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LETTRE CDLIX. L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE (a). A Rome, ce 17 mars 1699.

 

Plus j'approfondis tout ce qui s'est passé, plus je reconnais manifestement le doigt de Dieu dans la décision de l'affaire de M. de Cambray. Outre le cardinal de Bouillon, qu'on peut dire, sans blesser en rien la vérité, qu'il s'était fait de cette affaire son affaire propre, ou pour mieux dire, qui n'en avait point d'autre depuis la grâce de sa coadjutorerie (b) obtenue; et qu'il a employé en faveur de M. de Cambray tout le crédit, toute l'autorité que lui donnaient ici d'être sous-doyen du sacré Collège, cardinal du saint Office, et ministre d'un aussi grand roi, sans ménagement, sans retenue, sans aucun égard. Ordre le corps des Jésuites qui n'a jamais paru plus uni avec son général qu'en cette occasion, et ni plus ouvertement déclaré, et contre les évêques de France, et en faveur de M. de Cambray et de la doctrine de l'amour pur ; outre tous les cinq qualificateurs favorables et gagnés par les amis de M. de Cambray, qui entraînaient une infinité de disciples et de protecteurs dans la prélature et le sacré Collège; outre tout ce qui approche de plus près la personne du Pape, et en qui Sa Sainteté a le plus de confiance, qui était vendu au cardinal de Bouillon et aux Jésuites et à M. de Cambray : Dieu avait permis que la personne même du Pape, malgré tout ce qui venait de la part du roi et du nonce, malgré ses bonnes intentions, fût tellement prévenue et contre les évêques, et en faveur de M. de Cambray, que j'ose dire que c'est un miracle qu'on l'ait pu résoudre à ce qu'il a fait.

Cette prévention terrible du Pape, je l'avoue, ne m'a paru clairement que dans les derniers temps : mais j'ai reconnu

(a) Revue et complétée sur l'original. — (b) Le cardinal de Bouillon, non-seulement était abbé de Cluny, mais il en avait obtenu la coadjutorerie pour son neveu.

 

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très-certainement que c'était le fondement des espérances du cardinal de Bouillon et de M. de Cambray, et que l'instrument de cette machine était le cardinal Albani, avec qui cette Eminence avait formé son union à son arrivée, et l'entêtement par l'entremise de Zeccadoro, qui a toujours eu le secret de l'un et de l'autre. Fabroni, l'intime ami du cardinal Albani et à qui le Pape se fie fort, confirmait le soir le saint Père dans ce qu'Albani lui insinuait le matin. Il n'a pas fallu moins que les coups de foudre qui sont venus de France pour réveiller quelquefois le Pape, qui, au bout de quelques jours, retombait dans ses premières préventions et dans la résolution fixe de sauver la réputation de M. de Cambray, sa personne, et de l'épargner en tout. Cela n'a paru que trop visiblement les trois dernières semaines. Je vous ai tout mandé et à M. de Paris, et tout ce que je vous ai fait savoir est la vérité même, et je ne vous ai pas encore dit tout. Car je sais depuis, par la bouche de quatre cardinaux, qui ont voulu s'excuser à moi de n'avoir pas mis la qualification d'hérétique, et qui m'ont dit que le Pape le leur avait fait dire, et qu'il ne voulait pas qu'on la mît, et qu'il ne la passerait jamais. Outre le cardinal Casanate, et Marescotli, et Carpegna, Noris m'a dit avant-hier que le Pape le lui avait et envoyé dire, et dit à lui-même, aussi bien qu'aux cardinaux Albani et Ferrari. Il est difficile d'aller plus loin, et cela n'est que trop vrai. Sans cela et malgré toute la cabale, M. de Cambray aurait été traité ni plus ni moins que Molinos, et avec d'autant plus de justice, comme me l'ont dit les cardinaux ci-dessus nommés, que sa doctrine étant la même dans le fond, elle n'en était que plus pernicieuse pour être déguisée et masquée, et lui plus inexcusable d'avoir écrit après Molinos condamné, et d'avoir écrit avec tant d'artifice. Sans compter que la proposition de l'involontaire étant mise comme de lui, et la congrégation ayant jugé ses excuses frivoles, la note d'hérétique devait être indubitable. Le Pape lui-même, pour toute excuse, sait bien dire que la Sorbonne ne l'a pas mise. C'est ce que le cardinal Albani lui a mis dans la tête. Les autres cardinaux croyaient que c'était précisément à cause de cela qu'il fallait que le saint Siège la mît. Mais, en un mot, le Pape a voulu qu'on allât, dit-il, in mitiorem;

 

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et les amis de la vérité, qui voyaient tout à craindre des préventions du saint Père et des artifices et de la rage de la cabale, ont eux-mêmes cédé sur cet article, pour ne pas hasarder l'essentiel qu'ils avaient emporté. Il faut avouer que l'essentiel y est ; et que quoique M. de Cambray y soit traité doucement, néanmoins sa condamnation est forte. On a obtenu les points essentiels : ses principales propositions sont condamnées et exprimées clairement, le système est renversé de fond en comble, l'amour pur y est nommé et condamné. Quoiqu'on n'ait pas parlé des explications et des livres faits en défense, de peur de donner prétexte à quelque nouveau retardement et à quelques chicanes, ce qu'on a mis sive in sensu obvio, sive attenta connexione sententiarum, qui est pris, comme vous voyez, de la bulle contre Eckard, renverse toutes les explications, prévient tous les faux-fuyants, et met à couvert les expressions des bons mystiques, sans approuver leurs exagérations. M. de Cambray ne peut plus dire qu'on n'a eu attention qu'à son livre sans rapport aux explications. Car outre qu'il est certain qu'on les a toutes examinées à fond, et reçu toutes ses défenses qu'on lui a demandées, et qui ont servi de prétexte à différer l'examen dans les commencements, et que c'est sur le fondement de ses explications que l'on a inventé tant de chicanes en sa faveur pour sauver sa doctrine et ses propositions : c'est que malgré tout cela l'on condamne ses propositions, non-seulement in sensu obvio, mais encore par rapport à ce qui précède et ce qui suit, par rapport à tout le système qui était la seule échappatoire de M. de Cambray, comme on le voit dans toutes ses défenses.

Ainsi on juge que ses explications ne sont pas recevables, ne conviennent pas au texte de son livre. A la vérité on ne déclare pas qu'elles soient méchantes en soi, parce que l'on n'est pas interrogé juridiquement là-dessus, mais par rapport au livre : c'est une conséquence nécessaire qu'on tire de la condamnation de la doctrine et des propositions et in sensu obvio et attentâ, etc. De plus l’interesse proprium exprimé dans les propositions, et les propositions condamnées, marquent clairement qu'on a rejeté sa prétendue explication et de l'amour naturel et de la mercénarité ; et toutes ses défenses tombent par là. J'avoue que c'est ce qui m'a

 

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paru le mieux dans cette constitution, et ce qui va au-devant de tout par rapport aux mystiques et par rapport aux chicanes dont M. de Cambray est si fécond.

On pourra, quand on voudra, en venir sans nouvel examen à la prohibition de toutes ses défenses. Je vous dirai les pas que j'ai déjà faits là-dessus ; mais il faut avoir patience, et il faudra bien qu'on y vienne. Le grand coup est donné.

Avant que de finir ma lettre, je dirai encore un mot sur cet article.

Je ne crois pas avoir le temps dans cette lettre de faire des réflexions sur les propositions en particulier. Vous verrez bien quelques propositions oubliées ; et ça été un coup des députés, avant que le cardinal Casanate fût admis. Et il faut encore que je vous répète franchement qu'ils avaient tout gâté : ils marquaient qu'on n'avait pas examiné les explications, non examinatis nec improbatis explicationibus ; sur quoi insistait fortement le cardinal Albani, en conséquence de son vœu et de celui du cardinal de Bouillon, pour donner lieu à la distinction des sens. On ne nommait pas M. de Cambray ; il paraissait qu'on avait peur de lui. Sur sa proposition de l'involontaire, ou on la retranchait, ou on mettait par apostille : Quam auctor non agnoscit suam; en un mot, on énervait tout. On avait encore retranché quelques propositions sur le propre effort, sur la contemplation, etc. Cela était déjà envoyé per manus à MM. les cardinaux, dès le vendredi au soir 27 de février, sans participation du cardinal Casanate qui n'avait pas été appelé. Le samedi le Pape croyant la chose faite, ordonna une congrégation chez le cardinal Casanate par complaisance, et ce fut dans cette congrégation que tout fut rétabli ; au moins le cardinal Albani céda une partie, et on dit qu'on s'en rapporterait à la congrégation sur le reste, laquelle le mardi d'après confirma ce que le cardinal Casanate avait rétabli. On ne voulut pas trop insister sur les propositions retranchées, premièrement parce que les trois premiers députés insistèrent et firent des chicanes : en second lieu, parce qu'elles sont virtuellement renfermées dans celles qui sont exprimées, et qu'à la fin on fit ajouter : Sans approbation des autres non exprimées ; ce qui

 

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donne lieu de réprouver toutes les autres propositions qu'on jugera à propos, et entre autres les propositions que les évêques ont réprouvées, et que les cardinaux n'ont pas qualifiées, n'étant pas dans le nombre des trente-huit et étant comme étrangères au système.

La qualification d’ hœresi proxima a été encore épargnée par expresse volonté du Pape. Le cardinal Albani qui tortille toujours, a mis ce que vous voyez : Ex cujus lectione et usu, fidèles sensim in errores ab Ecclesia jam damnatos INDUCI FUSSENT. On voulait qu'il mît que les propositions inducunt in errores ; mais lui, voulant affaiblir, l'a fait tomber sur la lecture et l'usage du livre, et a encore mis sensim et induci possent, tous termes affaiblissant. Il a fallu lui passer cela, pour obtenir l'essentiel. Voilà le malheur que ce n'ait pas été le cardinal Casanate qui en ait été chargé, comme on le devait. On aurait vu comme cette constitution aurait été dressée ; le cardinal m'avait dit ce projet. Il aurait commencé, sans parler du roi ni des évêques, puisqu'on ne le voulait pas, à parler des maux que la pernicieuse doctrine du quiétisme avait causés dans le monde, et serait tombé à propos de cela sur le bruit causé par le livre de M. de Cambray : puis on aurait couché les propositions auxquelles on aurait donné ou les qualifications particulières, ce qui était difficile dans les circonstances présentes, ou bien, comme je vous l'ai marqué par mes précédentes, on aurait mis quas quidem propositiones, etc., et on aurait condamné et défendu tout de suite les livres faits en conséquence. Peut-être aurait-on pris occasion de faire une admonition, dans le sens de ce que vous m'envoyâtes sur la lecture des mystiques. Mais on a fait ceci le plus hors de l'ordre qu'on a pu, et le plus mince.

