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LETTRE CDLXXVI. BOSSUET A SON NEVEU (a). A Versailles, ce 6 avril 1699.

 

Votre lettre du 17 fait voir au doigt et à l'œil le coup visible de la main de Dieu, dans la condamnation du livre de M. de Cambray. Quelques adoucissements qu'on ait tâché d'apporter à la censure, elle ne laisse pas d'être fulminante. Ce qui a paru ici de plus fâcheux, c'est le défaut de formalité. Sans bref joint au roi (b), sans aucune clause aux évêques pour l'exécution; sans rien notifier à M. de Cambray lui-même, qui prétendra, faute de cela, cause d'ignorance du tout. Mais on suppléera à tous ces défauts, sans fatiguer davantage la Cour de Rome, ni s'exposer à essuyer de nouvelles tracasseries.

De vous dire précisément ce qu'on fera, c'est ce que je ne puis encore. Vous pouvez seulement tenir pour assuré que la France signalera son respect et sa soumission envers le saint Siège, et ne laissera pas tomber à terre le décret que le Saint-Esprit lui a inspiré, quelque destitué qu'il soit des formalités ordinaires en ce royaume. Il nous a paru étonnant que M. le nonce n'ait eu aucun ordre particulier pour le roi, pour M. de Cambray, ni pour les évêques. Il semble que Rome ait eu peur du coup qu'elle a fait, et qu'elle craigne M. de Cambray, comme un homme qui puisse exciter des partialités dans le royaume. Mais vous les pouvez rassurer de ce côté-là. Nous lui savons gré de sa soumission ; mais je vous assure que s'il prenait un autre parti, de quoi il est fort éloigné, il ne trouverait pas un seul homme capable de remuer

 

(a) Revue sur l'original. — (b) Dans un bref particulier, répondant à la lettre que sa Majesté lui avait écrite sous la date du 16 mars, le souverain Pontife annonce au roi le jugement qu'il venait de porter contre le livre des Maximes. Bossuet ne connaissait pas encore ce bref. Nous l'avons donné un peu plus haut, p. 355.

 

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pour lui. Mais il se prépare à la soumission, et vous en verrez la preuve dans la copie d'une de ses lettres à M. d'Arras (a), que ce prélat vient de m'envoyer et que je vous envoie.

Nous croyons qu'en réponse à sa lettre à M. de Barbezieux, comme au secrétaire d'Etat de la province, le roi lui fera écrire qu'il peut faire telle soumission qu'il trouvera à propos. Je crois qu'il n'oubliera pas ce qu'il doit dire, pour reconnaître son erreur et donner gloire à la vérité, et qu'il parlera moins de croix que de soumission à une décision du saint Siège. La croix doit être pour un chrétien une persécution pour la justice; mais la condamnation d'une erreur doit être acceptée par un autre principe. Dieu lui inspirera les termes propres, et comme il les appelle, les plus courts, les plus simples et les plus absolus.

M. le nonce m'a parlé de ne plus écrire, et a lu au roi une grande dépêche de trois ou quatre pages pour cela. Je lui ai répondu fort franchement que personne n'avait ici l'envie d'écrire contre M. de Cambray, ni de le harceler; mais j'ai ajouté en même temps, qu'on ne pouvait s'accommoder d'une défense en égalité d'écrire de part et d'autre : nous avons bien vu de telles défenses quand on traite les questions indécises, mais qu'après une décision la défense d'écrire est uniquement pour ceux qui ont combattu la vérité, laquelle si on fait égale à ceux qui l'ont défendue, on donne lieu à ses ennemis de triompher, et on confond la vérité avec l'erreur.

Il nous a montré lui-même une lettre, où M. de Cambray dit nettement que s'il n'écrit pas, d'autres pourront écrire. En ce cas, faudrait-il se taire? La matière de l'oraison est-elle si indifférente, qu'on puisse n'en plus parler dans l'Eglise? Un tel ordre, je l'ose dire, ferait peu d'honneur au saint Siège. On doit croire que les défenseurs de la vérité écrivent avec précaution et sans irriter les esprits ; mais il ne faut pas croire que nous acceptions des défenses en égalité. C'est ce qu'il faut faire entendre, et y ajouter en même temps que je suis peut-être un de ceux qui ait le moins d'envie d'écrire sur cette matière. J'avoue que des ordres sur ce sujet-là ne me sembleraient pas honorables ni équitables à un

 

(a) Elle est imprimée ci-dessus, pag. 358.

 

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homme qui n'a jamais mis la main à la plume que pour défendre l'Eglise.

M. le nonce me dit en même temps qu'on m'exhortait à travailler à ramener M. de Cambray. Je lui répondis avec la même franchise, que je n'étais pas en demeure de ce côté-là. Aussitôt que j'eus la nouvelle de la censure, je fis écrire à M. de Cambray par M. le duc de Beauvilliers que j'avais une lettre de ce prélat, où il m'accusait de répandre de tous côtés que sa soumission ne serait qu'apparente et extérieure ; que cela était bien éloigné de ma pensée, et que je souhaitais qu'il le sût, afin de prévenir ceux qui tâchaient de l'aigrir contre moi (a).

Je n'ai reçu aucune réponse à ce compliment, et je demeure en repos, toujours prêt à faire tous les pas que la charité la plus tendre et la plus sincère pourra m'inspirer, sans donner aucunes bornes à ces sentiments.

