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LETTRES SUR L'AFFAIRE DU QUIÉTISME

(SUITE.)

 

 

LETTRE CCCXLIV. BOSSUET A SON NEVEU  (a). A Compiègne, ce 14 septembre 1698.

 

J'ai reçu aujourd'hui seulement votre lettre du 26. Vous aurez vu que j'ai reçu toutes les vôtres par toutes les voies.

Je suis bien aise d'apprendre l'effet de la déclaration de l'ambassadeur. Ce n'est pas une affaire à M. le cardinal de Bouillon de feindre des lettres. On n'avait pas encore parlé ici de protecteur ; on y sera attentif.

La personne de M. de Monaco a beaucoup de dignité et de représentation : il est honnête et magnifique, sûr et prudent. Je lui écrirai et lui ferai écrire de bon endroit : n'en soyez point en peine. On croit qu'il viendra ici recevoir ses ordres, avant que d'aller à Rome.

Je réponds sur la Relation, non pas tant pour soutenir les faits, qui sont certains et avoués et dont des tours d'esprit n'éludent pas l'importance et la vérité, que pour faire voir le mauvais caractère de l'homme. Le fait de la confession générale qu'il dit m'avoir envoyée et qu'il m'accuse d'avoir révélée, montre son audace à mentir, et en même temps son emportement.

 

(a) Revue et complétée sur l'original.

 

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Il vient encore de faire paraître une première Lettre sur ma Réponse aux quatre lettres. Je ne l'ai pas lue, mais je l'ai ici. Un chef de parti doit toujours répondre, et jamais homme n'en a plus eu toutes les qualités.

On rend ici si publique la Réponse à la Relation, que je ne doute point qu'on n'en fasse autant à Rome. M. de Cambray et ses affidés se fient aux mensonges et aux tours d'esprit.

"Votre audience est avantageuse. Le cardinal de Janson sort d'ici. Il a les mêmes nouvelles que vous me mandez sur la censure avec qualifications et sur tout le reste. La lettre de Monseigneur Giori qu'il m'a montrée est admirable : et la vôtre la confirme bien.

J'espère aussi que le roi parlera en conformité ; mais il faut prendre son temps ici, où le camp (a) occupe beaucoup.

M. le cardinal de Janson, dans le diocèse duquel il est situé, fait ici une chère prodigieuse et la plus polie du monde.

M. le duc d'Estrées est mort après avoir souffert l'opération de la taille. Cela nous a fait perdre pour quelques jours M. le cardinal d'Estrées, qui revient demain. Il a de bonnes paroles pour conserver le gouvernement au jeune duc, qui a seize ans, et dont le cardinal sera tuteur.

Il ne faut rien précipiter ; mais si l'on ne frappe fort, on ne sera pas longtemps sans s'en repentir (b). M. de Cambray est un homme sans mesure, qui donne tout à l'esprit, à la subtilité et à l'invention ; qui a voulu tout gouverner, et même l'Etat, par la direction, ou rampant, ou insolent outre mesure.

Je ne puis encore vous rien dire de fort particulier sur la réception du P. Dez; je sais depuis longtemps qu'il est bien éloigné d'être jamais confesseur du roi. Je crois vous avoir mandé que ce Père, nouveau provincial, allant en Flandre et demandant à voir M. de Cambray, a eu des défenses précises.

La jalousie dont je vous ai parlé ne regarde point la Cour, mais

(a) Le camp que le roi fit tenir à Compiègne, pour former le duc de Bourgogne au métier des armes. — (b) Bossuet avait écrit sur une feuille séparée : « Le monde se remplit de fanatisme. Si l'on frappe fort à Rome, il tombera; si l'on tâtonne, on n'attirera que du mépris, et l'erreur n'attendra que l'occasion de lever les cornes. »

 

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M. de Paris plus que personne (a) et quelques évêques, entre autres le diocésain d'ici (b).

On fera ce qu'on pourra pour M. Poussin ; et je n'ai pas oublié tout ce que vous m'en avez toujours écrit : je vous rendrai compte des démarches que je ferai en sa faveur.

Je crois que vous savez que Madame de Richelieu est morte, et M. de Richelieu un bon parti.

Nous commençons à faire aller les in tuto en Espagne, dans les Pays-Bas, etc.

J'aurai bientôt une audience, après quoi nous renverrons votre courrier, dont on prend soin en attendant.

J'ai vu le P. Dez. Il nie la partialité : mais la neutralité qu'il affecte ne fait pas pour lui un fort bon effet. Tout ce qu'il dit sur le cardinal de Bouillon, c'est qu'il est et sera très-exact à obéir pour faire terminer promptement ; mais pour le fond, il suivra sa conscience. On se moque, quand on entend ces discours.

Je retourne demain à Germigny.

Le zèle des troupes à se faire voir au maître dans une occasion où l'on a vu qu'il voulait former M. le duc de Bourgogne à la guerre, est encore plus admirable que toute la magnificence et tout l'ordre qu'on y a vu. Le jeune prince a soutenu toute la fatigue, et se porte parfaitement bien. Il n'y avait rien de plus beau que de voir Messeigneurs d'Anjou et de Berry, saluer à la tête de leurs régiments et compagnies de gendarmes.

On retourne demain pour Chantilly, où l'on passera un

 

(a) On peut consulter la lettre CCCXIX, où Bossuet parle de cette jalousie. Il est vrai que l'archevêque de Paris, si élevé en dignité et en faveur, aurait désiré primer aussi par le savoir et les talents; et qu'il ne voyait pas, comme plusieurs autres prélats, sans quelque secrète envie, la grande considération que s'attirait l'évêque de Meaux, son suffragant, par la supériorité de son génie, sa science profonde, cette multitude d'écrits si bien frappés, dont les productions de ses rivaux, avec tous les secours qu'ils pouvaient emprunter, n'étaient pas capables d'approcher... Au reste quelque injustes que fussent les sentiments de plusieurs de ses confrères envers lui, jamais M. de Meaux ne se ralentit de son application au bien général de l'Eglise; jamais il ne cessa d'avoir pour ses collègues, et en particulier pour M. de Paris, tous les égards, tous les ménagements possible? continuellement attentif à se rabaisser pour éviter de leur faire ombrage par la transcendance de son génie et la supériorité de son savoir. (Les premiers édit ) — (b) L'évêque de Soissons, Fabio Brulard de Sillery, né en 1655, mort le 19 novembre 1714.

 

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jour. Le départ pour Fontainebleau est toujours au 2 d'octobre.

Le mariage de M. le duc (a) est différé. On s'est avisé de la parenté au quatrième degré ; et on envoie au Pape pour la dispense, qu'on a reconnu que les évêques ne pouvaient donner.

J'ai nouvelle de main savante de Madrid et de Cuença, qu'on attend là comme ici la condamnation du livre de M. de Cambray comme favorable à Molinos. On y demande mes livres, surtout les latins.

 

LETTRE CCCXLV. M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS, A L'ABBÉ BOSSUET.  15 septembre 1698.

 

J'ai reçu, Monsieur, votre lettre du 26 août, et la copie authentique de la réplique de M. de Cambray à mes lettres. Vous m'avez fait grand plaisir de me l'avoir envoyée ainsi en forme ; elle servira en temps et lieu. La Réponse à la Relation de M. de Meaux est ici très-publique : je suis surpris qu'on en fasse un si grand mystère à Rome.

