Lettres CLXXII-CLXXX
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LETTRE CLXXII.
BOSSUET AU R. P. RAPIN, DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS (b). Meaux, 3 août 1687.

 

J'avais, mon révérend Père, à vous remercier du Magnanime, quand votre lettre est venue m'obliger à un nouveau remerciement, par les honnêtetés qu'elle contient.

Il y aura dans l'éloge de Monsieur le Prince, de quoi contenter la délicatesse de vos lecteurs, et en particulier toutes celles de Monseigneur [Henri-Jules de Bourbon]. Il ne me sera pas difficile de lui dire beaucoup de bien d'un ouvrage, pour qui j'ai toute l'estime possible. Je vous serai très-obligé de faire mes remerciements très-humbles à Monsieur d'Entrague.

 

barrées, parce qu'il a cru devoir pour le moment se borner à ce qu'il venait de dire : « Dieu est un, et dans ses ouvrages n'a qu'une seule pensée. Cette pensée si simple et si unique, ne se peut développer au dehors que par une prodigieuse multiplicité d'effets; et tous ces effets, qui expriment cette unique pensée, dès là sont toujours unis entre eux.» ( Les prem. édit.)

(a) De Louis de Bourbon, prince de Condé, prononcée le 10 mars 1G87.

(b) Le Traité du grand et du sublime dans les moeurs, par le P. René Rapin (Paris, 1686, in-12), était consacré à la gloire de Louis XIV, du premier président Lamoignon, de Turenne et de Condé. Ce dernier n'ayant point paru satisfait de la part de louange que le livre lui avait faite, on avait cherché à l'indisposer contre l'auteur. Le P. Rapin, voulant témoigner publiquement combien il admirait Condé, composa le livre intitulé : Le Magnanime, ou éloge de Louis de Bourbon prince de Condé, second du nom, premier prince du sang (Paris, 1687 ), in-12.

 

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Je suis, de tout mon cœur, et avec toute l'estime d'un mérite comme le vôtre,

Mon révérend Père, votre très-humble serviteur, J. Bénigne, év. de Meaux.

 

LETTRE CLXXIII. MILORD PERTH A BOSSUET (a). Ce 4 septembre 1687.

 

J'avoue que j'ai été trop longtemps à répondre à votre très-divine lettre : mais je ne différais à y répondre, que parce que j'avais toujours quelque espérance de vous pouvoir rendre un bon compte des effets qu'elle avait produits. Cependant il faut que je me plaigne de ma mauvaise fortune, en ce qu'un si excellent moyen ne produira pas apparemment l'effet qu'il devait produire : car si votre lettre eût été adressée à tout autre qu'à moi, il serait extraordinaire qu'elle n’eût pas porté nos supérieurs, de la volonté desquels nous dépendons, à nous procurer la salutaire bénédiction d'un bon évêque. Mais cette affaire, après que j'y ai employé de ma part les plus pressantes instances, étant présentement assoupie, voici tout ce que j'en puis dire : c'est que le meilleur des évoques, dont la plume inspirée d'en haut, car il faut que je le dise, dont la plume charmante a défendu si noblement et avec triomphe l'honneur de la doctrine apostolique contre les calomnies dont la malice des hérétiques tâchait de la noircir ; celui qui par sa dextérité à mettre la vérité dans son véritable jour, l'a fait embrasser à un si grand nombre de personnes qu'il a retirées de l'erreur ; celui dont l'exemple est un sermon continuel, auquel il est plus difficile de résister qu'à toute la force et l'énergie de cette éloquence avec laquelle il captive ses auditeurs; celui-là, dis-je, a trouvé parmi nous moins de docilité que parmi les hérétiques de France, malgré les mauvaises humeurs qui avoient régné si longtemps dans leurs esprits. Car au moins, à

 

(a) La lettre de Bossuet, à laquelle Milord répond dans celle-ci, nous manque, comme plusieurs autres que le prélat lui avait écrites.

 

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ce qu'il paraît, nous ne pouvons être convaincus qu'un évêque soit le plus propre remède de nos divisions : mais nous sommes contons de demeurer dans un état incommode, gémissant sous le poids de notre maladie, plutôt que de nous soumettre à une cure que quelques personnes trouveraient trop rude pour la pouvoir supporter aisément.