Il sera temps que vous songiez au retour quand vous aurez vu l'effet des soumissions de M. de Cambray et de celles de toute la France. Nous ne doutons pas que ceux qui ont travaillé à adoucir une sentence très-juste et très-nécessaire, ne tâchent d'inspirer encore quelque chose qui l'affaiblisse, en faisant peur de M. de Cambray, qui n'est assurément à craindre en rien que dans le cas où l'on entrerait dans de faibles ménagements par une politique indigne de Rome.

Tout est calme et tout le sera dans le royaume ; et tant que nous sommes, sans mêler la moindre insulte envers la personne, nous ne songerons qu'à faire régner et triompher doucement et modestement la vérité et l'autorité du saint Siège.

Nous nous en allons dans nos diocèses, et tout sera en suspens durant les solennités pascales. Présentez les bonnes fêtes de ma part au grand cardinal Casanate, et assurez dans l'occasion de mes respects ces courageux défenseurs de la vérité, qui font la gloire de l'Eglise romaine et la feront respecter par les hérétiques.

 

(a) Cette conduite montre combien Bossuet était éloigné des sentiments de haine, qu'on n'a pas craint de lui prêter contre M. de Cambray. Au reste, M. de Cambray avait accusé Bossuet devant le nonce, comme on le voit dans une lettre donnée sous la date du 30 mars un peu plus haut, p. 348.

 

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LETTRE CDLXXVII. M DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS, A L'ABBÉ BOSSUET. 6 avril 1699.

 

J'ai reçu votre lettre du 17, Monsieur, et j'ai lu celle que vous avez écrite à M. de Meaux. Je me remets à ce qu'il vous mandera : nous travaillons à suppléer aux défauts du bref, et j'espère que nous en viendrons à bout. On nous donne de la peine de gaieté de cœur, car on aurait pu fort aisément éviter les fautes qu'on a faites : on les a laissé faire de propos délibéré pour nous faire incidenter ; mais le fond doit emporter la forme dans une occasion aussi importante.

Le P. Roslet est fort content de vous ; je suis fort aise que vous le soyez de lui. Je lui ai toujours recommandé de prendre des mesures avec vous ; Dieu les a bénites, il faut l'en louer. Croyez-moi toujours, je vous conjure, Monsieur, à vous de tout mon cœur.

 

LETTRE CDLXXVIII. LOUIS  XIV   A   INNOCENT XII. A Versailles, ce 6 avril 1699.

 

Très-Saint Père, après avoir reçu par le nonce de Votre Sainteté la part qu'elle m'a fait donner de son jugement sur le livre de l'archevêque de Cambray, je n'ai pas voulu différer à la remercier des peines et de l'application que le zèle infatigable de Votre Béatitude lui a fait apporter à la décision de cette affaire. Les instances que j'ai faites à Votre Sainteté pour terminer au plus tôt cette dispute, étaient fondées sur la parfaite connaissance que j'avais du préjudice qu'elle causait au bien de l'Eglise. L'intérêt que je prends à sa tranquillité m'oblige également à rendre des actions de grâces à Votre Béatitude, de l'avoir enfin procurée.

 

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Il me reste à souhaiter que Votre Sainteté puisse voir longtemps l'heureux fruit des soins qu'elle donne au gouvernement de l'Eglise, et qu'il plaise à Dieu d'accorder aux prières des fidèles la conservation d'un aussi grand Pape. Votre Sainteté doit être persuadée que j'y prends un intérêt particulier et personnel, et que je suis avec vénération, Très-Saint Père, votre dévot fils.

 

Signé : Louis.

 

LETTRE CDLXXIX. L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE (a). Rome, ce 7 avril 1699.

 

Depuis le courrier extraordinaire qui partit d'ici il y a six jours, et qui m'apporta les lettres du 17 du mois de mars sur le fameux projet des canons, je n'ai reçu par l'ordinaire que votre lettre du 16, avec vos trois lettres de compliments que j'ai rendues. M. le cardinal de Bouillon reçut la sienne, avec des protestations extraordinaires de vénération pour vous; mais il accompagna ces belles expressions de beaucoup de sécheresses pour moi, qui me tins pour dit ce qu'il faut là-dessus. Il prend pour être piqué, texte contre moi l'envoi du courrier, c'est-à-dire du pauvre M. Madot, qu'il prétend avoir traité le sien avec peu de respect par rapport à Son Altesse et à un courrier dépêché au roi. On lui a écrit de Lyon que M. Madot avait manqué de parole au sien, qu'il s'était chargé de prendre un billet de poste pour eux deux, puis que M. Madot était parti seul, que cela avait obligé le sien de dépêcher un courrier frais de Lyon, qui attraperait sans doute M. Madot, et arriverait bien devant lui, de quoi assurément je me soucie fort peu.

M. le cardinal de Bouillon prit plaisir de me lire cette lettre en bonne compagnie, avec un certain air que je compris fort bien. Mais j'y répondis en badinant, ne prenant aucunement sur mon compte ce qu'il disait de M. Madot, ne voulant disputer aucun fait ; mais lui disant néanmoins que tout ce qu'on lui mandait de

 

(a) Revue et beaucoup augmentée sur l'original.

