Lettres CCXXIX-CCXLIII
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LETTRE CCXXIX.
MILORD PERTH A BOSSUET.
A Rome, ce 14 novembre 1695.

 

Je prends la liberté de vous présenter le gentilhomme qui aura l'honneur de vous porter cette lettre, M. de Menize, un de mes amis, qui ne m'a jamais abandonné, et qui a toujours adhéré au roi par principe d'honneur et de justice. Je serais très-aise d'y ajouter de religion aussi; mais c'est de vous, Monseigneur, que j'espère que, Dieu se servira pour lui donner des principes si au-dessus de la raison humaine. Pour ce qui est des raisonnements sur les matières qui touchent les affaires de ce monde, vous le trouverez, comme je l'espère, au moins en quelque façon digne de votre illustre protection : et j'espère que si vous voulez avoir la bonté pour moi de discourir avec lui sur la religion catholique et même la chrétienne, car j'ai peur qu'il ne soit pas trop persuadé de ce premier principe, il en sera convaincu, et se rendra avec gloire au plus habile et plus digne prélat qui soit sur la terre.

Pour moi, Monseigneur, c'est à vous que je dois mes espérances après Dieu : et si par mon expérience je vous adresse un autre malheureux comme j'étais, c'est par charité pour lui, et pour donner aussi à mon illustre Père spirituel l'occasion d'exercer sa charité. Et je prie le Seigneur, qui est la charité essentielle, de vouloir bénir ce dessein, afin que ce gentilhomme, qui m'est fort cher, puisse participer au bonheur dont je jouis par la grâce de

 

(a) Préjugé contraire à la conviction des hommes qui connaissent à fond, non superficiellement, la Ville des Pontifes, des martyrs et des saints.

 

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Dieu, en espérant de parvenir dans le ciel à la joie et à la tranquillité dont je suis si injustement privé en ce monde par les ennemis du plus saint roi qui soit sur la terre. J'espère, Monseigneur, que vous pardonnerez ma présomption, et que vous continuerez de m'honorer de votre bienveillance, comme étant, etc.

Je vous supplie de m'accorder votre sainte bénédiction paternelle et épiscopale.

 

LETTRE CCXXX.
M. DE MENIZE, GENTILHOMME ECOSSAIS.
AMI DE MILORD PERTH, A BOSSUET.

 

La lettre que je prends la liberté de vous envoyer est d'un de vos admirateurs et mon cher patron, le comte de Perth, milord chancelier d'Ecosse. C'est, Monseigneur, une des plus grandes marques de son amour et de l'amitié dont il m'a toujours honoré, que de me vouloir présenter à une personne que tout le monde admire, et qui semble être faite tout exprès pour honorer notre siècle.

Une indisposition m'a fait garder la lettre quelques jours, et m'a empêché d'avoir l'honneur de la porter moi-même. Mais pour vous dire franchement la vérité, Monseigneur, je n'osais pas me produire à un si grand jour, et je n'ose pas encore, sans vous demander pardon par avance de vous présenter une personne si indigne de votre connaissance, qui ne sait pas encore parler de suite six mots de français, et encore moins de bon sens, et qui ne vous apportera rien que des occasions d'exercer votre patience et votre humilité. Tout le mérite que je pourrais avoir auprès de vous, Monseigneur, c'est d'admirer de plus près cette profonde érudition, cette candeur, cette justesse de pensées, et toutes ces grandes qualités qui vous ont tant fait renommer dans la république des lettres et dans toutes les religions. A la vérité, Monseigneur, j'ai commencé de vous admirer au même âge que j'ai commencé de déjuger; car quelque scythique que soit notre pays, votre réputation et vos écrits se trouvent en grande vénération

 

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dans les montagnes et les neiges de cette ultima tellus; et mon cher ami et patron est témoin que vous avez poussé vos victoires où les Romains mêmes autrefois ne pouvaient pas porter leurs armes.

Je vous demande mille pardons, Monseigneur, pour la liberté que j'ai prise de vous écrire : sitôt que ma santé me permettra, je viendrai pour avoir l'honneur de vous voir, et pour être auditor tantùm : c'est par nécessité, parce, que je ne saurais pas parler. J'ai honte de n'avoir pas encore appris le français : et les agitations continuelles de cette violente usurpation m'ont fait oublier le peu que je savais de quelque chose que ce soit, aussi bien que mon latin. Mais vous, Monseigneur, que le Dieu de la nature a fait d'un limon bien différent de celui du reste des hommes, vous aurez, s'il vous plaît, la bonté de m'excuser, et de pardonner la faiblesse en considération du respect et de la vénération avec laquelle je vous assure, en fort mauvais français, mais de fort bon coeur, que je suis, etc.

