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LETTRE XLI. 
M. L'ÉVÊQUE DE RIEUX A M. DE BASVILLE. Réflexions sur la lettre de Bossuet, au sujet des nouveaux convertis.

 

La réponse de M. l'évêque de Meaux roule sur ce principe, qu'il y a deux sortes de nouveaux convertis errants : les uns qu'il faut contraindre au vrai culte par certaines peines, qui sont ceux qu'on peut croire qu'étant rendus attentifs à la vérité, ils iront de bonne foi à la messe; et l'autre sorte, de ceux qu'il n'y faut pas admettre, bien loin de les y contraindre de quelque manière que ce soit, qui sont ceux que leur profession publique de n'y pas croire et de refuser opiniâtrement de communier, rend incapables de profiter de la messe; ce qui même les rend dignes de châtiment, avec la modération convenable par pitié pour leur maladie.

Suivant ce principe, on est d'accord avec M. de Meaux, puisqu'il convient que tous les nouveaux réunis qui ne font pas leur devoir, sans exception, doivent subir des peines : les premiers, à cause qu'on pourra croire qu'étant ainsi rendus attentifs à la vérité, ils iront de bonne foi à la messe; et les autres, parce qu'ils doivent être châtiés par pitié de leur maladie.

D'où il s'ensuit premièrement, que le prince souverain peut et par conséquent doit faire une loi générale, avec des peines contre tous les nouveaux réunis qui ne font pas leur devoir : secondement, qu'il faut que l'exécution de cette loi soit continuée, puisqu'on ne sait pas le terme de la conversion solide et sincère de ceux qui paraissent dociles : Momenta quœ Pater posait in suà

 

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potestate (1) ; et qu'il ne faut pas aussi laisser impunie l'obstination scandaleuse des derniers, que le temps rend plus criminelle.

On dira peut-être que les peines doivent être différentes à l'égard des deux sortes de nouveaux convertis dont nous avons parlé ; et que ceux de la dernière classe seront à la vérité punis, mais non pas reçus à l'Eglise.

Mais il s'agit ici de savoir s'il faut établir une uniformité de conduite, et une même loi de peines légères contre les nouveaux convertis qui paraissent dociles, et ceux qui se montrent difficiles de venir au culte catholique. Sur quoi je demande quelle est la marque qui les différencie suffisamment pour fonder des peines différentes, puisque la proposition que les premiers doivent être contraints au vrai culte, suppose qu'ils sont refusants aussi bien que difficiles : de sorte que la différence entre les dociles et les difficiles consiste en la vivacité du refus : différence bien trompeuse, puisque l'on voit très-souvent que par un miracle de la grâce, semblable à celui de la conversion de saint Paul, que l'on voit, dis-je, que ceux qui se sont élevés avec le plus d'obstination, et qui ont déclamé avec le plus d'ardeur contre la foi de l'Eglise, sont des vases d'élection dans le trésor de la Providence ; et que plusieurs qui se montrent dociles à recevoir l'instruction et à venir à la messe couvrent, par ce bel extérieur, une indifférence de religion pire que l'obstination des autres : de sorte que tous ceux qu'on appelle nouveaux convertis, qui ne font pas leur devoir, devant être tous corrigés ou châtiés par des peines convenables, et les présomptions générales pour en faire le discernement étant incertaines ou équivoques, on ne voit pas sur quoi on peut fonder la diversité de conduite ; et qu'au contraire n'y ayant aucun de ces prétendus nouveaux convertis qui n'ait fait abjuration de l'hérésie, il faut que la loi du souverain soit la même pour tous, et que l'application en soit réservée aux magistrats départis dans les provinces, avec pouvoir de la modérer suivant les hypothèses ; et au surplus réserver les épreuves de la sincérité aux pasteurs, qui jugeront de la bonté de l'arbre par les fruits, avant de les admettre aux sacrements. Je dis aux sacrements

1. Act., I, 7.

 

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en général, parce que, par exemple, je ne tiens pas que celui qui ne témoigne pas un désir sincère d'avoir la vie en soi, par la réception du corps et du sang de Jésus-Christ, soit capable de la résurrection spirituelle par l'absolution sacramentale, et de recevoir les sacrements que nous appelons des vivants. Ainsi je blâme de toute ma force, qu'on expose à des refus sacrilèges l'offre de la sainte communion.

Enfin comme les peines des deux sortes de nouveaux convertis, qui ne font pas leur devoir de catholiques, doivent être médicinales, et qu'il est nécessaire de le leur faire entendre, afin qu'ils ne conçoivent pas d'aversion contre l'Eglise et le Roi : comment séparer dans l'esprit la vue que les uns et les autres concevront que le moyen de les faire cesser, c'est d'aller aux instructions et à la messe? et comment, et pourquoi ne les y pas recevoir lorsqu'ils s'y présenteront, quand on se doutera bien qu'ils ne sont pas convertis sincèrement? Ut incipiant esse quod decreverant fingere.

 

LETTRE XLII. 
M. L'ÉVÊQUE DE RIEUX A M. DE BASVILLE. Autres réflexions sur la lettre de Bossuet, au sujet des nouveaux convertis.

 

M. l'évêque de Meaux demeurant d'accord que les princes peuvent contraindre, par des lois pénales, les hérétiques à se conformer à la profession et aux pratiques de l'Eglise catholique, la difficulté ne roule que sur la conséquence de ce principe, puisqu'on convient avec M. de Meaux que ce n'est pas dans la messe seule que consiste l'exercice de la catholicité, et qu'il faut aussi qu'il convienne que l'assistance à la messe les dimanches et fêtes chômables, est un des principaux exercices de la catholicité, et que c'est pour cela que l'Eglise en a fait un commandement.

Il s'ensuit de cette dernière supposition, que l'obligation d'assister à la messe étant comprise dans les pratiques de la catholicité, l'est aussi dans les lois pénales, hors que le Roi par une déclaration de sa volonté ne l'en excepte ; et qu'aux termes de cette

 

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conséquence du principe dont nous convenons, la question n'est pas si on obligera les hérétiques, qu'on appelle nouveaux catholiques, d'aller à la messe ; mais bien si on les en dispensera : et ainsi ce n'est pas à ceux qui ne sont pas du sentiment de M. de Meaux, mais bien à ce grand prélat de prouver qu'on a fait une distinction particulière de la messe d'avec les autres exercices, dans les lois pénales contre les hérétiques.