Je laisse l'explication de tout ceci à *** (1), qui en sera si pleinement instruit par un de mes amis, qu'il pourra vous satisfaire sur toutes les circonstances de cette affaire. J'espère que Notre-Seigneur aura quelque jour pitié de nous, et qu'il nous délivrera du malheur d'être à charge les uns aux autres, tandis que nous faisons tous profession d'être soumis à un même esprit, d'avoir en vue la même fin, et d'espérer d'être unis à Notre-Seigneur, et en lui les uns avec les autres par les liens d'une éternelle charité. Le saint Apôtre a développé ce mystère de la cause des divisions, comme Salomon l'avait fait longtemps auparavant ; et il nous a dit que notre gloire devait être à tâcher d'être assez humbles pour imiter l'exemple de Notre Seigneur, et qu'ainsi nous ne trouverons que de, légères tentations : de sorte, que nous ne nous intéresserons pas plus qu'il ne, faut à être sous un chef, d'un corps séparé du reste des hommes, borné par les limites de certaines règles et constitutions, et qui se prétend exempt de ses supérieurs naturels, ou à marcher dans l'ancienne voie en obéissant à nos pasteurs apostoliques. Ce n'est pas que je croie que le choix soit égal ; car certainement le plus sûr est le meilleur: mais je veux dire que si nous pouvions rendre les choses égales par notre choix, nous devrions nous attacher très-peu à tous les monades passions humaines, qui entrent dans quelque part de cette affaire.

J'avoue que je trouve plus étonnant qu'un religieux devienne saint, que je ne m'en étonne d'un paysan. Ce ne sont pas les règles ni les modes qui mènent au ciel : et à mon avis Thomas à Kempis n’aurait pas empêcher qu’un pays ne reçut les bénédictions attachées à l’établissement d’un bon évêque pour y

 

1 Probablement l’abbé Renaudot, auquel milord Perth adressait les lettres qu’il écrivit à Bossuet, et qui les traduisait. (Les édit.)

 

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gouverner l'Eglise, afin de conserver ce gouvernement dans sa congrégation. L'état présent de nos affaires me donnerait lieu de faire sur ce sujet plusieurs semblables réflexions douloureuses. Cependant je suis obligé de dire que les religieux parmi nous sont de fort bonnes gens : mais la moindre chose leur fait ombrage; et ils sont si entêtés de leur ordre, que cela les empèse d'examiner les choses avec exactitude. Car je suis sur qu'ils sont fort capables d'être employés et très-disposés à s'appliquer à tout ce qui concerne le bien de l'Eglise, lorsque ce zèle pour leur corps ne les en détourne pas. Mais il faut prendre patience, prier, et être content que la sainte volonté de Dieu soit faite.

Je dois dans chaque lettre vous remercier très-humblement des grandes obligations que je vous ai, pour la grande bonté que vous témoignez à mon fils. Je suis fort aise que vous soyez content de ceux qui ont soin de son éducation. Je suis sur qu'ils l'aiment, et que c'est un grand moyen pour les rendre soigneux, pourvu que l'amitié ne dégénère pas en une trop grande complaisance. La bonté que vous leur témoignez leur donne beaucoup de courage à bien faire ; et je suis fort assuré qu'il n'y a personne au monde qui vous honore davantage. Madame de Croly ma belle-soeur, qui porte cette lettre, vous rendra compte, quand elle aura l'honneur de vous voir, de l'état des affaires de notre Eglise. Je n'ai plus rien à ajouter, Monseigneur, sinon de me prosterner à vos pieds pour vous demander très-humblement votre bénédiction, en vous témoignant ma reconnaissance des obligations infinies que je vous ai, et en vous assurant que je serai jusqu'au dernier soupir, etc.

 

LETTRE CLXXIV.
BOSSUET A M. DE RANCÉ, ABBÉ DE LA TRAPPE. A Paris, ce 4 octobre 1687.

 

Il y a quelques jours, Monsieur, qu'on m'a donné avis que le P. Mege, de la congrégation de Saint-Maur, allait publier une

 

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version de la règle de saint Benoît avec quelques notes, où le livre de la Vie monastique était attaqué en trois ou quatre endroits. J'avais su que M. l'abbé de Lamet et M. le curé de Saint-Laurent s'étaient excusés, par cette raison, de l'approuver. En même temps j'écrivis de Versailles, où j'étais, au P. prieur de Saint-Germain, qu'il me semblait que cet ouvrage ferait tort à la piété en général et en particulier à la congrégation de Saint-Maur; et je le priais de donner avis de cette affaire au P. général, afin qu'il en empêchât le cours. Le P. prieur m'envoya avec sa réponse une lettre du P. Mége, à qui j'écrivis, et de qui je reçus une seconde lettre. Je vous l'envoie avec la première, et par là vous pourrez juger de ce, que j'avais écrit.

J'arrivai avant-hier de Versailles ; et ayant donné avis de mon arrivée à l'abbaye Saint-Germain, le P. Mége me vint voir hier. Nous convînmes qu'après que les Pères de la congrégation, qui doivent revoir son ouvrage, auront fait les changements qu'il faudra, on me fera voir le tout; et que nous tâcherions par ce moyen, en vous en donnant avis, de finir cette affaire à l'amiable. Je vois que tout roule principalement sur le silence, sur les humiliations et sur les études (1). Ce Père ajouta qu'il y avait beaucoup d'endroits du livre où vous les aviez fort maltraités : et m'ayant dit qu'il savait que vous deviez de votre côté faire imprimer une version de la règle avec des notes, et qu'il vous priait de ne plus maltraiter sa compagnie, je l'assurai fort que vous étiez très-éloigné de cette pensée. Il me dit qu'il me donnerait les endroits ; et nous nous séparâmes fort honnêtement. J'ai averti M. l'abbé Jannen de tout cela, afin qu'après mon départ, qui sera demain, il puisse porter les paroles qu'il faudra, suivant les instructions que je pourrai lui envoyer de mon diocèse. Voilà, Monsieur, l'étal où je laisse cette affaire : je veillerai à la suite, e m ai pas jugé à propos de prendre aucunes mesures avec M. le chancelier, ni de rien dire à M. de Reims, qui se serait peut-être plus échauffé que je n'ai fait. Je vous prie de me renvoyer les

