Accueil Remonter Mélanges I Mélanges II Mélanges III Mélanges IV Lettres I-XL Lettres XLI-LXIII Lettres LXIV-XCIII Lettres XCIV-CXXIX Lettres CXXX-CLXXI Lettres CLXXII-CLXXX Lettres CLXXXI-CLXXXII Lettres CLXXXIII-CXCIII Lettres CXCIV-CCX Lettres CCXI-CCXVII Lettres CCXVIII-CCXXXVIII Lettres CCXXIX-CCXLIII Lettres CCXLIV-CCXLIX
| |
LETTRE CCXXIX.
MILORD PERTH A BOSSUET.
A Rome, ce 14 novembre 1695.
Je prends la liberté de vous
présenter le gentilhomme qui aura l'honneur de vous porter cette lettre, M. de
Menize, un de mes amis, qui ne m'a jamais abandonné, et qui a toujours adhéré au
roi par principe d'honneur et de justice. Je serais très-aise d'y ajouter de
religion aussi; mais c'est de vous, Monseigneur, que j'espère que, Dieu se
servira pour lui donner des principes si au-dessus de la raison humaine. Pour ce
qui est des raisonnements sur les matières qui touchent les affaires de ce
monde, vous le trouverez, comme je l'espère, au moins en quelque façon digne de
votre illustre protection : et j'espère que si vous voulez avoir la bonté pour
moi de discourir avec lui sur la religion catholique et même la chrétienne, car
j'ai peur qu'il ne soit pas trop persuadé de ce premier principe, il en sera
convaincu, et se rendra avec gloire au plus habile et plus digne prélat qui soit
sur la terre.
Pour moi, Monseigneur, c'est à
vous que je dois mes espérances après Dieu : et si par mon expérience je vous
adresse un autre malheureux comme j'étais, c'est par charité pour lui, et pour
donner aussi à mon illustre Père spirituel l'occasion d'exercer sa charité. Et
je prie le Seigneur, qui est la charité essentielle, de vouloir bénir ce
dessein, afin que ce gentilhomme, qui m'est fort cher, puisse participer au
bonheur dont je jouis par la grâce de
(a) Préjugé contraire à la conviction des hommes qui
connaissent à fond, non superficiellement, la Ville des Pontifes, des martyrs et
des saints.
507
Dieu, en espérant de parvenir dans le ciel à la joie et à
la tranquillité dont je suis si injustement privé en ce monde par les ennemis du
plus saint roi qui soit sur la terre. J'espère, Monseigneur, que vous
pardonnerez ma présomption, et que vous continuerez de m'honorer de votre
bienveillance, comme étant, etc.
Je vous supplie de m'accorder
votre sainte bénédiction paternelle et épiscopale.
LETTRE CCXXX.
M. DE MENIZE, GENTILHOMME ECOSSAIS.
AMI DE MILORD PERTH, A BOSSUET.
La lettre que je prends la
liberté de vous envoyer est d'un de vos admirateurs et mon cher patron, le comte
de Perth, milord chancelier d'Ecosse. C'est, Monseigneur, une des plus grandes
marques de son amour et de l'amitié dont il m'a toujours honoré, que de me
vouloir présenter à une personne que tout le monde admire, et qui semble être
faite tout exprès pour honorer notre siècle.
Une indisposition m'a fait
garder la lettre quelques jours, et m'a empêché d'avoir l'honneur de la porter
moi-même. Mais pour vous dire franchement la vérité, Monseigneur, je n'osais pas
me produire à un si grand jour, et je n'ose pas encore, sans vous demander
pardon par avance de vous présenter une personne si indigne de votre
connaissance, qui ne sait pas encore parler de suite six mots de français, et
encore moins de bon sens, et qui ne vous apportera rien que des occasions
d'exercer votre patience et votre humilité. Tout le mérite que je pourrais avoir
auprès de vous, Monseigneur, c'est d'admirer de plus près cette profonde
érudition, cette candeur, cette justesse de pensées, et toutes ces grandes
qualités qui vous ont tant fait renommer dans la république des lettres et dans
toutes les religions. A la vérité, Monseigneur, j'ai commencé de vous admirer au
même âge que j'ai commencé de déjuger; car quelque scythique que soit notre
pays, votre réputation et vos écrits se trouvent en grande vénération
508
dans les montagnes et les neiges de cette ultima tellus;
et mon cher ami et patron est témoin que vous avez poussé vos victoires où les
Romains mêmes autrefois ne pouvaient pas porter leurs armes.