 

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M. Madot me paraissait peu vraisemblable et très-outré, surtout ce qu'il me dit que M. Madot par son argent avait fait arrêter son courrier cinq heures à Pise : ce que je lui fis voir ne pouvoir être, puisqu'il aurait fallu pour cela qu'il eût gagné M. le grand-duc qui y était en personne. Enfin sur ce qu'il dit qu'il était bien aise de m'apprendre que son paquet arriverait avant le mien, je l'assurai en riant et du ton qui convenait à la matière, que je n'a-vois jamais pensé qu'un courrier qui partait huit heures après le sien, qui était dépêché à vous, qui seriez apparemment à Meaux, pût porter le premier à la Cour cette nouvelle. Du reste que je ne pouvais me dispenser dans les circonstances de faire ce que j'avais fait. Je ne voulus entrer avec lui dans aucune sorte de justification, et lui parlai toujours d'un air respectueux, mais très-assuré et très-peu embarrassé : et lui d'un air un peu enflammé, mais néanmoins sans dire une parole là-dessus qui pût me marquer ouvertement qu'il s'en prenait à moi; et je ne fis semblant de rien. Je ne l'ai pas vu depuis ce temps-là, et je le verrai dorénavant très-rarement. Il a peine à cacher son chagrin ; il ne peut revenir de la condamnation de son cher ami, à qui il avait promis un plus heureux sort. J'ai bien vu que ce qu'a porté le dernier courrier de la Cour ne l'a pas bien disposé à mon égard; mais il faut se consoler et avoir patience. Je suis bien sûr que M. le cardinal de Bouillon n'osera avoir aucun éclaircissement avec moi sur ce qui regarde sa conduite sur cette affaire. Il n'a jamais osé entrer en rien là-dessus avec moi; marque certaine qu'il sent son tort, et qu'il voit bien qu'il ne lui serait pas aisé de me faire convenir de ce que je sais qui n'est pas vrai.

Je me porte bien, Dieu merci, à un peu de rhume près, qui ne m'empêche de rien.

J'ai appris par M. Anisson, de Lyon, que M. l'intendant de Lyon, à qui M. Madot avait laissé un exemplaire du bref, lui en avait fait part, et que lui l'avait fait imprimer aussitôt.

Comme je ne doute pas que nos courriers ne soient arrivés à Paris au plus tard le dimanche 22 de mars, j'espère par l'ordinaire prochain, qui arrivera demain et qui apportera les lettres du 23 ou du 24 au matin, savoir ce que vous aurez dit du bref

 

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quant au fond et quant à la forme. Mes lettres, depuis quatre semaines, vous auront tout expliqué ; et je ne vois ici rien de changé dans les dispositions de cette Cour, qui est dans une terrible impatience de savoir comment leur décision sera reçue en France, comme aussi de ce que fera M. de Cambray.

Sa Sainteté est incommodée d'un gros rhum e depuis quelques jours, il a même eu de la fièvre. Il y a apparence que ce ne sera rien. Mais il a quatre-vingt cinq ans. Tout est à craindre. J'aurais été ces jours passés à ses pieds sans cela. J'attends pour y aller les lettres de l'ordinaire.

On est ici bien fâché du retardement de M. de Monaco, qui écrit ici que la goutte l'a repris à Monaco, avec de la fièvre et très-forte, et qu'elle a accoutumé dans ce temps-ci de lui durer quelque temps. Si cet ambassadeur n'arrivait pas ici dans ce mois, cela me dérangerait furieusement dans mes mesures. Tous les honnêtes gens, je l'ose dire, souhaitent fort que je le voie ici. Le cardinal de Bouillon, au contraire souhaiterait fort que je fusse déjà parti. Le cardinal de Bouillon ne craint ici que moi, et s'imagine faire entendre ce qu'il voudra à l'ambassadeur par rapport à lui, par rapport à moi et par rapport à ceux dont il se veut venger. D'ailleurs j'ai besoin de lui pour obtenir l'induit pour les bénéfices qui dépendent de mon abbaye. J'avoue que cela m'inquiète fort; car si je l'ose dire, je veux m'en aller avant les grandes chaleurs, et pour cela je ne puis retarder plus longtemps qu'à la fin de mai. Car je suppose que tout ce qui peut regarder l'affaire de M. de Cambray sera terminé avant ce temps.

On souhaite fort ici qu'avant que je parte je fasse quelques instances au Pape sur l'affaire de Sfondrate, pour la faire reprendre, et que j'en parle aux cardinaux. J'attendrai là-dessus ce que vous jugerez à propos de m'en écrire. Je le pourrais faire quand je prendrai congé de Sa Sainteté, et de même des cardinaux.

On commence demain l'affaire de l'idolâtrie des Chinois et des Jésuites. Selon toutes les apparences les Jésuites auront du dessous. Le cardinal de Bouillon et le cardinal Albani ne s'oublieront pas pour parer le coup, s'ils peuvent.

