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LETTRES A MADAME D'ALBERT DE LUYNES, RELIGIEUSE DE L’ ABBAYE DE JOUARRE.

 

REMARQUES HISTORIQUES.

 

Quand le nom de Bossuet n'assurerait pas l'immortalité à ses lettres de piété et de direction, les qualités des personnes qu'elles conduisirent dans les voies de la perfection chrétienne suffiraient seules pour les recommander à l'attention des siècles.

Mesdames de Luynes, Marie-Louise et Henriette-Thérèse d'Albert, eurent une naissance plus illustre que celle de Madame Cornuau; elles étaient filles de Charles duc de Luynes, pair et grand fauconnier de France, marquis d'Albert, et de Louise Séguier, marquise d'O.

La marquise d'O se hâta de vivre pour le bien ; mourant à l'âge de vingt-cinq ans, elle avait rempli la carrière d'une longue vie (1). La simplicité de son âme n'eut d'égal que la sublimité de ses vertus. Elevée dans la grandeur et vivant au milieu de l'opulence, elle fut humble de coeur (2) et pauvre d'esprit (3) ; ennemie de la parure et du faste, elle retranchait le superflu pour répandre de plus grandes aumônes dans le sein de l'indigence. Les exemples qu'elle donnait aux siens par sa douceur et ses aimables vertus, les grâces qu'elle obtint du Ciel par ses prières et ses mérites, lui attachèrent son époux plus étroitement encore, en l'attachant à la piété chrétienne ; ils se retirèrent loin du tumulte dans une maison qu'ils avaient fait bâtir près de Port-Royal, où la jeune dame avait choisi dans la fleur de l'âge sa sépulture.

C'est à Port-Royal que furent élevées ses deux filles, qui se nommèrent dans le monde, l'aînée Madame de Luynes et la cadette Madame d'Albert. Rappelons en passant que leur frère, le duc de Chevreuse, reçut pareillement son éducation dans l'austère solitude : c'est pour lui que Arnauld composa sa Géométrie, et Lancelot sa Grammaire générale; c'est pour son instruction, si l'on s'en rapporte à plusieurs

 

1 Sap., IV, 13. — 2 Matth., XI, 29. —  3 Ibid., V, 3; Luc, VI, 20.

 

II

 

indications de l'ouvrage, que fut écrite la Logique de Port-Royal; et Racine lui avait dédié sa tragédie de Britannicus. Le jeune élève ouvrait largement les trésors de son cœur pour payer la sollicitude et je dois dire la munificence de ses maîtres; un dévouement réciproque les unit d'une amitié durable, qui brava les plus rudes épreuves; et si l'aimable gentilhomme abandonna jamais les principes religieux des durs docteurs, il ne les abandonna que pour tomber dans les erreurs du quiétisme : il devint l'ami le plus intime et le plus zélé défenseur de Fénelon.

Lorsque des erreurs grossières vinrent séduire de grands esprits ; quand un arrêt fatal, juste châtiment d'une opiniâtreté non moins rebelle qu'inconcevable, vint détruire Port-Royal, Mesdames de Luynes allèrent chercher un asile à Jouarre, dans le diocèse de Meaux. Avides de renoncement et de sacrifices, les deux sœurs s'y consacrèrent à la vie religieuse le 7 et le 8 mai 1664 ; l'évêque de Périgueux prêcha la profession de Marie-Louise, et Bossuet celle de Henriette-Thérèse ; le duc de Luynes les avait conduits lui-même à Jouarre.

Bossuet monta sur le siège épiscopal de Meaux. Madame d'Albert avait conçu la plus grande confiance dans ses lumières et dans sa charité. Lorsqu'il visita l'abbaye de Jouarre, elle lui manifesta le désir d'aller à Dieu parles voies spirituelles, et le conjura delà recevoir sous sa direction pour la conduire au céleste Epoux. Bossuet se l'était unie, dans sa profession religieuse, par les liens de la parole divine : il voulut continuer cette alliance jusqu'au tombeau ; il la reçut sous sa conduite, et ne cessa de la traiter comme sa première fille en Jésus-Christ. Madame de Luynes, d'un jugement droit et d'un esprit élevé, mais ayant moins d'attrait pour la vie intérieure et peut-être plus d'appas pour le monde, n'eut pas avec Bossuet des rapports aussi fréquents ; elle se contenta de le consulter dans les circonstances extraordinaires.

Il ne sera pas inutile, pour mieux comprendre cette double correspondance, de connaître un peu l'état de Jouarre. Le célèbre monastère était gouverné par Henriette de Lorraine, tante de Mesdames de Luynes. Cette abbesse avait réuni, dans sa main de femme, le pouvoir épiscopal et le pouvoir civil ; non contente de nommer les curés de Jouarre et de donner des mandements, elle avait des tribunaux pour porter des sentences, et des prisons pour détenir les condamnés. Le relâchement et la licence avaient banni, sous cette haute administration, la discipline et la sévérité monastique, et le retentissement des désordres qui éclataient dans le cloître portait jusque dans le monde le scandale et la consternation. Quand Bossuet voulut réprimer de si graves excès, proscrire de si déplorables dérèglements, l'abbesse lui opposa l'exemption ecclésiastique, prétendant que son monastère était

 

III

 

depuis six siècles soustrait à la juridiction de l'évêque. Cependant le pouvoir épiscopal pouvait seul ramener à Jouarre, avec l'ordre et la discipline, la piété chrétienne et les vertus cénobitiques : sans se laisser arrêter par la puissance de Madame de Lorraine, princesse d'une maison souveraine, tout en prévoyant les nombreux obstacles qui allaient se dresser devant lui, Bossuet porta la réclamation de ses droits devant les tribunaux ; et grâce à sa modération non moins qu'à sa fermeté, il obtint du parlement, le 26 janvier 1690, un arrêt qui « maintenait les évêques de Meaux au droit de gouverner le monastère de Jouarre, et d'y exercer leur juridiction épiscopale tant sur l'abbesse et les religieuses que sur le clergé, chapitre, curé, peuple et paroisse du lieu (1). » Le monastère fournissait à l'évêché comme gage de son affranchissement, disait la supérieure, une rente annuelle de dix-huit muids de blé ; Bossuet perdit cette redevance sans regret, heureux d'obtenir un gain spirituel au prix d'une perte temporelle. L'abbesse, au contraire, pleura longtemps son pouvoir arbitraire et despotique ; la grande dame refusa de reconnaître l'autorité d'un évêque sorti des rangs du peuple; elle abdiqua, contre une pension de huit mille livres, sa double souveraineté.

Le roi choisit, pour lui succéder, Thérèse de Rohan Soubise, religieuse de Cherche-Midi à Paris. Cette nouvelle abbesse vit, elle aussi, s'accomplir sous son règne une réforme qui n'avait pas obtenu d'abord son plein assentiment. A Jouarre, suivant une ancienne coutume, les religieuses exprimaient publiquement, dans les élections, leur jugement sur la postulante; et la supérieure recueillait les avis pour en former les voix. On comprend, pour nous borner à cette considération, combien la publicité devait nuire à la liberté, et par cela même à l'intégrité des suffrages. Le sage évêque établit, non sans peine, après de longs froissements, un autre mode d'élection ; suivant les canons de l'Eglise, les décrets des papes, les règlements des évêques, principalement de saint Charles Borromée, il prescrivit le scrutin secret.

On trouvera dans les Lettres des allusions fréquentes à ces faits, et voilà pourquoi nous les avons rapportés; mais, on l'a compris déjà, combien de causes d'éloignement, quel mur de séparation pour ainsi dire entre Bossuet et Mesdames de Luynes. Cependant la charité ni l'union n'en souffrit aucune atteinte. Les saintes religieuses méprisèrent les prétentions de leur communauté pour demeurer fidèles et dociles, l'une à son directeur, toutes deux à leur évêque. De l'autre côté, le bon pasteur n'eut jamais d'aigreur dans son âme. En même temps qu'il montre à tous l'affection la plus sincère, et qu'il s'efforce

 

1 Nous avons fait connaître les circonstances et publié les pièces de ce procès dans le volume V, p. VIII et p. 499.

 

IV

 

de rendre à ses adversaires les bienfaits de l'ordre et de la discipline, et de la vérité, il prodigue à sa fille spirituelle les soins de sa sollicitude et les secours de ses grandes lumières ; il se ménage partout le temps de lui écrire, en voyage, dans les visites pastorales, à la Cour, au milieu des plus graves occupations : et quand les attaques contre l'Eglise le tiennent constamment sur la brèche et réclament sans relâche l'appui de sa plume, elle trouve dans ses lettres précédentes les règles et les principes qui doivent éclaircir ses doutes , dissiper ses peines, et lui rendre le calme et le repos. Si les grands ouvrages de Bossuet nous le montrent comme un de ces rares génies que les siècles ont peine à produire, ses lettres nous font admirer en lui des qualités peut-être moins brillantes devant le monde, mais plus solides aux yeux de la foi. L'esprit s'éteint, l'éloquence passe et la science humaine s'évanouit comme une ombre légère : mais le dévouement chrétien, la bienfaisance apostolique porte des fruits toujours excellents, dont rien ne peut altérer la douceur ni la beauté ; mais la charité, fille du ciel, est éternelle comme Dieu même.

