Lettre Mme de Maisonfort III
Précédente Accueil Remonter Suivante
Bibliothèque

Accueil
Remonter
Lettres diverses
Sur la Comédie
Lettres III-VIII
Lettres IX-XVII
Lettres XVIII-XXXVII
Lettres XXXVIII-XL
Lettres XLI-XLIV
Lettres XLV-LV
Lettres LVI-LXI
Lettres LXII-LXX
Lettres LXXI-LXXXII
Lettres LXXXIII-XCV
Lettres Dlle de Metz
Lettre Mme de Maisonfort I
Lettre Mme de Maisonfort II
Lettre Mme de Maisonfort III
Lettres Mme de Maisonfort IX
Lettres Mme de Maisonfort XV
Lettres Mme de Cornuau I
Lettres Mme de Cornuau IX
Lettres Mme de Cornuau XXXVIII
Lettres Mme de Cornuau CXXXI

371

 

LETTRE III.

 

A Villeneuve, 1er juin 1696.

Il n'est pas nécessaire jusqu'à présent, que je sache de votre conduite et de votre vie plus que nous en avons dit. Retenez bien ce que je vous ai prescrit au nom de Notre-Seigneur : pour me faire connaitre. que vous l'avez bien compris, mettez-le-moi par écrit à loisir, en moins de mots qu'il se pourra; cela suffira; et Dieu, qui jusqu'ici a tout disposé par sa providence, ne vous manquera en rien. Humiliez-vous ; lisez et relisez mes réponses, jusqu'à ce qu'elles soient tout à fait dans votre cœur. Je dirai ce qu'il conviendra sur votre dernière lettre, s'il y reste quelque chose encore à vous expliquer : je ne l'ai pas ici, et je ne crois pas pouvoir y répondre que de Meaux ; aussi n'y a-t-il rien de pressé. Vivez en paix et en silence ; c'est là l'effet véritable du recueillement.

 

LETTRE IV.

 

A Lusancy, 15 juin 1696.

Après avoir attentivement examiné le tableau que vous me faites de vous-même, et tout le reste de vos écrits, je vous parlerai, ma Fille, plus sûrement ; mais ce sera pour vous confirmer ce que je vous ai déjà dit. Parlez peu; c'est le plus sûr moyen de vous mettre en recueillement, de modérer vos activités inquiètes, et d’ôter la matière et l'occasion à vos scrupules.

Outre la multiplicité des paroles extérieures, il y a celle des intérieures, qui n'est autre chose que la multiplication des pensers et des soucis superflus. Pour les modérer et en dessécher la racine, jetez-vous en simplicité entre les bras de Dieu, lui abandonnant à pur et à plein la disposition de votre personne pour tous les emplois auxquels vous destinera l'obéissance dans la maison où vous êtes. Vous devez présupposer que votre vocation

 

372

 

est bonne, quoiqu'elle n'ait point été accompagnée de ces goûts dont vous parlez. Le changement qu'on a fait est visiblement pour le mieux. Vous y êtes, vous l'avez accepté, vous y vivez ; il n'v a plus qu'à en prendre l'esprit en tout et partout. Par là s'affermira votre volonté, et s'il y avait quelque chose à rectifier, cela se fera peu à peu.

Vous ne paraissez pas avoir une idée assez claire de ce qu'on appelle perfection dans la vie religieuse. Il y a la perfection de la fin, qui consiste uniquement dans l'amour de Dieu. Il y a la perfection des moyens, où quelquefois ce qui paraît plus opposé à l'esprit naturel, et à une certaine hauteur qu'on affecterait volontiers, est le meilleur.

Les petitesses de la vie religieuse, tant inculquées par les saints fondateurs des Ordres et tant approuvées par l'Eglise, en sont de bons témoins. Vous l'expérimentez vous-même dans les petits sacrifices que vous dites que Dieu vous demande. Les plus petits sont quelquefois les plus crucifiants et les plus anéantissants. Tout ce qui éteint cette hauteur intérieure, tout ce qui rompt cette volonté propre, et arrache l'homme à soi-même, prépare la voie à Dieu; et par là on a raison d'y mettre la perfection de certains états.