Mais ce qui marque le plus les longues vues de la cabale et de son industrie, c'est d'avoir fait faire cette constitution par un bref, et non par une bulle comme le roi l'avait demandé expressément, et donné ordre de la demander à M. le cardinal de Bouillon, comme le nonce l'avait promis à Sa Majesté de la part du Pape, comme Sa Sainteté me l'avait dit vingt fois, comme elle s'est imaginé l'avoir fait, comme je Pavais expliqué plusieurs fois à M. le

 

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cardinal Albani, il n'y a pas encore dix jours. Mais on en voit bien à présent les raisons. En premier lieu, on a toujours fait entendre au Pape que ce serait un affront au cardinal Albani, que de ne lui pas faire étendre une bulle que c'était sa charge de faire, (néanmoins si c'était une bulle en forme, cela n'appartenait pas de droit au cardinal Albani qui n'est chargé que des brefs ). Mais si l'on avait fait apercevoir le Pape de cette différence, on n'aurait pas eu tant de sujet de se récrier qu'on en eût chargé, un autre. En second lieu les amis de M. de Cambray ne sont pas fâchés qu'on trouve quelque difficulté en France d'autoriser cette pièce, et qu'elle fût le moins authentique qu'il sera possible. Peut-être encore entendent-ils quelque finesse par rapport à M. de Cambray qui voudra faire sa soumission, s'il en fait, d'une manière extraordinaire, et peut-être rien par rapport à ses confrères. Ce qui paraît certain, c'est que cela a été machiné exprès ; et je ne vois pas comme M. le cardinal de Bouillon se peut excuser. Le motu proprio, qui est essentiel au bref, ne manquera pas assurément de faire difficulté avec fondement. Le roi et les évêques savent ce qu'ils ont à faire en pareil cas, et ne feront rien assurément que de bien. S'il m'est permis de dire ce que je pense, il me paraît qu'on peut faire deux réflexions. Premièrement, ou l'on jugera à propos de s'en tenir à ce bref, et ne rien demander ici de plus, ou bien on croira nécessaire de faire instances pour faire changer le bref en bulle.

Si l'on s'en tient au dernier parti, je puis déjà vous dire que je vois ici les principaux cardinaux disposés à donner là-dessus satisfaction au roi et aux évêques. J'ai cru qu'il était à propos de prévenir là-dessus et le cardinal Spada, et le cardinal Casanate, et le cardinal Noris et même le cardinal Albani. Je leur ai dit doucement les difficultés, l'étonnement peut-être où le roi serait de ne voir qu'un bref motu proprio, quand il attendait une bulle en forme, comme celle de Jansénius. Ils ont fort bien compris mes raisons, m'ont dit que la moindre parole qu'en eût dite M. le cardinal de Bouillon, qu'on l'aurait exécuté sans difficulté. Tout ce que je leur ai dit leur a paru nouveau, hors au cardinal Albani, à qui j'avais expliqué la chose plusieurs fois ; et tous sont

 

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convenus qu'aux premières instances du roi le Pape ne pourrait pas lui refuser sa juste demande, et on pourra adresser la bulle, pour les besoins particuliers de la France, ad Episcopos Galliœ, avec quelque préambule ; ou bien tout simplement mettre : lnnocentius, servus servorum Dei, et ôter motu proprio.

J'ai déjà proposé au cardinal Albani pour modèle d'une bulle telle qu'il faudrait, la bulle de Benoît XII sur la matière de la vision de Dieu : il y a nettement ex consilio fratrum cardinalium, qui n'est pas dans la bulle d'Innocent X, mais cela n'importe. Il me paraît qu'on ne fait aucune difficulté de cela. J'ai cru devoir, sans rien assurer, sans dire qu'on fût content ou non de la forme du bref en France; j'ai cru, dis-je, devoir faire entrevoir les difficultés, afin qu'on ne fût pas étonné de ce qu'on pourrait écrire de France si on jugeait à propos de les faire, et encore pour pouvoir vous dire par avance les dispositions de cette Cour et des cardinaux sur cela. En vérité c'est une belle malice au cardinal de Bouillon et au cardinal Albani. Pour moi je ne l'ai pu empêcher, à cause de la précipitation plus qu'étonnante avec laquelle ce bref a passé per manus ; les cardinaux ne l'ayant pas eu à la lettre une demi-heure avant la congrégation ; et tout ce que j'ai pu faire a été d'avertir de tout le cardinal Albani et le cardinal Casanate, qui fit ôter l'inquisition, le cardinal de Bouillon parti, comme me l'a dit ce matin encore le cardinal Albani.

Supposé que l'on juge à propos de s'en tenir à ce bref, ce que je ne crois pas, pouvant avoir une bulle, je suis assuré que les évêques ne feront rien de préjudiciable aux coutumes du royaume ; et s'ils font quelque chose, qu'ils le feront avec respect pour le saint Siège, avec dignité; mais qu'on n'ait pas à leur reprocher de la faiblesse et une trop grande condescendance pour cette Cour, qui ne cherche en tout que ses avantages, et à profiter des occasions d'établir son autorité prétendue (a). Je ne doute pas que les évêques ne se montrent véritablement évêques, et soutiennent leur dignité et leur autorité, qui les rend respectables ici.

 

(a) Nous ne réfutons pas ces sortes d'accusations, parce qu'on sait qui es profère.

 

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Il est temps de vous rendre compte de l'audience que j'eus de Sa Sainteté le lendemain que je vous écrivis; ce fut samedi, 14 de ce mois.

On ne peut pas me recevoir avec plus de bonté. Il commença par me dire : Eh bien ! vous aviez peur que nous ne fissions pas bien; mais je crois que vous êtes content. Sur quoi je lui fis voir que ce n'était pas sans fondement que j'avais eu peur : je pris occasion de là de lui parler de la furieuse cabale qui l'environnait, de faire tomber tout le bon succès sur lui et la bonne fin de cette affaire à l'inspiration particulière du Saint-Esprit, qui l'avait illuminé. Je tâchai de lui faire faire toutes les réflexions convenables sur les surprises qu'on lui avait voulu faire, et le faire convenir qu'on ne l'avait jamais tant tourmenté. Il avoua bonnement qu'il n'avait jamais été en de pareilles angoisses : Questi mistici, qnesti mistici mi dicevano che non si poteva condannare le proposizioni dell' Arcivescovo senza condannare santa Teresa (a). Là-dessus je pris la liberté de lui demandera qui l'Eglise avait le plus d'obligations et qui faisaient plus d'honneur aux Saints, ou bien ceux qui confondaient sainte Thérèse et sa doctrine avec celle de M. de Cambray, et qui disaient qu'on ne pouvait condamner l'une sans l'autre; ou bien les évêques, et vous en particulier, qui souteniez que la doctrine des saints mystiques était toute opposée à la pernicieuse doctrine de M. de Cambray. Il me répondit que j'avais raison. Après plusieurs réflexions pareilles, il me demanda si je croyais que M. de Cambray se soumît. Je lui répondis que je n'en doutais pas un seul moment, non-seulement à cause des protestations qu'il a faites, mais encore à cause qu'il n'y avait plus rien à espérer pour lui que par cette voie. Là-dessus il me dit que le roi lui ferait bien faire ce qu'il fallait. Sa Sainteté me fit la grâce de me dire après cela qu'elle ne doutait pas que les évêques n'agissent avec douceur à l'égard de M. de Cambray. Je pris la liberté de lui dire qu'il me paraissait que la première chose qu'on devait faire, était d'attendre ce que M. de Cambray ferait; et qu'au cas que M. de Cambray

 

(a)  « Ces mystiques, ces mystiques me disaient qu'on ne pouvait condamner les propositions de l'archevêque sans condamner sainte Thérèse. »

 

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reconnût avec une soumission parfaite et humblement ses erreurs, et contentât le saint Siège et l'Eglise, que je pou vois répondre non-seulement de la douceur des évêques, mais encore de leur véritable joie ; et qu'en particulier vous lui ouvririez vos entrailles de père, que vous aviez toujours eues pour lui; que vous n'en aviez jamais voulu qu'à l'erreur, et n'étiez entré sur les faits que forcé et pour vous justifier et faire connaître la vérité et démasquer l'erreur. Quoique Sa Sainteté me parût assez tranquille, je ne laissai pas de remarquer qu'on lui avait fait peur de cet archevêque; sur quoi je le rassurai. Comme aussi sur la cruauté, dit-on, avec laquelle les amis de M. de Cambray prétendent qu'on l'a traité, je lui dis très-librement qu'il n'avait pas à se reprocher de la dureté à l'égard de M. de Cambray; que jamais aucun errant et coupable n'avait été traité dans toute la suite de cette affaire et à la fin avec plus d'égard et de douceur. Je le fis ressouvenir des instances qu'il avait faites, il y a deux ans, avant que l'affaire vînt à Rome, pour qu'elle finît en France; ce que le roi, le nonce, les évêques avaient fait pour cela pendant six mois, employant toutes les voies de douceur sans pouvoir rien obtenir de son obstination. Le Pape fut fort consolé de ces réflexions, et me dit : Il est vrai, c'est lui qui l'a voulu; il a voulu venir ici, il a voulu être condamné ; nous avons fait tout ce que nous avons pu pour lui, mais il est trop opiniâtre. Le bon Pape jetait des larmes de temps en temps, quand il se sentoit soulagé. Il serait trop long de vous dire tout ce qu'il me dit. Je tâchai de n'oublier rien de ce qui le pouvait confirmer et consoler.

Je ne jugeai pas à propos de lui parler ni de l’hérétique, ni du bref: cela viendra dans son temps. De peur que je ne l'oublie, le cardinal Albani m'a voulu défendre le motu proprio, sur ce que M. le cardinal de Bouillon avait souhaité qu'on ne mît point que ce fût à la réquisition des évêques ni du roi. Cela étant, dit-il, il faut bien mettre que c'est motu proprio. Mais la raison ne conclut pas.

Ceux qui ont été les plus faibles dans cette affaire après le cardinal de Bouillon et le cardinal Albani, qui ont toujours été sur les mêmes principes et dans les mêmes vues, ce sont les

 

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cardinaux Ferrari et Noris. Ces deux-là ont fort bien voté sur les propositions, ont foudroyé la doctrine de l'amour pur et le système de M. de Cambray; mais le cardinal Ferrari, tremblant, a suivi sur la fin les impressions du carme, pour empêcher qu'on ne mît dehors les propositions, craignant qu'on ne s'engageât trop à cause des mystiques. Pour le cardinal Noris, apparemment pour entrer dans l'esprit du Pape, et pour ne pas déplaire au cardinal de Bouillon qui se déclarait ouvertement, il était porté à tout adoucir, et parlait de tout avec indifférence. Ces deux se sont montrés vrais frati, le dernier par-dessus le marché Pantalon (a).

Les anciens ont été comme vous avez vu, et ont tous soutenu avec une vigueur incroyable. Je ne vous parle pas de Casanate ; mais Panciatici et Marescotti se sont signalés; Nerli bien, mais comme vous savez; Carpegna toujours rondement, et a l'avantage d'avoir été toujours le premier opposé au cardinal de Bouillon ; Spada doucement, selon son humeur. Ottoboni a réparé à la fin le commencement, et a fort bien fait ; le petit bruit que j'ai fait sur son chapitre, l'a fait apercevoir qu'il avait pris un mauvais parti, et la hauteur du cardinal de Bouillon l'a piqué. Vous en savez à cette heure autant que moi.

Le cardinal Albani s'était toujours flatté qu'en caressant le P. Roslet, et lui faisant de fausses confidences, en disant mille maux du cardinal de Bouillon, il le persuaderait de ses bonnes intentions pour les évêques, et qu'en même temps par ce moyen il nous prendrait pour dupes l'un et l'autre. Il faut avouer qu'il a trompé le P. Roslet; mais pour moi, qui avais suspendu mon jugement à son égard jusqu'à ce que je le visse agir, et qui ai toujours eu mes raisons pour me défier de lui et le croire lié avec le cardinal de Bouillon, comme je vous l'ai toujours dit, il ne m'a pas abusé longtemps. Je me suis aperçu de la fourberie, en ai averti le P. Roslet, qui ne m'a pas cru et ne me croit pas encore, quoique tout le monde lui dise le contraire, et qu'il soit

(a) Pantalon, style familier eu Italie, homme sans caractère et sans conviction, souple et rusé, qui prend toutes les figures et joue tous les rôles pour parvenir à ses fins.

