Luynes CCXLIV
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LETTRE CCXLIV. A Meaux, ce 16 décembre 1695;

 

J'ai pourtant toujours le même cœur. Il ne faut, ma Fille, attribuer mon silence qu'au peu de loisir. N'ayez point de regret d'être demeurée : je suis à vous et à Jouarre autant que jamais. Je vous verrai assurément après la fête, s'il plaît à Dieu : je

 

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souhaite que vous la passiez saintement. Dans quelle troupe des adorateurs voulez-vous que je vous mette? De celle des anges, ou de celle des bergers? Votre état vous appelle aux premiers : dites donc avec ces esprits célestes votre Gloria in excelsis. La simplicité des bergers vous tend les bras : allez avec zèle, et retournez avec joie en glorifiant Dieu dans la compagnie des autres.

J'ai vu Madame de Chevreuse, et nous avons tout traité à fond : j'ai vu aussi le P. Moret. J'ai dit tout ce qu'il fallait, et à qui il fallait. Sur ce qu'on a dit de Madame votre sœur et de vous, nous en parlerons. Cette lettre n'est que pour vous dire que j'arrive.

Je ne me souviens point d'avoir reçu de lettre de Madame de Lusanci qui demandât réponse, depuis une à laquelle j'ai assurément répondu, et qui en attendait d'elle une seconde sur le sujet de Madame sa nièce. Je vous prie de lui donner avis de ce messager, afin qu'elle ne perde pas cette occasion de me faire savoir ce qu'il lui plaira. Il me semble que c'est vous qui m'avez écrit que Mademoiselle de Soubise avait été attaquée de ce mal presque universel à Jouarre : je l'ai bien recommandée à Notre-Seigneur. J'aurai tout l'égard possible à Jouarre dans la capitation : nous serons tous accablés, et il faudra porter notre mal avec patience. Je suis à vous de tout mon cœur.

J. Bénigne, Ev. de Meaux.

P. S. Voici le principal : continuez vos communions malgré, tout ce que vous dites de vos infidélités. Dieu est fidèle et bon, c'est assez.

 

LETTRE CCXLV.  A Meaux, ce 20 décembre 1695.

 

J'écris à ma Sœur Cornuau, dont la lettre presse. Je n'ai pas le loisir de chercher celle de Madame de Lusanci. J'ouvre, et lis d'abord toutes les lettres; j'en brûle quelquefois, et ce sont celles qui ne demandent point de réponse : les autres entrent dans des porte-feuilles, avec lesquels elles me suivent partout, et je n'en laisse jamais au lieu d'où je pars. Je prendrai le premier temps libre pour y repasser, les revoir, et faire réponse.

 

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Suivez vos attraits sans crainte dans chaque moment, et ne vous arrêtez point à M. Nicole, qui a ses manières de s'expliquer, où vous n'êtes point obligée d'entrer. Je travaille sans relâche ; c'est tout ce que je puis dire.

La meilleure disposition pour recevoir la confirmation, est toujours de la regarder comme le remède à la persécution que le monde fait sans cesse aux enfants de Dieu, par ses exemples pervers et surtout par ses coutumes et ses maximes tyranniques et corrompues, qui entraînent les âmes faibles, c'est-à-dire la plupart de celles qui vivent au milieu du monde. Cette tyrannie s'étend jusque dans la maison de Dieu, où quelquefois l'on n'ose pas même pratiquer ce qui est parfait ; tant la coutume s'oppose à la vérité.

Vous recevrez de Madame votre abbesse les ordres pour les pensionnaires qui devront être confirmées.

Il est vrai qu'on a dit au roi ce que vous avez su ; mais cela n'avait rien de commun avec Villarseaux: ce sont de vieilles impressions de Port-Royal, dont on a peine à revenir ; mais qui, Dieu merci, ne font aucun mal, si ce n'est de retarder le cours des grâces de la Cour, ce qui est souvent un avancement de celles de Dieu. Je n'ai pas le temps d'en dire davantage: je crois que je vous verrai avant la Circoncision. Dieu soit avec vous.

 

LETTRE CCXLVI. A Paris, ce mercredi, à la fin de 169a.

 

Je me suis bien souvenu, ma Fille, de l'état que vous m'aviez représenté : j'ai même trouvé la lettre. Je me suis souvenu aussi que déjà jusqu'à deux fois vous avez eu de pareilles dispositions, et cela revenait par intervalle, mais faibles d'abord à comparaison de celles-ci et peu durables : ainsi cet état ne m'a point surpris ; vous y pouvez marcher sans crainte. Il ne faut point que mon livre vous en rebute : il est fait pour empêcher que l'on en abuse ; mais on ne peut pas empêcher Dieu de tirer les âmes à lui par les voies qu'il veut.

Je vous dirai, comme disait saint François de Sales: Soyez

 

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active, passive ou patiente, comme Dieu voudra. Ce qu'on appelle cessation d'actes n'est après tout qu'une concentration des actes au dedans. Laissez-vous conduire à Dieu. Tant que je ne vous verrai point indifférente à la damnation, vous ne serez point du nombre des quiétistes que je réprouve. Du reste l'oraison de quiétude est une oraison en soi vraiment divine ; et vous savez bien que loin de la rejeter, j'en ai donné les principes dans les livres VII et VIII. Vivez donc en paix. Notre-Seigneur soit avec vous à jamais.

 

LETTRE CCXLVII. A Meaux, ce 2 janvier 1696.

 

Vous avez bien fait, ma Fille, d'accepter l'emploi qu'on vous a donné, et vous le devez continuer tant que voire santé n'en sera point incommodée. L'amour de la retraite est quelquefois dans le cœur sans être sensible, et alors il n'en vaut que mieux, parce que c'est une partie de la retraite que la volonté soit si fort en elle-même, et l’âme dans un si grand recueillement que les sens n'y entrent point. Si on vous eût donné les novices, il eût fallu accepter avec soumission : maintenant tenez-vous en repos.

Il n'y a rien eu dans le fond en l'affaire de Villarseaux, qui doive peiner votre conscience. Si vous n'avez pas agi dans tout le degré de perfection que Dieu demandait, c'est que vous êtes une créature faible et pécheresse ; et il n'y a point à s'en étonner. Humiliez-vous ; ne vous découragez pas, et n'y pensez plus. Quand vous avez agi et parlé dans les moments selon les mouvements de la conscience, ne vous inquiétez plus : l'amour-propre, que vous craignez tant, excite ces inquiétudes, et veut être trop assuré d'avoir bien fait : mais la vraie charité abandonne tout à Dieu.

Pour ce qui est des entretiens sur le sujet du prochain et de ses défauts, la règle certaine est de n'en parler qu'à ceux à qui il est utile de le faire, ou pour leur faire connaître une vérité par un exemple, ou pour aviser avec eux aux moyens de corriger ceux qui manquent, quand leur avis y peut être utile.

La règle de saint Augustin sur le désir qu'on soit content de nous, est bonne et très-suffisante. C'est une espèce d'amour-propre

 

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de tant raisonner sur l’amour-propre. L'amour-propre veut paraître éclairé sur la découverte qu'on fait des vices de l’amour-propre, où il trouve une pénétration qui le satisfait. J'aime mieux une espèce d'oubli de soi-même que la déploration des fautes de son amour-propre, et cet oubli ne nous vient que lorsqu'on est plein de Dieu.

Je ne conviens point du tout qu'on ne puisse pas, quand la prudence et la nécessité le demandent, faire des actions d'où il arrive que le prochain soit trompé ; par exemple, une fausse marche pour se dérober à l'ennemi. Si le prochain est trompé, alors c'est sa faute. Pourquoi précipite-t-il son jugement? Que ne veille-t-il si c'est un bien? Pourquoi est-il injuste si c'est un mal? Pourquoi est-il curieux, et veut-il savoir ce qui ne lui convient pas ? Vous n'êtes pas obligée de lui découvrir votre secret ou celui de vos amis. Que ne se tient-il dans ses bornes? A la vérité je ne voudrais pas faire finesse de tout, ni se déguiser à tout moment ; car c'est prendre un esprit artificieux : mais quand il y a raison et nécessité, je n'hésiterai pas à aller d'un côté où je ne veux pas continuer d'aller, à prendre un habit qui me fasse méconnaître, et à éluder la poursuite d'un ennemi. Il n'en est pas de cela comme de la parole, qui est l'expression naturelle de la pensée, et ne lui doit jamais être contraire. Les autres signes sont équivoques; et pour la parole même, on peut substituer des expressions générales à des expressions précises. Ce n'est point tromper le prochain ; et s'il se trompe en précipitant son jugement, c'est sa faute, et non pas la vôtre. Les auteurs que vous m'alléguez outrent la matière: saint Augustin l'a poussée jusqu'où il fallait aller, et il n'en faut pas davantage. Quelqu'un s'est-il avisé de blâmer ce chrétien (a) qui prit l'habit d'une fille, ni la fille qui prit l'habit de ce jeune chrétien? Néanmoins ils trompaient l'attente des brutaux, qui espéraient toute autre chose que ce qu'ils trouvèrent. Il faut aimer la vérité; mais la vérité elle-même veut

 

(a) Il se nommait Didyme, et la fille Théodore : il lui donna son habit et prit le sien, pour la faire évader du mauvais lieu où elle avait été conduite par ordre du juge, et où sa pudeur courait les plus grands risques. Voyez les actes de cette histoire dans Bollandus et dans les Actes des Martyrs de dom Ruinart. (Les premiers éditeurs.)