Tout recommandait Mesdames de Luynes à l'estime de tous. Elles savaient le latin comme ne le savent plus guère les savants de nos jours, et la langue de Platon ne leur était pas étrangère (1) ; il y a plus encore, elles avaient fait dans les sciences et dans les arts des progrès marqués. A ces avantages, elles joignaient ceux d'une haute naissance et d'une grande considération. Cependant elles n'obtinrent point, dans le cloître, les places et les honneurs qui leur semblaient destinés. C'est que leur première éducation ternissait, aux yeux d'un grand nombre, leur mérite comme d'une tache originelle ; et Louis XIV craignait que le jansénisme n'eût porté dans leur âme des racines profondes, toujours prêtes à produire leurs fruits empoisonnés (2). Après la démission de Madame de Lorraine, Bossuet et ses amis demandèrent vainement pour l'aînée, Madame de Luynes, l'abbaye de Jouarre. Enfin on lui donna le prieuré de Torci, bénéfice qui n'était pas à la nomination du roi, et dont le temporel se trouvait en mauvais état.

 

1 Bossuet écrit à Madame d'Albert, Lettre CCIII :  « Loin d'être persuadé que vous devez cesser votre traduction, je vous exhorte d'y joindre celle du Benedictus et du Nunc dimittis. » Bossuet loue, dans une autre Lettre, l'élégance et la simplicité de ces traductions. Il ajoute ici : « Je n'improuve pas que vous composiez en latin ; mais pour le grec, je crois cette étude peu nécessaire pour vous. » Et dans la Lettre CCLVII : « Les vers latins sont très-beaux; vous pourriez les avoir faits comme les Français, dont vous m'avez enveloppé l'auteur : je soupçonnais que c'était vous. Il n'y aurait point de mal d'apprendre un peu les règles de la poésie française à Madame de Sainte-Gertrude, » etc. — 2 Bossuet écrit à Madame d'Albert, Lettre CC : « J'ai toujours ouï-dire que votre éducation de toutes deux à Port-Royal avait fait une mauvaise impression, que Monsieur votre frère même avait eu bien de la peine à lever par rapport à sa personne : j'ai dit ce que je devais là-dessus au P. de la Chaise et au Roi même : » Lettre CCXLV : « Il est vrai qu’on a dit au Roi ce que vous avez su ce sont de vieilles impressions de Port-Royal , dont on a peine à revenir ; mais qui. Dieu merci, ne font aucun mal, si ce n'est de retarder le cours des grâces de la  Cour; ce qui est souvent un avancement de celles de Dieu.

 

V

 

La cadette, Madame d'Albert, suivit sa sœur dans ce monastère; et Madame Cornuau put y célébrer, à l'ombre des autels, le divin mariage que la médiocrité de sa naissance ne lui avait pas permis de contracter à Jouarre.

Madame d'Albert vint à Torci en 1696. Trois ans plus tard, la mort l'enleva, dit Bossuet, « subitement en apparence, en effet avec les mêmes préparations que si elle avait été avertie de sa fin » Sa fidèle compagne , madame Cornuau , nous a laissé le récit de ses derniers moments. « Pour disposer, dit-elle, cette sainte religieuse à son décès, Dieu lui mit au cœur la veille même de faire une revue exacte de sa vie à son confesseur. Elle se préparait à solenniser la fête de la Purification, que l'on célébrait le lendemain, lorsqu'elle conçut ce dessein, qu'elle exécuta sur-le-champ. Etonnée de sa résolution, elle dit à son amie qu'elle ne savait pas dans quelle vue elle s'était déterminée à cette revue, dont la pensée ne lui était venue qu'au moment même où elle se confessait ; qu'elle s'y était sentie fortement portée , et qu'elle admirait comment elle avait pu se résoudre à l'entreprendre avec un autre que le saint prélat. Du reste, elle disait que Dieu lui avait accordé la grâce de la faire comme si elle était sur le point d'aller au-devant du saint Epoux. Et quoiqu'elle eût naturellement de grandes frayeurs de la mort et des jugements de Dieu, elle se trouvait depuis cette action dans une paix et un repos de conscience qui était inexplicable. Le lendemain, jour de la Chandeleur elle voulut par dévotion communier en viatique, et assista à tout l'office de la solennité. Pénétrée des plus vifs sentiments de foi, elle eut pendant cette journée, avec la personne qui lui était intimement unie, des entretiens admirables sur le mystère de cette fête, et se fit faire des lectures analogues, qu'elle choisit elle-même. Son cœur semblait s'embraser de plus en plus, à mesure que l'heure approchait de l'arrivée du divin Epoux.

« Dans la soirée , Madame d'Albert apprit qu'un de ses amis était mort subitement, cette nouvelle la frappa vivement; et après souper elle se retira dans sa chambre avec la Sœur Cornuau, sa fidèle compagne , pour s'occuper de cette mort. Sensiblement touchée d'un pareil accident, elle se mit au pied de son crucifix , afin d'offrir son sacrifice à Jésus-Christ, et de puiser dans ses plaies les consolations dont elle avait besoin. Mais bientôt fortifiée par sa soumission, elle passa de la douleur la plus amère aux sentiments de l'amour le plus tendre ; et dans les saints transports de son admiration, elle dit pendant une heure des choses ravissantes sur le désir de voir Dieu et le bonheur de le posséder. De temps en temps elle s'arrêtait, considérant l'incertitude de la vie ; et disait à sa confidente avec un profond étonnement : « Ma

 

VI

 

chère, pensez-vous bien qu'on meurt en soupant? C'était ainsi qu'était morte la personne dont elle pleurait la perte.

« Après Complies, la Sœur Cornuau, qui ne la quittait que pour les exercices réguliers, vint la trouver, et elles employèrent quelque temps à des pratiques de dévotion. Enfin Madame d'Albert, avant de se retirer, voulut aller souhaiter la bonne nuit à sa sœur : les deux sœurs s'embrassèrent pour la dernière fois sans le savoir. Madame d'Albert proposa ensuite à son amie de dire Matines. Mais sur la réponse que cette Sœur lui fit, qu'elle pensait qu'il était trop tard, elles sortirent ensemble pour voir à l'horloge l'heure précise qu'il pouvait être. Il fallait, pour y arriver, traverser le chœur et l'avant-chœur; et en y passant, Madame d'Albert fit une longue prière devant le saint Sacrement : elle s'arrêta de même assez longtemps devant l'image de la sainte Vierge, qui était dans l'avant-chœur. Après ces différentes stations, elle envoya la Sœur Cornuau s'assurer de l'heure qu'il était, et l'attendit au lieu qu'elle lui marqua. Cette Sœur ne fut pas l'espace d'un Miserere à remplir sa commission, et revint sur-le-champ joindre Madame d'Albert, qu'elle trouva sans paroles, avec tous les symptômes de la mort peints sur le visage. Sa surprise et son saisissement répondirent à sa douleur ; et pénétrée d'effroi, elle jeta un grand cri, auquel la moribonde témoigna par quelques signes être fort sensible. Mais à l'instant elle perdit toute connaissance, et demeura dans cet état jusqu'au lendemain matin 4 février 1699, que sa belle âme quitta la terre pour s'unir éternellement à son divin Epoux, dont elle avait désiré avec tant d'ardeur la possession pendant sa vie. » Que votre bonté paternelle soit bénie dans tous les siècles, ô mon Dieu, qui avez préparé votre servante à la mort tout en la préservant de ses terreurs !

Bossuet burina lui-même comme sur le marbre, en l'empreignant d'une douce et religieuse tristesse, l'épitaphe de la sainte religieuse (1). Rappelons enfin qu'il écrivit pour sa sœur un admirable opuscule, qui fait pénétrer bien avant dans l'union de l'ame avec Dieu. Madame de Luynes l'avait prié de lui écrire, pour son édification, ce que Dieu lui inspirerait sur ces paroles de saint Paul : « Vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ  (2). » Bossuet répondit à sa prière, en lui envoyant le Discours sur la vie cachée en Dieu (3).

Nous avons reproduit les Lettres à Madame d'Albert, partie d'après les éditions, partie d'après les originaux, qui se trouvent à la bibliothèque du séminaire de Meaux et à la bibliothèque de la rue Richelieu. Les lettres revues sur les originaux, sont distinguées par une indication mise au bas de la page.

Les éditeurs ont supprimé, dans les Lettres à Madame d'Albert

 

1 Dans ce volume, à la dernière des Lettres à Madame d'Albert. — 2 Coloss., III, 3. — 3 Se trouve précédemment, vol. VII, p. 394.

 

VII

 

comme dans les Lettres à Madame Cornuau, les faits particuliers qui révèlent la sollicitude paternelle, le caractère propre, la vie intime de l'auteur. Voici quelques-uns des passages qu'ils ont retranchés.

 

.....Pour mon frère, il n'a point encore tant été ici qu'à cette fois; et nous n'avons pu trouver le temps d'aller à Jouarre, quoique comme moi il vous honore et vous estime très-particulièrement, Madame de Luynes et vous. Il sait combien nous sommes amis. Il sera bien aise aussi de rendre ses respects à Madame de Jouarre. Pour moi, j'espère toujours (1)…

Le P. Moret ne voit guère clair, s'il croit que ces arrêts doivent m'arrêter. Son expédient a cheminé par divers endroits, et je crois jusqu'ici que ce n'est qu'un amusement. J'ai toujours beaucoup d'estime pour lui. J'ai reçu les extraits de mes lettres. — Plus loin : Je salue Madame de Luynes. Il me semble que les affaires de M. le comte N*** étaient en bon train, et que M. de Chevreuse en avait bonne opinion (2).

Quand vous m'enverrez la traduction des notes, je vous enverrai mes remarques. Vous verrez par ma réponse d'hier que je ne suis pas pour le grec (3).