Vous avez très-bien fait de représenter au Pape les inconvé-niens d'une décision précipitée. L'importance de l'affaire et l'honneur du saint Siège en demandent une qualifiée, du moins respective. Mais il est certain aussi qu'il faut, en évitant la précipitation, faire toute la diligence possible ; car le plus grand inconvénient serait de laisser mourir le Pape avant la fin de l'affaire : son âge et les incommodités qui commencent à venir plus souvent me font peur. Ainsi pressez toujours, s'il vous plaît, sans précipiter.

Ne croyez point si aisément ce que dit le cardinal de Bouillon ; ce n'est point lui qui a demandé son successeur : on se vante tant qu'on peut à son profit. Je ne manquerai pas de prévenir en votre faveur M. de Monaco, et de lui dire tout ce qu'il faudra pour le bien de l'affaire. C'est une pure gasconnade, ou je suis bien trompé, de dire que le cardinal de Bouillon sera protecteur :

(a) Bossuet avait écrit, comme on vient de lire, M. le duc, purement et simplement. Mais le premier éditeur a mis : Monseigneur le duc de Bourgogne; et l'éditeur de Versailles soutient, dans une longue note, qu'il faut : Monseigneur le duc de Lorraine. On voit que les deux savons éditeurs se trompent l'un et l'autre.

 

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désabusez, tant que vous pourrez, ceux qui le croiront. Vous avez eu raison d'assurer que M. de Monaco fera ce que le roi voudra : il est galant homme ; il servira très-bien Sa Majesté. Je me recommande toujours, Monsieur, à l'honneur de vos bonnes grâces, et suis, comme vous savez, absolument à vous.

 

LETTRE CCCXLVI. L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE. Rome, ce 16 septembre 1698

 

J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire de Versailles le 24 août. Je suis très-aise que vous ayez reçu la Réponse de M. de Cambray à la Relation du quiétisme : ce qui est certain, c'est qu'il n'y a ici que ses amis qui applaudissent à sa réponse. Je ne sais pas ce qu'ils en pensent intérieurement : mais ils la font valoir de leur mieux, comme une pièce accablante pour vous et M. de Paris. Avec cela ils conviennent eux-mêmes, au moins M le cardinal de Bouillon, qu'elle doit achever de perdre M. de Cambray en France et dans l'esprit du roi. Mais ils prétendent encore tirer de là un sujet de louange pour M. de Cambray et de blâme pour le roi, pour Madame de Maintenon, M. de Paris et vous : cependant ils voient bien que les rieurs ne sont pas de leur côté. On regarde à cette heure-ci M. de Cambray comme un chef de parti. C'est aussi l'idée la plus juste qu'on en puisse avoir, et celle que je crois à propos qu'on ait. Je mande à M. l'archevêque de Paris qu'il faut à présent que tout ce qui viendra de la part du roi et du nonce soit plus fort et plus pressant que jamais; qu'on marque expressément qu'il ne faut avoir aucun égard pour la personne de M. de Cambray, si l'on veut satisfaire le roi et assurer à la vérité tous ses droits ; que l'essentiel est de donner la paix à l'Eglise par une bonne décision; et qu'il convient d'apprendre aux téméraires qui osent tenter de substituer les délires de leur esprit aux anciennes maximes, que leur nom ne sera pas plus épargné que leurs erreurs.

M. de Chanterac alla chez le Pape jeudi dernier, après que le cardinal de Bouillon y eût été, apparemment pour lui préparer

 

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les voies. M. de Chanterac a présenté la Réponse de M. de Cambray à Sa Sainteté, la priant de se la faire lire et expliquer. Sa Sainteté se l'est fait lire par M. de Zeccadoro qui, comme vous savez, était un de vos admirateurs; mais qui depuis un an qu'il a vu M. le cardinal de Bouillon, est devenu le plus zélé partisan de M. de Cambray et son plus grand panégyriste. Cette conduite lui a attiré la confiance du cardinal, autant que le mal qu'il dit de M. le cardinal de Janson, à qui cependant il a les dernières obligations. Néanmoins depuis qu'il voit que les rieurs ne sont plus ni du côté du cardinal de Bouillon, ni du côté de M. de Cambray, il voudrait me faire croire qu'il a toujours favorisé la bonne cause et regardé M. de Cambray comme un fanatique. Mais je ne puis plus m'y fier, et je suis en peine de ce qu'il peut dire à Sa Sainteté. Je tâcherai dans peu de le savoir, et d'agir auprès du Pape selon ce que j'en apprendrai. Il a traduit, il y a trois mois, le livre de M. de Cambray pour le Pape à la recommandation de M. le cardinal de Bouillon.

J'ai été à Civita-Vecchia visiter M. le bailli de Noailles, qui n'a pas été fâché de me voir et de m'entretenir. Je n'ai point épargné le cardinal de Bouillon; je sais combien ces deux maisons se haïssent. Je l'ai comme déterminé à aller informer le nouvel ambassadeur des dispositions du cardinal de Bouillon à son égard : cela ne peut que bien faire, en cas que cet ambassadeur vienne en droiture à Borne sans aller à la Cour. Encore une fois, ne négligez pas de me faire recommander à M. l'ambassadeur par des personnes de poids. Il est de la dernière conséquence pour la cause et pour votre honneur, que l'ambassadeur me témoigne quelque considération. Je fais assurément ici mon devoir à son égard, en travaillant à effacer les mauvaises impressions que la malignité de M. le cardinal de Bouillon, qui ne cherche qu'à le décrier, voudrait donner de ce Seigneur. Ce que je vous mande est la pure vérité.

Au reste la guerre est ici parmi les Jésuites français au sujet du P. Ammonio, qui était venu à Rome en qualité de procureur des Missions. Le P. Charonnier prétendait avoir cet emploi, au moyen des sollicitations du P. Dez et du cardinal de Bouillon

 

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qui le protègent. Le P. Ammonio, d'un autre côté, est venu avec des lettres de recommandation du roi, du P. de la Chaise, et du P. Verjus. Cela n'a pas empêché la guerre. Le P. Charonnier a écrit et fait écrire à la Cour contre le P. Ammonio. Le P. Ammonio l'a découvert, et a su qu'afin de lui faire donner l'exclusion, on l'accusait de s'être déclaré ici pour M. de Cambray. Il n'en fallait pas tant pour échauffer la bile de ce jésuite italien : aussi s'est-il montré grandement irrité du procédé, et il a écrit contre son adversaire de ce ton qu'on appelle l'ire di Dio. Il prétend dévoiler tout ce qu'ont fait ici le P. Charonnier et le P. Dez pour M. de Cambray; quelque faux frère aura trahi ces deux derniers. Cette division peut servir à découvrir des choses importantes : cela sera aisé par le frère du P. Ammonio qui est à Paris. Ne témoignez point aux Jésuites de Paris être instruit de cette querelle. Le P. Ammonio compte prouver au P. de la Chaise que le P. Charonnier l'a engagé vilainement dans cette affaire, aussi bien que le général ; et son dessein est de faire rappeler Charonnier. Je suis persuadé qu'Ammonio dit vrai là-dessus en bien des choses. Il s'est ouvert avec moi sur cela; mais il n'a pas voulu m'apprendre le particulier de ce qu'ont fait les PP. Dez et Charonnier : je sais seulement qu'il l'a mandé à son frère, qu'on fera jaser tant qu'on voudra. Madame de Maintenon verra ce qu'elle doit faire à cet égard. Mais il ne faut pas oublier de se plaindre du P. Charonnier, qui continue certainement d'exercer sa malignité contre M. de Paris, contre vous, contre le roi et Madame de Maintenon.

Pour M. le cardinal de Bouillon, il est démonté : il commence à sentir le coup qui lui est porté par la nomination d'un autre ambassadeur. On ne peut être plus décrié à Rome qu'il l'est.