 

DE MENIZE.

 

 

EPISTOLA CCXXXI.
BOSSUETUS AD CARDINALEM DE AGUIRRE.
Parisiis, 13 martii 1696.

 

Nihil mihi unquàm fuit optatius, eminentissime Cardinalis, quàm ut in urbem profecturus fratris mei filius tuo conspectu frueretur, meque et se totum tuum in sinum effunderet; sin, quod nolim, abes, quoad fieri poterit, quocumque loco versabere, votis saltem ac desideriis sequeretur. Te enim, eminentissime Cardinalis, ut Ecclesiae lumen, morumque ac pietatis exemplar in pectore gerere, in ore habere non cesso, summoque te honore, ac, si liberae vocis simplicitatem admittis, amore prosequi certum quoad vita supererit. Quarè etiam atque rogo, ut etiam me tibi addictissimum solità benevolentiâ cohonestatum velis. Vale.

 

 

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EPISTOLA CCXXXII.
CARDINALIS DE AGUIRRE AD BOSSUETUM.
Romae, die 10 julii 1690.

 

Pergratum mihi fuit, illustrissime Praesul, legere litteras tuas amoris et honoris plenas, quas exhibuit domnus nepos tuus ex fratre, semel et iterùm à me admissus libenter admodùm, et cum eo affectu quo par erat. lntereà prosequebar lectionem aurei tui libri, quo gallicè tueris Historiam Variationum  jam antè editam adversùs heterodoxos quosdam et praesertim Jurieum. Has lucubrationes tuas, et quasdam alias ejusdem ferè argumenti, legere, aut saltem audire mihi jam pridem in deliciis fuit. Gaudeo enim, non solùm olim, sed etiam modo gravissimam Ecclesiam Gallicanam tam insignes praesules simul et scriptores habere, qui fidem catholicam adeò fortiter et eruditè tueantur adversùs quaslibet novatorum calumnias, imò et deliramenta.

Prœtereà mihi admodùm placet tam in scriptis tuis, quàm in aliis recentibus modernorum Galliae praesulum ac doctorum legere plura ad disciplinam ecclesiasticam, et doctrinam morum tutiorem spectantia, quae quotidièm omnibus ferè regnis et nationibus magis ac magis vigent inter scriptores magni nominis. Oportet certè in hàc parte exerere ampliùs et uberiùs sacrae eruditionis vires, quibus abundas, simul cum illustrissimis antistitibus Rhemensi et Abrincensi, quos jam diù impensè diligo ac veneror. Idipsum spero de illustrissimis prasulibus Parisiensi (a) et Aure-Banensi (b), dudùm mihi ex famà et communi aestimatione notis, quosvelim, si occasio fuerit, salutes nomine meo.

lntereà jam à multis mensibus, Deo favente, fïuor et frui spero optatà salute, cujus defectum prostremis hisce annis passus fui Romae ac Neapoli. Epilepsia illa, quà excruciabar interdùm cum magno vitae discrimine, cessavit jam à multis mensibus, et censetur, juxta dispositionem prœsentem quotidiè ampliùs confirmatam, minime reditura. Vale, Praesul doctissime ac piissime, meque

 

(a) Ludovicus Antonius de Noailles. — (b) Cœsar du Camboust de Coislin.

 

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inter veneratores tuos et amicos recense, et in sacrificiis ac orationibus tuis ac tuorum mei apud Deum memento.

 

LETTRE CCXXXIII.
BOSSUET A M. L'ABBÉ RENAUDOT.
A Meaux, ce 23 juin 1898.

 

Je vous rends grâces, Monsieur, de la copie des sentences des Inquisitions (a). Le dépôt de la foi est-il pas bien en de telles mains (b) ? Dieu veillera sur son Eglise, qui a bien besoin de ses bontés. C'est encore une autre merveille que l'empereur ne trouve rien à dire à ces censures, sinon qu'elles sont contre les jésuites. Mandez-moi, Monsieur, je vous prie, à votre loisir, comment notre ami est content de la Trappe. Je suis à vous, Monsieur, comme vous savez.