Je vous demande mille pardons,
Monseigneur, pour la liberté que j'ai prise de vous écrire : sitôt que ma santé
me permettra, je viendrai pour avoir l'honneur de vous voir, et pour être
auditor tantùm : c'est par nécessité, parce, que je ne saurais pas parler.
J'ai honte de n'avoir pas encore appris le français : et les agitations
continuelles de cette violente usurpation m'ont fait oublier le peu que je
savais de quelque chose que ce soit, aussi bien que mon latin. Mais vous,
Monseigneur, que le Dieu de la nature a fait d'un limon bien différent de celui
du reste des hommes, vous aurez, s'il vous plaît, la bonté de m'excuser, et de
pardonner la faiblesse en considération du respect et de la vénération avec
laquelle je vous assure, en fort mauvais français, mais de fort bon coeur, que
je suis, etc.
DE MENIZE.
EPISTOLA CCXXXI.
BOSSUETUS AD CARDINALEM DE AGUIRRE.
Parisiis, 13 martii 1696.
Nihil mihi unquàm fuit optatius,
eminentissime Cardinalis, quàm ut in urbem profecturus fratris mei filius tuo
conspectu frueretur, meque et se totum tuum in sinum effunderet; sin, quod
nolim, abes, quoad fieri poterit, quocumque loco versabere, votis saltem ac
desideriis sequeretur. Te enim, eminentissime Cardinalis, ut Ecclesiae lumen,
morumque ac pietatis exemplar in pectore gerere, in ore habere non cesso,
summoque te honore, ac, si liberae vocis simplicitatem admittis, amore prosequi
certum quoad vita supererit. Quarè etiam atque rogo, ut etiam me tibi
addictissimum solità benevolentiâ cohonestatum velis. Vale.
509
EPISTOLA CCXXXII.
CARDINALIS DE AGUIRRE AD BOSSUETUM.
Romae, die 10 julii 1690.
Pergratum mihi fuit,
illustrissime Praesul, legere litteras tuas amoris et honoris plenas, quas
exhibuit domnus nepos tuus ex fratre, semel et iterùm à me admissus libenter
admodùm, et cum eo affectu quo par erat. lntereà prosequebar lectionem aurei tui
libri, quo gallicè tueris Historiam Variationum jam antè editam adversùs
heterodoxos quosdam et praesertim Jurieum. Has lucubrationes tuas, et quasdam
alias ejusdem ferè argumenti, legere, aut saltem audire mihi jam pridem in
deliciis fuit. Gaudeo enim, non solùm olim, sed etiam modo gravissimam Ecclesiam
Gallicanam tam insignes praesules simul et scriptores habere, qui fidem
catholicam adeò fortiter et eruditè tueantur adversùs quaslibet novatorum
calumnias, imò et deliramenta.