Je n'appris qu'hier que cette Eminence s'était persuadée que j'avais reçu quelque ordre pour faire différer le jugement, afin de donner le temps à M. de Monaco d'arriver. Persuadé qu'il y avait quelque mystère dans ma démarche, il alla sonder le P. Roslet, qui lui parla conformément à tout ce que je lui avais dit. La précaution qu'il a prise de me demander par écrit ce que j'avais représenté au Pape, comme si je lui avais dit quelque

 

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chose d'extraordinaire, a paru ici pitoyable à tout le monde et m'a fait honneur. On n'a pas laissé de répandre que j'ai demandé qu'on différât; mais personne ne l'a cru, et les cardinaux m'ont fort loué d'avoir empêché qu'on ne précipitât cette affaire, comme ils le craignoient, vu l'humeur du Pape, et sachant les sollicitations de la cabale, qui n'a plus de ressource que dans cet expédient.

Je crois qu'il est à propos que vous répondiez à l'insolent écrit de M. de Cambray. Ne peut-on pas faire parler le cardinal le Camus?

Le 25 de ce mois, le rapport des qualificateurs finira devant le Pape. Ceux qui sont opposés au livre de fil. de Cambray ont fini d'exposer leur avis. On a publié ici que le P. Granelli avait parlé dans son dernier discours devant le Pape contre les mœurs de M. de Cambray, se servant de paroles libres; mais cela est faux. Il n'a rien dit que de bien, que de vrai sur sa liaison avec Madame Guyon, qu'il a prouvée par le témoignage de M. de Cambray lui-même.

Le P. de la Chaise a dit là-dessus au P. Pera, que ce Père n'a-voit rien avancé, que ce que vous aviez voulu faire entendre dans votre Relation et dans votre Quietismus.

J'ai reçu les dernières feuilles de vos écrits : je fais relier les trois traités ensemble pour le Pape. Je prendrai occasion de lui dire ce qu'il faut sur ces ouvrages, sur la Réponse de M. de Cambray et sur ses impostures.

Dès que les qualificateurs auront fini, on donnera copie de tous leurs vœux aux cardinaux, qui demanderont à Sa Sainteté quelques semaines pour les examiner, pour étudier la matière avec les écrits publiés de part et d'autre, et former leur avis. Le plus long délai que Sa Sainteté leur accordera, sera le mois d'octobre (car j'ai eu soin de la prévenir sur ce point); après quoi en quelques congrégations ils rendront compte de leur travail, et diront leurs avis. Vous n'avez pas un moment à perdre pour achever ce qui reste à exécuter, et faire écrire le nonce de la manière qui convient. Pensez un peu à ce que vous souhaitez par rapport à vos personnes et à celle de M. de Cambray ; que l'on insinue le tout au nonce, et que je sois averti de ce qu'il aura marqué.

 

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On prétend que le cardinal de Bouillon est resté jusqu'à la fin pour affermir les examinateurs. Cette Eminence soutiendra son personnage jusqu'au bout. Le roi ne pourrait-il pas exiger au moins du cardinal de Bouillon qu'il s'absentât des congrégations ?

Le cardinal Nerli dit avoir achevé de perdre l'usage d'un œil par la lecture des écrits de M. de Cambray. On peste bien ici contre lui. M. Chieti s'est un peu brouillé dans son vœu ; il ne sait trop ce qu'il dit. Je ne désespère pas encore que le carme n'en fasse autant. Je me doutais bien que M. de la Trémouille n'écrirait pas tout. Je vous ai mandé la pure vérité.

Il se prépare ici bien des choses disgracieuses pour le cardinal de Bouillon. Poussin est furieux contre lui, et menace de découvrir beaucoup d'anecdotes dont la connaissance le mortifierait grandement. L'arrivée du nouvel ambassadeur ne peut être que funeste à cette Eminence.

 

LETTRE CCCXLVII. BOSSUET   A SON NEVEU (a). A Compiègne, ce 21 septembre 1698.

 

Pour répondre à votre lettre du 2, je vous dirai que le roi approuve fort le compte que vous avez rendu à Sa Sainteté des sentiments des évêques de France, et du respect avec lequel ils attendent sa décision.

Il n'y a qu'à s'en tenir aux termes de votre écrit (b), et demander la promptitude sans tomber dans la précipitation. C'est ce que j'ai appris ce matin de la bouche de Sa Majesté, en lui rendant compte de la disposition des choses.

Vous verrez par les Mémoires ci-joints ce que Sa Majesté a agréé. Tenez-les fort secrets, jusqu'à ce qu'ils vous viennent par voie naturelle; autrement, vous voyez bien que vous en détruiriez l'effet. Je ne sais rien de celui de l'écrit signé de vous et donné à

(a) Revue sur l'original. — (b) C'est le mémoire que le cardinal de Bouillon avait demandé à l'abbé Bossuet.

 

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M. le cardinal; mais vous pouvez sans hésiter aller votre train, assuré que votre conduite sera approuvée, en parlant toujours d'une bonne et solide décision avec diligence, sans précipiter. Car c'est le bien de la chose. Tout le monde voit ici la mauvaise finesse de presser l'affaire pour en venir à une misérable prohibition qui ne dise rien. Vous avez raison de croire que ce serait un opprobre pour le saint Siège, et un faible palliatif qui ne ferait qu'augmenter le mal. Si on marchande M. de Cambray, audacieux et artificieux comme il l'est, il ne marchandera pas l'Eglise, et ne fera qu'attendre à frapper son coup.

M. le cardinal de Bouillon a proposé un beau décret : Prohibendus liber, molliendiis seu mitigandus sensus. Un ne sait ce que cela veut dire.

Vous serez bien recommandé à M. l'ambassadeur : je lui écrirai, et on lui parlera de bon lieu. Monseigneur est de devoir : je ne puis vous rien dire encore du reste du traitement. Vous ne sauriez manquer de continuer à lui écrire.

On va imprimer ma Réponse (a) : on l'enverra par votre courrier, qu'on réserve pour cela.

On a su ici la folie (b) de vouloir être protecteur de la France, et on s'en est fort moqué.

 

LETTRE CCCXLVIII. L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE. Rome, ce 23 septembre 1698.

 

J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire de Germigny le 31 août. Je suis ravi que vous ayez pris la résolution de répondre à M. de Cambray sur votre Relation du quiétisme; et qu'en même temps que vous la ferez imprimer en français, vous la fassiez imprimer en italien. Si vous ne vous hâtez, le tout sera inutile ; car assurément après la Toussaint Sa Sainteté

(a) Cet écrit : Remarques sur la Réponse de M. l'archevêque de Cambray à la Relation sur le quiétisme, se trouve vol. XX p. 171. — (b) Du cardinal de Bouillon.

 

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ne laissera pas un moment de repos aux cardinaux. Ils peuvent finir de donner leurs vœux dans le mois de novembre; après quoi Sa Sainteté ne tardera pas à se déterminer.