M. de Châteauneuf, mon grand-vicaire pour les bénéfices de

 

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mon abbaye, vous a écrit, à ce qu'il me mande, sur un bénéfice qui dépend de mon abbaye, vacant depuis trois mois. Je vous envoie le mémoire qu'il m'envoie (a), et vous dirai que j'ai su la mort du dernier titulaire à Malte le 3 de février de cette année, que j'y ai pourvu ici, c'est-à-dire que j'y ai nommé un religieux le même jour et n'ai pas laissé de faire prendre des dates en daterie pour vous le lendemain vaille que vaille. Plusieurs chevaliers de Malte ont pris date aussi. Nous verrons ce que cela deviendra. S'il est vrai que le roi ait déjà nommé, ce sera le plus embarrassant ; car apparemment on le fera nommer encore. Il est certain que le bénéfice m'appartient, il est dans le diocèse de Saintes, et M. de Saintes dans une lettre que j'ai ici me marque qu'il peut valoir 3000 livres de rente. Vous voyez bien de quelle conséquence il serait pour nous et pour nos amis que j'eusse l'indult.

Plus je me trouve de repos, plus je me sens affligé et pénétré de douleur, de la perte que nous avons faite. Je n'ai pu encore prendre sur moi de faire réponse aux compliments que j'ai reçus là-dessus : je remets d'ordinaire en ordinaire.

Je mets tout à fait M. Phelippeaux dans son tort par le procédé que j'ai avec lui. Je ne fais semblant de rien (b).

 

LETTRE CDLXXX. BOSSUET A L'ABBÉ RENAUDOT. A Meaux, 11 avril 1699.

 

J'ai reçu ce matin, Monsieur, avant mon départ pour Issy, le

 

(a) Ce mémoire, le voici :

Le prieuré de Saint-Pierre et Saint-Paul de Bouteville, diocèse d'Angoulême, était possédé par frère Henri Auguste de Béon de Luxembourg, chevalier de Malte, décédé à Malte le 15 janvier 1699.

Il y avait été nommé par le roi, qui y a nommé les deux dernières fois qu'il a vaqué. M. de Brienne, secrétaire d'Etat, oncle dudit chevalier de Luxembourg, obtint par son crédit que le brevet de Sa Majesté prévalût à la nomination qu'avait faite dans ce temps le défunt abbé de Savigny.

On ne marque pas en faveur de qui la nomination dudit abbé de Savigny avait été faite, mais seulement que le roi prétend y nommer encore à présent.

Voilà la copie du mémoire que m'envoie M. de Châteauneuf. Je vous l'envoie à tout hasard. On se trompe sur le diocèse, car il est du diocèse de Saintes.

(b) Pour n'être ni courtisan, ni rusé, ni retors, M. Phelippeaux n'en était pas moins un habile négociateur, parce qu'il avait l'entraînement du zèle et les séductions de la vertu. Il rendit à Rome de grands services à la vérité. En France, les accusations de l'abbé Bossuet n'atteignirent pas M. Phelippeaux ; mais le témoignage de M. Phelippeaux resta sur l'abbé Bossuet.

 

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paquet que vous m'avez envoyé, et je vous en rends grâces très-humbles. J'aurais bien voulu conférer un moment avec vous sur ce sujet-là. Mais cela se pourra faire à une autre fois, puisque je serai sans faute, s'il plaît à Dieu, à Paris le mercredi d'après Pâques. Je vous supplie, en attendant, de vouloir bien témoigner à M. le nonce que plus je reçois de lettres de mon neveu et de mes amis, plus je vois sensiblement l'obligation extrême que nous lui avons. Vous ne sauriez trop lui en marquer ma reconnaissance. On ne peut point être longtemps sans recevoir la soumission de M. l'archevêque de Cambray : je ne doute point qu'elle ne soit comme il faut, et j'en prie Dieu de tout mon cœur. Je lui ai fait une avance de civilité, à laquelle il n'a point trouvé à propos de rien répondre. Il me suffit qu'il fasse bien envers le public, et je serai toujours des plus aisés à contenter. J'espère qu'à votre ordinaire vous aurez toujours la bonté de m'avertir, et la justice de croire que je suis à vous comme à moi-même.

 

EPISTOLA CDLXXXI. D. CAMPIONUS AD EPISCOPUM MELDENSEM. Romœ, 7 aprilis 1699.

 

Utinam, quo vestra illustrissima Dominatio fatetur se labo-rasse, morbi causa, non fuerit nimis molesta lectio mei liberculi. Aliam sanè non diceret, qui mea metiretur ex me ; verumtamen danda sunt laetiora vestrae benignitati, quâ me suscipitis et mea nimis gratanter. Antidotus illa est satis efficax, cujus vim supprimera nec valeat calumnia viridantior. Absit igitur infaustum hocce prognosticum. Cogitem fausta quaeque, nam omnia vestrae benignitatis plenissima. Quarè cum illustrissime Dominatione vestrà gratulor de salute restitutà, sed et mecum de attestatione exhibitâ Dissertationi de necessitate amoris Dei. Sanè argumentum

 