M. l'évêque de Meaux suppose qu'on est d'accord que les mécréants manifestes ne doivent pas y être contraints, et qu'on doit prendre pour marque certaine de mécréance une répugnance invincible à se confesser premièrement, et ensuite à communier. Cette supposition mérite qu'on s'explique. Premièrement, on n'entend pas par mécréants manifestes tous les gens qui avouent qu'ils ne croient pas, mais ceux qu'une longue expérience fait connaître semblables à l'aspic sourd, qui se bouche les oreilles : et à l'égard même de ces particuliers, on entend seulement que par un concert secret de MM. Les intendants avec les évêques diocésains, on peut suspendre, sans qu'il paraisse d'exception de la part du prince de ses lois pénales, l'usage qu'on en fait, qui ne va d'ordinaire qu'à ordonner de temps en temps une amende de quelques dix sols qu'on n'exige pas souvent, et qui ne mérite pas le nom de contrainte à l'égard des mécréants manifestes, dont le terme de répugnance invincible forme une idée qui n'est pas ordinaire. Secondement, on ne trouve de répugnance à se confesser et communier, qu'on puisse appeler certainement invincible, qu'en ceux qui meurent refusant les sacrements : l'expérience nous faisant voir que ceux qui se sont défendus le plus longtemps reviennent lorsqu'on y pense le moins, et que ce n'est pas à nous à juger des temps et des moments que Dieu a réservés à son souverain pouvoir. Troisièmement, que ce qu'on appelle répugnance invincible à se convertir, n'est d'ordinaire, pour la foi aussi bien que pour les mœurs, qu'un délai et une négligence qu'il faut rompre par quelque aiguillon, et qui tient le plus souvent à si peu, que dès qu'il s'agit de faire un mariage avantageux et d'être reçu dans quelque charge, pour laquelle il faut faire preuve de sa foi et de ses bonnes mœurs, il n'y en a aucun qui

 

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ne fasse ce qu'on désire pour recevoir les sacrements ; ce qu'ils continuent même à pratiquer pendant quelque temps, et jusqu'à ce que le mauvais exemple et les discours de leurs amis les font retomber peu à peu dans leur ancienne habitude, de vivre sans culte de Dieu et sans exercice de religion.

Si après cette explication, qui réduit à un fort petit nombre les mécréants manifestes qui ne doivent pas être contraints, on excepte de celte prétendue douceur les relaps, c'est-à-dire ceux qui ont renouvelé leur abjuration de parole ou par effet, comme il est très-juste, et qu'on y ajoute les jeunes gens, qui n'ayant pas atteint l'âge de douze et quatorze ans en l'année 1685 que se fit l'abjuration générale, n'ont fait aucun exercice de l’huguenotisme : il faut avouer que la difficulté sera plus de spéculative que de pratique ; et on aperçoit qu'en une heure de conversation, on serait d'accord avec M. l'évêque de Meaux.

On ne saurait continuer ces réflexions sur la lettre de M. de Meaux, sans le prier de considérer deux choses : la première, la fâcheuse conséquence qu'il y a de ne pas traiter de relaps tous ceux qui ont fait la première abjuration générale, puisque c'est leur donner lieu de croire qu'elle n'a pas été un acte de religion, et de se persuader que tous les renouvellements ne le sont pas davantage : la seconde, que séparer l'obligation d'assister à la messe des autres pratiques de la catholicité, contient une dispense générale de mettre le pied à l'église pour tous les nouveaux convertis de la campagne, où est le plus grand nombre, parce que dans la plupart des villages pendant l'hiver, et toute l'année dans les paroisses étendues, où les maisons étant écartées on ne peut assembler le peuple qu'une fois le jour, un curé est contraint de consommer l'instruction et le service divin pendant la messe : trop heureux lorsqu'il peut rassembler quelques enfants l'après-midi, si le temps est beau, pour leur enseigner les premiers éléments du christianisme. Et à parler de bonne foi, croit-on qu'il faille attendre dans les villes de fort grands progrès, de ce que les nouveaux convertis iront entendre vêpres le dimanche, et quelqu'un des sermons de l'après-midi, qui sont le plus souvent des panégyriques des saints et des pièces d'éloquence ?

 

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Et si, pour remédier à ces inconvénients, on revient à l'expédient de laisser à ces prétendus mécréants la liberté de sortir de l'église après la messe des catéchumènes, ce triage est-il bien faisable? Et si on veut que la liberté soit générale à tous les nouveaux catholiques d'un certain âge, on agréera qu'on rapporte ici ce qu'on remarqua dans les Mémoires envoyés le 6 août 1698.

 

RÉFLEXIONS. 
Sur l'expédient d'obliger les nouveaux réunis d'assister seulement à la partie de la messe appelée anciennement des catéchumènes.

 

Je ne doute pas que les nouveaux réunis ne soient fort satisfaits, si l'on se contente de les obliger de mener leurs enfants à la messe, pourvu qu'ils soient en liberté de les y laisser, et de sortir après l'explication de l'Evangile. Ils n'en attendaient pas tant à la conclusion de la paix; et leurs docteurs ne condamnent pas absolument l'assistance aux sermons des catholiques, lorsqu'ils ne peuvent pas entendre le prêche des ministres.

Mais si on examine cet expédient, on trouvera qu'il ne pourvoit pas à éviter les irrévérences contre nos divins mystères, suivant l'intention de ceux qui le proposent; et qu'il renverse le dessein de former de bons catholiques des enfants des faux réunis. Il ne faut, pour en juger, que comparer les dispositions où sont les nouveaux réunis avec celles où étaient les catéchumènes et les pénitents : car au lieu qu'après le commandement que le diacre leur faisait à haute voix de sortir de l'église, on voyait  peintes sur le visage des catéchumènes, singulièrement de ceux qu'on appelait compétentes, qui étaient les plus près d'être baptisés, l'impatience d'être admis aux divins mystères ; et sur le visage des pénitents, la douleur d'être privés d'y participer. Eh ! que ce spectacle édifiait les fidèles! Que sera-ce lorsque de six portions, par exemple, de ceux qui auront entendu l'explication de l'Evangile, l'on verra les cinq se retirer tumultuairement de l'Eglise, sans révérence ni respect, et avec un air dédaigneux, laissant les ministres de Jésus-Christ avec une petite troupe de catholiques, d'ordinaire les plus pauvres de la paroisse? Quelle impression ne fera pas dans les esprits des enfants cette retraie scandaleuse de

 

 

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leurs parents, fortifiée des discours qu'ils leur tiendront dans leur domestique, dont on a parlé dans la deuxième raison du grand Mémoire ? Et il me semble voir les filles de six à sept ans courant après leurs mères, qu'elles verront s'en retourner à leur maison ; et d'autres, retenues par les maîtresses d'école, pleurant à hauts cris, et cent autres incidents que la faiblesse de l'âge ou l'artifice des parents fera naître chaque jour ; et les intendants des provinces occupés à décider si ce seront des cas où les parents doivent être condamnés à l'amende, suivant la déclaration que le Roi aura donnée.

Je conviens que depuis l'abjuration générale, on a vu souvent des faux catholiques se placer au fond de l'église pour s'en aller, sans être aperçus, après la prédication. Mais il faut qu'on convienne aussi que cette manière de se dérober n'est pas injurieuse aux mystères de notre religion, comme le sera la sortie tumultuaire et insolente, parce qu'elle sera autorisée de la loi du prince, de tous les nouveaux réunis d'une paroisse.