 

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plus que certain qu'il n'a pas tenu à lui qu'on n'ait tout gâté, et qu'en effet le bref a été affaibli par lui comme vous voyez. Il a même poussé l'adoucissement jusque sur le sive in sensu obvio, sive in, etc.; car dans la bulle de Jean XXII, il y a tàm ex... quàm, etc., ce qui est conjonctif ; et le cardinal Casanate insistait qu'on mît et in sensu obvio et attenta connexione sententiarum. Mais il n'y eut pas moyen de le faire parler nettement. Il y a entendu finesse ; mais malgré lui le sive n'est pas mauvais.

Ce qui est de plaisant, c'est que le Pape s'est entendu avec le cardinal Albani pour tromper le pauvre P. Roslet; et qui ne le serait? Le cardinal Albani me craint comme le feu; je ne crains personne, ayant la vérité pour moi.

Au reste le cardinal Casanate et ici les théologiens prétendent que la note d’erronea est plus forte que celle d’hœresi proxima et immédiatement après d’hœretica, étant précise et directe, et d’hœresi proxima indirecte.

C'est à présent aux évêques à voir s'il faut que le roi demande ou dans la bulle (supposé qu'on en fasse instance), ou par un décret postérieur, qu'on condamne et défende les livres faits en défense du livre des Maximes. Je suis persuadé qu'on le doit, et qu'on le fera ici sans nouvel examen; mais il faut que le roi le demande comme chose nécessaire, sans quoi le cardinal de Bouillon empêchera tout. J'ai déjà fait convenir les cardinaux Marescotti, Panciatici, Noris et Casanate, que cela se doit.

Le cardinal de Bouillon a poussé ses espérances et son acharnement à défendre M. de Cambray jusqu'au bout; car dans la dernière congrégation, il interrompit trois fois la lecture du décret; il proposa des adoucissements, que Sa Sainteté ne comprit pas, sur la proposition de l’involontaire ; l'autre sur les explications non examinées. Le Pape ne répondit autre chose sinon avanti, avanti, à celui qui lisait; et les cardinaux tout d'une voix, oibo, oibo, et on passa outre. Le cardinal Casanate mêle dit hier, et en riait encore.

Le cardinal de Bouillon n'a pas jugé à propos de me donner le moindre signe de vie depuis ce temps-là. Il a jugé à propos de faire partir son courrier sans me faire demander si je voulais écrire ;

 

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ce qui me fit résoudre, le voyant parti, de dépêcher le mien six heures après. Je l'ai vu depuis deux fois : il ne m'a pas ouvert la bouche sur M. de Cambray, ni sur cette affaire. Personne n'en oserait parler devant lui. Cela paraît extraordinaire; mais cela est vrai. Ce qu'il dit à présent, c'est que si on l'avait voulu croire, on aurait mieux fait qu'on a fait. Jugez si ç'avait été contre M. de Cambray, et que pensez-vous du décret s'il avait été Pape?

Tout ce qu'il y a à craindre à présent, c'est qu'on ne fasse faire au Pape quelque chose en faveur de M. de Cambray, en lui faisant écrire quelque chose. Je ferai mes diligences là-dessus. Il est bon que le roi s'explique sur cela. Tout est à craindre du cardinal de Bouillon, qui menace toujours qu'on va voir un schisme, et le bon Pape tremble.

Je ne sais ce qu'on fera de M. le cardinal de Bouillon, mais il est bien dangereux de le laisser à Borne par rapport à tout : il ne peut plus faire que du mal. Tout le monde en parle de cette manière, par rapport aux affaires du roi et de la religion.

M. Cliarmot, procureur général des Missions étrangères, a servi la bonne cause avec une fidélité et une fermeté sans exemple. Je vous prie d'en bien rendre témoignage où il faut; c'est un saint prêtre, digne de vénération et de respect.

M. Giori mérite un remerciement pour son zèle et sa vigueur. Les évêques ne doivent pas prodiguer leurs compliments ici; très-peu de gens le méritent. Tout le monde se réjouit avec moi, et moi je me réjouis avec tout le monde comme d'une cause qui m'est commune avec tout le monde chrétien. Je n'ai pas entendu parler des Jésuites depuis longtemps.

La cabale est dans un abattement effroyable : la douleur est peinte sur le visage des amis. M. de Chanterac alla dès vendredi aux pieds de Sa Sainteté, et il pleura à chaudes larmes. Il promet une soumission entière de M. de Cambray; il dit lui avoir écrit ce qu'il fallait là-dessus. Il ne s'attendait pas à ce jugement, et n'en revient pas.

Le cardinal de Bouillon a été très-fâché quand il a su que M. Madot était parti : je ne sais s'il n'écrira pas contre lui à la Cour. J’ai dit ici qu'il ne devait aller que jusqu'à Gênes, d'où il

 

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devait dépêcher un courrier. Vous communiquerez, s'il vous plaît, ma lettre à M. de Paris, à qui je n'écris encore qu'un mot, n'en pouvant plus. Je suppose que lui et vous n'aurez pas manqué de garder toutes mes lettres, qui sont les seuls mémoires qui me resteront de ce qui s'est passé. Ce sont, je puis vous assurer, des mémoires très-fidèles. On attend ici avec impatience M. de Monaco, qui doit arriver avant Pâques.

M. le prince Vaïni va en France : M. le cardinal de Bouillon prétend que c'est sa créature. Je ne sais ce qu'il dira de lui : il sait la vérité ; il ne la dira peut-être pas; mais je ne crois pas aussi qu'il ose le justifier : il prendra, s'il fait bien, le parti du silence, je le lui ai conseillé. Faites-lui bien des amitiés, je vous en prie, et bien des respects à M. le nonce. La petite communauté du P. Estiennot a paru toujours être du bon parti, et lui aussi.

M. Phelippeaux est un peu honteux de son procédé. Je ne fais pas semblant d'être informé de tout ce qui le regarde; et j'irai toujours mon chemin, l'aimant assurément plus qu'il ne m'aime.

Je n'ai pas épargné ma peine pour écrire, ayant cru nécessaire quelquefois de répéter souvent, pour mieux faire connaître un pays éloigné, et n'avoir rien à me reprocher.

Si vous êtes à Meaux, je vous prie d'envoyer ma lettre à M. de Paris.

Je mande à M. de Reims et à M. le cardinal de Janson, que vous les instruirez de tout le détail de la fin de cette affaire.

 

LETTRE CDLX. BOSSUET  A   SON  NEVEU   (a). A Paris, ce 23 mars 1699.

 

C'est vraiment un coup du Ciel que ce qui s'est fait. Les qualifications ne peuvent être plus sages, ni plus fortes, ni mieux

 

(a) Revue sur l'original.

 

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appliquées. Le cardinal Casanate et le cardinal Panciatici sont vraiment des hommes divins. Rien ne fera jamais plus d'honneur à la chaire de saint Pierre que cette décision, ni au sacré Collège de montrer qu'il a de si grands sujets. Nous ne cessons ici d'en faire l'éloge. Il n'y a qu'une seule chose à désirer; c'est qu'on eût fait une bulle en forme comme à Jansénius et comme à Molinos. Je ne sais s'il se trouvera un exemple ni qu'il y ait une décision de foi par un bref sub annulo Piscatoris, ni si jamais on en a passé ici de telle sorte. Je ne doute point que M. le cardinal de Bouillon n'ait laissé passer cela exprès. Mais si ces petits défauts de formalité se peuvent si aisément réformer, et sans aucun intérêt du saint Siège, qu'il faut tâcher de ne s'en point embarrasser.

Je n'ai point encore vu le roi, ni M. de Paris, qui l'a vu ; mais je sais qu'il est ravi, et qu'hier il prenait plaisir à parler à tout le monde de la bulle ; car il l'appelle toujours ainsi. Nous verrons dans peu ce que lui diront, sur la réception d'un bref, les officiers de son parlement. Je chercherai tous les exemples, et par l'ordinaire prochain je vous dirai plus amplement toutes choses. Si l'on a quelque chose à proposer à Rome, on attendra l'ambassadeur, qui doit y être dans peu. On sera bien aise aussi de voir quel parti prendra M. de Cambray, qui n'a aucun moyen de reculer.

Je vous puis assurer que tous les évêques, toute la Sorbonne et tout Paris est ravi. On donne des louanges immortelles au Pape comme au restaurateur de la religion, que cette secte artificieuse allait renverser avec son faux air de piété. Le parti de M. de Cambray est mort, et il ne faut pas croire qu'il puisse se relever de ce coup, ni qu'il ose seulement souffler. Rendez grâces à Dieu de vous avoir conduit par la main.

 

LETTRE CDLXI. M. LE TELLIER, ARCHEVÊQUE DE REIMS, A L'ABBÉ BOSSUET. Paris, lundi 23 mars 1699.

 

J'ai su par deux courriers qui ont été dépêchés de Rome, l'un au roi par M. le cardinal de Bouillon, et l'autre à M. de Meaux

 

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par vous la nouvelle de la condamnation du livre de M. l'archevêque de Cambray. Je suis très-content et fort édifié des termes dans lesquels cette condamnation est conçue ; mais je voudrais qu'elle eût été faite par une bulle et sans le motu proprio. Je me réjouis de tout mon cœur avec vous de l'heureuse fin de cette affaire.

 

LETTRE CDLXII. M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS, A L'ABBÉ BOSSUET. A Paris, ce 24 mars 1699.

 

Je ne ferai, Monsieur, que me réjouir avec vous de l'heureux succès de vos travaux : je suis ravi de l'avantage que l'Eglise y trouve, et j'ai en même temps une fort grande joie de l'honneur qui vous en revient. En demeurera-t-on au bref, n'aurons-nous point une bulle ? Cela serait plus authentique et plus conforme à nos usages : mais nous avons toujours l'essentiel, et c'est beaucoup, attendu les grands efforts de la cabale. Je n'ai point encore vu M. de Meaux depuis cette bonne nouvelle, parce que je fus avant-hier à Versailles, et n'en revins qu'hier au soir. J'espère le voir aujourd'hui, et apprendre par lui le détail que vous lui écrivez. Je ne vous en dirai pas davantage, parce que le courrier va partir et que je n'en sais pas encore assez. Je finis en vous assurant, Monsieur, de la part que je prends à votre joie et à votre gloire dans cette affaire, et vous priant de me croire à vous très-sincèrement.

 

LETTRE CDLXIII. L'ABBÉ   PHELIPPEAUX   A  BOSSUET. Rome, ce mardi 24 mars 1699.

 

Voilà une lettre que l'agent de M. l'archevêque de Séville m'a donnée pour vous faire tenir. J'y joins des vers qu'un de vos diocésains se trouvant à Rome, m'a apportés. C'est maintenant

 

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de votre côté que nous attendons des nouvelles. Je souhaite que vous soyez content des expressions et de la condamnation portée dans le bref, afin que je puisse vous aller revoir. La reine de Pologne est arrivée aujourd'hui, aussi bien que les cardinaux Morigia et la Grange. On parle d'une promotion en faveur de M. Jacometti, auditeur du Pape, à qui on donnera la charge de préfet de la signature, vacante par la mort du cardinal Cavallerini. On parle aussi de rappeler tous les nonces. On dit que le Pape n'est pas content de Santa-Croce qui est à Vienne ; qu'il donnera l'archevêché de Milan à Archinto, nonce en Espagne ; et qu'il a fait assurer Delphino que cela ne l'empêchera pas d'être cardinal, et qu'à la place de Delphino on enverra Gualtieri, vice-légat d'Avignon, à qui le Pape vient de donner deux prieurés dans le Comtat, vacants par la mort de Cavallerini. Mais ces nouvelles ne vous toucheront guère, non plus que moi. M. de Chanterac reste encore ici : il a expédié un courrier à Cambray, dont il attendra la réponse. Je suis avec un profond respect, etc.