 

1 Dom Mège s’est appliqué dans son Commentaire à prouver que saint Benoît n’a pas ordonné, comme le soutenait l’abbé de la Trappe, un silence absolu et perpétuel à ses moines, qu’il n'a pas approuvé les humiliations fondées sur des imputations arbitraires, ni condamné les études monastiques.

 

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lettres du Père, quand vous m'en aurez dit votre sentiment. Je suis, Monsieur, à vous comme vous savez.

 

Le livre est imprimé ; mais on fera des cartons.

 

LETTRE CLXXV.
BOSSUET A M. DE RANCÉ, ABBÉ DE LA TRAPPE. A Meaux, ce 11 novembre 1687.

 

Je ne me suis pas trouvé ici, Monsieur, quand un religieux de Fontevrault y a apporté l'explication de la règle de saint Benoît. M. l'abbé Fleury l'a reçue en mon absence, et je la reçois à présent avec votre lettre du 28 octobre. Le P. général de Saint-Maur m'a écrit que son intention était de supprimer par nies conseils le livre du P. Mége (1), et de faire faire sur la règle quelque chose de plus correct. J'apprends la même chose par une lettre du P. Mége, qui se justifie en même temps de l'envoi des exemplaires dans les provinces, en rejetant la faute sur son libraire qui l'a fait à son insu. Je ne me paierai pas de cette excuse, et je m'en plaindrai au P. général. Mais ce qu'il y a de meilleur à faire, c'est d'imprimer au plus tôt votre Explication : je ne perdrai pas de temps à la voir, si vous êtes toujours dans la pensée que je l'approuve. Tout ce qu'on pourra faire pour diligenter, c'est d'envoyer toujours à l'imprimeur pendant que j'achèverai la lecture. Je serai, s'il plaît à Dieu, samedi prochain à Paris pour très-peu de jours, mais assez pour donner les ordres qu'il faudra; et de là je vous écrirai plus amplement. Je suis, Monsieur, à vous comme à moi-même.

 

1 En effet, comme nous l'avons déjà dit, les sollicitations vives et pressante» de Bossuet portèrent la diète annuelle de 1689, à condamner le Commentaire du P. Mége, par un règlement qui en interdisait la lecture aux religieux de la congrégation.

 

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LETTRE CLXXVI.
BOSSUET A M. DE RANCÉ, ABBÉ DE LA TRAPPE. A Paris, ce 4 décembre 1687.

 

En partant pour m'en retourner dans mon diocèse, je suis bien aise de vous dire que je n'ai aucune, nouvelle ni des diligences de ce P. de Fontevrault auprès de M. Courcier, ni de la lettre que j'ai écrite à ce docteur. Tout ce que je vous puis dire, Monsieur, c'est qu'il est à propos, pour des raisons qui assurément ne me regardent pas, que le commentaire paroisse plutôt avec les approbations ordinaires qu'avec la mienne.

Je ne crois pas qu'il y ait rien de solide dans les bruits qui ont couru, si ce n'est peut-être quelque mécontentement par rapport à madame de Guise (a). J'ai dit ce que je devais sur ce sujet-là, partout où j'ai cru le devoir faire. Au surplus, je vous supplie de ne pas douter que je ne sois affectionné à la Trappe comme serait un de vos religieux, et à vous comme à un ami cordial, et à un homme que je crois à Dieu, et en qui je crois que Dieu est.

 

PROPOSITION.

 

Qu'on peut dire que la satisfaction que Jésus-Christ fait par ses souffrances a la justice divine, supplée à la satisfaction que les damnes lui font pour leurs péchés (b).

 

Lorsque deux personnes font satisfaction pour la même injure,

et que la satisfaction de l'un, insuffisante par elle-même, devient

 

(a) L’abé de la Trappe était en grande relation avec cette dame , et il composa pour elle un écrit qui fut publié à l’insu de cet abbé en 1697, sous le titre de Conduite chrétienne, adressée à Son Altesse Royale Madame de Guise. (Les édit.)

