorta ses sujets à persévérer aussi constamment dans la foi de leurs ancêtres, qu'il était résolu à suivre cette même foi, à l'exemple des rois ses prédécesseurs, parmi lesquels, depuis Clovis, il n'y en avait pas un seul qui se fût séparé de l'Eglise.

A ce pieux et éloquent discours, il joignit de rigoureux édits, par lesquels il condamnait au feu les hérétiques. Ces édits furent exécutés durant longtemps avec une sévérité excessive ; mais l'expérience les lui fit tempérer, et lui apprit qu'il ne fallait pas donner à des entêtés une occasion de contrefaire les martyrs. L'empereur, qui faisait tout servir à sa profonde politique, ne manqua pas à tirer avantage du zèle de François : il faisait représenter sous main aux princes de la figue de Smalcalde, combien peu ils devaient se fier à un prince qui faisait brûler ceux de leur religion, et en même temps il disait aux catholiques que l'amour que François témoignait pour la religion, n'était que feinte ou politique, puisqu'en même temps qu'il persécutait les hérétiques dans son royaume, il tâchait d'introduire les Turcs au milieu de la chrétienté.

Ce qui donnait sujet à ce reproche, c'est qu'il y avait à la cour de France un ambassadeur du Grand Seigneur : savoir ce qu'il y traitait, c'est une chose difficile; et sous prétexte d'ajuster les affaires de commerce, il n'y avait rien que l'on ne pût mettre aisément sur le tapis.

 

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La suite put donner quelque soupçon de ce qui se commençait peut-être alors; mais comme il n'éclata rien dans ce temps qui marquât une grande liaison, Langey persuada aisément aux princes d'Allemagne, que son maitre, en recevant bien l'ambassadeur du Grand Seigneur, avait eu un dessein aussi innocent que le roi des Romains, lorsqu'il avait fait à de semblables envoyés une pareille réception.

A l'égard des protestants, il fallut leur dire que ceux qui avaient été condamnés au feu étaient des séditieux, dont on ne pouvait souffrir l'audace, à moins que de vouloir mettre la division dans tout le royaume. En effet, les hérétiques jetaient les esprits dans d'étranges dispositions, et il fallut avoir la main ferme pour empêcher que les désordres, que la faiblesse des règnes suivants fit éclater, ne commençassent dès lors : car ce fut en ce temps que Jean Calvin, natif de Noyon, publia en latin et en français son livre de l'Institution, où il n'y avait pas moins de malignité que d'éloquence.

Jamais homme ne couvrit mieux un orgueil indomptable, sous une modération apparente. Il ne se souciait point des biens du monde, et la seule ambition qui le possédait était celle d'exceller par les talents de l'esprit, et de dominer sur les autres hommes par le savoir et par l'éloquence. C'est ce qui le rendit à la fin insupportable à ses meilleurs amis. Il remplissait ses écrits d'une aigreur extrême, qui passait à ses lecteurs, par la véhémence de ses figures et les ornements de son discours. Ainsi son Institution remua toute la France.

Le roi, qui prévit les suites d'un livre si pernicieux, ne put, avec tout son zèle, venu à bout de le supprimer. Le seul avantage qu'en tira l'Eglise, fut que Calvin combattant le sentiment de Luther sur l'Eucharistie, il augmenta les divisions qui étaient dans le parti protestant, en sorte que la divine Providence se servit du plus dangereux hérésiarque de son temps pour affaiblir l'hérésie. Pendant que les levées que le roi faisait en Allemagne avançaient par l'adresse de Langey, il travaillait à mettre en état dans son royaume les légions dont il avait délivré les commissions; il visita les provinces pour voir en quel état étaient les places, et pour faire la revue des troupes qu'on y levait.

L'empereur faisait aussi de grands préparatifs par mer et par terre, et comme il avait déjà cinquante mille hommes sur pied, il résolut de les employer à une entreprise digne de lui. Le corsaire Barberousse, après avoir ôté le royaume de Tunis à deux frères qui se le disputaient, sous prétexte d'assister l'un d'eux, s'était rendu maître de la mer, et ravageait les côtes du royaume de Naples et de l'Italie. Muley Assan, l'un des deux frères, se réfugia auprès de l'empereur, qui prit cette occasion de purger les mers. Il s'engagea dans cette entreprise, dans l'espérance qu'il eut de l'achever promptement, et avant que François fût prêt. En effet, s'étant embarqué au mois de juin, en trois mois de temps il prit la Goulette, place importante d'Afrique ; il battit

 

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une flotte considérable de Barberousse ; il rétablit dans Tunis Muter Assan, et délivra gratuitement vingt mille esclaves chrétiens, de toutes les nations. Il fortifia la Goulette et la garda.

Durant ce temps, François négociait avec le duc de Savoie. Outre le partage de sa mère qu'il demandait, il lui fit voir par d'anciens titres que plusieurs villes de Savoie et de Piémont avaient été usurpées sur le Dauphiné ou sur la Provence, et que le comté de Nice n'appartenait au duc que par un engagement des rois de Sicile de la maison d'Anjou. François, qui avait leurs droits, y pouvait rentrer, en remboursant quatorze mille écus, donnés par les duos de Savoie, avec les intérêts depuis le temps de l'engagement.

Le président Poyet avait donné tous ces mémoires, et commençait à gagner la confiance du roi. Anne du Bourg, fait depuis peu chancelier de France, à la place de Du Prat, n'entrait guère dans ces affaires. Poyet, qui conduisait tout, fut envoyé au duc de Savoie, chargé des instructions qu'il avait lui-même dressées. Tant que l'empereur fut en Afrique, le duc, qui sentait son protecteur éloigné, était contraint de temporiser; mais il se trouva beaucoup plus embarrassé à son retour. L'empereur revint, à la vérité, chargé de gloire ; mais ses troupes étaient ruinées, et il lui fallait beaucoup de temps pour les rétablir. Celles du roi cependant se grossissaient tous les jours.

L'empereur, qui appréhendait une soudaine irruption dans le Milanais, eut recours à ses artifices ordinaires. Il se mit à amuser par mille propositions Velly, ambassadeur de France, en lui parlant de divers mariages pour le Dauphin; mais ce n'était pas ce que François prétendait. Il voulait qu'on le satisfit sur le Milanais, et il ordonna à Velly d'en faire la demande à l'empereur dans le temps qu'il était a, Palerme, au retour d'Afrique : ce prince sut si bien dissimuler ses sentiments, sans néanmoins s'engager, que Velly conçut dès lors l'espérance, qu'il ne perdit jamais depuis, d'achever cette affaire à la satisfaction de son maître. Ses espérances augmentèrent par lu mort de Sforce, arrivée vers la fin de cette année.

A la nouvelle de cette mort (1536), le roi fit redoubler ses instances, et l'empereur déclara que, Sforce étant mort sans enfants, le duché lui était dévolu ; il témoigna toutefois qu'étant en cet état d'en disposer de plein droit, il voulait bien en gratifier, non le roi, car l'Italie ne pouvait souffrir qu'il fût incorporé à la monarchie française, mais un de ses enfants puinés.

On demandait en même temps au duc de Savoie une réponse précise ; et ce prince qui ne voyait rien de prêt du côté de l'empereur, était résolu à rendre Nice. L'empereur le menaça, s'il le faisait, de lui redemander Verceil et d'autres places qui étaient de l'ancienne dépendance du Milanais; il lui fit même proposer un échange de la partie du Milanais qui était le plus à la bienséance du Piémont, contre ce qu'il possédait en deçà des Alpes, c'est-à-dire la Bresse et la Savoie.

 

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Par ce moyen il rompait la communication de la France avec les Suisses, d'où elle lirait sa meilleure infanterie; et le roi, environné de tous côtés de la domination d'Autriche, était réduit à se soutenir par lui-même. Il vit bien la conséquence de ce projet, et il fit presser de nouveau l'empereur et le duc; mais ils ne songeaient tous deux qu'à gagner du temps.

L'empereur amassait de tous côtés de grandes forces, et il agissait en attendant comme s'il eût de bonne foi voulu restituer le Milanais. Il semblait qu'il n'y eût plus qu'une seule difficulté : c'est que l'empereur l'offrait à Charles, duc d'Angoulême, et que le roi s'obstinait à le vouloir pour le duc d'Orléans. Il craignait de mettre dans sa maison une source éternelle de division, s'il préférait le cadet à son ai né, et renversait l’ordre de la nature. Plus le roi appuyait sur cette raison, plus l'empereur témoignait qu'il voulait gratifier le duc d'Angoulême. C'était, disait-il, mettre de nouveau le feu dans l'Italie, que d'y établir le duc d'Orléans, avec les prétentions qu'il pouvait avoir du chef de sa femme, sur les Etals de Florence et d'Urbain. De plus, il était marié, et l'empereur disait qu'en faisant un présent si considérable à la maison de France, le moins qu'il pût faire pour la sienne, était de donner au prince une de ses nièces.

L'affaire demeura longtemps en cet état, et l'empereur, qui voulait passer à Rome, s'avança à Naples, où les négociations continuèrent. L'empereur n'avait d'autre dessein que d'amuser le roi par de belles paroles, afin de l'engager à rompre les mesures qu'il prenait avec les Vénitiens. Il se mettait en état de faire avec eux de nouvelles liaisons, il continuait sourdement les préparatifs d'une grande guerre, où il ne prétendait rien moins que d'envahir toute la France, et il recul ait la perte du duc de Savoie.

Ce duc, comme s'il n'eût pas eu assez d'affaires, avait entrepris de soutenir Pierre de La Baume, évêque et prince de Genève, contre ses sujets révoltés. Il en était venu jusqu'à mettre le siège devant cette ville, sur laquelle il avait des prétentions. François y jeta quelque secours; mais ceux de Berne, leurs anciens alliés, agirent bien plus fortement. Ils firent dire au duc que s'il ne laissait Genève en repos, ils marcheraient au secours avec toutes leurs forces, et qu'apparemment la France se mêlerait bien avant dans cette querelle.

Ces menaces ne furent pas vaines. Le duc, qui s'obstinait à continuer le siège, se vit bientôt contraint de le lever par l'approche de douze mille Bernais : il n'en fut pas quitte pour si peu, les Bernais lui prirent Lausanne, d'où ils chassèrent l'évêque. Son Etat fut entamé de plusieurs autres côtés par ses voisins. Ceux de Genève, si bien secourus par les Bernais leurs amis, embrassèrent leur religion, et appelèrent Farel et Viret, disciples de Calvin, qui n'était pas éloigné des sentiments de Zwingle, qu'on suivait à Berne; ainsi le duc de Savoie, avec beaucoup d'autres pays, perdit encore ses espérances sur Genève.

 

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Cependant, ou il ne voulut pas, ou il n'osa donner satisfaction à la France. Poyet l'écrivit au roi, qui déclara la guerre au commencement de février, et donna le commandement à Philippe de Chabot, comte de Brion, amiral de France. Pour détourner la tempête de dessus le Milanais, l'empereur se vit obligé de se déclarer en faveur du duc d'Orléans.

A l'entendre, il ne fallait plus que faire venir l'amiral, déjà avancé vers l'Italie, et qui devait foire un voyage vers l'empereur, pour résoudre la forme de l'investiture; mais malgré ses belles paroles, le roi découvrit que l'empereur venait de conclure une ligue défensive avec les Vénitiens, et qu'il pratiquait contre lui le roi d'Angleterre. Il recevait des avis qu'il paraissait de tous côtés, dans les pays de l'empereur, de grands préparatifs de guerre : Doria était sur mer avec sa flotte, et le prétexte de l'entreprise d'Alger ne couvrait pas assez le vrai dessein d'attaquer la France; ainsi le roi se résolut d'entrer sans retardement dans la Savoie,

Cet Etat ne fit nulle résistance, non plus que la Bresse ; Pignerol se rendit d'abord, et les troupes commencèrent à dénier dans le Piémont, environ le 6 de mars. Un peu après l'amiral passa la grande Doaire. Les ennemis, qui gardaient cette rivière, au nombre de quatre à cinq mille hommes, voyant avec quelle ardeur nos gens se jetaient dans l'eau, se retirèrent à Verceil.

Un des légionnaires passa la rivière à la nage pour aller quérir un bateau de l'autre côté, et l'amena au travers des arquebusades. L'amiral lui donna un anneau en présence de toute l'armée, suivant l'ordonnance du roi, qui avait établi, à l'exemple des Romains, ces récompenses militaires. Cependant l'empereur avait envoyé quelques troupes au duc son beau-frère, sous le commandement d'Antoine de Lève, qui, ayant jugé que Turin n'était pas en état de se défendre, obligea le duc à l'abandonner. La place se rendit le troisième d'avril, et Lève alla camper sous Verceil, avec douze mille hommes de pied et six cents chevaux.

L'amiral était plus fort, mais Velly, persuadé que la guerre de Savoie était un obstacle à l'affaire de Milan, fît tant auprès du roi, qu'il révoqua l'ordre donné à l'amiral, de ne plus rien ménager, et lui manda au contraire d'aller lentement. L'empereur, en parlant de Naples s'était plaint aigrement à l'ambassadeur, de l'entreprise faite contre le duc son beau-frère et son vassal : et poursuivant son voyage à Rome, il lui fit dire que le roi pouvait envoyer l'amiral pour conclure l'affaire du Milanais, comme entièrement accordée, pourvu seulement qu'il tirât ses troupes du Piémont.

Velly le crut bonnement, sans considérer combien d'incidents il y avait à essuyer entre la promesse et l'exécution. En effet l'empereur, loin d'avoir envie de donner le Milanais à un des princes de France, avait déclaré aux légats du Pape, qu'il ne souffrirait jamais que la

 

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France eût un pied de terre en Italie, et lui-même il pressait sous main les Vénitiens de s'opposer à l'investiture de toutes personnes étrangères.

Le roi savait ces choses, et comme il espérait peu de la négociation, il avait de nouveau léché la main à l'amiral, lui ordonnant de combattre les impériaux, s'il les trouvait à son avantage dans les terres du duc de Savoie. Mais, afin de ne rien omettre, il résolut- d'envoyer à Rome le cardinal de Lorraine, l'homme du monde le plus capable de traiter avec de grands princes, et de s'en faire considérer : dans le temps qu'il partit de France, l'empereur s'approchait de Rome, où il fit son entrée le 5 d'avril.

Quelques-uns prirent à mauvais augure, que pour élargir.les chemins sur son passage, il fallut abattre les restes du temple de la-Paix. Il eut avec le Pape, le lendemain de son arrivée, une conférence de six à sept heures; après laquelle le Pape donna audience à Velly et à l’évêque de Maçon, ambassadeurs de François auprès du saint Siège. Ils lui parlèrent avec grande précaution sur l'affaire du Milanais; car entre les autres discours dont l'empereur avait amusé Velly, il lui avait surtout recommandé le secret de l'affaire du Milanais, principalement avec lè Pape, qui était, disait-il, le plus opposé à l'établissement du duc d'Orléans.

La crédulité de l'ambassadeur fut si grande, qu'il demanda permission à l'empereur de rendre compte au Pape de ses bonnes dispositions, et le prier d'être favorable au roi, dans une affaire que l'empereur faisait dépendro de Sa Sainteté ; l'empereur le permit. L'ambassadeur fit sa prière, et le Pape, après avoir fait, sur le sujet du duc d'Orléans, les mêmes difficultés que l'empereur, peut-être de concert avec lui, à la fin, pressé par Velly, comme si l'affaire n'eût dépendu que de lui seul, il lui dit qu'il craignait bien que tous ces discours ne fussent qu'amusements.

Velly eut peine à le croire, tant l'empereur et ses ministres l'avaient enchanté par leurs promesses flatteuses; mais son collègue, plus éclairé, lui ouvrit les yeux. Il sentit que l'empereur le jouait, et il alla tout en colère lui faire ses plaintes. L'empereur ne demeura pas sans repartie : il avouait d'avoir offert le duché au duc d'Orléans; mais il disait que le roi n'avait pas accepté ses offres, puisqu'au lieu d'envoyer l'amiral pour ratifier le traité, il l'avait envoyé faire la guerre au duc de Savoie. Velly soutint au contraire que le roi avait accepté par lettres expresses, et qu'il avait eu raison de ne point laisser son armée sans chef, en envoyant l'amiral sur une espérance de paix incertaine; mais qu'il envoyait le cardinal de Lorraine, pour aplanir les difficultés, afin que l'amiral n'eût plus qu'à ratifier.

Il ajoutait que le roi avait interrompu, pour l'amour de l'empereur, tous les traités commencés, et suspendu l'action de ses armes, pendant que l'empereur ne cherchait que des prétextes pour ne point tenir sa parole, et se jouait de la crédulité de son maitre. Sur cela, l'empereur,

 

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ou las ou pressé, lui demanda s'il avait pouvoir de conclure; ce n'était pas de quoi il s'agissait, et Velly répondit que non.

L'empereur rompit là-dessus, disant qu'il n'avait donc plus rien à traiter avec un homme sans pouvoir, et tourna le dos à Velly qui le suivit inutilement. Il ne se rebuta pas, et il retourna chez l'empereur, dès le lendemain, sous prétexte d'accompagner l'évêque de Mâcon, qui allait saluer ce prince pour la première fois. Il fut ravi de les voir, parce qu'il voulait les avoir pour témoins d'un discours qu'il méditait contre le roi. Il devait entrer dans le consistoire, où. les cardinaux étaient déjà assemblés avec les ambassadeurs et tout ce qu'il y avait de plus illustre dans Rome. L'empereur obligea nos ambassadeurs à le suivre dans cette auguste assemblée : on remarque qu'il prit un soin particulier de les faire entrer et placer.