Mettez votre fondement dans cette parole de Notre-Seigneur : Qui vous écoute m'écoute (1). Elle ne doit avoir pour vous d'exception que le seul cas, qui n'arrivera point, où les supérieurs demandassent ce qui serait manifestement contraire à la volonté de Dieu et à sa gloire. Comme ces cas n'arriveront point, par là toutes vos actions sont réglées, et votre état demande que vous trouviez, autant qu'il se peut, tout décidé.

Surtout n'hésitez jamais sur les pratiques reçues dans la maison. Je vous ai conseillé de proposer vos doutes humblement et modestement aux supérieurs, et surtout à Madame de Maintenon, dans une entière ouverture de cœur. Après cela soumettez-vous; ne vous attachez jamais à votre sens. Tel a la pénétration, à qui le jugement n'est pas donné, du moins dans la dernière précision. Quand on demande votre avis, dites-le sans affectation, sans

 

1 Luc, X, 16.

 

373

 

prendre aucun avantage et sans effort pour attirer les autres à votre sentiment. Après, demeurez tranquille et d'autant plus heureuse, quand on prendra le parti contraire, que vous y aurez appris à rompre votre volonté.

Défaites-vous des airs décisifs clans les délibérations, dites vos raisons an toute simplicité ; n'ayez non plus de ces humilités affectées qui bien souvent ne sont que sur le bord des lèvres, et de faibles palliations de l'amour-propre. Soyez humble, sans vous trop soucier de le paraître ; faites ce que demande l'édification, sans rien affecter de plus.

Voilà déjà beaucoup de ces multiplications retranchées, et toutes celles qui ont relation avec le dehors le sont presque par ces conseils. J'y ajoute, pour aller au fond, qu'autant que vous pourrez, vous cherchiez la décision de vos doutes dans l'obéissance, sans sortir de la maison.

S'il arrivait par hasard qu'on vous prescrivît des choses trop gênantes, proposez humblement vos difficultés, et par votre soumission changez la gêne en liberté.

Aimez les mortifications intérieures; ne négligez pas les extérieures, et connaissez combien elles abattent et crucifient la nature; réglez-les par l'obéissance et par le conseil des confesseurs et supérieurs : tenez-vous en là. Je vous ai déclaré que je n'entrerai point là-dedans.

Venons à l'intérieur et à l'oraison. Faites-la, comme vous pourrez, dans une entière liberté d'esprit. Si l'esprit de Dieu vous saisit, laissez-vous aller au recueillement et au repos où il vous attire. N'en sortez pas que vous ne sentiez qu'il vous a laissée à vous-même. Vous l'apprendrez par une douce liberté d'agir. Alors par de doux efforts, mettez-vous en action. Je me contente de ces espérances, de ces demandes, de ces actes fonciers que vous m expliquez : des actes plus exprès sont souvent moins réels, quoiqu'ils occupent davantage.

En un endroit de votre écrit, il semble que vous me fassiez confondre les réflexions avec les inquiétudes; ce n'est pas ma pensée. Il y a de douces réflexions qui sont très-naturelles et très-bonnes, et que je n'exclus d'aucun état d'oraison. En même

 

374

 

temps, elles sont tranquilles, et tiennent, l’un nécessaire où il faut établir son cœur (1).

Il ne me vient rien sur les actes que je ne vous aie expliqué. Vous pouvez à votre loisir recueillir de çà et de là, dans mes réponses, ce que je vous ai décidé, et vous en tenir à cela comme à une règle certaine, parce que tout est tiré de l'Ecriture et de la tradition constante.

Supprimez toute réflexion sur la perfection ou l'imperfection, et sur la nature de votre état d'oraison. Prenez ce que Dieu vous donne, sans vous comparer à personne en général, mettant tout le monde au-dessus de vous, sans jamais vous juger vous-même, mais vous laissant aux yeux de Dieu telle que vous êtes, plus soigneuse d'avancer que d'apercevoir votre progrès.