 

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qu'on la cache par des moyens innocents à ceux qui en abusent, et à qui elle nuit.

Vos sentiments sont justes sur les écrits des païens et des écrivains profanes. A force de craindre l'orgueil dans la lecture des grands ouvrages des saints, on en viendrait à le craindre encore dans la lecture de l'Ecriture et des paroles de Jésus-Christ. Il faut marcher en simplicité. Il y a quelquefois un grand orgueil à craindre tant l'orgueil : il se faut familiariser avec son néant; et quand après on s'élève, c'est sans sortir de ce fond.

Madame de Sainte-Gertrude entre dans de bons sentiments.

Il est vrai qu'il y a des états fort conformes à celui des âmes du Purgatoire, et Dieu y jette certaines âmes : il l'en faut louer. Saint François de Sales tenait pour indifférent de faire les choses avec attrait ou sans attrait. Il y a toujours un attrait caché qui se fait suivre : le tout est d'aimer, c'est-à-dire de se conformer à la volonté de Dieu. Aimer Dieu sans savoir pourquoi, ou plutôt sans sentir pourquoi et sans le savoir distinctement, est un bel amour. J'approuve fort le passage qui transporte notre cœur de l'amour du corps naturel de Jésus-Christ à l'amour de son corps mystique.

La pensée de saint Bernard est ravissante. Le goût que sainte Catherine de Gènes trouve si mauvais, est un goût qui en s’occupant de soi-même, nous désoccupe de Dieu. Cette Sainte est toute pleine du vrai goût de Dieu : mais Dieu qui le lui donnait lui apprenait à s'en détacher, c'est-à-dire à n'y mettre pas sa félicité, mais en Dieu. Ces raffinements sont bien délicats; et quoique Dieu les inspire à certaines âmes, celles qui prennent bonnement et plus simplement les choses ne valent pas moins. En général, on peut dire que les goûts purement sensibles sont bien dangereux : mais quand le goût se trouve dans l'endroit où se trouve aussi la vérité, il est bon et désirable, et il ne faut pas s'en défier.

Je suis revenu en bonne santé, puisque vous voulez le savoir. Je ne prévois point d'affaire qui empêche mon retour au commencement du carême. Je n'ai point encore marqué le jour du départ; mais il sera dans peu. Je trouve très-bon que vous fassiez des traductions : cela ne

 

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vous retirera point de l'esprit d'oraison, non plus que l'emploi où l'obéissance vous engage, et où je vous en donne le mérite. Je salue Madame de Luynes. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE CCXLVIII. A Meaux, ce 6 janvier 1696.

 

Je ne puis absolument excuser de quelque péché ces conversations sans nécessité sur les défauts du prochain, quand on ne les mettrait qu'au rang des paroles inutiles : mais ces péchés ne sont pas d'une nature à annuler les confessions ; et il suffit en général de vouloir toujours mieux faire, et ne cesser jamais de se corriger. Tenez-vous-en là, sans questionner davantage. Car, ma Fille, il ne faut pas que la vérité vous soit un piège pour réveiller vos scrupules. Il se peut même qu'il y ait plus de nécessité qu'on ne pense à s'entretenir un peu des choses où l'on doit prendre un intérêt commun, et où il faut savoir les sentiments des autres. Tout cela se doit prendre bonnement; et le scrupule est un plus grand mal que ce mal-là, quel qu'il soit. En voilà assez pour vous calmer pour tout le reste de vos jours.

Il est impossible de rien décider sur les réceptions sans voir les choses soi-même : tout dépend des circonstances particulières qu'on ne peut voir que de près. Mettez-vous donc devant Dieu ; pesez tout, en sa présence, et faites sans scrupule ce qui vous paraîtra le meilleur. Je vous dirai en général que le seul soupçon ne suffit pas pour exclure ; mais qu'il faut qu'il soit fondé sur des faits, ou sur une exquise connaissance de l'humeur de la personne dont il s'agit.

Vous n'avez pas eu raison en ces matières de déférer à ce qu'on vous a dit que j'approuvais. J'approuve tout en général : en particulier, je n'approuve ni n'improuve ; mais je laisse agir chacun selon ses lumières. Il en est de même du choix de Madame de Saint-M***.  Je crois qu'elle a de la bonne volonté ; mais je connais bien qu'elle aurait besoin elle-même d'un bon noviciat, que Dieu peut-être lui fera faire avec celles qu'elle conduira. Je crois qu'en

 

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lui parlant avec charité et sans prendre aucun avantage, on lui peut être fort utile.

J'ai toujours trouvé les communautés trop délicates sur les avertissements généraux. Je ne me serais pas aisément résolu à parler aux particulières, qui souvent rapportent mal ce qu'on leur dit. Il vaut bien mieux parler franchement, puisqu'aussi bien tout se dit, et qu'on sache ce que vous pensez.

Je ne sais si l'on a ici le 1raité de la Communion sous les deux espèces; il faudra s'en souvenir à Paris.

J'avoue que les novices ne doivent point avoir un esprit plaintif : mais aussi il faut avouer que quand tant de gens leur parlent et les reprennent, il est naturel que ne sachant plus par ce moyen à quoi s'en tenir, elles souhaitent de sortir de cet embarras. Ce serait un raisonnement bien creux et bien détourné, que d'aller fonder sur cela une exclusion.

J'ai lu la lettre que Madame de Harlay voulait que je visse, et j'en avais déjà vu autant en d'autres mains. Ne diminuez point vos communions ; mais au contraire plus on vous occupe au dehors, plus vous devez au dedans chercher Jésus-Christ avec toute l'avidité d'un cœur affamé. Si vous aimez la vérité, la vérité vous délivrera, et vous serez vraiment libre. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE CCXLIX. A Paris, ce 25 janvier 1696,

 

Je commence, ma Fille, par me réjouir rie votre meilleure disposition. J'espère que Dieu me fera la grâce, si je suis au monde, de vous introduire à la porte du ciel.

Pour réparer toutes vos fautes dans votre maladie, priez Dieu qu'il vous fasse la grâce, non de sentir ou d'apercevoir votre soumission et conformité aux ordres de Dieu, mais de l'avoir en effet. Aimez Dieu plutôt que de vous inquiéter si vous l'aimez ; et réparez le défaut d'aimer, en aimant plutôt qu'en vous affligeant de ne pas aimer. Demeurez ferme à ne vous confesser pas de ces peines, fussiez-vous aux portes de la mort. Tout est assuré pour vous, si

 

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vous conservez la confiance absolue en la divine miséricorde. Laissez-vous sauver par pure grâce. Communiez le plus tôt que vous pourrez.

Vous me faites une agréable peinture de l'endroit de l'infirmerie où vous étiez. Je suis bien content de votre infirmière, et de ce que vous l'êtes. Je suis en esprit avec vous ; je prends part à vos feux de joie. Priez Dieu que l'augmentation de ma charge tourne au salut du troupeau nouvellement réuni : je fais ces vœux pour Jouarre autant ou plus que pour Rebais. Je suis bien aise des réceptions. Je vous louerai toujours beaucoup de parler franchement à Madame votre abbesse : je souhaite que tout le monde en fasse autant. J'avoue que je suis bien aise de ma Sœur Baubé. Notre-Seigneur soit avec vous, ma Fille.

 

LETTRE CCL. A Paris, ce 31 janvier 1696.

 

Ayez courage, ma Fille ; votre cher Epoux ne vous a point abandonnée dans votre maladie : s'il vous a fait participante des détresses de sa croix, vous n'en aurez par là qu'une plus intime société avec lui. Continuez vos communions, sans même aller à confesse. Tant que vous serez renfermée, Notre-Seigneur vous aidera : mettez toute votre assurance en sa bonté. Il est vrai qu'il est lui-même l'amour, et que s'il ne se donne, on n'aime point : mais il sait se donner sans qu'on le sache : il ne faut que s'abandonner à lui; tout ira bien. Vous n'êtes point obligée à vous entendre vous-même quand vous récitez le Bréviaire, surtout dans l'office du chœur et avec votre dureté d'oreille, mais seulement de prononcer articulément et rondement.

On décrit mon Traité de l’Oraison : je ne perds pas un moment de temps. Ne m'en demandez pas davantage; mais demandez tout à Dieu pour moi dans un ouvrage de cette importance.

 

+ J. Bénigne, év. de Meaux.

P. S. Dieu daigne donner son repos à la bonne Mère Gabriel; je la lui recommanderai avec affection.

 

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Je n'attaque point l'exemption du monastère de Rebais. Les paraisses me sont soumises par le concile de Trente : je rends le prix de la juridiction aliénée. Tout se fait dans l'ordre; mais les moines voudraient bien qu'on eût peur, et qu'on les crût assez puissant pour remuer Rome, comme quelques-uns sont assez malins pour le vouloir. Vous voyez bien que je ne parle pas de tous : leur général les désavoue; et cette bulle est une chose manifestement surprise, dont le Pape ne sait rien du tout. J'en ai rendu compte au nonce, qui n'en a nulle connaissance, et n'approuve pas que l'on commette aussi mal à propos le nom du Pape.

