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LETTRES A DES RELIGIEUSES DE DIFFÉRENTS MONASTÈRES (a).

 

LETTRE PREMIÈRE.  A LA SUPÉRIEURE ET COMMUNAUTÉ  DE LA  CONGRÉGATION  A COULOMMIERS.   A Versailles, ce 6 juin 1681.

 

Dieu, en qui vous mettez votre espérance, me donnera par vos saintes prières la même vigilance qu'avait feu Monseigneur de Meaux, comme j'aurai pour vous le même cœur et la même affection : c'est ce que j'espère de sa bonté, et je vous assure en même temps que je suis sincèrement en son saint amour, etc.

LETTRE II.  A UNE SUPERIEURE DE RELIGIEUSES. A Germigny, ce 15 novembre 1682.

 

J'ai reçu, ma chère Fille, votre lettre du 13, et j'entre dans vos sentiments et dans vos raisons. J'ai lu les Ordonnances de visite que vous m'avez envoyées, tant de feu Monseigneur que de M. Pastel. J'ai été très-aise de les voir, et je ne me départirai jamais de ces saints règlements par lesquels le bon ordre et la paix régneront dans votre maison. Conservez ce précieux dépôt, plus encore dans vos cœurs que dans vos archives. Je vous renvoie le tout ; et je vous aurais fait réponse dès le matin, si on m'avait dit que votre messager l'attendait ici. Je serai, s'il plaît à Dieu,

(a) N'ayant point retrouvé les manuscrits, nous avons publié ces lettres d’après les premières éditions.

 

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mercredi à Meaux : je ne tarderai pas à vous voir, et je déclarerai à la communauté mes sentiments conformes aux vôtres. L'unité de la conduite m'a toujours paru un des plus grands biens dans les monastères.

Je parlerai aussi à ma Sœur de Sainte-Agathe : je suis bien aise du témoignage que vous me rendez de sa soumission.

Pour ce qui est de M. Pastel, vous ne sauriez mieux faire, ni rien qui me soit plus agréable, que de persister toutes dans sa conduite, parce que tous les jours je le reconnais de plus en plus très-propre au gouvernement des âmes, et à élever les religieuses à la perfection de leur saint état. Je suis de tout mon cœur, ma chère Fille, etc.

 

LETTRE III.  A MADAME DE BERINGHEN, ABBESSE DE FARMOUTIERS. A Meaux, ce 8 janvier 1683.

 

Je vous avoue, Madame, que je suis revenu le cœur affligé, de voir que ces préventions qu'on a mises contre vous dans les esprits avant votre arrivée, n'aient pu encore être dissipées. Il ne faut pourtant pas perdre l'espérance de ramener les esprits ; c'est ce que vous devez vous proposer pour but. Car la supériorité ecclésiastique étant un ministère de charité, il faut tâcher de rendre l'obéissance volontaire, afin que le sacrifice en soit agréable ; et se faire tout à tous, avec saint Paul (1), afin de gagner tout le monde. En attendant que cette confiance soit parfaitement établie, il faut avoir une autre fin subordonnée à celle-là, qui est de faire toujours les affaires tout le mieux qu'il se pourra, sans s'émouvoir des murmures qu'on n'aura pas pu empêcher, mais en réprimant aussi tout ce qui les peut exciter.

Le jour de mon départ je recommandai à la mère prieure, à la sous-prieure et aux religieuses qui étaient avec elles, de n'insulter, ni triompher, ni faire aucun reproche amer à personne sur tout ce qui s'était passé. Rien n'est plus indigne d'un bon

 

1 I Cor., IX, 22.

 

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parti, qui s'unit non point par cabale, mais par l'obéissance et par la règle, que de se servir de telles manières : il les faut laisser à celles qui s'unissent par des préventions, ou pour contenter leur humeur : mais celles qui n'ont que le bien commun pour objet, ne doivent donner aucun lieu à la contradiction par la raillerie ou par l'aigreur : rien aussi ne gâte plus les affaires. Nous n'en sommes pas encore au bout ; il s'en faut bien. La procuration est l'essentiel, et il ne faut point y susciter d'obstacles en aigrissant les esprits, ni faire des partages où le consentement est nécessaire.

Contenez donc, Madame, les discours, surtout ceux qui peuvent être rapportés. J'en ai entendu quelques-uns, et des manières de raillerie assez innocentes en elles-mêmes, qui étant rapportés, porteraient les choses à des aigreurs irrémédiables. Ce n'est rien d'avoir de l'esprit et de bien parler ; tout cela sans la prudence et la charité, ne fait que nuire. Vous parlez et vous agissez avec tant de modération, que tout le monde doit vous imiter. Vous savez comme les choses se changent et s'aigrissent par les rapports. On n'est attentif dans la maison qu'à ce qui se passe chez vous : non-seulement ce que vous dites, Madame, mais encore ce qui se dit en votre présence est tourné en cent façons différentes ; et c'est ce qu'il faut arrêter dans la source, en réprimant tout ce qui peut causer de mauvaises dispositions. Cette contrainte est une partie de la servitude que la charité impose aux supérieurs. Je vous prie, Madame, accommodons-nous aux infirmes que nous voulons gagner ; ne changeons rien que ce qui est absolument mal : viendra le temps, s'il plaît à Dieu, où vous aurez le moyen de faire la plénitude du bien. Cette liberté est le fruit de la patience ; c'est par la condescendance qu'on établit l'autorité : vous ferez tout, pourvu que vous commenciez tout à propos, et chaque chose en son temps.

Il n'est pas temps de contraindre ces filles sur les communions, et c'est pourquoi je n'en parle pas encore : nous ferons en son temps ce qu'il faudra. Je crois, Madame, qu'il est à propos de laisser aller les choses à l'ordinaire. Avertissez, instruisez, persuadez, n'usez d'autorité que pour empêcher ce qui sera absolu ment

 

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mal. Vous savez aussi bien que moi tout ce que je, vous dis : mais Dieu attache de si grandes bénédictions à ses vérités, quand elles sont portées par les canaux ordinaires et par la bouche de ceux qu'il eu a chargés, que je crois même pour cette raison vous devoir dire ce que vous savez, afin qu'il fructifie davantage dans votre cœur, et qu'il se répande dans toute votre conduite.

Je vous envoie l'obédience de Madame du Mastelle ; M. le promoteur me l'a présentée de votre part et de la sienne. J'ai mis une petite clause aux entrées, que je crois nécessaire surtout dans la conjoncture présente. Tout cela est remis à votre prudence. Trouvez bon que j'efface les couchées, qui feraient présentement trop de bruit, et qui au fond doivent être réservées pour les personnes d'une certaine considération, dont l'amitié est utile, dont la présence est fort rare, dont le respect impose une espèce de nécessité. Tout cela est entre nous ; et si le mémoire des entrées devait être vu, on n'y verrait pas une rature faite de ma main, dans une chose qui a dû passer par les vôtres. Au surplus, dans les occasions extraordinaires, vous êtes la maîtresse et vous pouvez, sans attendre aucune permission, faire ce que votre prudence vous inspirera.

Surtout, Madame, mettons notre confiance en celui qui tourne les cœurs comme il lui plaît, par des voies aussi douces que sûres. J'ai souvent éprouvé que cette confiance en Dieu, Moteur des cœurs, fait trouver des facilités dans des choses qui paraissoient impossibles : mais cette dévotion doit être accompagnée de douceur, de charité, de patience et de persévérance.

J'espère être aujourd'hui à Paris, où je recevrai dorénavant les avis que vous voudrez me donner. Je n'ai pas besoin de vous recommander de ne procéder à l'emprunt qu'à mesure qu'il sera nécessaire : c'est vous-même qui m'avez dit que vous en vouliez user ainsi. Ce serait un bon moyen de calmer les esprits, que de ne consommer pas d'abord tout le pouvoir que vous avez. Mais vous savez mieux tout cela que moi ; et je finis en vous assurant, Madame, que je n'oublierai rien pour vous procurer toute la satisfaction possible, et tout le repos que vous méritez. Je vous

 

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envoie la lettre que j'écris à vos religieuses toute ouverte, et il n'y aura, s'il vous plaît, qu'à la leur rendre dans le même état.

 

LETTRE IV.  AUX RELIGIEUSES DE FARMOUTIERS. Ce 8 janvier 1683.

 

Je ne veux point sortir du diocèse sans vous assurer qu'eu quelque lieu que je sois, je vous porte toutes dans le cœur. Soyez persuadées invinciblement que je n'ai rien qui me touche plus que le désir de conserver dans votre sainte communauté tout le bien que vos vénérables abbesses, dont la mémoire m'est chère autant qu'à vous, ont établi parmi vous. Par la grâce de Dieu, je vous assure que celle que Dieu vous a donnée ne songe qu'à maintenir la régularité et l'observance qu'elle a trouvée dans la maison, et que je me crois obligé en conscience de ne me départir jamais de la résolution que Dieu m'inspire d'employer à un si grand bien toute l'autorité qu'il m'a donnée. Ce fondement étant posé, voilà bien des craintes, bien des soupçons, bien des défiances dissipées. Il faut après cela que peu à peu la confiance s'établisse entre Madame votre abbesse et vous, et par la confiance l'union parfaite des esprits et la consommation de l'obéissance.

Vous n'ignorez pas, mes Filles, que l'obéissance à la supérieure ne soit ce qu'il y a de plus essentiel à la vie religieuse : c'est proprement ce qui en fait le fond. L'obéissance aux supérieurs majeurs est l'obligation commune de tous les fidèles de Jésus-Christ envers les pasteurs qu'il a établis, et qu'il ne cesse de substituer à la place de ses apôtres : mais l'obéissance du dedans, j'entends celle qu'on doit à la supérieure, c'est celle qui fait proprement les religieuses. Sur ce fondement, mes Filles, je me sens obligé de vous déclarer que l'empressement du temps, et peut-être d'autres raisons ayant retardé la publication de l’Ordonnance de visite, vous devez en attendant obéir à votre abbesse.

 

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Je loue le pieux désir que vous avez de conserver jusqu'aux moindres observances. Il faut aimer jusqu'aux moindres choses de sa profession, quand on veut soigneusement conserver les grandes, et baiser pour ainsi dire avec respect jusqu'à la frange de l'habit de l'Epouse (1) : mais en même temps il faut entendre que tout n'est pas d'une égale importance, et que dans celles qui de leur nature sont indifférentes, l'obéissance doit être la règle. Par exemple, j'en vois parmi vous qui sont émues, je le dirai franchement, plus que de raison sur l'ordre des Antiennes : je ne les condamne pas, parce qu'elles croient que c'est la règle ; mais je dois vous assurer que la règle n'est pas si expresse qu'elles pensent, et que la pratique des monastères les plus réformés de l'ordre, tant d'hommes que de filles, est conforme à ce qu'a réglé Madame l'abbesse. Au fond ce qu'il y a ici d'essentiel, c'est d'éviter la confusion, de s'entendre, de garder l'uniformité, et d'exercer l'obéissance. Il ne faut donc pas se laisser tellement choquer de ce qui est nouveau, qu'on ne regarde le fond des choses, et qu'on n'apprenne à mettre la perfection où elle est. Au surplus je ne détermine encore rien ; j'aime mieux persuader qu'ordonner. Madame l'abbesse cédera toujours contre ses propres pensées à ce qui sera raisonnable ; mais il ne faut point s'opiniâtrer sur les choses peu essentielles.

Assurez-vous, encore une fois, que l'intention est de maintenir l'observance dans Farmoutiers avec autant de vigueur et de pureté que jamais. Vivez dans cette assurance; et ne croyez pas que les divisions soient jamais irrémédiables, où la charité domine au fond.