 

LETTRE CDLXIV. L'ABBÉ  BOSSUET A SON   ONCLE (a). Rome, ce 24 mars 1699.

 

J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire de Paris, 2 de ce mois. Je compte que vous aurez vu, à l'heure qu'il est, le bref et reçu le courrier. Je ne sais si M. Madot aura passé Gênes, et sera allé jusqu'à Paris : je l'avais prié de dépêcher de Gênes un courrier, en cas qu'il ne passât pas. Comme il est plein d'amitié pour moi et de reconnaissance pour vous, je ne doute presque pas qu'il n'ait voulu aller s'aboucher avec vous et M. de Paris ; et je ne crois pas inutile ce que vous pourrez apprendre de lui, mieux que de qui que ce soit, sur ce qui se passe ici par rapport à tout. Il est très-bien instruit de tout, il a de l'esprit et du discernement. Ce sont, je l'ose dire, ces bonnes qualités,

(a) Revue et complétée sur l'original.

 

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et la crainte que le cardinal de Bouillon a qu'il ne rende bon compte de tout, qui lui attire à présent la haine que cette Eminence témoigne assez publiquement contre lui, depuis qu'elle a su qu'il était parti. Auparavant il lui faisait fort froid à cause de l'attachement qu'il témoignait pour moi et de la liberté avec laquelle il parlait sur l'affaire de M. de Cambray : néanmoins par politique il le souffrait quelquefois chez lui, où M. Madot a des amis. Mais depuis qu'il est parti, c'est une rage et un déchaînement contre lui que je n'aurais jamais imaginé et qui est outré. M. le cardinal de Bouillon n'ose pas dire au moins en public, qu'il trouve mauvais que j'aie dépêché un courrier, quoique cela le pique fort ; et tout tombe sur le pauvre M. Madot, qu'on n'épargne pas : je crois même savoir que l'on en a écrit en Cour et dit tout le mal imaginable. On prétend surtout lui faire un crime d'être parti sans prendre congé de  M. le cardinal de Bouillon ; mais on voit bien qu'il ne le pouvait pas, à moins de hasarder son voyage ; étant comme certain que cette Eminence l'aurait empêché de partir, soit en le lui défendant, ou en empêchant qu'il ne trouvât des chevaux. Et n'ayant aucune obligation particulière à M. le cardinal de Bouillon, il n'était pas prudent de hasarder pour une cérémonie l'affaire essentielle. Je vous prie de bien dire ce qu'il faut là-dessus. Il n'est question que d'être parti de Rome : car pour être arrivé à Paris, personne n'en peut et n'en doit rien savoir, si ce n'est vous, moi et M. de Paris, étant bien certain qu'il ne peut pas se montrer : ainsi toute la peine que s'est donnée M. le cardinal de Bouillon à écrire contre lui sera bien injuste, et ne montrera que sa passion extrême.

Au surplus s'il était vrai, comme on me l'a assuré, que M. le cardinal de Bouillon ait écrit contre moi à l'occasion du courrier envoyé, et que je ne l'avais pas dû faire, je suis persuadé que je n'ai pas besoin de me justifier là-dessus. Tout le monde m'aurait blâmé de n'avoir pas averti les évêques dans une occasion si importante, de tout ce qui s'était passé et des particularités tant de la fin de l'affaire que du bref, et de ce qu'on pouvait remarquer à cette occasion. Il me semble, comme il a paru à tout le monde ici, au Pape et aux ministres, et à tous les cardinaux, que M. le

 

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cardinal de Bouillon n'ayant pas jugé à propos de m'avertir du courrier qu'il dépêchait, et m'offrir de faire porter mes lettres par cette voie, que je n'avais d'autre parti à prendre que de faire ce que j'ai fait, qui est de dépêcher après le sien un courrier pour porter mes lettres et rendre compte de tout. Pour ce qui est de lui en demander permission, rien ne m'obligeait à le faire, et tout voulait que je ne le fisse pas, ne devant pas douter qu'il ne trouvât le moyen de l'empêcher, ou par autorité, ou avec ses ruses ordinaires. Savoir à présent si le courrier que j'ai dépêché arrivera plus tôt que le sien, voilà ce que je ne puis savoir, et ce que je ne dois pas supposer, son courrier ayant huit heures d'avance avant le mien : si après cela son courrier court mal et que le mien coure bien, c'est l'affaire des courriers ; et c'est ni celle de M. le cardinal de Bouillon, ni la mienne. Après cela je ne trouverais pas un trop grand malheur que le mien arrivât devant le sien. C'est un courrier adressé à vous ou à M. de Paris ; il n'est pas adressé ni aux ministres, ni au roi ; et après que vous aurez reçu les dépêches, il est de votre prudence d'avertir ou de ne pas avertir le roi, et je ne crois pas que le roi et les ministres se soucient fort de cette formalité ; mais cela ne me regarde pas. Je fais seulement mon devoir en vous dépêchant un courrier pour vous donner de mes nouvelles, ne pouvant vous en donner par une autre voie, et le devant faire d'autant plus dans cette occasion, que je devais rendre compte promptement de ce qui s'était passé dans cette décision, surtout après les derniers embarras de la semaine d'auparavant, qui m'avaient déterminé de dépêcher un courrier.

Je me suis étendu sur ce particulier, sachant le bruit qu'a jugé à propos de faire M. le cardinal de Bouillon sur cette conduite, que tout le monde ici a approuvée, hors lui et les gens gagés pour l'applaudir, qui sont en petit nombre. Je n'ai eu d'autre vue que celle de faire mon devoir, je n'ai eu jamais en rien celle de lui donner du chagrin. Si en faisant ce que je dois, j'ai eu le malheur d'encourir sa haine et son indignation, j'avoue franchement que je ne suis pas dans la disposition de m'en vouloir corriger.

 

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Le fond de l'affaire est que M. le cardinal de Bouillon est dans le dernier désespoir de la mauvaise réussite de ses grands desseins. Il a de la peine à être obligé de me faire des honnêtetés : il n'est pas fâché de trouver un prétexte de me faire froid, et encore plus que son chagrin ne puisse pas tomber sur sa rage qu'il a.

Ces jours-ci M. le cardinal de Bouillon a été à Frescati, seul avec le P. Charonnier : j'aurais pris la liberté de lui parler sur tout cela, si je l'avais pu voir. Je remarquai la dernière fois que je le vis un froid nouveau : j'en ai depuis appris la raison, c'est celle du courrier ; il s'en faut consoler. Parlons d'autre chose.

J'attends avec grande impatience de vos nouvelles sur le bref, sur le fond et sur la forme. J'apprends tous les jours sur le fond la confirmation de ce que je vous ai écrit dans mes lettres précédentes, que la douceur avec laquelle on a traité M. de Cambray vient de la part du Pape, et que cette prévention du Pape vient uniquement par les amis du cardinal de Bouillon, le cardinal Albani et Fabroni, par le cardinal de Bouillon lui-même, qui a employé toutes sortes de voies. Voilà tout ce qu'il a paru obtenir, qu'on ne qualifiât pas d'hérétique une doctrine qui le mérite, et cela si l'on le peut dire par la toute-puissance du Pape et par sa prévention. Tout ce qui est de faible dans le bref vient de là. On voit bien à qui on a obligation du bien et du mal ; je le dis franchement, du bien au cardinal Casanate, et du mal au cardinal de Bouillon qui, pour son ami, a trahi la vérité, la religion, l'honneur de son pays et de sa nation, et ce qu'il doit au roi et à lui-même.

Il n'y a personne qui n'ait admiré jusqu'ici la modération avec laquelle le roi en a'usé à l'égard du cardinal de Bouillon ; mais je puis dire à présent qu'il n'y a personne qui n'attende, l'affaire conclue, de voir quelque marque publique et marquée du juste ressentiment que doit avoir le roi d'une conduite aussi méprisante à son égard, et qui tendait à excuser un livre et une doctrine aussi pernicieuse et dont les suites le pouvaient être davantage, tant par rapport aux consciences, que par rapport au repos de l'Etat.

Quant à la forme du bref, vous savez tout, et le remède aisé

 

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qu'il y a. Le cardinal Albani m'a fait proposer par le P. Roslet, de prévenir par une bulle en forme les demandes et peut-être les plaintes de la France ; mais j'ai répondu que ce n'était pas à moi à rien dire là-dessus. Je sais que le cardinal de Bouillon fait semblant d'être fâché qu'on n'ait pas fait une bulle, sur ce qu'il a su que j'avais commencé à en parler et sur le motu proprio : mais dans le fond il en est bien aise, et croit par là rendre la chose moins authentique en France. Rien ne lui était plus aisé qu'à faire prendre le modèle de celle de Jansénius ; surtout averti il y a longtemps qu'on voulait une bulle, et une bulle dans les formes reçues dans le royaume, qu'il ne lui est pas permis d'ignorer.

Autant l'abbé de Chanterac parle sagement par rapport à la soumission que doit M. de Cambray, autant le cardinal de Bouillon menace et fait appréhender un schisme. Le Pape est très-agité là-dessus, et parle quelquefois comme un homme qui se repent d'avoir traité si rudement M. de Cambray, quoiqu'il soit traité avec trop de douceur ; mais le cardinal Albani et Fabroni ne cessent de le lui répéter, à l'instigation du cardinal de Bouillon. Même on a remarqué de la colère dans le Pape contre le cardinal Casanate, comme la cause, dit-il, de tout. La cabale des Jésuites et du cardinal de Bouillon qui le hait, emploie contre ce grand homme tous les artifices imaginables pour le rendre suspect au Pape, et cela est très-aisé : et veut par là empêcher le bien qu'il peut faire. A quelques-uns néanmoins le Pape témoigne être content de ce qu'il a fait, disant qu'on en sera content en France : il dit même naturellement deux jours après la décision : È ita la botta, qui veut dire le coup est parti ; mais depuis on lui brouille la cervelle le plus qu'on peut. On prétend par là faire deux choses : l'une, faire toujours écrire le Pape au roi en faveur de M. de Cambray, pour peu qu'il se soumette, afin qu'on oublie le passé; l'autre, de forcer si l'on peut le Pape à faire quelque pas pour prévenir M. de Cambray, et dont il se puisse parer. L'on peut compter que la cabale n'espère plus rien que de ce pays-ci.