J'ai jugé à propos de faire relier vos trois traités ensemble; et de les présenter au Pape. Je le fis hier, et cela m'a parfaitement bien réussi : il me reçut à merveille. Presque avant que je me fusse approché de lui, il me demanda de vos nouvelles ; et lui présentant votre livre, je lui dis de ne point craindre que ce fût quelque ouvrage nouveau ; qu'il y avait plus de quatre mois que le premier et le second traité étaient entre les mains des cardinaux et de tous les théologiens de Rome. Je pris occasion de là de lui expliquer le sujet de chaque traité. Il me parut ressentir un plaisir singulier de voir les mystiques et les scolastiques en sûreté , et ne témoigna pas moins de satisfaction du parallèle de la doctrine de M. de Cambray avec celle de Molinos et de Madame Guyon, proposition par proposition. Comme il me donnait une audience très-tranquille et très-favorable, j'entrai dans la matière de l'amour pur, : je lui fis toucher au doigt la fausseté de la doctrine de M. de Cambray sur la charité, en lui faisant voir que ce prélat ne tentait seulement pas d'appuyer sa nouvelle doctrine sur aucun passage de l'Ecriture sainte, qui à chaque page respire ce désir violent de s'unir à Dieu, d'être heureux et récompensé; actes d'amour dont les livres saints sont remplis, et auxquels ils nous animent comme à de vrais actes de la plus pure charité. Je lui dis que vous aviez souvent pressé M. de Cambray là-dessus, sans qu'il osât seulement vous répondre un seul mot; que néanmoins il était question de la véritable perfection du chrétien, qu'il était impie de prétendre que l'Ecriture eût oublié de parler de ces actes et de les proposer aux chrétiens. Il comprit fort bien tout cela. J'allai plus avant, et j'ajoutai qu'il était de foi que la jouissance de Dieu, l'union de l’âme avec Dieu était la consommation de toutes les vertus, ce qui perfectionnait l’âme intelligente ; par conséquent qu'il était contre la foi de soutenir que la perfection consistait à ne pas désirer cette union qui faisait notre perfection, et en même temps qu'il était impossible qu'on aimât Dieu de tout son cœur, sans vouloir par ce, même acte être uni

 

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avec lui. Je pris la liberté de lui demander si cinq mois avant d'entendre parler de cet amour pur chimérique, il avait seulement songé que moins une âme pensait à jouir de Dieu, à être heureuse, plus elle était parfaite; si c'était la doctrine de l'Ecriture, celle du catéchisme, celle qu'il avait enseignée lui-même, ou fait enseigner étant archevêque.

Le Pape fut frappé de mes observations, et m'assura que j'avais raison ; que ces maximes étaient toutes nouvelles pour lui, et me dit en termes exprès : Questa dottrina e cattiva, nuova, pericolosissima : cette doctrine est nouvelle et très-dangereuse. Pour le confirmer dans cette pensée, je lui fis remarquer la différence de vos sentiments d'avec ceux de M. de Cambray : je lui montrai que les vôtres étaient sains, irrépréhensibles, quoique opposés contradictoirement à ceux de M. de Cambray ; qu'ils étaient contenus dans les trois traités que je lui présentais, et en particulier dans les trente-six propositions qui sont à la tête du Schola in tuto. Je lui observai qu'il y avait trois mois que tout Rome avait cet écrit, et que les théologiens les plus favorables à M. de Cambray n'avoient osé ni pu y trouver à reprendre le moindre mol, pendant que la doctrine de M. de Cambray était attaquée de tous côtés; qu'en un mot, elle était contradictoire, sur un point de foi, à la vôtre approuvée de tout le monde; qu'ainsi il fallait conclure nécessairement, ou que votre enseignement était digne de censure, ou que celui de M. de Cambray était intolérable: aussi, continuai-je, était-ce sous ses enseignes que se réunissaient tous les quiétistes et les fanatiques, dont il était regardé à juste titre comme le chef.

Je m'aperçus que tout cet exposé faisait grande impression sur l'esprit du Pape. Il ne pouvait se lasser de vous louer de votre zèle, de votre attention, de votre doctrine. Il me fit l'honneur de me témoigner qu'il était très-content de ce que je lui venais de dire, et qu'il avait une grande consolation de m'entendre. Il m'ordonna de voir les cardinaux, et de leur faire les mêmes réflexions; il m'assura qu'on ne perdrait pas un moment de temps : il me dit de le venir voir, quand j'aurais la moindre chose à lui représenter; il me marqua une véritable joie du livre que je lui offrais, et me donna cent bénédictions pour vous.

 

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Je ne le dis pas pour me flatter ; je lui ai parlé avec une grande force et une entière liberté, que m'inspiraient la vérité et la bonne cause que je soutenais. Je restai près d'une heure avec Sa Sainteté. Quelques moments avant ma visite, j'avais vu le cardinal Spada, qui avait approuvé que je présentasse votre livre au Pape, et qui m'avait dit que M. le nonce lui en avait envoyé un, mais que le Pape n'en avait point. Je donnai en même temps à M. le cardinal Spada les informations et récolements contre le P. La Combe, que M. de Paris avait envoyés au P. Roslet, avec la sentence de l'officialité de Besançon et l'arrêt de Dijon (a). Le cardinal Spada porta le tout au Pape, qui lui donna ordre de remettre ces pièces au saint Office et aux cardinaux, ce que ce cardinal fit hier.

Je fis encore remarquer au Pape qu'on veut défendre M. de Cambray malgré lui ; et de plus qu'on n'employait, pour sauver Molinos, que les mêmes défenses dont on se sert à présent pour justifier M. de Cambray, c'est-à-dire l'autorité des mystiques mal entendus, comme vous l'avez démontré.

M. de Cambray a écrit au Pape en lui envoyant sa Réponse à votre Relation. La lettre est humble en paroles, mais en effet assez hautaine. Dans cette lettre il demande une prompte décision : il déclare que tant que la cause durera, il ne cessera d'écrire, ainsi que vous qui ne cessez de le diffamer et de le persécuter ; qu'il ne laisse pas d'espérer que la vérité triomphera sous un Pape si bien intentionné, et qu'il ne croit pas avoir lieu de craindre qu'on condamne sa doctrine, qui est celle de sainte Thérèse, de saint François de Sales, etc. Du reste il proteste de sa soumission. C'est le secrétaire des Brefs, M. Gozzadini, qui m'a appris hier le contenu de cette lettre. Je le priai de me la faire voir : il me dit qu'il ne l'avait pas; mais je crois qu'il ne jugea pas à propos de me la montrer : je ne laisserai pas de faire mes efforts pour la voir.

Je vous envoie une nouvelle lettre contre vous : vous en jugerez mieux que moi. Il faut, s'il vous plaît, éclaircir le fait de M. du Bellai. Les défenseurs de M. de Cambray ont dit ici effrontément

 

(a) Ces pièces se trouvent comme note à la lettre CCCXLIII, vol. XXIX, p. 592.

 

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aux cardinaux que la Facullé de Paris, en 1692, avait approuvé la doctrine de l'amour pur de M. de Cambray in terminis. Le cardinal Nerli et le cardinal Casanate m'ont demandé des éclaircissements sur ce fait : je les ai assurés que cela était faux, et pour preuve j'ai allégué le silence de toutes les parties.

Il n'y a plus de temps à perdre pour nous envoyer tout ce qui nous est nécessaire. Vous avez oublié le reste du vœu, dont vous ne m'avez envoyé qu'un cahier. Au reste il faut qu'on soit ici pleinement informé des intentions du roi ; qu'on fasse connaître que plus on voudra ménager à Rome M. de Cambray, moins on le fera en France ; qu'il convient que par le décret on rende justice sans acception de personne, sans ménager les erreurs, pour éviter toutes les difficultés et donner la paix à la France. J'espère bien du jugement, si le nonce et le roi continuent de parler.

C'est jeudi 25 que se tiendra devant le Pape la dernière congrégation pour entendre les qualificateurs. Apparemment on y prendra la résolution de donner quelque temps aux cardinaux pour former leur vœu ; après quoi ce sera à eux à parler. M. le cardinal de Bouillon partira vraisemblablement vendredi pour Frescati. On rendrait un grand service à la bonne cause, si l'on pouvait l'empêcher de voter.