Développez-moi un petit mystère. Que veut dire le voyage de Mademoiselle de S.? Madame de Jouarre mande que Madame sa mère la mande pour lui faire prendre la mesure pour un corps de jupe : je le croirai si l'on veut. Mais c'est beaucoup plaindre la peine d'un tailleur : car le tailleur est trop précieux et trop important. Venons à des choses plus importantes (4).

Nous ne pousserons pas plus loin cette confrontation. Toutes les lettres que nous avons pu collationner présentent des lacunes semblables.

 

1 Edit. de Vers., vol. XXXIX, Lettre CXCVII, avant le 1er alinéa. Le nombre des lettres est le même dans notre édition. — 2 Ibid., Lettre CCII, après l'alinéa 6 et le dernier. — 3 Ibid., Lettre CCIV, après l'alinéa 6. — 4 Ibid., Lettre CCV, après le ter alinéa.

 

LETTRES DE PIÉTÉ ET DE DIRECTION

 

LETTRES A MADAME D'ALBERT DE LUYNES
RELIGIEUSE DE L'ABBAYE DE JOUARRE.

 

LETTRE PREMIÈRE.
A Meaux, ce 10 mars. 1690.

 

Je me souviendrai toujours, ma Fille, que vous êtes la première qui avez reçu de moi la parole de vie, qui est le germe immortel de la renaissance des chrétiens. Cette liaison ne finit jamais, et ce caractère paternel ne s'efface point. Dieu prévoyait ce qui devait arriver, quand je vous consacrai (a) par ma parole qui était la sienne, et il en jetait dès lors les fondements.

Pour le bref, loin qu'il doive venir à Pâque (b), on m'a averti de bonne part qu'on n'avait même encore osé le demander, ni envoyer la supplique. Ceux qui mandent qu'il viendra si tôt savent bien que non ; et mon plus grand déplaisir, c'est que Dieu soit offensé par tant de mensonges. Celles qui appelleront à M. de Paris feront par là un acte authentique pour me reconnaître, puisque s'il est le métropolitain, je suis l'évêque, et le premier pas qu'il faut faire pour pouvoir être secouru par mon supérieur, c'est de me rendre obéissance. Au surplus M. de Paris est trop entendu pour outrepasser son pouvoir, et il sait que j'en sais les

 

(a) Le jour de sa profession religieuse.— (6) L'abbesse de Jouarre prétendait à l'exemption épiscopale, et l'on annonçait un bref apostolique qui devait lui confirmer cette prérogative.

 

2

 

bornes qui en cette occasion sont bien resserrées ; car il ne peut exempter personne de me rendre une entière et perpétuelle obéissance. Pour ce qui regarde Madame votre abbesse, je ferai tout pas à pas et avec circonspection, mais s'il plaît à Dieu avec efficace. J'ai peine à croire qu'elle se détermine à me désobéir, ni aussi qu'elle se résolve si tard à m'obéir franchement. Quoi qu'il en soit, assurez-vous que je penserai à tout s'il plaît à Dieu, et que Dieu sera avec moi.

Je vous prie de dire à toutes les Sœurs que vous me nommez, que je reçois avec joie les témoignages de leurs bons sentiments par votre entremise, et en particulier à Madame de Saint-Michel; que si elle m'a été une fidèle et courageuse conductrice, j'espère la guider à mon tour où je sais qu'elle veut aller de tout son cœur. Pour Madame de Saint-Placide, je ne la veux pas délivrer de la crainte où elle est entrée pour moi, parce qu'elle m'attirera ses prières. J'ai toutes mes Filles présentes, et je les salue nommément.

 

LETTRE II.  A Versailles, ce 15 mars 1690.

 

J'ai reçu, ma Fille, votre lettre du 11 mars, qui m'instruit de beaucoup de choses. Il n'y a qu'à avoir la foi, et l'œuvre de Dieu s'accomplira. Songez bien, et faites songer toutes nos chères Sœurs à cette parole de saint Jean : Ipse enim sciebat quid esset facturus  (1) : « Pour lui, il savait ce qu'il devait faire. »

Tout se fera; je n'omettrai rien, s'il plaît à Dieu ; et je suivrai encore, s'il le faut, le procès du conseil, qui n'ira pas moins vite que celui du parlement, et où j'aurai l'avantage qu'il faudra. En attendant, m'obéir. J'ai trouvé nécessaire de rappeler Madame votre abbesse, à moins qu'elle ne se mît en devoir d'obtenir un congé de moi, selon le concile de Trente. Vous pouvez assurer ces Dames qu'elles ne seront jamais commises ni nommées. Pour vous, ne craignez pas, je vous prie, ce qu'on peut me dire de cette part-là : outre que je n'y ai nulle foi et que je

1 Joan., VI, 6.

 

3

 

crois plutôt tout le contraire, je suis d'ailleurs si prévenu en votre faveur,, que vous pouvez sans hésiter marcher avec moi avec une pleine confiance.

Je salue de tout mon cœur Madame votre sœur et toute la troupe élue, dont les noms et les vertus me sont très-présents. Laissez discourir les autres : leur temps viendra; et pourvu qu'on ne manque pas de foi à la Providence, on verra la gloire de Dieu.

 

LETTRE III.  A Paris, ce 2 mai 1690.

 

Je vois par une apostille de Madame votre sœur à votre lettre du 28, que vous n'avez pu la fermer à cause d'un mal à la main. J'en suis en peine, et je vous prie de me mander ce que c'est.

Je vous dirai, ma Fille, en attendant, que vous faites bien de m'avertir de tout, jusqu'aux moindres choses qui peuvent me faire connaître l'état de la maison. Au surplus pour ne point perdre le temps de mon côté dans des redites, tenez pour bien assuré que tout ce qu'on dit de moi est faux et sans fondement, sans qu'il soit nécessaire que je vous en écrive rien en particulier. Ce qui sera véritable je vous le dirai, afin que vous en instruisiez celles que vous trouverez à propos. J'ai fait tirer Henriette du lieu où elle était.

Les mouvements que se donne Madame de Jouarre sont inouïs. Je pousserai cette affaire jusqu'où elle doit aller, et n'oublierai rien pour défaire la maison d'un prêtre infâme, qui en a causé tout le malheur. Si le P. André a vu Madame l'abbesse, il doit dire de bonne foi que je n'ai point fait dépendre de là sa mission : mais j'ai consenti seulement que pour le bien de la paix, il s'assurât, s'il pouvait et s'il le jugeait à propos, d'un consentement de ce côté-là. Quoique ce Père m'ait invité à voir Madame de Jouarre comme de la part de cette abbesse, je n'ai rien voulu répondre, et suis très-résolu de ne la pas voir jusqu'à ce qu'elle ait éloigne son mauvais conseil. J'ai quelque soupçon qu'on verra bientôt sa requête en cassation : j'en suis bien aise; car plus tôt elle paraîtra, plus tôt je mettrai fin à cette requête.

 

4

 

J'approuve fort les raisons que vous avez eues d'écrire en divers endroits, et je vois bien qu'il ne vous restait aucun moyen de le faire que par M. Phelipeaux. Vous ne devez point douter que je n'autorise hautement ce qui aura été fait par cette voie. Au reste la paix est un bien que Dieu veut qu'on désire. Il y a celle du dedans que lui seul peut donner, et que nulle créature ne nous peut ravir : celle du dehors est un moyen pour conserver celle-là, mais Dieu ne la donne pas toujours. Il a sa méthode pour guérir les plaies de notre âme : il ne se sert pas toujours des remèdes qu'il a en main ; il veut exercer la foi, et éprouver notre confiance. Il faut attendre ses moments, et se souvenir de ce mot de saint Paul: «Ayant la paix avec tous, autant qu'il est en vous (1) ; » et de celui de David : « J'étais en paix avec ceux qui haïssaient la paix : » Cum his qui oderunt pacem eram pacificus (3). Voilà, ma Fille, votre pratique et celle de nos chères Sœurs : le reste se dira en présence et avant la Pentecôte, s'il plaît à Dieu.

 

LETTRE IV.
A Paris, ce 8 juin 1690.

 

J'ai reçu votre lettre du 6 , je n'ai pas encore bien résolu ce qu'on pourra faire signer, et en quelle forme ; je voudrais bien pouvoir y être moi-même. Rien ne presse pour cela, et tout se fera dans le temps. Le procès-verbal est bien : ce qui est bon pour un reni, n'est pas toujours bon dans un acte juridique ; la fin nous justifiera envers les plus opposés.

Je vous relève, ma Fille, de toutes les défenses de Madame de Jouarre qui vont à vous empêcher de parler des sujets que vous me marquez, puisque dans l'état où sont les choses il n'est pas possible de s'en taire.

Il faut garder inviolablement le secret où la personne qui le confie est intéressée en sa personne, si ce n'est qu'un bien sans comparaison plus grand oblige à le révéler aux supérieurs, en prenant les précautions nécessaires pour la personne qui y a

 

1 Rom., XII, 18. — 2 Psal., CXIX, 7.

 

5

 

intérêt ; à plus forte raison peut-on découvrir les autres secrets.

J'ai vu en passant à Chelles, Madame de Richelieu : elle a de l'esprit; mais j'ai peine à croire que l'on confie l'abbaye de Jouarre à une si jeune religieuse.

Il est certain que Madame de Jouarre a fait proposer à Madame de Chelles une permutation. Je veillerai à tout autant qu'il sera possible, et n'oublierai rien, s'il plaît à Dieu.

Je suis fâché de votre mal aux yeux. Vivez en paix avec Dieu et, autant que vous le pourrez, avec les hommes. A vous, ma Fille, comme vous savez.

 

LETTRE V. 
A Germigny, ce 5 octobre 1690.