J'ai cru être obligé de parler ces jours passés au cardinal Spada sur le bruit qui courait, qu'on voulait que le Pape écrivît quelque bref consolant à M. de Cambray, et je lui ai bien fait voir les

 

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conséquences d'un pareil pas, me paroissant indigne du Pape de faire des avances à un errant, avant que d'être sûr de sa soumission et de son humiliation. Il m'assura que le Pape ne ferait rien qui pût préjudicier à la sentence prononcée et à la dignité du saint Siège. H m'a fait entendre en même temps que le Pape, en eu-voyant le bref au roi, lui avait témoigné qu'il serait à souhaiter qu'on finît toutes les disputes. Je lui ai répondu que cela dépendait uniquement de la conduite de M. de Cambray ; et qu'après sa soumission parfaite, il ne resterait plus aux évêques que de bien prêcher et de bien instruire sur la bonne doctrine et contre la mauvaise, conformément à la sentence prononcée par le saint Siège, et que ce n'était pas là disputer, mais autoriser ce qu'avait fait le saint Siège. Et il n'y faut pas manquer, quoi qu'on puisse écrire d'ici, où l'on tremble sur tout. Mais en France il faut songer à remédier au mal qu'a produit et l'obstination de M. de Cambray, et la fureur de la cabale, et la lenteur et la faiblesse de cette Cour.

Je puis vous dire, comme le sachant de science certaine, que tous les gens de bien et les gens sa vans qui sont ici, attendent de France, sur le chapitre de la religion, tout le bien, et sur cette matière en particulier, que les évêques de France ne manqueront pas de suppléer à ce qu'on n'a pas fait encore ici sur les mystiques, qui est de les réduire au rang qu'ils méritent dans l'Eglise. Ils s'attendent que dans les instructions qu'on donnera sur cette matière, on dira sur cela tout ce qu'il faudra, qui se réduit en substance à l'idée que vous avez ; que même ils parleront là-dessus avec autorité : il faudra seulement éviter par rapport à ce pays-ci, de ne le pas faire en forme de canons et d'articles. Tout le reste sera ici très-approuvé, et très-bien reçu et confirmé dans l'occasion. Je sais que tout le saint Office est dans cette disposition, et que les mystiques y sont à présent craints et méprisés.

On ne fait pas difficulté ici de dire que l'Eglise vous a les plus grandes obligations d'avoir levé le masque à une doctrine aussi pernicieuse et aussi raffinée que celle de l'amour pur : ainsi le livre que vous méditez, ne peut être que bien reçu, pourvu qu'il

 

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soit court. On compte ici que vous avez eu pleinement la victoire, et que par contre-coup votre doctrine irréprochable sur tous les points a été approuvée en tout. On n'en a point parlé, mais vous avez été examiné avec autant de rigueur que M. de Cambray, non-seulement par rapport à convaincre M. de Cambray d'erreur, mais par rapport à votre doctrine ; l'un et l'autre étant trop liés ensemble.

J'attends vos Passages éclaircis, que je distribuerai ici sagement : cela fera fort bien par rapport aux mystiques. Il est bon de les expliquer, de montrer qu'ils sont bien éloignés de la doctrine de M. de Cambray et des quiétistes ; mais il sera bon dorénavant de laisser croire qu'ils ont exagéré, et c'est ce que vous avez toujours dit, et que M. de Cambray avoue lui-même; Le sive attenta sententiarum connexione, sauve les bons mystiques et abîme M. de Cambray, et donne lieu à dire tout ce qu'on voudra sur les expressions particulières des mystiques.

Qu'avez-vous pensé de la batterie des canons de la cabale? J'ai appris une chose particulière, que la même idée était venue aux protecteurs de Molinos : précisément la même, et cela était proposé par le cardinal Azolini, et fut rejeté de même.

Les politiques croient que la Cour romaine s'est fait tort de n'avoir pas ménagé M. de Cambray, qui lui promettait aussi bien qu'aux moines de soutenir son autorité contre les autres évêques de France. Il faut que vous comptiez qu'on avait fait ici envisager tous les beaux côtés de M. de Cambray, et tout ce qui pouvait rendre odieux les évêques, la doctrine de France et le roi. A présent les amis disent sous-main que M. de Cambray reviendra plus triomphant que jamais sous le fils et le petit-fils du roi, et qu'il n'est seulement question que de le sauver à présent de la fureur de ses ennemis. Ils craignent fort pour lui, avec raison, l'exemple du cardinal Petrucci, à qui on fit quitter l'évêché, quoique après s'être soumis à tout. Le soupçon le faisait juger incapable de faire bien dans un tel poste, et il s'en manqua peu qu'on ne lui ôtât le chapeau.

C'est à présent de tous nos François à qui aura fait paraître son zèle contre M. de Cambray. Vous savez ce que je vous ai mandé :

 

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M. l'abbé de la Tremouille et le général de la Minerve ont toujours été droits, quoique avec ménagement pour M. le cardinal de Bouillon. Il est bon de ne le pas témoigner en France, quoique au premier je l'aie dit franchement. Si vous voulez même me rendre service par rapport à eux, c'est de m'envoyer pour l'un et pour l'autre des lettres de remerciements, sur ce que je vous ai toujours écrit et à M. de Paris, qu'ils marquèrent en toute occasion leur bonne volonté et leurs bonnes intentions. Il est très-certain que le général des Jacobins s'est toujours très-bien comporté, et a en particulier parlé aux cardinaux comme il faut. Il aurait été volontiers d'avis d'une condamnation générale; mais j'ai toujours tenu ferme, et déclaré que cela était non-seulement insuffisant, mais dans les circonstances présentes, après un examen si authentique, mauvais. J'ose dire que j'ai parlé si haut là-dessus, qu'il a fallu y venir. Pour peu qu'on eût molli, on n'obtenait rien de bon. Je suis même persuadé que si la Sorbonne avait mis l’hérétique à la proposition de l'involontaire et de l'amour pur et du sacrifice du salut joint au désespoir, on n'aurait pas pu s'en dispenser ici; mais voyant l'exemple des docteurs, ils ont cru le pouvoir suivre par tempérament, sans qu'on leur pût faire reproche.

Cependant les gens savants ici n'ont point approuvé la manière faible avec laquelle la constitution est conçue. On sait bien dire qu'on y reconnaîtrait la plume et le génie du secrétaire, quand même il n'aurait pas mis son nom.

Je ne crois pas que le saint Siège se soit jamais servi de bref dans les matières de doctrine, et de propositions condamnées et spécialement marquées. Je vois clairement qu'on a pris pour modèle de ce qu'on vient de faire, le bref de Clément IX, de l'an 1668, contre le Rituel d'Alet : l’ induci possent in errores jam damnatos, est pris de là, et tombe dans ce bref sur les propositions, et dans celui de M. de Cambray sur le livre en général. Dans celui de Clément IX on condamne au feu, dans celui-ci on omet cette peine. On a encore évité de mettre dans celui-ci qu'on défend, sous peine d'excommunication, de tenir les propositions; ce qu'on met partout, quand elles sont exprimées. Le bref de Clément IX

 

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sur le Nouveau Testament de Mons est de même ; et dans ce bref le motu proprio n'y est pas.

Au reste, à moins que vos ordres ne m'arrêtent, ce que je ne puis prévoir, je fais mon compte de partir d'ici vers le commencement du mois de mai pour pouvoir arriver à Venise à l'Ascension. Je ne manquerai pas de passer à Florence, pour y rendre mes respects à M. le grand-duc, et y revoir nos amis. Je ne doute pas que devant ce temps je ne puisse avoir fait ici ce qui pourra rester à faire sur cette affaire; et après avoir su les résolutions de la Cour et des évêques et ce que M. de Cambray aura fait. Je m'en rapporte du tout à vous, et quelque désir que j'aie de retourner auprès de vous, vous serez toujours le maître de me faire faire ce que vous jugerez le plus à propos.

La reine de Pologne et le cardinal son père viennent d'arriver. D. Livio les loge. Le cardinal Morigia arriva aussi hier.

 

LETTRE CDLXV. BOSSUET A SON NEVEU (a). A Versailles, lundi 30 mars 1699.

 

Nous avons vu par vos lettres du 10 que vous aviez préparé et prévu ce que nous avons appris parle courrier extraordinaire du 13. Dieu soit loué à jamais.

On attend ici, pour prendre une résolution sur l'exécution de ce bref, le paquet de M. le nonce, qu'on ne pourra recevoir que par l'ordinaire prochain. Cependant vous pouvez assurer le Pape et les cardinaux que le bref est estimé, applaudi, reçu avec joie par le roi, par les évêques et par tout Paris et toute la Cour. L'Eglise romaine n'a fait de longtemps un décret ni si beau, ni si précis. On marquera tout le respect possible au saint Siège.

La seule difficulté est qu'il n'y a point d'adresse aux évêques. Le reste n'est rien du tout. J'espère qu'on trouvera les moyens de donner à un bref de cette importance, toute l'autorité qui convient

(a) Revue et complétée sur l'original.

 

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vient à une décision aussi formelle et aussi authentique du saint Siège.

La précision du bref consiste principalement en quatre points. Premièrement, à condamner le livre quocumque idiomate : par conséquent la propre version latine de M. de Cambray, que nous avons accusée de fausseté ; et l'on a bien remarqué que dans la version des propositions, on ne s'est point servi de l'opposition de M. de Cambray. Secondement, en ce qu'il est dit que le livre induit (a) sensim in errores ab Ecclesiâ catholicâ jam damnatos; ce qui confirme tout ce que nous avons dit sur ce sujet. Troisièmement, le perniciosas in praxi; ce qui appuie encore ce que nous avons dit sur les conséquences. Quatrièmement, l’erroneas, avec la clause sive in sensu obvio, sive ex connexione sententiarum; ce qui exclut toutes les explications. Jamais on n'a fait censure si docte ni si profonde, et nous en sommes ravis au pied de la lettre.

Tout le monde vous loue, et on est fort content de votre conduite.

Lisez la lettre à M. Phelippeaux et aidez-le à profiter de la grâce que j'ai dessein de lui faire.

M. le cardinal de Bouillon a écrit au roi qu'il avait cacheté son avis signé de lui avant la décision, sous son cachet et celui du P. Roslet, par lequel il constaterait qu'il avait pris un sentiment meilleur, et plus capable de déraciner l'erreur que tout, ce qui a été fait. On a fait voir au roi qu'apparemment il avait dit ce qu'il savait de meilleur dans les congrégations, et que cela bien assurément n'était rien qui vaille, et ne tendait qu'à tout détruire et a élever le molinosisme sur le fond du livre.

R a écrit à M. le nonce : « Voilà le décret, Dieu veuille qu'il donne la paix à l'Eglise. » Vous verrez bien assurément le consentement universel de l'épiscopat.

Par une lettre écrite du 14 à M. le nonce, M. de Cambray demande d’abord trois choses: l'une, que si la doctrine est mauvaise on la condamne nettement ; l'autre, que si elle est ambiguë,

 

(a) Le bref ne dit pas induit mais peut induire. Le cardinal Casanate avait mis la première expression ; la seconde prévalut sous le patronage du cardinal Albani

 

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on lui déclare nettement le parti qu'il a à prendre ; la troisième, que si elle est bonne, on la déclare authentique et nettement, pour empêcher les avantages qu'on pourrait prendre sur lui : qu'au reste, si l'on ne parle avec la netteté qu'il demande, il ne laissera pas d'être soumis ; mais que d'autres écriront.

Il dit encore dans la même lettre, que M. de Meaux répand partout qu'il n'aura qu'une soumission apparente et extérieure, et qu'il faut que lui, M. de Meaux, rétracte ses erreurs, notamment sur la charité et la passiveté.

Il conclut enfin sa lettre, en disant que le Pape lui doit montrer en quoi il est contraire aux saints canonisés qu'il a cités. Ainsi voilà le Pape obligé à faire un livre contre M. de Cambray. Cette lettre a été trouvée fort menaçante, et en même temps pleine d'impertinence.