Priez sans relâche; je prierai avec vous. Si mes péchés empêchent que mes bonnes intentions aient d'abord tout leur effet, je crois fermement qu'en me purifiant tous les jours devant Dieu, et en mettant ma confiance comme je le fais de tout mon cœur en sa seule grâce, il ne tardera pas à me donner l'accomplissement de mes désirs. Vous les savez, je vous les ai dits en entrant chez vous; c'est que la paix que j'étais venu vous annoncer ne revint pas à moi. Coopérez à mes soins, et à mes prières par les

 

1 Psal., XLIV, 14.

 

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vôtres. Soyez attachées à Dieu ; conversez beaucoup avec lui, et peu avec les créatures : songez à la compagnie que vous trouverez toujours dans vos cellules, pourvu que vous n'y cherchiez que celle-là : Dieu vous y attend à chaque moment; Jésus-Christ votre Epoux vous y appelle. Si vous êtes véritablement avec lui, chacune de vous sera douce, modeste, charitable envers ses Sœurs : nulle parole d'aigreur ni de raillerie ne s'entendra parmi vous : la charité sera seule victorieuse, et l'on ne se glorifiera jamais que de cette seule victoire.

Faites tout selon l'ordre, et chaque chose à l'heure marquée ; songez à la manière admirable dont la règle exprime cette ponctualité: que tout autre ouvrage cesse à l'instant, quand il s'agit d'accomplir celui de l'obéissance.

Ainsi vous serez ma consolation et ma joie en Notre-Seigneur Jésus-Christ; et moi, en son saint amour, votre serviteur très-acquis, et vraiment un père commun, qui ne sera ni pour Apollo, ni pour Céphas, ni pour Paul, mais pour Jésus-Christ; et toujours avide de faire cesser tous les noms de partialité, afin que celui de Jésus-Christ soit seul entendu parmi vous.

Ne soyez point en peine des entrées; on les modérera de telle sorte qu'en écoutant les désirs des particuliers, le repos commun n'en sera pas troublé. Ecrivez-moi avec confiance tout ce qui méritera de m'être écrit. Soyez persuadées que votre abbesse a le temporel à cœur comme un fondement nécessaire du bon ordre. Je suis dans le même sentiment, n'en doutez pas; et me croyez, encore une fois, en la charité de Notre-Seigneur.

 

LETTRE V.  A MADAME DE  BERINGHEN.  A Germigny, ce 6 octobre 1684.

 

Me voilà donc, Madame, bien multiplié : si on m'avait encore donné la parole, vous étiez perdue, et vous ne reviendriez jamais de l'étourdissement où vous jetteraient tous mes beaux propos. Jouissez du moins, Madame, de mon silence : mais soyez bien

 

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persuadée que je ne le voudrais rompre que pour vous dire combien je suis sensible à vos bontés. Je salue de tout mon cœur Mesdames vos Sœurs. J'userai de votre mémoire selon vos désirs, et, puisque vous le voulez, je ménagerai surtout le chagrin d'un père que vous aimez tant.

 

LETTRE VI.  A MADAME DE TANQUEUX, SUPÉRIEURE DES FILLES CHARITABLES DE LA FERTÉ.  A Germigny, ce 20 octobre 1684.

 

Il m'a été impossible, Madame, quelque volonté que j'en eusse, de trouver le temps d'aller à la Ferté. Je pars lundi pour Crécy, où j'achèverai le mois : s'il reste quelque beau temps après la Toussaint, je ferai ce que j'avais projeté, sinon je pourvoirai d'ailleurs à votre satisfaction.

J'ai revu très-soigneusement vos règlements, où j'ai réformé quelque chose; rien dans la substance. J'aurai quelque chose à considérer avec vous sur le règlement de la journée : je ferai après cela mettre le tout au net, et vous le donnerai revêtu de toutes les formalités requises. Soyez persuadée, Madame, que j'affectionne cette œuvre, et que j'en prendrai un soin particulier, surtout quand j'y verrai une supérieure dont vous serez parfaitement contente, et sur laquelle je pourrai m'assurer.

Il faudra chercher un prêtre pour vous faire avoir deux messes à Chamigny. Nous sommes dans une grande disette de prêtres, et si vous en connaissez quelqu'un, vous me ferez plaisir de me l'adresser : mais les paysans, qui s'obstinent à ne vouloir pas qu'il serve de maître d'école, en se chargeant d'avoir un garçon pour le service, nous font de la peine, parce qu'un prêtre ne saura que faire quand il aura dit sa messe : vous savez ce qui en arrive. Je suis, Madame, de tout mon cœur, etc.

 

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LETTRE VII.  AUX RELIGIEUSES DE COULOMMIERS. A Meaux, ce 17 janvier 1685.

 

Je vous envoie la Vie de la vénérable Mère d'Arbouze, abbesse et réformatrice du Val-de-Grace, qu'un saint prêtre (a) a écrite avec grand soin, sur de bons mémoires. Les exemples de piété et de régularité que Dieu produit dans nos jours ont quelque chose de plus touchant pour nous, que ce que l'on peut recueillir des siècles passés; et Dieu ne manque pas de susciter de temps en temps dans son Eglise des personnes d'une vertu éminente, afin que tout le siècle en soit échauffé. Profitez donc de cette vie ; car encore que la sainte abbesse dont il s'agit soit d'un autre ordre et d'une observance plus rigide, vous y trouverez dans un haut degré les pratiques communes de la piété chrétienne et de la perfection religieuse, et vous tirerez un grand profit de cette lecture, si vous la faites dans l'esprit que je vous ai marqué dans mon Ordonnance de visite. Ecoutez sur toutes choses ce que vous verrez sur l'obéissance.

Je ne dois point vous dissimuler, mes Filles, que c'est à cette vertu qu'on manque principalement dans votre Maison. Je vous ai rendu ce témoignage, que je trouvais parmi vous beaucoup de commencement de piété et une grande espérance d'une moisson abondante ; mais ce sera par l'obéissance que ces fruits viendront à maturité. Il ne faut plus que chacune de vous veuille faire en tout à sa volonté, et que votre soin soit de faire entrer les supérieurs dans vos sentiments, mais d'entrer dans les leurs. C'est là que réside la perfection aussi bien que le repos, et tout le reste n'est qu'illusion et vaine agitation d'esprit.

Cette multiplicité de directeurs que l'on recherche est un effet de l'attachement que l'on a à soi-même. Je souffre beaucoup de ce qu'il faut condescendre à vous en donner tant, quoiqu'ils soient très-honnêtes gens. Mais quand je vois qu'on ne se contente pas

 

(a) M l'abbé Fleury, auteur de l'Histoire ecclésiastique.

 

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d'avoir des directeurs capables de donner de bons avis dans le besoin, et qu'on est si difficile dans les confesseurs ordinaires, je reconnais qu'on est bien éloigné de l'esprit des saints. Si l'on re-gardoit en eux Jésus-Christ qui nous absout, on n'aurait pas tant de vains raffinements. Sans vouloir faire le panégyrique de votre confesseur, que j'estime beaucoup plus qu'une partie de vous ne peut faire, il en sait plus qu'il n'en faut pour vous appliquer le sang de Jésus-Christ. Je le trouve judicieux et d'une saine doctrine; et si vous avez ou croyez avoir des besoins extraordinaires, il devrait vous suffire d'avoir des directeurs que vous pouvez consulter de temps en temps. Prenez garde attentivement au chapitre où il est parlé de ce sujet, et à ce qu'en disait la Mère d'Arbouze. Mais enfin puisque vous n'êtes pas encore parvenues à la perfection de l'unité, soyez du moins soumises à l'ordre de Dieu; et sans vouloir censurer les autres, obéissez à celui que vous avez vous-mêmes demandé.

Souvenez-vous de ce que je vous ai dit sur la communion. Méditez sur cette parole de Notre-Seigneur : « Ne jugez point, et vous ne serez point jugés » et celle de saint Paul : « Pourquoi jugez-vous le serviteur d'autrui? » On se trompe quand on croit qu'un directeur ne peut priver de la communion que pour des crimes; et ce n'est pas une moindre erreur de croire que toutes les religieuses soient exemptes de grands péchés. Laissez le jugement à ceux auxquels Jésus- Christ l'a donné, et que chacune pratique ce que dit saint Paul : « Pensez à ceux qui doivent rendre compte de vos âmes (3). »

Au surplus je vous déclare encore une fois, que celles à qui la privation de la communion est une occasion de relâchement, sont dans une erreur manifeste. Celle qui n'est pas jugée digne de communier avec les Sœurs, doit se tenir ce jour-là plus que tous les autres dans la récollection et dans l'esprit d'humilité et de pénitence. Il faut que privée du pain de vie, elle se nourrisse de ses larmes, et se garde bien d'être plus gaie ou plus libre dans un temps où l'Eglise exerce sur elle un si sévère jugement. Si vous vous mettez en cet état les jours que vous serez privées de

 

1 Matth., VII, 1 ; Luc., VI, 37. —  2 Rom., XIV, 4. — 3 Hebr. XIII, 17.

 

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La communion, vous en viendrez bientôt à la communion fréquente, où vous trouverez en Jésus-Christ le repos de vos âmes. Les inquiétudes trop vives, les violentes agitations seront dissipées ; Dieu fera couler sur vous un fleuve de paix, dont les eaux rejailliront à la vie éternelle.

Lisez et relisez cette lettre; ce que Dieu dicte aux supérieurs est le vrai remède des maladies d'une maison, surtout quand ils sont instruits, comme je le suis, de ce qui se passe, et que vous les voyez occupés du soin de votre salut. Leurs soins et leur vigilance vous doivent faire sentir combien vos âmes leur sont chères et précieuses ; et celle pour qui son évêque veille a le cœur bien dur, si elle n'est sollicitée de veiller sur elle-même.

« Veillez donc et priez, parce que vous ne savez pas ni le jour ni l'heure à laquelle l'Epoux viendra (1) ; » et malheureuses les vierges qui trouveront les portes fermées, et auxquelles il dira : « Je ne vous connais point (2), » et enfin qu'il exclura éternellement des délices nuptiales. Ah! que mes Filles de Coulommiers ne soient point de ces vierges folles, que l'huile ne leur manque pas, que leurs lampes soient allumées, que leurs vertus et leurs bonnes œuvres soient exposées devant Dieu et devant les hommes, afin qu'on y glorifie en elles le Père céleste. C'est la grâce que je vous souhaite en vous donnant ma bénédiction à toutes et à chacune en particulier, et je suis en la charité de Notre-Seigneur, etc.

 

LETTRE VIII.  A DES RELIGIEUSES DE LA VILLE DE MEAUX. A Germigny, ce jour de Saint-Jacques et de Saint-Philippe, 1685.

 

La paix et l'amour de Notre-Seigneur soit avec vous.

Je reçois votre présent avec joie et reconnaissance : tout y est bénignité, tout y est paix, tout y est douceur ; voyez ce que Dieu fait par le chétif ministère de ses serviteurs. Mais si c'est ici une œuvre de Dieu, il faut qu'elle soit durable; car l'esprit pacifique

 

1 Matth., XXV, 13. — 2 Ibid., 12.

 

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que vous avez, selon l'Evangile, représenté par la colombe, vient dans les cœurs non-seulement pour y être, mais pour y demeurer : « Il y demeurera, vous dit Jésus Christ, et il y sera. »

Que je suis ravi, mes Files, que vous goûtiez ce silence où Dieu seul se fait entendre! Qu'il parle puissamment quand la créature se tait devant lui, et s'occupe du seul nécessaire ! Si vous continuez, vous serez vraiment ma joie, ma consolation et ma couronne au jour de Noire-Seigneur. Vos prières m'obtiendront la miséricorde dont j'ai tant de besoin, et Dieu ne méjugera pas dans ses rigueurs.

Je vous envoie l'Ordonnance, que je vous prie de relire et d'observer soigneusement : elle est écrite d'une main qui vous est connue et qui vous est chère. Abandonnez-vous à Dieu; vous aurez toutes en général et toutes en particulier ce que vous avez demandé. Car au fond que demandez-vous, sinon la paix dans l'obéissance? Dieu pourvoira à tout, Dieu fera tout.

Je retournerai demain à Meaux, s'il plaît à Dieu, et jeudi j'irai célébrer la messe chez vous, et y honorer les mystères incompréhensibles de la croix, source d'éternelle concorde et de paix entre Dieu et les hommes. Je suis en la charité de Notre-Seigneur, etc.

 

LETTRE IX.  A MADAME DE BERINGHEN, RELIGIEUSE A FARMOUTIERS. A Germigny, ce 30 mai 1685.