 

J'ai reçu, ma Fille, votre lettre du 3. Je ne m'étonne ni ne me fâche de ce qu'on fait de malhonnête à mon égard, et toute ma peine vient de celle qui en retombe sur vous et mes fidèles Filles. Je serai demain, s'il plaît à Dieu , à la Ferté-sous-Jouarre pour y recevoir Monseigneur (a) samedi, et dimanche aller couchera Jouarre où je commencerai par demander Madame votre sœur et vous. Je verrai après Madame la prieure, et je donnerai le lendemain tout entier à nos autres chères Filles. Là nous parlerons de tout plus amplement. J'enverrai dire à Madame la prieure de la Ferté-sous-Jouarre le jour et l'heure que j'arriverai, et mes gens iront préparer mon logement, que je prendrai dans l'abbaye.

Je prends une part extrême à vos déplaisirs sur le sujet de M. le duc de Luynes, et je vous prie de témoigner à Madame votre sœur combien je suis sensible à votre commune douleur.

Je vous entretiendrai en particulier avec tout le loisir que vous souhaiterez, et je n'oublierai rien pour vous marquer mon estime et ma confiance.

 

(a) Le Dauphin son élève.

 

6

 

LETTRE VI.  A Gertnigny, ce 13 octobre 1690.

 

Je prie Notre-Seigneur qu'il soit votre consolation. Il y a longtemps qu'il vous prépare au malheur qui vient de vous arriver. On ne laisse pas d'être sensible au coup, et il le faut être ; car si Jésus-Christ notre modèle n'avait senti celui qu'il allait recevoir, il n'aurait pas été l'homme de douleurs ; il n'aurait pas dit : « Mon Père, s'il se peut, détournez de moi ce calice (1). » Il faut donc sentir avec lui ; mais en même temps il faut emprunter pour ainsi parler sa volonté sainte, afin de dire à Dieu que la sienne soit accomplie. Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous.

 

LETTRE VII.  A Meaux, ce 2 novembre 1690.

 

Il n'y a rien de changé dans ma marche, et c'est toujours samedi au soir que je serai à Jouarre sans y manquer, s'il plaît à Dieu. J'envoie cet exprès pour en avertir Madame la prieure, et pour vous le confirmer. Je vous entretiendrai à loisir, et toutes celles qui voudront me parler ou des affaires de la maison, ou même de leurs peines particulières : c'est ce que je vous prie de dire à Madame Gobelin.

J'ai reçu les quatre sentences, qui sont toutes placées en bon lieu, aussi bien que celles qui les ont écrites. Vous me ferez grand plaisir de le leur dire, et en particulier à Madame votre sœur. Samedi vous saurez des choses nouvelles ; en attendant, je vous dirai seulement que tout ce qui vient de Paris, ce ne sont que des réponses ambiguës et des moyens d'éluder. Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous.

 

1 Matth., XXVI, 39.

 

7

 

LETTRE VIII.  A Meaux, ce 9 novembre 1600.

 

J'ai reçu votre lettre et votre billet qui y était joint, avec les deux lettres pour M. de Chevreuse et pour le P. Moret, que j'aurai soin de rendre en main propre, du moins la première, et l'autre si je puis.

Mon Ordonnance, de la manière dont elle est motivée et prononcée, est hors d'atteinte ; mais il faudra voir ce que dira le parti quand les nouvelles de Paris seront venues : on y aura fait de grands cris. Je m'en vais pour les entendre de près, et procédera la vive et réelle exécution. Il n'y a qu'à ne se pas étonner du bruit, et attendre l'événement de cette affaire, qui sera, s'il plaît à Dieu, comme celui de toutes les autres.

Plus on a de raison et plus on avance, plus il faut être douce et modeste, et moins il faut prendre d'avantage : c'est ce que je vous prie de dire et d'inspirer à toutes nos chères Filles. Il faut, s'il se peut, fermer la bouche aux contredisantes, et en tout cas ne leur donner aucun prétexte. Il faut aussi rendre de grands respects à Madame la prieure, qui assurément les mérite par ses bonnes intentions et par la manière dont elle a agi dans cette dernière visite ; et on ne doit rien oublier pour profiter de ses bonnes dispositions, qui seront très-utiles au bien de la maison.

M. le grand-vicaire aura soin d'envoyer souvent à Jouarre, pour en recevoir et y porter les nouvelles.

Celles de ma santé sont fort bonnes. Je garde pourtant la chambre pour empêcher le progrès d'un petit mal de gorge, qui est venu de beaucoup parler et d'un peu de rhume.

Je salue toutes nos chères Sœurs, et plus que toutes les autres Madame votre sœur, dont l'amitié et les saintes dispositions me sont très-connues. Ainsi je n'ai pas besoin qu'on me dise rien de sa part : elle m'a tout dit, et j'y crois.

Voilà les deux livres que vous souhaitez : recevez-les comme une preuve de mon estime, assurée que je ne souhaite rien tant que de pouvoir vous en donner de plus grandes. Je vous garderai

 

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fidèlement le secret. Faites s'il vous plaît mes amitiés à Madame de Sainte-Anne; n'oubliez pas nos autres chères Sœurs. C'est avec regret que je vous quittai sans vous avoir pu tenir ma parole. Je suis à vous de tout mon cœur.

 

LETTRE IX.  A Paris, ce 24 novembre 1690.

 

J'ai rendu votre lettre en main propre à M. de Chevreuse, qui fera entendre à Madame la duchesse de Luynes vos raisons dont il est fort persuadé. Pour le surplus vous verrez bientôt l'exécution entière de mes Ordonnances, et Madame de Lusanci va être riche. Je lui écris le détail des affaires encore assez en gros ; mais cela se va débrouiller, et vous saurez d'elle, ma Fille, ce que j'en puis dire.

Vous ne devez pas être en scrupule pour avoir touché les reliques : c'est une nécessité pour les religieuses ; et les Epouses de Jésus-Christ ont des privilèges sur cela au-dessus du commun des fidèles.

Madame de Jouarre m'a fait donner parole par le P. Gaillard, d'exécuter mes Ordonnances. Il le faudra bien : mais dispensez-moi de la peine de vous faire sur cela une grande lettre ; dans peu tout s'éclaircira. Madame de Rodon ne ferait pas mal de m'écrire un peu de verbiage; et je lui promets que je le lirai, parce que je suis assuré qu'elle ne me donnera jamais un verbiage tout pur. J'espère vous revoir bientôt, et avec assez de loisir pour vous écouter en particulier et toutes celles qui désireront communiquer avec moi. Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous.

 

LETTRE X (a).  A Paris, ce 30 novembre 1690.

 

J'ai reçu votre lettre, et vous ne devez pas en être en peine. Madame de Jouarre me rendit hier une visite : elle me demande congé. J'ai promis de l'accorder, à condition de satisfaire à tous

 

(a) Revue sur l'original.

 

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les articles de mon Ordonnance dans les termes y portés. Elle s'y est soumise ; il y aura cependant un arrêt du parlement pour la confirmer : ainsi le gouvernement de la maison et mon autorité seront établis. Madame de Jouarre m'a dit que le boucher était content, et qu'elle me ferait voir son compte arrêté et sa quittance. Voilà, ma Fille, toutes les nouvelles de deçà.

Dans peu M. de la Vallée sera justifié, et Tira dire à Limoges. Pour moi je retournerai, s'il plaît à Dieu, à Meaux, d'où je ferai savoir de mes nouvelles à Jouarre ; et je ne tarderai pas d'y aller faire un tour. Je vous prie de faire part de ceci à nos chères Filles que vous jugerez à propos, et en particulier à Madame de Lusanci. Madame de Jouarre ne m'a rien dit du tout sur son sujet : mais pour vous et Madame votre sœur, il ne faut pas que vous songiez à l'apaiser; et quoi que je lui aie pu dire, elle veut vous attribuer tout ce que j'ai fait. La vérité et la patience sont votre refuge , avec l'assurance infaillible de mes consolations, de mes conseils et de mon autorité. Je ne vois pas, Dieu merci, que vous ayez beaucoup à craindre, et en tout cas je partagerai vos peines avec vous. Je n'écris pas à nos chères Filles qui m'ont écrit, à cause de l'empressement où je suis. Je dis un mot à Madame de Rodon, pour lui donner occasion de fortifier son noviciat dont elle me parle.

Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous.

J'ai vu le P. Moret, qui apparemment vous fera réponse (a).

J'ai parlé à Madame de M. Gérard ; mais je n'ai pas cru le devoir recommander pour la prébende vacante, ne croyant pas mon crédit assez affermi pour cela, quoique notre conversation ait été remplie d'honnêtetés réciproques et qu'on ait paru content de moi. On n'a pas même voulu faire semblant de savoir la mort du pauvre M. Galot. M. Gérard doit s'assurer que je ne lui manquerai pas, en continuant à bien faire.

 

(a) La première de ces phrases est transposée, et la seconde omise dans les éditions.

 

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LETTRE XI.  A Meaux, ce 18 décembre 1090.

