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LETTRE CXLV.  L'ABBÉ DE CHANTERAC A MADAME DE PONTHAC.

 

Il est vrai, Madame, comme M. de Condom vous l’a dit, que M. l'archevêque de Cambray reçut la nouvelle de l'embrasement de son palais, avec toute la tranquillité qu'une vertu solide et un parfait désintéressement peuvent donner. Il me répondit simplement là-dessus qu'il fallait toujours aimer la volonté de Dieu, et que nous le devions même remercier de ce qu'il avait fait son bon plaisir. Sa piété est sincère, et je crois qu'on ne peut guère trouver une personne dont le cœur soit plus rempli des vérités de sa religion : il s'en trouverait encore moins dont l'esprit soit capable de les pénétrer si profondément. Peut-être est-ce la seule cause du grand bruit que son livre a fait à Paris, et qui retentit, me dites-vous, jusqu'à Bordeaux. Il n'est pas donné à tout le monde de connaître les mystères; et Jésus-Christ parlait bien différemment à ses apôtres, et au reste des troupes qui venaient avec plus de zèle pour entendre sa doctrine.

 

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Je ne m'étonnerai point que ce livre ait le même sort que celui des plus grands saints qui ont écrit sur des matières si relevées, si peu à la portée du commun des chrétiens, et si peu à l'usage de beaucoup de savants dont le cœur desséché, comme dit sainte Thérèse, par des études stériles, ne s'ouvre point à la rosée du ciel et ne se laisse point pénétrer à l'onction de Jésus-Christ. Il est vrai, c'est un mal et une trop grande présomption, que tant de gens qui n'ont point de science des saints osent se rendre juges des mystères les plus cachés de la parfaite charité : ce n’est pas moi qui dis qu'ils blasphèment ce qu'ils ignorent.

Les écrits de sainte Thérèse, du bienheureux Jean de la Croix et de saint François de Sales, ont été examinés d'abord qu'ils ont paru avec ce zèle amer qui n'est pas selon la science : il semblait même que la multitude allait prévaloir contre eux. Les plus téméraires confondaient nos articles de foi avec les opinions particulières de quelques docteurs scholastiques ; et ceux qui connaissaient trop la religion pour condamner leur doctrine, les accusaient du moins de manquer de prudence. Ils ne faisaient sans doute pas assez d'attention que la plénitude du Saint-Esprit parait une ivresse aux yeux du monde, et que la folie dont saint Paul tire toute sa gloire est une profonde  sagesse devant Dieu.

Il n'est pas possible, Madame, qu'une personne sans prévention puisse dire que ce livre favorise les quiétistes. Je vous assure qu'il les condamne avec plus de sévérité qu'il ne paraît dans la censure de Borne contre les soixante-quatre propositions; et vous verrez que ce méchant prétexte découvrira bientôt l'injustice et les motifs secrets des premiers auteurs de ce grand éclat.

Les PP. Jésuites jugent bien autrement de ce livre : ils l'approuvent, ils le louent, ils le défendent, et avec eux toutes les personnes d'une piété distinguée. Tous ceux qui l'ont lu en ce pays admirent l'élévation et l'étendue du génie de l'auteur, la beauté et la facilité de ses expressions simples et sublimes, l'évidence, la précision, la solidité de ses maximes et de sa doctrine, jointes à un mépris sincère de tout son esprit naturel, et une docilité d'enfant à l'autorité et aux décisions de l'Eglise. Voilà, Madame, ce qui a toujours été incompatible avec la

 

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moindre erreur, et qui fera toujours le caractère des saints et des vrais docteurs de l'Eglise. Quoique M. de Cambray dise des choses très-relevées, et que peu de personnes soient capables de le suivre de près dans cette grande élévation, on comprend bien néanmoins qu'il voit plus clair que les autres les vérités de la religion; qu'il les goûte, qu'il les aime, et que c'est le vrai amour de Dieu qui le fait parler de l'abondance de son cœur.

Nous, Madame, qui connaissons la vérité dès le commencement, nous pouvons rendre témoignage de ce que nous avons entendu, de ce que nous avons vu, de ce que nous touchons au doigt; et ce témoignage est sincère, aussi bien que l'assurance que je fais ici à M. de Ponthac et à vous, que je vous honore toujours, à Cambray comme à Bordeaux, avec le même respect.

G. de Chanterac

 

LETTRE CXLVI. BOSSUET A SON NEVEU. A  Germigny, ce  2 septembre 1697.

 

Je vous ai annoncé la réception de vos lettres par les courriers extraordinaires. J'ai reçu celles du 12 et du 15, et depuis celle du 6 par l'ordinaire.

M. l'archevêque de Cambray, qui avait retiré sa protestation mise entre les mains de M. le nonce, en a remis une autre sur laquelle je n'en sais pas assez pour vous en mander le détail ; mais elle ne change rien dans la disposition des choses. M. le nonce est venu chez moi pour me la montrer : on la donnera au roi, et je la verrai.

On a nouvelle d'Avignon de M. le cardinal de Janson, qui sera le 5 à Paris.

On dit qu'on vendra toutes les charges de la maison de Madame de Bourgogne, et que celle de premier aumônier sera de cent vingt mille livres, que je ne donnerai pas.

Je vous envoie mes qualifications sur les propositions extraites du livre de M. de Cambray : l'usage en est marqué dans la page suivante.

 

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Vous observerez M***, qui est un homme fort ignorant et non moins impertinent. Le discours qu'il a tenu sur les livres de M. de Cambray et les miens, est le même que celui que M. de Cambray répandait ici pour amuser. On s'en est moqué, et il en faut faire de même.

Les lettres de Rome font connaître qu'on y sait que le roi a écrit au Pape sur M. de Cambray.

Si ce n'était jeudi mon synode, je me rendrais à Paris pour y voir M. le cardinal de Janson. Je n'y serai que lundi.

Il faut laisser procéder les députés pour l'examen du livre comme ils l'entendront, étant juste qu'ils fassent la loi plutôt que de la recevoir.

Ce qui sera le plus facile, sera une condamnation en général sans rien spécifier; et après cela, une condamnation par un respective, soit à l'inquisition, soit dans une bulle comme celle de Molinos. Il faut seulement représenter à quelques personnes affidées, qui sachent le dire à propos tant pour le lieu que pour le temps, que comme c'est à la France qu'on veut profiter, il serait à désirer qu'on fît des choses que la France puisse recevoir directement et sans réserve.

Il faut bien prendre garde de ne faire envisager rien de pénible ou de difficile. De quelque façon qu'on prononce, M. de Cambray demeurera seul de son parti, et n'osera résister.

On croit que ses lettres, dont je vous ai envoyé copie, tendent à faire peur à Rome, et à lui faire craindre de s'engager dans une grande affaire. Prenez le contre-pied et montrez que, quoi qu'on fasse, il n'y a rien à craindre d'un homme qui ne peut rien. Il est regardé dans son diocèse comme un hérétique; et dès qu'on verra quelque chose de Rome, dans Cambray surtout et dans les Pays-Bas, tout sera soulevé contre lui.

Quoique je présume bien qu'on aura peine à entrer dans des qualifications particulières, et qu'on ne jugera pas le démêlé assez important pour demander une bulle, j'envoie cependant mes qualifications (a), qui vous serviront en tout cas d'instruction, ainsi qu'à M. Phelippeaux.

 

(a) On n'a point ces qualifications.

 

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La différence d'hérétique et d'erroné ne vous est pas inconnue. Hérétique, est ce qui est contraire expressément, en termes clairs et directement aux décisions de l'Eglise ou à la sainte Ecriture. Pour peu qu'il y ait d'obscurité ou de besoin de raisonner, on s'en tient à la qualification d'erroné, qu'il faut prendre dans le moindre doute plutôt que l'autre, qui demande une évidence absolue. Il y a là bien de l'arbitraire et du goût; mais ce qu'il y a de certain, c'est que l'erroné suffit presque toujours en cette occasion.

 

LETTRE CXLVII. L'ABBÉ  PHELIPPEAUX  A  BOSSUET. A Rome, ce 3 septembre 1697.

 

J'ai reçu, Monseigneur, votre lettre du 12 août, par laquelle vous me marquez souhaiter que je reste à Rome dans la conjoncture présente : j'en vois assez la nécessité. Il faut se soumettre aux ordres de la Providence; trop heureux si je puis servir à la défense de la vérité, et vous marquer en cette occasion mon attachement inviolable à vos intérêts.

J'ai reçu votre Déclaration avec une autre explication, et la lettre française de M. de Cambray. J'espère qu'avec ces secours et les autres que vous nous faites espérer, on mettra la vérité dans une telle évidence, qu'elle sera reconnue de tout le monde. J'étudie sérieusement la matière, et je crois que je pourrai dans la suite faire un mémoire, dans lequel je donnerai plus d'étendue aux articles remarqués dans la Déclaration, et j'en ferai voir la fausseté par les principes que je tirerai de votre livre. Car il faut nécessairement instruire les examinateurs, et même les cardinaux, dans des choses si métaphysiques et qu'on ne manquera pas d'embrouiller et de déguiser autant qu'on le pourra. Il sera bon de m'envoyer quelque explication sur le trente-troisième Article, où l'on prétendra trouver la même doctrine que dans M. de Cambray; 2° sur l'essence de la charité, pour ne tomber pas dans la question purement scolastique ; 3° sur ce qu'il dit

 

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qu'il n'exclut pas l'amour et le désir de la félicité comme volonté de Dieu, mais seulement comme bonheur de l'homme; en quoi il s'appuiera sur votre livre. Je sais ce que vous y répondez ; mais je crois qu'il faut bien expliquer ces trois choses. Je tâcherai de profiter de vos lumières, et n'épargnerai rien pour faire triompher la vérité. Je ne doute guère du succès, quelque effort qu'on fasse de la part de M. de Cambray.

