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LETTRE CCLV.  L'ABBÉ DE CASTRIES A L'ABBÉ BOSSUET. A Versailles, ce 14 avril 1698.

 

Après vous avoir remercié, mon cher abbé, de toutes les marques d'amitié que vous me donnez dans votre lettre du 4 du passé, je vous dirai à propos du bruit qu'on a voulu faire courir ici sur vous, que M. votre oncle m'en donna la première nouvelle un jour que j'avais l'honneur de dîner avec lui. Il me parut, et vous le croyez bien, que cela n'avait fait aucune impression sur lui : je le trouvai très-piqué là-dessus par rapport à l'amitié qu'il a pour vous. Et en effet ces sortes d'histoires, quoique sans fondement, sont toujours très-fâcheuses pour des gens de notre profession. Le mal se laisse toujours croire volontiers, et la plupart des gens ne se mettent guère en peine de démêler la fausseté d'une calomnie.

Pour moi, je vous connais trop depuis longtemps, pour vous avoir cru capable d'une telle folie, qui serait tout au plus excusable dans un écolier mal morigéné. Il faudrait que vous eussiez absolument perdu l'esprit ; ce que je ne crois pas, je vous l'assure : j'en ai parlé ainsi à tous ceux qui me sont venus conter cette belle aventure. Vous n'aviez pas besoin de me rien recommander là-dessus, puisque vous devez être persuadé de mes sentiments pour vous : mais je ne saurais m'empêcher de vous plaindre et de vous trouver bien malheureux, de vous voir exposé à de pareilles attaques. Je m'assure que votre bonne conduite vous en fera triompher; et je vous prie, mon cher abbé, de m'aimer toujours, comme étant plus que personne au monde, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

L'abbé de CASTRIES.

 

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LETTRE CCLVI. L'ABBÉ PHELIPPEAUX A BOSSUET. A Rome, ce 15 avril 1698.

 

Dans l'incertitude où nous sommes de savoir quelle édition vous avez de la Réponse à la Déclaration, on vous envoie celle de Lyon qui a été donnée la première, et qu'on voulait retirer, avec les suppressions et additions qui se trouvent dans l'édition de Bruxelles : les endroits sont notés d'une raie de crayon. On aura sans doute envoyé à Paris la dernière édition ; et en cas que vous ne l'ayez pas, le mémoire qu'on y joint vous instruira des différences qui se trouvent dans l'une et dans l'autre. On a distribué une quatrième lettre contre M. de Paris sur l'addition faite à son Instruction pastorale, avec les deux premières lettres en latin. Vous voyez que M. de Cambray ne manque pas de traducteurs , ni de gens qui prennent soin de ses impressions. On doit donner une dissertation sur le pur amour, comme vous verrez à la fin de la traduction de la réponse au Summa : je n'ai pas eu le temps de la collationner avec le latin. Cette réponse est de même caractère que la réponse à la Déclaration imprimée à Bruxelles et y était jointe.

Les partisans du livre font valoir ces deux questions : 1° Si la béatitude n'est pas gratuite, et si Dieu n'aurait pas pu nous créer sans nous destiner à la béatitude éternelle ; 2° Si un homme, à qui Dieu révélerait sa damnation infaillible, ne serait pas obligé de l'aimer. Et on n'a pas honte de faire de telles suppositions, si éloignées de l'état de la question.

On finit dimanche l'examen jusqu'au dix-neuvième article : Granelli y fit valoir la Déclaration du P. La Combe. On met la chose dans une si grande évidence, que les défenseurs du livre en ont honte, et n'y répondent que par des subtilités outrées qui font pitié : cependant ils persistent dans le parti qu'ils ont pris ; ce qui cause du scandale dans l'esprit des honnêtes gens. Cela ne laissera pas peut-être d'embarrasser les cardinaux , qui ont coutume

 

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de s'en rapporter aux examinateurs. Beaucoup d'autres personnes étudient la matière : elles s'éclairent de jour en jour ; et elles l'auraient été davantage, si vous aviez jugé à propos de donner des observations latines dans le temps qu'on vous avait mandé. Demain on commencera à examiner les huit articles sui-vans jusqu'au vingt-sept ; et j'espère que la discussion en sera finie dimanche prochain. Il ne restera que ce qui regarde la contemplation.

J'ai vu le provincial des Carmes déchaux, qui a parlé au général. Ce général lui demanda quelle était la disposition des trois évêques à l'égard des réguliers. Je vous ai mandé ce qu'on avait tâché d'inspirer sur cet article. Le P. Cambolas a parlé fortement au cardinal Ferrari, et lui a fait connaître la disposition du royaume sur le livre. Il doit voir au premier jour le Pape, et il a promis d'en parler fortement. C'est ce Père dont M. l'abbé a écrit à M. de Paris.

Je vous prie de faire réflexion sur l'article qui regarde M. de Chartres , page 9, qu'on a supprimé dans la nouvelle édition ; et sur la suppression, page 189, de ces paroles : Je ne le répète point ici, ma lettre étant devenue publique. Il n'a donc rendu compte au Pape de ses sentiments sur Madame Guyon, que dans sa lettre au Pape, qui est devenue publique, où cependant il n'en dit pas un mot ; car la note marginale n'était pas dans l'original écrit au Pape, dont j'ai copie. Vous verrez aussi qu'il admet à présent deux amours surnaturels : l'un commandé par la charité, l'autre imparfait qui n'est point relevé par le motif supérieur de la charité. Ainsi il rétracte son argument, que ce qui est imparfait vient de la nature. Je ne comprends plus rien dans le procédé de cet homme : c’était assez de manquer de science, sans manquer encore de bonne foi.

J'appréhende que vos écrits latins ne viennent un peu tard : ils serviront pour les cardinaux et leurs théologiens particuliers. Le provincial de Flandre des grands Carmes a avoué au P. Latenai, que le livre était de la plus grande inutilité du monde, quand la doctrine n’en serait pas mauvaise. Je suis avec un profond respect, etc.

 

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LETTRE CCLVII. L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON   ONCLE (a). Rome, 17 avril 1698.

 

Je vous envoie les additions et altérations de la nouvelle édition de Bruxelles ; et comme je m'imagine que ce peut être celle que M. de Cambray aura envoyée en France, je vous fais passer à tout hasard la première, à laquelle on a fait les additions que vous verrez. Je vous envoie aussi le français du Summa, c'est-à-dire de la réponse au Summa, que vous trouverez différent du latin que vous avez. Ce qu'il y a d'extraordinaire dans la démarche de M. de Cambray, c'est que le latin de la traduction de la Réponse à la Déclaration, est de même que cette édition française que je vous envoie. Tout cela est plein de détours inintelligibles : on n'oublie pas ici de tout faire remarquer, et j'espère que cela réussira malgré les oppositions.

J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire de Meaux, du 24 mars. Vous savez mieux ce qu'il faut faire que moi pour moi : je ne demande que justice et équité. Il me semble à présent que la chose parle d'elle-même : mais j'avoue qu'elle m'a été bien sensible, et me le serait bien encore, si on n'a pas la bonté de m'assurer que le roi et les honnêtes gens sont convaincus de la vérité. J'ai reçu des lettres de M. le cardinal de Janson, de M. le cardinal d'Estrées, de M. l'archevêque de Reims, les plus obligeantes du monde. Pour ce qui me regarde, je ne donne aucun prétexte sur quoi que ce puisse être au monde. J'ose dire que je ne change rien à la conduite que j'ai toujours tenue ici, approuvée des honnêtes gens, et que je tiendrai; mais on n'est pas à l'abri d'une calomnie aussi peu fondée : c'est au fond ma véritable consolation.

Dans les deux dernières congrégations on a examiné jusqu'au dix-neuvième article. Tous les examinateurs ont parlé, hors l'archevêque de Chieti, qui doit parler à la première fois. On n'a rien

 

(a) Revue et complétée sur l'original.

 

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oublié pour son instruction; mais j'ai bien peur qu'il ne continue comme il a commencé. On doit examiner à présent depuis le dix-neuvième article jusqu'au vingt-troisième inclusivement, et ainsi de suite. Le Pape voudrait bien que les examinateurs pussent finir ce mois-ci : mais cela est impossible, et ils ne pourront finir qu'à l'Ascension ; ce sera toujours quelque chose.

J'ai eu cette après-dînée une audience de trois heures avec le cardinal Pancialici, à qui j'ai tout expliqué sur le fait, tant du côté de France que de ce côté-ci. Comme il ne va jamais au saint Office, il ne savait pas les choses extraordinaires qu'on avait faites pour M. de Cambray. Je lui ai fait tout connaître, aussi bien que le caractère des examinateurs, l'état où cette affaire était au mois de décembre, et l'état où la cabale l'avait mise par l'adjonction des trois derniers examinateurs. Il est absolument nécessaire qu'on connaisse cela ; car cela le décrédite absolument ; et on voit l'esprit de la cabale , et le tort que cela fait au saint Siège et à la réputation de la cause. Rien n'a été oublié, et je suis très-content de lui. J'ai vu aussi ce soir le cardinal Noris, qui voit clair dans cette affaire. Je crois savoir aussi que le cardinal Ferrari ne se laissera pas tromper : c'est beaucoup, avec la bonne intention du Pape qui dure toujours. M. le cardinal Casanate est le plus sûr de tous. M. le cardinal d'Aguirre aussi.

Le secrétaire de M. le cardinal de Bouillon m'a averti que l'abbé de Chanterac et ses partisans faisaient courir le bruit que le roi avait écrit en particulier au Pape, pour l'assurer qu'il est indifférent sur M. de Cambray ; et que, pourvu qu'on finisse de quelque manière que ce soit, qu'il ne veut autre chose. Il faudrait être bien bon pour croire une pareille chose.

Il y a une quatrième Lettre contre M. de Paris : les deux premières Lettres sont déjà imprimées traduites en latin. M. de Cambray est bien servi pour l'impression.