 

Je viens d'arriver en bonne santé, Dieu merci, ma Fille. Un rhume m'a arrêté à Paris trois jours plus que je ne voulais. Durant ce temps, il est arrivé de terribles incidents. Nous étions d'accord de tout pour l'affaire de la Vallée, et on avait signé tout ce que Madame de Jouarre avait voulu. Mais M. Talon a voulu avant toutes choses savoir mes sentiments par mon procureur. On a dit que je ne prenais plus de part à cette affaire, et que je souhaitais que Madame de Jouarre fût contente. M. Talon a consenti à passer outre, si M. le président Pelletier, qui tient la Tournelle, le voulait bien. Je lui ai écrit la même chose qu'on avait dite de ma part à M. Talon; et comme il a voulu me parler, et que je gardois la chambre, j'ai envoyé un homme de créance pour lui confirmer mon sentiment. Il a dit que ce n'était pas là sa difficulté ; mais qu'il ne pouvait consentir à absoudre un homme de cette sorte que dans les formes requises, et que M. Talon était demeuré d'accord avec lui que ce qu'on demandait était contre les règles.  Il m'a fait là-dessus toutes les honnêtetés possibles; mais il est demeuré ferme, et je n'ai rien pu gagner sur lui ni par écrit ni en présence : ainsi l'affaire est manquée de ce côté-là. Il n'en faut rien dire qu'aux bonnes amies. J'ai fait ce que j'ai pu, et j'ai proposé les vrais expédients ; mais je ne sais ce qu'on voudra faire. On est consterné, on est malade, et je n'ai pu parler d'aucune affaire que de celle-là.

Il est vrai que Madame de Jouarre a fait quelque démonstration de vouloir aller à Jouarre ; mais elle n'en a point eu d'envie, et il est vrai que sa santé la met hors d'état de le faire. Elle parle d'y envoyer Madame de Baradat, qui n'y ira non plus. Si elle y va, je la suivrai de près ; mais je n'en serai pas dans la peine. J'ai cette semaine l'ordination ; la fête approche ; ainsi vous voyez bien que ce ne sera qu'après que je pourrai vous aller voir. Je salue Madame votre sœur et toutes nos chères amies. Je prie, ma Fille, Notre-Seigneur qu'il soit avec vous.

 

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LETTRE XII.  A Meaux, ce 21 décembre 1690.

 

Je ne répéterai point ce que j'écris à ma Sœur de Lusanci. Je reçus hier, ma Fille, la lettre que vous m'écriviez à Paris, où vous me parlez de ma réponse à Madame de Harlay. Il ne faut être en aucune peine de ma santé, Dieu merci. Je ne crois point le voyage de Madame de Jouarre, et je doute beaucoup de celui de Madame de Baradat. Le dessein de permuter sera difficile. Si la Vallée peut venir à bout de se faire justifier, j'en serai bien aise, afin qu'il chemine plus tôt où il doit aller. Il semble en effet que Dieu veuille lui faire sentir sa justice : si c'est pour le convertir, sa bonté en soit louée.

M. Gérard ne doit point se rebuter des difficultés : c'est là qu'est l'épreuve, et dans l'épreuve la grâce et le fondement de l'espérance. Il n'est presque pas possible qu'il ne se trouve des ulcères cachés : mais vous avez eu raison de lui dire qu'il ne faut pas inquiéter un pénitent sur le passé sans un fondement certain, du moins d'abord : il faut avoir le loisir d'approfondir, et cependant laisser les gens dans la bonne foi. Pour les désordres de l'extérieur, le temps y apportera le remède ; et ce temps, quoique trop long pour ceux qui souffrent, ne l'est pas par rapport aux difficultés. Je ne sais que le seul dessein de la visite de M. votre frère.

Je salue de tout mon cœur mes Sœurs Gobelin et Fourré. Tout est à craindre de ce côté-là, encore qu'on y soit en apparence fort humble; car on est en effet fort consterné. De savoir où l'on tournera;..... l'on devinera aussitôt de quel côté soufflera le vent.

Vous devez avoir reçu la lettre où je vous mandais que votre paquet était allé à la Trappe : je n'en ai encore nulle réponse. A vous de tout mon cœur, ma chère Fille.

 

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LETTRE XIII.  Samedi soir, à la fin de 1690.

 

Une Epouse de Jésus-Christ ne lui apporte pour dot que son néant. Elle n'a ni corps, ni âme, ni volonté, ni pensée : Jésus-Christ lui est tout, sanctification, rédemption, justice, sagesse. Elle n'est plus sage à ses yeux, et n'a de gloire qu'en son Epoux. Pour s'humilier jusqu'à l'infini, elle n'a qu'à lire où son Epoux l'a prise, son infidélité si elle le quitte, et la bonté de son Epoux qui la reprendra encore si elle revient  (1). Quelle pauvreté ! quelle nudité ! quel abandon !

Toute âme chrétienne et juste est Epouse: maison est encore Epouse par un titre particulier, quand on renonce à tout pour le posséder. Entendez ce que c'est que vous dépouiller de tout, et ne vous laisser rien à vous-même que le fond où Jésus-Christ agit, qui encore vous vient de lui par la création, et que la rédemption lui a de nouveau approprié.

Si toute âme juste est Epouse, et que toutes les âmes justes soient ensemble une seule Epouse, soyons tous un en Jésus-Christ, pauvres et riches, sains et malades, hommes et femmes, jeunes et vieux. Car il n'y a nulle distinction en Jésus-Christ (2), et Dieu doit être tout en tous (3).  Voila, ma Fille, ce que c'est qu'être Epouse.

 

LETTRE XIV.  A Versailles, ce 8 janvier 1691.

 

Si l'on avait eu à Jouarre une pratique uniforme et constante touchant l'abstinence des samedis d'entre Noël et la Chandeleur, je croirais que cette pratique devrait servir de règle : mais comme la pratique a varié, on peut s'en tenir, ma Fille, à la coutume du diocèse, et regarder l'abstinence de ces samedis comme étant seulement de règle, et non pas de commandement ecclésiastique, surtout si le peuple de Jouarre et de ses écarts jouit de la liberté qu'on a dans le reste du diocèse : car je ne sache point qu'il y ait

 

1 Jerem., III;  Ezech., XVI. —  2 Rom., X, 12. — 3 I Cor., XV, 28.

                                                                         

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de bulles particulières pour cela, et c'est l'usage qui sert de règle. Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous.

 

LETTRE XV.  A Meaux, ce 22 janvier 1691.

 

Je ne sais pas distinguer, ma chère Fille, entre les effets de la tentation et ceux de la maladie ; mais ce que je sais très-certainement, c'est que l'une et l'autre font partie du contre-poison et du remède que le Médecin des âmes tire de nos maux et de nos faiblesses. Ainsi abandonnez-vous à sa conduite, et dites souvent : Sana me, Domine, et sanabor (1): « Guérissez-moi, Seigneur, et je serai guérie ; » car c'est ainsi que s'achève la cure des âmes.

Au surplus je ne puis vous taire que j'ai dérobé Jouarre en le quittant. Devinez ce que j'en ai dérobé: c'est un écran, que j'ai trouvé si riche en belles et fines sentences, que j'ai voulu les avoir à Meaux devant les yeux : je dis fines, de cette bonne finesse que l'Evangile recommande. J'avais négligé cet écran, et il faut vous avouer que c'a été ma Sœur de Rodon qui m'a encore ici servi de conductrice : je ne puis m'empêcher de vous prier de lui en marquer ma reconnaissance ; sans elle j'aurais perdu ce trésor. J'aurai dorénavant les yeux plus ouverts à tous les objets qui se présenteront à Jouarre, et je croirai que tout y parle.

Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous, ma chère et première Fille.

 

LETTRE XVI.  A Meaux, ce 24 janvier 1691.

 

Le repos que je me suis donné m'a mis en état, ma chère Fille, de ne craindre, s'il plaît à Dieu, aucune suite du rhume qui commençait à m'incommoder. Je voudrais que vos maux fussent aussitôt guéris.

Il ne faut nullement douter que la tentation ne se mêle aux maux du corps, et surtout à ceux de cette nature qui portent au relâchement et au découragement. Gardez-vous bien de céder à

 

1 Jerem.,  XVII, 14.

 

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la peine que vous me marquer : au contraire ces répugnances à lire, à prier, à communier, vous doivent servir de raison à le faire plus promptement, persuadée que le sacrifice qu'il vous faudra faire en cela rendra ces actions plus agréables à Dieu et plus fructueuses pour vous. Votre soutien doit être dans ces paroles de saint Paul : En espérance contre l'espérance (1), et je vous les donne comme une espèce de devise dans le combat que vous avez à soutenir devant Dieu et devant ses anges. '

Les paroles de l'Ecriture, et surtout celles de l'Evangile où Jésus-Christ parle par lui-même, sont le vrai remède de l'âme ; et une partie de la cure des âmes consiste à les savoir appliquer à chaque mal et à chaque état. C'est là du moins tout ce que je sais en matière de direction, et il me semble qu'on s'en trouve bien. Vous pouvez reprendre de temps en temps le chapitre XII de saint Jean. En attendant que vous y reveniez, lisez le XIe de saint Matthieu, que vous pouvez conférer avec le xe de saint Luc, depuis le verset 17 jusqu'au 25 : vous y verrez la présomption et la hauteur d'esprit bien traitée.

Vous avez bien fait de vous dispenser de la lecture que je vous avais ordonnée, puisque vous aviez la fièvre; et en semblable occasion, il en faut toujours user de même. Il suffit dans ces états de rappeler doucement quelque parole de consolation, qui reviendra dans l'esprit sans lui faire de violence. J'espère que Dieu vous tirera de cet état. Ramez en attendant, comme nous disions ; mais ramez en disant toujours: Non est volentis neque currentis, sed Dei miserentis (2). « Cela ne dépend ni de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. » Et encore: « Opérez votre salut avec crainte et tremblement; car c'est Dieu qui opère en vous le vouloir et le faire (3). » Je désespérerais si je n'avais point un tel secours.