Je vous ai mandé dans ma dernière, que je ne croyais pas que M. *** fût député de M. de Cambray : je le crois pourtant à présent par les discours qu'il tient ; et vous verrez par là quel fond vous devez faire sur des Gascons, quoiqu'ils vous aient de grandes obligations. Il tient le même langage que les Jésuites, entre autres le P. Gentet, François, et pénitencier de Saint-Pierre, qui dit que le livre de M. de Cambray est admirable; qu'il aura la fortune des bons livres, qui sont combattus dans les commencements, mais qui victorieux dans la suite deviennent immortels dans la postérité : discours que la cabale et la flatterie font dire aux partisans du livre, mais qui se trouveront faux.

Le cardinal de Bouillon est toujours indisposé. On lui a fortement remontré que le livre de M. de Cambray ne valait rien, et qu'il ne devait pas se mêler pour son honneur de cette affaire, et on m'a assuré que ces discours avaient bien ralenti son ardeur.

Il vient ici plusieurs jésuites de Flandre, entre autres le confesseur de l'archevêque de Malines, et un autre, pour défendre Papebrock, dont on examine quelques œuvres, qui selon la relation des examinateurs pourront bien être condamnées.

Je doute fort que le livre du P. Dez passe. J'en ai demandé des nouvelles à une personne qui pouvait m'en dire sûrement, et elle m'a répondu : E un libraccio, l'autore è temerario e ignorantone. Il dit que sous prétexte d'attaquer Baius, il renouvelle toutes les querelles de Jansénius, et traite un peu mal saint Augustin. Ces Pères ne peuvent pas agir ici par autorité : bien des gens leur sont opposés; cela les déconcerte.

Je vous ai envoyé le nom des examinateurs du livre de M. de Cambray. On n'a point de nouvelle de l'arrivée de son grand-vicaire : on l'attend pour avoir les Mémoires qu'il doit communiquer.

 

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Je vois que l'affaire tirera en longueur, et nous voilà restés à Rome, du moins pour tout l'hiver, où nous n'aurons pas grand contentement du nouveau ministère. On parle même de s'en retourner en France au printemps, si l'indisposition continue : c'est la meilleure chose qu'on pourrait faire. Je suis avec un profond respect, Monseigneur, votre très-humble et obéissant serviteur.

Phelippeaux.

 

LETTRE CXLVIII.  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON   ONCLE. Rome, ce 3 septembre 1697.

 

Sa Sainteté a reçu par M. le nonce la Déclaration des trois évêques, et en fait faire des copies pour les cardinaux du saint Office. M. le cardinal Casanate me le dit hier : il m'ajouta que le Pape avait été très-touché de la lettre du roi à ce sujet; que Sa Sainteté l'a reçue comme une des plus grandes marques de la religion, de la piété du roi, de son respect pour sa personne et pour le saint Siège. Cette lettre a produit d'abord tout le bon effet qu'on en pouvait attendre : elle a avancé l'examen de l'affaire de plus de six mois. Vous savez quels sont les sept examinateurs nommés. Le pape leur a parlé à tous, leur recommandant de ne rien faire et de ne rien dire qui pût les rendre suspects : il les a exhortés à la diligence, leur déclarant qu'il voulait juger cette affaire ex cathedra, c'est son expression ; et répondre aux bonnes intentions et au zèle de Sa Majesté. On ne se contentera pas de condamner le livre en général, si on le trouve condamnable : on condamnera les propositions particulières qu'on extraira.

La Déclaration des trois évêques éclaircira beaucoup cette matière, fort obscure par elle-même et encore plus embrouillée dans le livre dont il est question. C'était ce qui faisait le plus de peine aux cardinaux et aux examinateurs; mais on y a bien pourvu. Cette Déclaration est nette, précise et courte : elle donne l'idée du livre, en découvre le venin caché, par cette suite de

 

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propositions qui font voir tout l'esprit du livre; et elle produira un très-bon effet et accourcira la matière.

Je ne puis assez m'étonner de l'opiniâtreté et, si je l'ose dire, de l'endurcissement de M. de Cambray, à qui on a tout communiqué. Sa lettre du 3 août (a) marque bien son attachement à cette doctrine. Elle est publique ici : on la fait traduire en italien pour la distribuer au saint Office. On la regarde comme une pièce très-remarquable : on voit son but, les apologies et les excuses qu'il se prépare ; on aperçoit surtout que le silence auquel il se dispose en cas de malheur, sera comme son dernier refuge. Je ne crois pas que l'air plaintif et opprimé qu'il veut se donner lui serve de rien; car on sait déjà ici les ménagements qu'on a eus pour lui en toute façon, avec quelle douceur et quelle charité on l'a traité. Le cardinal Casanate m'a assuré qu'on approuvait fort que le roi ne lui ait pas permis de venir à Rome. On attend les personnes instruites qu'il envoie pour travailler à sa justification : il faut compter que ses amis ne s'oublient point.

On veut ici, je dis toute la Cour, que les Jésuites soutiennent sous main ce livre : j'ai bien de la peine à me le persuader, parce qu'ils voient à présent à découvert qu'ils n'auraient pas tout l'honneur imaginable dans le succès, et qu'ils ne seraient approuvés ni soutenus de personne. On doit décider bientôt leur grande affaire de l'idolâtrie, qu'on les accuse de permettre aux nouveaux chrétiens de la Chine. Le saint Office leur a donné jusqu'au 17 de ce mois, pour répondre aux accusations de tous les autres missionnaires du monde : on passera outre, s'ils ne donnent pas leur réponse dans ce terme; jusqu'à cette heure ils ont gardé le silence.

M. de Cambray ne saurait éviter la condamnation; mais il y aura bien des tortillements et des chicanes : aussitôt que le grand-vicaire sera arrivé, il aura un espion, et nous serons instruits. Le cardinal Petrucci court ici chez les moines, pour leur donner une grande idée de M. de Cambray : c'est un bavard qui ne sait rien et un emporté. Vous ne sauriez croire combien il est important que le nonce continue à bien faire.

(a) Au duc de Beauvilliers, donnée plus haut.

 

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LETTRE CXLIX. BOSSUET A M. DE LA BROUE (a). A Germigny, ce 3 septembre 1697.

 

J'ai reçu votre lettre, Monseigneur, du 23 d'août. Je ne puis vous rien dire de nouveau, n'ayant encore rien appris du côté de Rome depuis l'exécution des choses dont vous avez su le projet. M. de Cambray est chez lui, et il passe pour constant que c'est par ordre du roi. Je ne sais ce qui arrivera de changement du côté de la maison des princes. Il n'a pas tenu à mon témoignage que l'état de M. l'abbé de Catelan ne fût assuré, et en effet je ne vois aucune raison d'y craindre aucun changement.

Il ne s'agit point du tout d'avoir recours au saint Office, dont il n'est fait mention dans aucun acte. C'est M. de Cambray lui-même qui a porté l'affaire à Rome sans désigner à quel tribunal. Pour nous, nous ne nous rendons ni dénonciateurs ni accusateurs : et nous parlons comme témoins et comme appelés en garantie par M. de Cambray. Je n'ai point eu de loisir pour m'appliquer à d'autres affaires qu'à celle-là, depuis qu'elle est entamée. On va commencer à donner les éclaircissements nécessaires, dont l'un sera le livre que vous avez vu, concernant la même matière. Pour l'autre dont vous souhaitez que je traite au plus tôt, il en faut laisser venir les occasions, qui ne semblent pas éloignées. Du reste je suis, Monseigneur, comme vous savez, avec tout le respect possible, etc.

J'ai reçu de gros paquets de M. de Saint-Pons sur la nouvelle rupture avec les Récollets : il m'écrit aussi sur la matière du temps, et me parle de conciliations que je n'entends pas, sur les divers sentiments, quoique opposés.

(a) Revue sur l'original.

 

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LETTRE CL. BOSSUET A   SON  NEVEU. A Paris, 9 septembre 1697.

 

J'arrive de Dammartin où j'ai passé le 8 tout entier, et ne sais aucune nouvelle depuis samedi à Meaux. J'y reçus votre lettre du 20 août, où vous m'annonciez vos lettres du 15 par le courrier de M. de Torci, et une du 17 par M. de Barrière. J'ai reçu la première, mais non la seconde : ce qui m'a causé un grand embarras, parce que je n'y ai rien entendu.

Le mal est qu'on sera longtemps sans s'entendre. Remédiez-y le plus tôt que vous pourrez. Je devinerai le mieux qu'il sera possible. Je trouve toutes les lettres du mois d'août du 3, du 6, du 12, du 15, du 20. Celle du 17 est éclipsée seule. J'apprens à ce moment par mon frère qui rentre, que M. le cardinal de Janson est arrivé. Qu'un abbé qui était avec lui, lui avait dit que C..... n'allait point à F.....mais à quelque chose de moins. Ce ne serait rien. Tout dépendra de savoir si M. de Barrière est arrivé. Je ne sais si c'est l'abbé de Barrière ; quoi qu'il en soit, il faudra attendre.

Depuis ma lettre écrite, j'ai su de M. de Reims que l'abbé de Barrière était arrivé avant-hier et en même temps que M. le cardinal de Janson. Ainsi nous avons le paquet. Demain la cérémonie se fera et l'abbé de Barrière reviendra coucher chez M. le duc de Coislin. M. le cardinal de Janson a dit de vous et de la considération où vous étiez à Rome, tout ce qui se peut d'avantageux, à M. de Reims.

 

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LETTRE CLI. BOSSUET A SON NEVEU  (a). A Paris, ce 16 septembre 1697.

 

J'ai reçu votre lettre du 27 août. On a nouvelle que M. l'abbé de Chanterac est parti de Toulon : nous aurons besoin d'être instruits de ses démarches : surtout des explications qu'il pourrait porter. J'ai répondu à ce que j'ai pu prévoir : si vous pouvez les avoir, il faudra me les envoyer aussitôt; je donnerai toutes sortes d'éclaircissements. Il tâchera d'embrouiller, et c'est tout. Sa lettre, dont je vous ai envoyé copie, fera connaître le caractère de son esprit, qu'on dit assez de même genre que celui de M. de Cambray, sinon qu'il est moins aigu et aussi plus solide. Vous voyez comme il est livré.