Le Pape arriva un quart d'heure après, sait qu'il fût de sa dignité de se faire attendre, ou qu'il voulût laisser l'empereur recevoir quelque temps tous les respects. Aussitôt qu'il fut assis, l'empereur, le bonnet au poing, témoigna qu'il voulait parler, et commença un long discours, qu'il prononça avec beaucoup de dignité et de véhémence. Il dit qu'il était venu à Rome pour deux raisons : l'une, pour baiser les pieds au Pape ; l'autre, pour exposer le désir qu'il avait eu de tout temps d'être en amitié avec le roi de France, à quoi n'ayant pu réussir, il se voyait contraint de rendre compte de ce qui s'était passé entre eux, afin que tout le monde pût juger qui avait raison.

Là, il reprit tous les différends de la maison d'Autriche avec celle de France, dès le temps de Maximilien et de Louis XII. Il vint à son élection à l'empire, la première cause, disait-il, de la jalousie que François avait eue contre lui, et des guerres qu'il lui avait suscitées. Il reprochait à ce prince qu'il avait violé tous les traités; premièrement celui de Madrid, et ensuite celui de Cambray; et n'avait jamais voulu entrer dans les propositions que lui, empereur, lui avait faites, tant contre les Turcs, que pour l'extirpation de l'hérésie; qu'il n'avait néanmoins rien oublié pour le satisfaire, et qu'après la mort de Sforce, il lui avait promis le duché de Milan pour son troisième fils, le duc d'Angoulême, ne jugeant pas expédient, pour le repos de l'Italie, de le donner au duc d'Orléans, qui avait trop de prétextes pour la troubler, par les prétentions de sa femme.

Il ajouta, que pendant que François, contre sa promesse, lui suscitait autant qu'il pouvait d'ennemis en Allemagne et en Italie, qu'il attaquait sans raison le duc de Savoie son allié, et sujet de l'empire, il n'avait de son côté que trois partis à lui proposer : le premier était celui de la paix, pour laquelle il offrait Milan au duc d'Angoulême, à condition que le roi son père concourût à l'extirpation de l'hérésie, à la tenue d'un concile que le Pape lui avait accordé, au repos de l'Italie, et à secourir la chrétienté contre le Turc.

Au refus d'un parti si raisonnable, il lui en offrait un second : c'était

 

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de vider entre eux deux leur querelle, par un combat de personne à . personne, et d'éviter par ce moyen plus grande effusion de sang. Il laissait le choix des armes au roi, et proposait le combat ou dans une île, ou sur un pont, ou sur un bateau : car il descendit à ces particularités, comme si la chose eût dû se faire, et il voulait pour condition nécessaire de ce combat, que le duché de Bourgogne fût mis en dépôt d'un côté, et celui de Milan de l'autre, pour être livré au vainqueur.

Le dernier parti qu'il offrait était la guerre; il dit qu'il voudrait pouvoir l'éviter, mais que s'il était contraint de prendre les armes, rien ne les lui ferait quitter, jusqu'à ce que lui ou son ennemi fût entièrement dépouillé; au reste, il ne doutait pas que ce malheur ne regardât François, agresseur injuste, qui attaquait la maison d'Autriche, dans le temps qu'elle était la plus puissante en hommes et en argent. Là, il se mit à vanter les victoires, le zèle et l'expérience de ses capitaines et de ses soldats, tellement supérieurs aux François, que s'il sentait à son ennemi le même avantage, il irait la corde au cou lui demander miséricorde. Il déclarait cependant qu'il voulait la paix par tous les moyens honnêtes. Il finit en disant, d'un ton plus haut, qu'il la conseillait, qu'il la désirait, qu'il la demandait; et après une longue interruption, durant laquelle il jeta les yeux sur un écrit qu'il tenait, il pria le Pape de juger lequel des deux avait tort.

Le Pape en deux mois loua l'empereur de l'amour qu'il témoignait pour la paix, à laquelle il espérait que le roi ne serait pas moins disposé; il détesta le combat qui ferait perdre à la chrétienté un de ses appuis; et après avoir déclaré qu'il était résolu de demeurer neutre, il conclut, en disant qu'il ne pourrait s'empêcher d'employer l'autorité de l'Eglise contre celui qui se montrerait déraisonnable.

Ce fut une chose étrange que la faiblesse des ambassadeurs de François : non-seulement ils laissèrent l'empereur déchirer tranquillement la réputation de leur maitre; mais après qu'il se fut tu, l'évêque de Maçon se contenta de dire un mot de la paix, et crut au surplus s'être assez acquitté de son devoir, en répondant qu'il n'entendait pas la langue espagnole, dans laquelle l'empereur avait parlé.

A l'égard de Velly, il s'approcha comme pour demander d'être ouï, et donna lieu à l'empereur de lui marquer plus de mépris, en lui répondant durement qu'il était las de paroles, et qu'il voulait des effets : au reste, qu'il donnerait son discours par écrit à l'ambassadeur; et que pour l'heure il n'aurait point d'autre audience : cela dit, il se leva, et laissa la compagnie fort étonnée.

Le défi, dont l'effet était impossible, parut une vanterie peu digne d'un si grand prince; mais le peu dé mesure qu'il avait gardé dans son discours, fit croire qu'il avait des forces capables d'accabler la France. Il s'en vantait publiquement, et remplit toute l'Europe du bruit de ses prodigieux préparatifs. Il craignit cependant lui-même de s'être

 

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trop déclaré, et le lendemain il fit ce qu'il put pour adoucir sa harangue en présence du Pape, de toute la cour de Rome, et de Velly.

Le Pape même prit soin d'apaiser nos ambassadeurs, et leur fit promettre que pour le bien de la paix ils manderaient les choses au roi avec toute la douceur possible. Le crédule Velly tint parole, et touché des nouvelles promesses que l'empereur, partant de Rome, lui fît faire par ses ministres qu'il y laissa, il crut rendre service à, son maître, de lui déguiser ce qu'il y avait de plus piquant dans la harangue : surtout il se garda bien de lui mander les paroles méprisantes que l'empereur avait dites contre les Français, sachant bien que le roi ne souffrirait pas aisément cet auront fait à son royaume, et la faiblesse pitoyable qu'on lui reprochait.

Pendant que l'empereur exagérait sa puissance par des paroles, peu s'en fallut qu'il ne ressentit de fâcheux effets de celle de l'armée de France, plus forte alors que la sienne. L'amiral s'étant avancé sur les ordres qu'il avait reçus, résolut de donner l'assaut à Verceil ; mais le cardinal de Lorraine, survenu dans le même temps, l'arrêta tout court, il apprit, par une lettre de Velly, tout ce qui s'était passé dans le consistoire; mais Velly diminuait tout, le plus qu'il pouvait, et il exhortait le cardinal à ne se pas rebuter.

Il n'avait pas besoin de ce conseil, car il se confiait tellement à son éloquence et à la force de son raisonnement, qu'il ne doutait presque point qu'il ne persuadât l'empereur. Ainsi il fit cesser l'amiral, en vertu de l'ordre qu'il lui portait de déférer à ses sentiments, et il conclut à une suspension d'armes avec Antoine de Lève, qui, étant encore plus faible de moitié que les Français, fut ravi de sortir d'affaire d'une manière si avantageuse.

Le cardinal n'eut plus qu'à poursuivre son voyage auprès de l'empereur, qu'il joignit à Sienne. Il le trouva inflexible sur le sujet du duc d'Orléans. Il persistait à proposer le duc d'Angoulême, en le mariant à une de ses nièces, et à condition qu'il tint le duché, non comme un bien venu de ses ancêtres, mais par une nouvelle investiture, comme un fief échu à l'empire par la mort de Sforce, sans que le roi pût jamais se mêler de cet Etat.

C'est une chose surprenante qu'on ne l'ait pas pris au mot, il eût formé apparemment d'autres incidents; mais du moins celui-là eût été fini, et on l'eût mis dans son tort ; mais on ne voulut jamais en France, que les enfants de France pussent espérer quelque bien, autrement que par leur père, et peut-être qu'on avait déjà senti dans les deux frères ce fond de jalousie qui se déclara davantage dans la suite.

Quoi qu'il en soit, le cardinal ne parla que du duc d'Orléans, et l'empereur demeura ferme à ne vouloir entendre parler que du duc d'Angoulême. Une partie de ces conférences se passèrent en altercations, sur ce que l'empereur avait promis; il n'en convenait pas, et parlait toujours plus haut, à mesure qu'il sentait ses forces s'assembler.

 

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Enfin le cardinal désespéra de le pouvoir vaincre; il fallut mander au roi qu'il y avait peu d'espérance à la paix, et à l'amiral, qu'il eût à. se tenir sur ses gardes.

Il lui restait à tenter ce qu'il pouvait faire par la médiation du Pape : il fut à Rome, et le Pape lui avoua sans peine que l'empereur tendait ouvertement à la guerre ; mais il n'y savait aucun remède : seulement il envoya deux légats, pour concilier les deux princes, et il conseilla au roi de céder au temps, qu'il croyait contraire à la France.

L'armée de Lève se fortifiait, et la nôtre, qui commençait à être plus faible, ne songeait qu'à tenir clans les places, en attendant que le roi eût envoyé du renfort. L'amiral le conjurait d'amuser à son tour l'empereur autant qu'il pourrait, et du moins de gagner un mois, pour lui donner le loisir d'achever les fortifications de Turin ; et le roi voulait au contraire qu'on tint ferme dans le Piémont, pour lui donner le loisir de lever des troupes.

Cependant l'empereur fit montrer au roi par Leidekerque son ambassadeur, sa harangue au consistoire avec des adoucissements. Leidekerque avait défense d'en laisser copie ; mais le roi ne laissa pas de dicter lui-même une réponse adressée au Pape et aux cardinaux. Ce qu'il y avait de plus remarquable était la manière dont il traitait le duel, chose déjà proposée et reconnue pour impossible. C'est pourquoi il ne fit pas sur cela le brave, et ne répondit point sérieusement à un appel qu'on savait bien qui n'aurait jamais d'effet : « Car, dit-il, nos épées sont trop courtes, pour nous combattre de si loin : mais si on s'approchait dans quelque bataille où l'empereur et moi nous nous trouvassions, je me montrerais disposé à le satisfaire. »

C'était peu de bien répondre aux paroles, il fallait se préparer à des combats plus sanglants. L'empereur avait trois armées : l'une de cinquante mille hommes, qu'il voulait commander en personne, et avec laquelle il prétendait faire une irruption en Provence; l'autre, qui ne devait pas être moindre, s'assemblait dans les Pays-Bas, sous le commandement du comte de Nassau, pour entrer dans la Picardie ; et une troisième en Espagne, qui menaçait le Languedoc

Avec de si grandes forces, il ne se proposait rien moins que d'engloutir tout à coup la France, d'autant plus qu'il croyait avoir empoché que François ne pût faire aucune levée ni en Suisse, ni en Allemagne; il voulait qu'en même temps qu'il entrerait en Provence, Nassau entrât en Picardie. Il avait pour cela besoin d'un peu de temps, et il tâcha de le gagner, en continuant d'amuser Velly, qu'il engagea à écrire au roi d'envoyer l'amiral, afin de conclure l'affaire du Milanais.

Quand le roi apprit cette nouvelle, lui qui était averti que tout était en armes contre la France : « Quoi! dit-il, l'empereur nous veut encore flatter de quelque espérance? Sans doute il veut avoir mon général pour ambassadeur, afin de tomber à l'improviste sur l'armée?

 

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Que ferons-nous à cet homme-ci ? Si nous ne lui envoyons pas l'amiral , ce lui sera un sujet de plainte : et si nous l'envoyons, nous n'en tirerons aucun profit; mais arrive ce qui pourra, et ce que Dieu a résolu, faisons connaître de notre part à amis et ennemis, que nous avons fait tout le possible pour empêcher la guerre. »

Cela dit, il envoya à l'amiral tous les ordres nécessaires pour mettre le Piémont en état. Il lui commandait de jeter dans les places ce qu'il y faudrait de monde, et après de se retirer, avec le reste de l'armée, en lieu sûr, vers la France, où il pût attendre de nouvelles forces. Il devait laisser le commandement des troupes qui restaient en Italie à François, marquis de Saluées, homme entendu à la guerre, en qui le roi avait une confiance particulière : et pour lui, il avait ordre de se tenir prêt à aller vers l'empereur, si le cardinal de Lorraine le mandait.

En même temps que le roi fit ces dépêches, il pourvut à la sûreté de la Picardie et de la Champagne, et fit lever des soldats de tous côtés avec une extrême diligence. Il envoya aussi le marquis d'Humières dans le Dauphiné, pour fortifier les places, et rassurer les peuples effrayés. Il donna quelques troupes au roi de Navarre, gouverneur de Guyenne, pour tenir les Espagnols en crainte; et il fit partir Langey pour regagner la confiance des princes d'Allemagne, aliénés de la France, par les mauvaises impressions que l'empereur leur avait données. Comme on leur avait persuadé que le roi voulait la guerre, et qu'il prétendait ôter le Milanais à l'empire, Langey eut ordre, au contraire, de soumettre l'affaire qu'il avait avec l'empereur, au jugement de la diète, parce que c'était à elle à connaître des prétentions de tous les vassaux de l'empire, tels que lui et ses enfants se reconnaissaient, à cause de ce duché.

Après avoir donné ses ordres, il délibéra dans son conseil de la manière de faire la guerre, et résolut d'abord d'aller avec toutes ses forces du côté où serait l'empereur, jugeant bien que ce serait là le grand effort. Il déclara toutefois qu'il ne voulait point hasarder de bataille, mais seulement ruiner le plat pays, sur son passage, pour le consumer : et que pendant ce temps-là il viendrait tous les jours de nouvelles forces à l'armée de France, et celle de l'empereur se ruinerait d'elle-même : avec ces résolutions, il attendait de pied ferme que l'empereur commençât : il n'eut pas longtemps à attendre. Antoine de Lève avait déjà passé la Sésia, avec vingt mille hommes de pied et six cents chevaux. L'empereur le devait suivre avec le reste de l'armée, et il lui fit assiéger Turin. L'amiral, en se retirant, selon les ordres du roi, y avait laissé cent hommes d'armes, trois cents chevau-légers, et cent hommes de pied. Il y avait d'autres troupes dans le Piémont, capables d'incommoder les impériaux; mais le marquis de Saluées, qui en avait le commandement, trahissait les intérêts du roi, et s'entendait avec Lève.

 

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Il avait oublié que le roi lui avait donné en pur don le marquisat de Saluces, fief du Dauphine revenu à la couronne, et qu'encore depuis peu il l'avait comblé de nouveaux bienfaits. Cependant il lui préféra l'empereur, ébloui des prédictions des astrologues, qui pronostiquaient à ce prince l'empire du monde, et des promesses encore plus vaines d'Antoine de Lève. Il fut assez lâche pour garder le commandement de l'armée, afin de tout perdre, s'il eût pu. Il voulait d'abord qu'on abandonnât toutes les places, à la réserve de Turin. Sur la résistance qu'il trouva dans les capitaines français, il fit semblant de vouloir défendre Fossan et Coni ; mais il fit inutilement consumer les vivres qui étaient dans Fossan, et sous prétexte d'y faire transporter le canon et les munitions de Coni, il les fit conduire à Revel, une de ses places.

Il se déclara ensuite ouvertement pour l'empereur, et ne prévint que de peu de temps les ordres qu'on avait donnés pour l'arrêter. Il dit, pour excuse de sa défection, que son marquisat relevait naturellement de l'empire, et que c'était par usurpation que les Dauphins s'en étaient attribué l'hommage. En même temps, Antoine de Lève, qu'il avait averti du mauvais état de Fossan, y vint mettre le siège et laissa seulement dix mille hommes pour continuer celui de Turin. Cette entreprise sauva la France : car le siège de Turin alla lentement, et Lève trouva dans Fossan une résistance inespérée.

Montpezat, qui y commandait, était accompagné de Villebon et de la Roche-du-Maine, officiers expérimentés. Tous ensemble ils considérèrent de quelle importance il était d'arrêter les premiers progrès des armes de l'empereur, et de donner du temps au roi ; ainsi ils résolurent de se défendre jusqu'à la dernière extrémité. Ils commencèrent par une sortie où Lève, qui avait la goutte, se fit jeter dans un blé pour se sauver, et la terreur fut si grande, qu'on ne songea à l'en tirer que le lendemain.

Comme le marquis lui avait donné un état des vivres de Fossan, il ne pressa pas le siège durant douze jours, et s'étonnait que la place ne se rendit pas. Il était si persuadé que nos gens l'abandonneraient, qu'il leur avait laissé un passage libre, pour se retirer dans Coni : ils s'en servirent pour se fournir d'eau ; et au reste, par le grand ordre qu'on donna aux vivres, cette place, que Lève espérait emporter d'abord, ne parlait pas encore de capituler au bout de vingt-six jours: car, encore qu'il y eût brèche, Lève appréhendait de perdre trop de gens à l'assaut, et il invita Montpezat à traiter, par le moyen de la Roche-du-Maine, qui était de son ancienne connaissance. La plupart des officiers voulaient plutôt mourir que de se rendre; mais Villebon, qui ne cédait à aucun autre ni en valeur ni en zèle, leur remontra que ce ne serait pas bien servir le roi, que de lui faire perdre, dans une place qui ne pouvait plus tenir, ce qu'il avait de meilleures troupes. Son avis fut suivi, et la Roche-du-Maine agit si bien, que par la capitulation il gagna dix ou douze jours, qui étaient le reste du mois de

 

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juin, au bout duquel on devait se rendre, s'il ne venait point de secours.

Huit jours après qu'on eut composé, l'empereur vint visiter son camp; il y trouva la Roche-du-Maine, qui servait d'otage, et il eut avec lui un entretien que les historiens ont jugé digne de remarque, particulièrement la réponse qu'il fît, lorsque interrogé par l'empereur combien de journées il pouvait bien y avoir encore jusqu'à Paris, il lui dit que s'il prenait journées pour batailles, il pouvait bien y en avoir douze, si l'agresseur n'avait la tête rompue dès la première. Il représentait à l'empereur, que lui et son maître étaient trop puissants pour se ruiner l'un l'autre; et au surplus, il souhaitait qu'une aussi belle armée que la sienne fût employée à une entreprise où elle pût espérer un meilleur succès.