 

Votre lettre d'hier, Madame, m'avait donné un peu de repos sur le sujet de Madame votre tante : mais j'apprends aujourd'hui que les choses ne vont pas mieux, et qu'elle a reçu le saint Viatique. J'ai cru qu'il était nécessaire que le P. visiteur se rendît aussitôt à Farmoutiers. Il ne faut pas l'exciter à vous procurer, à Mesdames vos Sœurs et à tout le couvent, toutes les consolations possibles. Je n'ai pas laissé de l'en charger ; et sans la visite que j'ai indiquée, j'aurais été moi-même pour vous soulager. Je vous prie d'être persuadée qu'on ne peut être plus touché que je le suis

 

1 Joan., XIV, 17.

 

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du triste état où vous êtes. Dieu n'envoie de tels fléaux qu'avec des desseins de miséricorde, pour attirer à lui les cœurs qu'il afflige. Je suis, Madame, comme vous savez, très-cordialement à vous.

 

LETTRE X.  AUX RELIGIEUSES DE FARMOUTIERS.  A Germigny, ce 1er juin 1685.

 

Quand Dieu frappe de cette sorte (a), mes Filles, il avertit de prendre garde à soi, et de songer non-seulement à son salut, mais encore à la perfection. Je puis dire que votre perte m'a fait sentir que j'étais père : mais ce n'est pas assez de l'être en ressentant votre affliction, il faut l'être encore en vous exhortant à profiter de ces moments précieux. C'est assurément dans les grandes douleurs que Dieu se plaît à travailler dans les cœurs. Il y applique avec la croix de son Fils les grâces qui l'accompagnent ; et en nous ôtant les personnes chères, il veut que nous apprenions à réunir nos affections en lui seul.

Je m'en vais offrir à Dieu le saint sacrifice pour la défunte. Je rendrai grâces à ses bontés de lui avoir donné une fin si sainte et si exemplaire, si digne des saintes abbesses qui l'ont précédée, et de la sainteté du monastère de Farmoutiers. J'espère que la gloire s'en relèvera de plus en plus, et que Dieu saura donner à cette abbaye une abbesse digne de sainte Fare. Je ne vous dis point mes vœux ; je les ai exposés ailleurs, et ne cesse de les répandre devant Dieu. Reposez-vous, mes Filles, sous les ailes de sa Providence paternelle : mettez en lui seul votre espérance, et considérez que tout ce qui passe ne mérite point l'attention de celles qui sont nées pour l'éternité. Je suis à vous de tout mon cœur en la charité de Notre-Seigneur.

 

(a) Dieu venait d'enlever presque subitement Madame de Beringhen, abbesse de Farmoutiers.

 

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LETTRE XI.  A MADAME DE BERINGHEN. NOMMÉE ABBESSE DE FARMOUTIERS.   A la Ferté-sous-Jouarre, dimanche 3 juin.

 

La nouvelle que je viens d'apprendre de votre nomination, était la seule qui pouvait diminuer la peine que me donnait la perte d'une abbesse aussi illustre que feu Madame de Farmoutiers. Ce qu'on me mande des sentiments de la communauté, me fait espérer que votre gouvernement sera heureux. Je suis confirmé dans cette pensée par la grâce que Dieu vous fait de ressentir le poids de la charge qui vous est imposée : une charité sincère vous le rendra léger. Songez, ma Fille, qu'il faut cesser d'être à soi, quand on est aux autres ; et que quand on est appelé à la conduite des âmes, on est appelé plus que jamais à l'humilité et à l'anéantissement de tout ce qu'il y a d'humain.

Je n'ai pas le loisir d'écrire à Madame d'Arminvilliers, ni à la communauté, pas même au P. prieur. Commencez à prendre soin du monastère ; et assurez toutes vos Sœurs, qui seront bientôt vos Filles, qu'ayant pris une part extrême à leur juste douleur, j'en prends aussi beaucoup à la consolation que Dieu leur envoie. Soyons-nous les uns aux autres un exemple de sainteté. Je ferai l'oraison funèbre de Madame votre tante, puisque vous le souhaitez, et que vous voulez bien que je prenne le temps qui me sera le plus commode.

 

LETTRE XII.  A MADAME DE BERINGHEN. NOMMÉE ABBESSE DE FARMOUTIERS.   A Germigny, ce 15 juin 1685.

 

J'ai de la peine à croire, Madame, que vos bulles puissent être retardées par le défaut d'agrégation, puisque, comme vous le

 

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remarquez, vous êtes dans la maison depuis tant d'années : mais comme cette agrégation ne peut nuire, vous pouvez la prendre et l'envoyer à M. le Premier, en lui marquant l'avis qu'on vous a donné de Paris. M. l'archevêque de Reims saura bien choisir ce qui sera nécessaire, et en tout cas cet acte ne peut que faciliter du côté de Rome. Votre information est signée, et doit être envoyée aujourd'hui chez M. le Premier.

Au reste souvenez-vous, ma Fille, de l'obligation où vous êtes de résister à votre douleur. La douleur a je ne sais quelle trompeuse douceur, à laquelle il faut s'opposer comme aux autres : mais elle abat à la fin et rend l'âme paresseuse. Dieu veut qu'on soit vigilant, surtout quand on se prépare à entrer dans un état où l'on doit rendre compte de soi et des autres. Je prie Dieu qu'il vous remplisse de son Esprit consolateur.

 

LETTRE XIII.  A MADAME DE BERINGHEN. NOMMÉE ABBESSE DE FARMOUTIERS.  A Meaux, ce 2 août 1685.

 

Je ne puis quitter le diocèse, pour peu de temps que ce soit, sans vous dire adieu, ma chère Fille. J'espère être ici sur la fin du mois, et nous ferons le service avec l'oraison funèbre de cette chère tante dans le mois de septembre, s'il plaît à Dieu. Il sera bientôt temps de m'envoyer ce que vous saurez, pour le joindre à l'imprimé que j'ai reçu, et il sera bon de m'instruire de quelque chose de la famille : car encore qu'il ne faille pas dans l'éloge d'une religieuse appuyer beaucoup là-dessus, il ne faut pas tout a fait l'omettre. Je m'en vais pour l'oraison funèbre de Madame la princesse Palatine (a), où Farmoutiers aura beaucoup de part. Je vous prie de me mander si vous comptez parmi les abbesses qui qui vous ont précédée, quelques princesses ou de France ou de

 

(a) Elle avait été élevée à Farmoutiers, où dans ses premières années elle paraissait vouloir se consacrer à Dieu.

 

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quelque autre Maison souveraine. Je salue de tout mon cœur Madame votre sœur, et suis à vous très-sincèrement.

 

LETTRE XIV.  A  MADAME  DE BERINGHEN. NOMMÉE ABBESSE DE FARMOUTIERS.  A Meaux, ce 2 août 1685.

 

Je suis fâché du mal de la Mère de Sainte-Agnès, dont M. Morin m'avait déjà informé, et j'avais déjà résolu sur son rapport de lui accorder son obédience pour aller aux eaux, puisque c'est le seul remède par lequel on peut espérer de la secourir. Je vous envoie la permission pour elle et pour la Mère de Saint-Alexis. Celle-ci servira, s'il vous plaît, pour vous et pour la Mère prieure. Vous recevrez, outre celle-ci, une lettre qui n'attendait que la première commodité (a). J'ai toujours beaucoup de joie quand je reçois de vos nouvelles, et suis, ma chère Fille, très-cordialement à vous.

 

LETTRE XV.  A LA SUPÉRIEURE DES URSULINES DE MEAUX. A Paris, ce 20 août 1685.

 

Je me réjouis, ma chère Fille, du témoignage que vous rendez à la manière sincère dont toutes vos Sœurs me témoignent leur obéissance : je vous prie de les assurer que plus elle sera grande et sincère, plus je me sens engagé à prendre un soin particulier de leur avancement et de leur repos. Pour vous, je ne puis vous dire combien je suis content de votre conduite, et combien je la trouve digne d'une bonne religieuse et d'une bonne supérieure. Je suis de tout mon cœur, ma chère Fille, votre très-affectionné serviteur.

 

(a) La lettre précédente.

 

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LETTRE XVI. AUX   URSULINES   DE  MEAUX.  A Paris, ce 20 août 1685.

 

Je reçois, mes chères Filles, avec une joie sensible le témoignage sincère de votre obéissance, que vous me donnez en commun : rien ne me pouvait donner plus de joie, puisque rien ne marque tant le progrès que vous faites dans la vertu et dans le chemin de la perfection, dont l'obéissance est le fondement. D'ailleurs rien ne peut toucher davantage un Père que l'obéissance, qui marque le vrai caractère de Fille, et lui donne une favorable ouverture pour avancer dans la perfection les enfants que Dieu lui a donnés. Priez Dieu que dans le désir immense qu'il m'inspire de vous avancer à la perfection de votre état, je travaille aussi à la mienne sans relâche, et que nous nous soyons les uns aux autres un motif de plaire à Notre-Seigneur, dans l'amour duquel je suis cordialement, mes chères Filles, votre très-affectionné serviteur.

 

LETTRE XVII.  A MADAME DE  B ERINGHEN.  ABBESSE DE FARMOUTERS. A Meaux, ce 6 septembre 1685.

 

Je suis ravi, ma Fille, d'apprendre de vos nouvelles, et de voir que votre santé paraisse bonne. Je vous irai voir le plus tôt qu'il se pourra ; mais je ne puis encore marquer le temps précis. M. le curé de Mauregard a raison de croire que votre recommandation lui sera utile auprès de moi. M. le prieur et curé de la Ferté-Gaucher, ici présent, me prie de vous parler d'une lettre qu'il vous a écrite, et de vous demander réponse de sa part. Je consens à l’entrée dont vous m'écrivez ; je me réjouis de vous voir en possession, et j'ai beaucoup d'espérance que Dieu bénira votre gouvernement. Je suis à vous, Madame, de tout mon cœur.

 

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LETTRE XVIII. A  MADAME DE TANQUEUX, SUPÉRIEURE DES FILLES CHARITABLES DE LA FERTÉ.  A Germigny, ce 30 septembre 1685.

 

Comme vous m'avez demandé à deux différentes fois la permission de communier, vous et les Sœurs, les jours ouvriers dans la chapelle, la première pour les infirmes, la seconde en général pour toutes les Sœurs, à cause des classes : hier en dictant ma lettre je ne me souvins que de la première concession que j'avais faite; niais je me suis souvenu depuis, et j'ai trouvé dans les mémoires que j'avais faits pour la visite, que j'avais aussi accordé la communion pour toutes les Sœurs. Ainsi mon intention est de vous continuer ce que j'ai accordé pour bonne raison. Vous pouvez dire à M. Rousseau qu'il peut continuer à vous communier comme auparavant, selon l'ordre qu'il en avait reçu de moi. Je dis le même pour la confession ; et afin que cela soit fixé sans qu'il y arrive de difficulté, renvoyez-moi ma lettre, afin que je fasse une ordonnance en forme, qui établira les choses comme elles doivent demeurer. Il est bon aussi de m'envoyer copie de ce que feu M. de Meaux a accordé pour la fête de sainte Anne.

Je suis fâché que M. de Fortias s'en soit allé sans que j'aie eu le bien de le voir. Je vous prie d'être persuadée que l'affection que j'ai pour la communauté ne peut être ralentie ; et que j'ai une estime très-particulière pour votre personne, et suis très-cordialement, etc.

 

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LETTRE XIX. A  MADAME  DE SAINTE - AGNÈS, SUPÉRIEURE DES URSULINES DE MEAUX.  Janvier 1686.

 

Je croyais, ma Fille, pouvoir vous voir avant mon départ, et dire à la communauté ce que Dieu demande d'elle en cette occurrence : c'est de se dépouiller de toute vue particulière sous les yeux de Dieu ; en sorte qu'on ait dans le cœur ce sentiment. Si cela est, Dieu donnera ses lumières, et le Saint-Esprit présidera à vos élections : ainsi soit-il. Je ne puis pas dire précisément quand je les ferai faire ; des affaires peuvent me retenir plus ou moins : tout ce que je vous puis dire, c'est que mon cœur me rappelle continuellement ici, et que votre communauté a beaucoup de part à l'attrait que je ressens.