Voilà encore une lettre qu'on répand (a). M. de Cambray répand par là ce qu'il a déjà dit à tout le monde, qu'on était d'accord dans le fond ; ce qui n'est pas vrai. Vous aurez vu dans les écrits précédents ce qu'on pense des explications.

Le roi a été bien aise de voir la diligence qu'on fait à Rome, et le caractère des examinateurs que vous marquez.

Tout le monde à Rome qui a ici correspondance, écrit en conformité.

On vous envoie la Déclaration imprimée. On l'a fait imprimer, pour dissiper les faux bruits que M. de Cambray faisait semer, qu'on n'avait rien pu trouver à reprendre dans son livre, et aussi afin qu'elle vînt plus facilement entre les mains des cardinaux et des examinateurs. On s'est dépêché de vous l'envoyer, avant qu'on eût fait les dernières corrections : vous en aurez des exemplaires corrects au premier ordinaire. Remarquez que dans l'exemplaire manuscrit que nous avons signé pour Sa Sainteté,

(a) Revue et complétée sur l'original — (b) M. de Cambray écrivit cette seconde lettre, pour adoucir ce qu'il avait dit de trop dur dans celle à .M. le duc de Beauvilliers. Nous ne rapporterons pas ici cette seconde lettre, parce qu'elle est trop longue, et que d'ailleurs l'auteur ne fait que répéter avec de nouveaux faits ce qu'il avait dit dans la première, (Les premiers édit.)

 

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on avait laissé des fautes, même assez considérables, surtout pour les citations, par le peu d'exactitude des correcteurs: on s'en était chargé à l'archevêché.

Les lettres de Cambray portent que M. l'archevêque y fait bonne mine, et qu'on croit qu'il y fera une ordonnance explicative, mais secrète. Si elle est publique, nous l'aurons. Tout n'est que finesse, artifice et embrouillement.

La cabale est puissante, mais le livre trouve toujours peu d'approbateurs.

M. de Paris donnera une instruction, comme je vous l'ai mandé.

Nous vous envoyons encore six exemplaires de mon Livre, par l'ordinaire qui part.

M. le cardinal de Bouillon s'est excusé sur son indisposition et a peu écrit au roi.

On vous mandera d'ailleurs les nouvelles.

M. le cardinal de Janson dit ici mille biens de vous ; il parle aussi très-bien de M. Phelippeaux : il doit vous écrire à tous deux. M. le cardinal de Janson a écrit à quelques-uns des députés. Il m'a dit qu'il fallait laisser quelqu'un à Rome, pour observer M. le cardinal de Bouillon et le tenir en bride. M. le cardinal de Janson et M. le cardinal d'Estrées parlent du cardinal de Bouillon. On sait que les Jésuites sont pour M. de Cambray.

Le roi dit hier en pleine table que le parti de M. le prince de Conti se fortifiait et réussissait tous les jours. On espère beaucoup de la présence de ce prince. Le vent lui a été assez favorable. On ne le laissera manquer de rien.

Je vous prie de faire bien mes compliments à M. l'abbé d'Auvergne.

M. le cardinal de Janson dit que vous et M. Phelippeaux, vous pourrez vous servir utilement de M. Charlas (a), à qui le cardinal Albane et le cardinal Casanate se fient. J'ai fait parler le cardinal

 

(a) Antoine Charlas, de la ville de Conserans, était supérieur du séminaire de Pamiers, sous M. Caulet. Après la mort de ce prélat, les violences qu'on exerça dans le diocèse, à l’occasion de la Régale, l'obligèrent de sortir de France et de se réfugier à Rome, où il composa son livre de Libertatibus Ecclesiae Gallicanae, que Bossuet réfute si souvent dans sa Défense de la Déclaration.

 

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de Janson, sur ce que le premier vous dit sur mon compte : il a paru ne rien savoir de tout cela ; ni rien du tout par rapport à moi, qu'en général l'estime du Pape. M. l'abbé de Barrière m'a vu, et n'a rien dit davantage; on ne soupçonne rien.

On dit ici que M: le cardinal Àlbane est fort ami de M. le cardinal de Bouillon. Je suis fâché de l'indisposition de cette Eminence : il faut espérer que ce ne sera rien.

Nous nous portons tous à merveille, Dieu merci. Le roi part jeudi pour Fontainebleau. Je suivrai bientôt. Je revins samedi de Marly, où il ne se fit rien pour les charges de la maison de la princesse. Je retourne demain à Versailles.

M. de Cambray continue à semer partout, que c'est moi seul qui remue la cabale qui est contre lui. Il m'a cru le meilleur de ses amis, quand il m'a prié de le sacrer, et qu'il a remis tant de fois sa doctrine entre mes mains. Toute la cabale a été de le retirer de l'entêtement de Madame Guyon, à quoi j'ai travaillé de concert avec Madame de Maintenon, sa protectrice, à laquelle il doit tout, et à cacher son erreur au roi dans l'espérance qu'il donnait de se corriger. Le roi a bien su me reprocher que j'étais cause, en lui taisant un si grand mal, qu'il était archevêque de Cambray : voilà tout mon crime à son égard et toute ma cabale. Cependant il m'a mis seul à la tête de sa protestation à M. le nonce, et il a supprimé M. de Paris, avec lequel il m'avait mis la première fois. Le reste de sa protestation n'a rien de fort remarquable, de ma connaissance.

 

LETTRE CLII. BOSSUET AU CARDINAL D'AGUIRRE. A Versailles, ce 16 septembre 1697.

 

La lettre de Votre Eminence m'a donné beaucoup de joie. Je suis ravi de l'approbation dont elle honore ce qu'elle a vu de mon Livre; j'espère que la suite lui paraîtra encore plus importante. Il est, Monseigneur, de la dernière conséquence qu'on donne le dernier coup au quiétisme, qui avec de belles paroles

 

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réduit la piété à des choses vaines, la fait consister en phrases, en rabat tous les motifs, et pose des principes d'où l'on tire des conséquences affreuses. Ce qu'il y a de plus à craindre, sont les équivoques, dans lesquelles on déguise et on renferme tout le venin. Je souhaite, Monseigneur, que la santé de Votre Eminence lui permette d'entrer en cette affaire.

Je porte envie à mon neveu de l'honneur qu'il a de vous voir. Si vous étiez venu en France pour y prendre les bains, comme on l'assurait, nous partions à l'instant, M. de Reims et moi, pour jouir de la présence désirée, et de la candeur, de la piété, du savoir d'un tel ami que Votre Eminence. Je la supplie de tout mon cœur de continuer à mon neveu et à moi la précieuse amitié dont M. le cardinal de Janson me rend un si précieux témoignage. Je suis toujours avec un respect sincère, etc.

 

LETTRE CLIII. BOSSUET A M. DE LA BROUE. A Paris, ce 21 septembre 1697.

 

Je vous envoie, Monseigneur, la Déclaration que nous avons enfin été contraints d'envoyer à Rome, après qu'on a eu perdu toute espérance de ramener M. de Cambray par la douceur. Il est vrai qu'on a nommé sept examinateurs. On ne doute point qu'il ne se prépare des embrouillements et des chicanes sans fin, dès que M. l'abbé de Chanterac sera arrivé.

On prend les mesures qu'on peut, pour empêcher Rome d'agir par le saint Office. Le Pape a dit qu'il ferait par lui-même. J'ai écrit à l'abbé Bossuet ce qu'il faut, et il sera utile à Rome. Le roi et Madame de Maintenon persistent. Les Jésuites se déclarent beaucoup. On a parlé de divers mouvements à la Cour. Je puis vous assurer que je tiens pour vous. Je ne vois rien à craindre pour M. l'abbé de Catelan, qui se conduit bien.

Je ne tarderai pas à me rendre à Fontainebleau. Nous savons que M. de Rieux parle en vacillant sur le livre et sur la matière.

 

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qu'il paraît ne pas trop bien entendre. Ceux qui ne voient pas le fond prennent ceci pour des pointillés.

 

LETTRE CLIV. BOSSUET A  SON  NEVEU. A Paris, ce 23 septembre 1697.

 

J'ai reçu votre lettre du 3 septembre, dont j'ai envoyé en même temps un grand extrait à la Cour. Vous avez vu par mes dernières lettres, que j'ai fait à M. le cardinal de Janson la confidence que vous souhaitiez avec raison (a). Il continue à parler de vous de la manière du monde la plus obligeante, et à laquelle on ne peut rien ajouter.

Je crois que le roi est bien informé de l'état de la santé de M. le cardinal de Bouillon, par lui-même. Je suis fâché pour cette Eminence et pour les affaires du roi que sa santé soit mauvaise : mais je vois que, Dieu merci, le mal est plus incommode que dangereux. Il a mandé au roi que le livre de M. de Cambray n'éviterait pas la condamnation.

M. de Paris fera paraître bientôt une instruction pour prémunir contre l'erreur, en attendant le jugement de Rome. On imprime actuellement l'écrit intitulé Summa doctrinœ; à quoi je joindrai une courte résolution des trois questions que M. de Cambray m'a faites, et de deux autres.

Nous dînâmes hier chez M. le nonce : il fit un repas magnifique aux trois cardinaux, à M. de Reims, à M. de Metz et à moi. Rien n'égale la splendeur et l'honnêteté avec laquelle il vit ici, ni la considération où il est à la Cour et dans toute la prélature. Il me fit voir une lettre de M. le cardinal Spada, qui lui mandait d'envoyer sept exemplaires de mon Livre, en spécifiant les additions, et sept de celui de M. de Cambray; c'est pour les sept examinateurs. J'ai donné ordre à Anisson de porter les sept derniers à M. le nonce dès aujourd'hui sans parler de moi. Pour les miens, vous les pourrez fournir, moyennant les six

 

(a) Du séjour de l'abbé Bossuet à Rome.