 

1 On a vu ci-devant que le simple retour du cœur vers Dieu est un de ces doux efforts par lesquels il me conseillait de me remettre en action.

Quant à ces actes fonciers, dont il dit qu'il se contente, voici comme je les lui avais, ce me semble, expliqués.

Je lui citais l'endroit de ses réponses où il marque qu'il tiendrait une oraison fort suspecte, où des actes aussi précieux que ceux de l'espérance, de la demande et de l'action de grâces ne viendraient jamais : qu'ils viennent en deux manières, ou par une espèce de saint emportement dont ou n'est pas maître, ou par une douce inclination ou impulsion qui veut être aidée par un simple et doux effort du libre arbitre coopérant. Sur cela je disais que les actes ne me venaient point de ces deux façons ; que je ne connaissais point ce saint emportement, ni cette douce impulsion dont il avait parlé; qu'il me semblait que si je suivais ma disposition, je ne ferais jamais d'actes distincts dans mes oraisons, parce que j'y sentais une espèce de répugnance, souvent même dans les temps de sécheresse; que je remarquais seulement souvent dans mon fond l'espérance et le désir d'obtenir de Dieu certaines grâces, et la reconnaissance d'autres que j'ai reçues; qu'il me semblait que mon cœur lui demandait les unes et lui rendait grâces des autres, quoique tout cela ne fût guère distinct; que j'apercevais seulement dans mon fond ces dispositions, comme on aperçoit la foi et l'amour dans le recueillement.

Dans les réflexions, il est visible par plusieurs endroits de ces réponses, que ce n'étaient point des réflexions suivies et raisonnées qu'il me demandait alors ; il entendait, je crois, seulement que les réflexions ne sont point incompatibles avec cet état d'oraison, puisqu'elles se font dans la voie, et que l'oraison actuelle n'est que pour certains temps particuliers. De plus il entendait aussi, ce me semble, que dans le temps même de l'oraison, l’âme n'est pas exempte de certaines douces et délicates réflexions, puisque sans cela elle ne saurait pas ce qui s'est passé en elle, et elle n'en pourrait pas rendre compte.

On peut se souvenir qu'il a dit dans le livre des Etats d'oraison, que le bienheureux Jean de la Croix dit que lame se donne dans l'oraison même la plus sublime certains mouvements, comme se détacher, se séquestrer de tout et s'élever; qu'elle prie ses passions de la laisser en repos ; que « l’âme se donne tous ces mouvements par une délicate réflexion sur son état, parce que, se voyant enrichie de tant de dons, elle désire de se conserver en assurance. »

 

375

 

Gardez-vous bien surtout de croire qu'on en soit meilleur pour être dans une oraison active ou passive ; et sans même examiner ce que c'est, contentez-vous d'éviter les inquiétudes. Ne vous astreignez point aux pensées discursives. Sortez de vous-même et de tout appui humain, et mettez votre appui en Dieu au-dessus de tout.

Dilatez vos voies par la confiance en espérant contre l'espérance, en foi, en attente, en désir et en amour.

Dans la confession, dites ce qui vous vient sans anxiété, recevez ou l'absolution ou la bénédiction, comme on vous la donnera; ne vous tourmentez point à confesser quelque chose de votre vie passée, si on ne vous l'ordonne. Ce n'est pas à vous à vous mettre en peine s'il y a matière à l'absolution. Quoiqu'il ne vienne rien qu'on juge péché, ne vous en jugez pas plus innocente; mais appuyée sur le sang de Jésus-Christ, entrez dans l'étendue infinie des miséricordes de Dieu. Quand on vous a défendu de relire ce que vous aviez écrit, on a reconnu l'excès d'agitation où vous jette votre activité naturelle : mais l'expérience fait voir que ce remède n'est ni propre ni suffisant. Relisez et corrigez ce qui sera évidemment et certainement mauvais; dans le doute, exposez-vous plutôt au hasard de quelque faute que de vous jeter dans l'embarras et dans le scrupule.