Au reste pour répondre à ce qu'on allègue, que cette assistance forcée à une partie de la messe incitera plusieurs d'y rester, l'on peut compter que les principaux du consistoire secret de chaque lieu, dont on a parlé dans le grand Mémoire, sortiront les derniers de l'église, observant et faisant signe d'en sortir avec eux à ceux qui auraient envie d'y rester ; et ils feront tout cela sans crainte d'être punis : de même qu'on ne peut pas trouver mauvais que de deux amis qui sont venus ensemble à l'église, celui qui a plus tôt achevé sa prière fasse signe à son ami de sortir ; et les chefs de la cabale huguenote ne manqueront pas de prétexter quelque affaire, pour justifier ce qu'ils auront fait.

Enfin il faut, ce me semble, faire attention dans toute cette affaire, qu'il s'agit ici d'établir une conduite à l'égard de gens qui ont tous fait abjuration de l'hérésie : et s'ils s'excusent sur ce qu'ils l'ont faite forcés par la crainte des troupes : que peuvent dire la plupart qui l'ont renouvelée, et la renouvellent tous les jours dans toutes les rencontres où il faut se dire catholique, pour avoir des emplois, exercer des charges, obtenir des degrés dans les universités, singulièrement pour contracter des

 

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mariages avantageux, où l'on leur fait renouveler expressément leur abjuration? ce qui ne doit pas paraître étrange, puisque suivant la discipline ecclésiastique des huguenots1, ils ne recevaient aucun catholique à se marier qu'il n'eût fait profession ouverte de renoncer à la messe : de sorte que l'Eglise catholique n'exige, pour le sacrement de mariage, que ce qu'ils exigent pour le mariage contrat civil.

 

M. L'ÉVÊQUE DE MONTAUBAN. Mémoire sur les moyens de ramener les nouveaux convertis (a).

 

Avant que d'entrer dans la discussion de la difficulté qui est proposée, il est nécessaire de connaître le caractère, l'état et les dispositions des nouveaux convertis, puisque cette connaissance doit être le principal motif d'une décision juste et solide.

La plupart d'entre eux sont dans un état absolu d'indifférence et de tiédeur : ils demeureront éloignés de l'Eglise catholique, si on les laisse libres ; ils se réuniront, si on les presse. C'est le caractère des tièdes et des indolents : ils prennent toujours le parti le plus commode, et les inspirations étrangères les déterminent d'ordinaire. Plusieurs nouveaux convertis sont de cette espèce. Comme ils vivent depuis longtemps sans instruction, sans culte, sans prédication et sans aucun exercice de religion, ils ont presque oublié la religion même. Tous sont dans une ignorance grossière des premiers éléments de la foi : ce n'est point une exagération, c'est une vérité ; et ils sont venus au point de ne rien savoir et de ne rien croire.

La foi de ces nouveaux convertis dépendra des événements : ils se réuniront à l'Eglise et ils en rempliront les devoirs, si on leur dit que le Roi le veut. C'est toujours beaucoup que de les unir avec nous par les liens extérieurs de la religion : ils seront au

 

1 Du synode de Paris de 1559, rapporté aux observations sur l'art. IV du chap. XIII des Mariages, et encore au texte de l'art. XX, et aux observations suivantes, où il paraît que plusieurs provinces voulaient attendre que les prosélytes eussent fait la cène avant de bénir leur mariage. (Les édit.)

(a) Collationné sur le manuscrit, qui se trouve à la bibliothèque du séminaire de Meaux.

 

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moins instruits et catéchisés; et, comme disait saint Augustin pour les donatistes, peut-être que la grâce de l'unité sera pour eux une source de bénédictions, et produira dans leurs cœurs le désir d'une conversion solide et sincère.

Il y a une autre classe de nouveaux convertis, qui sont bons catholiques dans le cœur, et qui n'osent en faire une profession publique par la crainte des reproches de leurs parents. Le nombre de ces catholiques secrets est plus grand que l'on ne pense. Plusieurs m'ont avoué qu'ils sentent le besoin de leurs consciences : ils connaissent qu'il est presque impossible de faire son salut sans un culte, et ils seraient ravis que l'on les y contraignît. On a beau les exhorter, ils ne sont point assez forts pour se mettre au-dessus du respect humain. Quelques-uns d'entre eux vont à la messe en secret : c'est une moisson toute prête pour l'Eglise, s'il plaît au Roi de donner un ordre général qui oblige tous les nouveaux convertis à aller à la messe.

Enfin il y a une dernière classe d'obstinés et d'opiniâtres, qui se feront un mérite de leur résistance et une vertu de leur faux zèle. C'est à la piété du Roi et à la prudence de ceux qui exécutent ses ordres dans les provinces, à prendre les moyens les plus propres à les réduire. On doit même être persuadé qu'entre ces obstinés, il y en a peu qui résistent ou aux seules menaces ou aux bienfaits.

Il est à propos de remarquer qu'il y a une très-grande opposition entre les anciens catholiques et les nouveaux. On l'éprouve dans les villes mi-parties, comme Montauban : ce sont comme deux peuples différents, qui ne sont liés ni de mœurs, ni de négoce, ni de mariages, ni même de société civile. Cette différence, qui est nuisible à la religion et à l'Etat, et qui produit presque toujours la haine entre les partis, tomberait insensiblement d'elle-même, si on les unissait dans les pratiques et dans l'exercice d'un même culte.

Il ne s'agit point de délibérer si on doit obliger les nouveaux convertis à communier. L'Evangile, saint Paul et les lois de l'Eglise ordonnent de ne donner les sacrements qu'à ceux qui tâchent de s'en rendre dignes. Plus leur foi ou leurs mœurs sont

 

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suspectes, plus les pasteurs doivent observer de précautions prudentes ou de délais salutaires, avant que de les y admettre. Il faut que les nouveaux convertis les désirent et les demandent longtemps, et on ne peut trop s'assurer de leurs dispositions pour les recevoir à la participation de nos mystères.

Il ne peut y avoir aucun inconvénient à les obliger d'aller aux instructions, sous quelque peine contre les contrevenants. Si on n'envoie les enfants aux écoles, et les adultes à nos catéchismes, par quelque loi pénale, on ne pourra jamais avancer l'œuvre de la religion. Ils ne croiront point, et ne seront point instruits s'ils n'écoutent ; et ils n'écouteront pas s'ils n'y sont contraints : on ne doit point espérer qu'ils y aillent d'eux-mêmes. L'instruction ne gêne point leur liberté ; et l'on sait qu'à Rome on oblige les Juifs d'entendre les catéchistes, que l'on leur donne pour les convertir.