 

LETTRE CCLI. A Paris, ce 11 février 1690.

 

Je prie Dieu qu'il guérisse vos yeux. Si Notre-Seigneur voulait y laisser tomber une goutte de son sang, ah! la vraie lumière y luirait aussitôt. Je ne puis partir d'ici que la semaine prochaine ; je vous verrai le plus tôt qu'il sera possible, mais je ne puis assurer que ce soit avant le jubilé. Je suis tout à vous par le cœur ; mais les temps ne sont pas en notre pouvoir. A toutes fins tâchez d'exposer vos peines par écrit : j'enverrai quérir votre lettre aussitôt que je serai à Meaux.

Mon neveu est aujourd'hui parti pour Lyon, pour Marseille, et enfin pour Rome, où il passera avec M. le cardinal nonce.

On recommence à dire que je suis fort brouillé avec Rome, et que le Pape a écrit un bref très-fort au roi contre moi. Cependant loin de cela, M. le cardinal de Janson m'écrit par le dernier ordinaire, qu'on ne parle point du tout à Rome de cette affaire, qu'on veut être si grande. Il est vrai que le Pape a écrit un bref au roi, où il n'est parlé de moi ni directement ni indirectement. Ainsi je n'ai, Dieu merci, aucune affaire de ce côté-là ni d'aucun autre, qui me regarde ; et si je suis arrêté, c'est par toute autre chose.

Que je suis aise de la convalescence du P. Toquet ! Dieu nous conserve un trésor. Nous vous porterons l’Instruction du Jubilé, que vous connaissez, augmentée et imprimée, avec la Communion sous une espèce. Je prie Notre-Seigneur d'être avec vous.

 

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LETTRE CCLII (a).  A  Paris, ce 18 février 1696.

 

Je souhaite, ma Fille, que Madame la prieure reçoive la bénédiction et la consolation que vous pouvez lui donner par cette lettre. En l'état où elle est, lorsque Dieu permet ces agitations, c'est qu'il veut pousser les âmes en renonçant à tout appui propre ; et sur ses œuvres, de rejeter sur Dieu tous leurs soins, même celui de leur salut, dans la ferme foi qu'il a soin de nous : ce qui n'est pas un abandon, tel que le veulent les quiétistes, à être sauvé ou damné, à Dieu ne plaise ; mais au contraire dans la volonté de jouir de Dieu, d'abandonner à sa grâce un si grand effet, parce qu'encore qu'il ne veuille pas nous sauver sans nos bonnes dispositions, il est maître à chaque moment de nous les donner ; et en faisant ce qu'on peut, se livrer à lui comme à celui par qui nous faisons ce que nous pouvons. Dites donc à cette bonne Mère, si cette lettre la trouve encore au monde, qu'elle se souvienne de ce qu'autrefois je lui ai dit sur ce sujet-là et dont elle parut être contente, et qu'elle mette uniquement son repos en Dieu.

Prenez pour vous le même conseil, à la vie et à la mort. Gardez soigneusement cette lettre ; et lisez dans le livre du Bien de la Persévérance, de saint Augustin, chapitre vi, le lieu qu'il y apporte de saint Cyprien pour montrer qu'il faut tout donner à Dieu; et encore le xxi, où il nous apprend que le vrai moyen d'espérer en Dieu, c'est de perdre jusqu'au fond toute espérance en soi-même.

Quant au commandement que vous voulez que je fasse au mauvais air, votre affection vous trompe : Dieu n'a point donné cette autorité à ses ministres. Et qui suis-je pour entreprendre de si grandes choses? Je fais néanmoins ce que je puis, en vous ordonnant de conseiller à Madame de faire faire une aspersion d'eau bénite par toute la maison, afin de chasser toute la puissance de l'ennemi. Faites faire en particulier cette aspersion dans votre chambre ; tout ira bien.

 

(a) Revue sur l'original

 

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Quant à moi, je vous confirme que le roi n'a eu à me parler d'aucune affaire, petite ou grande, qui me regardât : je n'ai même nulle part à ce qui se fait avec les moines sur le sujet de la bulle. On n'a garde de soutenir à Rome ce qu'ils désavouent : on n'y aime pas trop les exemptions, dont on commence à voir les abus : on n'y songe plus seulement que celle de Jouarre ait été. Voilà des vérités que vous pouvez dire et écrire à qui vous voudrez. A vous en la charité de Notre-Seigneur.

 

LETTRE CCLIII. A Versailles, ce 25 février 1696.

 

Portez, ma Fille, vos distractions avec patience; c'est prier que d'être distrait de cette sorte. Recevez ce que Dieu donne. La sécheresse est fort bonne dans les actes de piété ; car ils sont dans la suprême partie et fort au-dessus des sens.

Je me réjouis des saintes dispositions que Dieu commence à mettre dans l’âme de Mademoiselle de Guimené. C'est un grand don de Dieu, dont elle doit être fort reconnaissante. La lecture que vous lui faites de l’Ecclésiaste est fort propre à l'attrait par où Dieu la prend : elle recevra d'autres grâces. Encouragez-la, et l'assurez de mes prières. Les bontés de Dieu sur les âmes sont inestimables ; et il faut bien savoir profiter de ses premiers dons, qui sont le fondement de toute la suite.

L'aspersion de l'eau bénite sera bonne, en quelque manière qu'on la fasse ; et je m'en remets à la prudence de Madame, que je vous prie de saluer de ma part, et de la bien assurer de mes très-humbles services.

J'ai prié Dieu pour vos yeux, et j'espère de sa bonté qu'il en accordera la guérison à votre foi.

Je loue Dieu de m'avoir donné la pensée de vous exhorter à vous laisser sauver par grâce. Ces choses qu'on dit en passant sont des traits qui viennent de lui, et qui de ce côté-là font un grand effet.

Madame du Chalard doit me faire parler de son affaire : j'en prendrai tout le soin possible.

 

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Je chargerai M. Ledieu de me faire souvenir du livre que vous demandez, aussitôt que nous retournerons à Paris.

On peut bien réitérer le viatique au bout de neuf ou dix jours, surtout dans les maladies de langueur, et lorsqu'il y a eu quelque relâchement : mais pour communier deux fois en un jour, on ne le doit permettre en aucun cas : à chaque jour suffit son festin. C'est douter de la vertu de l'Eucharistie, que d'en multiplier la réception avec trop d'empressement. Il n'y a point de commandement divin de communier en forme de viatique : c'est une ancienne et sainte institution ecclésiastique.

Quand on vous demande si vous avez quelque chose contre ceux envers qui vous vous confessez de n'être pas bien disposée, répondez que vous tâchez d'étouffer tous les ressentiments, ou que vous le souhaitez, et passez outre sans scrupule.

La lettre que j'ai reçue de ma Sœur des Séraphins était, ce me semble, une réponse à celle que je lui avais écrite sur la mort de Madame sa sœur, ou sur quelque maladie : je lui écrirai à la première occasion.

J'enverrai savoir des nouvelles de M. de Senez (a). Je suis fort peu régulier en visites, ou plutôt je suis assez régulier à n'en guère faire. On m'excuse, parce qu'on sait bien que ce n'est ni par gloire, ni par dédain, ni par indifférence ; et moi je me garantis d'une perte de temps infinie. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE CCLIV. A Meaux, ce 14 avril 1696.

 

Il n'y a point d'obligation de spécifier la circonstance du dimanche et d'une fête : il est bon de le faire quand on est instruit, sans inquiétude pourtant, et du moment qu'on y tomberait. Il vaut mieux laisser là cette circonstance, qui n'est pas absolument

 

(a) Jean Soanen, dont nous avons parlé dans une note précédente. Né à Riom en 1647, il obtint l'évêché de Senez, en 1695. Un des quatre évêques appelant dans l'affaire du jansénisme, il publia une Instruction dite pastorale contre la constitution Unigenitus ; le concile d'Embrun le suspendit de toutes fonctions ecclésiastiques, et le roi le relégua à l'abbaye de la Chaise-Dieu, en Auvergne Jean Soanen comme Richard Simon, comme Quesnel, comme Malebranche et d'autres, avait appartenu à la congrégation de l'Oratoire.

 

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nécessaire, et ne doit faire de peine à qui que ce soit. On n'est non plus obligé de spécifier qu'on a ouï la messe en mauvais état, même aux jours d'obligation, parce que, comme vous dites fort bien, le confesseur doit présupposer qu'on a durant ce temps ouï la messe, quand on ne lui confesse pas le contraire. Comme l'expression de ces circonstances n'est pas nécessaire, il ne sert de rien de marquer le moyen d'y suppléer. Voilà, ma Fille, vos doutes bien précisément résolus.