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operis non poterat non placere prœsuli, qui totus Dei amorem spirat : argumenti tractatio non poterat displicere prœsuli in Galliis, quarum ecclesiasticus ordo totus est, ut operibus, verbis et scriptis flrmet traditionem non interruptam ex Scripturà et Patribus de necessitate amoris praedicti. Et si argumenta grandia semper tractarent animae grandes, quia tractata pro dignitate semper dignioribus placèrent ; sed quoniam non semper tractant fabrilia fabri, argumentum grande perdit plerumquè dignitatem ex humilitate tractantis. Vestrœ nihilominùs illustrissimœ Dominationis testimonium, utpotè ob doctrinam, pietatem et dignitatem omni exceptione majus, universo notum faciet argumentum adeô grande, si non digne, saltem à me haud indigné tractari. Quam tenui, ob fines in mea ad illustrissimam vestram Dominationem sub die 3 octobris prœteriti expositos, scholastica methodus non erit ingrata in Galliis, nunc jàm vestro fulta praesidio. Adstat Ecclesiae Galliarum regina charitas in vestitu deaurato, circumdata varietate multiplicium graduum. Ratihabitione vestrà, quae comparatur imperio, misit jam nobilis regina ancillas, nempe scholasticam, ut vocarent ad arcem et ad mcenia civitatis. Utinam catholici omnes in eam veniant unanimes, uno ore dicentes : Qui non amat Dominum Jesum Christum, anathema sit. Et quidem ut omnes radicentur in charitate perfectâ, satagit illustrissima vestra Dominatio opère, verbo et exemplo. Faxit Deus ut saltem imperfections necessitatem, quam asserui, peccatoribus qui piè volunt vivere in Christo omnes agnoscant, et idipsum sapiant.

Dilata est post festa Paschalia cognitio causae notœ vestrae illustrissimœ Dominationi : exitum aperiam suo tempore. Interim subscribor, etc.

 

LETTRE CDLXXXII. BOSSUET  AU CARDINAL D'AGUIRRE. A Meaux, le 12 avril 1699.

 

Quand j'eus l'honneur de vous écrire par le dernier ordinaire, la lettre de Votre Eminence ne m'avait pas encore été rendue.

 

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Elle m'a comblé de joie par les marques sensibles qu'elle contenait de votre tendre et précieuse amitié. Je sais, Monseigneur, avec quel zèle Votre Eminence a concouru à la suprême décision du saint Siège. Elle arrête un mal qui menaçait la France et toute l'Eglise, de suites plus dangereuses encore que celles qu'on a peut-être vues : le reste s'achèvera deçà avec toute prudence et douceur ; mais la chose, Monseigneur, était venue au point où il fallait éclater, et bien haut. Je me réjouis au dernier point de voir recommencer notre commerce. Mon neveu m'apprendra bientôt de vos nouvelles ; et je supplie Votre Eminence de lui conserver quelque part dans l'honneur de vos bonnes grâces. Je suis avec le respect le plus sincère, etc.

 

LETTRE CDLXXXIII. BOSSUET  A  SON NEVEU. A Meaux, ce 12 avril 1699.

 

Je reçus vendredi 10 et samedi 11, en partant pour Meaux, vos lettres du 24 et du 31 mars, avec la copie de celle à M. de Paris, du 30. Je vous écris par une main étrangère, à cause d'une petite ébullition (a), dont il ne faut point du tout être en peine, Dieu merci. Je souhaite que votre rhume se passe de même.

Il est inutile de parler davantage du bref. On le recevra comme il est, et on le fera valoir du mieux qu'il sera possible. On trouve ce parti plus convenable que d'entamer de nouvelles négociations, et de s'exposer à voir peut-être affaiblir encore le jugement, en le faisant réformer. Je retournerai à Paris, Dieu aidant, le mercredi d'après Pâques, pour voir de près ce qui se fera.

La lettre de M. de Cambray à M. d'Arras est ici prise fort diversement. La cabale l'exalte, et les gens désintéressés y trouvent beaucoup d'ambiguïtés et de faste.

 

(a) Cette indisposition était une érésipèle considérable, occasionnée selon Fagon, médecin du prélat, par la mauvaise nourriture du carême et par un rhume négligé. Bossuet consentit avec bien de la peine, comme l'exigea Fagon, à rompre le jeûne et le maigre, et à prendre du repos. (Les édit.)

 

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Je me réjouis beaucoup de votre prochain retour, et je ne vois rien qui doive vous arrêter.

 

LETTRE CDLXXXIV. LE CARDINAL D'ESTRÉES A L'ABBÉ BOSSUET. Paris, ce 13 avril 1699.

 

Je vous suis très-obligé, Monsieur, des marques qu'il vous a plu de me donner de votre souvenir par votre lettre du 31 mars. J'ai entretenu à fond et avec beaucoup de plaisir M. des Roches de tout ce qui s'est passé dans cette affaire également importante et épineuse. Vous avez eu à combattre jusqu'aux derniers moments; mais enfin le succès vous a bien récompensé de toutes vos peines. Je me propose un grand plaisir à votre retour, que je vois proche, qui sera de repasser avec vous toutes ces matières, et les particularités d'une Cour qui me sont assez présentes. Je n'en aurai pas un moins sensible de voir à votre arrivée les marques d'estime et d'approbation que Sa Majesté donnera à votre conduite, et que tous les honnêtes gens suivent déjà dans le monde. On ne peut être avec plus de passion que je suis, Monsieur, votre très-affectionné serviteur,

Le cardinal d'Estrées.

 

LETTRE CDLXXXV. L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE (a). A Rome, ce 14 avril 1699.