Toute la difficulté se réduit donc à savoir si l'on obligera les nouveaux convertis d'aller à la messe. Il semble que l'on ne peut sur cela prendre un meilleur parti, que de suivre les maximes et la conduite dont l'Eglise d'Afrique s'est servie à l'égard des donatistes. On sait que c'était une Eglise très-savante, remplie de l'esprit de Dieu, surtout du temps de saint Augustin, et très-exacte pour la discipline ecclésiastique. Personne n'ignore quel a été le schisme des donatistes et dans sa naissance et dans son progrès : on en peut voir les circonstances dans saint Augustin et dans Optât ; et Henri Valois en a fait une relation très-curieuse, à la fin de ses notes sur l'Histoire d'Eusèbe de Césarée.

Il suffit de remarquer que les donatistes furent très-puissants dans l'Afrique ; qu'ils y avaient des villes, des provinces, des églises et des évêques; qu'ils y érigèrent autel contre autel, et que le schisme devint si considérable, qu'il n'était pas encore tout à fait éteint dans le sixième siècle, comme on le voit dans les Lettres du pape saint Grégoire. Les évêques catholiques ne négligèrent ni exhortations, ni prières, ni conférences amiables et pacifiques, pour ramener les donatistes. Plusieurs qu'on avait mis à la place des prélats schismatiques chassés de leurs sièges, offrirent de les leur rendre, s'ils voulaient renoncer à leurs erreurs et revenir à l'unité. Mais toutes les voies de paix furent

 

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inutiles ; et l'Eglise d'Afrique fut enfin contrainte d'avoir recours aux puissances séculières et à l'autorité des empereurs.

Plusieurs conciles furent assemblés pour ce sujet : celui qui fut convoqué à Carthage, l'an 404, envoya à l'empereur Honorius deux députés appelés Evode et Théosius, avec une Instruction qui portait qu'il serait très-humblement supplié de renouveler les lois pénales, que son père Théodose avait établies dans l'empire pour obliger les donatistes à se réunir à l'Eglise catholique, afin qu'ils fussent convertis par la crainte, puisqu'ils ne le pouvaient être par le motif de leur salut. Ce sont les termes de l'Instruction ; et c'est ainsi que l'Eglise s'est toujours adressée aux empereurs par voie de recours, quand elle a vu que la parole et l'instruction, qui sont les moyens les plus doux et les plus naturels quand ils peuvent suffire, devenaient inutiles par l'opiniâtreté des hérétiques.

Il est nécessaire de remarquer que les donatistes refusaient d'entrer dans l'unité de l'Eglise, par les mêmes maximes dont se servent aujourd'hui les nouveaux convertis pour se défendre d'aller à la messe. Il y a de la différence dans les dogmes et dans les erreurs de ces deux partis; mais ce n'est qu'une même chose dans les principes et dans les conséquences. Les donatistes disaient qu'en conscience ils ne pouvaient vivre dans la société et dans la communion de l'Eglise catholique; qu'elle n'était plus l'Epouse de Jésus-Christ, puisqu'elle ne rebaptisait point ceux qui revenaient de l'hérésie : que le Saint-Esprit était dans le seul parti de Donat, et qu'ils ne pouvaient point aussi en conscience assister aux mystères de l'Eglise, parce que les prêtres qui les offraient n'étaient point de légitimes ministres. Leur haine contre les catholiques fut extrême, et on sait quelle était la rage des circumcellions.

Il ne faut pas douter que les donatistes, qui étaient forcés à se réunir, ne fissent dans leurs cœurs des désaveux tacites de leur profession publique, et qu'ils ne commissent d'abord beaucoup d'infidélités secrètes. Cependant cette raison n'empêcha pas les évêques d'Afrique d'implorer la puissance séculière. Ils crurent que pour quelques donatistes que la contrainte rendrait ou obstinés

 

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ou hypocrites, la plus grande partie se réunirait enfin de bonne foi; et la crainte de quelques inconvénients particuliers céda au motif d'une réunion universelle et du bien public de l'Eglise.

L'effet des déclarations des empereurs, et des rigueurs salutaires dont la charité était le principe, fut si grand, que presque toute l'Afrique fut convertie : quelques restes malheureux de donatistes obstinés échappèrent seulement au zèle des princes et des prélats; et un concile s'assembla à Carthage, l'an 405, sous le consulat de Stilicon et d'Anthème, sans autre affaire que celle de rendre à l'empereur Honorius de très-humbles actions de grâces d'un événement si heureux et si utile à toute l'Eglise.

Ce fut cette foule de conversions subites qui firent changer de sentiment à saint Augustin. Il avait cru d'abord, contre l'avis des anciens évêques d'Afrique, qu'il ne fallait point contraindre les donatistes ; que l'on devait regarder l'instruction comme l'unique moyen dont il était permis de se servir, et que le support et la patience à leur égard étaient les règles de la charité chrétienne. Ces raisons, qui sont en effet spécieuses, le frappèrent longtemps: mais quand il eut vu la ville de Tagaste où il était né, et une grande partie de l'Afrique, réunie par la crainte des châtiments à l'Eglise catholique, il se rendit au sentiment commun de ses collègues. L'expérience détermina si fortement son esprit, qu'il composa sur ce sujet les deux Lettres à Vincent et au comte Boniface, que M. Ferrand traduisit en français il y a dix ans, et que la question présente a rendues célèbres.

Il semble qu'il suffit de lire ces deux Lettres pour décider la difficulté dont il s'agit. Ce Père y rapporte un nombre infini de preuves tirées des Ecritures, de la raison et des conciles, pour établir que l'on doit contraindre les hérétiques ; et il répond, avec autant de solidité que d'éloquence, à toutes les objections que l'on peut faire sur cette matière. Il représente les donatistes dans la même situation où sont à présent nos nouveaux convertis, et il propose les mêmes moyens de les réunir. Il dit qu'il ne faut pas regarder si l'on force, mais à quoi l'on force; que laisser un hérétique dans sa liberté, c'est comme si on laissait un léthargique

 

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dans son assoupissement, ou si l'on abandonnait un frénétique à sa fureur; que si ceux que la charité attire sont meilleurs, ceux que la crainte corrige sont en plus grand nombre ; que la nécessité qui contraint à faire le bien et à fuir le mal, est toujours utile et avantageuse ; que si dans la multitude de ces conversions il y en a quelques-unes qui soient feintes et hypocrites, elles peuvent devenir sincères dans les suites; et que les hérétiques ou les schismatiques obligés par la force à s'appliquer à la considération de la vérité, se désabusent enfin de leurs erreurs dans un examen qu'ils n'auraient jamais fait, s'ils n'avaient été contraints par l'autorité.

Toutes ces raisons et plusieurs autres, qu'il serait trop long de rapporter ici, et que l'on peut lire dans la source, ont toujours déterminé les plus savants théologiens qui ont agité cette question, et surtout saint Thomas dans la Seconde Seconde de sa Somme, et le cardinal Bellarmin dans son traité de Laicis, à suivre le sentiment de saint Augustin ; et la décision de ce Père ne doit pas être moins respectable dans cette matière, que dans les autres qu'il a traitées pour l'utilité et pour la défense de l'Eglise.