J'apprends avec déplaisir qu'il y en a qui ne se confessent pas à M. de l’Isle : je vous prie de déclarer de ma part à la communauté que je désire absolument que tout le monde s'y confesse à l'ordinaire, ne pouvant en aucune sorte souffrir cette diversité qui vous rejetterait dans de nouveaux troubles. Déclarez donc à vos Sœurs que c'est un ordre général et irrévocable, et lisez-leur cette lettre.

Plus je connais ce prêtre, plus je le trouve saint et éclairé; et Dieu m'a fait ressentir qu'il fera un grand bien à la communauté. Je lui ai parlé de certaines choses qui pouvaient faire de la peine : c'étaient de bonnes pratiques en elles-mêmes; mais que je ne croyais pas bonnes pour votre communauté. Il en connaît les raisons ; et il n'aura pas encore été trois mois dans cet exercice, que vous ressentirez que la grâce de Dieu est en lui.

Mais je suis bien aise de vous dire (vous voyez, ma Fille, que c’est à la communauté que je parle), qu'il y a un manquement essentiel parmi vous; c'est que chacune rapporte à sa compagne ce qu'on lui dit et ce qu'on lui ordonne dans la confession, tant par conseil que par pénitence : c'est une mauvaise et très-injuste

 

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pratique : mauvaise, parce qu'elle est contre la révérence due au sacrement et à son ministre; injuste et très-injuste, parce qu'elle expose au blâme un confesseur à qui il n'est pas permis de se défendre. Il est juste que l'Eglise, qui lui ferme la bouche, la ferme aussi à celles qui pourraient parler contre lui. Qu'on ne le fasse plus par considération de mon juste désir, et qu'on ne m'oblige pas à des défenses absolues. Ne souffrez pas, ma Fille, que vos Sœurs aient de fréquentes et longues conversations avec les directeurs que je tolère. Si je n'apprends à mon retour qu'on est sur ce point dans la modération nécessaire, je serai contraint à révoquer tous les pouvoirs.

Pour vous, ma Fille, qui, Dieu merci, êtes exempte de toutes les choses qui font le sujet de cette lettre, rendez-en grâces à Dieu, vous et celles qui sont aussi dans la même pratique que vous, et inspirez ce sentiment aux autres. En votre particulier suivez sans crainte votre attrait, qui est bon. J'ai fait beaucoup de réflexions sur tout ce que vous m'avez dit de votre état : et très-content de ce récit, je n'ai qu'à vous exciter à vous perfectionner dans cette voie, qui est simple et droite.

Je remercie la communauté du présent que M. Morin m'a apporté de sa part, et suis, ma Fille, bien persuadé que mon portrait est dans les cœurs, gravé par les saints sentiments que Dieu m'a fait la grâce d'y porter selon mon ministère. A vous de bon cœur.

P.S. J'oubliais de vous dire que je parlerai à toute la communauté avant les élections.

 

LETTRE XX. A MADAME DE BERINGHEN, A BBESSE DE FARMOUTIERS.  A Meaux, ce 5 de l'an 1686.

 

Je prie Dieu, ma Fille, qu'il vous renouvelle à ce renouvellement d'année, et de mon côté je suis bien aise de vous renouveler les assurances d'une fidèle et constante amitié.

 

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J'apprends avec joie de M. Morin votre médecin, que votre santé est bonne, et que le repos est extrêmement propre à rétablir votre poitrine affaiblie. Je vous prie donc de vous ménager, et de croire qu'en le faisant dans l'esprit d'obéissance et de charité pour vos Filles, vous offrirez à Dieu un sacrifice agréable.

On me propose il y a longtemps de faire à Farmoutiers un établissement d'une école de filles, et d'y envoyer la Sœur Berin, qui est capable d'enseigner la jeunesse. On me fait entendre que vous voulez bien donner un logement, quelques pains toutes les semaines, et du bois. Je vous prie de me mander ce que vous pouvez faire : et comme on me dit en même temps que la nièce de M. Vaillant peut contribuer à cette bonne œuvre, je vous serai obligé de parler avec M. le curé, afin que je sache de quoi on peut faire état. Véritablement ce sera un bien inestimable de pouvoir procurer une école aux filles, qui sont très-mal instruites : mais je serai bien aise de savoir au vrai ce qu'on peut faire sur les lieux, afin que je prenne mes mesures là-dessus. Je vous prie donc de mander toutes les personnes qui peuvent savoir ce qu'il y aurait à faire, M. le curé, M. Vaillant, sa nièce et la mère de cette nièce, qu'on m'a dit qui prêterait des meubles, et de m'instruire de tout, afin que je prenne une résolution avant mon départ. Je me recommande de tout mon cœur à la sainte communauté, et en particulier à Madame votre sœur. De tout mon cœur à vous.

 

LETTRE XXI.  A  LA  SUPÉRIEURE ET COMMUNAUTÉ DES FILLES CHARITABLES DE LA FERTÉ.  A Meaux, ce 18 janvier 1686.

 

Mes Filles, je n'ai point douté que vous n'eussiez de la joie d'instruire les nouvelles Catholiques. Ce n'est pas assez de les recevoir quand elles viendront ; il faut que la charité vous fasse trouver le moyen de les attirer, et que vous les alliez chercher dans leurs maisons. C'est là ce que Dieu demande de vous, d'aller

 

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au-devant de la foi encore infirme, et de travailler à la soutenir : il faut beaucoup de douceur et de patience.

Inspirez-leur les dévotions communes et solennelles de l'Eglise ; les particulières doivent être réservées à un autre temps : surtout qu'elles commissent que nous savons goûter Dieu et Jésus-Christ, et qu'elles ressentent que parmi nous on s'unit à Dieu par Jésus-Christ et ses saints mystères, et surtout par celui de la communion, plus intimement et par des voies plus pénétrantes qu'elles ne l'ont appris dans leur première religion. Apprenez-leur l'humilité et la docilité d'esprit, sans laquelle on ne connaît jamais Dieu ni ses vérités : celles qui seront jugées capables de lire le Nouveau Testament, et particulièrement l'Evangile, doivent apprendre de vous que l'humilité est celle qui introduit au secret, et qui apprend à goûter la parole de l'Epoux. Enfin, mes Filles, contentez mon cœur dans le désir qu'il a que ces nouvelles plantes prennent tout à fait racine, et portent des fruits agréables à Dieu et dignes de sa sainte Eglise. Amen; amen. Dieu soit avec vous, mes Filles.

 

LETTRE XXII.  A MADAME DE BERINGHEN. A Paris, ce 27 janvier 1686.

 

Vous pouvez croire, Madame, que je n'ai nul dessein de vous faire tort. Je n'ai pas même conçu que les comptes de la paroisse se rendissent devant vous, et j'avais commis seulement à la place du curé, parce que les curés sont bien aises quelquefois de n'avoir rien à démêler avec leurs paroissiens dans le temporel. Il n'y aura qu'à faire les choses à la coutume; et mon dessein, non plus que le vôtre, n'est pas d'innover. Surtout rien ne changera jamais dans l'attachement que j'ai à votre service.

 

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LETTRE XXIII.  A LA SUPÉRIEURE DES URSULINES DE MEAUX.  A Paris, ce 20 février 1686.

 

Il est vrai, ma Fille, que je ne puis être à Meaux au commencement du carême ; je ne tarderai pourtant pas : voyez ce que vous avez à faire, et ne manquez pas de me l'écrire.

L'attrait que je vous exhorte de suivre, regarde principalement l'occupation envers les perfections divines : j'approuve aussi tout le reste que vous m'avez exposé de vos dispositions. Je ne crois pas qu'il faille tant éplucher si on a commis dans toute sa vie des péchés mortels, ou non : il faut toujours supposer qu'on n'a que trop mérité l'enfer, si Dieu nous traitait à la rigueur, et mettre son appui sur son infinie miséricorde et sur les mérites du Sauveur : c'est le vrai soutien du chrétien.

Exhortez ma Sœur de N*** à faire effort sur elle-même, et à ne désespérer jamais de la grâce de Dieu, puisqu'il ne la conserve que pour lui donner le temps de se convertir tout à fait. Je suis bien aise de ce que vous me mandez des dispositions de vos Sœurs. A mon retour, je m'appliquerai à mettre M. de l'Isle au point où il faut qu'il soit, afin que la maison tire le profit qu'on peut espérer de ses talents. Je suis à vous, ma Fille, de tout mon cœur.

 

LETTRE XXIV.  A MADAME  DE BERINGHEN. A Meaux, ce 4 avril 1686.

 

Voilà, Madame, la sœur Berin qui va commencer l'école de Farmoutiers dont vous m'avez parlé. Je vous supplie de lui accorder votre protection, et ce que vous m'avez promis pour elle dans votre lettre. Nous tâcherons de faire le reste, et de pourvoir le mieux qu'il sera possible à l'instruction des enfants. C'est un très-bon sujet, et très-exercé en cette pratique.

Je suis, Madame, de tout mon cœur à vous.

 

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LETTRE XXV. A  MADAME DE  BERINGHEN.  A Meaux, ce 16 juin 1686.

 

Vous pouvez, Madame, remettre la triste cérémonie jusqu'au temps qui sera commode à M. votre frère. Cela ne me fait aucune peine; et dès à présent, si vous le voulez, je tiens l'affaire pour remise au mois de juillet. Je ne laisserai pas, en attendant, de vous aller voir; et il y a si longtemps que j'en ai envie, que je ne puis pas différer davantage. Je suis à vous de tout mon cœur.

 

LETTRE XXVI.  A M A D A M E DE BERINGHEN.  A Germigny, ce 18 juin 1686.

 

J'ai, Madame, une proposition à vous faire, mais à vous seule, afin que vous me disiez avec une entière liberté votre pensée. Madame de Chevri, fausse convertie de ce diocèse, me donne de l'inquiétude, et il est nécessaire de la renfermer. J'ai de la peine à vous proposer de la recevoir, du moins pour quelques jours; mais deux raisons m'y obligent : l'une, que votre maison est la plus voisine de chez elle ; et l'autre, qu'apparemment elle aura moins de répugnance à y être que dans toute autre, et que j'aurai plus de moyen de la voir là qu'ailleurs.

Je fais état, et c'est indépendamment de tout ceci, de me rendre chez vous lundi soir. J'y demeurerai, si vous l'agréez, mardi tout le long du jour jusqu'au soir, que j'irai à Coulommiers. Je vois tous les inconvénients ; mais je vois aussi ce que la charité de Jésus-Christ peut demander. Pour manier ces esprits, il faut de la dextérité et de la charité ; et sans flatterie je ne vois que vous et Madame votre sœur, où je puisse espérer ces deux qualités si nécessaires. Au surplus quand vous aurez un peu essayé ce que vous pourrez gagner sur cet esprit, et que je lui aurai parlé moi-même,

 

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vous serez libre; et n'ayant aucun engagement que volontaire avec moi, vous vous en déferez quand il vous plaira. Mais il importe que je puisse lui parler en lieu sûr et commode; et je vous en délivrerai aussitôt que vous le voudrez, la chose étant nuement entre vous et moi. Si vous pouvez la recevoir à ces conditions, vous me délivrerez d'une grande inquiétude. S'il y a quelque difficulté, vous me le direz franchement comme à un ami, qui au fond ne veut autre chose que ce que vous voulez vous-même. M. de Chevri, qui va lui-même vous porter ce billet, saura de vous vos intentions, et vous instruira de ce qu'il faudra que vous sachiez. Tout à vous, ma Fille, de tout mon cœur.

 

LETTRE XXVII.  A MADAME DE BERINGHEN.  A Coulommiers, mardi 26 (juin 1686).

 

Je serai, Madame, le 15 de juillet à Farmoutiers, et il ne tiendra pas à moi que ce ne soit pour le 16, qui doit être un mardi. J'arrivai hier vers les dix heures. Je dois être demain à la conférence des ecclésiastiques, à Meaux, comme j'ai été aujourd'hui à celle de Coulommiers. Pour éviter le chaud, je prétends être en carrosse avant quatre heures du matin. J'espère que Madame de Chevri verra et sentira enfin la vérité qu'elle cherche. Je lui enverrai chez vous mon carrosse, samedi soir, pour l'amener le lendemain à Germigny, avec son mari. Pour moi, j'y serai dès demain. Vous voilà bien instruite de ma marche. Si j'en étais toujours le maître, je vous prie de croire que je donnerais, ou plutôt que je prendrais volontiers plus que des quarts d'heure.