Pour vos lectures, faites-les sans tant raffiner, par ce seul motif que la lecture est un moyen donné de Dieu pour la sanctification des âmes. Prenez toute la nourriture qui s'y trouvera, sans vous mettre en peine si en particulier elle vous est propre ou non; car il y a là un trop grand et inutile tourment de l'esprit. C'est aussi se travailler inutilement, que d'attendre que vous sentiez le besoin de lire ; ce qui n'est pas bon pour un temps l'est pour un autre, et il faut prendre à toutes mains ce qui se présente : je dis ce qui se présente comme naturellement, et sans trop le rechercher, ni rien tirer par les cheveux; car tout cela est de simplicité et de vérité.

C'est un scrupule de se croire obligé à quitter tout ce à quoi on est attaché. Il y a de saints et utiles attachements : celui, par exemple, à des lettres d'instruction; c'est autre chose si on s'y attache par partialité.

 

376

 

Ne désirez point la mort comme mort et par découragement; mais désirez de voir Jésus-Christ, parce que c'est en le voyant qu'on l'aime parfaitement, et qu'on est certain de l'aimer toujours.

Faites les prières vocales, comme la lecture, en grande simplicité. Pesez bien ces deux mots : Comme la lecture; relisez ce qu'on vient de dire de la lecture, vous y trouverez toute l'instruction nécessaire.

Je ne vous renvoie de vos papiers que cette feuille. Vous avez compris ce que je vous ai dit autant qu'il faut. Je relirai encore une fois tous vos écrits, et j'ajouterai ce qui manquera, quand Dieu m'en donnera la lumière et le mouvement. Après, je brûlerai le tout.

Vous ne paraissez pas avoir assez bien compris ce que je vous ai dit de saint Paul, que chacun doit considérer ce qui est utile aux autres, et non à soi-même. L'intention de l'Apôtre est d'apprendre au chrétien à conformer ses paroles et ses actions à ce qui est en effet utile à calmer et à édifier le prochain, sans même qu'il s'en aperçoive; et c'est là le fond de la charité, où la nature et l'amour-propre sont crucifiés à chaque moment, parce qu'à chaque moment on se dépouille de soi-même, pour se faire tout à tous. Prions les uns pour les autres. Vivez en paix et en patience. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE V. A Germigny, 24 septembre 1696.

 

Ne doutez jamais, ma Fille, un seul moment que Dieu, qui vous donne le mouvement de m'écrire, ne me donne celui de vous écouter et de vous répondre avec toute la précision possible. Et d'abord je commence par louer Dieu de ce qu'il vous a fait connaître vos fautes avec simplicité, et qu'il a inspiré à vos supérieurs de vous en reprendre, et de vous en humilier aussi fortement qu'ils ont fait. C'est un effet de la grande bonté de Dieu, et de son soin paternel de votre salut. Ce n'est pas ici un vain langage, c'est une vérité puisée en Dieu même, et une leçon de son Saint-Esprit. Nous avions pris des règles si sûres pour vous empêcher de trop

 

377

 

abonder en votre sens, de pousser, de faire valoir, de trop appuyer vos sentiments: tout le contraire est arrivé. Humiliez-vous jusqu'au centre de la terre et jusqu'aux enfers. Priez Dieu de vous en tirer ; dites un profond De profundis sur votre âme qui s'est égarée. Laissez-vous priver de la fréquente communion, pourvu que ce soit par l'ordre de vos supérieurs. Suivez ce que vous dira votre confesseur.

Gardez-vous bien de vous éloigner de Madame de Maintenon sous quelque prétexte que ce soit ; parlez-lui à cœur ouvert, toujours humblement, sans déguisement ou ménagement aucun, selon que votre cœur vous y poussera. Ne songez à rien pour les emplois ; oubliez tout. Laissez-vous mettre haut et bas dans les charges de confiance ou dans les autres avec soumission. Ce que Dieu fera au dedans de vous par ces exercices extérieurs de l'autorité sainte des supérieurs, qui est la sienne même, sera grand. A la fin vous apprendrez à être véritablement petite, et c'est là que vous trouverez Jésus-Christ.