On peut objecter contre la doctrine que je viens d'établir, qu'il n'y avait nul péril de forcer les donatistes d'assister aux saints mystères des catholiques, parce qu'ils croyaient  faussement que l'on offrait sur l'autel autre chose que ce que Jésus-Christ avait ordonné, et qu'abusés dans le fait, il fallait les contraindre, afin que, convaincus par leurs propres yeux, ils fussent détrompés de leur prévention et de leur erreur.

Je réponds à cette objection, qu'à la vérité quelques donatistes erraient dans ce fait-là, comme le rapporte saint Augustin : mais le plus grand nombre se trompoit dans le dogme, et ne voulait point assister au saint sacrifice de l'autel, parce qu'ils croyaient  que les prêtres catholiques n'avaient pas un pouvoir légitime pour l'offrir, puisqu'ils n'étaient pas dans l'Eglise. Cependant saint Augustin veut que l'on les contraigne tous, malgré les mouvements de leur conscience erronée ; et tous les principes dont il se sert doivent s'appliquer à tous les hérétiques en général,

 

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quoique ce Père n'ait pour objet que la conversion des donatistes en particulier.

J'ajoute que l'Eglise aujourd'hui a plus de droit sur les nouveaux convertis qu'elle n'en avait autrefois sur les donatistes. Nos néophytes ont fait abjuration de leurs erreurs, ils l'ont signée : plusieurs ont assisté longtemps de bonne foi à nos mystères, et y ont même participé : leur conduite présente est plutôt un refroidissement qu'une apostasie. Un grand nombre n'a jamais fait d'exercice de la religion protestante, comme ceux qui étaient trop jeunes quand l'édit de Nantes fut supprimé, et ceux qui étant nés depuis, ne vont point à la messe parce qu'ils en sont empêchés par leurs parents. Tous enfin en général appartiennent à l'Eglise par leur abjuration ou par leur baptême : elle ne les regarde pas comme des ennemis déclarés, mais comme des enfants indisciplinés, qu'elle est eu droit de revendiquer et de ramener à leurs devoirs, soit par les armes spirituelles, soit par imploration du bras séculier, à peu près comme un père appelle à son secours la justice et les lois pour la punition de ses enfants, lorsque sa bonté et ses exhortations sont impuissantes pour les corriger.

Cette circonstance de l'abjuration et du droit que l'Eglise conserve sur ceux qui l'ont faite est d'un si grand poids, qu'elle fut le motif d'un canon célèbre du quatrième concile de Tolède, tenu l'an 633; et ce canon est rapporté dans le Décret de Gratien; et voici en peu de mots quelle en fut l'occasion. Le roi Sisebut fit en Espagne, dans le sixième siècle, une loi qui est insérée parmi les lois des Visigoths, par laquelle il était ordonné aux Juifs sous des peines très-graves d'abjurer le judaïsme, et d'embrasser la religion chrétienne. Quatre-vingt-dix mille obéirent, et le reste s'enfuit dans les royaumes voisins. On en peut voir la relation et l'histoire dans la Chronique d'Isidore de Séville.

Il faut observer que l'Eglise a toujours fait une grande différence dans la conduite qu'elle tient pour convertir les Juifs, les infidèles et les païens, et celle qu'elle croit devoir garder pour convertir les hérétiques. Elle n'a aucune autorité sur les premiers, qui ne sont pas nés sous ses lois et sous sa discipline, et

 

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elle ne se sert à leur égard que de la voie de la persuasion. Mais quelque éloignés que soient d'elle les hérétiques, ils portent le nom de chrétiens : ils ont été régénérés par le baptême qu'elle donne ; ils croient plusieurs de ses dogmes ; et quoiqu'ils soient rebelles et désobéissants, elle est leur Mère, et par conséquent en droit de les punir, et surtout quand ils ont abjuré leurs erreurs.

Sur ce fondement, le quatrième concile de Tolède désapprouve d'abord, dans le canon lvh, la conduite que l'on avait tenue à l'égard des Juifs, par la raison que je viens d'expliquer : mais pour ceux qui s'étaient convertis et qui étaient chrétiens, soit par force, soit par leur choix, comme ils ont reçu le baptême, ajoute le canon, et qu'ils ont été initiés dans les mystères de l'Eglise : il faut les contraindre d'y persévérer, de peur que le nom de Dieu ne soit blasphémé, et que la foi ne soit regardée comme vile et méprisable.

Les albigeois, dans les douzième et treizième siècles, furent traités avec plus de rigueur que ne l'avaient été les donatistes. Comme le présent Mémoire n'est point une dissertation historique, et que ce n'est qu'une simple exposition des faits qui peuvent servir de fondement à mon opinion, il est inutile de rapporter les circonstances de l'hérésie des albigeois, dont on peut voir le détail dans les auteurs contemporains. Mais pour l'éclaircissement de la question dont il s'agit, il est nécessaire de lire le canon XXVII du concile troisième de Latran, tenu sous le pontificat d'Alexandre III ; le canon m du concile quatrième de Latran, sous Innocent III ; les conciles de Paris, de Toulouse et de Béziers, tenus vers le milieu du treizième siècle.

Une vigilance exacte pour découvrir les hérétiques qui se ca-choient, la confiscation des biens, l'exil, les punitions corporelles étaient les voies dont on se servoit pour réduire les indociles et les opiniâtres. Les protecteurs des albigeois étaient aussi très-sévèrement punis, et l'on sait ce qu'il en coûta au comte de Toulouse. Je ne prétends pas établir sur ces précédents exemples de sévérité, des préjugés pour la conduite que l'on doit tenir à l'égard des nouveaux convertis. Quoique je sois persuadé qu'il faut les contraindre d'aller à la messe, je crois néanmoins que les

 

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moyens les plus modérés seront les plus efficaces; et qu'il convient à l'avancement de l'œuvre de joindre à un zèle attentif et qui ne se désiste point de son objet, beaucoup de douceur, de patience et de charité.

Quelques docteurs croient que le canon XVII du concile de Toulouse, que je viens de citer, et qui fut tenu l'an 1229, ordonnait que les albigeois nouveaux réunis communiassent à Noël, à Pâques et à la Pentecôte : mais il ne faut que lire ce canon pour être désabusé de cette fausse prévention. C'est un précepte que le concile donne à tous les anciens fidèles; et il ajoute seulement que ceux qui ne l'accompliront pas seront suspects d'hérésie. Et si dans tous les siècles l'esprit de l'Eglise a été que l'on forçât les hérétiques à se convertir, néanmoins elle n'a jamais voulu admettre les nouveaux réunis à la participation des sacrements, lorsqu'ils étaient encore chancelants dans la foi qu'ils avaient embrassée.