 

(b) Cette proposition n'est pas de Bossuet ; on l'attribue généralement à dom François Lami, bénédictin de la congrégation de Saint-Maur. Voici comment ce religieux en explique l'origine et le développement : «Une personne ayant fait depuis peu, en bonne compagnie, la lecture d'une lettre où on lui apprenait que le ministre Jurieu traitait de paradoxe cette proposition de l'auteur de la Recherche de la vérité (Malebranche), « que Jésus-Christ supplée ou ajoute par ses satisfactions ce qui manque à la satisfaction que les damnés font à la

 

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très-suffisante jointe à la satisfaction de l'autre, il est vrai dédire que la satifaction de l'un supplée à celle de l'autre. Or Jésus-Christ et les damnés font par leurs souffrances, quoique bien différemment, satisfaction à la justice divine pour les péchés des damnés ; et la satisfaction des damnés, d'elle-même insuffisante, devient très-suffisante jointe à la satisfaction de Jésus-Christ. Il est donc vrai de dire que la satisfaction que Jésus-Christ fait par ses souffrances à la justice divine, supplée à la satisfaction que les damnés lui font pour leurs péchés.

 

OBSERVATIONS DE M. L'EVÊQUE DE MEAUX, Sur la proposition raisonnée (a).

 

La satisfaction de Jésus-Christ peut être considérée quant à la suffisance, du prix, quanta l'intention de Jésus-Christ, quant à l'application. Quant à la suffisance, tout y est compris : quant à l'intention, elle n'a été que pour les hommes : quant à l'application, elle n'est que pour les justes.

A proprement parler, les damnés ne satisfont pas; mais Dieu satisfait lui-même à sa justice en les punissant en toute rigueur. Je ne crois point que Jésus-Christ satisfasse pour les démons, ni que de sa satisfaction et de celle des damnés il s'en fasse une seule et même satisfaction. La satisfaction de Jésus-Christ est infinie, capable d'anéantir l'enfer et de sauver tous les damnés, si elle leur était appliquée. Il ne la faut donc pas regarder comme suppléant à celle des damnés, mais comme parfaite en tout point en elle-même.

 

justice divine pour leurs péchés, » chacun prit parti diversement, les uns pour l'hérétique et les autres pour le catholique.

«Un de ceux-ci (dom Lami) s'apercevant qu'on prenait cette proposition en des sens outrés, fort éloignés de l'esprit de son auteur, ci ut que pour la faire recevoir plus agréablement, il n'y avait qu'à la proposer avec un peu plus d'étendue, et à la prouver par un seul raisonnement.

» En effet, il arriva que cette proposition raisonnée ramena un peu les esprit de ceux qui en étaient les plus éloignés. Cependant, comme plusieurs continuaient de la combattre, on prit le parti de la soumettre, telle qu'on va la lire, au jugement de M. l’évêque de Meaux.»

(a) C'est Bossuet qui va parler, comme on le voit par le titre, dans ce Observations.

 

 

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Il semble pourtant que l'on veuille dire que la satisfaction de Jésus-Christ demande, pour être suffisante, d'être jointe à celle des damnés. Que si l'ou veut dire que c'est la satisfaction des damnés qu'on regarde comme insuffisante, je réponds qu'on ne doit pas dire qu'elle devienne suffisante par la satisfaction de Jésus-Christ, puisqu'elle ne leur est pas appliquée. Les satisfactions que nous faisons à Dieu, insuffisantes par elles-mêmes, deviennent suffisantes avec celle de Jésus-Christ qui nous est appliquée. Ainsi la satisfaction de Jésus-Christ est le supplément de la nôtre : mais je ne commis rien de semblable dans les damnés.

Je conclus donc premièrement qu'en prenant les damnés, y compris les diables, Jésus-Christ ne satisfait pas pour eux : secondement, qu'en prenant les damnés pour les hommes, Jésus-Christ ne supplée pas à l'insuffisance de leur satisfaction par la sienne, qui ne leur est pas appliquée : troisièmement, qu'il ne faut point regarder les deux satisfactions dont on parle ici, comme n'en faisant qu'une seule parfaite, parce que celle de Jésus-Christ a sa perfection indépendamment de toute autre chose.

 

RÉPONSE DE L’AUTEUR DE LA PROPOSITION (a).

 

Je commence par exclure les sens étrangers à la proposition.

Premièrement donc, Monseigneur, je conviens que Jésus-Christ n'a ni appliqué ses satisfactions aux damnés, ni eu intention qu'elles leur servissent. Secondement, je ne veux pas même contester ce que vous me dites, « qu'à proprement parler les damnés ne satisfont pas, mais que Dieu satisfait lui-même à sa justice en les punissant : » je ne parlerai de leur satisfaction qu'en ce sens-là. Troisièmement; par les damnés je n'entends point parler des démons. mais seulement des hommes. Quatrièmement, je ne prétends nullement que de la satisfaction de Jésus-Christ et de celle des damnés, il ne se fasse qu'une seule et même satisfaction. Je tes regarde comme de deux ordres différents et très-indépendantes l'une de l'autre. Cinquièmement, à Dieu ne plaise qu'en disant

 

(a) Inutile de la remarquer, c’est dom François Lami qui reprend la parole, pour démontrer géométriquement sa proposition dite raisonnée.