Par le peu que j'ai entretenu ce bon et docte religieux, j'ai reconnu qu'il lui manquait un degré de précision et d'exactitude. Ce qu'il a prêché sur la communion spirituelle n'a nulle solidité, quoiqu'il puisse l'avoir pris dans de bons auteurs, mais en cela alambiqués. Notre-Seigneur soit avec vous. Vous pouvez communiquer cette réponse à quiconque en aura besoin, mais sans scandaliser ce bon Père.

 

J. Bénigne, Ev. de Meaux.

 

P. S. Je prie, et je prierai Dieu qu'il confirme en vous les bonnes dispositions que vous me marquez sur la mort. La gloire de Dieu que nous devons désirer, est la sanctification et la glorification de Jésus-Christ dans ses membres.

Vous pouvez dire, et il est vrai, que j'ai été reçu à Rebais de tout le clergé et de tout le peuple, comme Jésus-Christ même. Les religieux, après avoir un peu chicané sur la manière de me recevoir, ont obéi à mes ordres, et m'ont reçu en corps à l'entrée avec la croix, l'encens et l'eau bénite. Le prieur revêtu à la tête, m'a fait une harangue latine, respectueuse et pieuse. J'ai donné avant la messe la bénédiction solennelle. Le prieur et le sous-prieur ont reçu avec soumission la permission de confesser ; et leur général l'a approuvé.

Ne recommencez aucune confession ; n'y ajoutez rien ; demeurez en repos. Ma santé, dont vous voulez que je vous informe, est fort bonne, quoique j'aie communié de ma main presque tout le peuple, et confirmé mille à onze cents personnes. J'ai prêché cinq ou six fois en deux jours ; ce qui n'a pas empêché que je ne prêchasse hier, et que je ne prêche dimanche et le jour de Pâques.

 

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En voulez-vous davantage? Je salue Madame de Luynes. Dieu soit avec vous.

 

LETTRE CCLV. Le lundi, 14 mai 1696.

 

Je ne manquerai pas, ma Fille, de dire à M. votre frère ce que vous demandez. J'entends bien que sacrifier sa vue, c'est sacrifier plus que sa vie eu un certain sens ; mais il n'en faut pas moins faire le sacrifice. Dieu n'a pas besoin de votre consentement pour faire sa volonté, et il y faut acquiescer quelle qu'elle soit : j'espère pourtant.

Je vous ai dit et redit que vous ne devez point vous tourmenter ni à dire les Psaumes que vous ne savez point par cœur, ni à vous faire lire les leçons de votre Bréviaire ; et cependant vous me faites encore la même demande : à la fin vous deviendrez aussi raisonnante que Madame du Mans.

Laissez voir les vers, avec le même secret, à Mesdames du N***, de Lusanci, et de Rodon si elle en a entendu parler, même à Madame la Guillaumie : permettez-en la lecture à ma Sœur Cornuau tant qu'elle voudra. Dieu veut que vous soyez unies ensemble d'une manière surnaturelle, et autant inséparable qu'épurée : je le connais.

Je pourrai passer à Jouarre allant à Rebais, le lundi de la Pentecôte, mais comme un éclair. Je crois à présent mon neveu passé ; je n'en ai point de nouvelles depuis le 30 : priez pour lui. Je vous remercie de toutes vos bontés. Je salue votre secrétaire de bien bon cœur.

C'est mal fait de demander à Dieu de vous ôter des désirs, sous prétexte qu'il ne veut pas toujours qu'on les accomplisse dans toute leur étendue. N'est-il pas le maître et du pasteur et du troupeau, et ne sommes-nous pas en sa puissance nous et nos paroles? Notre-Seigneur soit avec vous.

 

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LETTRE CCLVI. A Versailles, ce mardi 29 mai 1690.

 

J'ai envoyé votre lettre à la Trappe. J'aurai soin, ma Fille, de vous faire porter les livres que vous demandez. Un directeur qui croit la maladie un obstacle à la perfection de l'oraison, ne sait pas que la perfection en est dans le Fiat voluntas tua. J'entrerai dans votre neuvaine, et j'y dirai la messe que vous souhaitez dès demain, s'il plaît à Dieu. Vous devriez en faire une à sainte Fare, qu'on réclame tant pour les yeux.

Je ne demande point maintenant de qui sont les vers que j'ai trouvés dans votre lettre du 21 : je suis déjà bien assuré qu'ils ne sont point de Madame de Sainte-Gertrude. Je les attribue à Madame votre sœur, dont j'en ai vu de très-beaux, de très-élevés et de très-réguliers sur cette mesure. Je suis très-aise qu'elle soit contente de mes Psaumes.

Le mot que vous n'avez pu lire est celui de los pour louange, antique, mais qui se conserve dans la poésie et y a même de la noblesse.

Je pars toujours pour Meaux, sans manquer s'il plaît à Dieu, de mercredi en huit. Je crois vous avoir mandé que mon neveu a passé à Florence avec M. Phelippeaux, et qu'ils ont été reçus avec des bontés et honnêtetés très-particulières. Je suis à vous, ma Fille, comme vous savez.

 

J. Bénigne, Ev. de Meaux.

 

P. S. Je ne partirai pas d'ici sans voir M. l'abbé de Soubise. Je me promets bien que vous aurez donné part à Madame des nouvelles de mon neveu, en l'assurant de mes très-humbles services et des siens.

 

LETTRE CCLVII. A Meaux, ce 7 juin 1696.

 

Communiez, ma Fille, à votre ordinaire, en vous occupant de vous-même comme souffrante. Communiez en même temps au

 

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sang et aux souffrances de Jésus. Si vous sortiez de vous-même parmi les souffrances, elles cesseraient d'être souffrances, et de vous unir autant qu'elles peuvent l'aire à Jésus-Christ. Ne réglez pas vos communions et votre oraison sur ce que Dieu vous donne où vous ôte, ni sur vos infidélités, ni sur vos dispositions grandes ou petites, mais sur la bonté de Dieu et les règles de l'obéissance. Si votre état est pénible, il est par là comme Dieu le veut : il n'y a qu'à demeurer dans vos règles. Si vous n'êtes point contente dans vos privations, c'est ce que Dieu veut : il ne faut la vouloir être que quand il le veut. Si le cœur vient une fois à bout de dire dans le fond : Fiat voluntas ! il ne faut rien davantage ; car l'impression durera, s'il plaît à Dieu.

Les vers latins sont très-beaux : vous pourriez les avoir faits comme les français, dont vous m'avez enveloppé l'auteur : je soupçonnais que c'était vous. Il n'y aurait point de mal d'apprendre un peu les règles de la poésie française à Madame de Sainte-Gertrude, si l'on ne craignait qu'elle s'y donnât trop. Il y a aujourd'hui huit jours, qui était le jour de l'Ascension, qu'il sortit, en voyant le lever du soleil, une hymne en français sur ce mystère, que je voudrais que vous eussiez, et vous l'aurez en effet quand elle sera à son point.

Ne parlons point de me divulguer comme faisant des vers, quoi qu'en dise le P. Toquet, à qui je défère beaucoup. Poeta est toujours masculin : pour une femme on dit, poetria, ou poetris; au pluriel, poetrides, qui est plus en usage. Je ne fais des vers que par hasard, pour m'amuser saintement d'un sujet pieux, par un certain mouvement dont je ne suis pas le maître. Je veux bien que vous les voyiez, vous et ceux qui peuvent en être touchés. A tout hasard, voilà l'hymne, sauf à y ajouter et entrelacer un sixain. Vous aurez bientôt les mystères jusqu'à l'Incarnation.

Je suis fâché d'avoir à vous dire qu'apparemment je ne pourrai pas arrêter à Jouarre lundi, à cause que le matin je fais une profession, et qu'il faudra arriver le soir à Rebais. J'échapperai au retour pour vous aller voir, quoique je doive aller à Banost, et que l'ordination pressera. Tout à vous dans le saint amour de Notre-Seigneur.

 

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LETTRE CCLVIII. A Lusanci, ce 15 juin 1696.

 

Que j'ai de regret, ma Fille, de n'avoir pas le temps d'user de la commodité que vous m'envoyez! Il faut partir en vous bénissant, comme Jésus-Christ en montant aux deux. Otez la dernière stance de son hymne : elle n'est pas en sa place. Offrez-lui la peine de vos impatiences en expiation de leur faute. Que vos foi-blesses ne vous rendent pas suspect le don de Dieu. Il faut sentir ; car c'est en cela que consiste la croix : mais en même temps il faut se soumettre, dire son In manus, et faire expirer le vieil homme. Je salue Madame de Luynes. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE CCLIX.  A Germigny, ce 11 août 1696.