Le P. Cambolas est venu : il a bien fait en plus d'une occasion au sujet de M. de Cambray, je le sais à n'en pouvoir douter. Il me paraît un fort honnête homme.

Le Père provincial des Carmes déchaussés est aussi arrivé : il est bien intentionné, et fera tout de son mieux. Il m'a avoué qu'il

 

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savait que le Père général avait reçu de fortes recommandations de France en faveur de M. de Cambray. Le Pape est un peu incommodé de rhume et de goutte; mais ce n'est rien.

Je mande à M. de Paris qu'il est important que le nonce écrive, non tant à présent pour presser que pour insinuer à quoi on s'attend en France, et le trouble que causerait un mezzo termine ou une faible condamnation: cela est de la dernière conséquence.

La preuve des faits touchant le P. La Combe, Madame Guyon et M. de Cambray, est aussi très-importante.

M. le prince des Ursins est mal, et a confirmé en faveur de Madame la princesse des Ursins ce qu'il avait fait pour elle pendant sa vie. Elle le mérite bien, et est digne d'être estimée; elle a mille bontés pour moi. J'oppose à M. le cardinal de Bouillon tout ce que je peux ; et j'ai mis tous les honnêtes gens de mon parti.

Je vous prie dans l'occasion de dire à M. le cardinal d'Estrées et à Madame la maréchale de Noailles, aussi bien qu'à Madame de Maintenon, l'estime universelle où elle est ici : les deux premiers sont ses intimes amis.

 

LETTRE CCLVIII. BOSSUET A   SON   NEVEU. A Paris, ce 20 avril 1698.

 

J'ai reçu votre lettre du d. Nous attendions le résultat d'une conférence de M. Giori avec le cardinal Noris, après laquelle il avait mandé qu'il espérait faire tout d'un coup tourner le Pape contre M. de Cambray. La lettre portait que les cinq examinateurs qui sont contre le livre, étant bien unis, et les autres ne l'étant pas, détermineraient infailliblement à la condamnation, surtout si le cardinal Noris se joignait avec le cardinal Ferrari. Monseigneur Giori mande qu'il n'a pu rencontrer le cardinal Noris.

On a dit au roi que pour abréger on avait proposé de faire cesser la congrégation, et de laisser le jugement de l'affaire aux cardinaux, et que vous l'aviez empêché; ce qui a surpris Sa Majesté.

 

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On lui a expliqué cela par votre lettre précédente (a) : mais vous devez prendre garde à ne vous charger de rien que le moins que vous pourrez. Vous avez pourtant bien fait, et l'on a fait entendre au roi que vos raisons étaient très-bonnes : vous devez vous concerter avec M. le cardinal Casanate.

Il vient d'arriver la chose la plus extraordinaire qui se soit passée depuis longtemps dans la distribution des bénéfices. Le roi avait nommé à l'évêché de Poitiers l'abbé de Coidelet (b), que le P. de la Chaise lui avait proposé pour remplir la charge d'aumônier, vacante par la promotion de M. l'archevêque d'Arles. On rapporte que le roi ayant répondu au P. de la Chaise qu'il avait d'autres vues pour la charge d'aumônier, Sa Majesté, qui ne songe qu'à donner de bons sujets à l'Eglise, avait dit que si l'abbé de Coidelet avait toutes les bonnes qualités qu'on lui attribuait, il fallait le faire évêque de Poitiers; à quoi le Père avait applaudi. Quoi qu'il en soit, il fut nommé évêque de Poitiers: mais avant que la feuille fût présentée au roi pour être signée, quelques rapports faits à Sa Majesté de la vie de cet abbé, comme peu régulière pour un évêque, firent qu'elle ne voulut plus ratifier cette nomination; et que samedi dernier elle nomma M. l'abbé Girard à l'évêché de Poitiers, et M. l'abbé de Langle à celui de Boulogne. On dit qu'en effet cet abbé, que je ne connais point du tout et dont je n'avais jamais entendu parler, est un homme de fort peu de capacité, qui passe sa vie à tailler à la bassette, et qui est un peu entaché du vice qu'on reproche aux Bretons, qui est d'aimer le vin. Il est certain qu'il n'avait nul air de la profession

(a) Voici le fait. Le cardinal de Bouillon , en habile politique, chercha à profiler du Mémoire envoyé par le roi, et que nous avons donné ci-dessus, pag. 312; Il feignit donc de vouloir suivre les ordres de Sa Majesté, et travailla eu conséquence à précipiter la décision de l'affaire. Pour cet effet, il sollicita le Pape de faire finir l'examen des consulteurs, et de renvoyer aux cardinaux le jugement du livre, afin que les cardinaux, pressés d'un côté de juger, et voyant de l’autre un partage entre les consulteurs, se contentassent d'une simple prohibition du livre, donec corrigatur. L'abbé Bossuet demanda qu'on laissât aux consulteurs la liberté de terminer leur examen, afin que les cardinaux fussent en état de rendre avec connaissance de   cause un jugement équitable et digne du Saint Siège. On publia à ce sujet un Mémoire qui avait été envoyé par l’évêque de Meaux, et que nous plaçons à la suite de cette lettre. ( Les édit.) —  (b) Son nom était Mathurin Léni de Koetlez; il avait été archidiacre de Vannes. Voyez Gallia christ. tom. II, col. 1210.

 

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ecclésiastique. Cela fait bien connaître l'attention du roi à nommer de bons évêques. J'ai vu ce matin, au sacre de M. de Troyes, les deux évêques nommés, qui ont fait leur remercîment à Sa Majesté.

On veillera au surplus de votre lettre. Nous savons, il y a longtemps, les affaires de M. de Saint-Pons (a). Il est certain qu'il n'est point favorisé à la Cour ; du reste on ne lui fera point d'injustice. Je m'informerai, et je vous en dirai peut-être davantage au premier ordinaire.

Je ne sais quel est cet homme, devenu confesseur d'un grand prince par les intrigues de M. de Cambray. Si l'on connaissait le prince, on devinerait le directeur.

M. de Paris vous écrira sur le sujet du P. Cambolas (b), et qu'on ne peut mieux faire que de suivre les avis du P. Latenai, pour lequel le roi est bien prévenu. Le P. Cambolas passe généralement pour homme de mérite. M. de Paris m'a paru le tenir un peu douteux : mais au reste bien loin d'être prévenu contre lui, il est très-porté à le servir sur de meilleures informations Il sait qu'il est favorisé par les Jésuites, en particulier parle P. de la Chaise ; ce qui ne prévient pas en sa faveur : pour moi, je m'en rapporte au P. Latenai.

Portez-vous bien : prenez courage, Dieu ne vous abandonnera pas. C'est sa cause que vous soutenez : c'est pour sa cause que vous avez été attaqué d'une si noire calomnie. On n'en parle plus, tout le monde est bien persuadé de votre innocence.

Les amis de M. de Cambray chantent victoire par toute la France : c'est leur artifice ordinaire. Les Jésuites continuent à le défendre ouvertement dans les provinces, et ici avec quelques ménagements, mais assez faibles. Je ne puis douter du succès. Ce

 

(a) Pierre-Jean-François de Percin de Montgaillard, né en 1633, nommé évêque de Saint-Pons, en 1664. Ce prélat eut de grands démêlés avec les Récollets de son diocèse. Il eut aussi des contestations avec l'évêque de Toulon, touchant le Rituel d'Alet ; et avec Fénelon au sujet du Silence respectueux. Le mandement et les lettres qu'il publia dans cette occasion furent condamnés à Rome. Il mourut le 13 mars 1713, après avoir écrit peu de temps auparavant une lettre de soumission au Pape. — (b) Il était provincial des Carmes déchaussés de Paris, et il était venu à Rome pour concourir à l'élection d'un général de son ordre, qui devait succéder au P. Philippe.

 

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serait le plus grand scandale qui put arriver dans l'Eglise, si Rome, je ne dis pas approuvait le livre, car on sait bien que cela ne se peut, mais biaisait et mollissait pour peu que ce fût dans une affaire où il ne s'agit de rien moins que du rétablissement du quiétisme, et de l'entière subversion de la religion.

 

MÉMOIRE

 

Dans lequel on prouve crue le saint Siège ne doit pas se contenter d'une simple prohibition du livre de M. de Cambray, mais qu'il doit censurer et qualifier les propositions extraites de ce livre par les examinateurs.

Les partisans de M. de Cambray, après avoir épuisé toute leur adresse pour retarder l'examen du livre, veulent aujourd'hui tout précipiter, afin qu'on se contente d'une simple prohibition Mais il est nécessaire, pour les raisons suivantes, de qualifier en particulier les propositions extraites de ce livre.

1° Le roi, dans sa lettre écrite de Meudon le 26 juillet 1697, supplie Sa Sainteté de prononcer, le plus tôt qu'il lui sera possible, sur le livre et sur la doctrine qu'il contient.

2° Les évêques de France ont marqué en particulier dans leur Déclaration, les propositions qui ont excité un si grand scandale, et qui leur ont paru mériter une censure particulière.

3° M. de Cambray dans sa lettre au Pape du 3 août 1697, et dans ses autres écrits postérieurs, demande que le Pape ait la bonté de lui marquer précisément les endroits ou propositions de son livre qu'il condamnera, afin que sa soumission soit sans restriction.

4° La solennité et la longueur de l'examen si sérieux et si publie qu'on a fait du livre, demande qu'on la termine par des qualifications précises, selon l'usage et la pratique ordinaire du saint Siège. Il a qualifié les propositions erronées qu'on lui avait déférées sous les pontificats d'Innocent X, Alexandre VII, Innocent XI et Alexandre VIII.

5° Si l’on se contente d’une simple prohibition du livre, sa doctrine, quelque erronée qu'elle soit, demeurera autorisée; et chacun sera libre de la soutenir, dès qu’elle aura passé sans atteinte par un examen si rigoureux.

 

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6° Les ennemis du saint Siège ne manqueront pas de l'insulter, et de dire que Rome ou n'a pu qualifier les propositions, faute de science; ou n'a pas voulu, faute de zèle, condamner une doctrine dont les suites sont si affreuses.