Tâchez de goûter les petitesses de la religion, et tout ce qui va à honorer la sainte pauvreté : vous en avez lu tant d'éloges dans le bon saint François de Sales. Bon Dieu ! ce n'est pas pour le rabaisser que j'aime à l'appeler bon. Si vous aviez bien conçu que n'avoir rien de fermé est une sorte de désappropriation excellente, vous ne vous y seriez pas opposée. Il m'est arrivé une fois, par des raisons qui semblaient pressantes, d'accorder des écritoires fermées à un couvent ; je m'en dédis bientôt, averti par les instances des autres couvents de même ordre, et Dieu a béni après cela ma sainte et doucement inexorable sévérité. Servez-vous des secrets permis dans les charges et les obédiences, et n'en désirez point de particuliers. Soyez toujours bien persuadée que l'extérieur a je ne sais quoi qui met l'intérieur en paix aux yeux de Dieu, et règle et compose l’âme comme la demande le céleste et jaloux amant.....

La contrariété naturelle que vous éprouvez avec Madame de M. vous doit être un exercice continuel de mortification. Contentez en elle, non pas elle, mais Dieu ; et en tout et partout, avec elle et avec les autres, suivez cette règle de perfection de saint

 

378

 

Paul : Que chacun de vous agisse par rapport aux autres, et non pour se contenter soi-même; car comme dit le même Apôtre, Jésus-Christ ne s'est pas plu à lui-même : et cet exercice de faire et dire tout pour les autres, et non pas pour soi, est dans la véritable charité l'entier anéantissement de l'homme. Lisez deux et trois fois, mais du cœur plutôt que des yeux, les quatre premiers versets de l’Epitre aux Philippiens, chapitre II, avec le second et le troisième du chapitre VI aux Galates. Faites-vous-en une règle, et préférez-en la pratique humble et foncière à toutes les sublimités de l'oraison. Ne changez rien dans la vôtre, et ne croyez pas que ce soit illusion, sous prétexte que votre vie n'y répond pas ; mais croyez que si la pratique ne suit, vous en rendrez un grand compte. Entendez-moi bien ; ne concluez pas qu'il la faut quitter, ou y changer quelque chose, ou l'imputer à illusion, quand les fruits ne suivent pas ; mais que Dieu en demandera un compte sévère. Craignez et aimez sa sainte jalousie.

Selon cette règle de saint Paul, dites ou ne dites pas les prières vocales dont vous me parlez, avec vos demoiselles. Faites tout selon l'édification, et quand vous le pourrez sans la blesser, préférez l'oraison, à condition que vous la rendrez pratique par un actuel dépouillement de vous-même par rapport aux autres ; car ce dépouillement seulement, par rapport à soi est une chose souvent bien creuse, et une dangereuse pâture de l'amour-propre. La peine que vous aviez sur la lecture, suivant que Madame de Maintenon me l'exposa en me lisant une lettre que vous lui écriviez, n'avait pas besoin, ce me semble, de nouvelles instructions ; car je crois que nous avions dit en général qu'il faut user de la lecture comme de la prière vocale, avec une sainte liberté d'esprit. Puisque la pénitence que vous avez demandée à votre confesseur, pour modérer ces actes agités et inquiets, vous réussit, continuez ce remède, et offrez-vous à Dieu, afin qu'il vous calme ; car il le peut seul, et il s'est réservé de dominer à la puissance de la mer, et d'en apaiser et adoucir les flots émus.

Après avoir repassé sur vos lettres précédentes, sur la demande s'il ne faut pas, dans un conseil, avoir plus d'égard au bien particulier de la personne que l'on conseille qu'au général : cela dépend

 

379

 

de la nature du conseil, et des divers rapports qu'ont les choses. Ordinairement, en ce qui regarde les dispositions intérieures, il ne faut regarder que la personne. Toutefois par l'influence de l'intérieur sur l'extérieur, on peut aussi avoir quelque égard au bien commun, suivant la règle de saint Paul que je viens de vous rapporter ; et il ne faut pas oublier ce qu'il dit aux Galates, chapitre VI, verset II : c'est la règle des directeurs comme des âmes dirigées ; et absolument parlant, il faut régler chaque âme par rapport à elle dans l'intérieur, sans les rendre trop assujetties aux autres, si ce n'est par la charité, et non par des égards humains.