 

Je ne sais, ma Fille, si vous avez bien pris ma pensée. Je ne trouve point à redire que vous entriez dans les desseins que vous savez. Je trouve très-bien de vouloir sacrifier ces desseins à l'obéissance, et je ne doute pas que ce que vous m'écrivez sur cela ne soit sincère : ainsi vous vous défendez très-bien du côté où vous n'êtes point attaquée. Ce qui m'a surpris, c'est qu'il ait fallu vous ouvrir les yeux sur cela, et que vous n'ayez pas senti d'abord qu'il ne fallait pas sortir de l'esprit de stabilité, ni éviter l'humiliation, ni enfin entrer dans des vues qui sont tout humaines. Il n'y a rien à faire sur cela, sinon reconnaître une petite faiblesse que je voudrais ne point voir en vous; mais que je suis bien aise que vous y voyiez, pour en tirer l'utilité que Dieu sait. Je serais bien fâché que vous changeassiez sur cela de dessein: moi-même qui n'y entre point par moi-même, non-seulement je n'y apporterai aucun obstacle, mais je ferai sincèrement ce qui pourra l'avancer, faites-en de même. Je n'ai au reste aucune nouvelle de ce côté-là, et n'en puis rien dire du tout. Il y a bien d'autres Cantiques sur le métier. Prenez les petits

 

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renards (1) : taillez dans le vif; que ce soit là le fruit de cette poésie. Je salue Madame de Luyues. Je vous offrirai demain très-particulièrement. Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous, qu'il fortifie voire vue et votre patience.

 

LETTRE CCLX. A Meaux, ce 20 octobre  1696.

 

Il faut, ma Fille, adorer en toutes choses la disposition de la divine Providence. Je vous ai promis de ne vous abandonner jamais : je vous réitère de bon cœur cette sainte et inviolable promesse. Dites à M. de Paris ce que Dieu vous inspirera là-dessus.

Vous aurez une obédience de moi pour aller avec Madame votre sœur; et dès à présent je vous permets de la suivre. Dites sans hésiter le Bréviaire de Paris jusqu'à nouvel ordre. Je vous permets de demander à Jouarre tout ce que vous y avez à votre usage : je vous donne pareil pouvoir pour prendre sur votre pension ce que vous croirez qui vous sera nécessaire. Donnez et recevez ce que vous voudrez. Sans doute, quand vous serez à Torci, vous devez regarder Madame votre sœur comme votre supérieure.

Je vous ai déjà dit, ma Fille, que je n'avais agréé votre vœu à sainte Fare que dans la vue du retour à Jouarre : ainsi hors de ce cas, je vous en décharge, en vous permettant néanmoins de faire quelque diligence pour un équipage, mais sans scrupule et sans vous croire obligée à vous priver de rien pour avoir le moyen de faire ce voyage. Sainte Fare vous écoutera en quelque lieu que vous soyez. Ma Sœur Cornuau peut entrer avec vous dans ce saint monastère, si vous y allez.

Je vous donnerai de bon cœur des croix de la Trappe, la première fois que je vous verrai. Nous réglerons vos occupations extérieures quand vous serez à Torci. Je prie le Verbe de vous parler dans le fond le plus intime de votre cœur. J'ai écrit à Madame votre sœur sur ses devoirs.

1 Cant., II, 15.

 

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LETTRE CCLXI. A Meaux, ce 16 novembre 1696.

 

Il me fâche, ma Fille, de vous entendre dire que je ne lis pas vos lettres. Quelle marque en avez-vous ? Parce que je ne réponds pas dans le moment à toutes vos peines? Quelquefois j'oublie pour un temps ; quelquefois aussi, quand ce sont de vains scrupules et quejai souvent résolus en cas semblables, je ne dis mot, comme dans le cas qui vous met en peine.

Les soupçons ne sont pas péché quand ou n'y adhère pas, ou quand on ne les fait pas sans fondement, ou que l'on ne s'en occupe pas lorsqu'on n'y est pas obligé : ainsi soyez en repos.

Je pourrai aller pour cette affaire à la Ferté-sous-Jouarre demain ou après-demain : ce ne sera pas sans aller à Jouarre ; on ne s'y doute encore de rien du tout.

J'attends des nouvelles de M. le curé de Banost, qui est allé joindre à Torci M. l'abbé Berner, pour savoir s'ils viendront ici avant que d'aller à la Trappe. J'expédie ici le plus que je puis : mais l'affaire dont vous vous doutez mérite que je la suive, et Dieu le veut. Je suis bien éloigné de la vouloir étouffer comme on le voudrait à Jouarre, si ce n'est par la retraite du coupable : en ce cas, et si les preuves manquaient, j'assurerais la retraite; sinon il faut un exemple d'un si grand scandale, et je n'y épargnerai rien. Ne dites mot ; assurez Madame de Luynes que je pense à tout. M. de Chevreuse ne dira rien que de concert avec moi. Notre-Seigneur soit avec vous.

P. S. Je suis bien édifié des saintes dispositions de la supérieure de Torci.

 

LETTRE CCLXII (a). A Paris, ce 16 décembre 1696.

 

On a raison, ma Fille : il n'y a point à hésiter à suivre le sentiment de M. l'abbé Berrier : suivez ; vous en avez toute permission.

 

(a) Revue sur l'original.

 

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Je pars demain, et je ne puis sortir d'aujourd'hui, étant assez enrhumé et occupé de plus d'une sorte.

Je bénis le petit couvent, et vous en particulier. Vous devez faire ce que vous pourrez pour aller au-devant des larmes : Dieu l'aura ainsi agréable, assurez-vous-en : l'obéissance est au-dessus de toutes les grâces. Nous en dirons davantage une autre fois. Je vous charge de mes compliments envers M. l'abbé Berrier. J'espère le trouver au retour, et je m'en fais une joie. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE CCLXIII. A Versailles, ce 28 février 1697.

 

Je loue Dieu, ma Fille, de la paix qu'il vous donne: c'est le fruit sacré de l'obéissance que vous avez rendue aux conseils que je vous ai donnés en Notre-Seigneur. J'ai bien peur que le fond de Madame de Luynes ne change pas, et que le délai ne serve qu'à rendre les choses à la fin plus embarrassantes. Cependant la raison veut qu'on gagne du temps le plus qu'on pourra, pour donner à Dieu le temps qu'il demande pour développer ses conseils.

Pour la spiritualité, celle dont vous me parlez est en effet fort sèche ; et ce qui m'y fait de la peine, c'est le peu de conformité que j'y trouve avec l'esprit de saint Augustin, qui me paraît être celui de Jésus-Christ et de l'Evangile. Marchons dans nos anciennes maximes.

J'ai cru qu'il fallait exposer les dispositions présentes de Madame votre sœur assez à fond à M. le duc de Chevreuse, à toutes fins, en l'assurant néanmoins que nous n'oublierions rien pour l'affermir.

Je ne puis vous dire précisément quand mon livre paraîtra, parce que j'attends les remarques et l'approbation de M. de ***.

 

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LETTRE CCLXIV. A Meaux, ce 28 mars 1097.

 

Monsieur l'abbé Berrier m'a rendu votre lettre, ma Fille. Je vous ai écrit d'ici par M. Gueniot, et à Madame votre sœur. Je conseillais à M. le curé de Banost de différer son voyage à Torci jusqu'après la Quasimodo, et j'espérais aussi de m'y rendre (a).

Je suis bien aise que vous soyez contente de mon livre, et que vous n'ayez pas improuvé la défense de sainte Thérèse. Je souhaite sur toutes choses d'être entendu et goûté des âmes à qui Dieu se communique, et il me semble que sa bonté me favorise en cela. Patienter pour un an, c'est une faible ressource, si ce n'est dans l'espérance de plus. Je réponds de vous à Dieu avec autant de foi et de confiance que par le passé.

Priez pour l'Eglise, pour ses défenseurs et pour les dévoyés. Il n'y a point d'erreur plus dangereuse que celle qui énerve tout avec des paroles douces, un extérieur de spiritualité et un artificieux étalage de contemplation. Je salue Madame de Luynes. Le saint Epoux soit votre soutien et votre paix.

 

LETTRE CCLXV. A Meaux , ce 1er avril 1697.

 

Pour éviter les redites, je mande, ma Fille, à Madame de Luynes la difficulté du voyage que je méditais à Torci, et la nécessité de le différer de quelques jours. La question que vous me proposez demanderoit un plus long discours, mais à mon avis peu nécessaire. Il ne faut que recevoir la grâce de Dieu, et y consentir ; ce qui se faisant librement, ne peut manquer de mériter, sans

(a)  Bossuet disait dans l'avant- dernière lettre: « J'espère le trouver au retour; » il dit dans celle-ci ; « J'espérais aussi de m'y rendre » On peut expliquer celte différence sans recourir à la raison d'euphonie, non plus qu'à l'inexactitude des éditeurs : c'est que le sujet d'espérer se trouve en repos, sans action dans le premier cas; tandis qu'il y a pour lui tendance, mouvement, effort, difficulté dans le second. Quelqu'un me dira : Bossuet n'a pas remarqué cette différence. —  Qu'importe , s'il l'a sentie naturellement, et s'il y conforme partout son langage?

 

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s'inquiéter de savoir à quel moment est ce mérite. Je crois même qu'il y a en cela un peu de curiosité, qui pourrait plutôt empêcher qu'avancer l'effet de la grâce.