L'empereur estima ce gentilhomme ; mais il attribua ses réponses au zèle qu'il avait pour son prince. Au reste, il n'y avait rien qu'il craignit moins que les armes de François ; c'est pourquoi, quand les deux légats lui parlèrent de la part du Pape, ils le trouvèrent peu disposé à entendre parler de la paix; mais comme ils avaient ordre de lui intimer, aussi bien qu'au roi, la convocation du concile général, indiqué à Mantoue pour l'année suivante, il répondit qu'il s'y trouverait en personne, et qu'il n'y avait que Dieu qui pût l'en empêcher (il croyait qu'il serait alors maître de la France) ; et pour la paix, il dit au légat qu'il y entendrait, lorsque le roi, après avoir rétabli le duc de Savoie, la lui ferait demander.

Charles V avait continuellement devant les yeux une carte de Provence, que le marquis de Saluées lui avait donnée, et fiché que Fossan eût arrêté si longtemps le cours de ses victoires, il résolut d'entrer dans cette province sons attendre qu'il eût réduit les autres places de Piémont ; les plus sages de son conseil lui remontrèrent en vain le danger qu'il y avait de laisser derrière tant de garnisons franc ois es, et de s'engager dans un pays où ils ne seraient pas longtemps sans manquer de vivres; il répondait qu'il valait bien mieux que la France servit de théâtre à la guerre que l'Halle; que François serait attaqué de tant d'endroits, par mer et par terre, qu'il ne saurait de quel côté se tourner, qu'il n'aurait ni Suisses, ni lansquenets, et qu'ainsi il serait réduit à n'avoir pour toute infanterie que des Français, médians soldats à pied. Cependant, disait-il, vaillant comme il est, il ne souffrira jamais d'être attaqué sans donner bataille, et il faudra qu'il succombe; ainsi il se promettait une victoire non-seulement assurée, mais prompte et facile.

On dit que Lève, qui l'incitait sous main à cette entreprise, faisait semblant en public de l'en détourner, pour lui laisser la gloire d'avoir conçu seul une entreprise aussi incertaine que hardie. Chose étrange, que les prédictions des astrologues aient été en cette occasion une raison d'entreprendre ! Lève se laissa flatter des grands succès qu'ils lui

 

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promettaient; mais l'empereur, pour faire les choses avec plus d'éclat, assembla l'armée, dont il voulait, disait-il, prendre les derniers conseils.

Il harangua ses soldats, qu'il appelait ses compagnons, dont les Français avaient tant de fois éprouvé la valeur. Il leur représentait la France déjà vaincue, et leur insinuait qu'outre la force il avait des intelligences secrètes, par lesquelles il espérait se voir obéir à Paris dans peu de jours; les soldats répondirent par des cris de joie, et l'empereur aussitôt fit marcher vers la Provence. Il partagea son armée en quatre, la moindre partie demeura pour continuer le siège de Turin, et conquérir le Piémont; le reste marcha en trois corps du côté de Nice. Le bagage et l'artillerie furent envoyés par mer sous la conduite d'André Doria, qui commandait l'armée navale.

L'empereur prit à bon augure d'arriver à Saint-Laurent, première place de France, le 25 juillet, dédié à saint Jacques, patron d'Espagne, jour que d'ailleurs il tenait heureux pour l'avantage qu'il avait eu, l'année précédente, en pareil jour, en Afrique, sur les infidèles. Cette rencontre lui donna sujet de haranguer ses soldats encore une fois, et de leur dire qu'ils auraient affaire à un roi qui n'était chrétien que de nom, et qui avait renoncé à la foi de ses ancêtres par l'alliance qu'il avait faite avec les Turcs. Sa harangue fut longue et vigoureuse : il la conclut en assurant ses soldats qu'une seule bataille allait les rendre maîtres de tout le royaume de France ; ou plutôt qu'en se montrant seulement à des troupes déjà défaites par la terreur, ils feraient une aussi grande conquête. Dès là on ne parla plus dans l'armée de l'empereur que des dans qu'il ferait à ses serviteurs, des charges, des terres, et des gouvernements de France. Il attendait tous les jours des nouvelles du comte de Nassau, qui devait entrer en Picardie, et qui passa en effet la rivière de Somme dans le même temps.

Le roi cependant était à Lyon, et prévoyant que l'empereur s'assurerait d'Avignon, pour avoir un passage sur le Rhône, il envoya le maréchal de Montmorency, grand-maître de France, avec ce qu'il avait de troupes plus prêtes. Il lui ordonna seulement de ne rien hasarder, et de faire le dégât partout sur le passage de l'empereur.

Le grand-maître alla visiter les places de Provence, fortifia les bonnes et abandonna les faibles, entre autres Antibes et Aix, capitale delà province, et siège du parlement. On peut juger quelle était la consternation des peuples, et combien ce triste état des affaires enflait le cœur aux ennemis. On ne songeait pas même à les harceler sur les passages. Le roi avait seulement partagé ses troupes en deux : une partie s'était avancée avec le grand-maître, qui la fit retrancher vers Cavaillon, entre le Rhône et la Durance. Lautrec campait sous Valence, où le roi ne tarda pas à se rendre ; il y demeura ferme, afin que si l'armée du grand-raallre était forcée, celle de Valence lui servit de retraite, et que l'empereur trouvât une seconde armée, aussi forte que la première, sur son passage.

 

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On eut bien de la peine à tenir ainsi les Français renfermés dans un camp, contre le génie de la nation; ils demandaient qu'on les menât à l'ennemi, surtout ceux qui en étaient le plus proche, et ils pressaient le grand-maitre de marcher hardiment contre l'empereur, avant que toutes ses troupes fussent assemblées. Il les arrêta en leur remontrant que c'était hasarder le royaume que de hasarder une bataille : ainsi on se tint sur la défensive, et ceux qui faisaient le dégât devant l'armée de l'empereur, avaient ordre de se reculer à mesure qu'elle avancerait, pour ne point lui donner de prise.

Il n'y eut que Montéjan, qui, à force d'importuner le grand-maitre, obtint permission d'escarmoucher contré l'avant-garde ennemie, commandée par Ferrand de Gonzague. Boissy se joignit à lui; et comme ils avaient deux mille hommes sortis de Fossan, ils crurent qu'avec de si bonnes troupes, ils remporteraient quelques avantages, en attaquant l'ennemi dans des défilés sur les montagnes du côté de Grasse ; mais ils furent surpris à Brignole, d'où, faisant leur retraite par des chemins creux, ils eurent l'avantage, quoique plus faibles, jusqu'à ce. qu'étant poussés en pleine campagne, ils succombèrent à la force. Montéjan et Boissy furent pris avec la plupart de leurs gens, et à peine se sauva-t-il trois hommes d'armes. C'a été de tout temps une adresse des Espagnols d'exagérer leurs avantages; ils publièrent qu'ils avaient taillé en pièces l'avant-garde du roi de France, et pris ses deux favoris, ce qu'ils firent sonner si haut, que plusieurs princes se déclarèrent pour eux, et qu'ils jetèrent l'effroi jusque dans notre

Le grand-maitre, après avoir mis ordre aux fortifications de la ville d'Arles, revint en diligence à Avignon, pour remettre les esprits. La manière ferme et agréable dont il agissait, lui gagna le cœur de toute l'armée. Tous les malins, au soleil levant, après avoir ouï la messe (car on remarque qu'il commençait par cet acte de piété), il ne manquait pas à donner audience à tout le monde : il visitait les fortifications, et pressait tellement les travaux, qu'en peu de jours son camp fut presque imprenable: il eut un soin particulier, non-seulement qu'il fût fort, mais qu'il fût net, pour empêcher les maladies, et pour tenir les soldats en bonne humeur, par l'agréable disposition de leurs logements.

On apprit en même temps que le comte de Nassau s'était rendu maître de Guise, par la lâcheté de la garnison et du gouverneur, qui ne firent nulle résistance. Cette nouvelle vint au roi le même jour que celle de la défaite de Montéjan. De si mauvais commencements ne firent que le rendre plus attentif à ses affaires ; mais il apprit peu de jours après une nouvelle bien plus fâcheuse; ce fut la mort du dauphin François, jeune prince dont la prudence était au-dessus de son âge, et qui avait le cœur de toute la Cour. Il était demeuré malade pendant le voyage de Valence, et quatre jours après il mourut à Tournon avec

 

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des douleurs et des convulsions étranges; ce qui fit soupçonner l'empoisonnement.

La douleur du roi fut extrême, et sa constance fut admirée de tout le monde. Il avait de grandes faiblesses sur le sujet des femmes : mais Dieu par sa bonté n'avait pas permis que cette passion étouffât tout à fait en lui les sentiments de la religion qui se réveillaient de temps en temps dans les occasions extraordinaires. A celle-ci on lui vit d'abord jeter de profonds soupirs; mais tout d'un coup, après un peu de réflexion, il leva les mains et les yeux au ciel, se soumettant humblement aux ordres de Dieu, et reconnaissant que lui seul pouvait lui donner la force nécessaire pour soutenir un si grand malheur.

Après qu'il se fut ainsi résigné à la volonté de Dieu, il se mit à consoler les autres, et ayant fait venir le duc d'Orléans, devenu Dauphin, il lui dit que c'était à lui de le consoler, en faisant revivre les vertus et les bonnes qualités de son frère, qu'il devait non-seulement imiter, mais surpasser. Il se remit ensuite à travailler à ses affaires, et soulagea son affliction par le soin qu'il en prenait. Jamais elles n'avaient été plus pressantes, et depuis la mort du Dauphin, tous les jours le roi apprenait quelque nouvelle entreprise des ennemis. Après la prise de Guise, Nassau s'était avancé dans la Picardie. Il brûla toute la campagne, et jeta l'épouvante jusque dans Paris. Enfin le 12 d'août (ce fut à ce même jour que le roi perdit le Dauphin), il vint tomber sur Péronne, qu'il croyait emporter d'abord, parce qu'il n'y avait qu'une faible garnison.

En même temps l'empereur s'était emparé de Toulon, et avait saccagé la ville d'Aix, d'où il partit le 15 août pour assiéger Marseille. Il pensa y être tué d'un coup de canon, allant reconnaître la place avec le marquis du Guast. Il donna ordre aux affaires, et retourna à Aix, dont il avait fait sa place d'armes. En parlant, il envoya le marquis du Guast pour tenter la prise d'Arles, et il laissa au duc d'Albe le soin du siège de Marseille; mais les choses n'allaient pas si vile qu'il s'était proposé.

Le maréchal de La Mark trouva moyen d'entrer dans Péronne, avec cent hommes d'armes et mille hommes de pied, ce qui la mit en état de défense. Pour Paris, le cardinal du Belley qui en était évêque, et que le roi avait fait son lieutenant-général, donna si bon ordre à tout, qu'en peu de temps cette grande ville se trouva fournie de vivres pour un an. L'entreprise d'Arles manqua par la diligence incroyable que le grand-maître avait apportée à la fortifier; elle se trouva en si bon état, qu'on n'osa l'attaquer. Marseille ne craignait rien, forte par elle-même, et munie de chefs, de soldats, de vivres et de toutes sortes de provisions.

Les impériaux au contraire souffraient beaucoup; en passant les montagnes, les paysans leur avaient tué beaucoup de gens, et la personne de l'empereur avait été plusieurs fois en péril. Les garnisons de

 

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Piémont les incommodaient extrêmement, en défaisant leurs convois, et en brûlant leurs magasins. Depuis qu'ils furent à Aix, ville éloignée de Toulon, d'où l'empereur faisait amener ses vivres, ils manquèrent presque de pain, et on n'en voyait qu'à la table des officiers généraux.

Dans cette disette, les soldats, principalement les Allemands, se soûlaient des délicieux raisins que porte cette contrée, et périssaient de la dyssenterie. L'empereur avait vainement tenté d'engager le Pape et les princes d'Italie à l'aider dans une guerre, qu'il disait n'avoir entreprise que pour leur commun intérêt. Le Pape avait répondu que le Turc seul tirerait avantage de cette guerre, et qu'il était bien éloigné d'entretenir un feu qu'il voudrait éteindre de son sang. Les potentats d'Italie s'étaient excusés par de semblables raisons.

Cependant les forces du roi croissaient tous les jours. Boisrigauld, son ambassadeur auprès des Suisses, malgré les violentes sollicitations des ministres de l'empereur, sut persuader aux cantons qu'ils se ruinaient eux-mêmes en laissant ruiner la France, et qu'ils perdraient non-seulement leurs grosses pensions qu'ils tiraient d'un si grand royaume, mais encore tous les moyens de défendre leur liberté contre la puissance d'Autriche. Touchés de ces raisons, ils permirent des levées considérables. Il est vrai qu'elles ne se firent pas ouvertement, les soldais venaient à la file, par des chemins détournés, joindre leurs camarades qui étaient déjà en grand nombre dans l'armée du roi. Il les reçut à Valence, et donna lui-même une chaîne d'or à chacun de leurs capitaines.

Ses forces étaient déjà presque égales à celles de l'empereur, et il attendait encore de nouveaux renforts. Le comte Gui de Rangon avait rassemblé en Italie dix mille hommes de pied, et six cents chevaux, que le roi lui avait fait congédier, pour contenter l'empereur, un peu avant qu'on en fût venu à la force ouverte. Il envoya le Dauphin, avec titre de général, dans l'armée que commandait le grand-maitre. Il lui dit en partant qu'il l'envoyait non pour commander, mais pour apprendre à commander, sous un si grand capitaine : « Allez, lui dit-il, conduisez-vous de telle sorte, que si vous n'étiez pas ce que vous êtes, on désirât que vous le fussiez. »

A l'arrivée du Dauphin, la jeunesse qui le suivait ne parlait que de combattre, et accusait le grand-maitre de lâcheté. A les entendre, il n'y avait rien de si facile que de faire lever le siège, et ils répond aient du succès; mais le grand-maitre, qui savait qu'une des plus grandes qualités d'un général était de ne pas se laisser émouvoir aux discours et aux reproches des siens, demeura ferme dans son dessein de ne rien hasarder. Il connaissait le triste état des troupes de L'empereur, qui dépérissaient tous les jours; ainsi il se contentait de leur donner des alarmes continuelles, de battre leurs fourrageurs, et de leur couper les vivres.

Ce n'était pas lui seulement qui les leur était ; un convoi, que l'empereur

 

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avait fait préparer à Toulon avec grand soin, fut défait en chemin par les paysans. Le duc d'Albe ne voyait que famine et mortalité dans son camp. Le reste de l'armée, qui campait aux environs d'Aix, n'était pas en meilleur état. Antoine de Lève y mourut de maladie, à quoi contribua beaucoup le chagrin qu'il eut du mauvais état des affaires que tout le monde imputait à ses conseils.

Cependant Gui de Rangon fit, avec César Frégose, un des chefs de son armée, une entreprise sur Gênes; elle ne réussit pas, parce que l'artillerie leur manquait. Ils prirent le chemin de Piémont pour ne point demeurer inutiles. A leur approche les impériaux quittèrent le siège de Turin, ce fut le 3 de septembre. Ces troupes victorieuses reprirent tout le marquisat de Saluces, et plusieurs places de Piémont, où il y avait des vivres pour l'armée d'Aix; ainsi la misère y croissant tous les jours, l'empereur commençait à songer à la retraite; et rien ne le retenait, que la honte de retourner en arrière sans rien faire, après tant de bruit. A la fin, il fallut céder à la nécessité; car encore que sa flotte, conduite par André Doria, lui eût amené des vivres, il n'y en avait pas assez pour achever son entreprise.

Il fit embarquer son artillerie, et pour couvrir sa retraite, il commanda à ses soldats de se tenir prêts à marcher, comme s'il eût eu quelque grand dessein. Le roi, qui ne pouvait se persuader qu'il s'en retournât sans rien entreprendre, ne douta pas qu'il ne vint attaquer le grand-maître; il accourut en diligence; mais aussitôt qu'il fut arrivé au camp, il apprit que l'empereur avait repris le chemin d'Italie ; partout où passait son armée, elle laissait tout le pays plein de morts ou de mourants, et de cinquante mille combattants, à peine en emmena-t-il vingt-cinq ou trente mille.

On blâma le grand-maître et le roi même, de n'avoir pas poursuivi une armée qui se retirait en si mauvais état. Le conseil de ne point combattre ne paraissait plus de saison, dans un temps où il n'y avait rien à hasarder, et l'empereur lui-même a dit souvent depuis, qu'il devait son salut à la circonspection du grand-maître ; mais on fut si aise d'être délivré de la crainte qu'on avait eue de tout perdre, qu'on ne songea pas à profiter d'une occasion si favorable. On prit pour prétexte qu'il fallait aller secourir Péronne, que l'on supposait pressée. Elle n'avait plus besoin de secours.

Le maréchal de La Mark, après avoir soutenu quatre furieux assauts, réduisit les ennemis à ne pouvoir rien entreprendre. Ainsi il fallut lever le siège, et le roi en apprit la nouvelle incontinent après la retraite de l'empereur, c'est-à-dire, environ Je 15 de septembre. La levée du siège de Péronne ne donna pas moins de joie à toute la France, que celle du siège de Marseille; car comme le roi avait opposé de grandes forces à l'empereur vers la Provence, il y avait moins à craindre de ce côté-là; mais tout était en péril du côté de la Picardie, où Nassau n'avait à combattre que les garnisons des places.