 

LETTRE CCXXXIV.
BOSSUET A M. PASTEL, DOCTEUR DE SORBONNE.
A Meaux, ce 3 août 1696.

 

J'ai reçu, Monsieur, avec une sincère reconnaissance le témoignage de l'amitié de votre famille, dans votre lettre qui m'a été rendue par M. votre frère (c). Il continue toujours à honorer son ministère, et c'est l'exemple de notre église.

 

(a) L'année précédente 1693, le 17 septembre, la congrégation de l'Inquisition avait condamné un livre de M. Baillet, de la Dévotion à la sainte Vierge, et du culte gui lui est dû ; imprimé à Paris, eu 1693. Elle proscrivit par le même jugement l'Année chrétienne de M. le Tourneux. L'Inquisition d'Espagne rendit la même année, le 14 novembre, un décret contre les dictes des Saints de Bollandus, des mois de mars et d'avril, publiés par les jésuites d'Anvers. Le motif de la censure était qu'ils révoquaient en doute les visions et révélations de Simon Stock, grand promoteur de la confrérie du Scapulaire de la sainte Vierge. L'empereur Léopold écrivit au Roi Catholique pour se plaindre de cette censure, précisément, comme le dit Bossuet, parce qu'elle était contre les jésuites; mais la défense qui excluait leur ouvrage d'Espagne, ne fut levée qu'en 1715. (Les édit.) — (b) Serait-il plus en sûreté dans les mains d'un docteur particulier que sous la garde d'un corps chargé par l'Eglise universelle de veiller au maintien de la vraie doctrine?— (c) Chanoine de Meaux, et grand vicaire du prélat.

 

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Il est vrai que le malheureux Faydit, après avoir si longtemps souillé sa plume impie et licencieuse dans toutes sortes d'emportements et d'erreurs, s'est fait prendre enfin pour avoir osé publier un livre abominable sur la Trinité (a), où il a poussé le blasphème jusqu'à dire qu'il y a trois dieux. J'ai ce livre, et il ne faut pas vous fatiguer à m'en envoyer des extraits : il est monstrueux en toutes ses parties. On a vu que, pour le bien de l'auteur et pour celui de toute l'Eglise, il était bon de l'enfermer; et M. de Paris a remis entre les mains de Desgrets un ordre du roi pour le mettre à Saint-Lazare. M. de La Reynie l'avait déjà fait arrêter, l'ayant trouvé débitant lui-même ses ouvrages. Il serait digne sans doute d'un plus rigoureux châtiment, s'il n'y avait autant de folie que d'erreur et d'impiété dans ses écrits. Je suis avec l'estime que vous savez, etc.

 

LETTRE CCXXXV.
BOSSUET A M. PAÏEN, LIEUTENANT GÉNÉRAL.
PRÉSIDENT AU PRÉSIDIAL DE MEAUX.
A Germigny, au mois d'août 1696.

 

M. de Thémines vient de me mander, Monsieur, qu'il acceptait la proposition. J'en suis très-aise pour le bien de la paix, et afin que tout le monde concoure à la splendeur et à l'unité du culte de Dieu. Il ne faut pas que, M. le Prévôt trouble notre concert. Il a donné sa parole : la considération de ses officiers ne doit plus le peiner, puisque les principaux ont leur place plus honorable dans le présidial, et que les autres dans une occasion de concert public ne sont nullement à considérer. C'est l'ordre de M. le chancelier, de M. de Pontchartrain et de M. l'intendant. J'ai tout concerté avec eux, et ne prendrais pas plaisir de me voir dédit : cela aussi bien serait inutile. Il est bon, Monsieur, et je vous en prie, de faire parler

 

(a) Cet ouvrage a pour titre : Fausses Idées des Scholastiques sur toutes les matières de la Théologie. Le P. Hugo, chanoine régulier de l'ordre des Prémontrés, le réfuta; et Faydit, après sa sortie de Saint-Lazare, lui répliqua par un écrit qui parut eu 1704, et dans lequel il adoucit les propositions qui avaient révolte dans son premier ouvrage.