Nous avons nouvelle qu'il a appris sa condamnation le 25, deux heures avant le sermon qu'il devait faire, et qu'il a tourné son sermon, sans rien spécifier, sur la soumission aveugle qui était due aux supérieurs et aux ordres de la Providence.

J'ai été chez M. de Beauvilliers me réjouir avec lui de sa soumission, et l'assurer que je n'ai pas seulement songé à dire ce que M. de Cambray m'impute sur la sienne.

Jamais décision du saint Siège n'a été reçue avec plus de soumission et de joie. M. de Beauvilliers et M. de Chevreuse ont envoyé leur livre des Maximes à M. de Paris ; et tout le monde les imite, sans attendre que le bref soit publié dans les formes.

Cette décision tournera à l'honneur du saint Siège ; cela s'appelle absoluta, docta et cauta censura. Vous ne sauriez aller trop tôt aux pieds du Pape pour lui témoigner ma profonde vénération et ma grande joie, ni témoigner trop promptement à ces doctes et courageux cardinaux, et surtout au cardinal Casanate, mon admiration.

On fait dire ici au cardinal d'Aguirre : Dominus Meldensis vult vincere, est justum : vult triumphare, nimis est. Je ne veux non plus vaincre que triompher ; et l'un et l'autre n'appartient qu'à la vérité et à la chaire de saint Pierre.

Je ne puis vous dire le particulier : on ne prendra des mesures

 

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que sur le paquet de M. le nonce. Le roi m'appela dès qu'il me vit. Je lui fis connaître, le mieux que je pus, ce qu'on devait au Pape et aux grands cardinaux (a). Tout à vous.

 

LETTRE CDLXVI. L'ABBÉ BOSSUET A M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS (b). Rome, 30 mars 1699.

 

Pardonnez, Monseigneur, si je n'ai pas l'honneur aujourd'hui de vous écrire de ma main. Un rhume très-violent, qui me tient dans la tête et qui m'a donné un peu de fièvre, m'empêche de le pouvoir faire.

Je me sers de l'occasion du courrier extraordinaire, qui a apporté les ordres que vous savez et les lettres du 16 et du 17 de ce mois de vous et de M. de Meaux, pour vous écrire. Il a ordre de se tenir prêt à partir cette nuit. M. le cardinal de Bouillon s'était douté du courrier que j'avais envoyé sur le nouveau projet des canons : il n'a pas laissé d'être très-surpris et très-mortifié d'une réponse si prompte, si nette et si peu pleine de louange de ce projet favori. Le courrier arriva jeudi, 26 de ce mois, et le cardinal alla le lendemain matin chez le Pape, faisant semblant de porter des nouvelles fâcheuses d'Espagne.

Cependant on n'a pas laissé de se douter du vrai sujet de sa mission, et on a su qu'il y avait une nouvelle lettre du roi au Pape et de nouvelles instances. Quoiqu'il semble que cela soit venu dans un temps où cela paraît inutile, je suis persuadé que même par rapport aux circonstances présentes, cette nouvelle déclaration fera du bien, faisant connaître plus certainement à cette Cour qu'elle n'a pas sujet de se repentir d'en avoir trop fait, et qu'elle ne pouvait pas faire moins pour satisfaire les justes et pressantes instances de la France sur un si mauvais livre.

(a) C’est dans cette circonstance que Louis XIV dit à Bossuet : « Q’auriez-vous fait, si je m’étais pour le livre de M. de Cabray ? » — « Sire, répondit le prélat, j'aurais crié dix fois plus haut, assuré que la vérité aurait triomphé de tous les obstacles. » — (b) Revue et complétée sur l’original.

 

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Je ne sais comme M. le cardinal de Bouillon aura tourné le tout au Pape : sans doute il aura fait semblant de ne pas approuver le zèle de ceux qui ont cru devoir avertir en France de ce qui se passait ici. Mais j'espère que le Pape aura bien compris qu'ils y étaient obligés en honneur et en conscience : en tout cas ils ont voulu n'avoir rien à se reprocher, et n'ont écrit que la pure vérité. J'avais averti le cardinal Spada, il y a huit ou dix jours, du compte que j'avais cru être obligé de rendre en France de ce qui s'était passé sur ce beau projet, afin qu'il ne fût pas étonné des réponses qui pourraient venir là-dessus un peu fortes. Il me dit que j'avais fait mon devoir, et que le tout ayant été réparé par le prompt jugement, cela ne ferait que confirmer le Pape qu'il avait bien fait de se déterminer comme il avait fait, et voilà véritablement l'effet que cela doit faire, si l'on ne prend pas plaisir à aigrir l'esprit du Pape. Je n'ai pu encore rien savoir sur ce particulier, ayant été obligé de garder la chambre cinq ou six jours. Je sais que le cardinal de Bouillon a été deux heures enfermé avec le cardinal Spada, pour écrire apparemment de concert sur cela. Je ne veux pas supposer qu'ils n'écrivent pas la vérité.

Avant l'arrivée du courrier on avait embrouillé de nouveau l'esprit du Pape, qui avait dit, sur la demande qu'on ferait peut-être d'une bulle en forme au lieu d'un bref, qu'il n'en avait déjà que trop fait. Mais ces discours ne signifient pas qu'il ne fasse là-dessus ce qu'il faut, quand on le lui demandera; ce que je crois qu'on ne doit pas hésiter de faire incessamment, si on ne l'a déjà fait ; et qu'on sera ici trop heureux d'accorder plutôt que de ne pas voir mettre à exécution le décret en France.

Il est très-certain que le motu proprio n'est essentiel ni aux bulles, ni aux brefs, même par rapport à Rome. Je trouve plusieurs bulles où il n'est point, surtout celles qui ont été publiées en France : et dans celles qui sont faites sans rapport à la France, quand on met ex consilio fratrum, etc., auditis cardinalibus, etc., ordinairement on ne met point le motu proprio, comme on le peut voir dans la bulle de Molinos, et dans la bulle que ce Pape-ci a faite contre le népotisme, la plus authentique qui ait jamais été. Et les bulles et brefs où l'on met le motu proprio, ordinairement

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on n'y met pas auditis cardinalibus ; comme on peut le i dans le bref de Clément IX pour la condamnation du Rituel d'Alet et dans la bulle sur Baius contre les erreurs de Jansénius, et la bulle de ce Pape-ci sur la vénalité des charges de la chambre Pour les brefs sans motu proprio, il n'y a qu'à voir le bref de Clément IX contre le Nouveau Testament de Mons, où il est dit auditis, etc., sans motu proprio ; et celui de Clément X, qui contient la suppression des confréries, sous le titre du Bon Pasteur, de l'an 1673. Les deux brefs de Clément IX sont de l'an 1668.

On peut encore remarquer que dans les brefs et bulles sans le motu proprio, il n'est point nécessaire d'exprimer la réquisition de personne, qui est l'excuse que me voulait donner le cardinal Albani. Mais cela n'est pas vrai ; car ils font les brefs et les bulles dans la forme qu'ils veulent, et les doivent faire pour les royaumes étrangers dans les formes requises dans ces royaumes : et ainsi, si le motu proprio et la forme du bref font de la peine en France, on ne doit pas hésiter à demander ici ce qui convient, et on ne doit pas hésiter ici à le donner.

J'ai reçu par le courrier ordinaire la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire du 9.

M. Giori mérite remerciement en forme pour le zèle et la sincérité avec laquelle il s'est conduit dans cette affaire ; ce qui n'est pas peu pour un Italien.

Vous aurez bientôt à Paris M. le prince Vaïni, qui n'a rien oublié non plus de ce qui dépendait de lui. Le cardinal de Bouillon s'attend qu'il dira beaucoup de bien de lui; mais je crois qu'il connaîtra assez bien le terrain pour ne pas exagérer, de peur de n'être pas cru.

Les Jésuites sont plus abattus du coup qu'aucun autre : il semble que chacun d'eux a été condamné dans la personne de M. de Cambray ; cela est visible.

Vous recevrez en même temps que ce paquet, la lettre que j'ai eu l'honneur de vous écrire il y a huit jours par le dernier ordinaire, ce qui fait que je n'en répète rien ici.

Par tout ce qui m'est revenu, depuis près de deux ans que cette affaire dure, il me paraît certain que M. le nonce s'est

 

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conduit, par rapport aux évêques, au roi et au Pape, comme il convenait pour le bien de l'affaire et l'honneur du saint Siège. Cela était bien nécessaire ; et sans cela il y avait tout à craindre de la terrible prévention du Pape, qui malgré tout cela a pensé faire bien du mal (a).

On vient de m'assurer de très-bonne part que le Pape est très-fâché de n'avoir pas fait une bulle en forme, pour n'avoir pas à recommencer. Le cardinal Albani en veut faire retomber la faute sur le cardinal Casanate, mais sans fondement, ce dernier ayant toujours eu en vue une bulle, dont j'ai vu le projet; mais voyant que le cardinal Albani voulait absolument entrer dans cette affaire, il l'a laissé faire un plat de son métier, c'est-à-dire un bref au secrétaire des brefs.

La reine de Pologne et le cardinal son père font le spectacle de Rome depuis huit jours. Il y a eu ce matin consistoire, et le Pape a donné le chapeau au cardinal Morigia et au cardinal d'Arquien ou de la Grange. La goutte a pris cette nuit à ce cardinal, et l'a empêché de faire le jeune homme à cette cérémonie.

Pendant que j'écrivais cette lettre, le révérend P. Cambolas est venu me voir, et m'a dit un fait qui est arrivé ce matin, assez curieux. Le prieur du couvent où il habite avec le général, et qui est en même temps curé de la paroisse, lui a dit avoir exhorté ce matin à la mort un jeune prêtre de vingt-cinq ans, auquel il a entendu faire comme un acte d'amour parfait le sacrifice absolu de son éternité, demandant en termes formels à Dieu qu'il le damnât, afin que sa justice et sa gloire en parussent davantage. Ce bon Père a été effrayé d'une pareille disposition ; et ce n'a pas été sans peine qu'il a fait faire au mourant des actes de foi et d'espérance, et des demandes expresses du salut ; après quoi il lui a administré les sacrements, et il est mort. Au sortir de là ce religieux a raconté le tout à son général, au P. Cambolas et à plusieurs autres des principaux religieux. Le fait est constant, et me confirme dans le soupçon que j'ai toujours eu, que cette pernicieuse doctrine est plus enracinée dans Rome qu'on ne croit. Plût à Dieu qu'elle ne le soit pas autant en France.

 

(a) Encore une fois, le gentil abbé a sauvé l'Eglise.

 

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LETTRE CDLXVII. L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE (a). Rome, ce 31 mars 1699.

 

Un grand rhume, avec un peu de fièvre, m'empêche de vous écrire longuement. Je vous envoie copie de la lettre que je dictai hier pour M. de Paris, par laquelle vous apprendrez tout.

Vous verrez l'arrivée du courrier dépêché sur les canons, et vous recevrez réponse par le même.