Je réponds par ordre à votre lettre, afin de ne rien oublier. La principale utilité que j'espère de la justification du malheureux la Vallée, c'est qu'il faudra qu'il s'en aille: au lieu qu'étant obligé de laisser aller les choses pour sa justification, le, retardement de cette affaire, à laquelle je suis comme engagé,

 

1 Rom., IV, 18. — 2 Ibid., IX, 16. —  3 Philip., II, 12, 13.

 

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est un prétexte pour le retenir. Je ne vous en dirai pas davantage sur les affaires : vous savez que j'y fais et que j'y ferai toujours, s'il plaît à Dieu, ce qu'il faut, avec toutes les réflexions utiles sur ce qu'on me dit : ainsi il faut continuer à me dire tout. Les sentences de l'écran m'ont beaucoup plu : elles ne me sont que plus agréables pour être des fleurs cueillies dans Jouarre même : mais si les vers français y sont nés aussi, c'est un talent que je n'y connaissais pas encore. Je crois avoir répondu à tout. J'ai honte d'avoir commencé par l'endroit qui devait avoir la dernière place ; mais votre lettre, que j'ai trop suivie en cela, en est cause.

In spem contra spem, c'est la devise des enfants de la promesse.

Je prie Dieu, ma chère Fille, qu'il soit avec vous.

 

LETTRE XVII.  A Paris, ce 29 janvier 1691.

 

Je n'ai point encore vu Madame de Jouarre. Nous ne saurions plus faire autre chose envers celles de nos Sœurs qui sont inquiètes, que de les aimer, les aider, les considérer, les laisser dire et faire tout ce qu'il faudra. Comment veut-on que je règle tout en pareil cas ? Je ne connais pas encore. En un mot, à qui n'a pas la foi, je ne ferais que perdre inutilement mes paroles; et pour vous qui l'avez, vous n'avez pas besoin de longs discours.

Pour ce qui regarde vos dispositions particulières, c'est, dans un état de ténèbres et de découragement, de se soutenir par la seule foi. Ce n'est pas ici un de ces maux dont le remède est présent, et ne dépend quelquefois que d'un seul mot, parce que les causes en sont connues et particulières : ici où le mal est universel, il n'y a que les remèdes généraux qu'on puisse employer : la foi, la persévérance, une perte de soi-même dans quelque chose de grand et de souverain, mais qui est encore obscur.

La fin en sera heureuse avec ces conditions : mais en ces états, il se faut bien donner de garde de vouloir trop voir ; Dieu vous repousse trop loin quand vous le voulez prévenir. Je puis seulement vous assurer que c'est ici le temps d'amasser et de recueillir : soit

 

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tentation, soit maladie, soit quelque autre chose que Dieu conduit secrètement ; c'est l'Epouse dans les trous de la caverne, avec les animaux qui fuient le jour, toujours prête à se réveiller à l'arrivée de l'Epoux et au premier son de sa voix (1). Il faut donc une attention toujours vive. Quand Dieu me donnera davantage, je serai fidèle à vous le rendre.

 

LETTRE XVIII (a).  A Versailles, ce 4 février 1691.

 

Votre lettre du 1er février me fut rendue hier, ma chère Fille. J'ai rendu (b) à M. le duc de Chevreuse celle que vous m'aviez envoyée pour lui.

Je pense vous avoir dit que ces peines dont vous me parlez, et qui entrent si avant dans cette disposition universelle de chagrin, ne doivent point vous troubler, et que ou il ne s'en faut point confesser du tout, ou il faut que ce soit très-rarement, et en termes très-généraux, pour s'humilier devant Dieu et devant les hommes. Pour ce qui est de ces chagrins, je soupçonne qu'il y a là beaucoup de vapeurs : Dieu et la tentation s'en servent chacun pour leurs fins. Dieu vous exerce, vous abaisse, vous subjugue, vous pousse à l'expérience et à la reconnaissance de votre impuissance propre, pour faire triompher dans votre cœur la toute-puissance de sa grâce. La tentation, au contraire, veut vous porter à la paresse et au découragement : n'en prenez que la vue de votre néant, et en même temps élevez-vous en espérance contre l'espérance. Ne vous étudiez pas à rechercher les causes de cette noirceur : quelle qu'en soit la cause, elle est également soumise à Dieu. Dans les temps que vous serez plus accablée, pratiquez bien cet abandon secret, qui ne vous laisse presque rien à faire ni à méditer. Quand vous aurez un peu de liberté, faites ce que dit l'apôtre saint Jacques (2) : priez dans la tristesse, psalmodiez dans une plus douce et plus tranquille disposition : pratiquez le chant

 

1 Cant., II, 14. —  2 Jac., v, 13.

(a) Revue sur l'original, qui se trouve à la bibliothèque du séminaire de Meaux. — (b) Les éditeurs ont imprimé : Remis. Nous ne notons pas les autres changements.

 

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intérieur, qui est un épanchement du cœur vers son Dieu et son Sauveur, en de saintes actions de grâces, comme l'enseigne saint Paul (1). Je vous donne pour cantiques les deux Benedic (2), que je vous prie de chanter : l'un, en l'appliquant à vous-même et aux immenses miséricordes que Dieu vous a faites ; l'autre, qui est le second, en pensant le moins que vous pourrez à vous-même attentive aux œuvres de Dieu, à celles de la nature pour venir à celles de la grâce, et célébrant en votre cœur l'immense et inépuisable profusion de ses grâces.

Je ne crois pas qu'on vienne à bout de justifier la Vallée. Il le faut faire.

M. de Poitiers n'est point mort, ni n'a point été malade. La première fois que je le verrai je lui parlerai ; et je chercherai même les moyens de lui faire parler, si je suis longtemps sans le voir. Je trouve juste l'inquiétude qu'on a à Jouarre, et il faut tâcher d'y mettre fin. Je ne comprends pas pourquoi Madame la prieure trouve qu'on a tort de m'avoir parlé. Il n'y a jamais d'inconvénient à me dire ses pensées. Je vous assure que les premières laissent aux autres tout leur poids. N'écoutez pas celles qui vous disent qu'il ne faut point tant communiquer ce qui se passe en nous : cela peut être vrai en quelques personnes, mais non pas en vous : assurez-vous-en, ma Fille, et continuez à l'ordinaire.

Je n'ai vu encore personne ; je ne retournerai pas sans cela. S'il est vrai qu'on ait un arrêt portant règlement en cas pareil, il n'y a qu'à me le montrer ; mais personne ne le connaît. Vous avez raison de prier Dieu pour moi, par rapport aux choses que vous me mandez, qui ont grand rapport à l'Eglise. Je vous manderai (a) ce qui me paraîtra le mériter. Je suis à vous, ma Fille, sincèrement et à Madame de Luynes.

Vous apprendrez de Madame et du mandement que j'enverrai au premier jour, que j'espère être à Jouarre le mercredi de la Pentecôte, pour la descente des saintes reliques.

 

1 Coloss., III, 16.  —  2 Psal.  CII et CIII.

(a) Les éditeurs : Je vous marquerai.

 

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 LETTRE XIX.  A Versailles, ce 7 février 1691.

 

Voilà, ma Fille, une lettre du P. abbé de la Trappe. Je n'ai point encore été à Paris, et il n'y a rien de nouveau dans les affaires.

Je prie continuellement Notre-Seigneur qu'il vous soulage et qu'il vous soutienne. Sana me, Domine, et sanabor (1): O Seigneur ! je ne veux de santé que celle que vous donnez ; je ne puis ni je ne veux guérir que par vous.

 

LETTRE XX.  A Paris, ce 8 mars 1691.

 

A ce jour, où commença la délivrance, lisez, ma Fille, les sacrés cantiques que l'on chanta dans le temple à son renouvellement. Ce furent les psaumes Graduels, qui commencent, comme vous savez, après le CXVIII. Celui-ci était destiné à chanter les ineffables douceurs de la loi de Dieu. Depuis le CXIX jusqu'au CXXXIII le peuple, qui voit rebâtir le temple sacré où la loi était mise en dépôt, s'épanche en actions de grâces, et exprime tous les sentiments qu'inspire tantôt une sainte joie dans le commencement de l'ouvrage, tantôt une secrète douleur des difficultés qui en causaient le retardement.

Chantez ces cantiques, ma Fille, chantez-les sur les degrés du temple ; chantez-les en vous élevant au comble du saint amour, dont votre cœur fut touché, lorsque remplie du dégoût du siècle vous offrîtes à Dieu le sacrifice de vos cheveux pour vous engager à le suivre. Collez-vous à ses pieds avec la sainte Pécheresse ; et après lui avoir donné vos cheveux d'une autre manière, répandez-y vos parfums, c'est-à-dire de saintes louanges, et baignez- les de vos larmes.

Je rends grâces à Notre-Seigneur de ce qu'il a adouci vos peines du côté qui me paraissait le plus fâcheux. Ne soyez point en peine des discours que me pourra faire M. Gérard. J'approuve vos

 

1 Jerem.,  XVII, 14.

 

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sentiments et votre conduite, et n'entrerai dans aucun détail. Le bruit s'augmente du dessein qu'on a de se démettre. Je ne doute point du tout qu'il n'y ait des mesures prises avec Madame de Soubise du côté de Madame de Jouarre. Je persiste à dire que je ne veux apporter aucun obstacle à l'absolution de la Vallée, pourvu qu'il soit à cent lieues d'ici. Je suis à vous, ma très-chère Fille, de tout mon cœur.

 

LETTRE XXI. A Meaux, ce 8 avril 1691.

 

J'ai été bien aise, ma chère Fille, de voir dans votre lettre quelque chose qui me marque un plus grand calme. Vous pouvez, sans vous opposer aux desseins de Dieu, souhaiter que vos peines cessent, et reconnaître la grâce de Dieu et une grande miséricorde, en vous mettant sous la conduite particulière de votre évêque, à qui il inspire dans le même temps un infatigable désir de vous faire marcher dans ses voies.