 

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Langey fui cause en partie du bon succès-de nos affaires, en détournant les troupes qui devaient venir d'Allemagne grossir les armées ennemies. Il était parti de France au commencement de juin, aussitôt qu'il avait reçu ses ordres. Les traverses qu'il eut dans son voyage et dans ses négociations sont incroyables; car l'empereur, qui se souvenait des grandes choses qu'il avait faites contre lui en Allemagne, n'eut pas plus tôt appris que le roi l'y renvoyait, qu'il résolut de tout remuer pour empêcher son passage; il avait disposé des troupes sur les bords du Rhin, et ceux qui les commandaient avaient tous le portrait de Langey, qu'on avait trouvé moyen de faire si ressemblant, qu'il était impossible de le méconnaître.

En effet, comme il était prêt à passer, si bien déguisé, qu'il croyait pouvoir tromper les plus clairvoyants, il se vit tout d'un coup reconnu. Un officier qu'il ne connaissait point, après l'avoir salué en français par son nom, à basse voix, lui dit du même ton qu'il avait deux mots à lui dire, dans une maison qu'il lui montra. Langey entra, et il apprit que ce gentilhomme, qui avait ordre de l'arrêter, ne désirait rien tant que de lui faire plaisir. C'était un officier allemand, qui avait autrefois servi en France sous le comte de Furstemberg, et qui, dans une grande nécessité où il s'était trouvé par la perte de son bagage, avait reçu de Langey quelque libéralité. Il s'ôlait toujours souvenu combien il l'avait obligé de bonne grâce, et pour lui en témoigner sa reconnaissance, il lui montra ses ordres, et lui fit connaître combien d'officiers en avaient de semblables. Pour conclusion, il lui conseillait de s'en retourner en France, et lui offrait pour cela toutes sortes de facilités; mais Langey lui répondit en peu de mots, selon sa coutume, que sa vie était à son pays, qu'il allait pour servir son prince, et que rien, excepté la prison ou la mort, n'était capable de l'arrêter. Il se mit à raconter à ce gentilhomme le tort qu'on faisait à son maître en Allemagne, et combien on y déguisait ses bonnes intentions. Enfin il lui expliqua les ordres qu'il avait de donner toute satisfaction au corps de l'empire, et fit tant par ses discours qu'un officier, qui était chargé de l'arrêter, crut servir son prince en facilitant son passage.

Ainsi Langey arriva dans les terres de Saxe où il était en sûreté, et passa de là à. Munich auprès du duc de Bavière. Il n'eut pas moins de peine dans sa négociation, qu'il en avait eu dans son passage. On avait persuadé aux Allemands que le roi ne faisait la guerre que pour faciliter au Turc l'entrée dans les pays chrétiens. On avait fait mille fausses histoires des traitements cruels qu'il faisait en France aux marchands allemands, et même aux François qui avaient commerce en Allemagne; qu'il faisait, disait-on, mourir comme luthériens, sons écouter leurs défenses. On ne se con ton tait pas de rendre le roi odieux, on le rendait méprisable.

Les ministres de l'empereur avaient répandu une infinité de copies de la harangue que ce prince avait faite dans le consistoire ; mais ils

 

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l'avaient ajustée à leur mode, et ils y faisaient parler l'empereur avec tant de hauteur, qu'on eût dit que le roi de France n'était auprès de lui qu'un petit prince. On avait même débité un cartel de défi qu'on disait avoir été présenté au roi, environné de ses princes et de ses barons, par un héraut qui lui portait une épée émaillée d'un côté de couleur de sang, et de l'autre en forme de flammes pour lui dénoncer la guerre à feu et à sang, s'il ne se désistait de celle qu'il faisait avec le Turc à la religion chrétienne.

Des choses si vaines avaient fait une si puissante impression sur l'esprit des peuples, qu'ils couraient à l'envi s'enrôler contre le roi, le regardant comme perdu, et la France comme leur proie. Langey au commencement n'était pas même écouté ; mais il fit imprimer tant de lettres et tant de mémoires en latin, en allemand et en français, qu'à la fin plusieurs ouvrirent les yeux.

La protestation qu'il faisait au nom du roi, de soumettre tous ses différends à la diète de l'empire, fit un grand effet; mais ce qui acheva de désabuser le peuple, ce fut les marchands qui arrivaient des foires de Lyon, et qui, au lieu de se plaindre d'aucun mauvais traitement, ne cessaient au contraire de se louer des offres magnifiques que le roi leur avait faites pour faciliter le commerce, même en cas de rupture, Rengageant à leur fournir jusqu'à quatre et cinq cent mille écus, à rendre en France ou en Allemagne, après ou durant la guerre. Langey répondit de même sur tous les autres articles, et satisfit tellement les princes et les peuples, qu'au lieu de treize mille lansquenets qui devaient descendre en Champagne, à peine en demeura-t-il deux ou trois mille sous les étendards du roi des Romains. Il en envoya une partie en Italie, et l'autre au comte de Nassau; mais un si faible renfort n'eut aucun effet remarquable, et ainsi toutes les mesures de l'empereur furent inutiles.

Quoiqu'on eût résolu de ne pas poursuivre l'empereur en corps d'armée, on avait détaché de la cavalerie après lui; elle lui tua beaucoup de monde, et il Fui contraint d'abandonner une infinité de malades. Il eut une peine extrême à se tirer des montagnes; mais enfin il gagna Gênes, où ses galères l'attendaient pour le ramener en Espagne. Il en vil périr deux devant le port de Gènes, et il eu perdit six autres pendant le voyage. Il crut diminuer les pertes qu'il avait faites par mer et par terre, en disant partout qu'il rentrerait bientôt en France avec tant de forces, qu'elle ne pourrait y résister.

A l'égard du roi, il retourna à Lyon, où on fit, durant son séjour, le procès à un Italien qui avait empoisonné le Dauphin. Il s'appelait Sébastien Montécuculli; on l'avait arrêté sur des soupçons assez légers : on l'avait vu seulement tourner autour d'un vaisseau où l'on portait de l'eau fraîche à boire au Dauphin. Il confessa son crime à la question, et déclara de plus qu'il avait été suborné par Antoine de Lève, et par Ferrand de Gonzague, ajoutant qu'il avait promis de faire périr le roi et ses deux autres enfants par la mémo voie. Les impériaux

 

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se moquèrent d'une déclaration extorquée par force, et qui avait si pou de vraisemblance. Ils attribuèrent la mort du jeune prince à des excès de jeunesse, qui n'étaient que trop véritables, et que le roi eût eu peine à réprimer. On soupçonna depuis Catherine de Médicis, comme intéressée à une mort qui lui assurait la couronne. Quoi qu'il en soit, le coupable fut tiré à quatre chevaux, et on fut bien aise à la Cour d'avoir imputé la mort du Dauphin aux impériaux.

François, parti de Lyon, rencontra le roi d'Ecosse sur le chemin de Paris. Au premier bruit de la guerre, ce prince avait levé seize mille hommes dans ses Etats, il s'était embarqué avec eux pour venir au secours du roi, et quoique repoussé deux fois par la tempête, il ne s'était point ralenti, et avait pris terre en Normandie avec une partie de ses troupes : il prit la poste pour se trouver à la bataille qu'on croyait que l'empereur devait donner : mais ayant appris sa retraite, il attendit le roi sur son passage, pour lui demander en mariage sa fille Madeleine, qu'il lui avait fait espérer.

Après quelques difficultés, le mariage se fit à Blois avec grande satisfaction du roi d'Ecosse, qui se tint honoré par cette alliance (1537). Il y avait une éternelle jalousie entre les rois d'Angleterre et les rois d'Ecosse; ainsi ce mariage donna du chagrin à Henri, et peu s'en fallut qu'il ne s'unit de nouveau avec l'empereur. Catherine, qui avait été le sujet de la rupture, était morte un an après la sentence du Pape; elle avait vu avant sa mort sa rivale odieuse au roi son mari. Il aima une autre maitresse, et dans la suite il fît mourir Anne de Boulon pour ses impudicités.

L'empereur, ainsi déchargé de la protection qu'il devait à sa tante, et délivré des mauvais offices que lui rendait Anne son ennemie, invita Henri h rentrer avec lui dans leurs anciennes confédérations contre la France. Il y était disposé, et ne pouvait pardonner à François le refus qu'il lui avait fait de suivre ses emportements contre le saint Siège ; mais son schisme et les cruautés qu'il avait exercées pour le maintenir, avaient brouillé tout son royaume.

Il avait fait couper la tête à Thomas Morus son chancelier, et à Jean Fischer, évêque de Rochestre, que le Pape avait fait cardinal dans la prison. C'étaient les deux plus grands hommes d'Angleterre, que le roi n'avait jamais pu gagner. Ceux qui suivaient leurs sentiments, craignirent d'avoir le même sort, et comme ils étaient en grand nombre, ils firent un parti considérable. Henri, qui avait eu peine à les apaiser, les appréhendait, et n'osait s'engager dans de nouvelles affaires. Mais François connaissait son inconstance; il était d'ailleurs aigri contre l'empereur, qui, en l'amusant de belles promesses sur le Milanais, s'était presque mis en état de l'accabler tout à coup, et il songeait combien il aurait à craindre, si le roi d'Angleterre se joignait encore à un ennemi si puissant.

Ainsi ses défiances, ses jalousies et sa colère contre l'empereur, qui

 

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l'avait traité avec tant de mépris, la honte d'avoir été trompé, et surtout l'ardente passion de recouvrer un si beau duché, l'ancien héritage de ses ancêtres, lui firent prendre un dessein qu'on n'aurait pas attendu de son courage. Ce fut de s'allier avec le Turc, et même de l'exciter contre la chrétienté; ceux qui veulent l'excuser disent qu'il ne tint pas à, l'empereur qu'il ne se procurât un pareil appui, et l'accusent de ne s'être pas opposé, autant qu'il pouvait, aux entreprises des Ottomans, pour tenir en bride les Etats d'Allemagne, et même son frère Ferdinand. Mais quoi qu'il en soit, celui qui réussit le mieux dans de pareilles entreprises est toujours le plus malheureux.

La chrétienté a reçu un grand exemple sur ce sujet dans Louis XIV, qui, se voyant attaqué par toute l'Europe, et même par l'empereur, et tous les Etats de l'empire, sans qu'il leur en eût donné aucun sujet, a été si éloigné de se servir du Turc, que le voyant résolu à faire la guerre ou à la Pologne ou à la Hongrie, il n'a pas même voulu le déterminer au parti qui était le plus convenable aux intérêts de la France.

Charles et Ferdinand avaient leurs gens à la Porte; et ils n'oublièrent rien pour empêcher La Forest, que François y avait envoyé, d'avoir audience de Soliman; mais ce gentilhomme plein d'esprit trouva moyen d'être introduit, malgré les ministres que la maison d'Autriche avait gagnés. Il fit connaître à Soliman, que l'empereur, qui venait de perdre en France sa réputation et ses meilleures troupes, ne serait pas en état de défendre ses Etats d'Italie, s'il y était attaque de deux côtés ; ainsi il l'invitait à occuper les côtes de Naples avec une puissante flotte, pendant que le roi entrerait de son côté dans le Milanais. Soliman ne manqua pas à ses intérêts, et il promit à La Forest que sa flotte partirait vers le printemps. Il fit plus, il rompit avec la république de Venise, sous prétexte que dans le traité qu'elle venait de faire avec l'empereur, il y avait un article par lequel elle se liguait avec lui pour la défense de l'Italie. Soliman interpréta cet article contre lui, et saisit tous les vaisseaux de la Seigneurie, qui se trouvèrent dans ses ports. Voilà ce qui se préparait de loin contre l'empereur.

En France, durant l'hiver, on faisait de grands préparatifs pour la campagne prochaine; mais le roi, pour donner de l'éclat à ses entreprises, fit précéder les hostilités par les formalités de la justice. Il prit sa séance dans le parlement avec les princes de son sang, les pairs et les seigneurs de son royaume. Là son avocat général remontra que l'empereur, qui devait fidélité au roi pour ses comtés de Flandre, d'Artois et de Charolais, avait fait diverses rébellions contre son souverain seigneur; et il montrait l'inutilité des traités de Madrid et de Cambray, faits par le roi captif, ou pour tirer de captivité ses enfants laissés en otage, et concluait que ces comtés fussent confisqués et réunis à la couronne.

 

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On fit semblant de délibérer, et on prononça un arrêt par lequel le roi ordonnait que l'empereur serait ajourné sur la frontière, afin qu'il envoyât quelqu'un pour répondre aux conclusions du procureur général. La sommation fut faite par un héraut, et personne ne comparaissant à l'assignation, le roi, de l'avis de son parlement, adjugea au procureur général ce qu'il demandait. Pour venir à l'exécution, après avoir fait ravitailler Térouanne, il se mit en campagne sur la fin de mars, avec une armée de vingt-cinq à vingt-six mille hommes.

Le grand-maitre de Montmorency était son lieutenant général. Il assiégea le château de Hesdin; on fut trois semaines à saper la place inutilement, le roi ensuite désigna lui-même le lieu d'une batterie, et la brèche en trois jours fut de trois toises. Aussitôt la jeune noblesse courut à l'assaut sans ordre, et fut repoussée avec perte, il  fallut faire des défenses, sous peine de la vie, d'entreprendre rien de semblable; un peu après la place se rendit. Saint-Pol se rendit aussi avec quelques petites places, et voilé tout l'exploit de cette campagne.

Le roi demeura quelque temps après pour faire fortifier Saint-Pol, qu'un ingénieur italien lui promettait de rendre imprenable. On y employa beaucoup de temps, et on y fit de grandes dépenses; mais le roi étant parti le 3 mai, un mois après, la place, attaquée par le comte de Bure, gouverneur des Pays-Bas, fut prise de force en moins de trois jours, avec le gouverneur, et une grosse garnison que le roi y avait laissée : le comte fit raser la place, qu'il trouva commandée de trop d'endroits pour être fortifiée, après quoi il prit Montreuil sans peine, et mit le siège devant Térouanne.

Quand le roi se retira de Picardie, on crut qu'il allait en Italie, en exécution du traité conclu avec Soliman. Barberousse avait paru vers le mois de mai sur les côtes de Naples avec une fiotte redoutable ; car encore que Soliman n'eût point de vaisseaux, quand la négociation: commença, il commanda qu'on en bâtit quatre-vingts en Egypte, et il était si bien obéi, qu'ils furent prêts dans le temps qu'il l'avait promis. Il attendait en Albanie que Barberousse prit quelques places sur la côte, pour entier en Italie avec cent mille hommes, quand il apprit que le roi, au lieu d'attaquer le Milanais, faisait la guerre en Picardie ; il retourna à Constantinople, plein de colère et de dédain pour le roi; mais son intérêt l'empêcha de rompre. Barberousse, indigné que son maître eût fait inutilement un armement si considérable, tâcha de surprendre l'île de Corfou : il la trouva si bien munie, qu'il n'osa l'attaquer, et se contenta de piller quelques places de la côte, d'où il enleva quinze à seize mille prisonniers.

Le comte de Bure pressait Térouanne, et comme, après douze jours de siège, elle manquait de poudre et d'arquebusiers, Annebaut trouva moyen d'y en faire entrer la nuit quatre cents, avec chacun un sac de poudre; mais à son retour, quantité de jeune noblesse qui l'avait suivi, voulut donner l'alarme aux ennemis : elle les trouva à cheval,

 

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et n'en fut pas bien reçue. Annebaut fut obligé de retourner sur ses pas pour dégager les siens; mais il fut entouré et pris avec presque tous ses gens.

Cependant le Dauphin était avec le grand-maître autour d'Abbeville, où il ramassait des troupes pour faire lever le siège. Le comte de Bure, n'espérant plus réussir dans son entreprise, fit proposer une suspension d'armes pour traiter de la paix : elle fut acceptée pour trois mois, et les affaires de Picardie finirent par la.

En Piémont, le marquis du Guast prit le château de Carmagnole, où François, marquis de Saluces, fut tué en reconnaissant la place. Les affaires de France étaient en mauvais état par la division des chefs, et par le manquement d'argent. Ainsi le marquis du Guast reprit aisément toutes les bonnes places de Piémont, excepté Turin et Pignerol; il tenait cette dernière place bloquée. Pour remédier à ces désordres, le roi envoya premièrement de l'argent avec une armée de trente-six mille bommes de pied, et de quatorze cents hommes d'armes. Il se rendit à Lyon le 6 d'octobre, et le 10, avant que toutes les troupes fussent assemblées, le Dauphin, accompagné du grand-maitre, s'avança avec douze mille hommes de pied et deux cents chevaux, résolus de chasser du pas de Suse dix mille hommes que le marquis y avait mis pour le garder. Le grand-maitre ayant reconnu les hauteurs d'où l'on voyait dans les retranchements, les occupa, et chassa les impériaux à coups d'arquebuses; le marquis, qui était campé à Rivole, y reçut ses gens, et délogeant aussitôt, laissa Pignerol en liberté : il ne demeura pas longtemps à Montcalier où il s'était retiré, et il abandonna au Dauphin tout le Piémont, qui se remit sous l'obéissance du roi, qui était arrivé en personne dans son armée.

On reprit tout le marquisat de Saluces, que du Guast avait occupé; le roi le donna à Gabriel; évêque d'Aix, frère du dernier marquis, et le seul qui restait de la maison. Il en jouit le reste de sa vie, et étant mort au règne suivant, le marquisat fut réuni à la couronne. Le marquis du Guast, renfermé dans Ast, n'ayant pas de quoi résister à une si grosse puissance, crut le Milanais perdu, quand il vit hors de ses mains le Piémont, qui en était le rempart; mais François se laissant flatter de l'espérance de la paix, consentit à une trêve de trois mois, semblable à celle qui avait été faite pour la Picardie, à condition que chacun garderait ce qu'il tenait. Les armées se retirèrent de part et d'autre.