Les Pères de l'Eglise ont dit sur cette matière tout ce que les conciles avaient expliqué dans leurs décisions. Saint Léon, dans sa Lettre LXXV à l'empereur Léon (1), lui adresse ces belles paroles : Grand prince, je vous parle sans adulation ; elle ne convient pas à la liberté évangélique. Vous êtes digne d'être associé au ministère apostolique par votre piété, et d'être mis au nombre des ministres de Jésus-Christ; vous en avez le zèle si vous n'en avez pas le caractère : vous êtes le protecteur de la foi de Nicée, d'Ephèse et de Chalcédoine. Dieu vous a non-seulement appelé au gouvernement de l'empire, mais encore à la défense de la religion : vous devez punir les sectateurs de Nestorius, de Dioscore et d'Eutychès, et ne pas permettre qu'ils divisent l'unité de l'Eglise par leurs erreurs. Saint Léon dit la même chose en d'autres termes dans ses Lettres à l'empereur Marcien et à la princesse Pulchérie.

Or il est certain que toutes ces exhortations ferventes avaient pour objet quelque chose de plus qu'une simple abjuration. La notion naturelle du mot de convertir veut dire la pratique d'un nouveau culte. Il y a eu dans tous les siècles des nouveaux réunis

 

1 Epist. nunc CXXV.

 

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réunis : mais on ne verra point dans aucun endroit de l'histoire ecclésiastique, que l'on les ait laissés vivre dans une indifférence entière pour leurs devoirs : et si le sentiment des Pères a été que les princes dévoient contraindre les hérétiques à renoncer à leur fausse religion, il est évident aussi qu'ils ont cru qu'il fallait les forcer au moins aux fonctions extérieures de la véritable.

Saint Grégoire pape dans sa Lettre à Patrice exarque d'Afrique (1), l'exhorte à employer le pouvoir que Dieu lui avait confié à la destruction de l'hérésie : et dans celle qu'il écrit à Audibert, roi d'Angleterre (2), il le loue d'avoir procuré le progrès de la religion par les instructions, par la terreur, par ses bienfaits et par ses exemples.

Saint Bernard, qui a été le plus doux et le moins sévère de tous les Pères de l'Eglise, dans le soixante-sixième sermon qu'il a composé sur le Cantique des Cantiques (3), en parlant de certains novateurs de son temps qui niaient la nécessité du baptême des enfants, le purgatoire et les prières pour les morts, cite les paroles de l'Apôtre (4), que les princes sont les ministres de Dieu pour exécuter ses vengeances en punissant celui qui fait mal : et conclut qu'il vaut mieux punir les hérétiques par le glaive de la puissance temporelle que de souffrir qu'ils persistent dans leurs erreurs, ou qu'ils pervertissent les fidèles par leurs persuasions et par leurs discours.

C'est sur ces principes établis par une tradition constante de l'Eglise, que les empereurs chrétiens ont toujours donné des lois très-sévères contre les hérétiques, pour les obliger à se réunir à l'Eglise catholique, et à plus forte raison à en faire profession publique après l'abjuration de leurs erreurs. A la vérité, l'empereur Constantin, peu de temps après qu'il fut parvenu à l'empire, fit conjointement avec Licinius son beau-frère, une loi qui permettait à chacun de ses sujets de suivre la religion que sa conscience lui inspirerait. Mais il est aisé de voir par l'examen de cette Constitution, qui est rapportée par Eusèbe dans le chapitre V du dixième livre de son Histoire, que cette tolérance universelle

 

1 Epist., lib. I, epist. VI. — 2 Lib. XI, epist. LXVI. — 3 N. 12, tom. I. — 4 Rom., XIII, 4.

 

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de toutes les opinions n'était qu'un prétexte, dans un règne naissant et mal affermi, pour procurer un libre exercice à la religion chrétienne, qui avait été toujours persécutée par les empereurs païens, et contrainte de demeurer jusqu'au temps de Constantin dans l'obscurité et dans le silence.

Mais lorsque le Prince fut paisible possesseur de l'empire, et qu'il n'eut plus ni de concurrents ni de collègues, et qu'il eut donné la paix à l'univers et à l'Eglise, il voulut non-seulement renverser les idoles, mais détruire encore le schisme et l'hérésie. Saint Augustin dans le neuvième chapitre de sa Lettre aux donatistes, qui est la cent cinquième dans la nouvelle édition, explique les lois qui furent données par les empereurs contre les donatistes, depuis Constantin jusqu'à Arcade et à Honorius.

Le code Théodosien, au titre de Hœreticis, rapporte en détail les Constitutions de ces princes contre tous les hérétiques, qui troublèrent l'Eglise pendant leur règne ; et pour en être pleinement convaincu, il faut lire ces lois dans la source. Non-seulement les empereurs privaient les hérétiques de toutes les charges et de tous les emplois, mais encore ils leur défendaient de passer aucune forme de contrat : tout pouvoir de vendre, d'acheter, de faire testament et d'hériter leur était ôté : les enfants ne pouvaient recueillir les successions de leurs parents, ni les maris celles de leurs femmes, s'ils n'embrassaient la religion catholique ; et toutes ces peines étaient portées avec note d'une perpétuelle infamie. C'est ainsi que s'en explique la seconde loi de Théodose contre les manichéens.

Dans la Constitution XIII, nous voyons que les hérétiques étaient chassés des villes et de la société des autres hommes. Outre les impositions ordinaires, ils étaient condamnés, de quelque sexe et condition qu'ils fussent, à des amendes considérables, selon leurs moyens; et lorsqu'ils les avaient payées jusqu'à cinq fois sans renoncer à leurs erreurs, ils étaient condamnés à l'exil : et le motif de cette sévérité, selon la loi LXIII, était de ramener par la terreur ceux que l'on ne pouvait persuader par la raison.

Et il est évident que l'instruction toute seule, sans le secours des puissances temporelles, n'aurait pas détruit ce grand nombre

 

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d'hérésies, qui se sont élevées depuis la naissance du christianisme ; et plusieurs subsisteraient encore sur la terre, si l'autorité ne les eût éteintes. L'Eglise instruisait, et les empereurs punissaient selon les besoins : elle remplissait son ministère par la parole, et ils accomplissaient le leur par le pouvoir que Dieu leur a confié. Et c'est par ce concert mutuel du sacerdoce et de l'empire, que la religion catholique a conservé le dépôt précieux de la foi, et que les portes de l'enfer n'ont pu jamais prévaloir contre elle, selon la promesse de Jésus-Christ (1).

Le Code Justinien répète les mêmes lois ; et cet empereur en fit une à Constantinople, qui déclare que, lorsque les hérétiques mourraient dans leurs erreurs, leurs enfants orthodoxes, s'il y en avait, recueilleraient seuls la succession, et c;ue ceux qui ne seraient pas catholiques en seraient exclus ; que si tous les enfants étaient dans l'hérésie, le plus proche parent serait appelé à l'hérédité; et que si aucun ne faisait profession de la religion catholique, les biens seraient réunis au fisc impérial. Et il y a une autre loi, dans les Novelles, qui ôte aux femmes qui ne font point profession de la foi catholique, tous leurs droits et leurs hypothèques sur les biens de leurs maris, et que le droit romain leur attribue.