 

 

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que la satisfaction de Jésus-Christ supplée à celle des damnés, je veuille la faire regarder comme imparfaite ou comme insuffisante par elle-même; au contraire je prétends que pour pouvoir ainsi suppléer, elle doit être infiniment parfaite.

Ce n'est, Monseigneur, qu'après avoir écarté tous ces mauvais sens et en avoir dégagé notre proposition, que j'en entreprends la démonstration suivant les règles de la méthode géométrique.

 

DÉMONSTRATION GÉOMÉTRIQUE.

 

Définition.

Par les termes d'ordre, de loi éternelle, de règle immuable, de justice, de source de toute justice, j'entends les rapports de perfection qui se trouvent entre les idées divines; c'est-à-dire entre les premiers exemplaires ou les originaux de toutes choses, compris dans l'essence divine.

 

Éclaircissement.

Comme Dieu ne peut rien connaître que dans son essence, il faut que cette divine essence lui représente la diversité de tous les êtres : mais elle ne peut la lui représenter que par les diverses perfections qui ont rapport à ces divers êtres, et sur le modèle desquelles ils ont été ou peuvent être créés ; et c'est pour cela que ces diverses perfections s'appellent du nom d'idées, d’exemplaires ou d’originaux. Or c'est le rapport invariable qui se trouve entre ces perfections que j'appelle ordre essentiel, loi éternelle, règle immuable, justice, source de toute justice : ordre essentiel, parce que ce rapport est le principe de la subordination de toutes choses : loi éternelle, parce que Dieu s'aimant d'un amour nécessaire, et aimant par conséquent indispensablement tout ce que renferme sa divine essence à proportion des divers rapports de perfection, il est visible qu'il ne peut se, dispenser de suivre dans sa conduite l'ordre de ces rapports, et qu'ainsi ils lui tiennent lieu de loi : règle immuable, parce que c'est sur ce rapport que toutes choses doivent être réglées, la conduite de Dieu et celle des esprits créés: justice et source de toute justice, parce que

 

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c'est suivant ces rapports que chaque chose est mise à sa place et traitée selon son mérite, et qu'on rend à chacun ce qui lui est dù; et parce qu'enfin c'est par la conformité des volontés avec ces rapports, c'est lorsqu'on estime et qu'on aime les choses à proportion de ce qu'elles sont estimables et aimables, que les esprits sont justes.

J'appelle péché l'amour des choses sans égard à leurs divers rapports de perfection : préférer les biens temporels aux éternels, la créature au Créateur : user des choses dont on devrait jouir, et jouir de celles dont on ne devrait qu'user : tout ce qui est contre l'ordre, contre la loi éternelle, contre la règle immuable ; en un mot, un véritable désordre.

 

Axiomes.

Premièrement, Dieu s'aime nécessairement et invinciblement soi-même. Secondement, la grandeur et l'énormité du péché se mesurent par l'excellence et la dignité de la personne offensée, au-dessus de celle qui offense : et au contraire la grandeur de la satisfaction se prend de l'excellence et de la dignité de la personne qui satisfait ; et de là vient cette maxime : Honor est in honorante, injuria vero in dehonestato : de sorte que l'injure contracte une énormité intérieure de la condition de la personne offensée, comme la satisfaction contracte une valeur intérieure de la condition de la personne qui satisfait. Troisièmement, Dieu n'agit que par sa volonté, et sa volonté n'est que son amour. Quatrièmement, il y a inégalité dans les peines des damnés.

 

PREMIÈRE PROPOSITION. Dieu aime invinciblement l'ordre essentiel.

 

Démonstration.

 

L’ordre essentiel n'est pas distingué de Dieu même, puisque par la première définition, ce n'est que le rapport de perfection qui se trouve entre les idées comprises dans sa divine essence. Or par le premier axiome, Dieu s'aime nécessairement et invinciblement lui-même; il aime donc invinciblement l'ordre essentiel.

 

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DEUXIÈME PROPOSITION. Dieu aime invinciblement la loi éternelle et la justice.

DÉMONSTRATION.

 

C'est la même que celle de la première proposition ; et tout ce que nous dirons de l'ordre dans la suite, se peut également appliquer à la loi éternelle et à la justice.

 

TROISIÈME PROPOSITION. Dieu ne peut se dispenser d'agir dans l'ordre, de suivre l'ordre, de satisfaire à ce que Tordre demande.

 

DÉMONSTRATION.

Dieu ne peut se dispenser de suivre dans sa conduite le mouvement de son amour puisque, par le troisième axiome, Dieu n'agit que par sa volonté, et que sa volonté n'est que son amour ; et que par le premier axiome, Dieu s'aime invinciblement lui-même. Or par la première proposition, son amour l'attache invinciblement à l'ordre. Il ne peut donc pas se dispenser d'agir dans l'ordre, de suivre l'ordre, de satisfaire à ce que l'ordre demande.