Prœtereà mihi admodùm placet tam
in scriptis tuis, quàm in aliis recentibus modernorum Galliae praesulum ac
doctorum legere plura ad disciplinam ecclesiasticam, et doctrinam morum tutiorem
spectantia, quae quotidièm omnibus ferè regnis et nationibus magis ac magis
vigent inter scriptores magni nominis. Oportet certè in hàc parte exerere
ampliùs et uberiùs sacrae eruditionis vires, quibus abundas, simul cum
illustrissimis antistitibus Rhemensi et Abrincensi, quos jam diù impensè diligo
ac veneror. Idipsum spero de illustrissimis prasulibus Parisiensi (a) et
Aure-Banensi (b), dudùm mihi ex famà et communi aestimatione notis, quosvelim,
si occasio fuerit, salutes nomine meo.
lntereà jam à multis mensibus,
Deo favente, fïuor et frui spero optatà salute, cujus defectum prostremis hisce
annis passus fui Romae ac Neapoli. Epilepsia illa, quà excruciabar interdùm cum
magno vitae discrimine, cessavit jam à multis mensibus, et censetur, juxta
dispositionem prœsentem quotidiè ampliùs confirmatam, minime reditura. Vale,
Praesul doctissime ac piissime, meque
(a) Ludovicus Antonius de Noailles. — (b) Cœsar du Camboust
de Coislin.
510
inter veneratores tuos et amicos recense, et in sacrificiis
ac orationibus tuis ac tuorum mei apud Deum memento.
LETTRE CCXXXIII.
BOSSUET A M. L'ABBÉ RENAUDOT.
A Meaux, ce 23 juin 1898.
Je vous rends grâces, Monsieur,
de la copie des sentences des Inquisitions (a). Le dépôt de la foi est-il
pas bien en de telles mains (b) ? Dieu veillera sur son Eglise, qui a bien
besoin de ses bontés. C'est encore une autre merveille que l'empereur ne trouve
rien à dire à ces censures, sinon qu'elles sont contre les jésuites. Mandez-moi,
Monsieur, je vous prie, à votre loisir, comment notre ami est content de la
Trappe. Je suis à vous, Monsieur, comme vous savez.
LETTRE CCXXXIV.
BOSSUET A M. PASTEL, DOCTEUR DE SORBONNE.
A Meaux, ce 3 août 1696.
J'ai reçu, Monsieur, avec une
sincère reconnaissance le témoignage de l'amitié de votre famille, dans votre
lettre qui m'a été rendue par M. votre frère (c). Il continue toujours à
honorer son ministère, et c'est l'exemple de notre église.
(a) L'année précédente 1693, le 17 septembre, la
congrégation de l'Inquisition avait condamné un livre de M. Baillet, de la
Dévotion à la sainte Vierge, et du culte gui lui est dû ; imprimé à Paris, eu
1693. Elle proscrivit par le même jugement l'Année chrétienne de M. le Tourneux.
L'Inquisition d'Espagne rendit la même année, le 14 novembre, un décret contre
les dictes des Saints de Bollandus, des mois de mars et d'avril, publiés par les
jésuites d'Anvers. Le motif de la censure était qu'ils révoquaient en doute les
visions et révélations de Simon Stock, grand promoteur de la confrérie du
Scapulaire de la sainte Vierge. L'empereur Léopold écrivit au Roi Catholique
pour se plaindre de cette censure, précisément, comme le dit Bossuet, parce
qu'elle était contre les jésuites; mais la défense qui excluait leur ouvrage
d'Espagne, ne fut levée qu'en 1715. (Les édit.) — (b) Serait-il plus en
sûreté dans les mains d'un docteur particulier que sous la garde d'un corps
chargé par l'Eglise universelle de veiller au maintien de la vraie doctrine?— (c)
Chanoine de Meaux, et grand vicaire du prélat.
511
Il est vrai que le malheureux Faydit, après avoir si
longtemps souillé sa plume impie et licencieuse dans toutes sortes
d'emportements et d'erreurs, s'est fait prendre enfin pour avoir osé publier un
livre abominable sur la Trinité (a), où il a poussé le blasphème jusqu'à
dire qu'il y a trois dieux. J'ai ce livre, et il ne faut pas vous fatiguer à
m'en envoyer des extraits : il est monstrueux en toutes ses parties. On a vu
que, pour le bien de l'auteur et pour celui de toute l'Eglise, il était bon de
l'enfermer; et M. de Paris a remis entre les mains de Desgrets un ordre du roi
pour le mettre à Saint-Lazare. M. de La Reynie l'avait déjà fait arrêter,
l'ayant trouvé débitant lui-même ses ouvrages. Il serait digne sans doute d'un
plus rigoureux châtiment, s'il n'y avait autant de folie que d'erreur et
d'impiété dans ses écrits. Je suis avec l'estime que vous savez, etc.