Comme je songe très-sérieusement à partir aussitôt que je le pourrai et que j'en aurai la liberté ; c'est-à-dire après avoir vu ici ce que vous jugerez à propos de faire en France et ce que M. de Cambray jugera à propos de faire à Cambray, ce que j'espère savoir à peu près au commencement de mai, et pouvoir être ainsi à Venise à l'Ascension : comme, dis-je, je fais mon compte de partir au mois de mai, je serais bien aise de ne pas partir de ce pays-ci sans faire les derniers efforts pour obtenir l'induit pour les bénéfices de mon abbaye. Les circonstances seront favorables ; et si M. le prince de Monaco veut bien m'aider là-dessus, j'espère en venir à bout. Voyez, s'il vous plaît, en quoi vous pouvez m'aider du côté du roi si cela se pouvait, et du côté du nonce. Si M. de Monaco pouvait dire ici que cela fera plaisir au roi, ce serait un grand point. Il faut toujours que vous en écriviez fortement à M. de Monaco et à M. le cardinal Panciatici, lui mettant quelques paroles dans la lettre du zèle avec lequel il s'est porté contre l'erreur. Cela lui fera plaisir. De mon côté je ne m'oublierai pas. Je ne remuerai rien ici que M. de Monaco ne soit venu. Ainsi ayez la bonté de m'envoyer en diligence des lettres sur cela à M. de Monaco, au cardinal dataire et au cardinal Spada. Vous ferez bien aussi d'écrire au cardinal Casanate, sur l'affaire terminée du livre une lettre de confiance. On doit tout attendre de son amitié pour vous, et de son zèle pour l'honneur

 

(a) Revue et complétée sur l'original.

 

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de l'Eglise. Vous verrez bien qu'il n'y a pas un moment du tout à perdre. Je m'attends que vous écrirez une belle lettre à M. Giori, sur son zèle et sur les services qu'il a rendus.

Faites un peu ma cour à M. le nonce et à Madame de Maintenon. Vous pourriez prier M. le cardinal de Janson d'écrire au cardinal Panciatici sur mon induit.

J'ai reçu comme vous voyez vos paquets sur les canons et votre lettre du 9 mars.

J'ai reçu par le courrier de M. de Torci, une douzaine d'exemplaires des Passages éclaircis, et de la Réponse du théologien pour M. de Chartres. Je me suis fait lire votre dernier traité qui sont ces passages. Il est excellent et démonstratif; on l'attend ici.

On a retenu à Turin les paquets qui venaient pour moi, et ils doivent arriver par le premier courrier.

J'apprends dans le moment que Sa Sainteté témoigne n'être pas fâchée des nouvelles instances du roi, voyant par là que la condamnation du livre de M. de Cambray en sera reçue plus agréablement. On m'a dit aussi qu'il commence à s'apercevoir de l'artifice du cardinal Albani pour le bref. Il est fâché de n'avoir pas fait une bulle, au moins il le témoigne.

Je vous envoie un billet que M. Giori m'écrivit hier : il est curieux.

Mon mal n'est rien, Dieu merci. Ma fièvre a été causée par le rhume, et je n'en ai plus depuis hier.

J'apprends par plusieurs endroits que le Pape témoigne plus que jamais être bien aise de ce qu'il a fait, depuis les nouvelles instances du roi et les applaudissements qu'a donnés à son décret le grand-duc, qui véritablement s'est comporté à merveille dans cette affaire.

L'affaire de l'induit est de grande conséquence pour moi, et cela peut être de grande utilité pour d'honnêtes gens, et pour l'avenir.

Je ne puis trop vous recommander M. Madot : je vous ai écrit par ma lettre du 24, bien des choses sur ce chapitre. Le cardinal de Bouillon est enragé contre lui, parce qu'il le craint.

J'explique tout à mon frère au long sur les lettres de change.

 

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Je n'ai tiré aucune lettre de change sur M. Chuberé. Je n'en ai tiré qu'une sur M. Souin de 4000, dont mon père devait payer la moitié Ces 4000 avec les deux mille de la lettre de crédit de M. Chuberé faisaient les 6000 promis.

Les dépenses extraordinaires ont été ici plus loin que je ne puis dire. Mais j'ai cru ne devoir rien épargner, pour réussir dans une affaire où il s'agissait de tout pour l'Eglise et pour l'Etat et où tout roulait, je l'ose dire à vous, sur moi.

Je ne sais si je vous ai marqué précisément sur quoi le cardinal de Bouillon interrompit la lecture du bref, jeudi 12, jour du jugement, en présence du Pape. Ce fut qu'il voulait qu'on ajoutât après les propositions : Quas auctor non agnoscit suas, fondé sur ce qu'on n'a pas interrogé juridiquement l'auteur, comme Molinos le fut, qui reconnut ses propositions ; et qu'on n'avait pas la confession de M. de Cambray ; au contraire qu'il protestait qu'on tronquait ou altérait ses propositions. Ce fut sur cela que le cardinal de Bouillon fut sifflé par les cardinaux, et que le Pape ordonna qu'on passât outre : il interrompit trois fois la lecture, et trois fois on méprisa ce qu'il disait.

Je vous envoie quelques exemplaires du bref, en cas qu'on ne juge pas à propos de l'imprimer.

 

EPISTOLA CDLXVIII. INNOCENTIUS XII AD LUDOVICUM XIV.

 

Charissime in Christo Fili noster, salutem et apostolicam bene-dictionem. Novum ac praeclarum spécimen illius pietatis, quam semper Majestas tua profert, potissimùm vero ubi de catholieae veritatis integritate agitur, percepimus ex egregiis tuis ad nos litteris, sextâ decimà labentis martii datis, quibus profiteris te sumrno studio praestolari hujus sanctae Sedis judicium super doctrina contenta in libro antistitis Cameracensis, atque à nobis enixè postulas ut moram omnem atque obicem, si quem forte ab aliquibus interponi contigisse, quominùs definita prodiret senteutia, removere auctoritate nostrâ velimus. Sanè ex ipso

 

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decreto, quod nuper evulgari, statimque ad te deferri jussimus, te jam cognovisse arbitramur, quae fuerit eâ in re obeundi muneris nostri justisque petitionibus tuis annuendi pontificia nostra sollicitudo ; cui protectô respondisse zelum eorum quibus, aut discutiendi, aut promovendi hujusmodi negotii provincia demandata erat, persuasum te esse omnino volumus. Majestati intérim tuœ uberrima bonorum copiam ab eorumdem largitore Deo precamur, et apostolicam benedictionem amantissimè impertimur.

Datum Romae apud sanctam Mariam Majorem, sub annulo Piscatoris, die 31 martii 1699, pontificatûs nostri anno octavo.

Signatum : Ulysses-Josephus Gossandinus.

 

LETTRE CDLXIX. DE   BOSSUET   A   SON  NEVEU. A Paris, 2 avril 1699.

 

Je profite d'un courrier dont M. de Chuberé me donne avis, pour vous avertir comme j'ai fait tant par l'ordinaire que par l'extraordinaire de M. de Torci, qu'un prieuré de la Sainte-Trinité d'Eu, diocèse d'Amiens, dépendant de Saint-Lucien de Beauvais, vaque par la mort d'un Père Faverolles, ci-devant jésuite et moine bénédictin, arrivée le 24 mars 1699. Il est de neuf cent ou mille. Mon intention serait de me laisser prévenir en faveur de M. Phelippeaux. Si pendant que vous êtes à Rome, vous pouviez l'obtenir en commande pour lui, du moins ad vitam. Je sais bien que vous y ferez ce que vous pourrez. On attend le paquet du Pape pour le roi par M. le nonce, qui doit arriver aujourd'hui ou demain. Les amis de M. de Chuberé disent qu'il attend que le bref lui soit notifié dans les formes, avant que de se soumettre. En attendant, le 25 mars jour de Notre-Dame, qu'il reçut l'avis, il devait prêcher et tourna son sermon sur la soumission en général aux supérieurs et à la Providence.

 

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EPISTOLA CDLXX. CAMERACENSIS ARCH1EP1SCOPUS AD INNOCENTIUM XII (a). Cameraci, 4 aprilis 1699.

 

Sanctissime Pater,

Audità Beatitudinis Vestra? de meo libello sententiâ, verba mea dolore plena sunt ; sed animi submissio et docilitas dolorem superant. Non jam commemoro innocentiam, probra, totque explicationes ad purgandam doctrinam scriptas. Praeterita omnia omitto loqui. Jam apparavi Mandatum per totam hanc diœcesim propagandum, quo censurœ apostolicae humillimè adhaerens, libellum cum viginti tribus propositionibus excerptis, simpliciter, absolutè et absque ullà vel restrictionis umbrâ condemnabo, eâdem pœnâ prohibens, ne quis hujus diœcesis libellum aut légat, aut domi servet. Quod Mandatum, Beatissime Pater, in

 

(a) Nous devons, pour la clarté des faits, interrompre un peu la suite de la correspondance.

Lorsqu'il eut appris la condamnation de son livre, l'archevêque de Cambray écrivit deux lettres datées du 4 avril, l'une au souverain Pontife et l'autre à l'évêque d'Arras, pour exprimer sa soumission au bref apostolique. Ses adversaires improuvèrent, dans la lettre au souverain Pontife, plusieurs expressions, par exemple celle-ci : Non jam commemoro innocentiam, «je ne parle plus de mon innocence; » probra, « ni des outrages que j'ai reçus ; » totque explicationes ad purgandam doctrinam scriptas, « ni de tant d'explications données pour justifier ma doctrine. »

Dans une congrégation tenue le 27 avril, les cardinaux décidèrent qu'on ferait à cette lettre une réponse honorable ; et le cardinal Albani loua dans un bref la soumission de M. de Cambray, et déclara qu'on n'avait voulu condamner ni ses explications, ni le sens qu'il donnait aux propositions censurées.

Plusieurs pensèrent que ces déclarations modifiaient profondément l'arrêt de l'autorité suprême; aussi le souverain Pontife, averti par l'abbé Bossuet, fit-il supprimer le bref du cardinal Albani.

Cependant l'archevêque de Cambray avait écrit un mandement dans lequel il acceptait sans réserve la constitution pontificale; mais il ne voulait pas encore le présenter officiellement, « de peur, disait-il, qu'on ne le fit passer pour mauvais François, si on savait qu'il eût reconnu un jugement de Rome sans y avoir été autorisé par le roi. » Il put bientôt envoyer son mandement à Rome, avec une nouvelle lettre datée du 10 avril. Le souverain Pontife lui répondit par le bref du 12 mai suivant.

Nous avons publié le mandement de M. l'archevêque précédemment vol XX p. 503.

 

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lucem edere certum est, simul atque id mihi per regem licere rescivero. Tùm in me nihil morae erit, quominùs id intimai et plenissimae submissionis spécimen per omnes Ecclesias, nec non et per gentes haereticas disseminetur. Nunquàm enini me pudebit à Petri successore corrigi, cui fratres confirmandi partes commissae sunt.

Ad servandam sanorum verborum formant, igitur libellus in perpetuum reprobetur. Intra paucissimos dies id ratum faciam. Nulla erit distinctionis umbra levissima, quà decretum eludi possit, aut tantula excusatio unquàm adhibeatur. Vereor equidem, uti par est, ne Beatitudini Vestrae sollicitudine omnium Ecclesiarum occupatae molestus sim. Verùm ubi Mandatum ad illius pedes brevi mittendum, ut submissionis absolutae signum, bénigne acceperit, meum erit aerumnas omnes silentio perferre. Summà cum observantià et devoto animi cultu ero in perpetuum, humillimus, obedientissimus et devotissimus servus et filius.

 

Franciscus, archiep. Cameracensis.

 

LETTRE CDLXXI. FÉNELON A L'ÉVÊQUE D'ARRAS.