Parlez à M. de Chartres et à vos supérieurs en toute simplicité ; ne craignez point de leur ouvrir votre cœur, afin qu'ils vous reprennent ou qu'ils vous approuvent, selon que Dieu leur inspirera.

Considérez bien notre règle de saint Paul aux Philippiens (II, 4) ; vous verrez comment et quand il faut ou ne faut pas se faire aimer. Cette règle empêche de préférer ceux qui ont du goût pour nous, à cause de ce goût ; mais [ elle enseigne ] à s'en servir pour les détacher de tout, et de nous-mêmes, pour les unir à Dieu de plus en plus.

 

LETTRE VI. A Versailles, 16 février 1697.

 

..... Pour Madame de Maintenon, vous voyez une grande marque de sa charité, non-seulement dans le soin qu'elle prend de m'envoyer vos lettres, mais encore d'en solliciter elle- même les réponses. Mais avec tout cela, ma Fille, sacrifiez à Dieu tout le goût de son amitié. Ne faites rien qui vous la puisse l'aire perdre. Dites-lui naturellement ce que vous croirez utile ; faites si bien que votre conduite se justifie elle-même, quand il faudra en venir à quelque éclaircissement. Dites eu simplicité et humilité, ce qui sera convenable; et demeurez en repos, soit qu'on vous blâme, ou qu'on vous approuve, ou qu'on vous excuse. Mou livre sur l'oraison ne peut paraître que dans quelque temps ; vous y verrez que la vérité y règle seule.

 

380

 

LETTRE VII.  6 mars 1697.

 

Il faut lâcher, dans les mouvements que font dans les couvents les changements des charges des supérieurs et des obédiences, de se souvenir qu'on s'est dévoué à la volonté de Dieu, et de trouver la paix en s'y abandonnant. Si on vous met dans quelque place qui vous accommode, louez Dieu qui ménage la faiblesse. Si l'on vous abaisse, dites-lui : Il m'est bon que vous m'ayez humiliée, et demeurez attachée à la seule chose qui est nécessaire. Dieu est le seul qui ne change point. Tout le reste, et surtout les hommes, change ou avec ou sans raison. Croyez toujours le premier, et croyons que, si l'on change envers nous, c'est que nous changeons nous-mêmes, ou que nous ne changeons pas assez tout ce qu'il fallait changer. Ne cessons donc de nous changer en mieux, et mettons notre consolation en celui qui est immuable.

Dieu vous a inspiré le vrai moyen de concilier tout ce qui vous semble n'être pas suivi, en vous laissant régler par l'obéissance. C'est un bonheur que vous vous trouviez en correspondance avec celle sous qui on vous a mise ; mais quand cela changerait, croyez que les fruits de l'obéissance, qui nous sont les plus salutaires, sont souvent les plus amers.

Je crois vous avoir dit la conduite que vous devez tenir avec Madame de Maintenon. Elle consiste à savoir ce qu'il faut conserver, et ce qu'il faut sacrifier sur ce sujet ; heureuse d'avoir à sacrifier quelque chose d'aussi considérable selon le monde !

Ce n'est point par effort et violence qu'on fait cesser les actes inquiets. Les saints nous apprennent qu'en faisant de certains efforts pour les éviter, on retombe dans une autre sorte d'inquiétude. Il faut, sans s'opposer à ce torrent, en laisser tranquillement écouler les eaux, comme celles qui tombent sur les toits, et qui font pendant la pluie des ruisseaux dans la campagne.

Pour ainsi laisser écouler ces eaux, auxquelles je compare vos activités, il faut avoir un fondement ferme, qui est l'appui en la

 

381

 

pure bonté de Dieu. Il n'y a guère de moyens humains pour en venir à ce grand et unique appui. Ce ne sont pas des pénitences que des hommes imposeront, ni aucun de leurs commandements, qui apaiseront cette tempête intérieure. Ce sera un mot que Jésus dira au dedans pour commander aux flots et à la mer : Taisez-vous, soyez en silence. Puisse Jésus prononcer en vous cette parole ! Mais quand il l'aura prononcée une fois, ne croyez pas que ce soit pour toujours. Le trouble reviendra de temps en temps ; et la pratique constante doit être celle de se retirer au dedans, et de retrouver, si l'on peut, ce fond où Jésus habite, et où il dort quelquefois, pendant que nous sommes agités.