7° Les quiétistes triompheront et diront qu'on a prohibé le livre par politique, mais qu'on n'a pu se dispenser d'en reconnaître la doctrine orthodoxe.

8° Une simple prohibition du livre augmentera le trouble et le scandale, bien loin d'y remédier ; et par conséquent le roi sera contraint, pour empêcher le progrès de l'erreur, défaire qualifier sa doctrine par les évêques ou universités de son royaume; ce qui ne serait pas honorable au saint Siège.

9° On défend un livre, lorsqu'il contient des expressions équivoques qui peuvent porter à l'erreur; mais celui de M. de Cambray renferme des propositions évidemment scandaleuses, erronées et hérétiques, et tout un système dangereux.

10° Beaucoup de livres prohibés à Rome n'en sont pas moins estimés en France. Ainsi la simple prohibition ne fera nulle impression sur les esprits, qui seront imbus de cette mauvaise doctrine, et qui auront intérêt, ou de la défendre, ou de la pratiquer.

11° Toute la chrétienté demeure en suspens, en attendant une décision précise, solennelle et digne d'un si saint pontificat, qui fixe les esprits, termine les disputes et rende la paix à l'Eglise. Or que produira une simple prohibition? Elle ne servira qu'à rendre le mal plus dangereux, et Rome se verra bientôt dans un nouvel embarras.

12° Quoiqu'il soit de la dignité du saint Siège d'expliquer la doctrine catholique et de qualifier les propositions, on peut pourtant, si l'on veut, se contenter d'une qualification des propositions avec la clause respective, qui lève tout embarras, comme il s'est pratiqué dans de semblables occasions.

13° Le partage des examinateurs ne doit pas empêcher les qualifications. 1° On sait par quels ressorts et à quel dessein l'adjonction des trois examinateurs a été faite. 2° Quelques-uns d'entre eux sont portés par différents intérêts à défendre le livre. 3° Le jugement doctrinal des consulteurs n'est pas décisif : on

 

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doit peser leurs raisons, sans avoir égard à la division que l'esprit de parti a mise entre eux. 4° Le devoir du souverain Pontife est de rappeler à la vraie foi les errans soit qu'ils soient en grand ou en petit nombre, dit Melchior Canus, lib. v, De auct. Conc., p. 317, edit. Venet. 1567 : Sive pauci, sive plures ad errorem defluxerint, munus est apostolici Antistitis ad veram eos fidem revocare.

14° L'autorité des mystiques ne doit pas non plus empêcher la qualification. 1° Nul d'eux n'a enseigné un amour pur, qui détruit l'espérance; nul n'a enseigné l'indifférence au salut, le sacrifice absolu de la béatitude éternelle, l'attente oisive de la grâce avec l'exclusion des propres efforts, le trouble involontaire en Jésus-Christ, etc. 2° Quand ils se seraient servis de quelques expressions dures et peu exactes, il faudrait dire d'eux ce que saint Augustin disait des saints Pères qui vivaient avant l'hérésie pélagienne : Nondùm litigantibus Pelagianis securiùs locuti sunt. 3° L'Ecriture et la tradition sont les seuls fondements de la doctrine orthodoxe, et non les transports et les expressions outrées de quelques mystiques. 4° Voudrait-on décider à Rome des matières de foi sur l'autorité de quelques mystiques, qu'on ne pourrait même citer avec honneur dans une école de théologie? 5° M. de Cambray ne peut alléguer en sa faveur les mystiques, puisqu'il parle ainsi dans sa lettre au Pape : Ab aliquot sœculis multi mystici scriptores, mysterium fidei in conscientiâ purâ habentes, affectivœ pietatis excessu, verborum incuriâ, theologicorum dogmatum veniali inscitià, errori adhuc latenti faverunt. Peut-on appuyer une décision sur des auteurs qui n'ont ni pensé ni parlé correctement ; qui n'ont su ni le dogme, ni la manière de l'expliquer, et qui se sont abandonnés aux excès d'une piété affective, affectivœ pietatis excessu?

15° M. de Cambray est soupçonné depuis longtemps de favoriser le quiétisme, comme il paraît par une apologie de Molinos imprimée en Hollande. Il est certain qu'il n'a composé son livre que pour défendre les erreurs d'une femme fanatique (a), déjà condamnée à Rome et en France. Il a écrit après la décision de

 

(a) Madame Guyon.

 

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l'Eglise; et par conséquent il devait parler correctement sur le dogme défini. Ainsi donc il est clair qu'il a écrit son livre dans un temps suspect, et lorsque lui-même était suspect. Or ne pas censurer un tel livre, ce serait en quelque sorte faire revivre une doctrine déjà condamnée par toute l'Eglise, et dont on ne voit que trop les affreuses conséquences.

 

LETTRE CCLIX. M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS, A L'ABBÉ BOSSUET. A Paris, 22 avril 1698.

 

Vos nouvelles du 1 de ce mois ne sont pas bonnes, Monsieur : cependant j'espère toujours en la force de la vérité et en vos soins; mais prenez, s'il vous plaît, vos mesures avec M. Giori et avec le P. Roslet. La grande affaire présentement serait d'attirer les deux cardinaux qui président aux conférences des examinateurs. Ils sont forts habiles et gens de bien : ainsi je suis persuadé qu'ils connaîtront mieux que les autres les erreurs du livre; et si nous les avons pour nous, le partage des examinateurs ne nous nuira pas. Il faut compter, et je le dis bien à la Cour partout où il faut, que le cardinal de Bouillon fera jusqu'à la fin tout ce qu'il pourra contre nous : les Jésuites n'en feront pas moins; mais si nous avons de notre côté les deux cardinaux, ils ne nous nuiront pas. Il serait fâcheux que le Pape se laissât affaiblir : mais vous pouvez le faire soutenir par M. Giori, et on écrira toujours d'ici tout ce qu'il faudra pour cela.

Voilà une lettre ostensible pour le P. Cambolas. Je n'ai rien fait, et ne ferai rien contre lui; mais je vous avoue que je ne suis pas édifié de la grande dévotion qu'il a pour être général de son ordre. Le P. Latenai n'y serait-il pas plus propre? on en dit tant de bien. Mais encore un coup, je ne m'en mêlerai pas : dites au surplus tout ce que vous jugerez de meilleur en mon nom. Je suis, Monsieur, à vous de tout mon cœur.

 

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LETTRE CCLX.  L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE. Rome, ce 22 avril 1698.

 

J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, du 31 mars. J'en reçus une en même temps de M. l'archevêque de Paris, à qui je vous supplie de vouloir bien témoigner à quel point je ressens les obligations que je lui ai dans cette occasion. Je l'ai déjà fait à MM. les cardinaux d'Estrées et de Janson, et le ferai par le premier ordinaire à M. l'abbé Renaudot. Pour ici il n'est seulement pas question de mon affaire, quoi qu'aient pu faire M. le cardinal de Bouillon et les Jésuites. J'ai pris à Rome le parti de mépriser ces discours, et de prendre tout en riant, dans le temps même que je prenais la chose le plus sérieusement du côté de Paris. Je prie Dieu que cela ait réussi. Je vous supplie de ne négliger encore aucune occasion là-dessus; car nous avons affaire à des gens fins et malins, s'il en fût jamais.

La situation des affaires est la même; il n'y a rien de changé. Dans les deux prochaines congrégations, de demain mercredi et de dimanche, on finira le trente- troisième article. Un de ces jours-ci les qualificateurs qui croient devoir censurer le livre de M. de Cambray, doivent s'assembler entre eux pour réduire toutes les propositions de chaque article à un certain nombre, et convenir des qualifications, pour que leur vœu soit uniforme : cela fera un bon effet. Si erronea et hœresi proxima ne suffit pas, on n'épargnera pas l’hœretica  à quelques-unes; au moins je me l'imagine : car ces Messieurs ne s'expliquent point, et c'est le secret du saint Office.

J'écris fortement à M. de Paris pour l'éclaircissement des faits, et avoir les preuves de la liaison de M. de Cambray avec Madame Guyon au moins, et savoir comment il répond : mais il faut des pièces authentiques et originales. Comptez que cela est décisif en ce pays, et rien n'y pourra résister : cela est même nécessaire dans la circonstance du partage des examinateurs. Il faut de la

 

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diligence; car dans quinze jours l'affaire sortira des mains des examinateurs, et passera dans celles des cardinaux. Nos amis demandent tous ces faits et les éclaircissements relatifs : cela demeurera, s'il est nécessaire, au saint Office, et on ne le rendra pas public. Le P. La Combe est ici très-connu : Madame Guyon l'est moins. Pour M. de Cambray, on dit qu'il passe en tout saint François de Sales : voilà l'idée qu'on en donne ici, assurément bien différente de la vérité.

Le silence de M. de Chartres donne occasion de dire qu'il n'est plus contre M. de Cambray, et qu'au moins il juge à propos de le ménager comme il le doit être: je sais bien ce qui en est. M. le cardinal de Bouillon a dit à une personne qui me l'a rapporté, qu'à présent on ne ferait pas parler aisément M. de Chartres. J'ignore ce que cela veut dire. Enfin on se sert de tout, et on n'épargne personne.

On m'a dit que le cardinal Casanate était un peu fâché de ce que vous n'aviez pas fait réponse sur ce qui regarde M. Charmot, qui est à Rome pour les missions étrangères contre les Jésuites. Je puis vous assurer que c'est un honnête homme, très-sage, très-prudent, très-vigilant, aimé et estimé des cardinaux, et en particulier du cardinal Casanate, au-delà de tout ce qu'on peut dire. On a voulu lui rendre de mauvais offices à la Cour; mais ce sont des faussetés. Les Jésuites le craignent et le haïssent.

J'ai vu le cardinal Marescotti, qui m'a parlé comme étant très-éloigné des subtilités et des nouveautés : il verra tout par lui-même; mais il veut être pape, et est ami des Jésuites.