Montéjan fut fait gouverneur de Piémont, et Langey, qui retourné d'Allemagne avait bien servi dans cette guerre, eut le gouvernement de Turin. Un peu après, le roi, qui ne voyait rien au-dessus des services du grand-maître, l’éleva au comble des dignités, en lui donnant la charge de connétable, qu'il avait si longtemps laissée vacante. Annebaut fut fait maréchal de France à sa place, et Montéjan eut celle du maréchal de La Mark, qui était mort peu de temps auparavant. Ce

 

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grand capitaine avait reçu à la Cour, au retour du siège de Péronne, tout l'applaudissement que méritait l'importance de ses services. Il apprit la mort de Robert de La Mark son père et comme il allait pour prendre possession de la principauté de Sedan et de ses autres Etats, il mourut lui-même dans le temps qu'il devait attendre les plus grandes récompenses.

Environ dans ce même temps, le chancelier Anne du Bourg étant à Laon, la foule du peuple le fit tomber de sa mule; les blessures qu'il reçut en cette occasion lui causèrent la mort : le président Poyet fut mis à sa place. La trêve qui avait été faite jusqu'à la fin de février, fut prolongée pour six mois. Cependant le temps parut favorable au Pape pour commencer le concile qu'il avait une extrême envie de tenir; il crut qu'en assemblant les deux princes, il les ferait concourir à une œuvre si importante, et peut-être qu'il trouverait les moyens de les mettre tout à fait d'accord; il leur fit dire à tous deux qu'il avait un désir extrême de les voir ensemble. Il était facile d'attirer François, qui aimait à se montrer, et qui croyait toujours gagner tout le monde par son procédé noble et sincère. L'empereur se fit prier davantage ; mais au fond il était bien aise d'avoir occasion d'amuser François : l'assemblée se fit à Nice, au commencement de juin.

Les deux princes ne se virent pas, et on ne sait pas bien pourquoi l'empereur ne voulut jamais cette entrevue; il craignit apparemment d'être pressé sur le Milanais en la présence d'un tiers si considérable ; ainsi le Pape portait les paroles de part et d'autre ; mais comme ces conférences n'étaient que grimaces, il ne fit pas longtemps un si mauvais personnage.

Il négocia le mariage de deux enfants d'un fils bâtard qu'il avait eu avant d'être pape (1538) : par l'un, il s'alliait avec la maison de France: et celui-là, quoique résolu, ne s'accomplit pas. Par l'autre, il avait pour son petit-fils une fille naturelle de Charles-Quint. Au surplus, ne pouvant conclure la paix, il moyenna une trêve pour dix ans entre les deux princes, pendant lesquels il se promettait non-seulement de tenir, mais d'achever le concile.

Comme on était sur le point de se séparer, l'empereur fit dire au roi secrètement qu'ils n'avaient pas besoin d'une si grande assemblée pour terminer leurs affaires, et qu'il le verrait à Aigues-Mortes en retournant en Espagne. Le roi s'y rendit, l'empereur y vint; il ne se parla d'aucune affaire : François entra sans précaution dans les vaisseaux de l'empereur, qui de son côté passa une nuit dans le logis de François. Les festins furent magnifiques, les démonstrations d'amitié furent merveilleuses : François, plein de l'espérance de faire une bonne paix, quoiqu'on n'en eût traité aucun article, promit à l'empereur de ne rien entreprendre contre ses intérêts. Il n'en voulait pas davantage; il partit aussitôt après, et pour endormir toute l'Europe, il la remplit des nouvelles de la parfaite intelligence de lui et du roi. Il avait soigneusement

 

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préparé cette entrevue par l'entremise de la reine Eléonore sa sœur, dans le besoin qu'il avait de ménager le roi.

Ceux de Gand, toujours rebelles, avaient commencé de s'émouvoir dès l'an 1536, pour ne point payer leur part d'un impôt mis sur le pays. Le consentement de tous les ordres des Pays-Bas ne put jamais les obliger à céder; et l'empereur, qui pré voyait qu'en les pressant comme il avait résolu, ils s'appuieraient de la France, n'oublia rien pour s'assurer de ce côté-là. Le reste de cette année se passa tranquillement, et il n'y eut rien de remarquable qu'une dangereuse maladie du roi : on tâcha de couvrir du nom d'apostume un mal plus fâcheux ; mais les princes ne peuvent cacher ce qui regarde leur personne.

Le maréchal de Montéjan mourut, Langey lui succéda dans le gouvernement de Piémont, où. le maréchal d'Annebaut fut envoyé pour commander les armées. En ce temps fut publiée l'ordonnance de faire dorénavant en langue française les actes publics, qui jusqu'alors s'étaient faits en latin. Le roi était à Compiègne quand il releva de maladie. Marie, reine de Hongrie, sœur de l'empereur, et gouvernante des Pays-Bas, vint le visiter : il lui rendit sa visite. La reine Eléonore, par une bonne intention qu'elle avait pour la paix, ménageait ces visites réciproques, et les deux reines tâchaient de tenir le roi en bonne disposition pour leur frère.

Un peu après, la révolte des Gantois éclata : ils offrirent de se donner au roi, qui, loin de les recevoir, fit avertir l'empereur de leurs desseins. Charles, craignant de trop commettre son autorité en les faisant châtier par ses lieutenants, voulut marcher en personne; mais il n'était pas assez assuré ni des Anglais pour aller par mer, ni des protestants pour passer l'Allemagne : ainsi dans la bonne disposition où il sentait le roi, il lui demanda passage par la France; il promit tout ce qu'on voulut, et il s'engagea, entre autres choses, et de vive voix et par lettres, à donner le duché de Milan au duc d'Orléans.

Sur cette parole, le roi, non content de lui accorder ce qu'il demandait, lui prépara des honneurs extraordinaires (1539), et envoya ses enfants au-devant de lui jusqu'à Bayonne. Le connétable les suivit, et s'étant avancé pour faire signer à l'empereur la concession du Milanais, ce prince, sans lui témoigner trop de répugnance, dit seulement qu'il n'était ni honorable pour lui, ni sûr pour le roi, de lui faire: signer une grâce qui paraitrait forcée dans le besoin qu'il avait de traverser la France. Le connétable, endormi des belles choses qu'il promettait quand il serait en pleine liberté, consentit à ce qu'il voulut, et l'empereur fit son entrée à Bayonne au mois de décembre.

Le roi l'attendait à Châtelleraut avec toute la Cour, qui ne fut jamais plus superbe; personne aussi ne parut jamais plus adroit et plus poli que l'empereur. Il sut s'accommoder en un moment aux mœurs et aux façons de tous ceux avec qui il avait affaire; mais dans une occasion si pressante, il déploya, plus que jamais, son adresse, et pour

 

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ne perdre aucun avantage, dès les premiers jours qu'il fut avec le roi, parmi les discours perpétuels qu'ils faisaient entre eux de la paix et des desseins qu'ils projetaient contre le Turc, il lui proposa d'envoyer ensemble un ambassadeur à Venise, pour détourner la république de la paix qu'elle méditait avec le Turc, en lui promettant la protection des deux souverains.

Ce prince baissait les Vénitiens, qui étaient ses ennemis d'inclination, et ses alliés seulement par force; ainsi il était bien aise de les engager, sous l'espérance d'un puissant secours, dans une guerre ruineuse à leur république. Il espérait par même moyen rompre l'alliance du roi avec le Grand-Seigneur, et éloigner tout à fait de lui le roi d'Angleterre, quand il le verrait uni si étroitement avec l'empereur. Tels étaient ses secrets desseins: mais il faisait voir au roi la gloire qui lui reviendrait d'empêcher que Venise ne s'accordât avec le Turc aux dépens de la chrétienté, comme elle allait faire, et relevant l'amitié qui était entre eux, il ne trouvait rien de plus beau que de la faire éclater dans toute la terre par une si belle ambassade.

Le roi, sensible à la gloire et à l'amitié, donna dans ce piège. Il nomma le maréchal d'Annebaut pour ambassadeur. L'empereur nomma le marquis du Guast, et comme ils étaient tous deux en Italie, ils se joignirent bientôt pour aller ensemble à Venise. Le premier effet de cette ambassade fut conforme au projet de l'empereur ; elle acheva d'aliéner de François l'esprit déjà aigri du roi d'Angleterre. Mais le sénat de Venise eut peu de foi aux promesses des deux princes, et aux discours qu'on lui faisait de leur amitié réciproque, il en voulait voir des effets; il demanda aux ambassadeurs si l'empereur s'était résolu à donner Milan. Comme ils n'eurent rien de positif à répondre, le sénat se hâta de faire la paix avec Soliman, en lui abandonnant ce qui restait de places à la république dans le Péloponèse.

Pendant que l'empereur était en France, une puissante cabale, formée à la Cour, lâchait de persuader au roi qu'il ne devait point laisser sortir ce prince sans s'assurer le Milanais. On louait la bonne foi dont il se piquait; mais on lui représentait qu'il n'était pas juste qu'il fût seul à tenir parole, qu'il devait aussi obliger l'empereur à être fidèle. La duchesse d'Etampes, que le roi aimait, lui parlait encore plus fortement, et ne cessait de lui reprocher qu'il serait la risée du monde, s'il se payait de paroles dans un temps où il lui était si facile d'avoir des effets.

Elle était ravie d'avoir un prétexte de pousser le connétable, qu'elle haïssait; mais Charles ne fut pas longtemps sans pénétrer ses intrigues. Il avait auprès de lui des gentilshommes français qui avaient été au service du duc de Bourbon : ceux-là se mêlaient bien avant avec les courtisans, et découvrirent à l'empereur les desseins de la duchesse. Ce prince s'appliqua à la gagner; un jour qu'elle présentait la serviette aux deux princes, l'empereur laissa tomber de son doigt, comme par

 

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mégarde, un de ses plus beaux diamants; la duchesse l'ayant relevé, le lui présenta aussitôt, mais il ne voulut point le recevoir ; pressé par la duchesse, il allégua une loi inviolable de l'empire, qui voulait que ce qui tombe des mains de l'empereur appartint à celui qui le recueillait. Enfin il fit tant valoir cette loi, ingénieusement inventée, que le roi même obligea la duchesse à garder le diamant. Depuis ce temps, adoucie non tant par le présent, que par les manières galantes de l'empereur, elle lui fut toujours favorable : on arriva à Paris le premier janvier 1540.

L'empereur fut reçu et traité durant sept jours avec de nouvelles magnificences. Il fut à Chantilly, où le connétable souhaita de le régaler ; jamais il ne témoigna aucune impatience de sortir des mains du roi, persuadé que rien ne l'assurait tant que l'assurance qu'il témoignait. Le roi le conduisit jusqu'à Saint-Quentin, et envoya ses deux fils jusqu'à Valenciennes. Ce fut là qu'il commença à parler de Milan; il trouva mille moyens d'éluder : tantôt il fallait attendre le roi des Romains, pour autoriser la concession pleinement; tantôt il voulait ériger les Pays-Bas en royaume en faveur du duc d'Orléans son prétendu gendre; enfin il dit nettement qu'il n'était engagé à rien, et ne laissa pas pourtant les envoyés du roi sans quelque espérance.

Au reste, la suite fit voir qu'il ne s'était pas trompé en se promettant un si grand effet de sa présence en Flandre. Il n'y fut pas plutôt arrivé, que les Gantois lui demandèrent pardon : ils payèrent ce qu'il ordonna, ils souffrirent une citadelle, leurs privilèges leur furent ôtés, et ils n'en retinrent que ce qu'il plut à la bonté de l'empereur de leur conserver. Le roi des Romains vint en Flandre joindre l'empereur, et ne tarda pas à retourner en Autriche. Pour le roi, on ne peut pas exprimer, ni combien il fut aigri contre l'empereur, qui avait abusé si visiblement de sa trop facile croyance, ni combien il fut confus en lui-même de s'être laissé tromper : il ne s'en prit pas seulement au connétable, auteur du conseil, mais encore il se dégoûta de tous ses ministres et de tous ses favoris; il rappelait en son esprit toutes leurs fautes passées; mais celui qui ressentit le premier les effets de son dégoût fut l'amiral.

On ne sait s'il voulut commencer par là à abattre le connétable avec qui il était lié, ou s'il eut quoique jalousie de ce que l'amiral était aimé par la duchesse d'Etampes sa proche parente, ou si c'est qu'il eût toujours gardé sur le cœur le peu de succès des affaires de Piémont sous sa conduite, bien qu'il n'y eût pas de sa faute. Quoi qu'il en soit, il résolut de le mettre entre les mains de la justice : il s'en ouvrit au chancelier, qui lui donna les expédients pour lui faire son procès. On en ôta la connaissance au parlement de Paris, juge naturel des officiers de la Couronne. Le chancelier fut mis à la tête de ses commissaires. L'amiral rejeta hardiment sur le roi même le retardement des affaires de Piémont. On l'accusa de malversations dans sa charge, et en effet, le plus grand crime dont on le chargea, fut d'avoir un peu trop étendu

 

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ses droits d'amiral. Ce crime et d'autres semblables le firent condamner à payer une amende qui le ruinait, et à perdre ses gouvernements et sa charge.

L'amitié de la duchesse ne servit qu'à faire revoir son procès deux ans après : il fut justifié et rétabli dans ses charges, mais il ne vécut pas assez pour voir dans la mémo année le chancelier, son ennemi, accusé et convaincu de malversations énormes, pour lesquelles il fut destitué de sa place, ce que tout le monde regarda comme un juste châtiment de l'injustice qu'il avait commise contre l'amiral. Le connétable demeura encore quelque temps dans les affaires, mais il n'avait qu'une apparence de crédit, et le chancelier avait la principale autorité, plus par son habileté, que par l'inclination de François.

L'empereur passa dans les Pays-Bas le reste de l'année 1540, allant de pays en pays, et de ville en ville, et confirmant les peuples dans l'obéissance Au commencement de l'année suivante (1541) il retourna par Metz en Allemagne, pour y tenir la diète qu'il avait convoquée à Ratisbonne. Là, dans la crainte qu'il eut de François si justement irrité, et du Turc qui, entré dans la Hongrie, menaçait l'Autriche, il ne se trouva pas eu état de contraindre les  protestants à se soumettre à l'Eglise, comme il l'avait fait espérer au Pape : il leur accorda la liberté de conscience jusqu'au jugement du concile qu'il promettait de procurer dans deux ans. Les troubles de la chrétienté n'avaient pas encore permis à Paul III d'en faire l'ouverture selon son désir. Les protestants ne demandaient que du temps pour s'affermir : ainsi, sur cette offre de l'empereur, non-seulement ils s'obligèrent à ne plus armer contre ses ordres, mais ils concoururent à l'envi avec les catholiques, à lui donner tout le secours qu'il souhaitait.

Les affaires de Hongrie n'en allèrent pas mieux, l'armée de Ferdinand fut battue auprès de Bude par le bâcha Mahomet. Soliman survint, et prit Bude; il relégua en Transylvanie le jeune roi, fils de Jean Sépus, et s'empara de tout le pays qu'il possédait, quelque effort que fit Ferdinand pour le recouvrer. L'empereur apprit ces nouvelles en Italie, où il était allé aussitôt après la diète de Ratisbonne, dans ne temps où l'on croyait qu'il allait marcher contre Soliman. Cela fit dire à toute l'Europe qu'il le fuyait; il crut montrer qu'il ne craignait pas, en prenant la résolution d'attaquer Alger en personne. Tout le monde et ses amis même eussent mieux aimé qu'il allât où le besoin était te plus grand, et où étaient avec Soliman toutes les forces ottomanes.

Avant de se mettre en mer, il eut une entrevue à Lucques avec te Pape; mois elle fut aussi inutile que les précédentes. La saison était avancée, et Doria lui représentait que la navigation allait être très-dangereuse, car on était assez avant dans le mois d'octobre. Le Pape fit tout ce qu'il put pour le détourner de son entreprise, mais inutilement : prêt à partir, il reçut une ambassade et des plaintes de François sur un attentat dont toute l'Europe était émue.

 

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Dans le temps que Charles était en France, et qu'il faisait sonner de toutes paris son étroite correspondance avec le roi, ce fut principalement à Constantinople qu’il fit publier cette union. Soliman en était entré en jalousie ; mais quand il sut l'ambassade de du Guast et d'Annebaut à Venise, il se mit en telle colère, qu'il pensa faire décapiter Rinçon notre ambassadeur. C'était un Espagnol disgracié, qui de dépit s'était donné à la France, homme actif, adroit et capable des plus délicates négociations. Il fit connaître à Soliman la politique de Charles; et s'étant à peine retiré d'un si grand danger, il revint en France pour recevoir de nouvelles instructions.

Le roi ne tarda pas à le renvoyer pour négocier avec la Porte, et envoya en même temps César Frégose à Venise. Comme les affaires dont ces deux ambassadeurs étaient chargés avaient de la liaison, ils eurent ordre de partir ensemble, et Rinçon devait passer à Venise. Arrivés en Piémont, d'où ils devaient continuer leur voyage sur le Pô, Langey, averti de tous côtés, les assura qu'ils étaient épiés sur leur passage, et que leur perte était assurée, s'ils ne prenaient un autre Chemin qu'il leur indiquait. Il avait su que le marquis du Guast avait aposté des gens pour les assassiner, et prendre leurs instructions. Par ce moyen il interrompait une négociation qui était redoutée par le conseil d'Espagne, et il découvrait des secrets capables d'animer toute l'Allemagne contre la France.

Quoique les avis de Langey fussent précis et circonstanciés, les malheureux ambassadeurs les négligèrent. Ils tombèrent dans les embuscades qui leur étaient préparées : mais ceux qui les tuèrent cherchèrent vainement leurs papiers, Langey les avait empêchés de les porter, et devait les faire tenir à Venise. Cet assassinat fut commis vers le 3 juillet; mais il fallut du temps pour établir la preuve du crime, au milieu des artifices du marquis du Guast. Langey néanmoins en vint à bout; il fit voir et quels étaient les assassins, et de qui le marquis du Guast s'était servi pour les suborner, et où il les avait renfermés après le meurtre, de peur qu'ils ne le divulguassent : il les tira des prisons où ils étaient resserrés, il mit en évidence toute la suite du crime, et afin que l'information ne fût pas suspecte, il la fit faire à Plaisance, qui était une ville neutre.