LETTRE CCXXXV.
BOSSUET A M. PAÏEN, LIEUTENANT GÉNÉRAL.
PRÉSIDENT AU PRÉSIDIAL DE MEAUX.
A Germigny, au mois d'août 1696.
M. de Thémines vient de me
mander, Monsieur, qu'il acceptait la proposition. J'en suis très-aise pour le
bien de la paix, et afin que tout le monde concoure à la splendeur et à l'unité
du culte de Dieu. Il ne faut pas que, M. le Prévôt trouble notre concert. Il a
donné sa parole : la considération de ses officiers ne doit plus le peiner,
puisque les principaux ont leur place plus honorable dans le présidial, et que
les autres dans une occasion de concert public ne sont nullement à considérer.
C'est l'ordre de M. le chancelier, de M. de Pontchartrain et de M. l'intendant.
J'ai tout concerté avec eux, et ne prendrais pas plaisir de me voir dédit : cela
aussi bien serait inutile. Il est bon, Monsieur, et je vous en prie, de faire
parler
(a) Cet ouvrage a pour titre : Fausses Idées des
Scholastiques sur toutes les matières de la Théologie. Le P. Hugo, chanoine
régulier de l'ordre des Prémontrés, le réfuta; et Faydit, après sa sortie de
Saint-Lazare, lui répliqua par un écrit qui parut eu 1704, et dans lequel il
adoucit les propositions qui avaient révolte dans son premier ouvrage.
512
à M. Le Prévôt. Je lui parlerai après, et ce sera d'une
manière à lui faire voir qu'il ne doit ni ne peut nous troubler. Après tout il
ne s'agit que d'une provision et pour un seul jour. L'intention du roi est que
tous les corps honorent la sainte Vierge protectrice de son royaume, qui vient
de lui obtenir de si grandes grâces. On trouverait très-mauvais que le concours
manquât ; et celui par qui il serait rompu avant, à en rendre raison, je puis
assurer qu'il n'en rendra jamais une qui soit agréable. Je serai mardi de bonne
heure à Meaux (a), et en état, s'il plaît à Dieu, de tout terminer d'un
commun consentement. Je suis avec L'estime que vous savez, Monsieur,
très-parfaitement à vous.
LETTRE CCXXXVI.
BOSSUET A M. L'ABBÉ RENAUDOT. 1696.
C'est vous, Monsieur, qui m'avez
donné l'agréable avis de milord grand chancelier d'Ecosse. Depuis ce temps-là
nous nous cherchons l'un l'autre avec un égal empressement. J'ai été à
Saint-Germain; j'ai été en un autre lieu où l'on m'avait assuré qu'il était ;
j'ai été au collège des Ecossais, où l'on m'avait dit qu'il devait dîner.
Joignez-nous. Monsieur, je vous en supplie, dès aujourd'hui, s'il se peut:
j'attendrai ici vos ordres toute la journée. Vous savez ce que je vous suis.
(a) Le prélat se rendit en effet à Meaux, avant la fête; et
parvint tellement à concilier les esprits, que d'un commun accord on dressa la
veille de la Notre-Dame d'août un acte sous seing privé, dont la minute fut
déposée entre mains, et par lequel on détermina provisionnellement le rang que
chacun devait occuper tant à la procession qu'aux autres cérémonies publiques.
(Les édit.)
513
LETTRE CCXXXVII.
BOSSUET A MILORD PERTH.
A Meaux, ce 16 août 1696.