 

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LETTRE XXVIII.  A UNE SUPÉRIEURE DE RELIGIEUSES. A Meaux, ce 28 juin 1686.

 

Vous pouvez sans hésiter, ma Fille, procéder à la conclusion par suffrages de la novice; et si elle est reçue, j'en louerai Dieu.

Quant....., je ne vois aucune apparence de le faire, ni même de le lui permettre. Je crois, et je dois croire selon ses lettres, qu'il attendra mes ordres sur cela; et s'il les prévenait, je n'aurais pas sujet d'être content. Ces manières.....ne me plaisent guère; et le compte que vous m'en avez rendu était assez nécessaire pour me faire connaître le personnage. Je vous verrai peut-être plutôt que vous ne pensez.

Quant aux vérités dont je vous parlai dernièrement, je vous réitère encore que je ne vois ni joie, ni repos, ni adoration véritable, ni sincère amour, ni rien en un mot que dans ce haut abandon à la divine, suprême et inaltérable bonté, à laquelle seule il se faut fier, et non-seulement plus qu'aux autres, mais incomparablement plus qu'à soi-même. Voilà tout ce que je connais dans le mystère de la piété : une grande attention et une grande vigilance quand Dieu commande, et par-dessus toute activité naturelle et surnaturelle, un repos inébranlable dans l'abandon à celui qui seul est bon. Il n'y a de bon que Dieu, dit Jésus-Christ, et par conséquent il n'y a que lui à qui on se doive pleinement fier pour le temps et pour l'éternité. Dieu vous donne cette confiance, ma Fille.

 

LETTRE XXIX.  A  MADAME  DE BERINGHEN.  A Germigny, ce 1er juillet 1686.

 

Il n'y a pas moyen, Madame, de refuser à Madame de Chevri l'entrée qu'elle désire tant dans votre maison, où j'espère qu'elle

 

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aura trouvé le commencement de son salut. Elle a fait sa confession aussi bien qu'on le pouvait désirer d'une personne qui jusqu'ici n'a rien su ni jamais pensé aune si importante action. Continuez-lui votre charité, et croyez, Madame, que je suis à vous de tout mon cœur.

 

LETTRE XXX.  A LA SUPÉRIEURE DES URSULINES DE MEAUX.  A Meaux, ce 18 juillet 1686.

 

J'ai lu, ma Fille, avec beaucoup d'attention votre lettre, celle de la Mère dépositaire, et les deux de M. André. Après y avoir fait devant Dieu une sérieuse réflexion, je ne trouve point à propos ce voyage de M. André, qui ne pourra que réveiller le trouble des esprits, et sera trop court pour l'apaiser. C'est peu pour celles qui se persuadent d'avoir besoin de son secours, de ne le voir qu'en passant : les autres qui auraient le même désir, se feront mille sujets de plainte de l'impossibilité ou du refus ; en un mot, c'est occasionner de nouvelles affaires. Je suis satisfait au dernier point des dispositions que je vois dans la Mère dépositaire : elles sont selon Dieu et selon mon cœur, qui en cela, j'ose le dire, est selon Dieu.

Je parlerai, s'il est nécessaire, à M. André; mais comme ce qu'il témoigne le plus désirer, c'est un témoignage de sa conduite, le mien sur ce point lui doit tenir lieu de tout: et afin qu'il l'ait aussi authentique qu'il le pourra désirer, je vous envoie cette lettre ouverte que vous ou la Mère dépositaire pouvez lui envoyer.

Vous pouvez dire aussi à la Sœur de la ***, que le désir qu'a M. André de la mettre en repos une bonne fois est très-louable, mais impossible : on ne finit pas en une fois de telles peines. Je  prendrai soin d'elle ; et si elle a à recevoir quelque soulagement dans les angoisses où Dieu permet qu'elle tombe, ce ne peut être par ce qui passe ; c'est un secours permanent dont elle a besoin.

 

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Ceci sera commun, s'il vous plaît, à vous et à la Mère dépositaire ; le surplus sera pour la Mère assistante. J'aurais fort désiré de la voir avant mon départ, et d'entendre d'elle-même ce qu'elle vous a dit, qui est l'abrégé pour elle de ce qu'elle doit présentement à Dieu. L'abandon à la Providence et à la conduite des supérieurs pour l'avenir, et à l'égard des choses passées faire tout nouveau, selon la parole de l'Epoux dans l’ Apocalypse (1) : voilà ce que Dieu veut. Tout à vous en la charité de Notre-Seigneur.

 

LETTRE XXXI.  A  MADAME  DE  BERINGHEN. A Meaux, ce 19 septembre 1686.

 

Je reçois, Madame, avec joie les continuels témoignages de vos hontes. M. Rueil se ressentira dans l'occasion de l'affection que vous avez pour son avancement, et du bon témoignage que vous donnez à sa vertu. Je consens que vous receviez Madame le Roussi, prieure de Bray. Quant au balcon sur lequel vous souhaitez que je vous fasse réponse, je vous dirai franchement que ces ornements mondains ne conviennent pas à la simplicité d'un monastère, et que vous ne les devez pas souffrir. Tout à vous de tout mon cœur, Madame et très-chère Fille.

 

LETTRE XXXII.  A MADAME DE BERINGHEN.  A Germigny, ce 17 octobre 1686.

 

Je me proposais, Madame, d'avoir bientôt l'honneur et la joie de vous voir. Cela se différant un peu par les affaires qui arrivent, j'envoie savoir de vos nouvelles.

J'avais à vous parler de ma sœur Berin, que les Ursulines n'avaient pu garder ; je l'a vois bien prévu, et je ne trouve rien de meilleur que de la renvoyer reprendre son école, si cela vous

 

1 Apoc., XXI, 5.

 

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plaît et si vous voulez lui continuer les mêmes grâces comme je ferai de mon côté. J'aurai beaucoup de joie d'apprendre votre parfaite disposition et j'en attends, Madame, la nouvelle avec impatience.

 

+ J. Bénigne, év. de Meaux.

 

Sœur Bénigne m'écrit de la solitude, qu'elle y est accablée de maux et de travail, en sorte qu'elle ne peut vous écrire comme elle le souhaiterait et elle espère qu'un mot de ma part en son nom vous obligera à lui pardonner. Elle demande la même grâce à Madame votre sœur, que je salue de tout mon cœur.

 

LETTRE XXXIII.  A  MADAME  DE   BERINGHEN.  A Germigny, ce 19 octobre 1686.

 

Il n'y a, Madame, rien qui me presse à disposer de la cure de Planoy, puisque même le curé de cette paroisse (1) n'a pas encore accepté Maisoncelles. J'aurai l'honneur de vous voir avant que de prendre aucun dessein sur cela, et vous jugerez vous-même du crédit que vous voudrez avoir. Voilà une énigme que nous développerons en présence : ce sera, s'il plaît à Dieu lundi ; et malgré vos plaintes, vous me donnerez, s'il vous plaît, un dîner frugal. A vous, Madame, de tout mon cœur.

 

LETTRE XXXIV.  A  MADAME  DE   BERINGHEN. A Versailles, ce 13 novembre 1686.

 

Je suis prié, Madame, par Madame de Bonneval, de vous témoigner la crainte qu'elle a, que fâchée d'un arrêt qu'elle a obtenu, vous ne vous portiez à quelque chose contre elle, et que vous ne travailliez à la faire déposséder du bail judiciaire. Je sais que cela ne sont pas vos manières, et que vous voulez bien que chacun défende son droit avec charité, par les bonnes voies.

 

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Mais enfin je lui ai promis de vous recommander ses intérêts, comme étant une Dame d'une grande vertu, qui est même mon alliée, et dont le mari était en considération dans mon esprit. Au surplus vous croyez bien que je ne veux rien contre vos intérêts, et seulement que je serais bien aise qu'ils se pussent concilier avec les nôtres. On attend le roi vendredi. Il a voulu demeurer pour voir la suite du mal de Madame de Bourbon (a). Il a envoyé cependant Monseigneur et Madame la Dauphine, qui arrivèrent hier. Je salue Madame d'Arminvilliers, et les deux petites poupées (b).

 

LETTRE XXXV.  A  MADAME DE BERINGHEN. A Meaux, ce 21 mars 1687.

 

J'envoie, ma Fille, pour apprendre des nouvelles de votre santé. Je vous prie aussi de m'en mander de la communauté. Je me suis souvenu de ce que nous avions dit autrefois ; et je destine à M. Jametz une cure dont il aura lieu d'être content ; je lui mande de venir ici lundi, si vous l'avez agréable. Madame de Notre-Dame, à qui j'ai dit tous les bons sentiments que vous aviez pour elle, vous en est très-obligée ; et si elle quitte son abbaye, ce que j'empêcherai de tout mon pouvoir, la retraite de Farmoutiers lui sera très-agréable. Pour moi, j'opine fort à cela, et je suis très-assuré que deux esprits aussi bien faits que vous êtes toutes deux, trouveront l'une avec l'autre beaucoup de douceur. Je salue de tout mon cœur Madame d'Arminvilliers : je souhaite, ma chère Fille, que votre santé soit aussi bonne que la mienne.

 

(a) Cette princesse était à Fontainebleau, malade de la petite vérole. —- (4) C'étaient la sœur et les nièces de l'abbesse.

 

 

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LETTRE XXXVI.  A MADAME DE  BERINGHEN. A Meaux, 3 avril 1687.

 

M. de Chevri est ici, Madame, qui m'apporte un blanc-seing de Madame de Bonneval, sur une difficulté qu'il dit rester encore entre vous et elle. C'est à vous à voir ce que vous voulez que j'en fasse ; et tout ce que je puis vous dire, c'est que je serai bien aise que vous ne plaidiez pas ensemble. Je suis à vous, Madame, de tout mon cœur.

 

LETTRE XXXVII.  A MADAME DE BERINGHEN. A Meaux, ce lundi de la Pentecôte.

 

Vous pouvez dire, Madame, à la sœur Berin, qu'elle ne doit point hésiter de donner la quittance en la forme qu'on lui demande, parce que sa réception dans une des maisons ne dépend point de la réserve qu'elle fera de ses droits, mais de moi uniquement; Je lui donnerai sur cela toutes les sûretés qu'elle pourra désirer : elle n'a qu'à bien travailler et demeurer en repos. Je suis plus en peine de ce qu'on m'a dit qu'elle avait rebuté Madame Vaillant sa compagne, en la voulant astreindre à son directeur. Ce n'est pas mon intention qu'on entre dans de telles contraintes ; et quoique je ne prétende pas obliger les Sœurs à se confesser au curé, je serai toujours plus aise, tout le reste égal, qu'on le préfère à tout autre ; et l'esprit de ces maisons est toujours d'être attaché à la hiérarchie.

Je ne sais plus où en sont les affaires avec Madame de Bonneval : il me semble qu'elles étaient en assez bon train, et qu'en l’état où M. de Chevri avait porté les choses de part et d'autre, c’était assez l'intérêt commun qu'elles se terminassent selon son projet. Au retour du petit voyage que je m'en vais faire à la Cour

 

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de Madame la Dauphine, je vous en demanderai des nouvelles. Il sera temps aussi de parler de Madame de Notre-Dame, qui a enfin donné sa démission, sans qu'on ait pu la faire changer de dessein, quelques délais qu'on apportât à l'exécution de ses anciennes résolutions.

Je ne sais si mademoiselle de Mauléon se sera acquittée du présent qu'elle s'était chargée de vous faire de l'oraison funèbre de M. le Prince : c'était bien son intention de le faire quand je suis parti de Paris. Soyez, s'il vous plaît, toujours bien persuadées vous et Madame votre sœur de mon amitié très-sincère.

 

LETTRE XXXVIII.  A MADAME DE BERINGHEN. A Paris, 8 juin 1687.