Quand la preuve fut tellement complète, qu'il n'y avait plus de réplique, le roi en envoya des copies dans toutes les Cours, et fit demander justice à l'empereur en la présence du Pape. Il en sortit par des paroles générales, et s'embarqua pour son entreprise d'Alger. Le roi, résolu de pousser la chose par toutes sortes de voies, porta sa plainte aux Etals de l'empire; les ministres de l'empereur les avaient déjà, prévenus, en publiant de fausses instructions des ambassadeurs, pleines d'étranges propositions contre la chrétienté. Une invention si grossière trompa les Allemands.

Olivier, homme de mérite, pressa en vain qu'on montrât les originaux;

 

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et il demanda aussi comment il se pouvait faire que les Espagnols, qui se disaient innocents du meurtre, eussent en main les papiers de ces ambassadeurs : il fallut revenir en France sans rien obtenir. Le marquis du Guast publia une apologie où il offrait le combat à la manière ancienne; Langey fit une réponse où il l'acceptait. L'un exagérait combien il était indigne d'un roi très-chrétien de se joindre avec les Turcs contre la chrétienté. L'autre représentait combien il était indigne d'un empereur de faire le religieux, et de commettre des assassinats sur des ambassadeurs. Il remarquait que l'empereur ne voulait l'abaissement du Turc que comme il voulait celui de tous les princes du monde, et principalement de ceux d'Allemagne. Voilà ce qu'on s'objectait de part et d'autre; mais ce qui se disait plus communément, c'est que l'intérêt et l'ambition causent d'étranges mouvements dans les conseils des princes.

Le roi crut la trêve rompue par l'assassinat de ses ambassadeurs, et par le déni de justice; ainsi il se résolut à faire la guerre. L'occasion était favorable : l'empereur revenait d'Alger, qu'il avait inutilement assiégé; battu de la tempête qui lui fit perdre plus de cent vaisseaux, il ne ramena en Espagne que la moitié de ses troupes. François armait puissamment, et il fit le projet de la guerre avec le chancelier Poyet entendu en tout; il ne laissa pas d'être disgracié, comme on a déjà dit. Le roi avait commencé à prendre du dégoût de ce ministre, à cause des révoltes que la gabelle, imposée ou doublée par ses conseils en Guyenne et en Saintonge, y avait causées ; mais la duchesse d'Etampes acheva de le perdre, pour avoir refusé (quoique avec raison) une grâce que demandait un homme qu'elle protégeait, et l'avoir ensuite passée par commandement exprès du roi, non sans quelque plainte du crédit des dames. On l'accusait d'être arrogant et insupportable. L'affaire fut poussée si avant, qu'on lui fit faire son procès, qui traîna longtemps. Il ne soutint pas dans la disgrâce la hauteur et la fermeté qu'il avait montrées dans sa bonne fortune. Les sceaux furent donnés à François de Montholon, célèbre avocat, et de rare probité.

Le connétable fut chassé quelque temps après de la Cour, où il avait eu de continuels dégoûts depuis le passage de l'empereur. Sa chute étonna toute la France, qui l'avait vu durant tant d'années maître de tout, et si respecté, que le parlement en corps, en lui écrivant, le traitait de Monseigneur. Le roi se repentit de l'avoir souffert : on croit que l'attachement qu'il avait au Dauphin, sur lequel il pouvait tout, contribua à sa disgrâce.

Le roi n'écoutait plus guère le cardinal de Lorraine, irrité de ses profusions, qui l'obligeaient sans cesse à demander, et lui avaient fait accepter une pension de l'empereur sur l'archevêché de Tolède. Ainsi tout le conseil fut réduit au cardinal de Tournon et au maréchal d'Annebaut, tous deux d'un esprit médiocre, mais tous deux désintéressés et affectionnés au bien de l'Etat.

 

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La disgrâce du chancelier n'empêcha pas que le roi ne suivit les ûesr seins qu'il avait projetés avec lui. Trois grosses armées devaient attaquer en même temps, l'une le Roussillon, l'autre le Piémont, et la troisième le Luxembourg; une quatrième, moindre que les autres, devait agir avec celle de Guillaume, duc de Clèves et de Juliers, que tous les ordres de Gueldres avaient reconnu après la mort de Charles d'Egmont, leur dernier duc; mais l'empereur lui refusait l'investiture, et sur ce qu'il s'était jeté entre les bras de la France, il l'avait fait mettre au ban de l'empire à la dernière diète de Ratisbonne.

Le roi s'était engagé à le soutenir, et lui avait fait épouser la princesse de Navarre. Il avait d'excellentes troupes, levées de l'argent de France. Le roi en joignit d'autres, sous la conduite de Nicolas de Bossu, seigneur de Longueval, qui, après avoir traversé et ravagé le Brabant, devait se joindre à l'armée du Luxembourg.

Environ la mi-juin, les armées furent en campagne. Pour faire apprendre la guerre à ses deux enfants, le roi fit marcher le Dauphin avec Montpezat dans le Roussillon, et le duc d'Orléans dans le Luxembourg, avec Claude, duc de Guise; il suivit l'armée du Roussillon, parce que l'empereur était de ce côté-là, et s'arrêta à Montpellier, dans le voisinage.

Le maréchal d'Annebaut commandait en Italie, où Langey, quoique affaibli et perclus par ses fatigues passées, entretenait tant d'intelligences, et avait fait de si beaux projets, qu'on pouvait en espérer de grands avantages ; mais Montpezat lui rompit tontes ses mesures, et obligea le roi à faire venir avec le Dauphin le maréchal d'Annebaut : Langey lui remontra qu'il faisait bien à la vérité d'attaquer son ennemi par divers endroits; mais que le dessein du Roussillon ne pourrait avoir de succès, tant à cause que le pays était par sa propre situation le plus fort de tous ceux de l'empereur, qu'à cause qu'il y avait ses meilleures troupes, qui étaient les Espagnols.

Les Pays-Bas et le Milanais, d'eux-mêmes plus accessibles, étaient de plus dégarnis, et lui paraissaient hors de défense, si le roi eût tourné toutes ses forces de ce côté-là. Il était touché de ces raisons; mais Montpezat le persécutait pour le Roussillon, où il avait des intelligences, et il fit tant qu'Annebaut, qui resta inutilement dans le Piémont durant deux mois, eut enfin ordre de rejoindre le Dauphin, qu'il trouva à Avignon.

Cependant le duc d'Orléans, étant entré dans le Luxembourg, avait d'abord forcé Damviliers, pris Yvoy, la plus forte place de cette province , emporté Arlon en passant, et réduit en peu de temps Luxembourg avec Montmédy, en sorte qu'il ne restait à l'empereur que Thionville. L'armée de Gueldres n'avait guère moins bien réussi. Martin de Rossen, maréchal de Gueldres, capitaine expérimenté, et Longueval, qui commandait la cavalerie, avaient pénétré dans le Brabant. Le prince d'Orange les avait attaqués sur leur passage, et avait été battu,

 

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de sorte que l'épouvante s'était mise dans tout le pays. René de Châlons, prince d'Orange, qui s'était sauvé à Anvers, eut peine à le rassurer , en y jetant du secours : Rossen l'assiégea, et se retira bientôt après, gagné (à ce que l'on dit) par l'argent des marchands de cette ville opulente. Louvain se racheta pour cinquante mille écus d'or, et l'armée, chargée de butin, vint joindre, selon ses ordres, le duc d'Orléans dans le Luxembourg. Par ce moyen il avait plus de trente mille hommes. Mais sur la fin du mois de septembre il quitta cette belle armée, quoiqu'elle fût en chemin de faire de grands progrès.

Son frère le Dauphin tenait Perpignan assiégé avec la plus belle armée qui fût encore sortie de France ; car, depuis la jonction d'Annebaut, il avait environ quarante mille hommes de pied, deux mille hommes d'armes et deux mille chevau-légers ; mais Ferdinand de Tolède, duc d'Albe, avait jeté du secours dans la place, qui était munie d'ailleurs de toutes choses, et surtout d'une prodigieuse quantité d'artillerie, dont tous ses remparts étaient garnis.

Par malheur pour l'armée de France, la place fut attaquée du côté le plus fort ; un faux avis venu du dedans engagea nos chefs à cette attaque, et la saison fâcheuse avançant, l'empereur, sans se remuer, attendait de jour en jour la levée du siège; il se répandit pourtant un bruit qu'il y aurait une bataille ; et c'est ce qui fit venir le duc d'Orléans en poste à Montpellier.

Deux jours après son arrivée, on sut que les ennemis avaient repris Luxembourg, place alors de peu de défense, et que la seule diligence du duc de Guise avait sauvé Montmédy. Le roi condamna l'ardeur inconsidérée de son fils, d'autant plus qu'il avait déjà résolu de faire lever le siège : les pluies avaient commencé, et si l'on avait tardé trois jours, il n'y eût pas eu moyen d'éviter les torrents qui se précipitaient du haut des montagnes.

Pendant que les armées agissaient, Charles, duc de Vendôme, gouverneur de Picardie, eut ordre de ramasser quelques garnisons, pour brûler plusieurs châteaux qui incommodaient. Langey de son côté, qui avait à peine quatre mille hommes, et à qui la maladie n'avait laissé de libre que la langue et l'esprit, ne laissa pas de surprendre Quiéras, avec quelques places voisines, et d'empêcher tous les progrès de du Guast, quoiqu'il eût quinze mille hommes, dont il lui en débaucha six mille.

Le roi, fâché d'avoir négligé le Piémont, y envoya Annébaut. Il fit quelques entreprises, contre l'avis de Langey, qui ne réussirent pas. Ce grand homme, dont les conseils étaient négligés, se crut inutile, et voulut retourner en France : mais il mourut en chemin. La pauvreté d'un serviteur si utile est une tache dans le règne de François I.

Le maréchal d'Annébaut ne tarda pas à repasser les monts, où il pensa être accablé des neiges. Il rencontra la Cour à Châtelleraut, d'où le roi alla à la Rochelle, pour y apaiser une sédition qui s'y était

 

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élevée au sujet de la gabelle, durant le siège de Perpignan. Il venait, résolu d'en faire un exemple, et déjà, un grand nombre de séditieux lui avaient été envoyés la corde au cou et les mains liées; mais en entrant dans la ville, il fut tellement ému par les larmes de tout le peuple, qu'il ne put retenir les siennes.

Il leur parla longtemps, les appela ses amis, leur représenta l'horreur de leur crime, non comme un juge qui veut châtier des criminels, mais comme un père qui veut empêcher ses enfants de tomber dans de pareilles fautes. Il loua même la fidélité de leurs ancêtres et la leur, jusqu'à ce jour malheureux; il s'étonnait qu'ils se fussent si fort oubliés, et leur accordant leur pardon, il ne put s'empêcher de leur représenter la différence du traitement qu'ils recevaient, d'avec celui que recevaient les Gantois rebelles. Il finit en disant qu'il voulait les cœurs. Toute la ville retentit des cris de Vive le Roi ! Il leur rendit leurs prisonniers, les clefs de leur ville, leurs armes, leurs privilèges, et voulut ce jour-là demeurera leur garde, assuré de l'effet que devait faire dans tous les cœurs un si rare exemple de clémence.

Cependant les impériaux avaient repris tout le Luxembourg, excepté Yvoy et Montmédy, et François vit tous les efforts de cette campagne inutiles. Ces mauvais succès lui firent reprendre le dessein d'exciter le Turc contre l'empereur. Depuis la mort de Rinçon, la négociation allait plus lentement; François, résolu de la réchauffer, fit aller Montluc à Venise, d'où il pourrait traiter de plus près, et en même temps chercher les moyens de détacher la république d'avec l'empereur.

C'était un homme de qualité, qui s'était fait jacobin, faute de bien, et s'était lire de cet ordre par la protection de la reine de Navarre. Elle avait goûté son esprit, poli naturellement et cultivé par les belles-lettres ; mais ce qui l'avait tout à fait gâté, c'est qu'il avait donné dans les nouveautés du temps, en suivant les opinions de Calvin. Il n'avait pas laissé d'accepter l’évêché de Valence, que la reine sa protectrice lui procura. Comme il avait l'esprit vif et plein d'expédients, il se fit admirer à Rome, où le roi l'avait envoyé, et avait encore mieux réussi en Angleterre, où il n'était pas oblige de déguiser ses sentiments. Un homme si pénétrant ne fut pas longtemps à Venise, sans connaître qu'il n'y ferait rien par la négociation. Il se rendit maître par intelligence de Maran, place importante sur le golfe, que l'empereur avait fortifiée, pour donner de la jalousie à la république. Il la munit si bien, que les généraux de Ferdinand l'assiégèrent vainement; tantôt il l'offrait aux Vénitiens, et tantôt, s'il les trouvait difficiles, il leur faisait entrevoir qu'on pourrait bien la livrer au Turc.

Les affaires par ce moyen étant en état d'avancer à Constantinople, il conseilla au roi d'y envoyer Paulin, connu depuis sous le nom de baron de La Garde, homme d'une condition médiocre, mais d'une grande capacité, que Langey avait déjà proposé pour cet emploi. Le roi connut bientôt qu'on ne pouvait lui donner un meilleur conseil,

 

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que d'employer un tel homme (1543). Il fut d'abord rebuté par Soliman, qui reprochait aux François d'avoir manqué de parole ; mais à la fin il réussit à se rendre agréable.

Soliman promit d'envoyer sa flotte, de concert avec le roi, et de former une ligne entre la France et la république ; en effet il envoya un chiaoux ; mais avant que d'arriver à Venise, il fut gagné par les impériaux, et la république ne s'engagea point. Il se faisait de tous côtés de grands préparatifs de guerre. Les Etats d'Espagne avaient donné quatre millions à l'empereur; le roi de Portugal, dont Philippe prince d'Espagne avait épousé la fille, promettait de grandes sommes; et l'empereur n'en espérait guère moins du roi d'Angleterre, qui s'était enfin ligué contre le roi depuis le refus qu'il avait fait d'imiter sa révolte contre le saint Siège, et il s'était encore aigri-depuis peu par la protection que François donnait aux Ecossais, avec qui Henri était en guerre.

Au commencement du printemps, Antoine, devenu duc de Vendôme par la mort de Charles son père, rassembla un corps d'armée pour ravitailler Térouanne. L'empereur avait dégarni cette frontière pour faire la guerre au duc de Gueldres, contre qui ses généraux venaient de perdre une bataille. Cette occasion parut favorable au duc de Vendôme , pour foire quelque entreprise ; mais le roi, qui se préparait à se. mettre lui-même en campagne, ne lui laissa que le loisir de prendre Lillers, petite place près de Béthune. Il fit partir, vers la fin de mai, le maréchal d'Annébaut, fait depuis amiral de France, par la mort du comte de Brion, avec ordre d'investir Avesne. Les avis qu'il eut sur le chemin le déterminèrent à attaquer Landrecy, où, le roi ne tarda pas à le joindre. Les habitants n'étant pas en état de résister, ne voulurent cependant pas se rendre ; ils aimèrent mieux mettre le feu dans la ville, où ils brûlèrent pour plus d'un an de vivres, et se sauvèrent dans la forêt de Mormaux. Le roi fit fortifier cette place, et cependant le Dauphin prit quelques villes de Hainaut, qu'il abandonna; il courut ensuite le pays jusqu'à Mons et Valenciennes, et fit beaucoup de butin.

En même temps la flotte du Turc, composée de cent vingt galères, et conduite par Barberousse, était arrivée à Marseille. Celle de François, composée de quarante vaisseaux, parmi lesquels il y avait vingt-deux galères, était dans le même lieu, commandée par François de Bourbon, duc d'Enghien, frère du duc de Vendôme, jeune prince de vingt-deux ans, mais de grande espérance ; elle portait huit mille soldats et des vivres en abondance, pour faire un grand siège.

Les Français, que Barberousse avait ordre de satisfaire, se déterminèrent à celui de Nice : elle ne tint pas longtemps ; le gouverneur, qui en sortit le 20 août, se retira dans le château, bâti sur le roc, qu'il résolut de défendre jusqu'à la dernière extrémité. L'empereur pendant ce temps faisait puissamment la guerre au duché de Gueldres; il était

 

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parti de Barcelone peu après que la flotte ottomane fut arrivée en France : il n'avait fait que passer en Italie, où le Pape l'avait obligée une entrevue inutile ; de là il était venu en Allemagne, où il déclara aux princes qu'il voulait faire un exemple du duc de Gueldres, rebelle à l'empire.

En effet il vint à Bonn, où il fit la revue de son armée ; elle se trouva d'environ quarante mille hommes ; de là, sans s'arrêter, il alla mettre le siège devant Duren, place du duc, sise sur la Dure, et très-bien fortifiée; elle ne tint pourtant pas longtemps; une batterie de quarante pièces de canon, et la mort de son gouverneur la déterminèrent à se rendre. L'empereur y entra, le même jour que les Français entrèrent dans Nice, et ne put la sauver du feu. Il continua la conquête des pays du duc, et laissa François agir dans le Luxembourg, pendant qu'il dépouillait son allié. Luxembourg fut assiégé le 17 septembre par le duc d'Orléans qui avait l'amiral pour conseil ; la place se rendit peu de jours après, quoiqu'il y eût une grosse garnison, composée de la meilleure infanterie de l'empereur.

Le roi s'opiniâtra à vouloir garder cette place, que la plupart des chefs ne jugeaient point tenable. Il y arriva le 25 septembre, et y apprit que le duché de Gueldres avait été tout à fait réduit. Juliers, Ruremonde, Venlo, toute la Gueldre, tout le comté de Zutphen s'était rendu sans résistance. Ces deux pays avaient reconnu l'empereur pour seigneur ; le duc n'avait sauvé le reste de ses Etats qu'eu renonçant à ceux-ci, et aux alliances de France, de Suède et de Danemark.