Il est vrai sur le sujet des capucins, que je ne voudrais pas qu'on en fit un ordinaire : mais il est vrai aussi que je n'ai pas cru qu'on dût révoquer leurs pouvoirs, et on y peut aller tant qu'il n'y a point de révocation. Au surplus je serai très-aise qu'on s'en tienne, autant qu'on pourra, aux confesseurs ordinaires. Je ne change pourtant rien à cet égard à votre conduite particulière, et je vous laisse entièrement à votre liberté.

Je crois que je trouverai parmi mes papiers une copie de ma lettre à Madame la prieure. On n'excommunie pas comme cela par lettres. Mais en serait-on quitte pour tenir une lettre bien cachetée? Vous pouvez vous assurer, ma Fille, que je vous offrirai à Dieu très-particulièrement durant ces saints jours.

Ne pourriez-vous point dire confidemment à Madame de Giri, que je vous ai priée de la faire souvenir de la promesse qu'elle m'a déjà faite, de se défaire promptement de ce chien qui importune la communauté.

 

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LETTRE XXII (a).  A Meaux, ce 10 avril  1691.

 

Vous avez très-bien résolu le cas de conscience : il n'y a nul doute que la permission de l'évêque ne suffise pour autoriser un confesseur, quelque contradiction qu'une abbesse y puisse apporter ; cela n'a aucune difficulté.

Vous verrez dans la lettre à Madame votre sœur, ce que je mande pour la prière. Que deviendrait le saint homme Job, si les maladies et les peines étaient des marques du courroux de Dieu ? C'était l'erreur des amis de ce saint homme ; Jésus-Christ les a réfutés par sa croix. Au contraire les tentations et les souffrances sont la marque de la volonté de Dieu, et seront pour nous des sources de grâces.

Notre-Seigneur soit avec vous, ma Fille.

 

LETTRE XXIII.  Sur la fin du carême de cette année.

 

Vous ne devez point appréhender que vos peines me rebutent : elles ont quelque chose de fort caché ; mais cela même m'encourage, parce que l'œuvre de Dieu, qui est la sanctification des âmes, doit être conduite parmi les ténèbres et dans un esprit de foi et d'abandon, tant du côté des directeurs que de celui des pénitents. Allez donc de foi en foi, et en espérance contre l'espérance.

 

LETTRE XXIV.  A Meaux, ce 28 avril 1691.

 

Ils loueront, parce qu'ils aimeront; et ils aimeront, parce qu'ils verront. C'est ce que dit saint Augustin, et c'est la source de cet éternel Alléluia, qui retentit du ciel jusqu'à la terre, par l'écoulement qui se fait, en nous de la joie du ciel, dont notre foi et notre espérance renferment un commencement : c'est aussi

 

(a) Revue sur l'original.

 

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pour cette raison que saint Paul nous avertit si souvent que nous devons être en joie. Il n'est pas nécessaire que cette joie soit sensible; elle est souvent renfermée dans des actes imperceptibles aux sens.

Le simple abandon en Dieu est pour vous une des meilleures pratiques, en récitant l'Office divin. On ne fait que se tourmenter vainement la tête, en s'efforçant en certains états de faire des actes contraires à ce que la tentation nous demande. Un simple regard à Dieu, et laisser passer avec le moins d'attention qu'on peut à ces peines, c'est le mieux pour vous.

Ce que l'on commence par l'ordre de Dieu, comme de se confier à son évêque et de se soumettre à sa conduite, doit être suivi persévéramment ; et les peines qui naissent de là sont une marque de la tentation, qui voudrait bien s'y opposer. Une douce et constante persévérance vaut mieux eu ce cas, que de se tuer à faire des actes pour combattre ces peines.

Nous pourrons parler à fond de vos vœux (a) à la première entrevue : je pense même que nous en avons déjà parlé beaucoup. Je les suspens tous jusqu'à ce que j'en sois informé, et alors il y a beaucoup d'apparence que je vous en déchargerai tout à fait. Je vous laisse celui qui me regarde, et vous savez que je l'ai accepté.

La confession annuelle est déterminée par l'usage au temps de Pâques. Je la crois d'obligation pour tout le monde, à cause de l'exemple, quoique l'intention de l'Eglise ne soit pas qu'on la fasse pour des péchés véniels, qu'on n'est pas obligé de confesser. Mais comme on ne sait si précisément la nature et le poids des péchés, il s'en faut toujours décharger eu recourant aux Clefs de l'Eglise.

Je prie, ma Fille, Notre-Seigneur qu'il soit avec vous. Je salue ces Dames, dont les noms sont devant mes yeux par votre lettre.

 

(a) Des vœux particuliers , non des vœux solennels déjà prononcés par Madame d'Albert de Luynes.

 

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LETTRE XXV.  A Meaux, ce 13 mai 1691.

 

Quand je reçus la lettre où vous me demandiez quelque chose pour le 8 de septembre, ce jour était passé. J'ai fait aujourd'hui ce que vous souhaitiez pour ce jour-là, et écoutant Dieu pour vous, il ne m'est venu que ces deux grands mots : Votre volonté soit faite (1) ; et : Il fera la volonté de ceux qui le craignent (2).

J'ai fait à M. de la Trappe la prière que vous souhaitiez ; mais assurez-vous que Dieu demande de vous un grand abandon. Je prie Dieu, ma chère Fille, qu'il soit avec vous.

 

Qu'on redouble secrètement les prières pour les affaires de Jouarre : avertissez nos chères Filles, à qui je me recommande de tout mon cœur. Je ne pourrai point vous voir à l'Ascension, et le bien des affaires demande que je sois où les grandes affaires se traitent. Consolez nos Filles, et assurez-les que ma bonne volonté est entière.

Encouragez, je vous en conjure, Madame de Lusanci ; exhortez-la à avoir un peu de patience. Je connais son obéissance et son zèle : Dieu la récompensera du sacrifice qu'elle fait de son repos au bien commun. Je prie Dieu que sa santé n'en souffre point ; je sais que le courage ne lui manque pas.

 

LETTRE XXVI. Ce 8 mai 1691.

 

Je vous exhorte, ma chère Fille, à demander à Dieu cette joie du Saint-Esprit, qui est tant recommandée dans les saints Livres. Comme elle est, selon saint Paul (3), au-dessus des sens, elle n'est pas toujours sensible : mais soit qu'elle se déclare, soit qu'elle se renferme au dedans, c'est le seul remède à ces chagrins désolants. Elle viendra, et nous la verrons quelque jour sortir de ces

 

1 Matth., VI, 10. — 2 Psal., CXLIV, 19. — 3 Philip., IV, 7.

 

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ténèbres, par la vertu de celui qui dès l'origine du monde fit sortir et éclater la lumière du sein du chaos et du néant. Amen, amen.

 

LETTRE XXVII.  A Meaux , ce 3 juin 1691.

 

Les affaires de l'ordination de samedi prochain me tenant continuellement occupé dans les premiers jours de cette semaine, il n'est pas possible, ma Fille, que j'aille passer dans ces entrefaites un jour entier, comme je me l'étais proposé; et tout ce que je pourrai, c'est d'y aller vendredi matin de la Ferté-sous-Jouarre, où j'irai coucher jeudi, et de revenir ici vendredi soir, sans préjudice d'une autre plus longue visite.

Je suis très-persuadé des bons sentiments de toutes celles que vous me nommez, et en particulier de Madame du Mans. J'écris à Madame votre sœur : j'écris aussi à Mesdames de la Grange et Renard, qui m'ont écrit.

Sur le cas de conscience que vous me proposez, je crois qu'il faut user de distinction. Si la permission du supérieur est restreinte à une certaine action, il n'est pas permis de passer outre. Si c'est une simple permission d'entrer indéfiniment, le supérieur est censé accorder la vue des lieux, pour en user néanmoins avec circonspection, et sans troubler le repos et le silence des communautés.

Je n'ai nulle peine sur les consultations que quand on recommence la même chose, parce que outre le temps que cela fait perdre, c'est un effet d'une inquiétude qu'il ne faut pas entretenir. Mais quand on est en doute si on a consulté, ou si la réponse est précise, ou qu'il y ait quelque nouvelle circonstance, il n'y a nulle difficulté qu'il ne faille consulter de nouveau. Vous me demandez franchement ma pensée, et moi je vous la dis avec la même franchise.

Pour le fait particulier de l'entrée à l'occasion des saintes reliques, en attendant qu'on y ait pourvu, je vous permets de conduire celles que vous trouverez à propos où vous voudrez, avec toutes les convenances nécessaires. Je ne crois pas même que les

 

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autres religieuses, ni les personnes qu'elles conduiront, encourent aucune peine , à cause que c'est une coutume que jusqu'ici les supérieurs semblent avoir tolérée, puisqu'ils ne l'ont pas contredite la sachant.

Je vous donne aussi les permissions que je vous avais permis de recevoir de Madame de Lusanci.

Vous m'aviez dit qu'on proposait Madame de Goussault poar remplir la place de prieure ; mais je ne me souviens pas que vous m'eussiez dit que la chose fût faite. Ce choix est bon, et je voudrais qu'on en fît toujours de semblables. Je vous prie de lui dire que j'aurai de la joie de la voir au premier voyage de Jouarre.

Je ne suis engagé à rien pour le congé de Madame l'abbesse. Nous pourrons parler vendredi de ce que vous aurez appris sur ce sujet-là.

Je vous ai offerte à Dieu tous ces saints jours, et je continuerai toute la semaine avec une application particulière.