Mes soins ne vous manqueront jamais. Je suis de votre avis, et c'est un assez grand dessein de Dieu sur les âmes que de les faire pour lui-même : cela suffit pour déterminer les pasteurs à le seconder, sans qu'ils aient besoin d'autre chose.

Il faut s'attacher aux choses que Dieu demande de nous par sa volonté déclarée, c'est-à-dire par sa loi, par nos règles, par les ordres des supérieurs. Pour celles que nous croyons que Dieu nous demande par des instincts particuliers, elles sont sujettes à grand examen ; et je vous donne pour règle certaine, que, pour peu qu'elles vous excitent de trouble, il n'y a sans hésiter qu'à les laisser là.

Il y a plus d'orgueil que d'humilité dans ces petits sacrifices d'écrire ou de parler mal à dessein, pour s'humilier. Par là il semble qu'il faille affecter, comme si nous étions quelque chose, de nous abaisser par quelque endroit, pendant que nous sommes tout néant. Nous n'avons que faire des petites fautes d'écriture ou de langage que nous ferons exprès ; il n'y en a que trop et de ce genre-là et d'autres genres plus importants, où nous tomberons de nous-mêmes.

Vos sentiments sont droits sur les choix des supérieures, soit qu'on laisse une pleine liberté, soit qu'on indique un parti. C'est bien fait de renvoyer tous ces soins au temps de l'élection, et alors laisser incliner son cœur au doux mouvement du Saint-Esprit, sans se laisser émouvoir de petits scrupules. L'essentiel est le mérite suffisant dans les personnes ; mais il ne faut pas

 

380

 

LETTRE VII. 6 mars 1697.

 

Il faut tâcher, dans les mouvements que font dans les couvents les changements des charges des supérieurs et des obédiences, de se souvenir qu'on s'est dévoué à la volonté de Dieu, et de trouver la paix en s'y abandonnant. Si on vous met dans quelque place qui vous accommode, louez Dieu qui ménage la faiblesse. Si l'on vous abaisse, dites-lui : Il m'est bon que vous m'ayez humiliée, et demeurez attachée à la seule chose qui est nécessaire. Dieu est le seul qui ne change point. Tout le reste, et surtout les hommes, change ou avec ou sans raison. Croyez toujours le premier, et croyons que, si l'on change envers nous, c'est que nous changeons nous-mêmes, ou que nous ne changeons pas assez tout ce qu'il fallait changer. Ne cessons donc de nous changer en mieux, et mettons notre consolation en celui qui est immuable.

Dieu vous a inspiré le vrai moyen de concilier tout ce qui vous semble n'être pas suivi, en vous laissant régler par l'obéissance. C'est un bonheur que vous vous trouviez en correspondance avec celle sous qui on vous a mise ; mais quand cela changerait, croyez que les fruits de l'obéissance, qui nous sont les plus salutaires, sont souvent les plus amers.

Je crois vous avoir dit la conduite que vous devez tenir avec Madame de Maintenon. Elle consiste à savoir ce qu'il faut conserver, et ce qu'il faut sacrifier sur ce sujet ; heureuse d'avoir à sacrifier quelque chose d'aussi considérable selon le monde !

Ce n'est point par effort et violence qu'on fait cesser les actes inquiets. Les saints nous apprennent qu'en faisant de certains efforts pour les éviter, on retombe dans une autre sorte d'inquiétude. Il faut, sans s'opposer à ce torrent, en laisser tranquillement écouler les eaux, comme celles qui tombent sur les toits, et qui font pendant la pluie des ruisseaux dans la campagne.