 

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à M. Le Prévôt. Je lui parlerai après, et ce sera d'une manière à lui faire voir qu'il ne doit ni ne peut nous troubler. Après tout il ne s'agit que d'une provision et pour un seul jour. L'intention du roi est que tous les corps honorent la sainte Vierge protectrice de son royaume, qui vient de lui obtenir de si grandes grâces. On trouverait très-mauvais que le concours manquât ; et celui par qui il serait rompu avant, à en rendre raison, je puis assurer qu'il n'en rendra jamais une qui soit agréable. Je serai mardi de bonne heure à Meaux (a), et en état, s'il plaît à Dieu, de tout terminer d'un commun consentement. Je suis avec L'estime que vous savez, Monsieur, très-parfaitement à vous.

 

LETTRE CCXXXVI.
BOSSUET A M. L'ABBÉ RENAUDOT. 1696.

 

C'est vous, Monsieur, qui m'avez donné l'agréable avis de milord grand chancelier d'Ecosse. Depuis ce temps-là nous nous cherchons l'un l'autre avec un égal empressement. J'ai été à Saint-Germain; j'ai été en un autre lieu où l'on m'avait assuré qu'il était ; j'ai été au collège des Ecossais, où l'on m'avait dit qu'il devait dîner. Joignez-nous. Monsieur, je vous en supplie, dès aujourd'hui, s'il se peut: j'attendrai ici vos ordres toute la journée. Vous savez ce que je vous suis.

(a) Le prélat se rendit en effet à Meaux, avant la fête; et parvint tellement à concilier les esprits, que d'un commun accord on dressa la veille de la Notre-Dame d'août un acte sous seing privé, dont la minute fut déposée entre mains, et par lequel on détermina provisionnellement le rang que chacun devait occuper tant à la procession qu'aux autres cérémonies publiques. (Les édit.)

 

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LETTRE CCXXXVII.
BOSSUET A MILORD PERTH.
A Meaux, ce 16 août 1696.

 

Ce n'est pas avec vous, Milord; c'est avec Leurs Majestés Britanniques et avec Monseigneur le prince de Galles (a) qu'il se faut réjouir de ce que vous êtes choisi pour son gouverneur. Dieu vous préparait à cette grande charge par les souffrances qui vous ont rendu en quelque façon le martyr de la religion et de la royauté, où Dieu veut que Sa Majesté reluise. Conservez donc à l'Eglise, Milord, ce grand et précieux dépôt; et gardez en la personne de ce jeune prince un instrument dont je crois que Dieu se veut servir pour l'exécution de ses grands desseins. Il fallait un homme comme vous pour les seconder. J'aurai bientôt l'honneur de vous embrasser, et je suis avec un respect sincère, etc.

 

LETTRE CCXXXVIII.
BOSSUET A M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS (6).
A Meaux, 26 décembre 1695.

 

Quoique vous sachiez, Monsieur, l'intérêt sincère que je prends en ce qui regarde votre famille, je me fais un trop grand plaisir de vous le dire pour être capable d'y manquer. Je suis très-aise de voir un saint succéder à un saint, et s'il est permis de le regarder un peu, un ami qui m'est très-cher à un autre qui me l’est au dernier point. Je suis de tout mon cœur, Monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

 

J. Bénigne, év. de Meaux.

 

(a) Fils de Jacques II, connu depuis en France sous le nom de chevalier de Saint-Georges. Il se retira dans la suite à Rome, où il fut reconnu roi d'Angleterre.

(b) Cette lettre et celles qui vont suivre, à M. de Noailles archevêque de Paris, sont médites. Les autographes de Bossuet se trouvent à la bibliothèque du Louvre, Manuscrits Noailles, vol. VI et IX.

 

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LETTRE CCXXXIX.
BOSSUET A M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS.
A Meaux, 1er novembre 1696.

 

Mon neveu est très-éloigné, mon cher Seigneur, de parler mollement à Rome sur votre ordonnance. Pour moi, je me suis trop expliqué par les lettres que j'ai écrites en ce pays-là pour y laisser aucun doute de mon sentiment. Après tout il nous revient de tous côtés que Rome n'a plus besoin d'être excitée. Je ne sais si le cardinal Noris fera encore longtemps le mystérieux, mais enfin le torrent l'emporte. L'oserais-je dire? Vous donnez à l'Eglise de France l'avantage d'avoir à cette fois instruit sa mère l'Eglise romaine, et peut-être que vous avez sans rien hasarder les approbations de ce côté-là.

Je ne suis plus du tout en peine de rien sur le sujet de M. ***, après ce que vous m'en écrivez. Il faut toujours dire ce qu'on pense à ses amis et après se reposer, quand ce sont des amis comme vous, sur leur prudence et leurs saintes intentions.