Vous n'avez pas, je pense, oublié de remercier M. l'abbé de Gondi et M. le grand-duc, qui continue toujours ses bons offices.

Vous ne pouvez trop dépêcher l'impression de vos écrits : j'attends le premier avec impatience. Tout le fort des partisans du livre est dans l'acte de charité, et les suppositions impossibles. Mais quand même on leur accorderait ces deux points, le livre en serait tout aussi mauvais.

Le Pape a été un peu tourmenté, mais sans péril : il se porte mieux.

Je vous prie de bien remercier M. Pirot sur ce qui me regarde,

 

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aussi bien que M. l'archevêque de Reims. Je sais que M. le nonce a fait des merveilles : j'ai prié ici ses amis de l'en remercier; et ne l'oubliez pas, je vous en conjure. Voici ce que j'ai appris sur l'abbé d'Auvergne et la nomination de France.

M. le cardinal de Bouillon s'est expliqué qu'il ne pensait pas à son neveu, qu'il savait n'être pas agréable à la Cour. Il est certain que le Pape nommera un François ; s'il fait comme il le veut, un Espagnol avec un Allemand : on n'en doute pas. Il est encore certain que le cardinal de Bouillon ne vous favorisera pas, et fera peut-être donner quelque recommandation par le roi pour un autre. Quel inconvénient trouvez-vous à vous expliquer une fois là-dessus avec le roi et Madame de Maintenon? Vous pouvez dire que vos amis de Rome vous marquent la bonne volonté et la grande estime du Pape, et vous pressent d'avoir le consentement du roi; qu'au moins Sa Majesté n'en demande pas un autre. Cela ne peut faire qu'un mérite pour vous auprès du roi, et vous aider à obtenir autre chose en cas que le roi ait une autre vue. Ne pourriez-vous pas faire entrer M. de Pomponne dans vos intérêts? Je suppose que M. de Paris doit être content du chapeau que je crois immanquable. Vous vous moquerez peut-être de moi; mais je crains plus dans cette conjoncture M. de Chartres que M. de Paris. Il serait honteux au roi de vous le préférer; et ce que je vous dis là, est peut-être la seule manière de l'en faire apercevoir et de l'empêcher. Je vous supplie d'y faire réflexion, aussi bien qu'au scrupule de M. de Chartres sur son évêché. Joignez à cela la faiblesse avec laquelle il agit à Paris et à Rome contre M. de Cambray, pour gagner peut-être le cardinal de Bouillon, qui le pourrait parfaitement bien proposer à Madame de Maintenon. Je crois avoir entrevu quelque chose là-dessus, et une des manières de le faire échouer, ce serait de le rendre public à Rome et à Paris.

 

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LETTRE CCLXI. BOSSUET A SONNEVEU  (a). A Versailles, 28 avril 1698.

 

J'ai reçu votre lettre du 8. Je n'imagine que deux raisons de la démarche nouvelle de M. de Cambray : l'une qu'il se défie des écrits qu'il a donnés, qui en effet lui doivent nuire beaucoup dans l'esprit des gens sensés, et qu'il veut changer quelque chose dans ceux même selon lesquels il demande d'être jugé ; l'autre, que dans le dessein d'étrangler l'affaire pour en venir à une moindre condamnation, il veut réduire l'examen au moins qu'il pourra.

Dans la réponse latine au Summa doctrines, imprimée à Bruxelles, vous trouverez deux choses erronées : la première, que desideria salutis, ut explicentur, imperfecta à Patribus habentur, qui ea perfectis animabus nec imperant nec suadent. Il cite saint Chrysostome et saint Ambroise, pour prouver que ces désirs du salut sunt angusti animi, infirmi et imbecillis, p. 54, ad objec. 13.

La seconde, que l'amour du quatrième degré, qui est le justifiant, ne se rapporte à Dieu que habitu, non actu, comme l'acte du péché véniel ; où il y a deux erreurs : l'une, que l'amour justifiant n'ait de rapport à Dieu que celui du péché véniel ; l'autre, que l'acte du péché véniel se rapporte habituellement à Dieu ; ce qu'il fait dire à saint Thomas; II-II, quœst. LXXXI, ad 2; de quoi ce saint est tout à fait éloigné. Il dit bien que dans celui qui pèche véniellement, le sujet et l'acte humain indéfiniment se rapportent habituellement à Dieu ; mais non pas l'acte du péché véniel, lequel pourrait être rapporté à Dieu actuellement, s'il y était habituellement référible. Ce passage se trouve dans la réponse au Summa., p. 50, après la 11e object. et p. 62, 14e object. Il pose, p. 63, pour règle certaine, que ce qui n'est pas habituellement subordonné à Dieu est péché mortel; ce qui détruirait le péché véniel. Il faudrait prendre garde à ce qu'il pourrait changer dans ces endroits.

 

(a) Revue sur l'original.

 

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Vous aurez, si je puis, par l'ordinaire prochain le Schola in tuto qui résoudra beaucoup de choses. Mais je me propose de faire le dernier effort de l'esprit au Quietismus redivivus, et de ne laisser rien de ce que vous m'avez marqué dans vos précédentes.

Le P. La Combe, directeur de Madame Guyon, est à Vincennes (a), où on le doit interroger et confronter avec cette Dame. On a sa Déclaration, où il avoue toutes les pratiques de Molinos par inspiration (b). Il ne reste plus qu'à faire voir la liaison avec M. de Cambray : nous la prouverons par acte ; et je suis chargé d'en faire la relation, qui paraîtra au plus tôt, où je citerai le roi et Madame de Maintenon, comme témoins sur tous les faits. Vous pouvez vous fier à Monseigneur Giori.

Je vous prie de voir de ma part M. l'abbé Piquigni, dont j'ai vu des lettres admirables sur la matière à M. le cardinal de Janson , où il fait honorable mention de moi, et souhaite qu'on me les fasse voir. Faites-lui bien des honnêtetés de ma part : il agit beaucoup auprès de l'archevêque de Chieti. M. de Paris va faire paraître sa Relation, dans laquelle il n'omettra rien d'essentiel : M. de Chartres en fait une autre, pour expliquer les variations de M. de Cambray (c). Pour ce qui est d'un ambassadeur, on est embarrassé pour le choix.

On ne fera plus rien, qu'on ne mette en latin et en français.

 

LETTRE CCLXII. LE P. LA COMBE A MADAME GUYON. Ce 25 avril de l'an 1698.

 

Au seul Dieu soit honneur et gloire.

 

C'est devant Dieu, Madame, que je reconnais sincèrement qu'il y a eu de l'illusion, de l'erreur et du péché dans certaines choses

 

(a) Il y avait été transféré du château de Lourdes. — (b) Non content de sa Déclaration, le P. La Combe écrivait de Vincennes, à Madame Guyon, une lettre dans laquelle il confessait publiquement les mêmes désordres. Traduite en italien , cette lettre fut présentée au Pape par l'abbé Bossuet. Jusqu'à quel point mérite-t-elle notre confiance ? On pourra la lire tout à l'heure. — (c) Elles parurent en effet l'une et l'autre en forme de lettres, non sous le titre de Relation, mais sous celui de Réponse à M. l'archevêque de Cambray.

 

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qui sont arrivées avec trop de liberté entre nous, et que je rejette et déteste toute maxime et toute conduite qui s'écarte des com-mandemens de Dieu ou de ceux de l'Eglise ; désavouant hautement tout ce que j'ai pu faire contre ces saintes et inviolables lois, et vous exhortant en Notre-Seigneur d'en faire de même ; afin que vous et moi réparions, autant qu'il est en nous, le mal que peut avoir causé notre mauvais exemple, et tout ce que nous avons écrit, qui peut donner atteinte à la règle des mœurs que propose la sainte Eglise catholique, à l'autorité de laquelle doit être soumise, sous le jugement de ses prélats, toute doctrine et spiritualité, de quelque degré que l'on prétende qu'elle soit. Encore une fois, je vous conjure dans l'amour de Jésus-Christ que nous ayons recours à l'unique remède de la pénitence, et que par une vie vraiment repentante et régulière en tout point, nous effacions les fâcheuses impressions causées dans l'Eglise par nos fausses démarches. Confessons, vous et moi, humblement nos péchés à la face du ciel et de la terre : ne rougissons que de les avoir commis, et non de les avouer. Ce que je vous déclare ici vient de ma pure franchise et liberté, et je prie Dieu de vous inspirer les mêmes sentiments qu'il me semble recevoir de sa grâce, et que je me tiens obligé d'avoir (a).

 

LETTRE CCLXIII. L'ABBÉ PHELIPPEAUX A BOSSUET (b).  A Rome , ce 29 avril 1698.

 

Demain on examinera les cinq derniers articles et l'avertissement : ainsi on finira l'examen dans le temps ordonné par Sa Sainteté. Ceux qui ont été pour censurer le livre, se sont déjà

(a) Quand il écrivit cette lettre, le P. La Combe était affaibli par l'âge, par les souffrances, par une longue détention; et comme on vit qu'il avait perdu l'usage de la raison, l'on fut obligé bientôt après de le transférer à Charenton, où il mourut l'année suivante. L'historien de Fénelon, M. de Bausset raconte que le cardinal de Noailles et M. de la Chétardie curé de Saint-Sulpice, portèrent sa lettre à Madame Guyon détenue à Vaugirard, et l'exhortèrent à faire les mêmes aveux; elle répondit : Il faut que le P. La Combe soit devenu fou, pour écrire de pareilles choses. — (b) Revue sur l'original.

 

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assemblés une fois en particulier, pour réduire les propositions qu'ils ont trouvées dignes de censure, à un nombre certain, et convenir des qualifications, afin qu'il n'y ait point de différence dans leurs suffrages. On ne sait pas encore si les autres justifieront entièrement le livre, et s'ils persisteront à n'y trouver aucune proposition censurable. Ils avaient fait espérer qu'à la fin de l'examen, qui ne se faisait que pour s'éclaircir, ils donneraient tout le contentement qu'on pouvait espérer : mais je ne sais ce qu'on peut espérer de gens visiblement engagés dans une cabale par différents intérêts. En cette occasion la politique romaine fera jouer tous ses ressorts.