 

QUATRIÈME PROPOSITION. Il est de l'ordre de punir le péché ; et l’ordre demande qu'il soit puni à proportion de sa grandeur, ou du moins à proportion de la capacité de souffrir qui se trouve dans le coupable.

 

DÉMONSTRATION.

Il est de l'ordre de s'opposer à tout ce qui le blesse et de punir tout ce qui l'offense ou le viole, et cela à proportion de la grandeur de l'offense, ou du moins à proportion de la capacité du coupable : car par la première définition, l'ordre, la loi éternelle, la justice, ne demandent rien tant que la conservation de l'ordre, et que le traitement de chaque chose selon son rang et son mérite. Or par la deuxième définition, le péché blesse l'ordre ; il le viole,

 

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il le renverse autant qu'il est en lui : en un mot, le péché est un véritable désordre. Donc il est de l'ordre de le punir à proportion de sa grandeur, etc.

 

CINQUIÈME PROPOSITION. La grandeur du péché est infinie.

 

DÉMONSTRATION.

 

La grandeur et l'énormité du péché se mesurent par l'excellence et la dignité de la personne offensée, comme il est prouvé par le deuxième axiome. Or il est visible que Dieu, c'est-à-dire l'Etre infiniment parfait, offensé par le péché, est d'une excellence et d'une dignité infinie. Donc la grandeur du péché est infinie.

 

ÉCLAIRCISSEMENT.

Il se trouve des gens qui croient pouvoir éluder la force de cette démonstration en disant qu'il n'y a rien que de fini clans la créature, qu'ainsi tous ses actes sont finis, et que par conséquent la grandeur du péché n'est que finie. Mais on devrait prendre garde que le péché ou, pour parler [lus exactement, que le formel, l'essentiel du péché n'est point un acte. Le péché n'est qu'un dérèglement, un désordre, un éloignement de Dieu, une pure privation : il n'a ni forme, ni essence, ni nature, ni réalité : en un mot, c'est un pur néant. Or qui conçoit bien cela, comprend aisément que, quoiqu'il n'y ait rien que de fini dans la créature, son péché ne laisse pas d'être d'une grandeur infinie, parce que du néant à l'être, mais surtout à l'Etre infiniment parfait, il y a une distance infinie; en un mot, il n'y a nulle proportion finie.

 

SIXIÈME PROPOSITION. Dieu ne peut pas se dispenser de punir le péché d'une peine infinie, ou du moins selon la capacité de souffrir qui se trouve dans le coupable.

 

DÉMONSTRATION

 

Par la troisième proposition, Dieu ne peut pas se dispenser agir ans l'ordre, de suivre l'ordre, et de satisfaire pleinement,

 

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ou du moins, autant qu'il est possible à ce que l'ordre demande. Or par la quatrième proposition, l'ordre demande que le péché soit puni à proportion de sa grandeur, ou du moins selon la capacité du coupable ; et par la cinquième, la grandeur du péché est infinie. Dieu ne peut donc pas se dispenser de le punir d'une peine infinie, ou du moins, etc.

 

SEPTIÈME PROPOSITION. Le péché n'est puni dans les hommes damnés, ni infiniment, ni selon toute la capacité qu'ils ont de souffrir.

 

Quoique cette proposition ait deux parties, ce sera avoir suffisamment prouvé la première que d'avoir démontré la seconde : en voici donc la preuve.

 

DÉMONSTRATION.

Qui pourrait souffrir plus qu'il ne fait n'est pas puni selon toute sa capacité : or les hommes damnés pourraient souffrir plus qu'ils ne font; ils ne sont donc pas punis selon toute leur capacité. La majeure de cet argument est évidente : voici la preuve de la mineure.

Où il y a inégalité dans les peines de plusieurs aines de même capacité, il est visible que du moins celles qui en souffrent de moindres pourraient en souffrir de plus grandes. Or par le quatrième axiome, il y a inégalité dans les peines des damnés ; et je suppose ces âmes de même capacité: donc les hommes damnés pourraient souffrir plus qu'ils ne font.

 

COROLLAIRE PREMIER.

Donc Dieu ne satisfait pas pleinement, ni autant qu'il le pourrait, dans les damnés à ce que l'ordre demande indispensablement.

 

DÉMONSTRATION.

Par les quatrième, cinquième et sixième propositions, l'ordre demande indispensablement que le péché soit puni d'une peine infinie, ou du moins selon toute la capacité du coupable. Or par la septième proposition, le péché n'est puni dans les damnés ni

 

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d'une peine infinie, ni selon toute la capacité qu'ils ont de souffrir : Dieu ne satisfait donc pas pleinement dans les damnés à ce que l'ordre demande indispensablement.

 

COROLLAIRE SECOND.

Donc Dieu retrouve ailleurs ce qui manque à la satisfaction qu'il tire des damnés.

DÉMONSTRATION.