Je vais demain à la Fortelles-les-Rosoy, d'où le trajet est si petit pour Fontainebleau, que je compte d'y être le 3. Si vous avez, mon cher Seigneur, quelque ordre à m'y donner, vous savez mon obéissance.

 

J. Bénigne, év. de Meaux.

 

Je viens de recevoir une lettre de M. de Mirepoix, où il est comme nous tous en admiration sans réserve de l'ordonnance ; mais je vois qu'il n'avait point reçu le paquet où je la lui avais envoyée de votre part, quoique je l'eusse confiée en mains qui paraissaient sûres.

 

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LETTRE CCXL.
BOSSUET A M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS. 
Dimanche.

 

Je vous renvoie, mon cher Seigneur, l'écrit que vous m'avez confié : plus tard que je ne vous l'avais promis ; mais assez tôt, puisqu'on a ordre de vous le porter à Conflans. Avec deux heures de réflexion, je me mettrai en état d'y dire ce qu'il faut, s'il plaît à Dieu. Tout consiste maintenant à la diligence. Je serai prêt à tout moment. Donnez ordre, je vous en conjure, que tous ces Messieurs se trouvent avec nous. C'est à la conclusion qu'on a besoin de ramasser tout le bon conseil. Je prie Dieu qu'il nous inspire une paix qui ne blesse ni n'affaiblisse la vérité.

 

LETTRE CCXLI.
BOSSUET A M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS.
A Meaux, 15 août 1697.

 

Voilà, mon cher Seigneur, les deux articles à considérer dans la quatrième thèse qui est celle du 1er août. Le 38e article a ces mots : Amor Dei propter se, sine ullo ad nos respectu, et possibile est et prœcipitur.

Dans la même thèse, article 40, est aussi la suffisance de l'attrition. Dans toutes les quatre thèses on affecte le sine ullo respectu; il est dans celle du 26 juin, article 21 ; dans celle du 3 juillet, article 12; et dans celle du 16 juillet, article 23.

Dans la thèse du 3 juillet se trouve encore, article 33, la suffisance de l'attrition, comme dans l'article 40 de la thèse du 1er août.

Dans la même thèse du 3 juillet, article 40, tout à la fin, se trouve en des termes formels l'infaillibilité du Pape d'une manière aussi odieuse que dans la censure de Strigonie. Ecclesia romana sola infallibiliter definit  : l'Eglise romaine ne définit que par son

 

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Pontife; il s'agit dans tout cet article des prérogatives du Pape ; le sola est exclusif du Concile et de l'Eglise catholique.

Tout cela est attentatoire à notre autorité.

Les deux articles où est enseignée la suffisance de l'attrition, sont directement opposés à la décision de notre grande ordonnance sur la grâce, où vous mettez expressément l'amour commencé comme nécessaire à la justification. Je me suis fait relire l'article.

Le sine ullo respectu ad nos dans ce temps est d'une visible affectation pour favoriser M. de Cambray; et il ne fallait point dissimuler que cela s'entend seulement de l'objet spécificatif, sans exclusion des autres motifs qui ont rapport à nous, et qui dans la pratique sont absolument nécessaires.

Dans la thèse du 10 juillet, article 23, il est porté formellement : Caritas est virtus theologica ex objecto, tàm materiali, tùm formali, quod utrumque est Dei perfectio quœlibet. Il y a contradiction que la charité ait pour objet formel toute perfection de Dieu, et qu'en même temps elle soit sans rapport à nous, puisqu'il y a des attributs qui emportent nécessairement ce rapport, comme la bonté et la miséricorde.

Quant à la thèse de l'infaillibilité, surtout d'une manière si odieuse, elle nous attaque avec toute l'Eglise de France, et même aux termes où elle est couchée, avec la plupart des auteurs même ultramontains, le sola n'étant approuvé que d'un petit nombre.

Ainsi il me paraît évident que vous pouvez user de votre autorité pour faire supprimer ces thèses, et pour établir votre droit de faire examiner toutes les thèses des religieux (a) en sorte qu'il y ait quelqu'un qui en réponde au roi, au public et à vous.

C'est le seul moyen d'empêcher les divisions que ces thèses feront naître infailliblement avec le Pape ; il croira que c'est lui faire une querelle que de supprimer ces thèses, où on mettra son infaillibilité : il faudra donc demeurer exposé à les laisser passer, ou établir un moyen pour les prévenir en les assujettissant à votre examen, qui après tout est de droit commun, puisque vous êtes

 

(a) Les thèses dont Bossuet vient de parler, étaient avancées par les jésuites.