 

LETTRE XXVIII. A Germigny, ce 13 juin 1691.

 

Sur votre lettre du 11, j'ai su la mort des deux Sœurs, et je les ai déjà recommandées à Notre-Seigneur.

Je n'ai dit qu'en riant que je ne voulais plus recevoir d'avis. Il y avait pourtant là quelque chose de sérieux ; et il est vrai qu'il ne convient pas qu'on m'en donne par inquiétude, par doute ou par présomption ; mais m'avertir pour m'instruire ou pour me faire souvenir, non-seulement vous, ma Fille, mais toutes le peuvent.

Je n'ai pas eu le loisir de conférer votre version avec l'original : il eût fallu pour cela être ici un peu plus longtemps et en liberté ; ce qui se pourra faire en un autre temps.

La foi explicite de certains articles est nécessaire, mais non en tout temps ; et très-souvent il est mieux de se contenter simplement d'un acte de soumission envers l'Eglise : ce qui a lieu principalement dans les états de peine et de tentation comme le vôtre.

 

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Je donnerai, quand vous voudrez, une ample audience sur toutes vos difficultés à Madame votre sœur et à vous.

Il y a beaucoup d'apparence que mon retour à Paris sera trop pressé, pour me laisser le loisir de retourner à Jouarre avant mon départ.

L'office pontifical que vous souhaitez se fera, s'il plaît à Dieu, et le plus tôt qu'il sera possible.

Nous sommes débiteurs à tout le monde, disait saint Paul, et jusqu'aux petits et aux insensés (1). Ceux qui croient qu'il est au-dessous du ministère épiscopal de s'occuper avec prudence à la direction, ne songent guère aux paroles et aux soins d'un si grand Apôtre.

M. de la Trappe m'a fait réponse sur la demande que vous lui faisiez par mon entremise, et m'a promis d'y satisfaire : mais il conclut comme moi que, quoi qu'il en coûte, il faut se soumettre à la volonté de Dieu aveuglément, et consentir en tout à ce qu'il ordonne.

La première fois que j'irai à Sainte-Marie, je me souviendrai, s'il plaît à Dieu, de Madame de Harlay, et de ma Sœur Catherine Eugénie.

Sur la lettre du 12, je rends grâces à toutes celles que vous me nommez.

Je vous envoie copie de la lettre que j'ai écrite à Port-Royal (a) : vous y verrez ce que je dis sur l'arrêt ; c'est la vérité. Vous pouvez montrer cette lettre à Madame de Lusanci et à quelques autres bien affidées, même en retenir une copie en me renvoyant la mienne dont j'ai besoin; mais que cela n'aille qu'à peu de personnes.

Il n'y a nul péril à me mander tout : ce à quoi je ne dirai rien, doit passer pour peu important dans mon opinion.

Les ressentiments de Madame de Jouarre sont une marque de faiblesse, dont je suis fâché pour l'amour de celles qui ont à les souffrir, mais beaucoup plus par rapport à elle.

Je salue Madame de Luynes, et suis à vous de tout mon cœur.

 

1 Rom., I, 14.

(a) Port-Royal de Paris, où l'abbesse de Jouarre était retirée.

 

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LETTRE XXIX.  A Meaux, ce 18 juin 1691.

 

J'ai répondu, ma Fille, à Madame de Lusanci, sur son cas de conscience : vous pourrez apprendre d'elle ma résolution, et le reste de ce qui se passe.

Pour votre difficulté, elle est nulle, et il n'y a qu'à continuer à communier avec une pleine confiance, sans même s'embarrasser de ces péchés oubliés qui se pourraient présenter: car dès qu'on a eu intention de les confesser, ils sont pardonnes avec les autres; et il ne faut point apporter à la communion de ces retours inquiets, qui empêchent la dilatation du cœur envers Jésus-Christ ; ce qui a lieu principalement à l'égard de ceux qui sont sujets à se faire des peines. Ainsi je vous défends d'avoir égard à ces sortes de craintes ; et entendez toujours, quand je vous décide quelque chose, que je vous défends le contraire.

Les prières que je conseille de faire pour le bien de la maison, sont les psaumes l et ci, où l'on demande sous la figure du rétablissement de Jérusalem celui de toutes les maisons consacrées à Dieu. J'y ajouterais les litanies, en y joignant en particulier, avec les Saints de l'ordre, celui des Saints et des Saintes dont les reliques reposent à Jouarre, et surtout des saintes abbesses et des saintes religieuses, et des saints évêques sous qui cette maison a fleuri, particulièrement saint Ebrigisille, que le monastère a toujours vénéré comme son pasteur, sans oublier saint Faron, sous qui le saint monastère a été construit.

Ce que j'ai mandé pour ma Sœur de Baradat, peut avoir lieu pour ma Sœur Faure, supposé que la communauté en soit également satisfaite. Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous.

 

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LETTRE XXX (a).   A Germigny, ce 28 juin 1691.

 

Vous ne devez point douter, ma Fille, que je n'étende les défenses que je vous ai faites à toutes les choses que je vous ai décidées. En effet ce serait une erreur de croire que les maux que Dieu envoie, de quelque nature qu'ils soient, doivent toujours être pris pour des coups d'une main irritée : et en votre particulier, je vous assure que c'est ici plutôt une épreuve d'un père que la rigueur d'un juge implacable. Soumettez-vous à cette médecine spirituelle que Dieu emploie à guérir les maux de nos âmes, lui qui en connaît si bien et la malignité et les remèdes. Souvenez-vous de cette parole : « Approchez-vous de Dieu, et il s'approchera de vous : résistez au diable et il prendra la fuite (1) : » c'est saint Jacques qui nous le dit. J'ajoute : Cessez de l'écouter, et bientôt il ne parlera plus. La fréquentation des sacrements est un excellent moyen pour l'abattre et pour vous soutenir.

Ma Sœur Cornuau peut vous communiquer ce que Dieu m'a quelquefois donné pour elle, sur quelques passages de l'Ecriture dont elle m'a demandé l'explication.

Quanta ce que vous dites que je vous ai dit (b) sur la liaison inséparable de la confiance et de l'amour, je voudrais bien pouvoir vous satisfaire en vous le redisant ; mais je vous assure, ma Fille, que je ne me souviens jamais de telles choses. Je reçois dans le moment, et je donne aussi dans le moment ce que je reçois. Le fond demeure; mais pour les manières il ne m'en reste rien du tout. Il ne m'est même pas libre de les reprendre ni d'y retourner : et quant à présent, je ne pour rois pas vous dire autre chose que ce que vous avez si bien répété : Qu'on ne se fie point sans aimer, ni qu'on n'aime point sans que le cœur s'ouvre à ce qu'il aime, et s'appuie dessus. C'est pourquoi saint Jean, le docteur du saint amour, dit que l'amour parfait bannit la crainte (2) ; et David a chanté : Je

 

1 Jac, IV, 8, 7. — 2 I Joan., IV, 18.

(a) Revue sur l'original, qui se trouve à la bibliothèque du séminaire de Meaux. — (b) Les éditeurs : Quant à ce que vous me rappelez que je vous ai dit.

 

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vous aimerai, mon Seigneur, ma force, ma retraite, mon refuge, mon appui, et en un mot, selon l'original, mon rocher (1).

 

LETTRE XXXI.  A Germigny, ce 30 juin 1691.

 

La peine que j'ai d'accorder tant de confesseurs, ne regarde pas Madame Renard en particulier, ni même, à vrai dire, personne dans l'état de défiance où l'on est. Loin de révoquer la permission du P. Claude, je la confirme de nouveau par une lettre que j'en écris à Madame la prieure.

Je connais bien les dispositions de M. Girard : elles sont bonnes dans le fond ; mais il faudra tempérer beaucoup de choses à l'extérieur : pour l'intérieur, je n'en juge pas, et je suis fort sobre sur cela en ce qui touche la confession. Je tache pourtant de remarquer tout, et de donner des avis proportionnés aux besoins et aux temps.

Je ne sais rien des dispositions présentes de Madame de Jouarre : mais ce qu'on me dit de Madame de *** est bien contraire à ce qu'on vous en écrit : je n'en sais rien d'assuré. Quoique Madame ***, qui en paraît fort contente, s'en soit expliquée en termes très-forts, le témoignage d'une tante n'ôte pas tout doute.

Vous me ferez plaisir, ma Fille, d'écrire au P. Toquet ce que vous me marquez pour lui. Quand M. le cardinal de Bouillon sera de retour, je tâcherai de le rapprocher.

Il est certain, dans le cas que vous proposez, qu'on n'est point obligé de se déclarer, et même qu'on ne le peut pas en conscience, ni rien faire qui tende à cela, mais seulement par voies indirectes procurer du soulagement à celle qui est soupçonnée, avec discrétion.

Je ne changerai rien sur les confesseurs, quoique à vous parler franchement et entre nous, M. le *** me paraisse assez incapable. Je n'irai point vite en tout cela, et j'aurai tout l'égard possible pour celles qui s'y confessent, surtout comme vous

 

1 Psal., XVII, 1, 2.

 

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pouvez croire, pour Madame de Luynes, dont je connais la vertu.

Je pourrai adresser les lettres par ma Sœur Cornuau, qui sera très-aise de rendre ce service à la maison et à moi.

Mon départ est toujours pour lundi, s'il plaît à Dieu. Vous n'aurez pas sitôt des nouvelles des affaires de Jouarre, parce que j'irai à Versailles dès le lendemain matin, s'il plaît à Dieu.

Je prie Dieu, ma Fille, qu'il soit avec vous.

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