Il a fallu que j'entrasse un peu dans cet examen, pour rabattre l'arrogance des faux mystiques, qui ne veulent trouver de perfection que dans la voie où ils s'imaginent qu'ils sont. Toute voie est bonne quand elle est de Dieu. Il faut toujours distinguer l'attrait du consentement; et quoique l'attrait ne soit pas .précisément le mérite, c'en est le principe ; du reste il n'y a rien que de bon dans ce que vous marquez de vos dispositions. Il faut juger de même de la suspension des puissances : quand elle arrive, il la faut recevoir, et demeurer bien persuadé de deux choses : l'une, (jue tout ce qui vient de Dieu a son utilité ; l'autre, qu'il a mille autres voies de nous mener à ses fins cachées : de sorte qu'il faut entrer en général dans l'admiration de ses voies, et s'attacher en particulier à celle où il nous met.

Portez avec résignation le délai de mon voyage, s'il le faut : vous ne voudriez pas que je m'exposasse à être noyé comme la dernière fois. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE CCLXVI. A Versailles, ce 19 juin 1697.

 

Il me semble, ma Fille, qu'il y a longtemps que je n'ai reçu de vos nouvelles, ni de celles de Madame de Lusanci ; j'en ai su pourtant par M. l'abbé Berrier. En repassant mes papiers, j'ai trouvé la lettre où vous demandiez d'être réglée sur les communions des octaves de la Pentecôte et de la Fête-Dieu. Quoique ces fêtes soient passées, je ne laisserai pas de vous dire que je serai bien aise d'apprendre que vous ayez communié tous les jours : cela servira pour d'autres fêtes.

Ne rejetez jamais l'attrait de communier, quand il plaira à Dieu de vous le faire sentir. Ne refusez non plus les goûts de Dieu, ni les larmes, ni les douceurs de ses consolations : mais plus il vous fera sentir ses grâces, plus vous devez tâcher de purifier votre cœur.

 

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Il semble que les affaires qui m'occupent depuis si longtemps sont à leur crise ; mais c'est dans ces états qu'on a besoin de réveiller son attention. Priez Dieu pour moi : priez pour celui que nous tâchons de ramener de son prodigieux égarement ; mais qui ne paraît pas encore disposé à s'humilier.

Je salue de tout mon cœur Madame de Luynes : demandez-lui pour moi de ses nouvelles; mandez-m'en de la novice (a), et croyez-moi tout à vous.

 

LETTRE CCLXVII. A Paris, ce vendredi 9 août 1697.

 

Je veux bien, ma Fille, que vous communiquiez cette lettre, après pourtant que je l'aurai vue. Au reste, que veut-on dire sur mon ignorance dans les voies intérieures? C'est pour prétendre les trop savoir qu'on s'y perd, et qu'on y perd les autres. Il faut apprendre de Dieu à chaque moment ce qu'il faut dire. Souvenez-vous de la préface de mon livre. Les humbles ignorans en savent plus sur ce sujet que ceux qui disent qu'ils voient, et que leur orgueil aveugle.

Voilà des consolations que je vous envoie : faites-en part à Madame de Luynes, sans oublier ma Sœur Bénigne. Je vous en permets des copies, à condition, aussitôt qu'il y en aura une, de me renvoyer le tout.

M. de Cambray est parti : il prend le ton plaintif comme si on l'opprimoit, quoiqu'on ne fasse rien que selon la règle. Il nous a appelés à témoin M. de Paris et moi, avec M. de Chartres. On a tâché de le ramener par toutes les voies amiables depuis deux ou trois mois. Enfin pour la décharge de nos consciences, nous déclarons nos sentiments. Nous envoyons au Pape notre Déclaration: le roi nous appuie; il a parlé à M. le nonce; il a écrit au Pape de sa propre main. En voilà assez pour le présent : n'en faites part qu'à Madame de Luynes, et toutes deux gardez le secret, jusqu'à ce qu'il éclate par ailleurs. Notre-Seigneur soit avec vous.

(a) La Sœur Cornuau.

 

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LETTRE CCLXVIII. A Meaux , ce  15 août 1697.

 

Je ne suis pas d'avis, ma Fille, de faire voir vos deux lettres à d'autres qu'à M. de Saint-André, parce qu'encore qu'elles soient très-bonnes, par rapport à la conjoncture on en pourrait abuser et les prendre mal.

Quant à vos attraits, suivez-les et ne soyez en peine de rien; je vous en réponds. Enfoncez-vous dans l'intime. Ceux qui ne sentiront pas dans mon livre une solide spiritualité, ne s'en persuaderont pas par ailleurs, et diront que je répète les leçons des autres.

Vous me renverrez les vers quand vous les aurez fait décrire comme à l'ordinaire. Je serai ici le plus longtemps que je pourrai, et du moins toute la semaine prochaine. Samedi j'irai coucher à Jouarre, et dimanche à Germigny. Je salue Madame de Luynes. Je n'ai point de difficulté pour M. le curé de Banost; mais pour les autres, il faut en ce temps se tenir clos et couvert sur les choses particulières, dont on veut faire des règles. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE CCLXIX. A Meaux, ce 6 septembre 1697.

 

Prenez garde, ma Fille, d'être trop raisonnant : recevez à pleines mains ce que Dieu vous donne. Pourquoi vous étonnez-vous que sous la main de Dieu vous aimez mieux, que lorsqu'il se retire pour vous faire sentir ce que vous êtes? Au reste il ne faut pas se plaindre des célestes délectations : l'état d'innocence, où l'amour eût été si pur, n'en aurait pas été privé. Si c'était une chose dont il fallût songer à se détacher, saint Paul dirait-il si souvent : Réjouissez-vous? Saint Jean n'a-t-il pas tressailli de joie avant que de naître? Qu'est-ce qui a fait dire à la sainte Vierge : Exultavit spiritus meus? Et n'est-il pas écrit de Jésus-Christ même : Exultavit in Spiritu sancto? Je voudrais bien demander à nos nouveaux

 

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raffineurs si Jésus-Christ a jamais abdiqué les célestes délectations, s'il a cru qu'elles fussent un obstacle à l'amour, s'il a souhaité que Dieu l'en privât pour, l'aimer plus parfaitement et plus purement. En vérité on pousse trop loin les raffinements.

Puisque M. de Chevreuse vous doit aller voir, demandez-lui si Jésus-Christ, si la sainte Vierge, si saint Jean-Baptiste du moins ont jamais songé à ces suppositions impossibles, où l'on voudrait maintenant mettre la pureté de l'amour. Au surplus écoutez-le : promettez-lui tout le secret qu'il vous demandera par rapport à moi; mais dites-lui bien que pour moi je n'exige aucun secret. Je veux que vous lui disiez avec une pleine liberté tout ce que vous savez de mes sentiments. Qu'il vous rende, s'il peut, une bonne raison pourquoi M. de Cambray a refusé si obstinément de conférer avec moi. S'il vous parle de mes prétendus emportements qui lui ont servi de prétexte, niez-lui hardiment que j'en sois capable ; et assurez-le, sans hésiter, que par la grâce de Dieu je sais garder toutes les mesures de respect et de bienséance dans des conférences sérieuses. Après tout, je suis toujours ce que j'étais, aussi tendre pour les personnes qu'inflexible contre la doctrine. Priez Dieu qu'il les convertisse, qu'il éclaire leur aveuglement, en abaissant leur présomption. Notre-Seigneur soit avec vous. Je suis toujours de plus en plus édifié de M. l'abbé Berrier.

 

LETTRE CCLXX. A Germigny, ce 10 octobre 1697.

 

Je suis fâché, ma Fille, de n'avoir pu satisfaire à votre désir en venant : je ferai mieux, s'il plaît à Dieu, au retour. Je pars demain; je serai jeudi à Fontainebleau, où vous pouvez m'écrire par les voies ordinaires, qui sont ouvertes partout où est la Cour. Je tâcherai d'y voir M. de Chevreuse. Rien ne change en moi ; mais je vois qu'on change beaucoup quand on a un parti dans la tête et une nouveauté à soutenir. Dieu les aide par sa grâce.

La définition de l'espérance chrétienne est connue; c'est un désir de posséder Dieu en lui-même comme son bien, qu'on peut acquérir, quoique avec difficulté, sur le fondement de son

 

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éternelle fidélité et de sa toute-puissance, et en vertu de ses promesses. On en veut venir à dire que la charité ne doit donc pas renfermer le désir de posséder Dieu : on ne songe pas que c'est une vertu universelle, qui enferme les motifs des autres vertus. Au reste elle ajoute à l'espérance, et au désir de posséder Dieu, un désir efficace des moyens, qui comprennent l'observation des commandements. Je rendrai public ce que j'ai écrit sur la charité. Le vers que vous désirez est ainsi :

 

........Tout ce qu'on a pensé,
Sans que d'un Dieu jaloux l'honneur soit offensé.

 

On dit indifféremment avec ou avecque ; ce dernier rend la mesure complète. M. Ledieu aura lu cet écrit à Jouarre. Nous ne saurions fournir aux copies : on imprime cet écrit.

Vous pouvez garder l'exemplaire de la Déclaration: on en donnera un autre à M. l'abbé. Vous pouvez lui dire que j'ai donné une bourse à la décharge de mes premiers engagements, et que son tour viendra.