 

Permettez-moi, Monseigneur, de vous dire grossièrement que vous avez été trop réservé en gardant le silence. Qui est-ce qui me parlera, sinon vous, qui êtes l'ancien de notre province ? Il n'y a rien, Monseigneur, que vous ne me puissiez dire sans aucun ménagement. Quoique je sente ce qui vient d'être fait, je dois néanmoins vous dire que je me sens plus en paix que je n'y étais il y a quinze jours. Toute ma conduite est décidée. Mon supérieur, en décidant, a déchargé ma conscience. Il ne me reste plus qu'à me soumettre, à me taire et à porter la croix dans le silence. Oserai-je vous dire que c'est un état qui porte avec lui la consolation pour un homme droit, qui ne veut regarder que Dieu, et qui ne tient point au monde. Mon mandement est devenu, Dieu merci, mon unique affaire, et il est déjà fait. J'ai

 

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tâché de choisir les termes les plus courts, les plus simples et les plus absolus. Il serait déjà publié, si je n'attendais les ordres du roi, que j'ai demandés à M. de Barbezieux, pour ne blesser point les usages du royaume par rapport à la réception des bulles et autres actes juridiques de Rome (a). Voilà, Monseigneur, l'unique raison qui retarde la publication de mon mandement. Il coûte, sans doute, de s'humilier ; mais la moindre résistance au saint Siège coûterait cent fois davantage à mon cœur; et j'avoue que je ne puis comprendre qu'il y ait à hésiter en une telle occasion. On souffre, mais on ne délibère pas un moment. Je serai, etc..

 

EPISTOLA CDLXXII. CAMERACENSIS ARCHIEPISCOPUS AD INNOCENTIUM XII. Cameraci, 10 aprilis 1699.

 

Sanctissime Pater, Mandatum, quod jam per hanc diœcesim propalatur, ad Beatitudinis Vestrae pedes humillimè sisto, ut certior fiât me apostolico Brevi, quo libellus de Sanctorum placitis, etc., damnatus est, plenissimè, simplicissimè et absque ullâ restrictione adhserere. Ex scriptis apologeticis per biennium excusis, ni fallor, innotuit me, in edendo libello, illusioni patrocinari nullatenùs voluisse; imô fuisse infensissimum. Insuper, ut iisdem scriptis declaravi, nihil certè piguisset ab eo tuendo desistere, ad pacem componendam. Verùm, sanctissime Pater, religio vetuit, ne aliéna? sententiae, reluctante conscientiâ, obsequerer, ad repudiandum uniformem, ut mihi tùm videbatur, tôt sanctorum cujusque aetatis sermonem, nisi Sedis apostolicae auctoritas accederet. Etenim testis est mihi cordium scrutator et judex Deus, id potissimùm mihi cordi fuisse, ut sanctorum expérimenta et dicta, in libello simpliciter relata, plerumquè temperarentur. Unde arbitrabar me abundè consuluisse, ne textus unquàm trahi posset ad sensum alienum ab eo, quem in apologeticis scriptis ingenuè et

 

(a) C'est là une des plus précieuses libertés de l'Eglise gallicane !

 

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constanter asserui. Verumtamen, sanctissime Pater, jam meum est credere mentem meam eo in libello malè esse explicitam, necrae in cautionibus adversùs errorem adhibendis proposito arduo excidisse. Ad hoc fatendum facile me movet tanta auctoritas, quam suscipiens tantulas ingenii vires nihili facio. lgitur nihil queror, nihil postulo, sanctissime Pater. Hoc unum mihi solatio erit, scilicet tribulationem humili et obedienti animo, quoad vixero, perferre. Eadem prorsùs erit semper, Deo dante, erga Sedem apostolicam reverentia et devotio; idem constans erga Ecclesiam matrem et magistram amor filialis. Easdem preces singulis diebus fundam, ut piissimus Pontifex gregem dominicum fructuosè, pacificè ac diutissimè pascat. Aeternùm ero intima cum observantiâ, et religioso animi cultu, sanctissime Pater, etc.

 

CDLXXIII. BREVE INNOCENTII XII AD ARCHIEPISCOPUM CAMERACENSEM. INNOCENTIUS PAPA XII.

 

Venerabilis Frater, Ubi primùm accepimus Fraternitatis tuae, mense aprili proximè elapso, ad nos datas litteras, unàque cum illis exemplar Mandati, quo apostolicae nostrae, libri à te editi cum viginti tribus inde excerptis propositionibus, damnationi humiliter adhaerens, eam commisso tibi gregi prompto obse-quentique animo edixisfi; summoperè laetati sumus. Novo siquidem hoc debitae ac sincerae tuae erga nos et hanc sanctam Sedem devotionis atque obedientiae argumento, illam quam de Fraternitate tuà jampridem animo conceperamus, opinionem abundè confirmasti. Nec sanè aliud nobis de te pollicebamur ; qui ejusmodi voluntatis tuae propositum diserte explicasti, ex quo ab hâc caeterarum matre et magistrâ Ecclesiâ doceri ac corrigi demisse postulans, parafas ad suscipiendum verbum veritatis aures exhibuisti ; ut quid tibi aliisque de libro tuo praefato, contentâque in eo doctrinâ sentiendum esset, prolato à nobis judicio statueretur. Tuae itaque sollicitudinis zelum, quo pontificiae

 

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sanctioni alacriter obsecutus fuisti, plurimùm in Domino commendantes, pastoralibus laboribus ac votis tuis adjutorem et protectorem omnipotentem Deum ex animo precamur ; tibique, venerabilis Frater, apostolicam benedictionem peramanter im-pertimur. Datum Romae, sub annulo Piscatoris, die 12 mah, anno 1699, pontiflcatûs nostri octavo.

 

LETTRE CDLXXIV. BOSSUET A M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS. A Meaux, ce 4 avril 1699.

 

Permettez-moi, Monseigneur, dans la petite peine que j'ai à écrire, de vous rendre compte par une main étrangère des lettres que j'ai reçues de mon neveu, hier et aujourd'hui, du 24 et du 31 mars.

M. le cardinal de Bouillon était fort fâché contre M. Madot, et je crois être obligé de vous en avertir, afin que vous préveniez les mauvais offices tant contre lui que contre mon neveu. Le sujet de sa plainte est qu'il nous a avertis, vous et moi, par un homme exprès, et que ce gentilhomme lui a offert son ministère pour cela. Mais outre toutes les raisons pour lesquelles il ne pouvait pas s'en dispenser, le Pape lui avait fait expressément témoigner qu'il le devait faire; craignant apparemment qu'on ne tournât de l'autre côté la chose au désavantage de Sa Sainteté et des congrégations, surtout des dernières qu'elle a fait tenir devant elle.

Le cardinal de Bouillon traite mon neveu avec un froid inouï. Mais j'ose vous dire qu'il ne s'en tourmente pas beaucoup, et qu'il continue à ne manquer en rien à ce qu'il lui doit. On apprend tous les jours de plus en plus son obstination à défendre M. de Cambray ; et je ne sais si vous savez que jusqu'au jeudi que le décret fut donné, il voulait qu'on mît après l'énoncé des propositions que M. de Cambray ne les avouait pas, quoiqu'elles fussent conçues dans les propres termes de son livre ; ce qui fut

 

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sifflé par les cardinaux, si on ose employer ce terme, et rejeté par le Pape avec force.

Il est bien constant qu'il n'a tenu qu'à lui qu'on n'ait fait une bulle avec tous ses accompagnements, et on n'a pris le parti d'un bref que pour mettre l'affaire entre les mains du cardinal Albani ; mais tous les adoucissements de ce cardinal n'empêchent pas la force de la constitution. Tous les gens de bien à Rome en sont ravis, et bénissent Dieu d'avoir si bien inspiré le Pape malgré la cabale dont il était obsédé. Au reste il est remarquable que dès le temps de Molinos le cardinal Azolin, qui était porté à le sauver, proposa de faire des canons ; ce qui fut rejeté alors comme il l'a été aujourd'hui.

Par la lettre du 31, M. le cardinal de Bouillon était encore plus fâché de ce qu'on avait averti du projet des canons. Mais quoique les lettres du roi soient arrivées après la chose faite, elles n'ont pas laissé de réjouir beaucoup le Pape, qui a jugé par là que le roi serait content de sa décision ; ce que le saint Père désirait beaucoup. M. le grand-duc lui a fait témoigner une vraie joie de sa prononciation ; ce qui l'a extrêmement satisfait. Au surplus tous les avis portent qu'on obtiendrait aisément de faire changer le bref en bulle : mais plus je pense à cette affaire, plus je trouve que la sagesse du roi lui fait prendre le bon parti, de se contenter de ce qu'il a, qui aussi est pleinement suffisant, sans entamer aucune nouvelle négociation, parce qu'il y aurait toujours, sinon du doute, au moins une longueur et de l'embarras sans nécessité, avec quelque sorte d'affaiblissement de ce qui a été fait, puisqu'on voudrait le corriger.

Mon neveu m'envoie un billet de M. Giori, où il marque qu'ayant rencontré M. le cardinal de Bouillon et lui ayant fait le salut qu'il devait, ce cardinal avait affecté de ne le pas rendre. Il traite ainsi tous ceux qu'il n'a pas pu attirer à ses sentiments, et continue à faire peur de M. de Cambray.

Nous sommes bien heureux de trouver un prince que sa grande autorité et sa grande sagesse mettent au-dessus des minuties. C'est aussi un avantage que M. le premier président sache si bien ce que c'est que l'Eglise et l'épiscopat, surtout quand il s'agit de

 

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la foi, dont Jésus-Christ a mis le dépôt entre les mains des évêques. Je prie Dieu qu'il bénisse ce que vous aurez à dire sur ce sujet-là, pour lever les impressions qu'on voudrait donner.

M. Phelippeaux me mande que le prince Vaïni doit arriver bientôt à la Cour, et qu'on lui doit savoir gré d'avoir si bien fait. Il m'envoie deux lettres de M. l'archevêque de Séville, qui marque qu'on ne connaissait en Espagne, de ce qui s'est écrit dans cette querelle, que votre seule Instruction pastorale en latin.

J'attends de jour en jour la soumission de M. de Cambray, et je ne doute point qu'elle ne soit nette. Les lardons de Hollande continuent à se déchaîner contre moi, et à donner des espérances que, par la définition qu'on demandera au Pape de la charité, je serai condamné, quoique avec moins d'éclat que M. de Cambray. Je finis en vous assurant de ma sincère et perpétuelle obéissance.

 

LETTRE CDLXXV. BOSSUET AU CARDINAL D'AGUIRRE Versailles, ce 6 avril 1699.

 

Comme ce n'est que le seul respect qui a suspendu mes lettres à Votre Eminence, après le jugement d'une cause où j'ai été plus mêlé que je ne voulais, je reprends l'ancien exercice de l'amitié cordiale que vous avez bien voulu qui fût entre nous. Elle est, Monseigneur, accompagnée de ma part, d'un tendre respect qui ne mourra jamais : j'espère toujours du côté de Votre Eminence les mêmes bontés. On m'a donné sur ce sujet-là quelque peine, en voulant me persuader qu'elle avait un peu écouté certains discours contre la douceur et la modération de ma conduite. Ma conscience, qui est pure de ce côté-là sous les yeux de Dieu, se justifiera aisément envers un homme aussi bon et aussi juste que Votre Eminence. Continuez-moi donc, Monseigneur, vos mêmes bontés : j'ai été un peu envieux des marques que j'en ai vues en d'autres mains ; mais c'a été sans me défier d'une amitié qui fait

 

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ma joie; et je suis, comme j'ai toujours été, avec le même respect, Monseigneur, de Votre Eminence, le très-humble, etc.

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