 

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que je mis encore à la poste par le dernier ordinaire , et quatre que j'enverrai par le prochain.

M. de Paris a reçu un bref fort honnête. Le Pape lui a fait dire par M. le nonce, qu'il accorderait des pensions aux curés infirmes de son diocèse par forme d'aliment à certaines conditions. J'en demanderai autant; mais je réserve d'en parler aussi bien que de votre induit, jusqu'au temps où je verrai M. le nonce à Fontainebleau: il est toujours bien disposé. Si la lettre du roi au Pape se divulgue, envoyez-la-nous : quoique nous en sachions le contenu, la propre teneur est bonne à garder (a).

J'ai oublié de vous dire sur le livre de M. de Cambray, que visiblement son dessein est de défendre indirectement Madame Guyon, et de se mettre à couvert en faisant voir que le refus de la condamner n'empêche pas qu'il n'enseigne une bonne doctrine. On ne croit pas que ce livre lui fasse beaucoup d'honneur, n'étant élevé qu'en paroles et en phrases, comme j'ai dit. Nous n'avons sur ce point qu'à ne dire mot. On ne parlera que trop pour nous, et le livre tombera de lui-même.

 

LETTRE CLV. L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE (b). A Rome, ce 27 septembre 1697.

 

Je ne vous écrivis pas l'ordinaire dernier, le mardi, à cause de l'extraordinaire qui devait partir hier, aujourd'hui et tous les jours; mais M. le cardinal de Bouillon l'a retardé, et on ne sait plus quand il part. Comme il pourrait le faire partir dès demain tout à coup, je commence à vous écrire aujourd'hui, ayant bien des choses à vous écrire.

J'ai reçu la semaine passée votre lettre de Germigny, du 2 septembre, avec les qualifications, dont nous ferons l'usage qu'il faut : elles sont très-précises et très-nécessaires. J'ai reçu hier

 

(a) Les défenseurs de Fénelon ont toujours soutenu que Bossuet était l'auteur de cette lettre : on voit qu'ils cherchent à tromper leurs lecteurs. — (b) Corrigée sur l'original.

 

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votre lettre de Paris du 9 septembre : vous aurez reçu dans le même temps la lettre par M. de Barrière, et par conséquent le dénouement à ma lettre du 20, que vous n'entendiez pas, qui est pourtant très-importante, et les suivantes, pour connaître ce pays-ci. Tout chemine et cheminera suivant l'idée que je vous donne : et le cardinal de Bouillon et les Jésuites sont toujours les mêmes assurément.

L'abbé de Chanterac commence à paraitre : il a vu le cardinal de Bouillon, l'abbé de la Trémouille, le général des Dominicains, le P. Estiennot, et plusieurs fois le cardinal Spada : il a eu audience du Pape. Il n'a encore rien donné. Le Pape et le cardinal Spada souhaiteraient fort qu'il eût apporté des exemplaires du livre de M. de Cambray, pour les mettre entre les mains des examinateurs, qui n'en ont que deux en tout. Son but est de retarder tant qu'il pourra, croyant que qui a temps a vie, surtout en ce pays qu'il arrive tant de changements tout à coup : c'est la vue du cardinal de Bouillon; j'en juge très-sûrement par ses discours.

On m'a assuré que M. de Chanterac n'apportait pas de traduction latine: je m'en suis toujours bien douté, parce que cela abrégerait la matière, si la traduction était conforme à l'original; et si elle ne l'était pas, ce serait sa condamnation par lui-même. Quand Messieurs les cardinaux m'ont parlé de cette traduction, je leur ai parlé en ce sens ; et ils verront, si M. de Cambray n'a pas fait de traduction, le dessein et la mauvaise foi de l'auteur, qui n'avait promis cette traduction que pour amuser. Cela bien relevé fera son effet : j'ai déjà dit fortement ce que j'en pensais au cardinal Spada et à Monseigneur Cenci, maître de chambre de Sa Sainteté, qui m'honore de son amitié particulière. Cela peut aller plus loin, d'autant plus que le Pape attendait cette traduction avec empressement. On parle seulement d'une tradition prétendue depuis saint Thomas, dit-on, jusqu'à cette heure. On n'a encore rien reçu, le cardinal Casanate m'en a assuré.

On sait, à n'en pouvoir douter, que les Jésuites sont le conseil de M. l'abbé de Chanterac : il y passe très-souvent trois ou quatre heures du jour et de la nuit.

M. de Chanterac répand ici que M. de Cambray n'a jamais eu

 

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aucune liaison particulière avec Madame Guyon ; que c'est plutôt M. de Meaux qui a été très-content d'elle et de sa conduite, qui lui a donné des témoignages authentiques, et qui l'a reçue aux sacrements, lui permettant même de communier tous les jours. Je sais la vérité de tout cela, et tout ce qui s'est passé, et dirai ce qu'il faut ; mais c'est pour vous faire voir la bonne foi avec laquelle on parle et on agit. Le même dit encore que vous n'avez d'abord et pendant six semaines rien trouvé à reprendre au livre de M. de Cambray, et que vous ne vous en êtes avisé que longtemps après : que pour M. de Paris et M. Pirot, ils ont vu et approuvé le livre avant son impression. Pour ce qui vous regarde, j'ai dans vos lettres de ce temps-là la conviction du contraire de cela : et pour M. de Paris et M. Pirot, supposé que ce qu'il dit soit vrai, comme me l'a dit encore M. le cardinal de Bouillon, on voit bien que ce n'est qu'une surprise manifeste de la part de M. de Cambray. Mais d'un autre côté cela même ne montre que trop clairement le venin caché de son livre, qu'ils ont enfin découvert et condamné publiquement ; et rend le sort de ce livre tout à fait semblable à celui de Molinos, qui fut approuvé par des évoques et par les principaux religieux de tous les ordres, qui se laissèrent éblouir à l'air de piété de ce livre.

Il ajoute que vous n'avez communiqué à M. de Cambray aucune de vos difficultés : j'ai la preuve contraire en poche par l'écrit que vous lui avez envoyé par les mains de, M. de Paris, de Marly le 15 de juillet, dont je fais ici un très-bon usage, et qui met M. de Cambray dans son tort par tous ces endroits. Il parle toujours dans le sens de la lettre de M. de Cambray sur les propositions du livre, dont il souhaite qu'on marque les sens. Mais la réponse à cette lettre fait voir la mauvaise foi de celte vue ; et cette lettre ne fait pas ici l'effet que son auteur avait espéré : j'ose dire qu'elle en fait un tout contraire.

On ne doute pas ici que le P. Dez ne travaille pour la défense du livre ; je n'en puis rien assurer. Je sais seulement qu'il m'en parle toujours avec une grande affectation. Le secret du saint Office fait qu'on aura plus de peine à être instruit du particulier : avec cela rien d'essentiel ne nous échappera, s'il plaît à Dieu,

 

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Il faut à présent que je vous parle de M. le cardinal de Bouillon, et de ce qui s'est passé entre lui et moi.

Je vous dirai d'abord qu'il se porte toujours de mieux en mieux, et qu'il commence à se communiquer. Il vint hier ici de Frescati pour la congrégation du saint Office, qui se tient devant le Pape tous les jeudis, et où on devait parler de l'affaire des missions de la Chine, c'est-à-dire de ces prétendus actes d'idolâtrie dont on accuse les Jésuites. Au retour j'eus l'honneur de le voir; et comme c'était l'unique fois que je l'aie vu en état de m'entendre, je le priai de me donner un moment, pour pouvoir exécuter les ordres dont vous m'aviez chargé depuis un mois, de lui faire part sur cette affaire de M. de Cambray. Il me dit qu'il me savait très-bon gré de ne lui en avoir pas parlé plus tôt, à cause de l'état où il avait été ; qu'il était incapable de tout ; qu'il me priait de venir le lendemain qui est aujourd'hui, dîner à Frescati, où nous aurions le temps de parler, et de lire ce que je voudrais lui montrer.

J'ai donc été ce matin à Frescati, et après le dîner nous nous sommes enfermés. Je lui ai dit tous les pas que j'avais faits auprès du cardinal Spada, à qui j'avais remis entre les mains les écrits que vous m'aviez adressés, et dont on devait déjà avoir fait des copies de l'ordre de Sa Sainteté, pour les distribuer aux examinateurs et aux cardinaux du saint Office. Il m'a dit qu'il ne les avait pas encore vus, mais qu'il croyait pourtant qu'on les lui avait donnés. Je lui parlai de l'écrit que vous aviez envoyé à M. de Cambray (a), du 15 de juillet : il souhaita de le voir, et je le lui lus. Il n'en fut que trop content, et je le vis étonné : il me dit qu'il n'y avait rien à ajouter ; il m'en a demandé une copie, que je fais faire. Je ne crois pas après cela qu'il croie que M. de Cambray n'a pas été instruit, et que vous lui ayez rien voulu cacher, et que vous n'ayez pas poussé à son égard la charité aussi loin qu'elle pouvait aller. Il ne m'a pas dit un mot sur le refus obstiné de conférer avec vous.

Il m'a dit que si quelque chose le consolait d'avoir été incommodé depuis un mois, c'était de ne s'être point mêlé jusqu'ici de

 

(a) C'est celui qui est intitulé : Premier Ecrit ou Mémoire de M. l'évêque de Meaux à M. l'archevêque de Cambray, etc. Voyez vol. XIX, p. 350 et suiv.

 

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cette affaire-là, et de ce qui s'est passé depuis qu'il a présenté la lettre de Sa Majesté; que l'indifférence était le parti qu'il voulait prendre dans tout le cours de cette affaire, et qu'il ne se mêlerait ni pour ni contre. Je ne sais si cette indifférence est bien l'intention du roi ; mais enfin voilà ce qu'il m'a fait l'honneur de me dire, croyant bien apparemment que je le dirais. Je lui ai lu la lettre de M. de Chanterac, qu'il a fait semblant de n'avoir pas vue : il l'a trouvée forte et bien écrite ; il a eu la bonté d'écouter les réflexions que je prenais la liberté de lui faire avec toute l'ingénuité possible. Je n'ai pas encore pu faire dire à M. le cardinal de Bouillon, que M. de Cambray eût tort.