Je vais travailler à la distribution des stations, avec une attention particulière sur le P. Michel et sur le désir que vous me marquez. La Ferté-Gaucher est destinée. Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous.

 

LETTRE CCLXXI.  A Paris, ce 14 janvier 1698.

 

J'ai reçu, ma Fille, votre lettre du premier, dont vous étiez en peine: Dans celle du 13, je vous permets d'accompagner Madame de Luynes quand elle sortira. Pour votre oraison, il n'en faut point être en peine, ni quitter l'attrait pour suivre les prières de la messe. Ces attraits ne me déplaisent point du tout : au contraire c'est une grâce dont je suis très-reconnaissant pour vous, et vous n'avez qu'à les suivre et tout abandonner à Dieu.

Vous verrez dans peu ma réponse à l’ Instruction pastorale de M. de Cambray. Je suis bien aise que vous ayez su ce qui s'est

 

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à notre serment : j'eusse bien souhaité de vous le pouvoir écrire. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

J. Bénigne, év. de Meaux.

 

P. S. Il m'est bien fâcheux, aussi bien qu'à vous, de ne pouvoir pas vous aller voir, ni même vous donner par lettres tout le secours que vous souhaitez : j'en demande pardon au Saint-Esprit, qui vous inspire ce désir. Souvenez-vous de ce saint évêque Fructueux, qui, allant au martyre et sollicité par quelqu'un de prier pour lui, répondit : Il faut que je prie pour la sainte Eglise catholique, répandue par toute la terre. J'oserais bien, sans me comparer à ce grand saint, dire aujourd'hui qu'attentif à toute l'Eglise, ce que ce soin général m'emporte, est rendu par un autre endroit à ceux qui ont besoin de mon secours.

 

LETTRE CCLXXII. A Paris, ce 18 février 1698.

 

J'apprends, ma Fille, avec déplaisir que votre mal d'yeux recommence. En commençant cette lettre, je suis arrêté par la vôtre qu'on vient de me rendre du 18.

Il n'y a rien de décidé du côté de Rome. Nous croyons toujours que la vérité prévaudra, malgré la cabale la plus puissante qu'on vit jamais. Vous aurez bientôt mon livre, s'il plaît à Dieu. Priez-le qu'il y donne sa bénédiction, pour sa gloire et pour le bien de son Eglise. Je compte que je serai bientôt à Meaux : je n'attends que la publication de ce livre. Au surplus pouvez-vous croire que j'abandonne mes chères brebis, pour m'attacher aux vues générales de l'épiscopat ? L'exemple de saint Fructueux n'est rapporté que pour montrer en certains temps, des applications particulières à certains objets, et non pas l'exclusion des autres. Mon fond est le même : mais le temps ne seconde pas toujours mes intentions. Pour vous, je vous renouvelle de bon cœur toutes les saintes promesses que je vous ai faites ; et quand le temps le permettra, je vous le ferai connaître par une visite. Ne négligez

 

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pas de m'écrire. Assurez Madame de Luynes de la continuation de mes sentiments. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE CCLXXIII. A Meaux, ce 4 avril 1698.

 

Je vous remercie, ma Fille, pour ma Sœur de Saint-Bénigne (a), qui est ravie, et elle a raison. Je vous annonce mon arrivée à Torci, vendredi prochain au soir, pour en partir le lendemain après dîner. Nous parlerons de vos peines et de vos états, et je ne veux point que vous vous en ouvriez à personne. Dieu est avec vous, et c'est assez.

Allez au sacré tombeau avec Marie-Madeleine , et criez de tout votre cœur, Rabboni. C'est le seul maître, le seul docteur qui sait parler au dedans.

J'ai assurément reçu vos lettres ; mais je ne puis en marquer la date. Je rendrai compte du reste à Madame de Luynes, à qui je m'en vais écrire. Empêchez tout appareil vendredi, et modérez-le pour le samedi. Assurez-vous que vous êtes et serez toujours ma première Fille. L'écran est admirable : recevez-en mes remerciements, et faites-les à Madame votre sœur. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE CCLXXIV (b).  A Paris, ce 25 juin 1698.

 

Je ne puis tarder à vous dire, ma Fille, que je parlai hier à Monseigneur l'archevêque pour la conservation du Fremoy. Il me dit qu'il irait bientôt à Torci, et qu'à mon retour il voulait bien conférer avec moi sur cette affaire, avant que de la déterminer. Vous en avertirez, s'il vous plaît, Madame de Luynes, afin qu'on prépare tout ce qui sera nécessaire de lui faire voir. Tout consiste à montrer d'un côté la nécessité d'étendre le logement pour les novices et les pensionnaires ; et de l'autre, l'impossibilité d'en

 

(a) La sœur Cornuau, qui avait fait profession religieuse à Torci sous ce nom. — (b) Revue sur l'original.

 

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commencer de nouveaux : d'où se conclut invinciblement la nécessité de se servir des anciens, en attendant qu'on puisse faire autre chose. Faites-lui bien voir d'un côté que la dépense de l'arcade ne sera pas grande, et de l'autre que le noviciat sera régulier ; sans oublier les autres raisons qu'on m'a exposées, et le besoin où l'on est de loger les pensionnaires de condition qu'on vous veut donner, ce qui ne contribuera pas peu à la subsistance de la maison. J'ai un peu parlé de M. l'abbé Dreux, qui par complaisance pour M. Paulet, et par le bruit que fait votre chapelain, se tourne tout à la démolition. Dites-lui tout comme à un père ; car il n'y a point dans l'épiscopat un cœur plus paternel que le sien. Rendez grâces à Dieu du prodigieux effet de sa réponse aux quatre lettres. M. Ledieu est chargé de vous envoyer ma Relation du quiétisme. Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous, ma chère Fille.

 

J. Bénigne , év. de Meaux.

 

M. de Chevreuse tourne la tête quand il me rencontre : je n'en suis pas moins son ami et son serviteur ; il se fait plus de tort qu'à moi.

 

LETTRE CCLXXV. A Paris, jeudi soir, 1698.

 

Ce que dit M. de Cambray sur le sujet de la confession, est incompréhensible, ma Fille. Il sait bien en sa conscience que je ne l'ai jamais confessé. Je ne sais ce qu'il veut dire de sa confession par écrit. Il n'articule rien de net, et il tâche seulement de donner l'idée d'un crime capital dont il m'accuse. Je répondrai sans doute, s'il plaît à Dieu, et en bref. Je me souviens très-bien du bon esprit et de la droiture de Madame de la Tour-Maubourg. Jamais homme n'a écrit plus artificieusement que M. l'archevêque de Cambray, ni n'a été plus capable de soutenir l'étonnante cabale dont il est environné. C'est la cause de Dieu, qu'il veut défendre tout seul ; car les hommes ne feraient qu'y nuire, si Dieu ne s'en mêlait.

Le pauvre abbé Dreux est mort, et vous n'aurez plus d'obstacle

 

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de sa part. Ainsi je conseille à madame de Luynes de commencer son bâtiment, à moins qu'elle n'ait des défenses de M. l'archevêque, ce que je ne crois pas ; car je le vis encore hier dans la disposition où nous le pouvions souhaiter. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE CCLXXVI. A Paris, ce 28 juin 1698.

 

Ne vous découragez point, ma Fille, de l'état où vous vous trouvez devant Dieu. Il n'en est pas moins avec vous ; et à mesure qu'il paraîtra vous dépouiller, il vous remplira au dedans de dons plus intimes, pourvu que vous persévériez dans l'oraison à votre ordinaire, aussi bien que dans la sainte communion, sans vous laisser ralentir ou détourner par quelque considération que ce soit : c'est moi qui vous le dis au nom de Jésus-Christ. Souvenez-vous de cette parole : En espérance contre l'espérance ; et encore : Dilatez-vous; et encore : Ne cessez de vous réjouir; et encore : Ne craignez point, petit troupeau.

Consolez et conduisez ma sœur de Saint-Bénigne dans ses obédiences; et du reste dites-lui que je lui permets de pleurer et de s'épancher avec vous, mais avec vous seule. Je n'ai pu trouver le loisir de lire ses consultations. Notre-Seigneur soit avec vous, ma chère et première Fille.

 

LETTRE CCLXXVII. A Meaux, ce 9 octobre 1698.

 

Le jugement que vous faites de la Réponse et des trois Lettres de M. de Cambray est juste en tous points : vous le verrez bientôt très-clairement par ma réponse, dont l'impression s'achève. Je vous envoie le billet pour l'imprimeur que vous souhaitez : ne le donnez pas que vous ne sachiez que ma Réponse soit affichée; car on n'y aurait pas tout l'égard que je souhaite à cause de l'impossibilité. J'espère que ma réponse édifiera l'Eglise, et préviendra le public contre le caractère séducteur de M. l'archevêque de

 

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Cambray. Il me fait pitié; mais ma pitié se tourne toute vers les infirmes de l'Eglise qu'il séduit. Son éloquence, si vous y prenez bien garde, consiste dans -une aisance d'un style contentieux, où le solide manque tout à fait. Les endroits qui regardent M. l'archevêque sont un peu fâcheux ; et le monde jugera que sa bonté n'a pas été assez précautionnée contre un homme dont il n'a pas connu assez tôt les chicanes et les artifices : mais vous verrez que le fond est bon.