 

Je viens, Madame, de recevoir votre billet du 5. Je consens que le P. ministre de la Trinité, soit que ce soit celui de Meaux, soit que ce soit celui de Coupevray, confesse chez vous. En de semblables occasions, quand je ne suis pas dans le diocèse, il pourrait arriver du retardement à la réponse. Ainsi il faut que nous convenions d'une adresse, si vous n'aimez mieux vous adresser au P. visiteur, à qui je donne en ce cas tout mon pouvoir.

 

LETTRE XXXIX.  A MADAME DE BERINGHEN. A Germigny, 25 juin 1687.

 

Il me tarde bien, ma Fille, que j'aie la joie de vous voir, et d'apprendre de vous et de Madame de Notre-Dame, je l'appelle encore ainsi, comment vous vous trouvez l'une de l'autre. Je ne doute pas que vous ne vous donniez une mutuelle satisfaction. Quelques affaires m'empêchent de vous aller voir de cette semaine, mais je ne tarderai pas, s'il plaît à Dieu. Je salue Madame d'Arminvilliers de tout mon cœur.

 

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LETTRE XL.  A MADAME DE BERINGHEN. A Germigny, ce 5 juillet 1687.

 

Il est vrai, Madame, qu'au retour de Farmoutiers nous eûmes tout loisir de dire : A fulgure et tempestate libera nos, Domine. Tout le ciel était en feu de .toutes parts : la pluie tombait à verse ; la nuit survint bientôt, et on n'avait de lumière que par les éclairs ; mais enfin par les prières de sainte Fare et de ses Filles, nous arrivâmes heureusement à l'Hermitage. Le lendemain on s'y reposa : on va aujourd'hui à Nanteuil conclure une mission. Lundi on reviendra faire sa volonté à Germigny un jour ou deux : ensuite on ira aux conférences voisines, et samedi on pourra faire un tour à Versailles pour revenir à la Saint-Etienne. Voilà, Madame, tout le projet.

Madame de Notre-Dame, au lieu de se faire saigner, ferait mieux de s'épargner davantage, jusqu'à ce que sa santé soit parfaitement rétablie. Mais en cela je me plains de son peu d'obéissance, et vous n'aurez pas peu gagné si vous emportez sur son esprit de se laisser conduire sur ce point plus qu'elle n'a fait. Je suis bien obligé aux inquiétudes des grandes et des petites, et enfin tout va selon leurs vœux.

 

LETTRE XLI.  A MADAME DE  BERINGHEN. A Meaux, ce 23 août 1687.

 

J'accorde la permission que vous demandez pour le P. de la Tour. Vous pouvez aussi, ma Fille, en pareil cas la tenir pour donnée aux gens que vous saurez bien approuvés, quand on n'aura pas le temps de recourir à moi. Vous voyez que je suis bien aise de ce recours, qui me donne des occasions de vous assurer de mon amitié et de mon estime.

 

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Je ne manquerai pas de vous recommander aux prières du saint homme dont vous me parlez. A ce que je vois, vous m'observez de près; je ne suis pas en humeur de m'en fâcher : de telles prières nous peuvent tous sanctifier ; mais il faut nous-mêmes prier beaucoup, afin que les prières des saints nous profitent.

 

LETTRE XLII.  AUX RELIGIEUSES DE LA CONGRÉGATION DE COULOMMIERS. A Germigny, ce 10 septembre 1687.

 

Mes chères Filles, la paix et la charité de Notre-Seigneur soient avec vous à jamais, et qu'elles y soient en particulier dans l'action qui se présente à faire, qui est la réception ou le refus des postulantes. Après avoir lu les lettres des Mères conseillères et maîtresses, et de quelques autres de vous, je n'ai qu'à laisser agir chacune des Sœurs selon les mouvements de sa conscience : prenez garde seulement de ne laisser entrer dans vos cœurs aucun esprit de parti, ni aucune pique ; car l'action étant de telle importance, je vous déclare encore une fois qu'on ne peut agir par ces motifs sans péché mortel. Je défends étroitement à toutes les Sœurs, et même sous peine de désobéissance, d'user de reproches ou de censures les unes envers les autres, voulant que chacune demeure tranquille pour donner lieu au Saint-Esprit, et lui laisser gouverner son cœur. Surtout qu'on se garde bien de faire dépendre le refus ou la réception de l'une de celle de l'autre ; vu même que les qualités des sujets sont si différentes, qu'il ne paraît nulle conséquence à tirer de l'un à l'autre, et que si on le faisait, ce ne pourrait être que par pique.

Je suis obligé de vous dire par l'amour que j'ai pour la maison, qu'elle doit beaucoup aux soins de M. Chibert et de sa famille : à la vérité ce n'est pas là une raison décisive pour conclure en faveur de sa fille, si elle avait des exclusions essentielles ; mais ce peut être un motif pour supporter certaines choses dont on peut espérer la correction. Pour ce qui est de ma Sœur Grassot, je lui souhaite une entière satisfaction sans la connaître. J'estime

 

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tant le bonheur d'être retiré du monde et de vivre dans la maison du Seigneur, que j'aurais peine à en exclure personne par mon inclination. C'est à vous à examiner sous les yeux de Dieu ce qui convient aux sujets et à la maison, et à donner votre suffrage par le seul motif de la conscience, en vue de la révision qui en sera faite un jour devant le tribunal de Jésus-Christ. Tous les jours jusqu'à vendredi que l'affaire se consommera, si tout y est disposé d'ailleurs, je vous offrirai toutes à Dieu au saint autel, afin qu'il vous inspire ce qui lui est agréable.

Je ne toucherai en aucune sorte aux constitutions ni à la délibération que vous ferez, à moins que je ne reconnaisse que les constitutions aient été violées ; ce que je ne présume pas, et ne croirai point aisément. Suivez-les en toutes choses avec une pleine liberté d'esprit et de cœur ; et gouvernez-vous de telle manière que j'aie sujet de rendre grâces à Dieu de votre conduite, et de vous en donner à toutes de justes louanges. Je prie, mes Filles, Notre-Seigneur qu'il soit avec vous.

 

LETTRE XLIII.  A  MADAME  DE TANQUEUX. A Lusanci, ce 3 novembre 1687.

 

On a trouvé bon, Madame, qu'on rendît les filles de Sacy à leurs parents, sous la promesse qu'ils m'ont faite de les envoyer aux instructions. Vous prendrez, s'il vous plaît, le soin de faire payer aux Sœurs, en les rendant, la pension réglée par M. l'intendant, ou convenue avec eux. Pour celle qui s'est sauvée, M. l'intendant a ordonné qu'elle serait ramenée chez vous pour l'exemple, et que vous la retiendriez jusqu'à nouvel ordre.

On se plaint à la Ferté que les Sœurs mettent des bâillons et des cornes aux petites filles : ces châtiments sont bons quelquefois pour leur éviter le fouet ; mais le bâillon paraît un peu rude, et en un mot il faut épargner aux filles des convertis ce qui leur donne prétexte de plainte. La douceur et la patience sont ici le seul moyen qui nous reste. Je suis, Madame, de tout mon cœur, etc.

 

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LETTRE XLIV.  A LA SOEUR JEANNE GUYEUX.  RELIGIEUSE DE LA CONGRÉGATION A COULOMMIERS.  A Meaux, ce 25 juin 1688.

 

J'approuve fort, ma Fille, que les religieuses cherchent à entendre ce qu'on dit, et ce qu'elles disent dans le service divin, parce que c'est un moyen très-utile pour faciliter l'attention et exciter la piété. Je ne vois rien qui vous empêche de vous servir de la version dont vous m'écrivez, et je vous en donne la permission, jusqu'à ce qu'étant sur les lieux, je traite avec vous plus à fond de cette affaire.

Je loue votre soumission et vos sentiments sur la révérence qui est due au saint Siège ; mais je ne sache pas qu'il se soit rien publié en France sur ces matières depuis fort longtemps : vivez donc en repos et sans scrupule. Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous.

 

LETTRE XLV.  AUX RELIGIEUSES URSULINES DE MEAUX.  Jeudi matin 1688.

 

Dans le déplaisir où je suis, mes Filles, de l'interruption de la visite, et dans le dessein que j'ai de la reprendre le plus tôt qu'il me sera possible, Dieu me met dans le cœur de vous avertir sur quoi elle roulera principalement. Les choses sur quoi je désire que chacune de vous s'examine, et dont je veux qu'on me rende compte, sont premièrement sur le silence ; si on le garde, si on l'aime, si on est bien persuadé que c'est le gardien de l’âme et la mortification de la langue, le moyen le plus nécessaire pour désarmer l'ennemi dont elle est l'instrument, selon saint Jacques, puisque c'est l'enfer qui l'anime et qui l'enflamme : sur l'office divin et sur l'oraison ; si on y est ponctuel, si on craint de perdre les précieux moments que l'on doit passer avec Dieu, et si on les

 

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emploie utilement sous ses yeux : sur la charité qui doit être entre les Sœurs ; si on sait se supporter mutuellement comme on veut que Dieu nous supporte, et si loin de se provoquer les unes les autres à la colère, on se prévient mutuellement en honneur ; si on rend bénédiction pour emportement ou pour outrage, lorsqu'il arrive à quelqu'une de s'oublier assez pour s'y laisser aller : sur la pauvreté ; si l'on est véritablement dépouillé de tout et délivré à fond du désir de recevoir ou de donner, si ce n'est avec permission et sans jamais se fâcher d'être refusé : sur les directions ; si on entre véritablement dans l'esprit d'unité, ne désirant de communiquer avec des hommes spirituels que dans les cas marqués dans les constitutions, c'est-à-dire lorsque les besoins sont véritablement extraordinaires et connus des supérieurs, sans s'abandonner au découragement, et encore moins, ce qui serait détestable, au murmure, lorsqu'on nous refuse ou qu'on nous diffère, pour entretenir l'ordre et éviter les mauvais exemples : sur l'obéissance ; si on obéit de cœur, comme dit l'Apôtre   comme à Dieu, et non pas aux hommes ; si on accepte sans répliquer et sans murmurer les obédiences, souhaitant de suivre les ordres de la supérieure, et non pas de la faire céder à nos désirs et à nos plaintes ; et en général si on pratique ce que dit saint Paul : « Tout ce que vous avez à faire, faites-le de tout votre cœur, comme ayant à en rendre compte à Dieu, et non pas aux hommes (2). »

Mes Filles, évitez l'oisiveté et les entretiens du monde : craignez les parloirs, où l'on se dissipe quand d'autres raisons que le devoir indispensable vous y conduisent. Dieu soit en vous et avec vous toutes.

 

LETTRE XLVI.  A  MADAME  DE BERINGHEN. A Meaux, ce 20 août 1688.

 

Vous avez eu la bonté de souhaiter, Madame, que Madame la Présidente Chalet eût l'honneur de vous présenter Mademoiselle

 

1 Coloss., III, 22. — 2 Ibid., 23.

 

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de Chavigny. Elle l'a autant souhaité que vous ; et dans le désir extrême d'être connue de vous et de vous connaître, elle ne pou-voit avoir une occasion plus favorable. J'espère que vous voudrez bien la recevoir dans la maison, et l'y garder quelques jours. Je voudrais bien être de la partie, mais un court voyage, que j'ai à faire à la Cour, m'en empêche pour maintenant. La première chose que je ferai à mon retour, ce sera d'avoir l'honneur de vous voir pour vous recommander de vive voix une parente qui m'est chère.

 

LETTRE XLVII.  A M ADAME DE TANQUEUX.  A Germigny, ce 5 mai 1689.

 

J'ai revu les règlements ; il n'y aura qu'à les faire mettre au net, prendre garde à l'orthographe, et en faire deux copies, dont l'une demeurera dans les archives de l'évêché. Ma Sœur Cornuau vous témoignera combien j'en suis satisfait, et le soin avec lequel j'ai tout examiné. Je vous envoie aussi mon ordonnance, dont il faudra donner copie à M. le curé, aussi bien que des précédentes, tant de celles de feu Monseigneur (a) d'heureuse mémoire que de la mienne.