Au reste j'ai cru ne devoir plus faire de mystère sur mon séjour ici : il m'est revenu de toutes parts qu'on écrivait de Paris que mon retour était retardé pour cela, et j'ai dit à M. le cardinal de Bouillon, à qui j'avais assuré mon départ au mois de septembre, que vous m'aviez mandé de retarder encore quelque temps pour voir le commencement de cette affaire; que néanmoins je n'étais chargé de rien, mais que je ne laisserais pas de m'instruira de tout, et de lui communiquer ce que j'apprendrais sur cette affaire-là. Il me pria de trouver bon qu'il ne me dît rien de ce que M. de Chanterac lui dirait et lui communiquerait, comme il me promettait d'en user de même pour ce que je lui pourrais dire. Je l'ai bien assuré que je ne lui demandais le secret en rien, pour ce qui regarde M. de Cambray et M. de Chanterac, ne voulant jamais lui dire rien que je ne puisse dire à M. de Chanterac et à M. de Cambray lui-même, parce que je ne dirais jamais rien que fondé sur la vérité et la bonne foi. Nous nous sommes quittés très-bons amis, et très-satisfaits l'un de l'autre.

Je vois bien que j'embarrasse fort ici le cardinal de Bouillon; mais il faut qu'il prenne patience : car à présent le sort en est jeté ; et quelque sincère envie que j'aie pour toute sorte de raisons de retourner, je vois bien la nécessité où je suis de rester.

Le but de M. le cardinal de Bouillon est de tirer en longueur : la seule difficulté sur cette affaire viendra de sa part. S'il agit de bonne foi, dans trois mois l'affaire est finie, et comme il faut; mais il est sûr que non. J'espère en avoir des preuves démonstratives,

 

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peut-être dans peu. Je sais la force avec laquelle le roi a écrit ; mais le cardinal de Bouillon ne cherche qu'à le tromper, et veut uniquement son avantage et celui de ses amis.

Je ne comprends pas ce que c'est que les thèses que vous me mandez que les Jésuites ont soutenues pour le Pape.

Je suis très-obligé à M. le cardinal de Janson du bien qu'il dit de moi ; je vous supplie de lui en bien marquer ma reconnaissance.

Par mes dernières lettres vous aurez bien vu qu'on prend ici un autre train que celui que M. le cardinal de Janson s'imaginait qu'on prendrait. On ne pense pas ici à l'Index; et le Pape ne veut pas seulement qu'on défende le livre s'il est condamnable, mais qu'on en examine la doctrine pour la condamner comme le roi le souhaite. C'est lui qui l'a dit, et qui en a parlé dans ce sens aux examinateurs : l'assesseur du saint Office m'en a assuré, aussi bien que M. le cardinal Casanate.

 

LETTRE CLVI. BOSSUET A  SON   NEVEU. A Meaux, ce 29 septembre 1697.

 

J'ai reçu votre lettre du 10; au moins j'ai lu ainsi, quoique le chiffre fût un peu brouillé. Tâchez d'écrire les dates, les chiffres et les noms bien nettement. La lettre de M. Phelippeaux, qui était dans le même paquet, était du 2.

L'addition du P. Damascène aux examinateurs (a) est fâcheuse. Voilà trois examinateurs indisposés contre les François et contre nous, à cause du cardinal Sfondrate : cela paraît ici bien affecté. J'en parlerai à M. le nonce à Fontainebleau, où je serai jeudi. Je coucherai mercredi à la Fortelle.

Nous savons que M. de Cambray envoie son livre en latin avec quelques notes : la question sera principalement de voir si le tout sera bien conforme à l'original.

(a) Le P. Damascène, de l'ordre des Mineurs conventuels, était l'approbateur du Nodus  praedestinationis dissolutus, du cardinal Sfondrate.

 

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J'enverrai les mémoires nécessaires. Un père Jacobin, nommé le P. Clerc, du couvent du faubourg Saint-Germain, est venu me demander des instructions de la part du P. Massoulié.

J'ai envoyé par M. Anisson quatre exemplaires de la seconde édition de mon livre sur les états d'oraison, vingt Déclarations latines, vingt Additions  (a). M. le nonce m'a fait voir dans une lettre de M. le cardinal Spada, qu'on demandait fort les Additions. On y joint un mémoire manuscrit, sur lequel on a fait la Déclaration. Il comprend beaucoup plus de choses, les traite bien plus amplement et qualifie : c'est pour cela qu'on ne l'a point fait imprimer. Vous n'aurez aujourd'hui que la première partie, qui consiste en vingt remarques : il y en a encore vingt-trois, qu'on enverra par l'ordinaire prochain. On pourra mettre ces instructions en mains affidées : étudiez-les, vous et M. Phelippeaux, vous y trouverez tout ; mais nous avons voulu nous réduire à ce qui est de plus essentiel. Il est bon qu'il y ait des gens qui voient tout : vous pouvez montrer le mémoire à Granelli (b).

On verra au premier jour une Lettre pastorale de M. de Paris, qui ne se publiera point que nous ne l'ayons vue. Je fais imprimer pour vous, mais non pas divulguer ici, l'écrit latin intitulé Summa doctrinae.

J'attends les nouvelles de l'arrivée de M. de Chanterac : il est fort artificieux.

Je vous prie, vous et M. Phelippeaux, de bien couvrir votre marche, et de concerter tous vos pas : cela est de la dernière conséquence pour les deux Cours et pour tous les spectateurs.

 

(a) Il s'agit des additions faites par Bossuet à son Instruction sur les états d’oraison. Voyez vol. XVIII, p. 654.— (b) L'un des examinateurs.

 

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LETTRE CLVII. L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE (a). Ce lundi, 30 septembre 1697.

 

Ce que vous me mandez des charges de la maison de Madame la duchesse de Bourgogne, qu'on vendra peut-être, me paraît extraordinaire. J'ai de la peine à le croire, surtout pour ce qui regarde les charges ecclésiastiques, que le roi a un fort grand scrupule de laisser vendre.

Le Pape a eu la goutte ces jours-ci et un peu d'émotion, ou si vous voulez de fièvre. On l'a fait d'abord assez mal, mais ce n'a été rien de dangereux : il se porte mieux, et a aujourd'hui donné audience à M. le cardinal de Bouillon, qui est venu de Frescati exprès. Je ne l'ai point vu : on m'a fait avertir qu'il allait faire partir son courrier ce soir.

Depuis que je me vois arrêté ici, que j'ai appris le départ de M. le prince de Conti, et qu'il y a apparence que les affaires de Pologne dureront brouillées quelque temps, il m'est venu une pensée, qui est peut-être une chimère, mais que je vais vous proposer, et dont vous ferez tout le cas que vous voudrez.

Quand M. le prince de Conti sera en Pologne, il me paraît qu'il est difficile qu'il se passe en cette Cour, dans les circonstances présentes, d'une personne de confiance qui agisse sous les ordres du ministre du roi; mais qui néanmoins ait une commission particulière de lui de voir le Pape, les ministres et d'agir, s'il est nécessaire, en son nom. Pendant le séjour que je ferais ici, cette commission me ferait beaucoup d'honneur, et me donnerait une certaine liaison avec les affaires, qui, je vous avoue, non-seulement me ferait plaisir, mais me serait utile et avantageuse. Vous ne doutez pas que je ne fisse tout de mon mieux pour m'en bien acquitter. Je suis pour M. le prince de Conti, tout porté sur les lieux, d'une manière qui ne lui fera pas déshonneur. Je ne lui demande rien, et ai ici des entrées partout. M. l'électeur a 

 

(a) Revue et complétée sur l'original.

 

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envoyé ici depuis trois semaines, un gentilhomme à lui, en qualité de son envoyé, et qui fait ici ses affaires. Ce serait une commission qui ne m'engagerait ici qu'autant que je le voudrais, et que les autres affaires m'y arrêteraient, et qui pourrait toujours m'être avantageuse en tout sens, aussi bien qu'à vous, me donnant occasion de parler au Pape de tout. Faites-y, s'il vous plaît, réflexion : consultez sur cette vue M. le cardinal de Janson et M. de Reims ; et prenez, si cette proposition ne vous déplaît pas, auprès de M. de Pomponne, du roi et de M. le prince de Conti, les mesures que vous jugerez à propos ; ou laissez-la dans le silence, si vous croyez que cela me convienne mieux. C'est M. le cardinal Barberin, dont je vous envoie une lettre et qui ne me veut pas de mal, qui m'a fait donner cette vue : il est ici le protecteur de Pologne.

Au reste comme le but de M. de Cambray et de ses amis est de tâcher de faire croire qu'il a des gens savants de son côté en France, ce serait une chose très-utile et très-nécessaire d'exciter les plus grands évêques et les personnes de piété et connues, de se déclarer contre par des lettres et instructions courtes. Par exemple, M. le cardinal le Camus, M. l'abbé de la Trappe, M. de Mirepoix, M. de Nîmes, et autres qui sont en cet état.

Je compte que cette lettre vous trouvera à Fontainebleau. Je vous prie d'envoyer le paquet inclus à mon père en toute diligence.

J'oublie de vous dire que vendredi il y eut une congrégation extraordinaire des cardinaux du saint Office sur l'affaire des Jésuites de la Chine, et que contre l'attente de tout le monde, et même de Sa Sainteté, on donna un délai aux Jésuites de quatre mois. Ils n'avaient donné aucune réponse aux faits avancés par le procureur général des Missions étrangères, qui poursuit cette affaire ici.

Je finis pour envoyer ma lettre. Le Pape a donné audience dans son lit au cardinal de Bouillon : la goutte lui est descendue au genou et au pied ; du reste il se porte bien. M. le cardinal de Bouillon est reparti pour Frescati : la bonne santé de ce cardinal ne change rien à l'estime et à l'amitié qu'on a pour lui. Il ne veut

 

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encore voir personne à la campagne : il est et sera toujours incapable d'un grand travail.