J'ai vu le cardinal Carpegna, et j'ai eu une longue conférence avec lui. Je suis comme assuré de ses sentiments : il comprend bien que son intérêt s'accorde en cette occasion avec sa conscience. Celui avec lequel il travaille m'a promis un entretien avant de rédiger son vœu. Je puis vous dire la même chose du cardinal Ottoboni.

Le cardinal Nerli continue à me parler très-bien, depuis qu'on est déterminé à examiner la doctrine. Il est vrai que ce cardinal a perdu un œil à lire les livres de M. de Cambray. M. de Monaco va à la Cour prendre ses instructions ; ne m'oubliez pas auprès de lui. J'ai reçu de lui une réponse très-honnête au premier compliment que je lui ai fait : je n'en ai point encore à la seconde lettre que je lui ai écrite sur l'affaire. Peut-être ne jugera-t-il pas a propos de me répondre, avant d'avoir connu par lui-même les dispositions de la Cour.

 

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Je n'ai pu encore voir le cardinal Noris pour lui rendre ce que vous m'avez chargé de lui dire. Je crois que le cardinal Ferrari est bien décidé contre les erreurs de M. de Cambray. Je lui ai donné vos ouvrages sur les psaumes et les livres de Salomon, qu'il a reçus avec beaucoup de satisfaction. Je n'ai pas fait semblant d'être instruit de ce que lui avait écrit le P. Alexandre.

M. de Reims m'a écrit une lettre, du 1er de ce mois, sur le fait du religieux de distinction dont vous parlez dans votre Relation, qu'il dit être le P. de la Chaise, ajoutant que ce fait lui a été raconté par le R. P. confesseur lui-même : cela fait bien voir la hardiesse de M. de Cambray et son imprudence. M. le cardinal de Bouillon a voulu voir la lettre de M. de Reims : je l'ai montrée au cardinal Spada et à d'autres; je crois que M. de Reims ne le trouvera pas mauvais. Cette lettre lui fait honneur, car elle est très-bien écrite ; et en peu de mots, il dit tout ce qu'on peut dire sur cet écrit de M. de Cambray.

Ce que vous ferez sur les actes imperati de la charité, sera ici très-à propos et très-bien reçu : je ferai bien valoir ce que vous m'en écrirez.

Il serait bon que M. Pirot donnât un démenti formel à M. de Cambray. Il pourrait vous écrire, sur ce qui le regarde, une lettre que vous feriez imprimer dans votre réponse.

Si j'apprends par vos lettres que vous alliez à Fontainebleau, je vous y adresserai les miennes en droiture, pour que vous les ayez plus tôt. Il serait bon que vous ne quittassiez plus la Cour : les moments sont précieux ; un mot fait plus que cent lettres.

 

LETTRE CCCXLIX. BOSSUET A SON NEVEU (a). A Paris, ce 29 septembre 1698.

 

Pour réponse à votre lettre du 9, on imprime actuellement ma Réponse (b) avec toute la diligence possible : on la mettra en

 

(a) Revue et complétée sur l'original. — (b) Les remarques sur la Réponse de M. l'archevêque de Cambray à la relation sur le quiétisme. Vol. XX, p. 170.

 

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même temps en italien : on la fera partir par un courrier extraordinaire. Elle sera forte et démonstrative. Elle fera, voir le caractère dangereux de l'homme, et combien l'Eglise a à craindre de tels esprits, qui donnent aux faits et à la doctrine tous les tours qu'ils veulent. C'est proprement, avec la hauteur et la présomption, ce qui fait les chefs de parti dans l'Eglise, et en un mot les hérésiarques.

Je vous ai mandé par le dernier ordinaire le projet proposé par M. le cardinal de Bouillon : Prohibendum librum, molliendos propositionum sensus, et qu'il avait été rejeté avec indignation. Une lettre de Monseigneur Giori à M. le cardinal de Janson nous en avait instruits.

Le roi a parlé à M. le nonce avec toute la force possible sur une décision convenable. Il a demandé une bulle, comme contre Jansénius, et quelque chose qui put déraciner le mal. Ce qu'il a dit est au-dessus de tout ce qu'on lui avait proposé.

Nous attendons avec impatience la nouvelle de la conclusion des examinateurs.

Je n'ai rien à vous ajouter sur votre écrit (a). M. le cardinal de Janson, à qui j'en avais dit la substance, l'a fort approuvé.

Le roi est trop zélé, trop informé et trop attentif à l’affaire, pour pouvoir être surpris (b) par qui que ce soit.

C'est jeudi le départ pour Fontainebleau, où les fiançailles et le mariage se feront le 12 et le 13. Madame la duchesse de Lorraine à ce qu'on croit passera par Meaux où j'irai l'attendre bientôt. Mon synode est remis au 16. Le 19, à Faremoutiers, d'où le lendemain à Fontainebleau jusqu'à la Toussaint. Je n'ai encore vu personne. Demain, à Versailles.

J'aurai soin des lettres et des affaires du chevalier de la Grotte, à qui je vous prie de faire mes recommandations.

 

(a) Le Mémoire donné par l'abbé Bossuet au cardinal de Bouillon. — (b) Les partisans de M. de Cambray débitaient à Rome qu'on avait changé les sentiments du roi.

 

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LETTRE CCCL. L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE. A Rome, ce 29 septembre 1698.

 

Je viens d'écrire à M. de Paris une grande lettre pour vous et pour lui, dont il vous fera part. Je lui écris par un courrier extraordinaire, et sous l'enveloppe de M. le nonce. Je lui rends compte de la résolution que les cardinaux ont prise, d'employer le mois d'octobre à étudier la matière, et cela dans le dessein de faire une décision honorable sur la doctrine. S'ils voulaient faire mal, ils se dépêcheraient. De plus, s'étant déterminés à juger par eux-mêmes, sans nommer suivant la coutume de nouveaux théologiens pour lever le partage des examinateurs, c'est une marque sûre, selon moi, qu'ils veulent condamner le livre et la doctrine, et qu'ils sont persuadés que les propositions sont mauvaises. Car enfin, puisqu'il y a cinq qualificateurs qui constamment les qualifient d'erronées, d'hérétiques, etc., ils ne peuvent pas prendre sur eux de les interpréter bénignement, comme le propose M. le cardinal de Bouillon.

L'important est d'engager M. le nonce à assurer de nouveau que le plus grand mal pour la religion, pour la France, pour le saint Siège; le plus grand déplaisir qu'on puisse causer au roi, en déshonorant le saint Siège, ce serait de biaiser pour épargner la personne de M. de Cambray. Il est nécessaire qu'il marque ici fortement combien ce prélat est décrié dans l'esprit du roi et de tout le monde; qu'il déclare quelle est la fermeté du roi, l'union des évêques et des théologiens, en faisant craindre le mépris que Rome s'attirerait si elle ménageait M. de Cambray, à qui on ne doit laisser autre ressource que celle de l'obéissance.

Voici le mois de travail; car il est nécessaire que j'instruise les cardinaux, à qui je suis le seul qui parle et qui aie parlé depuis le commencement de cette affaire. Il faut un peu me seconder du côté de la Cour, en faisant agir le roi et M. le nonce, et empêcher,

 

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s'il est possible, M. le cardinal de Bouillon de voter. Je le marque très-fortement à M. de Paris.

Je n'ai pas le temps de vous écrire davantage. Ma lettre à M. de Paris est de conséquence ; je vous prie d'en prendre copie.