Vous, Madame, et toutes les Sœurs verront par là combien je désire les favoriser et assurer, afin qu'elles puissent tranquillement vaquer avec vous, et sous votre conduite au grand ouvrage de leur perfection, et de la parfaite glorification de Dieu en elles; en sorte qu'elles soient partout la bonne odeur de Jésus-Christ à la vie et à la mort. Amen, amen. Je vous prie de les assurer de mon affection, et de me croire, Madame, avec une estime particulière, etc.

 

(a) De Ligny, prédécesseur de Bossuet.

 

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LETTRE XLVIII. 
A  MADAME DE   BERINGHEN. A Meaux, ce 24 juin 1689.

 

Je ne pouvais pas trouver, Madame, une occasion plus favorable pour faire réponse à votre lettre, que celle du P. Gardeau, curé de Saint-Etienne-du-Mont à Paris. Vous connaissez son mérite, et comme il est aussi bien persuadé du vôtre, votre entrevue ne peut être que très-agréable. Il n'y a nulle difficulté de faire entrer M. l'évêque d'Eli : c'est un homme dont je connais le rare mérite, et nous ne pouvons lui marquer assez de considération dans le diocèse. Je vous prie que le P. Gardeau lui tienne compagnie : je voudrais bien pouvoir moi-même vous aider à faire les honneurs. J'espère vous voir lundi sans manquer, et il y a même beaucoup d'apparence que j'irai dîner à Farmoutiers.

Il ne faut pas oublier la permission de confesser que demande cette Dame anglaise pour ce Père anglais, autant de fois et autant de temps qu'elle le souhaitera. Pour Madame de Jouarre, je n'ai point d'autre raison que celle ou de m'acquitter du devoir de ma conscience, ou de connaître avec certitude que je suis déchargé : cela se passera avec toutes sortes d'honnêtetés de ma part.

 

LETTRE XLIX.  A MADAME DE TANQUEUX.  A Germigny, ce 7 août 1689.

 

Je crois, Madame, être obligé de vous dire que je ne pourrai aller à la Ferté-sous-Jouarre que vers la fin d'août. En attendant, je vous prie de dire à nos Sœurs qu'elles prient Dieu pour l'heureux succès de la visite, qui doit être un fondement du bonheur de la maison par les principes de bonne conduite que je tâcherai d’y affermir. Entre nous et dans le dernier secret, il est nécessaire d'insinuer

 

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à nos Sœurs qu'elles ne doivent point aller à Rueil, ni recevoir dans la maison d'autres religieux que le P. prieur. Ce n'est rien qui regarde les Filles ; mais une précaution générale très-nécessaire pour les raisons que je vous dirai. Je pars demain pour Soissons, et espère être samedi à Meaux. Je suis, Madame, de tout mon cœur, et avec l'estime que vous savez, etc.

 

LETTRE L.  A MADAME DE TANQUEUX.  A Germigny, ce 25 août 1689.

 

Je vous renvoie, Madame, les règlements et les constitutions approuvées de moi : il en faudra faire une copie qui demeure dans les archives de l'évêché.

Pour l'avis que je vous ai donné, vous ne devez pas croire que ce soit l'effet d'aucune plainte qu'on m'ait faite de, la maison ; mais une précaution causée par des connaissances que vous et vos Filles pourriez n'avoir pas. La visite sera remise au mois de septembre : je la veux faire avec loisir et attention. Je prie Dieu qu'il envoie son ange à la garde de M. votre fils, et qu'il écoute vos prières.

 

LETTRE LI.  A   MADAME  DE TANQUEUX.  A Germigny, ce 30 août 1689.

 

J'ai reçu, Madame, avec ma Sœur Cornuau, les règles avec les constitutions. Les petites diversités qui étaient entre la copie et l'original corrigé de ma main sont venues, principalement sur les règles, de ce qu'on a voit pris un livre pour un autre. J'ai réformé toutes choses suivant que je Pavais agréé d'abord. L'article du curé est absolument nécessaire, et j'y ai mis les tempéraments qu'il faut. Au surplus je ne veux pas lui donner plus d'autorité que ne portent mes règlements, ni qu'il se mêle plus avant des affaires de la maison sans mon ordre exprès. J'ai trouvé en relisant

 

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les constitutions, qu'on aurait pu éviter un si grand détail : il y a beaucoup de choses qu'il semble mieux de laisser à l'usage que de les écrire ; et quand on écrit tant, cela est cause qu'on ne relit point, ou qu'on relit précipitamment et par manière d'acquit. C'est pourquoi je croirais, en écrivant moins, qu'on donnerait lieu à plus penser : je m'en remets néanmoins à vous ; car il n'y a là rien de mauvais. Que si vous jugez à propos de décharger quelque chose de l'écrit, il ne faudra que marquer les endroits qui seraient les moins nécessaires et les plus aisés à suppléer par la pratique : encore un coup, je remets le tout à votre prudence. J'espère que ma visite donnera la dernière forme à la maison, du moins pour le fond. Je suis, Madame, de tout mon cœur, etc.

 

LETTRE LII.  A MADAME DE TANQUEUX. A Meaux, ce 31 août 1689.

 

Je fus, Madame, hier fort alarmé d'avoir vu dans une lettre d'un de mes amis que M. votre fils a été blessé: mes lettres d'aujourd'hui, m'ont rassuré, en le mettant au rang de ceux qui sont blessés légèrement. Je le souhaite, et je vous prie de m'en faire écrire des nouvelles. Je prierai cependant Notre-Seigneur qu'il vous le conserve et qu'il vous fasse la grâce de porter ce malheur en chrétienne : c'est tout dire; et vous savez bien que toutes les vertus sont renfermées dans ce nom. Souvenez-vous delà sainte Vierge et de toutes ses dispositions, lorsqu'elle vit les blessures de ce cher et de ce divin Fils unique, qui était en même temps le Fils de Dieu comme le sien. Je vous mets de tout mon cœur entre ses mains maternelles, et je la prie de vous obtenir une imitation de sa résignation. Croyez, Madame, que personne ne prend plus de part que moi à vos peines. Je suis de tout mon cœur, etc.

 

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LETTRE LIII.  A MADAME  DE TANQUEUX. A Meaux, dimanche 25 septembre 1689.

 

J'entre, Madame, dans toutes les peines que vous me marquez dans votre lettre; et dans ce sentiment je redoublerai les prières que je vous ai promises pour M. votre fils, afin que Dieu lui apprenne à faire sa volonté, et qu'il ait le même cœur pour son service que pour celui de son prince. Je serai, s'il plaît à Dieu, à la Ferté dans la semaine prochaine, pour y faire la visite de la maison. Je suis de tout mon cœur, Madame, votre très-humble serviteur.

 

LETTRE LIV.  EXTRAITS DE LETTRES A LA SOEUR ANDRÉ, DE LA COMMUNAUTÉ DES FILLES CHARITABLES DE LA FERTÉ. A Meaux, ce 3 novembre 1689.

 

Quand la paix sera dans la maison, Dieu y sera, et c'est de quoi je le prie. On voit par expérience que la grâce de la visite épiscopale est grande ; mais il faut y être fidèle, autrement elle se perd; et il faut joindre le soin du pasteur avec l'obéissance et la docilité du troupeau ; c'est ce que j'espère. Tenez-y la main, ma Fille; et pour vous, allez toujours dans votre voie. J'approuve votre conduite avec ma Sœur Cornuau. Je prie Notre-Seigneur qu'il bénisse ma Sœur Chevri : la simplicité et la vérité doivent être son partage.

A Paris, ce 17 janvier 1690.

Ce que vous me mandez de la communauté et de quelques Sœurs en particulier me réjouit. Il sera utile à la maison que je l'aie bien connue, s'il plaît à Dieu. Je n'ai rien à vous répondre présentement sur les messes. Je ne partirai pas de cette ville sans avoir vu ce qu'il y aura à faire pour la supériorité. Je salue nos

 

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chères Sœurs. Il faut tâcher dans les distractions qu'il n'y en ait point dans le cœur; et que l'amour qui se sert de tout et même de ses faiblesses, demeure sans interruption.

A Paris, ce 26 janvier 1690.

Madame votre mère m'a écrit souvent qu'elle souhaitait de me parler de son affaire. Je n'ai vu nulle utilité dans cette entrevue, parce qu'elle m'a toujours paru fort entêtée de sa prétention. Quand je verrai ouverture à quelque bien, je ne la négligerai pas, surtout après ce que vous me marquez du péril de son salut, qui en effet est fort grand, lorsqu'on s'emporte, comme elle fait, à dire des choses aigres contre le prochain, et qui sans servir aux affaires, ne font que lui nuire. Je profiterai des choses que vous me faites connaître pour en traiter où il faudra et en chercher les remèdes.

Il faut tâcher de se faire quelques heures libres et seules, où l'on puisse converser avec Dieu : mais c'est ordinairement une tentation que de vouloir pousser à bout la solitude, puisqu'il y a si peu d'âmes qui puissent porter cet état. J'ai peine à rien décider sur les austérités, et je m'en rapporte volontiers à un confesseur discret, qui voit le fond et la suite : ainsi je n'accorde rien là-dessus.

Je ne vous dis rien sur le désir d'avoir le saint Sacrement; vous savez ce que j'ai dit là-dessus. Ce serait une tentation que cela se tournât en dégoût de votre vocation. Le diable se sert de tout pour nous détourner de Dieu et de notre vocation : servons-nous aussi de tout et même des privations pour nous y attacher.....

Il entre beaucoup de tentation dans les peines de ma Sœur André, il n'est pas besoin qu'elle me spécifie rien davantage; mais que plus l'obscurité est grande, plus elle marche en foi et en soumission; plus l'agitation est violente, plus elle s'abandonne a Dieu avec courage sans rien céder à la tentation, ni se laisser détourner de la vocation à laquelle Dieu a attaché son salut.

Quand on fait ces actes d'abandon que je demande, je ne prétends

 

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pas qu'on doive sentir qu'on les fait, ni même qu'on le puisse savoir; mais qu'on fasse ce que l'on peut dans le moment, en demandant pardon à Dieu de n'en pas faire davantage. C'est à l'espérance qu'elle se doit abandonner plutôt qu'à la crainte.

 

LETTRE LV.  A MADAME DE BERINGHEN. A Germigny, ce 18 mai 1690.

 

Il y a trop longtemps que je suis en ce pays, Madame, sans y avoir de vos nouvelles. J'envoie en apprendre et vous dire des miennes.

Hier j'eus le bonheur d'avoir ici Monseigneur : il y arriva à cinq heures, et il voulut bien partir de Versailles de fort bonne heure pour me donner plus de temps. Il est parti ce matin à sept heures, et me voilà bien honoré.

Vous aurez su la mort de M. Pastel : c'est un redoublement de soin pour moi. Quoique j'aie mis M. Phelippeaux à sa place, et qu'il soit très-capable de cet emploi, il faut quelque temps pour acquérir la croyance et l'expérience nécessaires à un si grand emploi. M. le curé de Doui m'a dit qu'on vous avait envoyé son mémoire. Voyez, s'il vous plaît, Madame, ce que vous avez à dire. Je salue de tout mon cœur Madame d'Arminvilliers. J'espère vous voir bientôt, et je ne veux pas que Jouarre ait à reprocher à mes anciennes Filles qu'elles m'obligent à le négliger. Mais aussi comment négliger Farmoutiers? Mon cœur y sera toujours.

 

LETTRE LVI.  AUX FILLES CHARITABLES DE LA FERTÉ-SOUS-JOUARRE. A Paris, ce 16 juillet 1690.

 

J'ai reçu, mes Filles, la lettre que vous m'avez écrite, pour me prier de vous donner comme supérieure ma Sœur des Noyers, que les Sœurs de l'Union nous ont donnée. Je consens à vos désirs

 

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et sans conséquence pour les autres élections, où j'observerai les formes prescrites par vos règlements, je vous ordonne de lui obéir comme à votre supérieure. Je n'entends pas qu'elle change rien aux règlements et constitutions que j'ai approuvés, comme aussi n'en a-t-elle pas le dessein : s'il y a quelque chose à faire de conséquence, elle m'en rendra compte. J'espère vous voir dans le mois prochain. Les affaires de Jouarre m'arrêtent encore ici pour quelques jours : j'aurai une singulière consolation de trouver l'ordre et l'obéissance, qui est la source de l'union, bien établie. Je prie, mes Filles, Notre-Seigneur qu'il soit avec vous.