Je vois bien qu'il fera ses efforts pour que le livre soit mis seulement à l’Index. Il faut, pour l'empêcher, que le roi en parle à M. le nonce, et en écrive à M. le cardinal de Bouillon comme d'une chose qui ne remédierait à rien. L'indifférence que cette Eminence témoigne vouloir garder sur le livre, est exprès pour me persuader qu'il n'a pas eu de part à ce qui s'est fait au sujet des examinateurs, ce qui néanmoins-est constant.

C'est ce cardinal qui a demandé en grâce un délai pour les Jésuites.

Au reste je ne puis m'empêcher de vous faire souvenir du pauvre chevalier de la Grotte (a), qui est désespéré et qui mourrait ici de faim sans moi. Vous ne m'avez fait aucune réponse sur son sujet. Je vous ai envoyé il y a longtemps, un reçu de lui de six cents livres pour M. de Malezieu. Je lui donne de l'argent à proportion, mais cela m'incommode fort. Une réponse, s'il vous plaît, et une assurance de M. de Malezieu ; et ayez la bonté d'envoyer ces six cents livres à M. Guérin à Lyon, et de m'en donner avis ; sans quoi je serai obligé de l'abandonner, ne pouvant pas suffire à tout.

 

LETTRE CLVIII. BOSSUET A  SON  NEVEU. A Fontainebleau, ce 7 octobre 1697.

 

Je n'ai reçu qu'aujourd'hui seulement votre lettre du 17 septembre : le courrier est arrivé tard à Paris, et les lettres ont retardé de deux jours entiers. J'ai fait imprimer l'écrit latin, qui est intitulé Summa doctrinœ, pour Rome seulement, et vous l'aurez par l'ordinaire prochain. Vous recevrez peut-être par celui-ci , une Ordonnance de M. de Reims contre des thèses que les Jésuites ont soutenues à Reims à la louange de Molina et de sa doctrine. Je n'ai que faire de vous en rien dire ; vous la verrez.

(a) C'est le même que le chevalier tartare.

 

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Vous ne me parlez point du tout de M. le cardinal Nerli ; cependant on dit que c'est un personnage.

Je crois vous avoir mandé que M. l'abbé de Chanterac porte la version latine du livre des Maximes des Saints, avec des notes. Je suis bien aise de vous voir appliqué à l'ouvrage sans trop de confiance.

Avant mon arrivée ici, le roi avait parlé à M. le nonce de Damascène, comme d'un surnuméraire suspect, qu'il fallait ôter. On avait aussi parlé de Gabrieli, feuillant, sans le nommer, parce qu'on n'en savait pas le nom. J'ai empêché qu'on ne poussât plus loin cette affaire, et je l'ai fait de concert avec M. le nonce, qui paraît toujours bien disposé : nous le tiendrons en bonne humeur.

Vous recevrez deux gros cahiers de remarques sur le livre de M. de Cambray, dont je vous ai déjà écrit. La dernière correction n'y est pas, parce qu'on n'a eu aucune vue de les donner au public, surtout à cause des qualifications ; mais des gens instruits s'en pourront servir pour découvrir le venin du livre.

On fait grand bruit à Paris de deux livres envoyée à Rome de la part de M. de Cambray : l'un autorisé par M. de Paris, alors évêque de Châlons, c'est le livre du Frère Laurent, dont je crois que nous avons parlé ; l'autre s'appelle Les fondements de la vie spirituelle, approuvé de moi étant doyen de Metz, où l'on prétend que la nouvelle spiritualité est tout du long ; mais ce n'est rien, et tout le contraire s'y trouve dans l'endroit qu'on m'oppose , chapitre v, que je vous marque à tout hasard, afin que s'il vous tombait entre les mains vous sussiez ce que c'est.

Continuez à m'instruire ; rien ne tombe à terre. Si la cabale est grande à Rome, comptez qu'il en est de même ici : mais nous avons toujours pour nous le roi et Madame de Maintenon. J'instruirai M. de Paris et M. de Chartres de ce que vous m'apprendrez.

J'approuve tout ce que vous me mandez que vous faites. Portez-vous bien seulement, et priez Dieu qu'il vous conduise dans la défense de sa cause.

 

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LETTRE CLIX. L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE  (a). A Rome, ce 8 octobre 1697.

 

Vous aurez été étonné avec raison d'avoir été les deux ordinaires avant celui-ci, sans recevoir de mes nouvelles que peut-être une lettre que j'adressai pour vous à M. Blondel, du premier de ce mois, mais qui en présupposait une autre du jour de devant, 30 septembre, et qui est le paquet inclus dans celui-ci, dont voici l'histoire en peu de mots.

M. le cardinal de Bouillon tenait depuis huit jours à chaque moment, ce courrier extraordinaire nommé Raisin, en suspens comme devant partir : enfin il se résolut de le faire partir le premier octobre au matin. J'en fus averti sûrement, et en même temps qu'il n'était pas trop sûr d'envoyer les lettres, qu'on vou-loit faire partir par ce courrier, au secrétaire de M. le cardinal de Bouillon, qui serait apparemment, me dit-on, aussi curieux que le maître, et qui ne se faisait pas une affaire d'ouvrir les paquets. A bon entendeur salut. Quand j'eus écrit et fait le paquet que je vous renvoie à présent, je le fis donner par mon valet de chambre au courrier qui promit de s'en charger et de vous le rendre, et en même temps un autre paquet pour M. le cardinal de Janson. M. le cardinal de Bouillon le sut apparemment : ce qui est de certain , c'est que quand le courrier fut parti, cinq ou six heures après un laquais de chez M. le cardinal de Bouillon vint rapporter ce paquet et dire que le courrier l'avait oublié. Où la malice fut plus grande, c'est qu'on laissa aussi partir le courrier ordinaire, qui partait cette nuit-là, et que je ne pus envoyer mon paquet, ni par l'extraordinaire, ni par l'ordinaire. J'avoue que cela m'a un peu piqué, sachant à n'en pouvoir douter qu'on n'a pas voulu que le courrier portât mon paquet qui s'adressait à vous. Pour celui de M. le cardinal de Janson, je suppose qu'il est parti, car on ne me l'a pas renvoyé : je vous prie pourtant de vous en informer.

(a) Revue sur l'original.

 

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Outre ces deux paquets que j'avais fait donner au courrier en main propre, j'adressois encore un paquet à M. Blondel, lequel j'envoyai au secrétaire de M. le cardinal de Bouillon, dans lequel il y avait une lettre pour vous qui présupposait la première, une pour M. de Reims et une pour M. le cardinal de Janson. Le secrétaire de M. le cardinal de Bouillon m'a assuré que ce paquet était parti dans le sien : je m'en rapporte à sa parole.

Peut-être si vous recevez cette lettre, aurez-vous parlé au courrier, pour savoir ce qu'était devenu le paquet que je vous marquais vous avoir envoyé par lui. Enfin le voici : je vous le renvoie sans l'ouvrir, et ne fais qu'ajouter ce que je puis savoir de nouveau. Examinez un peu un des cachets de ce paquet : vous verrez qu'on en a pris l'impression avec de la pâte ou de la cire, pour en faire faire un pareil apparemment. Cela est cause que je cachetterai pour cette fois-ci, avec de la cire d'Espagne et le cachet de M. Phelippeaux, et dorénavant avec du pain ; et au lieu de mon cachet je me servirai de celui de M. Phelippeaux ou d'une tête antique que j'ai, qu'il est difficile de contrefaire. Peut-être aussi me servirai-je de la voie du courrier de Venise de temps en temps : je vous manderai les mesures que j'aurai prises. Je prends la liberté d'adresser ce paquet-ci, sur lequel j'ai raison de croire qu'on a eu quelque dessein, à M. de Reims, et celui de M. de Reims à M. le marquis de Barbesieux : j'en écris un mot à M. de Reims.

Je ne puis m'empêcher de vous dire qu'il me serait très-commode de pouvoir écrire par les courriers extraordinaires ; ce que je ne puis plus, M. le cardinal de Bouillon voulant que les lettres passent par ses mains : ce que je ne crois pas trop sûr. Cela ne laisserait pas d'être très-important quelquefois, dans de certaines circonstances, que vous fussiez instruit de la vérité de ce qui se passe ici, aussitôt qu'on le pourrait être, afin d'avoir la réponse prête à ce qu'on pourrait déguiser ou mander de faux. Je ne sais si d’en dire un mot au roi il serait à propos ou à M. de Torci, ou à M. de Barbesieux, ou à M. Pelletier, afin qu'on avertît les courriers de prendre mes lettres sans les faire passer par ces gens-ci ; ou que quelqu'un de ces ministres trouvât bon qu'on leur adressât les paquets, ou enfin quelque expédient de cette nature, sans

 

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pourtant que cela vint à la connaissance de M. le cardinal de Bouillon, s'il est possible. Au reste les paquets qui vous seront adressés auront toujours le dessus écrit de ma main, et seront cachetés avec du pain, ceux au moins de conséquence, et presque tous. Venons au fait.

M. de Chanterac continue ses discours ordinaires, que je vous ai mandés par ma lettre du 30. Il n'a et n'aura guère de gens qui le croient que ceux qui sont prévenus pour lui, qui sont en très-petit nombre, et les gens ignorants et mal informés. Les Jésuites et M. de Cambray sont toujours les mêmes. On parle publiquement que le P. Dez écrit. Jusqu'ici M. de Chanterac n'a vu que les frates, hors le cardinal Spada. Le cardinal Casanate est le même. L'abbé de Chanterac ne cherche qu'à embrouiller. On murmure qu'on veut répandre de l'argent. M. de Chanterac est très-peu de chose, grand parleur et ennuyeux à force de répéter les mêmes choses : ce sont les personnes qu'il voit le plus souvent qui me l'ont dit. Je lui fis l'autre jour des honnêtetés chez M. le cardinal de Bouillon, comme il sortait et que j'entrais : cela fut court, et je n'entrai en matière sur rien ; le nom de M. de Cambray ne fut pas seulement nommé.