J'ai reçu votre lettre de Compiègne du 7 : j'aurai l'œil à tout, je ne laisserai rien passer. J'attends la Relation italienne qui n'est pas encore arrivée, et de moment à autre le courrier que j'ai dépêché.

M. le cardinal de Bouillon témoigne toujours une grande estime de M. de Cambray: tout le monde en est scandalisé. J'ai oublié de vous mander par le dernier ordinaire, que l'abbé de Chanterac a fait repartir son courrier pour M. de Cambray; et c'est le banquier de M. le cardinal de Bouillon qui a fourni l'argent : on l'a bien remarqué ici. On n'a pas moins fait attention à la démarche de M. le cardinal de Bouillon, qui se trouva à la congrégation qui se tint vendredi sur l'affaire du livre, une heure avant tous les cardinaux. Le Pape a dit lui-même que c'était apparemment pour brouiller.

Votre réponse à M. de Cambray est absolument nécessaire. Le Pape est déjà informé que vous la préparez, de concert avec le roi et la Cour. Je lui ai fait lire l'article de votre lettre sur l'étonnement du roi, de voir M. de Cambray mentir si hardiment.

Je suis mieux que jamais avec Monseigneur Giori, qu'il faut connaître.

J'ai reçu des compliments et des remerciements de M. le nonce, de ce que je lui rends justice à la Cour. Témoignez-lui toujours combien je me loue de ses bons offices; cela lui fait un extrême plaisir, ainsi qu'à ses amis. Parlez aussi du prince Vaïni, qui fait tout de son mieux.

Qu'on n'épargne pas les courriers extraordinaires. Vous ne me parlez point d'une épître en vers, adressée à M. de Cambray. Je la crois de Boileau ; elle déplaît à la cabale.

 

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LETTRE CCCLI. L'ABBÉ BOSSUET A M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS (a). Rome, 29 septembre 1698.

 

Je vous écris, Monseigneur, à la hâte, par un courrier qui a été dépêché ici, à ce qu'on dit, chez M. le cardinal de Bouillon pour la dispense de Mademoiselle, et qui part demain. Le courrier n'a pas voulu, par les ordres de M. le cardinal de Bouillon, se charger de ce paquet, même sous l'enveloppe de M. de Torci. Par le moyen de Monseigneur Giori, il ira clans celui de M. le cardinal Spada au nonce.

Jeudi dernier les examinateurs finirent devant le Pape ; et Sa Sainteté ordonna à MM. les cardinaux de s'assembler entre eux dès le lendemain, pour délibérer sopra il modo di procedere, sur la manière de procéder, et en exécution tous MM. les cardinaux se rendirent à la Minerve; et on remarqua extrêmement que le cardinal de Bouillon y arriva à la pointe du jour une heure avant aucun cardinal, très-assurément pour prévenir et faire voir la part qu'il continue à prendre pour M. de Cambray. Le Pape l'a expliqué lui-même ainsi, quand on lui a dit la diligence de M. de Cambray. Je ne puis vous dire précisément ce qui s'y est passé et la manière dont les cardinaux ont parlé : ils y étaient seuls avec l'assesseur et le commissaire. Je vis hier l'assesseur et le commissaire, qui m'ont dit seulement que Sa Sainteté ayant extrêmement pressé les cardinaux de finir et de prendre les moyens les plus prompts et les plus efficaces pour parvenir à une bonne fin, et voir ce qu'il convenait de faire dans la situation des affaires et la circonstance de la division des qualificateurs, ( ce qui n'est jamais arrivé sur une matière de cette nature : et aussi en quoi on a vu plus visiblement la puissance de la cabale, qui en faisant ajouter trois nouveaux qualificateurs aux anciens, a fait devenir ce nombre pair, et n'a fait que donner trois voix de plus en faveur de M. de Cambray) ; que MM. les cardinaux avaient résolu

 

(a) Revue et complétée sur l'original.

 

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de ne point redonner l'affaire à examiner aux nouveaux qualificateurs, mais d'examiner eux-mêmes les vœux déjà donnés, et les écritures de part et d'autre, et de former ainsi leur vœu ; que pour y parvenir et faire quelque chose de solide, il leur fallait nécessairement quelque temps, d'autant plus qu'il n'y avait pas un seul des mêmes cardinaux qui, outre la congrégation du saint Office le mercredi, n'eût encore la semaine trois congrégations à assister ; qu'ainsi ils croyaient que le mois d'octobre devait être employé à cette étude, après lequel terme Sa Sainteté ferait commencer les congrégations pour finir. Voilà ce qui a été résolu, et de quoi ils rendront compte jeudi prochain au Pape, dans la dernière congrégation qui se tient au saint Office, jusqu'à la Toussaint. Voilà aussi ce qui ne nous étonne pas, car cela me paraît juste. Il est vrai que les cardinaux n'ont pas encore les vœux des qualificateurs au net; la relation de ces qualificateurs, dont les uns disent blanc et les autres noir, sont la cause de tout cet embarras, aussi bien que la manière avec laquelle les propositions se trouvent fabriquées. Moi, je trouve que ce mois qu'ils ont pris pour former leur vœu marque qu'ils veulent bien faire, puisque par là ils s'ôtent toute excuse s'ils ne font pas bien; et aussi je ne doute pas que ce ne soit l'intention du Pape et des cardinaux de faire quelque chose d'honorable pour le saint Siège dans les circonstances présentes ; depuis quatre mois je ne fais moi et mes amis que prêcher cet évangile, et faire voir la nécessité d'une bonne décision : c'est précisément cela qui met le parti de M. de Cambray au désespoir, qui ne laisse pas d'espérer encore par leurs protecteurs qu'on sauvera l'honneur de M. de Cambray ; c'est à quoi il n'y a pas lieu de douter, que les protecteurs ne travaillent puissamment. Je sais que le cardinal de Bouillon a fait proposer, il y a plus d'un mois, qu'on pouvait défendre le livre; mais pour les propositions, qu'elles devaient être mitiùs explicandœ. On a rejeté cet expédient. Le cardinal de Bouillon ne laisse pas d'espérer encore qu'on pourra y revenir encore. D'autres moins favorables à M. de Cambray, disent qu'on pourra condamner les propositions, mais sans dire qu'elles sont de M. de Cambray : qu'importe, pourvu qu'on dise qu'elles sont tirées du

 

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livre des Maximes des Saints qu'on sait être de lui ? et il est impossible qu'on puisse se dispenser de nommer le livre, puisque c'est de ce livre dont il est question. Ce qui est de bien certain, c'est qu'à la sollicitation de M. le cardinal, de Bouillon, on épargnera le plus qu'on pourra M. de Cambray, si M. le nonce n'écrit précisément que le plus grand mal pour la France, le plus grand déplaisir qu'on pût donner au roi et la plus grande honte pour le saint Siège serait de biaiser en une affaire comme celle-là, sur un livre aussi mauvais, sur lequel l'auteur s'est tant et tant expliqué, que tout le monde a entre les mains, après un si long examen, et qu'il ne convient point au saint Siège de laisser à M. de Cambray d'autre ressource que celle qu'il peut trouver dans une entière soumission ; et qu'il ne faut pas douter que si on lui donne le moindre prétexte de s'excuser, qu'il ne fasse tomber l'excuse sur la doctrine de son livre, qu'on n'aura pas, dira-t-il, trouvée condamnable ; et que ce sera à recommencer. Mais la raison qui doit faire céder toute considération, c'est qu'il s'agit de déraciner une erreur capitale, dont les conséquences sont encore plus pernicieuses que les principes, et qu'on ne doit pas laisser entrevoir que jamais l'Eglise puisse favoriser les errants et ceux qui veulent introduire des doctrines nouvelles et pernicieuses.