Le général des Jésuites sollicite ouvertement. L'abbé de Chanterac publie que les évêques de France sont divisés sur cette affaire, et que la plus grande partie du clergé favorise M. de Cambray ; que le roi ne prend plus d'intérêt dans cette cause ; qu'on ne peut mieux connaître ses sentiments que par le P. la Chaise, qui donne aux Jésuites la liberté entière de soutenir M. de Cambray et approuve toutes les démarches qu'ils font ; et encore par M. le cardinal de Bouillon, qui a toujours favorisé ce parti, et qui ne manquera pas de faire connaître les sentiments du roi dans les temps et occasions nécessaires. Cela publié par diverses bouches, ne laisse pas de faire quelque impression, et d'embarrasser les ignorans ou les timides : vous pouvez y remédier par la voie du nonce.

L'abbé de Chanterac rendit, il y a quelques jours, visite à Granelli pour lui demander ses difficultés : il lui dit que le secret du saint Office ne lui permettait pas de parler. L'abbé de Chanterac lui remontra que M. de Cambray avait toujours été l'ami de son Ordre; que si on touchait le moins du monde au livre, on préjudiciait à la dignité et à la réputation d'un saint prélat. Le même rendit visite au cardinal Albane, et lui dit que M. de Cambray avait bien besoin de protection, puisque M. de Meaux était favorisé par plusieurs Cours, et lui dit ces paroles : Magnus dux Etruriœ minis et promissionibus urget condemnationem Domini Cameracensis. Ces paroles, minis et promissionibus, parurent fortes au cardinal Albane. Il les rapporta à l'agent du grand-duc, qui lui dit que

 

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son maître lui avait ordonné de rendre ses bons offices, mais qu'il n'employait nec minas nec promissiones.

Le cardinal Noris a dit au P. Estiennot, depuis peu de jours, qu'on ne balançait pas sur la condamnation du livre, mais sur la qualification des propositions. M. Poussin m'a avoué que le général des Jésuites sollicitait : il me pria de vous mander qu'il avait toujours été contre le livre, en sachant les intentions du roi, mais de le marquer de sorte qu'on n'accusât pas M. le cardinal de Bouillon, dont l'excuse se réduit à dire que c'est un prélat vivant qui s'explique. On lui a cité les exemples de Pétrucci et de Théodoret : mais comme il n'écoute que le P. Charonnier, je doute fort qu'il s'éloigne des sentiments des Jésuites.

On a produit ici un endroit du Directorium Inquisitionis Nicol. Emerici, q. xi, page 285. Il vous sera facile de voir s'il ne pourrait point vous être utile, et être rapporté dans vos livres.

Je vous ai parlé de l'accusation intentée contre l’Ordonnance de M. d'Amiens sur les propositions du P. de Timbrieux. Je cherchai cette Ordonnance imprimée, et la donnai à M. Campioni, qui m'a avoué que le délateur avait falsifié les propositions condamnées dans l'Ordonnance; ce qui nous a surpris également. Mais il faut s'attendre à tout avec ces sortes de délateurs. Il m'a fait espérer copie de la délation.

On distribua dimanche une première lettre de M. de Cambray contre vos derniers écrits : je la crois imprimée à Cambray. J'y admire ses artifices et sa hardiesse à nier ce qu'il y a de plus certain. Il y donne le change partout, et raisonne toujours sur le principe de son amour naturel, et sur la prétention qu'il a d'avoir parlé de cinq états en parlant de cinq amours. Il paraît que les PP. Charonnier et Dez ne goûtent pas le dénouement de l'amour naturel ; mais que le sacriste lui a suggéré d'appuyer sur cette solution : c'est aussi celle que vous avez le moins touchée. Dans l'extrait de la préface latine, j'y ai ajouté ce que j'avais dit des états dans l'observation que je vous ai envoyée. Vos livres viendront peut-être un peu tard : il faut toujours les envoyer ; car on ne sait pas quelles longueurs apporteront les cardinaux : ainsi on ne doit point cesser à Paris de presser le jugement. L'infirmité

 

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survenue au Pape, il y a quelques jours, nous fit trembler : il se porte mieux ; mais son grand âge doit faire tout appréhender. Je suis avec un profond respect, etc.

 

PHELIPPEAUX.

P. S. On dit qu'on a mis au saint Office quelques personnes accusées de quiétisme : on disait même Monseigneur Marciani ; mais on me vient de dire que la nouvelle qui regarde ce prélat était fausse.

On dit que M. le cardinal de Bouillon sollicite encore l'impression du livre du P. Dez. Le député de MM. des Missions a fini sa réponse aux deux gros volumes sur le cuite de Confucius. M. le cardinal de Bouillon, qui est à Frescati depuis quelques jours, est revenu pour assister aujourd'hui au saint Office : il est retourné, et reviendra demain au soir pour assister à la même congrégation, qui se tiendra jeudi devant le Pape. On y pourra prendre quelque résolution pour terminer l'affaire de Cambray.

 

LETTRE CCLXIV. L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.  A Rome, ce 29 avril 1698.

 

J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire de Meaux, du 6 avril, et la copie de la lettre de Madame de Maintenon, qui doit contribuer à me mettre l'esprit en repos par rapport au roi ; et c'est le principal. Je vous supplie de vouloir bien témoigner à Madame de Maintenon ma reconnaissance infinie, égale assurément au service qu'elle m'a rendu, et au respect que j'ai pour elle et pour son mérite. Elle a la bonté de me faire faire par M. de Paris, des compliments et des excuses, si elle ne me fait pas de réponse : vous voyez les bontés dont je suis comblé.

Les Jésuites et le cardinal de Bouillonne se lassent pas de faire paraître toujours quelque trait de leur malignité à mon égard. Des avis manuscrits secrets, de samedi dernier, disaient qu'il était venu de France de grandes plaintes contre l'abbé Bossuet, que le

 

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roi lui avait donné ordre de partir de Rome ; mais que le cardinal de Bouillon l'avait empêché par son crédit, et qu'il restait à Rome avec un mauvais visage.

Vous voyez la fausseté, l'impertinence et la malignité dont ce récit est plein, et qu'on tâche par toutes sortes de voies, mais qui ne réussiront pas, s'il plaît à Dieu, de me faire perdre auprès du Pape et des cardinaux le peu d'estime qu'ils ont la bonté de me témoigner, et la créance qu'ils ont en ce que je leur puis dire sur l'affaire présente. Ces sortes de manuscrits sont très-méprisés ici, et sont toujours remplis de toute sorte de faussetés contre les honnêtes gens. Vous ne laissez pas de connaître par là combien il serait avantageux, et à vous et à moi-même, qu'on vît, s'il y a moyen, par quelque preuve publique (a), que le roi n'est pas mécontent de moi. Pour ce qui regarde le mauvais visage, j'ose dire que depuis un mois je me porte à merveille : on ne sait ce que cela veut dire.

Je n'ai pu trouver le cardinal d'Aguirre, et je veux lui lire moi-même votre lettre, qui est telle qu'il faut dans les circonstances présentes : j'espère faire en sorte qu'il la communiquera au moins aux cardinaux du saint Office.

Je ne cesse de presser M. de Paris pour les faits : je lui marque qu'il n'y a rien à ménager là-dessus, que sans cela tout est à craindre ; mais que ce qui fera le plus d'impression, ce sera l'attestation du nonce ; que ce que le roi lui pourra dire là-dessus pour l'écrire ici, achèvera de déterminer, et contrebalancera la puissance de la cabale, et l'inclination que la plupart des cardinaux ont de prendre quelque mezzo termine pour contenter le cardinal de Bouillon.

Il serait fort à propos de faire écrire M. le cardinal d'Estrées et M. le cardinal de Janson au cardinal Marescotti, que je crains fort malgré tout ce qu'il m'a dit, aussi bien qu'au cardinal Panciatici fort ami du cardinal de Janson, et aux cardinaux Spada, Albani et Ottoboni. Je suis comme assuré des cardinaux d'Aguirre, Casanate, Noris, Ferrari, et Altieri s'il assiste. Une lettre du cardinal d'Estrées au cardinal Carpegna ferait à merveille. Il

 

(a) Comme serait la nomination à quelque évêché.

 

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est bien juste d'opposer cardinal à cardinal ; mais un ministre est une terrible affaire à Rome.

L'ambassadeur d'Espagne s'est expliqué avec moi, et m'a avoué qu'il avait d'abord été surpris dans cette affaire ; mais que depuis il avait reconnu qu'on l'avait trompé, qu'il voyait de quel côté était la vérité, et le scandale que donnaient les partisans de M. de Cambray, en voulant soutenir sa doctrine. Il m'a assuré qu'il ferait sur cela dans l'occasion ce que je lui dirais. J'ai profité de cette circonstance, d'autant plus favorable, qu'il est piqué contre le cardinal de Bouillon et les Jésuites à l'occasion de Palafox, dont ils travaillent à empêcher la canonisation, qu'il est chargé de solliciter.

Je sais que l'ambassadeur de l'empereur continue à solliciter, et fortement, pour M. de Cambray : il croit par là s'attirer le cardinal de Bouillon, et brouiller la France. L'ambassadeur d'Espagne ne regarde pas les choses sous cette face à présent. Le sacriste est tout contre la France : il est payé par l'ambassadeur de l'empereur, et engagé par le cardinal de Bouillon.

Je vous envoie à tout hasard la première lettre de M. de Cambray contre vous. Elle est de la dernière faiblesse ; mais il faut pouvoir dire qu'on répond : entendra qui pourra ce qu'il dit. Vous verrez qu'il réduit son amour naturel, page M, à l'inquiétude : il se voit perdu, il s'échappe où il peut.

Le frère de M. Toureil ira vous voir à Paris : c'est un fort honnête homme, persécuté par les Jésuites. Il a ici de bons amis, et est particulièrement estimé de plusieurs cardinaux. Je vous prie de le servir et même de le prévenir, si vous en trouvez l'occasion.