 

LETTRE LVII.  A UNE RELIGIEUSE DE LA CONGRÉGATION, A COULOMMIERS. A Germigny, ce 7 septembre 1690.

 

Il y a longtemps, ma Fille, que je devrais avoir répondu à votre lettre. Vous avez dû entendre que j'accordais les permissions que vous me demandiez, puisque vous ne receviez point de défenses contraires ni de refus. C'est mon intention d'en user ainsi dans ces sortes de choses : il n'en serait pas de même pour de plus importantes, où il faudrait attendre un ordre exprès.

Vous êtes bien heureuse d'avoir été choisie de Dieu pour concourir à la conversion d'une âme : priez-le qu'un reflux de grâce vous convertisse vous-même. C'est un bonheur d'avoir à souffrir des contradictions pour de tels sujets, et c'est là le sceau de la croix qui marque l'œuvre de Dieu.

Les conseils qu'on vous a donnés sur les résolutions de votre retraite sont très-saints : faites votre exercice le plus ordinaire de ces mots sacrés du Pater : Fiat voluntas tua. Goûtez Jésus-Christ, méditez-en nuit et jour les actions, les paroles et les souffrances; tout y est esprit de vie. Songez bien à ce qu'il a dit: « Venez à moi ; » et surtout à ce qui suit : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. » Pour vous fonder dans l'humilité, qui est le grand remède, non-seulement contre l'enflure du cœur, mais encore contre la dissipation, pénétrez cette parole

 

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de saint Paul : « Celui qui pense qu'il est quelque chose, quoiqu'il ne soit rien, se trompe lui-même (1). »

J'ai besoin de prendre ici un peu de repos, après quoi je songerai à vous aller voir, et j'en ai grand désir. Je suis fâché de la peine de ma Sœur du Saint-Esprit : je lui ai offert tout le secours qu'elle pouvait attendre de moi ; mais ni moi, ni M. le grand-vicaire n'avons pu pour certaines raisons nous rendre à Coulommiers pour cela; et je me sens encore obligé, comme je viens de vous le dire, à prendre un peu de repos.

Ma Sœur de Saint-Antoine pourra vous instruire de ce qui regarde les novices et votre lettre du 3. Vous pouvez communiquer par lettres avec la pensionnaire qui souhaite tant d'être au nombre des postulantes, et l'assurer de ma protection. Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous.

 

+ J. Bénigne, év. de Meaux.

P. S. Je vous permets le jeûne des samedis jusqu'à la visite.

 

LETTRE LVIII.  A MADAME DE TANQUEUX. A Germigny, ce 14 octobre 1690.

 

Voilà, Madame, le règlement de visite pour votre chère maison : vous suppléerez à ce qui y manque par votre prudence. J'ai grande espérance que Dieu y sera servi, pourvu qu'avec l'exercice de la charité on y cultive l'esprit de silence et de recueillement.

Ma Sœur André revient bien, et j'espère que Dieu lui continuera ses regards. Ma Sœur Cornuau se réduit de plus en plus à l'obéissance. N'oubliez pas de dire à ma Sœur Mabillon que je suis bien content d'elle, et que la première fois que j'irai à la Ferté, elle sera la première que j'écouterai en plein loisir.

Faites, s'il vous plaît, entendre aux confesseurs l'endroit qui les touche. Je ne vous dis que de petits mots, parce que Dieu vous

 

1 Galat., VI, 3.

 

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dit le reste. Je prie Dieu qu'il vous bénisse et votre famille, qui m'est très-considérable et très-chère.

 

LETTRE LIX.  A LA SOEUR ANDRÉ. A Germigny, ce 14 octobre 1690.

 

Dieu soit béni à jamais, ma Fille, Dieu soit béni à jamais pour les miséricordes qu'il commence à exercer envers vous : il vous rendra tout. Ce n'est pas à nous à songer à réparer le temps perdu : à notre égard il est irréparable ; mais celui dont il est écrit que « où le péché a abondé la grâce a surabondé » peut non-seulement réparer tout le passé qu'on a perdu, mais encore le faire servir à notre perfection. Quant à nous, tout le moyen qui nous reste de profiter de nos égarements passés, c'est de nous en humilier souvent jusqu'au centre de la terre et jusqu'au néant : mais du fond de ce néant et du fond même de ces ténèbres infernales où sont les âmes encore éloignées de Dieu, mais repentantes, il doit sortir un rayon de bonne confiance qui relève le courage et fasse marcher gaiement dans la voie de Dieu, sans se laisser accabler par ses péchés, ni engloutir par la tristesse de les avoir commis. Cette douleur doit nous piquer jusqu'au vif, et non nous abattre, mais nous faire doubler le pas vers la vertu. Vivez entièrement séquestrée du monde et des affaires : vaquez à la seule affaire nécessaire en simplicité et en silence.

Le vœu de ne jamais accepter la supériorité a dû être subordonné à celui de l'obéissance, et je ne l'accepte qu'à cette condition : mais mon esprit est de vous tenir fort soumise, fort intérieure, fort dans le silence, hors les emplois nécessaires. Domptez votre volonté, rompez-la en toutes rencontres, laissez-la rompre, fouler aux pieds et mettre en pièces à qui voudra : c'est votre ennemie, et il ne doit vous importer par quel coup elle périsse : c'est un serpent tortueux qui se glisse d'un côté pendant qu'on le chasse de l’autre ; c'est ce serpent dont nous devons tous écraser la tête.

 

1 Rom. V, 20.

 

 

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Ne vous informez pas si vous avez offensé Dieu, et combien, dans beaucoup d'états que vous me marquez : jetez tout à l'aveugle dans le sein immense de la divine bonté et dans le sang du Sauveur ; il s'y peut noyer plus de péchés que vous n'en avez commis et pu commettre. Ne vous hâtez pas, pour cause, de faire des confessions générales, même depuis le temps que vous savez; je vous la ferai faire, s'il le faut : en attendant, vivez en repos, puisque vous avez pourvu à ce qui était nécessaire. Dieu est si bon, si bon encore un coup, si bon pour la dernière fois à ceux qui retournent à lui, qu'on n'ose presque le leur dire, de peur pour ainsi parler de relâcher les sentiments de la pénitence. Il est vrai que d'autre part il est jaloux, attentif à tout, sévère observateur de nos moindres démarches : il faut le servir en crainte, et se réjouir devant lui avec tremblement, comme chantait le Psalmiste (1) : mais si la consolation et la joie de l'esprit veut dominer, laissez-la faire. Jésus est toujours Jésus : je le prie qu'il soit avec vous.

 

LETTRE LX. A MADAME DE TANQUEUX.  A Germigny, ce 29 octobre 1690.

 

Ma Sœur André m'a écrit, et je vous puis dire, Madame, que loin qu'elle ait aucune peine de la saisie que nous avions résolue, elle me prie de vous obliger à la faire faire comme on en était convenu, et au surplus à ne lui plus parler du tout de ces affaires, qui renouvellent ses tentations et ses peines toutes les fois qu'elle est obligée à y songer. Elle me mande cela, autant qu'il me paraît, de fort bonne foi. Je ne vous dissimulerai point qu'elle ne me paraisse peinée d'une lettre qu'elle craignait que vous ne vissiez, d'elle à sa sœur, et d'autres papiers de confiance qu'on lui envoyait : je suis bien persuadé que vous aurez tout fait avec votre prudence ordinaire. La grande affaire est de leur trouver une supérieure : la maison n'ira qu'à demi tant que cette conduite

 

1 Psal., II, 11.

 

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lui manquera. Je suis bien résolu de m'appliquer à remédier à ce mal jusqu'à ce que cela soit, il nous faudra supporter beaucoup de choses, et n'exiger pas la perfection toute entière d'une communauté qui n'est pas encore tout à fait formée. Cependant ce qui doit vous consoler, c'est, Madame, que vous trouveriez très-difficilement des Filles particulières mieux disposées que celles-là. Ainsi il faut attendre le moment, et ne les pas tant presser sur certaines choses de la dernière régularité, qu'elles ne peuvent pas encore porter. Je finis, Madame, en vous assurant que je suis avec toute l'estime et la confiance possible, votre très-humble serviteur.

 

LETTRE LXI.  A LA SOEUR ANDRÉ. A Germigny, ce 29 octobre 1690.

 

Je souhaite fort, ma Fille, qu'on ne vous parle jamais des affaires qui renouvellent vos peines, et j'écris sur cela ce que je crois nécessaire à Madame de Tanqueux. Je lui parle aussi des autres parties de votre lettre, et surtout de la peine que vous avez touchant celles que vous envoyez à votre sœur. Au surplus prenez bien garde à la fidélité que Dieu vous demande, et souvenez-vous des inconvénients où vous avez pensé tomber et où vous étiez tombée en partie : mais Dieu vous a soutenue et rappelée sur ce penchant. Epanchez donc votre cœur en actions de grâces envers son infinie bonté, et soyez attentive à sa volonté, à l'ordre de sa providence et à votre vocation, de peur qu'il ne vous arrive quelque chose de pis. Je pourvoirai toujours, autant que je pourrai, à vos peines, et je tâcherai de les prévenir. Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous.

 

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LETTRE LXII.  A LA SOEUR CHEVRI,  FILLE CHARITABLE DE LA FERTÉ-SOUS-JOUARRE.  A Meaux, ce 4 novembre 1690.

 

Vous faites bien, ma Fille, de laisser passer avec indifférence les peines que vous m'avez expliquées : la tentation a gagné ce qu'elle voulait quand on s'en embarrasse, et qu'on se détourne de la voie où Dieu nous appelle.

Il n'y a rien de suspect dans la voie de l'oraison à laquelle vous êtes attirée, ou plutôt dans laquelle vous êtes jetée. Ce qu'il y aurait à craindre serait d'adhérer à ces vues des âmes privées de Dieu, si elles sont particulières ; car il y aurait du péril d'être jetée par là dans des jugements trompeurs et préjudiciables au prochain et à la gloire de Dieu : mais ces vues venant comme par force et par nécessité, il n'y a qu'à les laisser passer. Il ne faut pas se laisser plonger dans les tristesses accablantes qui en résultent ; mais il y faut apporter une certaine résistance, douce pourtant, quoique forte, et toujours soumise à l'ordre de Dieu. La règle dans ces occasions est de résister doucement, en cette sorte, à ce qui peut jeter dans l'accablement ou dans le danger : que si on y est jeté par une force supérieure et inévitable, il n'y a qu'à se laisser aller, avec une ferme confiance que Dieu qui y pousse d'un côté saura soutenir de l'autre, et que tout aura sa juste mesure. Suivez donc cette lumière intérieure qui vous guide, et priez celui qui l'envoie de vous conduire intérieurement et secrètement dans les pas les plus ténébreux.

Dieu donne souvent des désirs dont il ne veut pas donner l'accomplissement. Cette vérité est constante : il montre des voies de perfection qu'il ne veut pas toujours qu'on suive : il a ses raisons pour cela. Les âmes sont exercées par ces vues et par ces désirs ; cependant Dieu se réserve son secret.

Il y a beaucoup d'apparence que ces désirs et ces vues d'être religieuse sont de ce genre; j'ose presque vous en assurer:

 

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mais néanmoins pour écouter Dieu, j'entrerai volontiers avec vous plus à fond sur cette matière. Tout ce qu'il faut éviter en cette occasion, c'est l'agitation et l'inquiétude. Car partout où Dieu a un dessein, la tentation en a un autre; et si elle ne peut jeter les âmes dans des infidélités grossières et manifestes, elle tâche de les jeter dans le trouble, afin d'y resserrer le cœur, et d'en dissiper les désirs qui doivent tous être réunis au seul nécessaire; Ecoutez donc cette parole du Sauveur : « Marthe, Marthe, très-inquiète, il n'y a qu'une seule chose qui soit nécessaire : Marie a choisi la meilleure part (1) ».

Cette lettre a été écrite à Meaux; mais vous la recevrez de Jouarre, ou vous pouvez m'écrire dimanche, lundi, et mardi jusqu'à deux heures. Tout à vous en Notre-Seigneur.

 

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