Vous ne sauriez vous imaginer, Monseigneur, de quelle conséquence il est que M. le nonce déduise toutes ses raisons; on lit ses lettres au saint Office, et elles font toutes effet. Je sais qu'il y a deux cardinaux du saint Office, il n'y a pas huit jours, qui ont dit à une personne qui leur demandait comment écrivait M. le nonce sur cette affaire, des intentions du roi, que les lettres de M. le nonce n'étaient pas uniformes, et cela sur ce qu'il écrit quelquefois que le roi ne prétend pas être juge de cette affaire, qu'il la remet au saint Siège, et qu'il presse une fin. Ils ne songent pas que M. le nonce doit toujours parler ainsi ; et s'est expliqué cent fois des intentions du roi et du clergé à l'égard de cette doctrine et de la personne. Mais on prend plaisir à expliquer tout malicieusement. On sait bien d'où cela vient. Pour moi, c'est une chose étonnante qu'il se trouve dans cette Congrégation des

 

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cardinaux qui depuis un an n'entend parler d'autre chose que des intentions du roi sur cette affaire, et par les lettres du roi même et de M. le nonce; une Congrégation qui voit les actions suivre les paroles, qui yoit un ambassadeur nommé dans ces circonstances, etc. ; et néanmoins auprès de qui il reste quelque doute de ce que souhaite le roi : ajoutez une Congrégation où se trouve un ministre du roi, n'est-ce pas une démonstration que ce ministre brouille tout, mais, dis-je, une démonstration? Tout le monde est persuadé et que le cardinal de Bouillon est fou et fait au pis. Cela est incompréhensible par rapport au roi; mais cela est vrai et trop vrai. Il faut rendre justice à M. le nonce qu'il fait tout de son mieux, mais il faut qu'il achève en faisant voir le décri de la personne de M. de Cambray, surtout depuis ses Réponses à vous et à M. de Meaux, la fermeté du roi, l'union du clergé de France et des théologiens, et qu'il y va de l'honneur du saint Siège. Je sais que le prince Vaïni lui a écrit en ce sens. Il ne faut, Monseigneur, rien oublier, et ne pas perdre un moment de temps ; car ce sera dans ce mois-ci que les cardinaux se détermineront. Vous aurez vu par mes lettres depuis six semaines, que j'ai toujours pensé et parlé de même, et j'attends par les prochains courriers quelques efforts encore de la part de M. le nonce et du roi.

Je vis hier M. le cardinal Casanate, qui sans s'expliquer précisément , me fit entendre qu'il était plus que jamais persuadé que M. le cardinal de Bouillon favorise M. de Cambray, et qu'il témoigne toujours avoir pour lui une estime infinie. L'autre jour à moi-même il disait, qu'il était fâcheux de voir de grands hommes ainsi se déchirer, je lui dis que je ne savais pas si M. de Cambray était un grand homme, mais qu'il était un grand menteur. Encore un coup, Monseigneur, le roi ne peut-il pas, et j'oserais dire, ne doit-il pas empêcher M. le cardinal de Bouillon de voter? Il est question de la plus importante affaire qu'ait jamais eue l'Eglise, du repos ou du trouble de son royaume. Je crois qu'on est obligé en conscience de lui représenter le danger de l'Eglise dans cette occasion ; et quoique j'aie bonne espérance, je crois qu'on est obligé d'aller au plus sûr.

 

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M. le cardinal de Bouillon et les Jésuites se sont emportés ici scandaleusement contre le P. de la Rue (a), disant que c'était un téméraire d'avoir osé avant la décision de Rome parler en public contre un si grand archevêque.

Je n'ai point reçu, Monseigneur, de lettre de vous depuis trois ordinaires. Le P. Roslet m'a fait part de celles qu'il a eues.

Il est de la dernière conséquence que le roi témoigne à M. le nonce l'indignation qu'il a contre M. de Cambray sur ses dernières réponses, aussi impudentes qu'artificieuses. On vient de me dire qu'il venait d'arriver à M. de Chanterac des lettres nouvelles de M. de Cambray contre M. de Meaux, et que dans huit jours on verra la réponse à M. de Chartres. C'est là où il faut qu'il emploie la subtilité de son esprit pour faire son argumentum ad hominem.

On prétend que M. le cardinal de Bouillon a dit qu'on ne pourra pas refuser à M. de Cambray un délai, quand il le demandera pour répondre à ce qu'on écrira contre lui. Il ne faut pas manquer de couper court à cela auprès de M. le nonce, comme je tâcherai de faire ici.

Le Pape s'est expliqué à doux ou trois personnes depuis huit jours, qu'il était persuadé plus que jamais de la mauvaise doctrine du livre.

Je ne doute pas que M. le cardinal de Bouillon ne fasse une belle relation de ce qu'il aura dit ; mais si elle est favorable aux évêques, il faut compter qu'elle est fausse. Il fait tout ce qu'il peut pour trouver à redire à ce que j'ai dit au Pape, qu'il ne fallait pas perdre de temps, mais qu'il ne fallait rien précipiter. Ce que je sais, c'est que cela a fait un bon effet, et a été approuvé de tout le monde, et a donné à cette Cour une idée de la prudence et modération des évêques, qu'on avait pris plaisir à représenter comme menaçant Rome, et ne songeant qu'à arracher une décision précipitée sur les instances du roi. Cela faisait ici un très-mauvais effet ; mais on est bien revenu à présent.

 

(a) Il avait parlé en chaire contre le livre de M. de Cambray.

 

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LETTRE CCCLII. L'ABBÉ BOSSUET A   SON  ONCLE. Rome, ce 30 septembre 1698.

 

Vous devez recevoir, par la voie de M. le nonce une lettre de moi, datée d'hier. Elle est courte, et vous renvoie à une plus longue que j'ai écrite à M. de Paris ; je le prie de vous en faire part. Le courrier qui devait partir la nuit dernière, ne part que la nuit prochaine : ainsi j'espère trouver quelque invention pour vous faire tenir encore cette lettre par le courrier extraordinaire de M. de Torci, ou bien par le courrier ordinaire qui part aussi ; ce sera mon pis aller.

Jeudi, 25 de ce mois, les qualificateurs finirent leur rapport devant le Pape ; et en même temps Sa Sainteté ordonna à MM. les cardinaux de s'assembler le lendemain, vendredi, à la Minerve, pour délibérer sopra il modo di procedere. Cela fut exécuté ; mais on remarqua fort que le cardinal de Bouillon y arriva une heure avant les autres cardinaux : le Pape a dit que c'était pour brouiller.

J'ai vu l'assesseur et le commissaire du saint Office, qui seuls assistaient à cette congrégation avec les cardinaux. Ils ne m'ont dit autre chose, sinon que les cardinaux avaient résolu de prendre le mois d'octobre pour étudier la matière, et former leur voeu sur les propositions ; qu'ils n'avaient pas voulu qu'on nommât d'autres théologiens, ni même prendre l'avis des consulteurs, de peur d'un nouvel embarras ; que leur intention était de se décider par eux-mêmes, et d'être prêts à parler devant le Pape au mois de novembre. La division des examinateurs cause tout l'embarras , aussi bien que la construction des propositions qu'il faudra mieux arranger.