On m'a assuré de plus en plus que le P. Damascène était de la main des Jésuites et du cardinal de Bouillon. Il a paru même prévenu, mais c'est sans avoir vu le livre ; car on n'en a pas encore ici, et c'est ce qui est cause qu'on ne travaille pas. M. de Chanterac n'en veut pas donner. La traduction paraît évanouie : on ne sait ce que cela veut dire, ou plutôt on voit une démonstration du peu de sincérité et de l'artifice.

Nous mettrons, s'il vous plaît, un prélat nommé Fabroni, fameux ici par de nouvelles pasquinades, sous le chiffre de BB (a). Il pourra peut-être faire ici un personnage (b) : il est ami des Jésuites. M. de Chanterac va chez lui la nuit : le cardinal Casanate m'en a averti ; je le savais déjà. Le cardinal de Janson vous dira le caractère du personnage, qui est ici très-haï : j'en ai déjà fait avertir le Pape, qui est sur ses gardes. M. de Chanterac n'a à

 

(a) Ces chiffres seront expliqués à la fin des lettres. — (b) Il devint en effet cardinal sous Clément XI.

 

 

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Rome d'amis que ceux du cardinal de Bouillon et des Jésuites : à la lettre ; je le découvre tous les jours, et cela commence à se publier ici.

C'est une chose très-utile d'avoir fait imprimer et publier la Déclaration des évêques : cela rend leur témoignage plus certain et plus authentique : et éclairera tout le monde et fera connaître la malignité du livre et les contradictions. M. de Reims en a déjà envoyé un exemplaire au P. Estiennot, qui sortait de dessous la presse. J'ai prié ce Père de ne le pas faire voir que je n'eusse reçu le paquet que vous m'en envoyez, qui arrivera apparemment dans deux jours, et où seront les corrections. Il serait à propos d'en faire venir ici le plus d'exemplaires qu'il sera possible, pour que tout le monde en ait s'il y a moyen : rien ne peut faire un meilleur effet. Si votre Summa doctrinœ était aussi imprimée, et l'instruction de M. de Paris, cela ne pourrait faire de mal. Le plus de petits écrits qui soient bons, qui pourraient paraître en latin et en italien, mais substantiels, feront des merveilles. M. de Chanterac n'a encore donné aucun écrit, aucune explication. Apparemment il fait ici examiner par ses protecteurs et ses amis ce qu'il a apporté là-dessus ; mais jusqu'ici rien n'a paru. Il espère qu'on lui communiquera les propositions que les examinateurs extrairont du livre pour y répondre, dit-il ; mais il se trompe : ce n'est pas l'usage du saint Office : ce serait un procès sans fin. Molinos et le cardinal Petrucci auraient expliqué toutes leurs propositions, si on le leur avait permis.

M. de Chanterac répand que la jalousie que vous avez eue de M. de Cambray et de son génie admirable et supérieur, est cause de tout ce grand bruit.

J'ai reçu votre lettre du 16, de Paris. Je reçois par le courrier une lettre de M. le cardinal de Janson, obligeante pour vous et pour moi autant qu'elle le peut être. Il me parle de vous et de votre livre avec des éloges que l'un et l'autre méritent à la vérité, mais qu'il connaît bien. Il me parle en même temps de la disposition unanime, universelle et ouverte de tout le monde en faveur de la saine doctrine. Je ne suis pas le seul à qui il en écrit ici, et cela fera un bon effet s'il continue. S'il avait l'occasion, en écrivant

 

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ici à quelque tête principale, cela ferait à merveille, et confirmerait extrêmement tout ce que je puis dire et faire. Je mande à M. le cardinal de Janson, que vous lui direz le détail de ce qui se passe ici sur tout cela. On en rend compte fort exactement à M. le cardinal d'Estrées: c'est le P. Péra, jacobin. Vous ne sauriez assez remercier M. le cardinal de Janson des bontés qu'il a témoignées pour moi.

Il est certain que c'est une grosse affaire à Rome d'avoir en tête le cardinal de Bouillon. Tout ministre est à Rome très-redoutable, plus qu'en aucun lieu du monde ; vous en voyez bien les raisons. On les ménage plus, si l'on peut dire, que le Pape.

J'avoue que l'ingratitude et l'injustice de M. de Fénelon est au-delà de ce qu'on peut dire.

Enfin la nouvelle de la paix arriva avant-hier à M. le cardinal de Bouillon, qui en donna hier part au Pape : il n'y a pas lieu de douter qu'elle ne soit universelle dans le terme prescrit. La paix en soi et Strasbourg consolent les François de Luxembourg et de la Lorraine, et la gloire du roi et de la France est dans son entier.

J'ai rendu votre lettre de compliment à M. le cardinal de Bouillon. M. Charlas sera employé utilement. La santé de M. le cardinal de Bouillon continue à être bonne. Son Eminence travaille très-peu, il est le même sur tout.

La nouvelle de la paix changera apparemment les vues d'argent qu'on avait sur les charges de Madame la duchesse de Bourgogne.

Au reste M. de Chanterac crie ici à la persécution, et veut faire pitié ; cela ne lui réussira pas.

Sa Sainteté a toujours un peu de goutte ; la douleur l'empêche de dormir, il est abattu. Il ne serait pas bon que cela continuât. Car pour un vieillard de quatre-vingt-trois ans, la perte du sommeil est un grand mal. Du reste il n'y a pas de danger. Je ne laisse pas de vous prier de prendre la précaution de vous assurer de M. le cardinal de Janson, pour être conclaviste en cas de malheur subit et inopiné. Ce serait pour moi une chose très-avantageuse et très-agréable, d'autant plus que je suis persuadé qu'il aura plus de part que personne à ce qui s'y fera. Si cette Eminence ne peut pas m'accorder cette grâce, peut-être M. le cardinal

 

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d'Estrées ne serait pas fâché de vous faire ce plaisir et à moi. Si ces deux Eminences me manquent, j'en supplierai M. le cardinal de Bouillon, que je voudrais incommoder le dernier. Me trouvant ici, il serait mal à moi de ne pas assister à ce manège, où on apprend toujours quelque chose, et d'où je ne sortirais pas sans l'induit que je souhaite, et sans d'autres prérogatives très-utiles dans la suite. Il n'y a, comme je vous dis, aucune apparence que le malheur soit assez grand pour l'Eglise de perdre son Chef; mais cette précaution ne fera mal à personne, et m'assurera en cas de malheur. Présentement que nous avons la paix, le conclave est une affaire de deux ou trois mois au plus.

 

LETTRE CLX. L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE. A Rome, ce 11 octobre 1697.

 

Je me sers d'un courrier extraordinaire qui a apporté la nouvelle de la paix, et que M. le cardinal de Bouillon renvoie. Cette lettre vous sera rendue sûrement : Son Eminence n'en sait rien ; c'est par la voie du cardinal Ottoboni que je vous la fais passer. Je vous ai adressé un gros paquet contenant deux ordinaire;, qui n'ont pu partir à cause que M. le cardinal de Bouillon n'a pas voulu que le premier partît par le dernier courrier extraordinaire. Je vous en ai compté toute l'histoire dans ma lettre du 8, partie par l'ordinaire dernier, et que j'ai adressée à M. de Reims : en même temps j'ai envoyé celle de M. de Reims à M. de Barbesieux, ayant sujet de me défier que M. le cardinal de Bouillon ne fît ouvrir mes lettres, et n'eût fait faire un cachet comme le mien. En général le cardinal et les Jésuites sont les mêmes sur tout.

M. le cardinal de Bouillon paraît rétabli, et vient ici de temps en temps : il emploiera ses forces et sa santé pour M. de Cambray, mais en agissant sous main. Les Jésuites et le cardinal de Bouillon font tous leurs efforts pour le servir. On n'a pas peu à faire à Rome, quand un ministre est contraire.

Les discours de M. de Chanterac consistent à dire que M. de

 

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Cambray n'a aucune liaison particulière avec Madame Guyon, dont la personne et les mœurs ont reçu de vous un témoignage authentique ; que la haine que vous avez contre M. de Cambray vient de jalousie d'auteur et d'envie de la supériorité de génie, d'esprit et de spiritualité de M. de Cambray (a). Il crie à la persécution; dit qu'on ne s'est pas expliqué franchement avec M. de Cambray sur ce qu'on trouvoit à dire à son livre ; que M. de Paris et M. Pirot l'ont approuvé avec des termes extraordinaires d'estime ; que c'est une cabale qui le persécute, et mille choses de cette façon, qui ne feront pas grande impression; car on est instruit, on le sera, et on a bon moyen de l'être.

La lettre du roi répond à une partie de ces impostures, aussi bien que l'écrit que vous avez fait communiquer à M. de Cambray par M. de Paris, du 15 juillet, dont vous m'avez envoyé copie. Je l'ai lu tout entier à M. le cardinal de Bouillon, qui en a été surpris, et qui voit bien par là qu'on n'a rien dissimulé à M. de Cambray. Si l'on pouvait faire un petit détail de la liaison de M. de Cambray avec Madame Guyon, et de ce qui s'est passé dans cette affaire entre M. de Cambray, vous, M. de Châlons, Madame de Maintenon et Madame Guyon, à l'occasion des trente-quatre Articles, il faudrait y rapporter ce qui s'en est ensuivi ; le refus qu'a fait M. de Cambray d'approuver votre livre , l'invincible opposition qu'il a témoignée pour conférer avec vous, le

 

(a) L'esprit qui faisait parler ainsi M. le cardinal de Bouillon, s'est fort répandu, il subsiste encore; et il est bien étonnant qu'après toutes les protestations d'un aussi grand homme que Bossuet, après toutes les preuves qu'il a données de sa tendre affection pour M. de Cambray, de la véritable douleur qu'il ressentait de ses égarements, du désir sincère qu'il avait de le ramener à la vérité; après, dis-je, tant de témoignages de charité et de condescendance de la part de M. de Meaux , il est inconcevable qu'on se soit obstiné à le traduire comme la partie de M. de Cambray, qu'on ait osé le représenter comme un homme jaloux de la gloire de son rival, acharné à sa poursuite, uniquement appliqué à le perdre. Si l'on se fait un devoir d'être équitable envers Fénelon, ne craindra-t-on pas d'être injuste envers Bossuet? et si l'on croit être obligé à tant d'égards envers le premier, quel respect, quelle considération ne demande pas le second? Combien doit-on prendre garde de lui prêter des senti-mens contraires à la grandeur de son âme, à l'élévation de son mérite? Chercher à l'avilir en lui attribuant une basse jalousie, c'est se déshonorer, c'est insulter à la nation, parce que les rares qualités de cet homme unique sont un bien commun, auquel tous ceux qui pensent sainement doivent prendre le plus vif intérêt. ( Les premiers édit.)