Ce n'est pas avec vous, Milord;
c'est avec Leurs Majestés Britanniques et avec Monseigneur le prince de Galles (a)
qu'il se faut réjouir de ce que vous êtes choisi pour son gouverneur. Dieu vous
préparait à cette grande charge par les souffrances qui vous ont rendu en
quelque façon le martyr de la religion et de la royauté, où Dieu veut que Sa
Majesté reluise. Conservez donc à l'Eglise, Milord, ce grand et précieux dépôt;
et gardez en la personne de ce jeune prince un instrument dont je crois que Dieu
se veut servir pour l'exécution de ses grands desseins. Il fallait un homme
comme vous pour les seconder. J'aurai bientôt l'honneur de vous embrasser, et je
suis avec un respect sincère, etc.
LETTRE CCXXXVIII.
BOSSUET A M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS (6).
A Meaux, 26 décembre 1695.
Quoique vous sachiez, Monsieur,
l'intérêt sincère que je prends en ce qui regarde votre famille, je me fais un
trop grand plaisir de vous le dire pour être capable d'y manquer. Je suis
très-aise de voir un saint succéder à un saint, et s'il est permis de le
regarder un peu, un ami qui m'est très-cher à un autre qui me l’est au dernier
point. Je suis de tout mon cœur, Monsieur, votre très-humble et très-obéissant
serviteur.
J. Bénigne,
év. de Meaux.
(a) Fils de Jacques II, connu depuis en France sous le nom
de chevalier de Saint-Georges. Il se retira dans la suite à Rome, où il fut
reconnu roi d'Angleterre.
(b) Cette lettre et celles qui vont suivre, à M. de
Noailles archevêque de Paris, sont médites. Les autographes de Bossuet se
trouvent à la bibliothèque du Louvre, Manuscrits Noailles, vol. VI et IX.
514
LETTRE CCXXXIX.
BOSSUET A M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS.
A Meaux, 1er novembre 1696.
Mon neveu est très-éloigné, mon
cher Seigneur, de parler mollement à Rome sur votre ordonnance. Pour moi, je me
suis trop expliqué par les lettres que j'ai écrites en ce pays-là pour y laisser
aucun doute de mon sentiment. Après tout il nous revient de tous côtés que Rome
n'a plus besoin d'être excitée. Je ne sais si le cardinal Noris fera encore
longtemps le mystérieux, mais enfin le torrent l'emporte. L'oserais-je dire?
Vous donnez à l'Eglise de France l'avantage d'avoir à cette fois instruit sa
mère l'Eglise romaine, et peut-être que vous avez sans rien hasarder les
approbations de ce côté-là.
Je ne suis plus du tout en peine
de rien sur le sujet de M. ***, après ce que vous m'en écrivez. Il faut toujours
dire ce qu'on pense à ses amis et après se reposer, quand ce sont des amis comme
vous, sur leur prudence et leurs saintes intentions.
Je vais demain à la
Fortelles-les-Rosoy, d'où le trajet est si petit pour Fontainebleau, que je
compte d'y être le 3. Si vous avez, mon cher Seigneur, quelque ordre à m'y
donner, vous savez mon obéissance.
J. Bénigne,
év. de Meaux.
Je viens de recevoir une lettre
de M. de Mirepoix, où il est comme nous tous en admiration sans réserve de
l'ordonnance ; mais je vois qu'il n'avait point reçu le paquet où je la lui
avais envoyée de votre part, quoique je l'eusse confiée en mains qui
paraissaient sûres.
515
LETTRE CCXL.
BOSSUET A M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS.
Dimanche.
Je vous renvoie, mon cher
Seigneur, l'écrit que vous m'avez confié : plus tard que je ne vous l'avais
promis ; mais assez tôt, puisqu'on a ordre de vous le porter à Conflans. Avec
deux heures de réflexion, je me mettrai en état d'y dire ce qu'il faut, s'il
plaît à Dieu. Tout consiste maintenant à la diligence. Je serai prêt à tout
moment. Donnez ordre, je vous en conjure, que tous ces Messieurs se trouvent
avec nous. C'est à la conclusion qu'on a besoin de ramasser tout le bon conseil.