J'ai cru au reste que vous connaîtriez par mes précédentes, qu'ayant reçu le devis que Madame de Luynes m'envoyait, j'avais par conséquent reçu la lettre dont il était accompagné. Du reste il ne faut jamais qu'elle soit en peine sur la pensée que je puis avoir de ses bons sentiments pour moi. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE CCLXXVIII.  A Meaux, ce 21 novembre 1698.

 

J'ai reçu votre lettre du 10, au retour de Fontainebleau, c'est-à-dire depuis trois jours. M. de Chevreuse ne songe plus à me voir, mais à détourner les yeux quand il me rencontre : j'aime mieux cela que la dissimulation. Il faut espérer que la décision qu'on attend du Pape, dans ce mois-ci ou dans l'autre, changera les cœurs, et ne nous donnera pas, comme je le crains beaucoup, de simples dehors. Assurez-vous que de mon côté le cœur est le même. Ma réponse contient une exacte vérité. Tout ce qu'on fait contre moi est plein d'aigreur et d'une hauteur affectée. On craint de ne le pas prendre d'un ton assez haut, et de paraître me céder en quoi que ce soit. Pour moi, je ne verrai jamais que l'avantage de la cause, et encore poussé par la charité.

J'irais avec plaisir à Torci, mais vous voyez la saison et le temps. Tenez-vous ferme aux règles que je vous ai données, surtout dans la matière dont vous me parlez. Mettez en Dieu toute votre sollicitude, assurée qu'il a soin de vous : je vous en suis caution. Conduisez ma Sœur de Saint-Bénigne. Dieu vous conduira, et je ne vous manquerai jamais ni à la vie ni à la mort, ni

 

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à Madame de Luynes dans l'occasion. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE CCLXXIX (a).

 

Vous n'avez point à vous confesser ni à vous embarrasser de ces peines qui ont rapport à moi, ni d'aucune autre. Gardez-vous bien de vous retirer pour cela de la communion.

« Dieu, qui par son commandement fait sortir la lumière des ténèbres, a répandu dans nos cœurs la lumière qui rejaillit de la face de Jésus-Christ (1). » C'est peut-être le secret dessein de Dieu dans ces noirceurs qu'il a permises : c'est peut-être aussi qu'il a coutume de donner un contre-poids à ses grâces. Quoi qu'il en soit, on n'a pas besoin de pénétrer ses desseins, et il suffit d'être bien certain qu'il faut recevoir ce qu'il donne. C'est de quoi je vous assure, et qu'il n'y a point là d'illusion.

II ne faut point chercher à se défaire de ces fantômes : on n'en sera tout à fait défait que lorsqu'on le sera de la chair et de la mortalité. Il suffit de s'élever au-dessus, et d'épurer ses pensées en désavouant tout ce qui vient des sens ; ou, ce qui fait le même effet, et plus grand, en ouvrant les yeux à de plus pures lumières.

Marchez en confiance et en sûreté, allez votre train malgré vos scrupules et vos peines. Dieu supporte nos faiblesses; et le chaste Epoux, tout jaloux qu'il est, ne nous traite pas à la rigueur. Recevez ses grâces particulières : mais gardez-vous bien d'en faire dépendre vos communions. A vous, ma Fille, de bon cœur.

 

LETTRE CCLXXX.

 

Les réponses précises ordinairement sont un peu sèches. La consolation dans les peines consiste plus dans la décision qui expose la vérité toute nue, que dans des discours pour la soutenir. Cette dilatation

1. II Cor., IV, 6.

(a) Nous donnons ici quelques lettres ou fragments qui sont sans date (Les premiers, par conséquent tous les édit.)

 

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de cœur ne se trouve guère dans les réponses qu'il faut faire à des questions de la nature de celles que vous proposiez ; et c'est pourquoi je souhaiterais que vous vous tinssiez aux résolutions qu'on vous donne, sans vous mettre à recommencer. Ce n'est point par rapport à moi, mais par rapport à votre repos que je parle ainsi : assurez-vous-en, et que je porte sincèrement vos peines devant Dieu. Je le prie qu'il soit avec vous.

 

LETTRE CCLXXXI.

 

Je vous ai offerte ce matin à Dieu, afin que vous ayez part avec moi à la gloire de Notre-Seigneur, et que nous nous en rendions dignes vous et moi par celles que nous prendrons à ses humiliations.

Pour vous préparer à votre confession, les psaumes XVII, XXXIII en et CIII, avec les sept Pénitentiaux, seront les plus propres; le VIIe chapitre de saint Luc, les XXI, XXII, XXIII, XXIV, XXV, et le XXVIe jusqu'au verset 15 de saint Matthieu, avec le XIIe de saint Jean. Tout y parle de la préparation à la dernière heure par une humble pénitence, et il faut apprendre à s'y élever des pieds de Jésus à sa tête.

Vous ne devez point appréhender que vos peines me rebutent : elles ont quelque chose de fort caché ; mais cela même m'encourage , parce que l'œuvre de Dieu, qui est la sanctification des âmes, doit être conduite parmi les ténèbres et dans un esprit de foi et d'abandon, tant du côté des directeurs que de celui des pénitents. Allez donc de foi en foi, et en espérance contre l'espérance.

Je salue Mesdames de Fiesque, de Lusanci, de Rodon, etc.

 

LETTRE CCLXXXII.

 

Vous n'avez plus à vous troubler de ces adhérences après la résolution précise que je vous ai donnée sur cela, ni à chercher les raisons sur lesquelles je me fonde, puisque je vous assure qu'elles sont certaines et si claires, qu'il n'y en a point en matière

 

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de direction de plus manifestes : mais c'est assez qu'elles me le soient, et le temps est venu où il faut absolument que vous vous reposiez sur ma foi en pleine soumission et obscurité.

C'est pour la même raison que vous devez continuer à tout exposer, parce que tout le repos, et pour le présent et pour l'avenir, qui vous est absolument nécessaire pour entrer dans les voies où Dieu vous veut, dépend de là.

Tenez-vous donc ferme à suivre la même conduite : je vous arrêterai où il faudra et quand il faudra; je vous l'ai déjà dit plus d'une fois, et je vous le répète encore. Dieu le veut ainsi : cela est, Amen, amen : croyez et votre foi vous sauvera.

Vous recevrez cette lettre par ma sœur Cornuau. Donnez-lui vos conseils : les miens sont qu'elle se soumette sans réplique et sans résistance.

Ecrivez au reste ce que Dieu vous inspirera dans l'occasion à Madame de Saint-Bernard. Dieu est seul : sa sainte volonté en toutes choses.

 

LETTRE CCLXXXIII.

 

Depuis ma lettre écrite, on me rend votre lettre du 16, sur laquelle je ne vois pas que j'aie rien de nouveau à vous dire. Noyez vos infidélités dans le sang de Jésus-Christ et dans l'abîme des bontés de Dieu, et continuez à marcher dans les voies qu'il vous ouvre. Il est au-dessus de tous ses dons et de toutes nos ingratitudes; et il donne, parce qu'il est bon. La crainte de l'illusion est ce que vous avez le plus à craindre. Parce que vous êtes infidèle, s'ensuit-il que les dons de Dieu ne soient pas, et que sa vérité ne subsiste pas?

Vous vous embarrassez peut-être trop de la manière dont on me recevra. J'offrirai à Dieu de tout mon cœur Madame votre nièce. Je vous bénis en partant, autant que je puis, de la bénédiction que Jésus-Christ donna à ses apôtres en s'élevant vers les cieux. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

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LETTRE CCLXXXIV. A LA SOEUR CORNUAU, RELIGIEUSE A TORCI. A Paris, ce 29 décembre 1700.

 

Voilà, ma Fille, ce qui m'est venu sur l'épitaphe de feu Madame d'Albert : il en faudrait dire davantage, si dans cette matière il n'était nécessaire de trancher court. Présentez-la de ma part à Madame de Luynes, dont je voudrais bien contenter l'amour par quelque chose de plus étendu.

Ci-gît

MARIE-HENRIETTE-THÉRÈSE D'ALBERT DE LUYNES.

Elle préféra aux honneurs D'une naissance si illustre et si distinguée

Le titre d'épouse de Jésus-Christ

En mortification et en piété.

Humble, intérieure, spirituelle

En toute simplicité et vérité,

Elle joignit la paix de l'innocence Aux saintes frayeurs d'une conscience timorée. Fidèle à celui qui, presque dès sa naissance, Lui avait mis dans le cœur le mépris du monde,

Elle fut longtemps l'exemple Du saint et célèbre monastère de Jouarre ;

D'où étant venue en cette maison

Pour accompagner une sœur chérie,

Elle y mourut de la mort des justes, Le 4 février 1699, Subitement en apparence,

En effet avec les mêmes préparations

Que si elle avait été avertie de sa fin.....

Pour vous, ma Fille, comme je vous l'ai dit tant de fois, vivez et mourez comme sous les yeux d'une si sainte amie. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

FIN DES LETTRES A MADAME D'ALBERT.

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