On ne voit point que l'Eglise se soit jamais plainte de la sévérité de ces lois : au contraire nous avons prouvé qu'elles avaient été pour la plupart approuvées, demandées et sollicitées par les conciles; et il faut remarquer que toutes ces Constitutions obligent les hérétiques à faire profession de la foi catholique. Or faire cette profession, c'est être en société de vœux, de devoirs, de sacrifice, de prières avec le reste des fidèles. En effet un catholique qui ne remplit point les devoirs de la religion, diffère peu de l'hérétique ; sa foi est toujours avec raison suspecte, quand il n'en lait pas les œuvres : et il y a apparence que les lois pénales des empereurs auraient eu leur effet contre ces réunis, qui contents d'une simple et froide abjuration, ne seraient entrés dans l'Eglise que pour avoir plus d'éloignement pour la doctrine qu'elle professe et pour le culte qu'elle pratique.

 

1 Matth., XVI, 18.

 

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J'avoue qu'il y a des inconvénients à forcer nos nouveaux convertis d'aller à la messe, et il est impossible que dans une affaire aussi importante il ne s'y rencontre des difficultés et des obstacles. On peut craindre des irrévérences extérieures, des infidélités secrètes, des embarras dans les détails de l'exécution, et la désertion des fugitifs, qui aimeront mieux sortir du royaume que de se soumettre : quoiqu'à l'égard des irrévérences il soit aisé de les empêcher, et pour la désertion on peut la prévenir par une vigilance exacte sur les côtes maritimes et sur les passages des frontières.

Mais laisser imparfait l'ouvrage de la conversion générale; souffrir au milieu de l'Etat un parti nombreux mal intentionné, et toujours attentif aux événements ; ne pas tendre la main à beaucoup de gens qui voudraient revenir de bonne foi, et qui ne l'osent pas par respect humain ; sacrifier au scrupule des mauvais partis que pourraient prendre des opiniâtres, le salut d'un nombre infini d'âmes, qu'une crainte salutaire sauverait, et qui se perdront si on ne les force ; exposer les enfants, malgré nos écoles et nos catéchismes, à la séduction infaillible de leurs parents, sont des inconvénients beaucoup plus considérables que ceux qui pourraient déterminer à l'avis contraire : et si on ne contraint nos néophytes d'assister à nos mystères, on ne doit plus compter sur l'espoir d'avancer l'œuvre de la religion.

Le soin de l'éducation de la jeunesse semble en apparence suffire pour éteindre un jour l'hérésie, et cette raison paraît spécieuse. Elle serait en effet très-bonne, si on pouvait ôter tous les enfants à leurs parents : mais comme cet enlèvement général est impossible, il faut quelque chose de plus pour abolir le calvinisme dans le royaume. Ces jeunes gens n'auront jamais beaucoup de foi au saint sacrifice de la messe, quand ils verront que leurs pères et mères n'y assistent point. Au retour des écoles et de l'église, le premier soin des parents est d'effacer du cœur et de la mémoire de leurs enfants toutes les impressions qu'ils pourraient avoir de la foi catholique, et de leur en inspirer la haine et l'éloignement. Us les séduisent avec beaucoup de facilité ; et les exemples domestiques ont plus de pouvoir sur ces jeunes esprits.

 

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que toutes les instructions de leurs pasteurs et de leurs maîtres.

Nos nouveaux convertis doivent d'autant moins se plaindre de cette nécessité d'aller à la messe, que les docteurs protestants enseignent que les puissances temporelles doivent contraindre les hérétiques. Je ne fais pas cette remarque pour nous prévaloir de l'exemple des calvinistes. L'ancienne et véritable Sion, dit saint Augustin, ne se règle point sur la conduite de la fausse et nouvelle Sion : mais il est raisonnable de convaincre ces protestants par leurs propres raisons, de l'injustice des plaintes qu'ils font contre nous sur ce sujet.

Personne n'ignore que Calvin fit faire par le sénat de Genève le procès à Servet, qui était anabaptiste, et qui avait renouvelé les erreurs de Sabellius et d'Eutychès. La condamnation de cet hérétique fut approuvée par les docteurs de Zurich, et par tous les théologiens du parti. Calvin, pour justifier sa conduite, composa un traité qui a pour titre : S'il est permis aux magistrats chrétiens de punir les hérétiques; et il prouve par un nombre infini de raisons, qu'ils le peuvent et qu'ils le doivent. De plus, dans le livre qu'il appelle Harmonie des Evangiles de saint Matthieu, de saint Marc et de saint Luc; expliquant ces paroles: Forcez-les d'entrer il dit qu'elles ne peuvent s'entendre que de l'autorité qu'ont les princes de la terre d'obliger leurs sujets à obéir aux décisions de l'Eglise. Voici ses propres termes : « J'approuve que saint Augustin ait souvent usé de ce témoignage contre les donatistes, pour montrer qu'il est permis aux princes fidèles de contraindre les rebelles et les obstinés, et faire des édits pour les faire revenir à l'unité de l'Eglise : car bien que la foi soit volontaire, nous voyons néanmoins que les moyens profitent, pour dompter l'obstination de ceux qui n'obéiraient jamais s'ils n'avaient été forcés. »

Ce fut sur ces principes que Jeanne, reine de Navarre, fit publier l’an 1571 une ordonnance intitulée: Règlement pour la discipline des églises de Béarn ; et il est porté par cette Déclaration, que toutes personnes assisteront aux prêches à peine de cinq sous d'amende pour les pauvres, et dix pour les riches ; et pour la seconde

 

1 Luc., XIV, 23.

 

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fois, si l'on y manque, de cent sous pour les pauvres, et dix livres pour les riches ; pour la troisième fois, de prison et de plus grande peine si la rébellion était obstinée. Il y a beaucoup d'autres exemples tirés de leurs auteurs : mais ceux que l'on vient de rapporter suffisent pour faire connaître en cela la doctrine et la conduite de la prétendue réformation.

Malgré tous ces préjugés, je suis persuadé que, pour obliger les nouveaux convertis d'aller à la messe, on doit employer les voies les plus douces que la prudence et la charité pourront suggérer. Le logement effectif des gens de guerre et les punitions corporelles seraient des moyens odieux, quoique justes dans le fond ; et les obstinés, par vanité ou par faux zèle, s'attribueraient une vaine idée de martyre : quelques relégations et des amendes pécuniaires bien décernées et bien exécutées pourront suffire, surtout dans un pays comme celui-ci, où il n'y a point de passion plus vive et plus universelle que la cupidité et l'intérêt.