J'ai vu ce matin le cardinal Noris : j'en suis comme assuré. Je vis avant-hier le cardinal Ferrari : j'en espère bien. Ils entendent tout, sont éclairés, et aiment saint Augustin et saint Thomas.

Le provincial de Paris fait de son mieux. Le P. Philippe a comme promis de condamner en général le livre; mais je ne le crois pas.

C'est demain que finit l'examen du livre : nous verrons le parti

 

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que prendront les cardinaux sur la division des examinateurs, et comment ils procéderont.

La maladie du Pape est cause que je ne l'ai pas vu : je le verrai assurément cette semaine ; Monseigneur Aquaviva m'avertira du temps commode. Sa Sainteté se porte toujours mieux : avec cela il faut avouer qu'elle baisse : je doute qu'elle passe l'année.

Voici le temps de la crise. Il serait bien important que vous ne vous éloignassiez pas de la Cour : car s'il arrivait quelque chose d'essentiel, qui demandât des éclaircissements prompts, et qu'on eût besoin de votre secours pour parer quelque coup, je n'hésiterais pas à dépêcher un courrier. En effet tout devient ici de la dernière conséquence pour la religion et pour l'Etat. Je ne me rebuterai pas, s'il plaît à Dieu : je n'ai rien de caché pour M. Phelippeaux.

Je vous prie de continuer à remercier M. le nonce pour moi : il a écrit au prince Vaïni une lettre très-obligeante et très-avantageuse sur moi. Témoignez-lui combien j'en suis reconnaissant, et la manière dont je vous parle du prince Vaïni, qui fait de son mieux pour nous aider.

 

LETTRE CCLXV. BOSSUET A   SON  NEVEU. A Versailles, ce 5 mai 1698.

 

J'ai reçu votre lettre du 15 avril : vous aurez, par l'ordinaire prochain, le Schola in tuto. Je vous envoie, en attendant, la copie de deux pièces (a) dont l'une est l'aveu du P. La Combe, l'autre est une copie d'une lettre de M. l'archevêque de Cambray, que nous avons écrite de sa main, où sa liaison avec Madame Guyon est manifeste. Vous aurez bientôt une réponse de M. de Paris aux quatre lettres de ce prélat. J'en ferai une pareillement aux lettres qu'il m'écrit : M. de Chartres travaille aussi à un

 

(a) Les deux pièces sont la Déclaration du P. La Combe à l'évêque de Tarbes, el la lettre de Fénelon à Madame de Maintenon. Ces deux pièces, nous les avons données précédemment.

 

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nouvel écrit. On a bien perdu du temps, mais on tâchera de hâter ce qui reste à faire.

On ne parle plus de votre affaire : tout le monde vous tient pour très-bien justifié, et il ne reste pas même un nuage sur ce sujet. Il faut achever : Dieu vous récompensera de tout ce que vous avez souffert pour la défense de sa cause. Vous ne devez point douter que je ne fasse dans l'occasion tout ce qui dépendra de moi.

Usez sobrement de la lettre de M. de Cambray à Madame de Maintenon ; mais usez-en sans hésiter, quand il sera nécessaire.

Je partirai pour Meaux de vendredi en huit.

La Réponse de M. de Cambray à la Déclaration des trois évêques, que vous m'avez envoyée, est d'une autre édition que celle qu'il a adressée et répandue ici. La vôtre est en plus gros caractères, et contient deux cent trente-six pages : elle n'a point de nom de ville. La mienne est à Bruxelles, chez Fricx, et a cent cinquante-deux pages : je n'y ai point encore remarqué de différence pour les choses. On aura soin de collationner les deux éditions pour montrer les variations, s'il y en a : celles que M. Phelippeaux m'envoie sont impudentes.

 

LETTRE CCLXVI. BOSSUET A SON NEVEU. Paris, 12 mai 1698.

 

J'ai reçu hier seulement votre lettre du 22 avril. La calomnie tourne en louange pour vous, et en indignation contre les auteurs : vous l'aurez vu par la lettre de Madame de Maintenon, que je vous ai envoyée de Meaux.

Je suis fort aise que les examinateurs, qui sont bien intentionnés, conviennent de leurs qualifications. Si pour aller plus vite on prenait le parti d'une condamnation générale, cela ne serait pas à la vérité si honorable pour Rome, mais ferait ici le même effet.

Le Quietismus redivivus qualifiera bien ; mais il faut auparavant

 

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faire l'ample relation dont on est convenu. Elle ne tient de ma part qu'à celle que M. de Paris doit faire paraître, et qu'il envoie aujourd'hui manuscrite à Rome : ce qu'on verra sera concluant. Il ne tient pas à moi qu'on ne diligente.

Ne craignez rien de M. de Chartres; il est toujours le même par rapport à M. de Cambray. J'attends une lettre de lui, qui vous expliquera ses sentiments. Il est plus vif que jamais, et il voit plus clairement le péril extrême de l'Eglise dans le quiétisme renouvelé.

Je crois avoir écrit à M. Phelippeaux touchant M. Charmot, qui est affectionné par le cardinal Casanate, que j'ai parlé fortement en sa faveur à Messieurs des Missions étrangères, dont il est le procureur. Ils l'estiment beaucoup ; mais ces Messieurs sont un peu politiques. Je leur marquerai l'estime de M. le cardinal Casanate, ce qui sera d'un grand poids. Ayez soin de bien dire à ce cardinal que je ne négligerai rien de ce qu'il aura à cœur tant soit peu, à plus forte raison de ce qu'il affectionnera beaucoup. Je ne crois pas qu'on ait voulu rendre ici de mauvais offices à M. Charmot. Je m'en informerai, et non-seulement je prendrai hautement son parti, mais j'y engagerai tous mes amis : vous en pouvez assurer M. le cardinal Casanate, en lui renouvelant toujours mon grand respect.

Vous devez avoir reçu à présent le Mystici in tuto. Le Schola in tuto est parti vendredi dernier : vous trouverez la notion de la charité et les suppositions par impossible, traitées à fond. Il est parlé de cette matière dans le Mystici in tuto : mais le Schola emporte la pièce, et est tout à fait démonstratif.

M. de Reims part demain pour son diocèse, et moi vendredi pour Meaux jusqu'après l'octave, s'il n'arrive rien qui dérange ces dispositions.

Il ne faut pas s'attendre que je puisse m'aider ici pour le chapeau : cette dignité sera vraisemblablement pour M. l'archevêque de Paris, que M. le cardinal de Bouillon n'aimera pas plus que moi, mais qui aura toute la Cour pour lui. Il n'y a point d'apparence pour M. de Chartres. M. le cardinal de Bouillon tâchera de vous faire parler ; mais vous saurez bien être sur vos gardes.

 

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Vous ne devez pas supposer que M. de Paris soit content de l'attente.

Voilà une lettre pour un cordelier, qui est opposé au P. Dias ; il se faut aider de tout : vous la fermerez quand vous l'aurez vue et vous la rendrez. Donnez nos livres à ce Père. Il me tarde que la Relation paroisse : travaillons pour Dieu.

Le P. Roslet vous communiquera la réponse de M. de Paris aux lettres de M. de Cambray : elle est admirable. La mienne s'imprime.

Le roi et Madame de Maintenon seront bien aises de mon avancement ; mais ils n'agiront point, ni moi non plus.

N'hésitez pas à mander vos sentiments sur ce qui se passe à Rome. Nous pèserons ici ce qu'il sera utile de faire.

Vous devez cultiver avec soin Monseigneur Giori. M. de Paris a tiré de M. le cardinal d'Estrées une lettre de créance vers lui pour le P. Roslet : vous voyez le dessein.

Continuez, surtout pendant mon absence, à rendre compte à M. de Paris comme à moi-même.

Voilà la lettre de M. de Chartres; il parle assez nettement. Vous la pouvez supposer écrite à vous-même, ou en faire le dessus à qui vous voudrez.

 

LETTRE CCLXVII. M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS, A L'ABBÉ BOSSUET. Paris, 12 mai 1698.

 

Je voudrais bien, Monsieur, pouvoir vous écrire à loisir ; mais le temps que j'ai été obligé de donner pour mettre ma réponse à M. de Cambray en état de partir, m'a ôté celui dont j'aurais besoin pour vous faire une longue lettre. Je perdrais le courrier, si je ne me pressais. Je vous rends grâces du soin que vous continuez de prendre de me mander ce qui se passe dans notre affaire. J'espère toujours que malgré les efforts de la cabale, la vérité triomphera.

Je vous envoie une copie de ma Réponse aux quatre lettres de

 

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M. de Cambray : je ne l'ai pas fait imprimer pour les raisons que le P. Roslet vous dira. Je lui mande d'en faire faire autant de copies que vous et lui le jugerez à propos, en attendant qu'on puisse vous en envoyer des exemplaires imprimés : car il y en aura sans doute ; mais ce ne sera pas moi, ni personne de ma part, qui la mettra sous la presse. J'envoie aussi par cet ordinaire au P. Roslet plusieurs exemplaires de mon Instruction traduite en latin : il vous en donnera une partie : j'espère qu'elle fera du bien. Ma Réponse en doit faire aussi ; car le fait y est éclairci assez fortement , ce me semble, et très-véritablement. Je compte envoyer dans peu des actes qui étonneront, et feront voir le fond de cette affaire, qu'on n'a pu pénétrer jusqu'à présent. Mais on ne me permet pas de vous en dire davantage. Je suis, Monsieur, à vous parfaitement.

M. de Chartres travaille, et on verra bientôt à Rome un ouvrage de sa façon.

 

LETTRE CCLXVIII. M. GODET DES MARAIS, ÉVÊQUE DE CHARTRES, A L'ABBÉ BOSSUET. A Paris, ce 12 mai 1698.