 

J'ai reçu les lettres du 23 mars, et celle en particulier que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, qui m'a comblé de joie. C'est à présent que je puis dire que je suis content de vous voir content de la décision, de savoir le roi content et tous ceux qui aiment

 

(a) Revue et complétée sur l'original

 

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la religion et le bien de l'Etat satisfaits. Je n'ai jamais souhaité autre récompense que celle-là, du peu de peine que je puis avoir pris. C'est dans Rome une joie universelle, d'apprendre les témoignages que le roi a donnés de sa satisfaction.

Je reçus jeudi, 9 de ce mois, les lettres de M. de Paris, les vôtres et de M. de Reims. Je crus ne pas devoir perdre un moment de temps pour aller aux pieds du Pape, que je savais être dans une inquiétude et une impatience extrêmes, de savoir la manière dont sa décision aurait été accueillie par le roi et par les évêques. Je me doutai bien que le cardinal de Bouillon ne se presserait pas de lui faire rien savoir là-dessus. Je vis avant le Pape un moment le cardinal Spada, à qui je dis que je venais porter aux pieds de Sa Sainteté, les lettres que j'avais reçues de France. Il me dit ce que M. le nonce lui écrivait de la satisfaction toute particulière de Sa Majesté, et des témoignages de bonté pour lui, et de reconnaissance envers le Pape, que le roi lui avait donnés, dont il allait rendre compte au Pape, ce qu'il fit dans le moment; et Sa Sainteté ayant su que j'étais là, quoiqu'elle ne donnât audience à personne à cause de son rhume, eut la bonté de me faire entrer.

Il serait difficile de vous exprimer la joie qu'il me témoigna de tout ce que je lui dis. Il voulut que je lui lusse ce que vous m'écriviez, ainsi que M. de Paris : je lui lus aussi l'article de la lettre de M. de Reims. Il me témoigna être très-fâché de n'avoir pas fait une bulle ; qu'il ne savait pas comme cela s'était fait, que si on lui avait dit la moindre chose là-dessus, qu'il en aurait donné cent pour une; mais qu'on ne lui en avait pas fait la moindre difficulté, non plus que du motu proprio. Quand je lui lus ce que vous me mandiez, que vous ne saviez pas s'il y avait quelque exemple d'une décision de foi, avec l'expression des propositions condamnées, faite par un bref sub annulo Piscatoris, il me répondit qu'on lui avait dit qu'il y en avait ; et sur ce que vous ajoutiez, qui eût été au moins reçue en France en cette forme, il me dit encore que oui. Je crus devoir l'assurer là-dessus que les difficultés pour la réception ne viendraient pas de la part du roi ni des évêques, mais seulement de la part des parlements, qui

 

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avaient leurs règles et leurs usages, dont ils ne se départaient pas. Je vis bien clairement qu'il est fâché de n'avoir pas fait une bulle en forme ; mais qu'à présent il voudrait bien qu'on pût se contenter de son bref, la chose étant faite. Je crus qu'il était à propos de le laisser en suspens là-dessus, afin qu'on soit en état, si on a quelque chose à demander là-dessus, de le pouvoir faire plus aisément, et de le trouver préparé. Il se mit à rire, quand je lui lus l'endroit d'une lettre, qui disait qu'on croyait, s'il y avait quelque chose à demander, qu'on pourrait attendre l'arrivée de l'ambassadeur, qu'on comptait prêt à être ici.

Il me demanda à propos de cela, des nouvelles de M. de Monaco. Il me parut qu'il souhaitait fort qu'il vînt, et me dit qu'on faisait courir le bruit à Rome qu'il ne viendrait qu'au mois d'octobre. Je lui lus un article d'une lettre que je venais de recevoir de M. de Monaco, par lequel il me marquait que, sans la goutte qui le retenait immobile dans son lit, il serait déjà ici, à son devoir aux pieds de Sa Sainteté, et qu'il n'attendait pour cela que le moment qu'il se pourrait traîner : Iddio sia benedetto, me dit-il.

Comme je le vis de très-bonne humeur, et sans aucune impatience de me congédier, je lui dis que ce n'était pas seulement en France qu'on lui donnerait des louanges et des bénédictions sur ce sujet, mais que de tous les royaumes du monde il viendrait des approbations de sa décision ; qu'en Espagne on était disposé à l'égard de cette pernicieuse doctrine de M. de Cambray comme en France; je lui montrai là-dessus la relation de Salamanque, que je vous envoie. Il me dit d'abord : Qu'importe, dit-il, des Espagnols, pourvu qu'on soit content en France. Mais après que je lui eus représenté qu'en matière de foi et de doctrine, on ne pouvait trop désirer le consentement universel de toutes les parties de l'Eglise, qui était le vrai témoignage de la tradition, il me dit que je disais vrai, et voulut que je lui lusse cette relation, qui lui fit grand plaisir. Il me répéta plusieurs fois : Il quietismo francese de la Relation ; et me dit que c'était à présent au roi à achever ce qu'il avait commencé; qu'il fallait espérer que l'archevêque de Cambray reconnaîtrait ses erreurs et s'humilierait ;

 

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qu'il attendait les nouvelles de ce pays-là avec grande impatience : il donna des louanges infinies à M. de Paris et à vous.