Il est à propos de répondre à l'objection que l'on fait sur les désaveux tacites que feront plusieurs nouveaux convertis, quand on les forcera d'aller à la messe. Si cette raison avait lieu, on n'établirait jamais des lois pénales dans la religion. Quoiqu'elles Fassent souvent des hypocrites ou des obstinés, elles sont pourtant nécessaires pour conserver le bon ordre : d'ailleurs dans le cas des mariages des réunis, nous nous exposons tous les jours à une plus grande et plus terrible profanation. On les diffère, on les éprouve ; mais enfin il en faut venir à les marier. Ils se soumettent sans peine aux délais, aux épreuves : quand on les interroge sur leur foi, ils répondent comme on le souhaite : ils se confessent ; et cependant nous sommes presque sûrs que ces démonstrations extérieures sont simulées, parce qu'après leur mariage ils ne reviennent jamais à l'église. Mille expériences nous donnent cette juste persuasion: nous leur administrons néanmoins les sacrements de pénitence et de mariage, et nous laissons à la miséricorde de Dieu ou à sa justice, à convertir ou à punir ceux qui nous trompent.

L'expérience des lieux et des esprits m'a persuadé que, pour avancer l'œuvre de la religion, il serait important qu'il plût au

 

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Roi ôter dans les corps de mairie, dans les hôtels de ville, dans les facultés de médecine, et surtout dans les parlements et dans les cours subalternes, toutes fonctions aux nouveaux convertis qui ne rapporteraient pas tous les ans des certificats de catholicité, signés par leurs évêques ou par leurs curés. Ceux qui sont dans les charges sont d'ordinaire fort jaloux de les conserver : comme ils sont même distingués par leurs emplois, leur exemple est plus utile et dans leurs familles et parmi le peuple, qui règle presque toujours sa religion sur celle de ses supérieurs. D'ailleurs les constitutions impériales y sont expresses ; et le Roi est le maître de confier les charges à ceux qu'il en juge dignes, et de commettre les fonctions de la judicature aux conditions qu'il lui plaît, et selon les vues de sa prudence et de sa piété.

S'il est nécessaire de punir les indociles, il ne l'est pas moins de récompenser ceux d'entre les nouveaux réunis qui se distinguent par leur ferveur et par leur zèle. Les bienfaits seront d'un secours infini dans ce grand ouvrage. Il n'y a dans chaque ville ou dans chaque province que deux ou trois chefs de parti qui mènent tout le reste, et peu résisteront à l'espoir ou à la certitude de la récompense : une grâce bien employée, et quoique donnée à un seul, excite l'espérance de plusieurs autres.

Rien n'est plus triste pour les pasteurs, que de voir que les nouveaux convertis meurent tous les jours sans sacrements, et qu'ils les refusent même avec opiniâtreté et avec scandale. Cela vient des sentiments peu catholiques des mourants, et plus souvent encore des mauvaises dispositions de leurs parents. Dans ces derniers moments où l'esprit est abattu, et le raisonnement affaibli, ils les déterminent aisément à mourir dans leurs erreurs, et les curés ne sont jamais avertis ni appelés. Peut-être serait-il à propos que le Roi renouvelât ses anciennes Déclarations contre ceux qui ne veulent pas à la mort recevoir les sacrements. Cette précaution est d'autant plus nécessaire, que l'on sait que plusieurs nouveaux convertis mourraient catholiques, s'ils n'en étaient empêchés par les exhortations de leur famille. Mais si les héritiers craignaient une confiscation, attentifs à la succession, ils les détermineraient à remplir leurs devoirs et à demander les sacrements

 

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de l'Eglise, ou du moins à ne les pas refuser. Il ne convient pas néanmoins d'exécuter à la rigueur les édits qui regardent les cadavres des relaps : ce spectacle est plus nuisible qu'utile à la religion.

La Déclaration du Roi qui donnait le bien de ceux qui sortaient du royaume au plus proche parent, a eu de très-mauvaises suites ; et Ton sait par mille expériences qu'une famille fugitive laissait toujours quelqu'un qui recueillait la succession, qui faisait souvent très-mal son devoir de catholicité, et qui envoyait  tous les revenus à ses parents : en sorte que par ce moyen ils jouissaient de leurs biens, comme s'ils eussent encore été dans leurs terres et dans leurs maisons.

Enfin, pour faire une brève récapitulation de tout ce Mémoire, j'établis en peu de mots que le sentiment de l'Eglise a toujours été que l'on contraignît les hérétiques, et que la conduite des princes a été conforme à cette doctrine. De plus, on peut sans contredit forcer d'assister à la messe les enfants qui sont nés depuis la suppression de l'édit de Nantes, et ceux qui étant trop jeunes n'avaient fait auparavant aucun exercice du culte contraire, puisque les uns et les autres appartiennent à l'Eglise. Les nouveaux convertis tièdes et indifférents seront fort aisément déterminés : ceux qui sont catholiques dans le cœur, ne demandent pas mieux qu'un ordre qui les délivre de la crainte du respect humain et des reproches de leur famille. Il ne reste donc qu'un petit nombre d'obstinés, dont la considération ne doit pas empêcher le bien général de l'Eglise, et qu'il faudra réduire en détail par les peines ou par les bienfaits, selon les vues que le caractère de leur esprit ou la situation de leur fortune pourront suggérer.

 

LETTRE XLIII. 
BOSSUET A M. DE SAINT- ANDRÉ, CURÉ DE VAREDDES. A Meaux, ce 26 novembre 1700.

 

Il est impossible, Monsieur, que je me charge moi-même de composer l'histoire du saint abbé de la Trappe : mais je ne fais

 

 

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nulle difficulté d'en charger quelqu'un, et de recevoir les mémoires. Mais qui charger? Il y faut penser. J'approuve fort défaire tout ce qu'il faudra pour empêcher certaine sorte de gens de travailler à la chose de crainte qu'ils ne la tournent trop à leur avantage. Dieu bénisse votre voyage et votre retour.

 

LETTRE XLIV. 
BOSSUET A M. DE SAINT-ANDRÉ. A Versailles, 26 novembre 1700 (a).

 

Vous m'avez fait grand plaisir, Monsieur, d'avoir procuré la conservation en main sûre des papiers dont je vous avais autrefois entretenu, et dont l'importance m'était bien connue. Bien des gens s'empresseront de faire passer le saint homme pour tout autre qu'il n'était; et il n'est rien de plus nécessaire que de conserver des témoignages de ses sentiments, dont on puisse se servir en temps et lieu, selon que la prudence le fera connaître. Ce papier est sans doute un de ceux de la plus grande conséquence. Je ne sais où cette lettre vous pourra trouver : mais en quelque endroit que ce soit, faites connaître mes sentiments à M. l'abbé de la Trappe, en l'assurant de la continuation de mon amitié pour lui et pour sa sainte maison. Tout à vous, comme vous savez.

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