Je prie Dieu qu'il nous inspire une paix qui ne blesse ni n'affaiblisse la
vérité.
LETTRE CCXLI.
BOSSUET A M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS.
A Meaux, 15 août 1697.
Voilà, mon cher Seigneur, les
deux articles à considérer dans la quatrième thèse qui est celle du 1er août. Le
38e article a ces mots : Amor Dei propter se, sine ullo ad nos
respectu, et possibile est et prœcipitur.
Dans la même thèse, article 40,
est aussi la suffisance de l'attrition. Dans toutes les quatre thèses on affecte
le sine ullo respectu; il est dans celle du 26 juin, article 21 ; dans
celle du 3 juillet, article 12; et dans celle du 16 juillet, article 23.
Dans la thèse du 3 juillet se
trouve encore, article 33, la suffisance de l'attrition, comme dans l'article 40
de la thèse du 1er août.
Dans la même thèse du 3 juillet,
article 40, tout à la fin, se trouve en des termes formels l'infaillibilité du
Pape d'une manière aussi odieuse que dans la censure de Strigonie. Ecclesia
romana sola infallibiliter definit : l'Eglise romaine ne définit que par
son
516
Pontife; il s'agit dans tout cet article des prérogatives
du Pape ; le sola est exclusif du Concile et de l'Eglise catholique.
Tout cela est attentatoire à
notre autorité.
Les deux articles où est
enseignée la suffisance de l'attrition, sont directement opposés à la décision
de notre grande ordonnance sur la grâce, où vous mettez expressément l'amour
commencé comme nécessaire à la justification. Je me suis fait relire l'article.
Le sine ullo respectu ad nos
dans ce temps est d'une visible affectation pour favoriser M. de Cambray; et il
ne fallait point dissimuler que cela s'entend seulement de l'objet spécificatif,
sans exclusion des autres motifs qui ont rapport à nous, et qui dans la pratique
sont absolument nécessaires.
Dans la thèse du 10 juillet,
article 23, il est porté formellement : Caritas est virtus theologica ex
objecto, tàm materiali, tùm formali, quod utrumque est Dei perfectio quœlibet.
Il y a contradiction que la charité ait pour objet formel toute perfection de
Dieu, et qu'en même temps elle soit sans rapport à nous, puisqu'il y a des
attributs qui emportent nécessairement ce rapport, comme la bonté et la
miséricorde.
Quant à la thèse de
l'infaillibilité, surtout d'une manière si odieuse, elle nous attaque avec toute
l'Eglise de France, et même aux termes où elle est couchée, avec la plupart des
auteurs même ultramontains, le sola n'étant approuvé que d'un petit
nombre.
Ainsi il me paraît évident que
vous pouvez user de votre autorité pour faire supprimer ces thèses, et pour
établir votre droit de faire examiner toutes les thèses des religieux (a) en
sorte qu'il y ait quelqu'un qui en réponde au roi, au public et à vous.
C'est le seul moyen d'empêcher
les divisions que ces thèses feront naître infailliblement avec le Pape ; il
croira que c'est lui faire une querelle que de supprimer ces thèses, où on
mettra son infaillibilité : il faudra donc demeurer exposé à les laisser passer,
ou établir un moyen pour les prévenir en les assujettissant à votre examen, qui
après tout est de droit commun, puisque vous êtes
(a) Les thèses dont Bossuet vient de parler, étaient
avancées par les jésuites.
517
naturellement le juge de la doctrine. La conjoncture est
heureuse pour établir votre autorité.
Souvenez-vous, je vous en
supplie, du P. Augustin, barnabite, qui n'attend que son rétablissement pour
s'aller jeter à la Trappe. Je vous en parle pourtant, mon cher Seigneur, sans
rien savoir et en supposant que les raisons de lui retirer les pouvoirs ne
peuvent être que bonnes. Tout à vous avec respect...