 

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scandale que son livre a donné et donne tous les jours, avec la manière d'agir et d'écrire de ce prélat. Une relation de tous ces faits avec quelques réflexions, ferait bien voir l'intention de l'auteur : or comme l'intention d'un auteur influe beaucoup sur son livre, elle montrerait ici quel est l'esprit qui a dirigé celui de M. de Cambray, en manifesterait le venin caché, et découvrirait le sens mauvais qu'il veut insinuer sous de belles paroles d'amour pur, de tradition, d'épreuves extraordinaires.

Ce qui porta coup à Molinos et fit apercevoir les vices de son livre, qui jusque-là passait pour bon, fut sa conduite qu'on découvrit, et son intention dans tout ce qu'il faisait. Bien d'habiles gens prétendent même qu'on aurait de la peine à trouver dans le livre de Molinos : De la guide, des propositions qu'on put condamner indépendamment de ses autres écrits, de ses explications et de sa confession. Je ne veux pas dire par là qu'il n'y ait pas dans le livre de M. de Cambray assez de propositions manifestement mauvaises : mais ce que je propose en ferait encore découvrir le venin plus clairement à tout le monde, et principalement à ceux qui ne le veulent pas voir. Je n'oublie rien de ce qu'il faut dire pour instruire. Je fais travailler à la traduction, en italien, de votre écrit du 15 juillet, qui met M. de Cambray dans tout le tort imaginable. S'il est nécessaire, je le donnerai aux cardinaux et examinateurs.

J'ai appris depuis hier que M. le nonce avait envoyé des livres de M. de Cambray, et que tous les examinateurs en avaient à présent.

J'ai appris encore ce matin que M. de Chanterac avait dit, et c'est de l'abbé de la Trémouille que je le tiens, qu'il venait de recevoir la traduction latine du livre de M. de Cambray. Je serai très-aise qu'il la fasse paraître : jusqu'ici il n'en avait pas parlé. Il l'avait sans doute ; mais apparemment il la voulait faire revoir ici et corriger : nous saurons tout cela avec le temps.

Tout le but de M. de Chanterac est d'embrouiller et d'allonger : si M. le cardinal le veut, cela est aisé ; il peut sans peine traîner l'affaire en longueur. Je doute d'en pouvoir voir la fin, à moins

 

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que le roi ne presse et ne déclare qu'il s'en prendra à lui ; que toutes les semaines il n'en parle au nonce, et ne le prie d'écrire au Pape en conformité, pour qu'il n'écoute point ceux qui par politique et un ménagement pernicieux à l'Eglise, lui insinuent d'épargner M. de Cambray à cause de sa dignité et de ses amis.

Le Pape est toujours incommodé de sa goutte, qui le chicane et l'empêche de dormir. Il est très-chagrin et très-inquiet. Les uns disent que ce n'est rien ; mais, selon moi, c'est toujours beaucoup à un homme de son âge: il ne laisse pas de donner audience à tout le monde. Je vous écrivis par ma dernière lettre à tout hasard que me trouvant ici, si un malheur arrivait au Pape, il me serait très-avantageux et très-agréable d'entrer dans le conclave; que je n'en sortirais pas sans l'induit que je demande et d'autres avantages pour la suite de la vie; que pour cela je vous priais de prévenir incessamment là-dessus M. le cardinal de Janson en premier; si M. le cardinal de Janson était engagé, M. le cardinal d'Estrées : j'avais oublié tout net M. le cardinal de Coislin, en cas de refus des deux premiers. Pour M. le cardinal de Bouillon, j'aurais peur de le contraindre si je le lui demandais, et de me contraindre aussi. Ce n'est pas que le Pape soit en danger ; mais on ne sait pas ce qui peut arriver à un vieillard de quatre-vingt-trois ans passés.

M. le cardinal de Bouillon se porte mieux, mais il est incapable d'une grande application. Sa vue est à présent de faire son neveu cardinal, en cas que le Pape veuille faire un Espagnol et un Allemand. Pour le coup, je ne sais si ce serait l'intention du roi, et si Sa Majesté n'aimerait pas mieux en ce cas vous nommer.

Je reçois dans le moment votre lettre du 23 septembre, datée de Paris. Je n'ai point encore reçu ce que vous et M. Ledieu me mandez qui vient pour moi, par la poste, de vos livres et de la Déclaration des trois évêques.

Je vois bien que M. de Cambray cherche ici à vous rendre suspect; mais encore une fois il n'y réussira pas, quelque effort que lui et ses amis fassent. Sa protestation ne sert de rien : il est question ici du livre et du livre français, s'il est bon ou s'il est mauvais. On ne s'éloignera pas de cela : ses explications bonnes

 

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ou mauvaises ne serviront de rien. On veut juger le livre; et nous tâcherons de faire en sorte qu'on ne prenne pas le change. Sa Sainteté est déjà avertie des tours qu'on veut donner en faveur de M. de Cambray ; et elle s'est expliquée clairement, disant qu'il était question du livre qui avait fait le scandale.

Je crois qu'une des principales choses où je dois être attentif, c'est qu'on prévienne le Pape sur tout ce qu'on pourrait lui faire faire sans y penser. C'est une de mes grandes applications : moyennant cela les examinateurs iront leur train, et on ne les laissera manquer d'aucun secours, ni d'aucune explication sur leurs difficultés. Ceux d'entre eux qui sont les plus sa vans, redresseront les autres. J'ai déjà eu plusieurs conférences avec le Père général des Dominicains, le P. Serri, théologien de M. le cardinal de Bouillon, et le P. Massoulié examinateur : ils sont bien intentionnés et bien instruits : M. de Chanterac les a vus assez souvent depuis qu'il est ici, et c'est tant mieux : il ne gâte rien à nos affaires. Il commence à être un peu inquiet du succès, et dit qu'on ne fera pas M. de Cambray hérétique malgré lui.

Je vous ai mandé par mes précédentes, le délai que la congrégation du saint Office a encore accordé aux PP. Jésuites, pour répondre aux accusations des autres missionnaires de la Chine : c'est une grande grâce qu'on leur a faite, à laquelle personne ne s'attendait. On ne doute pas que le cardinal de Bouillon n'en soit la cause.

Le P. Daia a pris la qualité de procureur général des Minimes, quoiqu'il y en ait un autre qui en fasse les fonctions : c'est pour avoir un prétexte pour rester ici sans affectation.

Par une lettre que je vous écrivis le 30 septembre, qui devait partir par un courrier extraordinaire, mais que M. le cardinal de Bouillon eut la bonté de ne pas vouloir qui partît, et qui n'est partie que mardi dernier, je vous parlais d'une idée qui m'était venue sur M. le prince de Conti si je restais à Borne, et laquelle je laissais à votre jugement. C'était qu'ayant peut-être ici besoin pour parler en son nom au Pape d'une personne de confiance, distinguée de M. le cardinal de Bouillon, qui ne peut pas faire de certains pas, je m'offrais à lui pour cela et pour lui rendre

 

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compte de ce qui se passe ici. Cela me ferait entrer dans une espèce de liaison d'affaires qui ne me serait ni désagréable ni inutile. Cette idée aurait peut-être été meilleure à lui proposer à lui-même, si j'y avais pensé avant son départ; mais je ne songeais pas à rester ici. Si vous n'y voyez aucune apparence non plus qu'aucune raison, je serai très-aisément de votre avis. C'est M. le cardinal Carlo Barberini, dont je vous envoyai une lettre par le dernier ordinaire, qui m'a fait parler de cette vue, mais ne le nommez pas.

Je vous envoie un mémoire italien, traduit apparemment du français venu de Paris : c'est pour brouiller les évêques avec le Pape, et empêcher les justes desseins du clergé de France ; vous verrez de quoi il est question. On répand ici ce mémoire secrètement, et ce sont les Jésuites qui le débitent.

Quoique dans Rome on fasse courir le bruit que le Pape est mal, cela n'est pas vrai : il n'y a rien de nouveau sur sa santé. Il se lève, marche un peu, appuyé à la vérité ; et il y a apparence que ce ne sera rien. Ne laissez pas, s'il vous plaît, de prendre des mesures d'abord avec M. le cardinal de Janson, pour lui marquer le plaisir que j'aurais de me revoir avec lui, sinon avec M. le cardinal d'Estrées, qui est celui, entre nous, qui s'ouvre davantage et qui se sert plus volontiers des honnêtes gens.

Je vous ai marqué par ma précédente, une nouvelle brigue qu'on fait jouer en faveur du livre de M. de Cambray : elle vient des Jésuites. M. de Chanterac a de très-fréquentes conférences avec Monseigneur Fabroni, qui est un zelanti, et qui a accès auprès de Sa Sainteté. Le cardinal Casanate m'en a averti : je le savais déjà et j'avais fait prévenir le Pape; ce qui a empêché tout le mal.

Vous ne pouvez trop témoigner ma reconnaissance à M. le cardinal de Janson ; je suis pénétré de ses bontés.

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