On doit jeudi rendre compte au Pape de la résolution des cardinaux. Il n'y a pas d'apparence qu'avant ce temps le cardinal de Bouillon aille à Frescati : il voudra être présent à tout ce qui se

 

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fera et se dira, pour prendre ses mesures et tenir les esprits en respect. Personne ne doute de sa partialité pour M. de Cambray, et tout le monde est étonné qu'il ait osé donner des interprétations aussi fausses aux lettres du nonce, pour faire croire que le roi s'embarrasse peu du fond de la décision, et ne veut autre chose sinon qu'on finisse. Voilà ce qu'ont dit deux cardinaux du saint Office ; c'est pourquoi il faut que le nonce s'explique clairement, et marque les vraies intentions de Sa Majesté, des évêques de France, de tous les théologiens ; qu'il insiste sur le mépris où Rome tomberait, si l'on voulait épargner M. de Cambray. Toute la ressource qu'on doit ménager à M. de Cambray, c'est d'avouer ses erreurs et de se soumettre.

J'ai reçu réponse de M. l'ambassadeur à la lettre instructive que je lui avais écrite. On ne peut pas écrire plus honnêtement qu'il le fait pour vous et pour moi touchant cette affaire. Il me marque qu'il s'en expliquera plus précisément avec vous. Le point est de faire entendre ici qu'il ne doit être question d'user envers M. de Cambray d'aucun ménagement préjudiciable aux intérêts de la vérité.

Je ne sais si moi ou M. Phelippeaux vous avons mandé que l'année dernière le cardinal de Bouillon avait empêché la censure de la lettre de Malaval, quoique les qualificateurs l'eussent condamnée ; et son prétexte fut qu'ils n'entendaient pas assez le français. Ces deux qualificateurs étaient Granelli et Le Mire.

Je puis me tromper, mais je crois fermement qu'on doit empêcher le cardinal de Bouillon de voter, et que le roi est obligé en conscience de le faire. Il n'y a que lui à craindre, il fera sous main ce qu'il voudra; j'espère qu'il ne sera pas le maître.

J'ai vu le cardinal Noris, et lui ai lu l'article de votre lettre qui le regarde. Il vous fait mille compliments. Il m'a assuré n'avoir aucune difficulté sur la doctrine : s'il pouvait en avoir quelqu'une, ce ne serait que sur le sens de l'auteur, qui a cherché en quelques endroits à se cacher. Nous parlâmes assez longtemps des actes commandés par la charité : il convint avec moi de tous vos principes.

Au reste un pauvre prêtre de Moulins m'a prié de vouloir bien

 

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vous écrire, pour vous engager à parler en sa faveur à son évêque, qui est M. d'Autun, à qui vous l'avez déjà recommandé, comme je l'ai vu dans un placet signé de vous, que j'ai entre les mains. L'officiai d'Autun, à qui M. l'évêque l'avait renvoyé, n'a pas voulu faire ce qu'il fallait ; et il est venu une seconde fois à Rome, d'où on le renvoie encore à son évêque. Je crois qu'il manquait quelque chose à son ordination, et comme il était de la religion de Malthe, je pense que par ignorance on l'avait ordonné prêtre sans dimissoire de son évêque. Un chevalier de Malthe doit vous informer plus amplement de cette affaire. Ce pauvre prêtre s'appelle Gilbert de Clermont, et il paraît un fort bon homme, digne de compassion.

On m'a assuré que le cardinal de Bouillon a proposé de décerner une prohibition du livre à cause des conséquences ; mais que pour les propositions, elles doivent être interprétées favorablement, mitiùs interpretandœ. On assure aussi qu'il a dit qu'on ne pourrait pas refuser à M. de Cambray quelque délai, s'il le demandait, pour pouvoir répondre en cas que l'on écrivît quelque chose contre lui. Il faut prévenir tous ces mauvais desseins. Cette Cour n'aura plus à présent de prétexte pour différer, quand le mois que les cardinaux ont pris pour étudier sera fini. Ainsi il faut que le roi presse plus que jamais, pour empêcher qu'on ait égard aux chicanes de M. de Cambray.

Le Pape a dit à M. le cardinal de Bouillon qu'il avait été cause de l'adjonction des trois qualificateurs, et par là de la division : qu'il s'imaginait que le roi ne le savait pas ; mais que le roi était informé de tout, et qu'il lui savait très-mauvais gré de sa conduite.

Je puis assurer que le Pape est toujours bien disposé, et qu'il prendra un bon parti si l'on ne gâte rien. J'y aurai l'œil; et presque toutes les semaines je trouverai quelque occasion de l'entretenir et de lui parler fortement. Il a témoigné à plusieurs personnes être très-content du dernier entretien que j'ai eu avec lui, et plus résolu que jamais de faire une bonne décision.

M. Giori a bien compris que j'avais toujours agi sur les mêmes principes et pour les mêmes fins : je suis fort bien avec lui. Il

 

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faut le connaître et aver flemma. M. le cardinal de Janson le connaît bien.

Enfin les partisans de Sfondrate ont fait imprimer une défense de sa doctrine, composée par le P. Gabrieli, examinateur et défenseur du livre de M. de Cambray. J'ai cet écrit entre les mains, mais il n'est pas à moi : je ne veux pourtant pas le rendre que je ne sache qu'on en a envoyé un autre exemplaire à M. de Reims. On m'en a promis un pour lui, que je mettrai entre les mains du P. Estiennot. C'est le P. Massoulié qui nous le donnera; il l'aura du maître du sacré Palais. Le titre est : Dispunctio notarum XL, quas scriptor anonymus eminentissimi cardinalis Cœlestini Sfondrati libro, cui titulus : Nodus praedestinationis, quantum homini licet, dissolutus, inussit. Coloniœ Agrippinœ, apud Flaminium Jepcopinceh. Anno M. DC. XCVIII.

Le style en est très-dur, très-pesant ; et toutes les autorités un peu considérables qu'on cite en faveur du cardinal, sont tirées d'auteurs nouveaux et inconnus, qui n'ont aucun nom dans l'Eglise. Il est comme certain que ce livre est imprimé à Rome sous les yeux de Fabroni et des Jésuites, qui ne le donnent qu'en cachette à leurs confidents, et qui par là prétendent prévenir les esprits. On commence néanmoins ici à songer à y répondre : je ferai en sorte qu'on y travaille sans bruit, pour ne point exciter de nouveaux mécontentements contre les évêques de France, qu'à ce sujet on a rendus odieux au Pape tant qu'on a pu. Il faut attendre la fin de notre affaire, avant de parler de l'autre. On a dit au Pape ce qu'il faut sur cet article ; et il est bien revenu des impressions que les Jésuites et le cardinal de Bouillon lui avaient données. J'ai arrêté tous ceux qui voulaient demander ici prompte justice contre Sfondrate : je leur ai fait voir qu'ils ne pou voient à présent espérer aucun secours du côté de la France, que leurs démarches ne serviraient qu'à embrouiller l'affaire de M. de Cambray. On m'a promis qu'on ne ferait rien que de concert. Néanmoins il est bon de tenir des armes toutes prêtes, pour agir quand il sera temps. Il serait à propos de faire article par article, une courte réponse à ce nouveau livre, qu'on vante ici extrêmement,

 

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cela sera très-aisé. Je n'ai eu que le temps de le parcourir.

Il n'y a pas désormais un moment à perdre, si on veut ne rien laisser ignorer à cette Cour : on ne peut trop promptement m'i-former de tout ce qu'il serait important que je susse.

On dit que le sacriste a avoué dans son vœu qu'il fallait ôter du livre de M. de Cambray plusieurs choses, et en ajouter d'autres pour l'éclaircir. Avec cette méthode les livres de Molinos et de Madame Guyon deviendraient excellents.

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