EPISTOLA CCXLII.
BOSSUETUS AD CARDINALEM NORIS.
3 Septembris 1696.
Redit ad te nepos meus,
eminentissime Cardinalis, non jam à me, sed ab illustrissimo archiepiscopo
Parisiensi, amico meo singulari jussus, qui in doctas manus tuas ejusdem
praesulis Constitutionem (a) deferat, te sanè dignissimam. Et ille quidem
christianam commendat gratiam; tu ejusdem gratiae defensor intrepidus, nomen
tuum posteris commendasti. Ille Augustinum meritis extollit laudibus, tu
parentem tuum ab adversariorum intemperiis pari facundiâ ac doctrinae gloriâ
vindicasti ; ejus discipulos ac fortissimos gratiae defensores, Joannem
Maxentium (b) sociosque ab Eutychianismi labe purgatos, orbi christiano
puros et integros reddidisti. Quid verò est postremà Apologiâ tuâ, quam tuo
munere accepi;quid, inquam, est, eminentissime Cardinalis, et elegantiâ
jucundius, et eruditione praestantius, et omni litterarum genere ornatius?
Quidquid ex antiquâ historiâ tangis, mirum in modum illustras. Patribus
inserendus, Patrum locos excutis reconditissimos ; omnia circumspicis, retegis,
ornas, lectoremque tuî cupientissimum facis. Tuere, doctissime Cardinalis,
episcopos Gallicanos pro verâ Augustini theologiâ, pro morali disciplinâ, pro
antiquitatis honore tuis jam auspiciis acriter certaturos ; meque tuâ
benevolentiâ honestatum velis, Eminentiae tuae addictissimum et
obsequentissimum.
(a) Agitur de constitutione editâ occasione libri cui
titulus : Problème ecclésiastique. (b) De Maxentio, Scythiœ monacho.
518
EPISTOLA CCXLIII.
BOSSUETUS ABBATI GRAVINAE (a).
In Germiniaco nostro, XIV kal. decemb. 1696.
Accepi, mi illustrissime, litteras tuas humanitatis
officiique plenas ; tantae verò venustatis, ut statim persentiscerem Tullianae
eloquentiae gustum. Itaque arripui libellum, quo me munere cumulatum voluisti :
nihil aut sermone elegantius, aut sententiarum gravitate majus ac sapientius
visum est, seu Juris scrutaris origines, seu luctui modum ponis (b), seu latinae
linguae fontes reseras, et Graecorum opibus nos ditas. Caetera omnia, paris
licet eloquentiae, commemorare non vacat. Nec desunt vernaculi sermonis gratiae,
quibus si Apocalyptica nostra vel pondus accesserit, tuas inter manus, quidquid
contigerint continuò exsplendescet. Rem sanè non indignam ingenio tuo et
eloquentiâ, ut Romam christianam, et Ecclesiae caput ab impiorum calumniis
vindicandum putes ex ipsâ historiae fide, et certis verbi divini testimoniis.
Quà de re tibi gratias refero, quantas possum maximas : nec minores quôd abbatem
Bossuetum tantâ benevolentiâ prosequare. Phelipucium verò nostrum, tuî assiduum
laudatorem, etiam atque etiam tibi commendatum volo. Me verò, mi illustrissime,
scito perpetuum, quâcumque ratione licuerit, studiorum tuorum fautorem futurum,
atque omnia praestiturum quae ab amicissimo atque addictissimo, tuarumque laudum
studiosissimo exspectare possis. Vale.
(a) Joanuus Vincentius Gravina, Rouiae falo functus 6
januarii 1718, annos natus 54. Inter hujus œvi scriptores claruit; multaque
opera edidit, quorum praecipua sunt : Origines Juris civilis : De Romano Imperio
liber singularis. (b) Alludit ad epistolam Gravinae de modo luctui ponendo.
|