Pour faire cette importante conquête, qui tenait en crainte les vassaux de l'empire, qui décriait les Français comme de faibles alliés, et joignait à ses provinces deux pays si considérables, l'empereur abandonna ses propres pays ; mais il espérait de les recouvrer bientôt ; et en effet, ayant augmenté ses troupes de douze mille hommes, que le roi d'Angleterre lui envoya, il marcha avec toutes ses forces pour assiéger Landrecy.

En même temps, Ferrand de Gonzague, son lieutenant-général, as-, siégea Guise; mais le roi ayant marché pour secourir Landrecy,il se retira, et le seigneur de Brissac lui défit une partie de ses gens dans sa retraite. L'empereur, qui était demeuré malade au Quesnoy,ne put arriver au camp avant le mois d'octobre. La place était battue de quarante-huit pièces de canon ; mais encore qu’il y eût brèche, il y avait peu de sûreté à tenter l'assaut contre La Lande, gouverneur habile et résolu, qui avait une bonne garnison. Quand les vivres commencèrent à lui manquer, il fit résoudre les soldats à se contenter d'eau, et d'un demi-pain par jour; ainsi il donna le temps au roi d'approcher pour le secourir.

Ce prince était à Cateau-Cambrésis, près de la place assiégée, et le duc d'Enghien l'y vint trouver, sur la croyance qu'il eut que l'affaire de Landrecy engagerait à une bataille. L'approche de l'hiver, et celle

 

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d'André Doria, avec le manque de vivres, l'avaient obligé de lever le siège du château de Nice. Barberousse, indigné qu'il eût traîné si longtemps, reprochait brutalement aux François leur lâcheté, et à, ce prince sa jeunesse. Un peu après Ternirai tenta heureusement le secours de Landrecy.

Les quartiers des ennemis étaient séparés par la Sambre ; ainsi diverses attaques qu'on fît en même temps, ouvrirent à l'amiral Ventrée de la place ; il en renouvela la garnison, et Martin du Belley, frère de Langey, y jeta des vivres : le roi la voyant en sûreté, se retira vers Guise, avec le Dauphin, le 2 de novembre. L'empereur peu de jours après leva le siège ; les officiers de l'ancienne garnison furent dignement récompensés, et les soldats furent anoblis leur vie durant.

L'empereur alla à Cambray, où il fut reçu par l'évêque, de la maison de Croï, sa créature ; et pour s'assurer de cette place, qui n'était point du domaine des Pays-Bas, il y fît construire une citadelle, qui a été jusqu'à nos jours la terreur de la Picardie (1544). Boutière, à qui le duc d'Enghien avait laissé le commandement dans le Piémont, n'y réussit pas. Mondevis fut pris sur lui, par composition; mais du Guast, sans avoir égard au traité, maltraita les Suisses qui l'avaient bien défendu. Il s'empara de Carignan, pendant que Boutière le faisait démanteler, et eh fit rétablir les fortifications.

L'armée d'Italie avait reçu un secours de dix à douze mille hommes français, suisses et gruyers, peuples du comté de Gruyer, sujets des Grisons. Le roi voyant que Boutière n'était pas bien obéi, renvoya le duc d'Enghien. Ce prince trouva Boutière devant Ivrée, qu'il abandonna à sa venue, ne voulant pas lui laisser la gloire de la prise.

Barberousse passa l'hiver en Provence, et eu partit au printemps, après y avoir laissé des marques de sa barbarie. Au commencement du printemps, le duc résolut de bloquer Carignan, et se saisit pour cela de tous les postes des environs, faisant bâtir des forts où il en fallait ; pour lui il vint camper à Carmagnole. Le marquis du Guast se préparait à dégager une place qui donnait le Montserrat aux François. Sur l'avis de sa marche, le duc demanda au roi la permission de le combattre, et il l'obtint aisément. Toute la jeune noblesse de la Cour se rendit en foule auprès de lui, tous donnèrent volontiers leur argent au prince, pour contenter son infanterie, et le roi en envoya d'Anet par du Belley, qui arriva au camp le vendredi saint.

La somme qu'il apportait ne suffisait pas pour payer un mois aux étrangers : il fallut user d'adresse, on commença le paiement, et on fit semblant de ne pouvoir l'achever, par la soudaine arrivée du marquis qu'on savait proche : en effet le 10 avril, qui était le propre jour de Pâques, il était à une petite distance ; et ce jour-là même, le duc marchant au-devant de lui sut qu'il était à Cérisoles, et s'étant avancé sur une éminence, il la quitta bientôt à cause qu'il manquait de vivres et de chariots pour en apporter; ainsi, comme il gagnait son camp

 

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de Carmagnole, du Guast, qui crut qu'il fuyait, et qui se sentait le plus fort ( car il avait dix mille hommes plus que lui ), passa le Pô sur un pont, pour le suivre.

Son armée marchait sur une ligne, divisée néanmoins en trois bataillons , qui avaient chacun leur aile de cavalerie ; l'aile droite était de six mille vieux soldats allemands et espagnols, avec leur escadron de huit cents chevaux ; le prince de Salerne faisait l'aile gauche, avec dix mille Italiens, et huit cents chevaux florentins : le corps de bataille était formé par un bataillon de dix mille Allemands, et de huit cents chevaux de la même nation.

Le duc donna la même forme à son armée. Vis-à-vis des Italiens et du prince de Salerne, il mit un bataillon de trois mille hommes de vieilles bandes françaises, qui avait à sa droite six cents chevau-légers, et à sa gauche quatre-vingts hommes d'armes : il opposa aux Espagnols quatre mille Gruyers et Italiens, soutenus des guidons et des archers de la gendarmerie. Le corps de l'armée était de trois mille Suisses, à côté desquels il devait combattre avec la jeune noblesse. Boutière, bientôt revenu sur le bruit de la bataille, menait l'avant-garde, et Terme commandait la cavalerie légère. On détacha, sous la conduite du capitaine Montluc, sept ou huit cents arquebusiers, tant italiens que français, qu'on mit à la tête des bataillons comme enfants perdus. Caillac marchait devant les Suisses avec huit pièces d'artillerie de campagne. Mailly en avait autant devant les Gruyers, et du Belley avait ordre d'aller partout, pour faire marcher les troupes, selon que l'ennemi agirait. La description qu'il fait de cette bataille, est un grand ornement dans l'histoire qu'il a écrite de François I.

Comme le duc vit le marquis passé, il jugea qu'en reculant davantage il paraîtrait fuir, et jetterait la terreur dans les troupes; ainsi il tourna face, et lâcha de regagner la hauteur qu'il avait abandonnée ; mais le marquis le prévint, et le duc ne laissa pas de marcher à lui, après avoir tellement disposé ses troupes, qu'elles ne pussent être offensées de l'artillerie ennemie. Ces mouvements se firent la nuit qui précédait le lundi de Pâques, et le jour commençait, quand les armées se trouvèrent en cet état. On fut trois heures, de part et d'autre, à gagner le flanc de l'ennemi, et tout ce temps se passa à escarmoucher ; enfin, entre onze heures et midi, les ennemis, qui se voyaient les plus forts, résolurent de commencer l'attaque : alors le seigneur de Taïs, qui commandait les bandes françaises, tourna face pour charger les Italiens du prince de Salerne.

Ce prince ne branlait pas, et était encore assez loin; car il attendait l'ordre de du Guast, qui l'avait ainsi commandé. Du Belley, qui le voyait immobile, et qui voyait dans le même temps le gros bataillon allemand de dix mille hommes de pied fondre sur nos Suisses, qui n'étaient que quatre mille, manda à Taïs de les joindre. Le duc, qui devait soutenir les Suisses, courut aux Gruyers, qui paraissaient

 

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étonnés ; mais Terme chargea brusquement la cavalerie florentine, qui prenait de flanc les Français, et la renversa sur le prince de Saleras; en la poussant, il s'engagea si avant dans le bataillon, que son cheval étant tué sous lui, il fut pris. Par ce moyen, le prince, embarrassé de la cavalerie florentine et des nôtres, qui lui tombaient sur les bras, fut sans action.

Nos Suisses, joints aux Français, donnèrent sur les Allemands sans être empêchés ; ils s'élargirent d'abord, et tirèrent de leur hauteur de quoi égaler le front des Allemands, qui les voulaient envelopper. Pendant que les uns et les autres combattaient opiniâtrement, Boutière fit agir si à propos et avec tant de vigueur ses quatre-vingts hommes d'armes, que les Allemands plièrent; de sorte que le marquis, qui regardait le combat d'une éminence, n'en voulut pas voir davantage, et se retira sans même envoyer ses ordres au prince de Salerne, qui les attendait. Nos archers, qui avaient Dampierre à leur tête, rompirent aussi la cavalerie qui leur était opposée ; mais nos Gruyers et nos Italiens ne purent soutenir l'effort des Espagnols, et prirent la fuite. Les Espagnols et les Allemands, qui combattaient avec eux, les pressaient de sorte qu'il ne s'en serait pas sauvé un seul, si le duc en même temps n'eût enfoncé par un coin le bataillon espagnol : mais lorsqu'il se retourna pour se rallier, il vit ses Gruyers en fuite. Il n'avait aucune nouvelle des Suisses ni des Français, qu'une colline lui cachait ; et il voyait tomber sur lui les Espagnols victorieux au nombre de quatre mille, auxquels il ne pouvait opposer que cent chevaux qui l'accompagnaient. Il ne laissa pas de charger tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, comme résolu de périr, quand il vit les Espagnols, sur la nouvelle de la défaite des leurs, prendre tout d'un coup la fuite. On les poursuivit dans les bois et dans les villages où ils tâchaient de se sauver, et presque tous furent tués ou pris.

Le prince courait après témérairement, à l'exemple de Saint-André, qu'il voyait aller devant lui; et averti qu'il devait craindre le même sort qu'eut Gaston de Foix à Ravenne, il répondit qu'on arrêtât donc Saint-André, si on voulait l'arrêter lui-même. Le carnage fut horrible dans cette bataille ; les Suisses se ressouvinrent du traitement qu'on leur avait fait à Mondevis, et ne donnèrent quartier à personne; ainsi on compta parmi les ennemis douze à quinze mille morts : Ils perdirent outre cela plus de trois mille prisonniers, quinze pièces de canon, toutes leurs armes et tout leur bagage, sans que nous y perdissions plus de deux cents hommes.

Le marquis du Guast, plein de confiance, avait ordonné on passant à ceux d'Ast, de lui fermer les portes, s'il ne revenait victorieux. Il fut mieux obéi qu'il ne voulait, tout le pays fut en crainte. Carignan tint pourtant encore un mois, et tout le Montferrat se soumit, excepté Casal. Il n'y avait dans le Milanais que Milan et Crémone qui pussent tenir. Le comte de Pétillane, Pierre Strossi, et autres Italiens qui étaient

 

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dans les intérêts de la France, aussitôt après la bataille, se jetèrent dans le Crémonois avec dix mille hommes, où ils attendaient tous les jours le duc; mais ils s'en retirèrent avec grande perle, le roi ayant ordonné à son armée de s'arrêter sur les nouvelles qu'il eut du côté du Rhin.

L'empereur y avait paru avec une armée plus puissante que jamais. Les Etals de l'empire y avaient contribué, et avaient refusé toute audience aux ambassadeurs de François. Le comte de Bure attendait dans les Pays-Bas, avec quatorze mille hommes, le roi d'Angleterre, qui venait à. Calais avec toutes ses forces. Les deux princes devaient marcher en même temps vers Paris, sans s'arrêter, pour partager entre eux le royaume, suivant le traité qu'ils en avaient fait. Au bruit de la bataille de Cérisoles, l'empereur crut le Milanais en proie, et hésita quelque temps s'il n'irait pas au secours, ne voulant pas exposer une si belle province à une perte assurée, pour des conquêtes hasardeuses qu'il tentait en France.

Quand il vit notre armée victorieuse s'amuser premièrement si longtemps au siège de Carignan, et ensuite s'arrêter tout court, il continua son voyage, et assiégea Luxembourg. Cette place ne fit pas la résistance que le roi avait attendue : car il croyait que ce siège lui donnerait le loisir d'assembler ses troupes, et si l'empereur eût marché droit à Paris, comme il l'avait projeté, il n'y avait encore rien de prêt à lui opposer; mais la facilité qu'il trouva à ce premier siège l'engagea à en faire d'autres. Il prit Commercy et Ligny, et le 8 juillet il mit le siège devant Saint-Dizier, place mal fortifiée, où il ne s'attendait pas d'être si longtemps retenu.

A ces nouvelles le roi fit jeter cinq à six mille hommes dans Châlons, et ses troupes étant déjà rassemblées, il envoya le Dauphin avec quarante mille hommes, deux mille hommes d'armes, et deux mille chevau-légers. L'empereur était plus fort de près de la moitié; mais il perdait le temps et des troupes au siège de Saint-Dizier, où le comte de Sancerre faisait une défense étonnante, avec La Lande, qui avait déjà défendu Landrecy. Il était aussi fort incommodé par François de Lorraine, comte d'Aumale, fils aîné du duc de Guise, qui faisait des courses continuelles aux environs de Stenay, ville sur la Meuse, dont il était gouverneur. L'armée du Dauphin était assemblée, et s'était postée entre Epernay et Châlons, le long de la Marne, tant pour couper les vivres à l'empereur, que pour l'empêcher de passer outre. Il avait auprès de lui l'amiral, pour lui servir de conseil.

Cependant le roi d'Angleterre avait assiégé Boulogne par lui-même, et Montreuil par le comte de Norfolk. Il avait négligé de s'approcher de Paris, aussi bien que l'empereur, et il s'attachait à la Picardie, qu'il avait trouvée sans défense. L'empereur le sollicita en vain de suivre premier projet. Il ne voulut point quitter les sièges qu'il commençait, ni l'empereur celui de Saint-Dizier. Ainsi par une aventure surprenante, Paris et le cœur de la France furent sauvés par le trop

 

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de facilité que trouvèrent les ennemis dans les frontières dégarnies.

L'empereur commençait à craindre le même sort qu'en Provence, et il fit à tout hasard jeter des propos de paix, par un Jacobin de sa suite, de la maison de Guzman, qui en fit quelque ouverture au confesseur du roi. Il ne laissait pas de-presser violemment Saint-Dizier : la brèche était raisonnable, et deux tours avaient été renversées; mais leurs ruines avaient entassé tant de pierres l'une sur l'autre devant la brèche, qu'on ne pouvait entrer que par escalade. Pour faciliter l'attaque, l'empereur voulut élever un cavalier qui voyait par-dessus ; aussitôt les assiégés en firent un semblable. La Lande fut emporté d'un coup de canon, au grand regret de Sancerre, et l'empereur eut à regretter René de Chalons, prince d'Oronge, tué d'un éclat de pierre. Les Espagnols, indignés d'une si longue résistance, tentèrent d'eux-mêmes l'assaut : ils furent suivis des Italiens. L'empereur les fit soutenir en diligence par lés Allemands : l'attaque dura tout un jour, et fut funeste aux assiégeants. Brissac ne réussit pas mieux en voulant mener des poudres et du secours à la place.

Cependant l'affaire lirait en longueur, et l'empereur était réduit à commencer de nouveaux travaux. Sancerre ne songeait qu'à continuer sa défense, quand il reçut une lettre sous le nom du duc de Guise, qui lui mandait que le roi était content de sa résistance, et que dans l'extrémité où il était, faute de vivres et de poudres, il était temps qu'il fît une composition honorable. Cette lettre avait été faite par les ennemis, qui avaient intercepté un paquet où était la clef du chiffre.

Le comte, persuadé que la lettre était véritable, consentit à capituler; mais il voulut avoir douze jours pour apprendre l'intention du roi par un homme exprès, L'empereur lui accorda tout ce qu'il voulut; tant il craignait que le siège ne se prolongeât, et que le roi d'Angleterre ne se servit de ce prétexte pour abandonner tout à fait le premier dessein. Ainsi une place faible et de peu de considération arrêta près de deux mois, dans la plus belle saison de l'année, le plus puissant empereur qui eût été depuis Charlemagne.

Le roi, ayant consenti à la capitulation, manda en même temps au Dauphin qu'il serrât d'aussi près qu'il pourrait l'armée impériale, sons néanmoins hasarder de combat. Le Dauphin se servit de cette occasion pour demander le connétable, que le roi lui refusa avec indignation. Comme l'empereur ne s'attendait plus à la jonction du roi d'Angleterre, il fit presser les propositions de paix, sans faire semblant de s'en mêler; elles allèrent si avant, qu'on nomma des députés de part et d'autre. Et cependant l'empereur, qui commençait à manquer de vivres, s'avançait assez lentement : mais un ordre mal exécuté lui ouvrit un pays qui n'avait pas encore été fourragé. Un officier à qui le Dauphin avait commandé de rompre le pont d'Epernay, le laissa surprendre. On crut qu'il y avait de l'intelligence, et que l'empereur, averti secrètement du dessein, en prévint l'exécution.

 

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Ses troupes, rafraîchies et encouragées, poussèrent jusqu'à Château-Thierry, et Paris fut en alarme, quoique le roi dût le rassurer par sa présence. Le Dauphin, après y avoir envoyé du monde, se mit sur le passage de l'empereur, qui, craignant de s'engager et de retomber dans sa première disette, tourna vers Soissons. La jalousie s'était mise dans son armée, et les Allemands, irrités de recevoir leurs vivres par les Espagnols, furent prêts plusieurs fois à décider leur querelle par les armes.

En ce même temps les députés convinrent des conditions de la paix. L'empereur devait dans deux ans donner au duc d'Orléans, ou sa fille, avec les Pays-Bas, le comté de Bourgogne et le Charolais, ou sa nièce, fille du roi des Romains, avec le Milanais. Il réservait les châteaux de Milan et de Crémone, jusqu'à ce qu'il y eût un mâle de ce mariage; et en remettant ces places au duc d'Orléans, le duc de Savoye devait être rétabli dans le Piémont. Au surplus, on rendait les places de part et d'autre, et le roi renonçait à Naples. On ne peut croire combien le Dauphin souffrit impatiemment ces propositions. Il se plaignait qu'on ne songeait qu'au duc d'Orléans, aux avantages duquel on sacrifiait les intérêts de l'Etat, et ne pouvait digérer qu'on rendît seize places importantes à l'empereur ou à ses amis, tant en Italie que dans les Pays-Bas, pour trois ou quatre petites qu'il ne pouvait conserver.