 

J'apprends qu'on sème à Rome le bruit que j'ai changé de sentiment sur le livre de M. l'archevêque de Cambray, intitulé Explication des maximes des Saints. Je vois même par la réponse qu'il a fait imprimer contre notre Déclaration, qu'il cite l'explication qu'il m'a donnée comme pour en prendre avantage, et pour rendre la cause que nous soutenons odieuse au public, en disant qu'elle était saine et naturelle, et que cependant nous l'avions rejetée. Il ajoute que nous avons presque partout changé le texte de son livre. Je vais incessamment, Monsieur, répondre aux faits qu'il allègue comme incontestables et qui ne sont pas véritables, en lui opposant sa première réponse, qui sans doute le couvrira de confusion ; et j'exposerai ingénument ce qui s'est passé entre nous, dont j'ai la preuve littérale par ses lettres et par les miennes.

 

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En attendant, Monsieur, je vous supplie de témoigner à ceux auxquels vous le croirez à propos, que je suis plus que jamais persuadé de la mauvaise doctrine de son livre; et que je justifierai par l'explication manuscrite qu'il m'a envoyée avant l'impression de son Instruction pastorale, qu'il donnait alors à son livre le sens naturel que nous lui avons donné, et qui est entièrement opposé à celui qu'il lui donne aujourd'hui. Que pense-t-on d'un homme qui se coupe dans ses défenses? que sa cause est mauvaise, et qu'il ne peut la défendre. J'espère que vous verrez dans l'écrit que je dois vous envoyer dans quinze jours, une conviction claire contre M. l'archevêque de Cambray, et par le texte de son livre, et par la première explication qu'il m'en a donnée et qu'il cite aujourd'hui. J'espère aussi, Monsieur, que vous voudrez bien détromper sur mon chapitre ceux qui m'ont cru changé sur de faux bruits. Je suis ravi d'avoir cette occasion de vous assurer du zèle avec lequel je suis, Monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

 

+ Paul, év. de Chartres.

 

LETTRE CCLXIX. L'ABBÉ PHELIPPEAUX A BOSSUET. A Rome, ce 13 mai 1698.

 

Depuis que l'examen est fini, les cinq examinateurs déclarés contre le livre se sont assemblés deux fois. Ils ont extrait quarante-cinq propositions, et ont commencé à les qualifier : demain ils s'assembleront pour continuer, et pourront peut-être finir. Il a été résolu que tous en particulier feront leur rapport à la congrégation des cardinaux ; ce qui selon toutes les apparences, tiendra plusieurs séances.

Il y a quelques jours que j'eus une fort longue conférence avec l'archevêque de Chieti, où je lui proposai les motifs les plus pressants que je pus. Il m'assura qu'il n'était pas d'avis de justifier le livre en tout, y trouvant beaucoup de choses scandaleuses : mais

 

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je ne sais quel fondement on peut faire sur un homme dont la tête tourne à tout vent comme une girouette.

Depuis le départ du provincial des Carmes déchaux, j'ai vu le P. Eugène, vicaire-général, ami de l'ex-général, que j'instruisis de toutes choses pour les insinuer : il m'a dit que l'ex-général n'approuvait pas en tout le livre. Je ne sais quel parti prendra le sacriste. Pour les deux autres, je ne vois pas qu'on puisse rien espérer d'eux ; la partie est trop liée, et la cabale est bien connue ici. Il suffit que ces gens-là ne conviennent pas ensemble; et il sera difficile qu'ils conviennent tous à justifier le livre en tout.

Je ne doute pas que l'abbé de Chanterac et les Jésuites n'aient répandu en France comme ici que tous les examinateurs approuvaient le fond de la doctrine, et n'improuvaient que quelques expressions: ne vous alarmez pas de ce faux bruit. Les cardinaux Ferrari et Noris sont bien intentionnés. La déclaration du P. La Combe et l'emprisonnement de quelques quiétistes mis au saint Office, font un bon effet, et font plus d'impression que les meilleurs raisonnements. On voit par là combien le mal est répandu, et quel remède il y faut apporter. Le cardinal Albane a déclaré au P. Roslet, que sa résolution et celle du Pape étaient de qualifier les propositions. Je craignais un peu du cardinal Albane, assez attaché à M. le cardinal de Bouillon et aux Jésuites : mais il aime sa réputation et celle du saint Siège.

Je vis le jour de l'Ascension M. le cardinal de Bouillon, à qui l'abbé de Chanterac avait donné une quatrième lettre contre vous : je n'eus pas la commodité de lui parler longtemps. Je le priai de me dire s'il avait vu la pièce du P. La Combe : il me demanda si nous avions un certificat de son authenticité. Je lui répondis que M. de Paris l'avait envoyée, et qu'il ne fallait pas douter de son authenticité : il me répliqua qu'il n'en doutait point.

J'ai instruit les théologiens des cardinaux Altiéri et Ottoboni. Le livre de Mystici in tuto n'est pas encore arrivé : j'en ai été affligé ; car le temps est précieux. J'appréhende qu'on ne l'ait retardé exprès : nous avons affaire avec des gens capables de tout. C'est à vous à veiller, et à donner de bons ordres pour éviter la surprise. Nous attendions aussi les écrits de M. de Paris, où il

 

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doit faire voir des faits justificatifs et même, à ce qu'on m'a dit, montrer qu'avant que l'affaire fût portée à Rome, on n'avait pas parlé du dénouement de l'amour naturel dans toutes les réponses qu'on avait données : c'est un fait important. N'oubliez pas, je vous prie, de publier les falsifications de l'édition latine. Quoique les examinateurs les connaissent, il est bon que le public en soit informé. Les manuscrits ne peuvent se communiquer qu'à peu de personnes.

Le théologien du cardinal Carpegna est bien instruit et bien intentionné. Ce qu'il y a à appréhender, c'est que ceux qui prétendent à la papauté ne soient portés à avoir divers égards pour le cardinal de Bouillon et pour les Jésuites, qui se font tout-puis-sans à la Cour. L'assesseur est à Albane : il a demandé congé pour quinze jours, prétendant cause d'infirmité ; ce qui a retardé les mesures qu'on aurait pu prendre. M. le cardinal de Bouillon est à la vigne de Benedetti, appartenante au duc de Nevers, aux portes de Borne. Il m'a dit qu'il ne s'éloignerait pas de Borne, pour presser davantage le jugement de l'affaire. Je ne crois pas qu'elle puisse finir avant le mois d'août ou juillet. Je suis, etc.

 

LETTRE CCLXX. L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE. Rome, 13 mai 1698.

 

J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, du 20 avril. J'entre avec M. de Paris plus dans le détail des raisons que j'ai eues de ne pas donner dans le piège qu'on me tendait pour me faire consentir, sous prétexte d'abréger, à laisser là les qualificateurs, pour aller tout de suite à la Congrégation des cardinaux et au Pape. Quand même nous l'aurions tous voulu fortement, le Pape et les cardinaux n'y auraient jamais consenti; cette manière de procéder étant contre toutes les règles, et véritablement injuste et déshonorante pour le saint Siège, qu'on aurait accusé, quoi qu'il eût pu faire, de précipitation. Ainsi, outre 1 impossibilité que ce dessein réussît, qu'auraient pu faire les

 

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cardinaux sur un pareil livre, qui n'aurait pas été examiné? Il n'y eût point eu de propositions extraites, la matière fût restée informe; et par conséquent les cardinaux n'étant pas instruits n'auraient pu que concevoir des doutes, et demeurer incertains du parti qu'ils auraient à prendre. J'ose dire que l'affaire était ruinée : aussi était-ce le but de ceux qui proposaient l'expédient : et si j'avais donné dans leur piège, c'était le moyen de faire haïr les évêques, et de porter à croire que l'animosité seule avait part à leur conduite, puisqu'ils pressaient un jugement du saint Siège, et qu'ils ne voulaient pas qu'on examinât et qu'on s'éclaircît dans une matière si importante et si délicate. Dieu me fit la grâce d'entrevoir la malignité du dessein de nos ennemis, et de faire revenir par la conduite que je tins les esprits de tous les cardinaux et du Pape qu'on avait aliénés (a). Les cardinaux Ferrari, Casanate, Noris et Spada me l'ont avoué, et furent très-édifiés de me voir entrer dans leurs vues, d'autant plus qu'on commençait à marcher bien diligemment et sérieusement, et que tout ce qu'on aurait pu dire aurait été inutile et aurait produit un très-mauvais effet. Au contraire la manière dont je me comportai en fit un très-bon, et persuada MM. les cardinaux de la droite intention des évêques et du roi, qui ne souhaitaient autre chose que l'éclaircissement de la vérité et une décision solide : c'est aussi ce qui met en droit de demander à présent une décision digne du saint Siège.

Les cinq qualificateurs contraires au livre ont ordre de rédiger les propositions, qu'ils réduisent, je pense, à une trentaine, prises mot à mot du livre et toutes incontestablement condamnables : on les communiquera aux cinq autres, puis chacun donnera en son particulier son vœu. Nous verrons si les cinq favorables au livre oseront approuver ces propositions toutes nues, que les cinq autres qualifient d'hérétiques, erronées, etc. Je ne puis m'empêcher d'espérer qu'il y aura quelque diversité dans leurs vœux, surtout dans celui du carme et de l'archevêque de Chieti; ou qu'ils mettront au moins le sens dans lequel ils l'approuvent, qui ne peut être le sens naturel et par où on les combattra. Voyez, je

 

(a) Vous voyez bien qu'il prévoit tout, qu'il dispose tout, qu'il fait tout.

 

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vous prie, où nous en serions, si l'affaire avait été portée d'abord au tribunal du Pape et des cardinaux, confuse et embrouillée comme elle était.