Sur ce qu'il me dit qu'il aurait été à souhaiter qu'on n'eût pas tant écrit, je le suppliai de vouloir bien distinguer ceux qui écrivaient pour soutenir l'erreur d'avec ceux que la vérité faisait parler; et qu'il devait cette justice aux évêques qui avaient été obligés de soutenir l'ancienne doctrine de l'Eglise contre des nouveautés aussi pernicieuses. Il eut la bonté de me dire qu'il me priait de croire qu'il rendait là-dessus une entière justice aux évêques, et qu'il était très-capace de tout ce que je lui avais toujours représenté là-dessus. Il eut la bonté de me dire ce que M. le nonce écrivait, du contentement de Sa Majesté, ce qui lui donnait une joie et une consolation infinie, comme tout ce que je lui marquois de la part de vous et de M. de Paris. Sa Sainteté m'ordonna de venir le voir toutes les fois que je le voudrais, et surtout quand je recevrais des nouvelles de France, pour l'instruire de tout ce qui se passerait sur l'affaire. Il me dit qu'il s'attendait que le cardinal de Bouillon ne tarderait pas ce jour-là, ou le lendemain, de venir lui témoigner la satisfaction du roi et de toute la France. Mais il a été trompé; car le cardinal de Bouillon a laissé passer tout le jeudi, le vendredi et le samedi, sans faire là-dessus la moindre diligence. Pour M. le cardinal de Bouillon, il reçut samedi son courrier, que M. Madot avait laissé derrière lui à Lyon, qui a été redépêché, et qui a apporté des lettres du 31 mars. M. le cardinal de Bouillon alla le lendemain dimanche chez le Pape, apparemment lui témoigner la satisfaction du roi.

J'ai vu tous les cardinaux de la Congrégation, à qui j'ai fait part comme à Sa Sainteté, du contentement de la France; ils m'en ont tous témoigné une joie sensible : ils conviennent qu'on devait faire une bulle; mais ils disent que c'est la faute de M. le cardinal de Bouillon et du cardinal Albani, aussi bien que le motu proprio. Les cardinaux Carpegna, Noris, Albani et Panciatici, qui ont vu depuis jeudi le cardinal de Bouillon ou en congrégation ou en chapelle, m'ont dit qu'il ne leur avait pas ouvert la bouche de la manière dont leur jugement avait été reçu en France, et que sans moi ils seraient encore à le savoir. Jamais consternation

 

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n'a été plus grande chez le cardinal de Bouillon qu'elle l'a été depuis les nouvelles arrivées de France. Pour moi, je ne sais pas ce que cette Eminence pouvait s'imaginer. Je n'ai pas jugé à propos d'aller chez M. le cardinal de Bouillon depuis quelques jours. Je sais qu'il paraît de mauvaise humeur contre moi, à cause du courrier. Voilà un prétexte bien léger, et ce n'est pas là assurément ce qui le touche le plus. Je ne manquerai en rien de ce que je lui dois ; mais avec sa permission, je ne me repentirai jamais de ce que j'ai fait, n'ayant fait que ce que je devais faire. On vient de me dire une chose de lui, que je ne crois pas, mais qui me vient néanmoins de bonne part ; mais encore une fois je ne la puis croire. On dit qu'il a dit à un François, que vous ne connaissez pas qui est un de ses favoris, qu'il ne garderait plus aucune mesure avec moi. Je saurai dans peu ce qui en est ; et si cela se trouve vrai, je pense que le mieux que je puisse faire pour éviter tout inconvénient, sera de ne pas aller chez lui, jusqu'à ce que je sache qu'il a mis de l'eau dans son vin. Je vous prie de prévenir le roi là-dessus. Je puis vous assurer que je n'ai manqué en rien de ce que je lui devais. Il est vrai que je n'ai rien oublié de ce qui pouvait contribuer à la condamnation de M. de Cambray, et à lever les terreurs paniques qu'on voulait donner là-dessus : mais je ne crois pas avoir dû mériter par là l'indignation d'un grand cardinal qui aime la religion, et d'un grand ministre qui a à cœur les intérêts de son maître, et que j'ai dû supposer suivre en tout ses intentions.

Je sais que M. le cardinal de Bouillon prétend s'être justifié à merveille sur les canons, et avoir prouvé qu'il n'y a eu aucune part, et cela par le témoignage du Pape et du cardinal Spada. Il rejette tout sur le carme, qui, dit-il, a un pouvoir infini sur l'esprit du Pape. Il se peut faire, et je n'ai jamais dit le contraire, que ce fût un autre que le cardinal de Bouillon qui ait en personne proposé au Pape cet expédient; mais que ce n'ait pas été de concert avec lui, qui fut seul dans les congrégations de l'avis des canons, il sera difficile de le persuader dans les circonstances présentes. Je sais fort bien que ce fut le cardinal Ferrari et le carme qui firent impression sur le Pape; mais qui nous dira la

 

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main secrète de tant de ressorts qu'on a joués? Mais qu'importe à présent? Tout est fini, Dieu merci, et bien; et je veux croire tout ce qu'on voudra. Je veux croire encore que les Jésuites, ce qu'ils veulent persuader, qu'ils ont toujours condamné et anathématisé le livre des Maximes, quand il est plus que certain qu'ils en ont été les plus ardents défenseurs. Je sais fort bien distinguer le P. de la Chaise et deux ou trois de nos amis. Ils sont contre. Je vous prie de le lui dire, et j'en parle ainsi ici dans l'occasion (a).