Pour ainsi laisser écouler ces eaux, auxquelles je compare vos activités, il faut avoir un fondement ferme, qui est l'appui en la

 

381

 

pure bonté de Dieu. Il n'y a guère de moyens humains pour en venir à ce grand et unique appui. Ce ne sont pas des pénitences que des hommes imposeront, ni aucun de leurs commandements, qui apaiseront cette tempête intérieure. Ce sera un mot que Jésus dira au dedans pour commander aux flots et à la mer : Taisez-vous, soyez en silence. Puisse Jésus prononcer en vous cette parole ! Mais quand il l'aura prononcée une fois, ne croyez pas que ce soit pour toujours. Le trouble reviendra de temps en temps ; et la pratique constante doit être celle de se retirer au dedans, et de retrouver, si l'on peut, ce fond où Jésus habite, et où il dort quelquefois, pendant que nous sommes agités.

Mes soins ne vous manqueront jamais. Je suis de votre avis, et c'est un assez grand dessein de Dieu sur les âmes que de les faire pour lui-même : cela suffit pour déterminer les pasteurs à le seconder, sans qu'ils aient besoin d'autre chose.

Il faut s'attacher aux choses que Dieu demande de nous par sa volonté déclarée, c'est-à-dire par sa loi, par nos règles, par les ordres des supérieurs. Pour celles que nous croyons que Dieu nous demande par des instincts particuliers, elles sont sujettes à grand examen ; et je vous donne pour règle certaine, que, pour peu qu'elles vous excitent de trouble, il n'y a sans hésiter qu'à les laisser là.

Il y a plus d'orgueil que d'humilité dans ces petits sacrifices d'écrire ou de parler mal à dessein, pour s'humilier. Par là il semble qu'il faille affecter, comme si nous étions quelque chose, de nous abaisser par quelque endroit, pendant que nous sommes tout néant. Nous n'avons que faire des petites fautes d'écriture ou de langage que nous ferons exprès ; il n'y en a que trop et de ce genre-là et d'autres genres plus importants, où nous tomberons de nous-mêmes.

Vos sentiments sont droits sur les choix des supérieures, soit qu'on laisse une pleine liberté, soit qu'on indique un parti. C'est bien fait de renvoyer tous ces soins au temps jde l'élection, et alors laisser incliner son cœur au doux mouvement du Saint-Esprit, sans se laisser émouvoir de petits scrupules. L'essentiel est le mérite suffisant dans les personnes ; mais il ne faut pas

 

382

 

mépriser les convenances avec les personnes dont la maison a besoin.

Il en faut user à peu près de même pour la réception des filles : parler toujours selon son cœur aux supérieurs, lorsqu'ils nous demandent notre sentiment. Dans le doute, je vous dirai pour moi que je pense à la réception ; mais j'entends dans le doute absolu, tout étant égal, et même les inconvéniens. Du reste marchez toujours en simplicité, et la lumière de Dieu inclinera votre cœur.

Pour la confession et la communion, ne me demandez jamais rien; car je n'aurai jamais rien à vous dire, sinon que vous croyiez votre confesseur.

Ne vous laissez point entamer au dégoût, mais prenez le vrai goût plus haut que les sentiments de la créature. Gardez-vous bien de vous dégoûter de votre état. Cherchez le royaume de Dieu et sa justice, et le reste sera ajouté.

Il faut parler du prochain en grande simplicité, sans faire finesse de ce que tout le monde voit également, mais en évitant seulement le mépris et la jalousie.

Oh ! qu'on est heureux dans le silence, et qu'il faut l'aimer, sans que rien le rompe que la charité, s'il se peut ! Que ce sont de belles paroles que de vouloir être oublié et caché, et qu'il est rare qu'on en vienne profondément à l'effet ! Il faut pourtant y tâcher, sans se décourager, quand on revient par faiblesse aux premières fautes. C'est un secret orgueil de se trop étonner de faire des fautes.

 

LETTRE VIII.  A Paris, 12 mai 1697.

 

Je vous reçois, ma Fille, dans mon diocèse, avec le dessein de vous y donner tout le secours que je pourrai, etc.

 

Précédente Accueil Suivante