Celui qui étant indispensablement obligé de faire faire, satisfaction ou réparation à l'ordre, ne le fait pas autant qu'il le pourrait par rapport au coupable, doit ou retrouver ailleurs ce qui manque à cette satisfaction, ou manquer lui-même d'amour pour l'ordre. Or on ne peut pas dire que Dieu manque d'amour pour l'ordre, puisque par la première proposition, il l'aime invinciblement. Il faut donc que Dieu retrouve ailleurs ce qui manque à la satisfaction qu'il tire des damnés.

 

HUITIÈME PROPOSITION. Dieu ne peut retrouver ailleurs qu'en Jésus-Christ et dans ses satisfactions, ce qui manque à la satisfaction des damnés.

 

DÉMONSTRATION.

Ce qui manque à la satisfaction des damnés est infini, par la cinquième et la sixième, proposition. Or Dieu ne peut trouver rien d'infini en matière de satisfaction qu'en Jésus-Christ, dont la personne divine donne un prix infini à ses souffrances. Donc, Dieu ne peut trouver ailleurs qu'en Jésus-Christ ce qui manque à la satisfaction des damnés.

 

COROLLAIRE PREMIER.

 

C’est donc sur les satisfactions de Jésus-Christ que Dieu se dédommage de ce qui manque à celle des damnés. Cette proposition n’est qu’une suite des deux dernières : car il ne servirait de rien pour satisfaire à l’ordre, de retrouver en Jésus-Christ ce qui manque à la satisfaction des damnés, si Dieu ne s'en servait

 

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à cette fin ; je veux dire, si Dieu ne se dédommageait sur les satisfactions de Jésus-Christ de ce qui manque à la satisfaction des damnes.

 

COROLLAIRE SECOND.

Donc les satisfactions de Jésus-Christ suppléent et relèvent même infiniment ce qui manque à la satisfaction des damnés. Quelque évidente que soit la liaison de cette proposition avec celles qui l'ont précédée, en voici néanmoins encore la preuve.

 

DÉMONSTRATION.

Lorsque d'une même injure l'on tire deux satisfactions très-différentes, l'une finie, l'autre infinie; et que de l'une et de l'autre il résulte que l'offensé est infiniment satisfait, au lieu qu'il ne le serait nullement de la satisfaction finie, si l'infinie manquait, on peut justement dire que celle-ci paie, supplée, et relève infiniment celle-là. Or Dieu tire des injures que les hommes damnés lui ont faites deux satisfactions bien différentes ; savoir celle des souffrances libres de Jésus-Christ, qui est infinie, et celle des supplices forcés des hommes damnés, qui n'est que finie : et de ces deux satisfactions il résulte que Dieu est infiniment satisfait ; au lieu qu'il ne le serait nullement de la satisfaction des damnés , si celle de Jésus Christ manquait. Donc les satisfactions de Jésus-Christ suppléent et relèvent même infiniment ce qui manque à la satisfaction des hommes damnés.

 

REMARQUE.

Après tout ce qu'on a prouvé jusqu'ici, il n'y a rien dans cet argument qui ne doive paraître fort clair, surtout quand on sait que la satisfaction de Jésus-Christ est infinie, et que celle des damnés n'est que finie. Il faut seulement remarquer que tant s'en faut que ce soit une imperfection à la satisfaction de Jésus-Christ de suppléer ainsi à celle des damnés, qu'au contraire cela marque une perfection infinie, parce qu'elle n'y supplée qu'en la relevant infiniment.

 

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COROLLAIRE TROISIÈME.

Donc la satisfaction que Jésus-Christ fait à Dieu pour les péchés de tous les hommes, est indirectement favorable aux hommes damnés.

 

DÉMONSTRATION.

Elle leur est indirectement favorable, s'il est vrai qu'il leur en revienne par occasion quelque diminution dans leurs peines ; et si Dieu en prend occasion de mêler pour ainsi dire la miséricorde dans leurs supplices. Or c'est justement ce qui arrive et ce que Dieu fait. puisque par les septième et huitième propositions, ce n'est que parce que Dieu trouve en Jésus-Christ une satisfaction infinie pour les péchés des hommes, qu'il épargne les hommes damnés, et qu'il ne les punit pas même selon toute la capacité qu'ils ont de souffrir. Donc la satisfaction de Jésus-Christ est en quelque sorte favorable aux hommes damnés.

Mais remarquez que je ne dis pas que Jésus-Christ ait souffert en faveur des hommes damnés, ni que ses satisfactions soient unies à leurs satisfactions, ni enfin que des unes et des autres il se fasse une seule et même satisfaction ; mais seulement qu'ayant satisfait fort différemment, chacun en son ordre, Dieu prend occasion de la satisfaction infinie que Jésus-Christ lui a faite pour les péchés de tous les hommes, de remettre aux hommes damnés quelque chose des justes châtiments qui leur sont dus.

 

LETTRE CLXXVII.
BOSSUET A DOM FRANÇOIS LAMI. A Meaux, ce 24 décembre 1687.