 

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naturellement le juge de la doctrine. La conjoncture est heureuse pour établir votre autorité.

Souvenez-vous, je vous en supplie, du P. Augustin, barnabite, qui n'attend que son rétablissement pour s'aller jeter à la Trappe. Je vous en parle pourtant, mon cher Seigneur, sans rien savoir et en supposant que les raisons de lui retirer les pouvoirs ne peuvent être que bonnes. Tout à vous avec respect...

 

 

EPISTOLA CCXLII.
BOSSUETUS AD CARDINALEM NORIS.
3 Septembris 1696.

 

Redit ad te nepos meus, eminentissime Cardinalis, non jam à me, sed ab illustrissimo archiepiscopo Parisiensi, amico meo singulari jussus, qui in doctas manus tuas ejusdem praesulis Constitutionem (a) deferat, te sanè dignissimam. Et ille quidem christianam commendat gratiam; tu ejusdem gratiae defensor intrepidus, nomen tuum posteris commendasti. Ille Augustinum meritis extollit laudibus, tu parentem tuum ab adversariorum intemperiis pari facundiâ ac doctrinae gloriâ vindicasti ; ejus discipulos ac fortissimos gratiae defensores, Joannem Maxentium (b) sociosque ab Eutychianismi labe purgatos, orbi christiano puros et integros reddidisti. Quid verò est postremà Apologiâ tuâ, quam tuo munere accepi;quid, inquam, est, eminentissime Cardinalis, et elegantiâ jucundius, et eruditione praestantius, et omni litterarum genere ornatius? Quidquid ex antiquâ historiâ tangis, mirum in modum illustras. Patribus inserendus, Patrum locos excutis reconditissimos ; omnia circumspicis, retegis, ornas, lectoremque tuî cupientissimum facis. Tuere, doctissime Cardinalis, episcopos Gallicanos pro verâ Augustini theologiâ, pro morali disciplinâ, pro antiquitatis honore tuis jam auspiciis acriter certaturos ; meque tuâ benevolentiâ honestatum velis, Eminentiae tuae addictissimum et obsequentissimum.

 

(a) Agitur de constitutione editâ occasione libri cui titulus : Problème ecclésiastique. (b) De Maxentio, Scythiœ monacho.

 

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EPISTOLA CCXLIII.
BOSSUETUS ABBATI GRAVINAE (a). 
In Germiniaco nostro, XIV kal. decemb. 1696.

 

Accepi, mi illustrissime, litteras tuas humanitatis officiique plenas ; tantae verò venustatis, ut statim persentiscerem Tullianae eloquentiae gustum. Itaque arripui libellum, quo me munere cumulatum voluisti : nihil aut sermone elegantius, aut  sententiarum gravitate majus ac sapientius visum est, seu Juris scrutaris origines, seu luctui modum ponis (b), seu latinae linguae fontes reseras, et Graecorum opibus nos ditas. Caetera omnia, paris licet eloquentiae, commemorare non vacat. Nec desunt vernaculi sermonis gratiae, quibus si Apocalyptica nostra vel pondus accesserit, tuas inter manus, quidquid contigerint continuò exsplendescet. Rem sanè non indignam ingenio tuo et eloquentiâ, ut Romam christianam, et Ecclesiae caput ab impiorum calumniis vindicandum putes ex ipsâ historiae fide, et certis verbi divini testimoniis. Quà de re tibi gratias refero, quantas possum maximas : nec minores quôd abbatem Bossuetum tantâ benevolentiâ prosequare. Phelipucium verò nostrum, tuî assiduum laudatorem, etiam atque etiam tibi commendatum volo. Me verò, mi illustrissime, scito perpetuum, quâcumque ratione licuerit, studiorum tuorum fautorem futurum, atque omnia praestiturum quae ab amicissimo atque addictissimo, tuarumque laudum studiosissimo exspectare possis. Vale.

 

(a) Joanuus Vincentius Gravina, Rouiae falo functus 6 januarii 1718, annos natus 54. Inter hujus œvi scriptores claruit; multaque opera edidit, quorum praecipua sunt : Origines Juris civilis : De Romano Imperio liber singularis. (b) Alludit ad epistolam Gravinae de modo luctui ponendo.

 

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