Cette affaire fut agitée avec beaucoup de partialité ; deux cabales depuis quelque temps divisaient la Cour. L'une était pour le Dauphin, et l'autre favorisait le duc d'Orléans. Elle était la plus puissante, parce que la duchesse d'Etampes était à la tête, par la crainte qu'elle avait de Diane de Poitiers son ennemie, passionnément aimée du Dauphin; elle se cherchait un appui en son jeune frère, très-ardent pour ceux qui embrassaient ses intérêts ; ainsi elle n'oubliait rien pour faire que cette guerre tournât à son avantage. Elle entretenait avec l'empereur de secrètes correspondances, et on tenait pour certain qu'elle l'avertissait de tous les conseils; elle appuya la paix de tout son crédit auprès du roi, qui s'y laissa aisément porter par les mauvaises nouvelles qu’il recevait de Picardie.

Vervin, gouverneur de Boulogne, manquait de courage, et se rendit lâchement dans le temps qu'il allait être secouru par le Dauphin; ce prince lui reprocha de s'être rendu pour faire plaisir au duc d'Orléans. Le maréchal de Biez, beau-père de Vervin, défendait vigoureusement Montreuil; mais tout commençait à lui manquer. La paix fut signée à Crespy en Laonnois; les troupes des Pays-Bas, qui étaient avec les Anglais, se retirèrent, et le Dauphin, s'étant approché de Montreuil, Norfolk fut obligé de lever le siège. Le roi d'Angleterre repassa là mer, et l'empereur sortit du royaume accompagné du duc d'Orléans.

Le Dauphin, après avoir fait une entreprise inutile sur Boulogne, chassé par les pluies et le mauvais temps, revint à la Cour, où sur la fin de l'année, peut-être du consentement du roi son père, il fit une

 

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solennelle protestation contre la paix, en présence des princes du sang, et de quelques autres seigneurs. Il avait laissé les troupes au maréchal de Biez, qui voulut se saisir d'un poste à un quart de lieue de Boulogne, qui tenait en sujétion le havre de cette place, Il s'y donna un combat, où la perte fut égale de part et d'autre; mais le maréchal fut contraint de se retirer.

Le roi s'appliquait à rendre inutiles les efforts du roi d'Angleterre (1545), et pour lui susciter des affaires dans, son lie, il appuya les intérêts de la jeune reine d'Ecosse, fille du roi qui était mort depuis peu. Il résolut aussi de faire une puissante flotte pour descendre en Angleterre, et il envoya le baron de La Garde, nommé auparavant le capitaine Paulin, pour amener au Havre de Grâce, par le détroit de Gibraltar, les galères qui étaient à Marseille : il préparent en même temps une grande armée de terre pour faire, auprès de Boulogne, les travaux que le maréchal de Biez avait vainement tentés, et il comptait que cet ouvrage pouvait être achevé dans le mois d'août, après quoi il devait marcher en personne devant Guines, dont la prise affamerait Boulogne.

On vit enfin finir alors, après de longues procédures, le procès du chancelier Poyet, qui fut condamné, par arrêt du 23 avril, à cent mille livres d'amende, et à être tenu cinq ans en prison où il plairait au roi; au surplus, déclaré incapable de tout office royal, pour avoir malversé dans sa charge, et fait des profits honteux. On lui avait choisi des juges de tous les parlements du royaume, auxquels il était odieux, pour avoir voulu porter trop haut l'autorité du conseil. Son arrêt lui fut prononcé publiquement à l'audience; il fut mis dans la tour de Bourges, d'où il ne sortit qu'en abandonnant tous ses biens, et fut réduit à reprendre dans le palais son ancienne profession d'avocat. François Olivier fut mis en sa place.

Le maréchal de Biez partit avec son armée pour travailler à la construction de son fort. Le roi alla au Havre de Grâce, où il attendit ses galères. Ce fut un beau spectacle de les voir venir au nombre de vingt-cinq : elles étaient grandes et bien équipées, après une si longue navigation; la flotte se trouva, sans les galères, de cent cinquante gros vaisseaux, munis d'hommes, de vivres et d'artillerie; ce qui fait admirer l'économie de François I, qui, parmi tant d'autres dépenses que lui causaient de si grandes guerres, lui fournit encore les moyens de faire et d'entretenir une flotte si considérable.

On remarque en effet que dans ses dernières années il mit un tel ordre à ses finances, qu'elles suffirent à fortifier une infinité de places, à entretenir de grandes armées par mer et par terre, et à faire en divers endroits de superbes bâtiments, sans qu'il cessât pour cela d'être magnifique plus que tous les rois ses prédécesseurs dans sa dépense ordinaire. Le 6 juillet, il fit partir du Havre l'amiral avec la flotte, et vit brûler à ses yeux le plus beau vaisseau de la mer, qu'on appelait le Grand-Caracon, où il faisait préparer un festin aux dames. L'amiral

 

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fit sa descente en trois divers lieux d'Angleterre, où il fit quelque butin, et chassa les Anglais de l'Ile de Wight; mais il n'osa les poursuivre jusque dans Portsmouth, quoique plus fort qu'eux, à cause des difficultés du passage. Les Anglais crurent quelque temps que le vent leur allait donner quelque avantage sur nous. Il tourna, et au lieu de nous attaquer, ils se retirèrent.

L'amiral se contenta de croiser les mers, pour empêcher l'ennemi de jeter du secours dans Boulogne. Enfin, vers le temps de la mi-août, comme les vivres lui manquaient, il revint en Normandie, sans avoir fait autre chose que d'occuper les Anglais dans leur île, et leur faire voir qu'ils pouvaient y être attaqués. On l'accusa d'avoir abandonné l'île de Wight, où il pouvait faire un fort, et y mettre bonne garnison. Il crut apparemment l'affaire trop hasardeuse. Le roi le reçut à Arques, où il attendait avec impatience les nouvelles du fort de Boulogne.

Le maréchal de Biez, trompé par un ingénieur italien, l'avait fait construire en un autre lieu que celui qu'on avait marqué, et si mal, qu'après six semaines de travail, il fallut combler les fossés, dont l'enceinte était trop petite. L'ouvrage qu'on recommença n'avançait point, et François, qui s'en ennuyait, s'approcha pour le presser; et pour le faciliter davantage, il vint à Forêt-Monstier, abbaye entre Abbeville et Montreuil, où le maréchal lui faisait dire qu'il verrait dans huit jours l'ouvrage achevé. Le roi ne pouvait se persuader qu'un homme de cette importance voulût le tromper. Cependant ces huit jours en attirèrent d'autres. François commençait à croire que le maréchal était bien aise de faire durer le travail, pour avoir plus longtemps le commandement d'une si belle armée. Il y envoya coup sur coup des gens qui n'avançaient, rien.

Un jour, le maréchal, pour n'être pas tout à fait sans action, fit semblant de vouloir combattre les Anglais, disant qu'il avait reçu avis qu'ils étaient en marche pour attaquer notre camp : alors contre l'avis de tous les gens sages, il abandonna le travail, laissant seulement dans le fort ce qu'il fallait pour le défendre; mais cet avis n'était qu'une illusion, et la noblesse, qui accourut pour la bataille, reconnut qu'il n'y avait aucune apparence que les Anglais, plus faibles que nous, songeassent à nous combattre.

La maladie se mit à Forêt-Monstier, et le 8 de septembre le roi y perdit le duc d'Orléans, à l'âge de vingt-trois ans. Cette mort l'affligea d'autant plus, qu'elle lui renouvela celle du dauphin François. Elle avait encore cela de fâcheux, qu'elle semblait devoir rompre le traité avec l'empereur. Le roi partit de Forêt-Monstier, et voulut qu'on mit fin, de façon ou autre, à l'affaire du fort.

Il y avait alors de continuelles escarmouches, et on remarque un coup étrange que reçut le comte d'Aumale; il fut percé, entre le nez et l'œil, du fer d'une lance qui lui entra avec le bois près d'un demi-pied dans la tête, sans qu'il perdit ni la connaissance ni les arçons : il se

 

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laissa arracher le tronçon, sons sourciller, et fut heureusement guéri, par ce grand chirurgien, Ambroise Paré, digne par son habileté d'être célébré dans toutes les histoires. Le roi apprit enfin qu'il ne fallait pas espérer que son fort pût être sitôt en état, et vit en même temps la belle saison écoulée ; ainsi il ne pensa plus à l'entreprise de Guines, et se contenta d'envoyer le maréchal de Biez, pour ruiner les environs de Calais, d'où les vivres venaient à Boulogne. Les Anglais y perdirent beaucoup de monde en diverses rencontres; mais c'était une faible consolation, et le roi eut sujet de regretter de n'avoir pu seulement achever un fort avec une armée dont il espérait la prise de Guines et de Boulogne.

Le roi, étant à Folemhray, envoya le premier de novembre l'amiral Annebaut et le chancelier Olivier, pour confirmer les traités avec l'empereur, qui était alors à Bruges, où il faisait de grands préparatifs de guerre contre les protestants d'Allemagne. On craignait que la mort du duc d'Orléans ne lui donnât lieu de retenir le duché de Milan, promis à ce prince. En effet, il répondit qu'il ne se croyait plus oblige à rien après la mort de celui pour qui il s'était engagé ; et au sujet de la paix, il assura seulement qu'il ne serait pas agresseur.

Cette réponse fit connaître au roi ce qu'il avait à espérer. Il semblait qu'il n'y eût rien d'impossible à l'empereur, après avoir fait la paix avec la France : il ne songeait plus qu'à réduire les  protestants, par la ruine desquels il voulait parvenir à se rendre maître absolu de l'empire. Le roi commençait à craindre qu'ayant exécuté ce dessein, il ne vint à tomber sur la France avec toutes les forces de l'Allemagne réunies, jointes aux siennes. Ainsi il donna ses ordres pour fortifier la Champagne, et se préparait lui-même à visiter ses provinces.

Le concile, si longtemps différé, fut alors ouvert à Trente, et fa première session, quoiqu'il y eût encore peu de prélats, se tint sur la fin de décembre. Les François et les Anglais étaient continuellement aux mains, malgré l'hiver, dans les environs de Calais et de Boulogne, et les nôtres avaient presque toujours l'avantage (1546). Le maréchal de Biez, les ayant attaqués dans le temps qu'il venait un convoi à un fort qui lui était important, demeura victorieux dans un grand combat. Un renfort de dix mille hommes de pied et de quatre mille chevaux , qui venait d'Allemagne au roi d'Angleterre, fut dissipé dans le pays de Liège , faute d'argent. L'Angleterre en était épuisée aussi bien que de soldats. Boulogne était pressée; les forts bâtis autour en rendaient la défense difficile ; par ces raisons, Henri était disposé à la paix, et François, qui craignait l'empereur, n'en était pas éloigné.

L'empereur se mêla pourtant en vain de l'empêcher ; car les ambassadeurs de la ligue de Smalcalde obtinrent que les deux rois nommassent des députés, qui s'étant assemblés entre Ardres et Guines, conclurent aisément la paix; elle fut signée au mois de juin. Le roi donnait à Henri huit cent nulle écus d'or, en huit ans ; après quoi on

 

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devait rendre à la France Boulogne avec le pays, et les places que les Anglais y avaient construites.

François employa le reste de l'année à visiter les frontières de son royaume : il commença par la Bourgogne, où il fortifia plusieurs places : il traversa la Champagne, où il visita en particulier les places de Meuse, entre autres Sedan, qui lui était assuré, et finit son voyage en Picardie. Cependant l'empereur avait tenu une diète à Ratisbonne, durant laquelle il assemblait ses troupes de tous côtés. Le Pape et les princes d'Italie lui envoyaient un puissant secours. Les  protestants sentirent bien que ces grands préparatifs les menaçaient, et la division était parmi eux.

Maurice de Saxe, cousin de l'électeur Jean Frédéric, et gendre du landgrave de Hesse, les deux chefs des  protestants, avait rompu avec eux, et faisait la guerre à son parent. L'empereur ne cachait pas trop le dessein qu'il avait de les châtier, et sans parler de religion, il déclarait qu'il voulait mettre à la raison quelques rebelles, résolu pourtant de pardonner à leurs amis, s'ils rentraient promptement dans leur devoir. Sur cela l'électeur de Saxe et le landgrave rassemblèrent leurs troupes qui se trouvèrent, au mois de juillet, de soixante mille hommes de pied et de quinze mille chevaux, outre six mille pionniers, et six-vingt pièces de canon. Avec cette redoutable armée, ces deux princes se promettaient une victoire assurée, et l'empereur les ayant mis au ban de l'empire, comme rebelles et criminels de lèse-majesté, ils lui envoyèrent déclarer la guerre par un trompette. Toute l'Europe était en attente de ce qui arriverait d'une guerre qui rendrait les  protestants victorieux, ou l'empereur maître absolu de l'Allemagne, en état de tout entreprendre. L'Italie tremblait, et le Pape même, qui n'avait pu refuser le secours contre les  protestants, ne savait que souhaiter.

Les conseils du cardinal de Tournon empêchèrent le roi de se mêler dans cette guerre, encore qu'on lui remontrât qu'il s'y agissait plutôt des libertés de l'empire que de la religion, à laquelle l'empereur avait déclaré qu'il n'en voulait pas alors, et qu'il importait à la France de tenu? les affaires d'Allemagne dans une espèce de surséance. Deux morts, survenues dans l'espace d'une année, affligèrent François; l'une fut celle du duc d'Enghien, assommé, le 23 février 1546, d'un coffre jeté étourdiment dans un combat fait par jeu, entre la jeunesse qui composait la cour du Dauphin : non-seulement toute la France, mais toute l'Europe regretta la mort malheureuse de ce jeune prince, que ses grandes actions et sa généreuse conduite rendaient également cher aux gens de guerre, français et étrangers.

Un an après, vint la nouvelle de la mort de Henri VIII, qui avait de grandes qualités, mais qui a noirci sa mémoire par ses amours, auxquelles il sacrifia sa religion. Il épousa six femmes, dont cinq par amour : il en répudia deux, deux eurent la tête coupée pour adultère, entre autres cette infâme Anne de Boulen, pour laquelle il avait renversé

 

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tout son royaume et la religion de ses ancêtres. Il crut pourtant avoir peu changé, parce qu'il n'avait touché qu'à l'autorité du saint Siège, sans considérer que par là il ouvrait la porte à la licence, et que c'était donner lieu à tout innover dans la religion, que de mépriser le Siège d'où elle était venue deux fois dans son île ; au reste, il persécutait également les catholiques et les luthériens : il mourut le 28 janvier 1547, haï des uns et des autres. Ce prince laissa son fils Edouard en bas âge, et après lequel il appelait à la couronne Marie, fille de Catherine d'Aragon, et Elisabeth, fille d'Anne de Boulen.

François regarda cette mort comme un avertissement pour lui. Ces deux princes étaient d'un même âge, et d'une constitution assez semblable. Depuis cette nouvelle, on vit François extraordinairement mélancolique ; et encore qu'il témoignât que le regret que lui apportait la mort de Henri était fondé, tant sur leur ancienne amitié, que sur le dessein de lier avec lui une plus étroite correspondance, pour s'opposer, tous deux ensemble, aux vastes desseins de l'empereur, on pénétra qu'il y avait une cause de tristesse plus intérieure.

Sa santé était mauvaise depuis longtemps, et il la sentait diminuer. Il s'étourdissait, le plus qu'il pouvait, en s'appliquent aux affaires : surtout il était fort occupé de la prodigieuse puissance de Charles, dont lès ennemis faisaient alors quelques progrès; mais la prudence, la bonne fortune, et les grandes forces de Charles, sa milice si aguerrie, et presque toujours victorieuse, semblaient lui promettre un heureux succès. François en voyait les conséquences, et pour tempérer un peu les choses, il donna deux cents mille écus aux princes ligués, et promit de recevoir en France le fils aîné de l'électeur de Saxe. Il destina soigneusement les fonds nécessaires pour la fortification de la Champagne, et s'en faisait rendre un compte exact.

Au milieu de ces soins, il fut surpris d'une fièvre lente, qu'il crut faire passer en chassant ; ainsi il alla à la Muette, maison de plaisance, qu'il avait nouvellement bâtie dans la forêt de Saint-Germain. Il ne fut pas longtemps sans s'y ennuyer; il allait de lieu en lieu, toujours chassant, pour tâcher de dissiper son chagrin et sa fièvre. L'agrément des environs de Rambouillet l'y fit demeurer plus longtemps qu'il ne l'avait résolu ; sa fièvre s'y augmenta, et devint continue : il ne douta point de sa mort prochaine, et mit ordre aux affaires de sa conscience, en prince constant et chrétien. Il entretint son fils de celles du royaume, lui recommandant le soulagement de ses peuples, et l'avertissant de n'imiter pas ses vices. Il mourut enfin le dernier mars 1547, âgé de cinquante-trois ans, après avoir régné trente-trois ans, presque toujours malheureux, mais au-dessus de la fortune.

S'il se trouve dans sa vie des négligences fâcheuses, on lui voyait aussi de grandes ressources aux occasions pressantes ; et il ne fallait pas un moindre courage, ni une moindre vigueur, pour empêcher Charles V, appuyé de faut d'alliés, et maître de tant de royaumes, d'engloutir encore la France. Sa mort fut déplorée par les gens de lettres de toutes les nations; et la France, qui voit encore tant de marques de sa grandeur et de sa magnificence, ne cessera jamais de célébrer sa mémoire.

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