 

J’ai reçu, mon révérend Père, votre démonstration sur la satisfaction , que j'examinerai après ces fêtes. Je sais que la proposition est du P. Malebranche. Si elle peut être défendue, elle le sera de votre main; et déjà elle est déchargée de beaucoup de mauvais sens qu'elle me parut avoir. Je vous dirai si avec votre

 

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secours je serai capable d'y en trouver un bon. Cependant je suis à vous, mon révérend Père, avec le cœur et l'estime que vous .savez.

 

LETTRE CLXXVIII.
BOSSUET A DOM FRANÇOIS LAMI. A Paris, ce 7 janvier 1688.

 

Je vous envoie, mon révérend Père, mon sentiment sur votre Démonstration (a). La méthode en est nette ; et elle m'a fait souvenir des propositions contre Spinosa (b), que je souhaiterais beaucoup de voir au jour. Songez-y et avertissez-moi, pendant que, je suis ici, de ce que je pourrai faire non-seulement pour cela, mais encore, en toute autre chose, pour votre service.

 

LETTRE CLXXIX.
DOM FRANÇOIS LAMI A BOSSUET.

 

J'ai reçu, avec la réponse que Votre Grandeur a bien voulu faire à la Démonstration, des marques singulières de ses bontés pour moi. J'ai eu besoin d'être aussi sensible que je le suis à celles-ci, pour trouver quelque adoucissement dans vos censures. J'en ai néanmoins trouvé à penser que vous me preniez pour un autre, et que je n'ai point les sentiments que vous censurez, et une marque de cela, c'est que laissant à part tout ce qui s'est dit jusqu'ici, je consens le plus agréablement du monde à m'en tenir à ce que vous me faites l'honneur de m'offrir sur la fin ; c'est-à-dire « à soutenir seulement que la satisfaction de Jésus-Christ apporte quelque soulagement aux damnés, et même aux démons; et que Dieu pour l'amour de Jésus-Christ punit les damnés, et même les démons, au-dessous de leurs mérites ; et qu'ils

 

(a) On trouvera ci-après l'écrit où Bossuet expose son sentiment sur la Démonstration du P. Lami. — (b) Le P. Lami publia en effet en 1696 un ouvrage contre Spinosa, sous ce titre : Le nouvel Athéisme renversé, ou Réfutation du système de Spinosa, qu'il combat, dans la seconde partie, selon la méthode des géomètres (Les édit.)

 

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doivent cet adoucissement aux mérites infinis de Jésus-Christ, auxquels Dieu a plus d'égard que ne mérite leur ingratitude. » En voilà, Monseigneur, plus qu'il ne m'en faut, et plus que je n'en voulais. Avec cela j'abandonne le mot de supplément dans tous les sens que vous désapprouvez, et qui aussi bien ne m'étaient jamais venus dans l'esprit ; et je n'en veux jamais ouïr parler, très-persuadé surtout de cette maxime de saint Augustin, que «dès qu'on est d'accord sur les choses, il est inutile de disputer sur les mots : » Ubi de re constat, superflua est de verbo contentio (1).

A l'égard des offres obligeantes que Votre Grandeur veut bien me faire, je vous supplie très-humblement d'être bien persuadé que je les reçois avec tout le respect et le ressentiment que je dois. J'avais mis la Réfutation de Spinosa au nombre des vieux registres qu'on ne veut plus regarder. Si néanmoins, Monseigneur, vous la jugez utile à la religion, vous en êtes le maître, comme de tout ce qui est à ma disposition; et vous pouvez mieux que personne lever l'obstacle qui l'a jusqu'ici retenue, c'est-à-dire ou délivrer M. Pirot d'un fort léger scrupule, ou faire passer la réfutation par un autre canal que le sien. J'abandonne le tout à la disposition de Votre Grandeur, étant moi-même avec un parfait dévouement et un égal respect, etc.

 

LETTRE CLXXX.
BOSSUET A  DOM  FRANÇOIS  LAMI. A Versailles, ce 26 janvier 1688.

 

Les censures que vous dites que, je vous ai faites, mon révérend Père, n'étaient pas si sérieuses que vous le pensiez par rapport à vous. Pour la doctrine, il n'y aura plus de difficulté après que vous vous êtes réduit à la proposition que je vous accorde sans difficulté. Mais il faut, s'il vous plaît, que vous avouiez de bonne foi que votre Démonstration portait à faux, et que pour réduire votre théologie à des termes tout à l'ait irrépréhensibles, il

 

1 Cont. Academ., lib. III, cap. XI, n. 25.

  

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faut, ce me semble, avec ce mot de supplément ôter celui de satisfaction, parce qu'il peut y avoir un très-mauvais sens à dire que Jésus-Christ ait satisfait pour les démons. Je verrai, quand je serai à Paris, ce qu'on pourra faire de l'ouvrage contre Spinosa, que je crois en effet être utile.

 

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