Le cardinal Casanate m'a fait entendre que son avis était que l'Eglise romaine fit quelque chose de magistral et de lumineux en cette occasion, qu'elle n'en aurait jamais une plus belle. J'ai entrevu que son dessein serait que le saint Siège s'expliquât contre les quiétistes, qu'il déclarât précisément ce qu'il faut croire pour l'opposer à cette doctrine, et qu'ensuite il condamnât le livre si on le trouvait condamnable. Ce serait suivre l'idée des évêques de France dans leurs articles. Je n'ai pas manqué de lui faire remarquer, en louant fort ce dessein, quelle en était la difficulté ; que malgré ce qu'avaient fait les évêques, qui croyaient avoir tout prévu, M. de Cambray en prétendant expliquer ces mêmes articles, avait trouvé le moyen de répandre et de couvrir son venin dans son livre ; qu'il ne manquerait pas de prétendre qu'il n'avait pas voulu dire autre chose que ce que le saint Siège aurait déterminé ; qu'ainsi il fallait que l'Eglise romaine, pour faire quelque chose de solide, décidât sur la doctrine contenue dans le livre. Il en est convenu; et c'est ce que j'ai fait remarquer aux cardinaux Noris et Ferrari, qui ne se sont pas expliqués si clairement avec moi sur cela; mais je ne doute pas qu'ils n'entrent dans les vues du cardinal Casanate. Je suis persuadé que ce sont ces trois personnes, avec le cardinal Spada, qui donneront le branle à tout.

Il m'était venu en pensée de vous proposer de travailler dans cette vue, et par rapport à la doctrine de Molinos, des quiétistes et de M. de Cambray, de dresser des articles de doctrine en forme de canon ou autrement, dans lesquels seraient proscrites les erreurs des quiétistes et de M. de Cambray. Je suis persuadé que dans l'Eglise de Dieu vous êtes le seul capable de réduire à des points précis cette matière abstraite et difficile, où il ne faut toucher que ce qui est mauvais.

Je trouverais par le moyen du cardinal Casanate, les facilités de proposer votre travail, que je tiendrais secret et que l'on pourrait adopter ici. Cela leur épargnerait bien de la peine, et ils en

 

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auraient certainement beaucoup de faire mieux. Pensez-y, s'il vous plaît, et n'y perdez point de temps ; envoyez-moi au moins quelque projet là-dessus, qui puisse donner des lumières. On peut tout confier à M. le cardinal Casanate, qui se fie assez à moi. Je parle de cette vue en général à M. l'archevêque de Paris, vous lui communiquerez le reste : il faut là-dessus un grand secret.

Le cardinal de Bouillon et les Jésuites sont toujours les mêmes. Le cardinal voit avec douleur que le Pape veut décider sur la doctrine : cela les a déconcertés, et ils sont démontés depuis qu'ils savent la manière dont je parle là-dessus, et que le Pape à la suite de mon audience a dit qu'il voulait faire quelque chose d'honorable et de décisif. Je démonte le cardinal de Bouillon quand je lui dis qu'il est juste, s'il n'y a rien de mauvais dans le livre, qu'il passe pour la règle de la vie intérieure et spirituelle, étant construit de manière à n'être pas approuvé ni improuvé à demi. Il voit bien où va la conséquence infaillible, et selon moi inévitable de ce raisonnement. Toute leur espérance était dans un mezzo termine; mais j'ai lieu de croire ce dessein bien éloigné. Ils n'ont plus guère de ressource que dans quelque changement de cette Cour; mais, Dieu merci, la santé du Pape n'y fait voir aucune apparence.

Je n'espère pas que l'affaire finisse avant le mois de juillet ou d'août, surtout si on a le dessein que je vous marque.

Je ne laisse pas d'inculquer fortement la nécessité de décider bientôt, et que le délai seul est un grand mal dans les circonstances présentes. Il faut que les coups viennent à présent du côté du nonce, et qu'il demande une décision sur la doctrine du livre comme nécessaire à la France.

Le P. Dez menace de partir bientôt: il nous a fait tout le mai qu'il a pu. Il est très-fourbe, très-malin, et plus que je ne pensais. Il a tenu ici des discours très-pernicieux sur la France et sur Madame de Maintenon, qui retombent tous sur le roi, qu'il n'épargne qu'en apparence. Je suis persuadé qu'il me hait bien. Il a trouvé fort mauvais que j'aie osé dire que je m'étonnais que les Jésuites eussent si peu de ménagement dans une affaire qui concerne les évêques de France, et où le roi prend un intérêt si

 

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public, et que je les aie regardés comme parties. Mais le P. Dez devrait se rendre justice et à moi aussi ; car leurs manœuvres crèvent les yeux à tout le monde. Ce qui fâche les Jésuites, c'est que j'ai prévenu par mes démarches bien des coups qu'ils voulaient porter.

C'est le P. le Valois que l'on vous a voulu marquer par le directeur mis auprès d'un grand prince (a) : il me semble que c'est lui que M. de Cambray a mis auprès de M. le duc de Bourgogne.

L'affaire de M. Coadelets (b) ne laisse pas d'être bizarre, et signifie bien des choses : je crois le P. de la Chaise assez mortifié. J'ai des raisons de ne pas douter que le coup ne vienne de Madame de Maintenon, de M. de Paris et de M. Brisacier.

Le P. Cambolas, jusqu'ici, a plus de part que personne au généralat.

M. le cardinal de Bouillon se fait ici haïr et mépriser de tout le monde.

Le Pape est en bonne santé : il faut pourtant avouer qu'il est un peu baissé.

Je n'ai point encore reçu le paquet de Mystici in tuto, et n'en ai aucune nouvelle. Prenez des mesures assurées pour les autres : je crains quelque malice à Lyon.

 

LETTRE CCLXXI. M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS, A L'ABBÉ BOSSUET. Paris, 19 mai 1698.

 

J'ai reçu, Monsieur, votre lettre du 29 : je suis fâché que les miennes n'aillent pas à vous plus régulièrement ; je ne sais pas pourquoi celle du 24 a été retardée.

Je ne vous dis plus rien sur votre affaire : on n'en parle plus, et on paraît tout à fait revenu des premières impressions : ainsi vous pouvez être en repos.

Voilà donc enfin l'affaire du livre hors des mains des examinateurs: j'attends avec impatience des nouvelles de leurs vœux,

 

(a)  Voyez le Mémoire du P. Latenai, pag. 366. — (b) Bossuet parle de cette affaire dans sa lettre du 28 avril. Voyez ci-dessus, p. 402.

 

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quoique je ne voie guère d'espérance que leur partage ait cessé. Ils ne se seront pas fait honneur, s'ils sont demeurés toujours ainsi divisés.

Ce que vous me mandez de la disposition des cardinaux et de la fermeté du Pape, me fait espérer qu'ils agiront d'une manière plus digne du saint Siège. Il faut s'attendre que M. le cardinal de Bouillon continuera jusqu'au bout ses efforts pour son ami. M. Giori vous aidera plus que personne à soutenir le Pape : il me paraît important que vous concertiez toujours toutes choses avec lui.

Le P. Alemanni est assurément le seul de sa société qui condamne le livre : quoiqu'il y en ait plusieurs ici qui disent hautement qu'ils ne l'approuvent pas, on voit cependant que dans le fond de leur cœur ils sont attachés du moins à l'auteur, et ils font sous main tout ce qu'ils peuvent en sa faveur.

Je vous envoyai la semaine passée ma Réponse aux quatre lettres de M. de Cambray, et mon Instruction en latin. M. de Chartres fera imprimer cette semaine son ouvrage sur les variations de M. de Cambray. Nous faisons ce que nous pouvons ; mais toute mon espérance est en Dieu, qui ne permettra pas que la vérité soit opprimée. Je me recommande à l'honneur de vos bonnes grâces, et suis toujours, Monsieur, à vous de tout mon cœur.

 

LETTRE CCLXXII. L'ABBÉ LEDIEU A  L'ABBÉ BOSSUET. A Meaux, ce lundi de la Pentecôte, 19 mai 1698.

 

M. de Meaux, Monsieur, reçut ici samedi dernier 17, votre paquet du 29 avril. Il est, Dieu merci, en parfaite santé, après avoir fait tout l'Office d'hier à l'ordinaire avec un grand sermon. Il n'a pu vous écrire ce matin, ayant été entièrement occupé à finir sa Réponse aux quatre lettres que M. de Cambray lui a adressées imprimées.

Tout ce que j'ai à vous dire, Monsieur, c'est que la réponse française de notre prélat achève de s'imprimer, et qu'elle vous

 

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sera envoyée sans faute par le premier ordinaire. Vous devez avoir reçu par la dernière poste le Schola in tuto, ou vous le recevrez par cet ordinaire-ci; car il arrive quelquefois, quelques bonnes mesures que l'on prenne, que les paquets sont retardés à Lyon d'un ordinaire à l'autre.

Pour achever le dessein de Monseigneur, il aurait fallu ajouter un troisième traité latin, sous ce titre : Quietismus redivivus : il a sursis à l'impression de ce traité, estimant plus nécessaire et plus pressant d'imprimer sa Réponse française aux quatre lettres. Elle sera suivie de la narration de toute celte affaire et de toute la conduite de M. de Cambray. Ses lettres à notre prélat, sur sa soumission et son attachement à la doctrine de M. de Meaux, seront aussi imprimées entières ou par extrait, comme il conviendra, avec celle que notre prélat écrivit à M. de Cambray dans le temps de la publication de son livre, lui en prédisant le mauvais succès. Enfin on n'épargnera rien, et on ne le ménagera plus aucunement, parce qu'il faut instruire le public de tout le danger de sa doctrine.

M. de Paris vous a envoyé manuscrite par le dernier courrier, sa Réponse aux quatre lettres que M. de Cambray lui a aussi écrites, laquelle réponse sera imprimée incessamment. M. de Chartres va aussi faire paraître son écrit, qui contiendra les variations de M. de Cambray dans ses explications pour défendre son livre, et dans ses diverses réponses qui ont suivi.

Monseigneur croit que tout est en bon train présentement à Rome. Il vous exhorte à prendre courage jusqu'à la fin : il espère qu'elle sera heureuse pour l'Eglise et pour la vérité, attribuant ce bon succès en grande partie à votre zèle et à votre travail infatigable. Il vous envoie sa sainte bénédiction.

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