Tous les cardinaux que j'ai vus me confirment, les uns après les autres, la partialité étrange du cardinal de Bouillon : les uns me disent une chose, les autres une autre, et tout se rapporte à merveille.

Le cardinal Noris me dit encore hier que le jugement qu'on avait rendu contre M. de Cambray, était le plus doux qu'il pût jamais espérer. Il ne veut pas que je croie qu'il a eu plus de part que personne à cette douceur ; il rejette tout sur le cardinal Albani. Ce cardinal m'a montré dans les Mémoires du clergé, un exemple d'un bref motu proprio, sur lequel le roi a donné des lettres patentes. C'est la prohibition de la traduction du Missel romain, en français, faite par Alexandre VII (b). Mais la question est de savoir si ces lettres patentes ont été homologuées en parlement, ce qui n'est pas marqué. Il est vrai que le roi dit dans ses lettres patentes qu'il n'y a rien dans ce bref, qu'il qualifie d'universel ou général, qui soit contraire aux libertés de l'Eglise gallicane ; il conclut que le motu proprio et la forme de ce bref ne blessent en rien les libertés et usages de ce royaume. Cet exemple est considérable et pourrait être le seul. Ce qu'il y a de

 

(a) La première édition, et par suite toutes les autres, suppriment les dernières phrases qu'on vient de lire : « Je sais fort bien distinguer le Père de la Chaise et deux ou trois de nos amis, » etc. Pourquoi cette suppression? Pour envelopper tous les Jésuites, tous jusqu'au dernier, dans l'accusation de l'abbé Bossuet, pour faire retomber surtout le corps les foudres du terrible correspondant.— (b) Le bref dont il s'agit « n'a jamais, comme le dit Bossuet dans sa lettre du 4 mai suivant, été porté au parlement, ni les lettres patentes vues. » En effet le roi ne donna point de lettres patentes sur ce bref ; mais le clergé obtint le 4 avril 1661, un simple arrêt du conseil pour en ordonner l'exécution : arrêt qui est mal à propos qualifié de lettres patentes dans la Relation des délibérations du Clergé, imprimée en 1677. « On n'a eu en France, ajoute Bossuet, aucun égard à ce bref; et l'on fut obligé, pour l'instruction des nouveaux catholiques, de répandre des milliers d'exemplaires de la messe en français. » (Les édit.)

 

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vrai, c'est qu'il ne s'agit dans ce bref que de la simple prohibition d'un livre, ce qui ne mérite pas une bulle. Mais je ne crois pas qu'on trouve, comme vous dites, un exemple qu'il y eût une décision de foi, avec l'expression des propositions condamnées par un bref sub annulo Piscatoris, qui ait été reçue en France. La seule chose qui fera difficulté ici à changer le bref en bulle et à ôter le motu proprio, ce sera qu'il semblera par là que le Pape reconnaît et permet, et trouve bon qu'on ne reçoive ses jugements, que quand ils sont faits en forme de bulle et sans le motu proprio. Cette délicatesse fera toute la difficulté; néanmoins je pense qu'on pourra trouver, si on le veut, quelque prétexte et quelque expédient. Par les lettres du prochain ordinaire, je verrai ce que vous nous écrirez.

J'ai oublié de vous dire que le Pape, en deux endroits de votre lettre, jeta des larmes de joie, et ce bon homme le cardinal Casanate aussi. Ce cardinal appelle le quiétisme de M. de Cambray il molinosismo togato : le molinosisme habillé de long, c'est-à-dire, comme un ecclésiastique, sous un habit de piété.

Le cardinal Spada est ravi de joie ; le cardinal Panciatici aussi. Je lui ai bien dit la justice qu'on lui rend.

Ce qui me fait, je l'avoue, un plaisir infini en particulier, c'est que je remarque dans tous, je l'ose dire, une bonté particulière pour moi, et ils veulent bien me marquer un peu d'estime. Pour vous, sans flatterie, vous êtes regardé comme le défenseur de la religion, et comme le premier homme de l'Eglise.

Vous verrez par la copie que je vous envoie de la lettre de M. de Monaco, la part que je lui ai donnée de la fin de cette affaire. Il en est véritablement aise. Le cardinal de Bouillon a trouvé mauvais que j'aie pris cette liberté, aussi bien que de ce que j'ai fait à l’égard du grand-duc.

Le cardinal Spada a dit ce matin que M. de Cambray avait su sa condamnation, et qu’il avait témoigné dans un sermon qu’il avait fait le jour de l'Annonciation à son peuple, sa soumission à ses supérieurs: apparemment le cardinal de Bouillon aura su cette nouvelle par ses lettres du 31. L’abbé de Chanterac alla chez lui peu de temps après l'arrivée du courrier.

 

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LETTRE CDXCI. BOSSUET A  SON NEVEU. A Versailles, ce 29 avril 1699.

 

On a reçu enfin, mais hier au soir seulement, votre lettre du 7 avril. M. de Madot, qui partira cette nuit, vous portera cette réponse. Je lui ai fait part de ce qu'on disait contre vous et de ce que vous aviez répondu pour votre défense. Il vous en dira lui-même son sentiment, qui se trouve conforme au vôtre.

Vous verrez, par la lettre dont je vous envoie copie (a), la résolution qu'on a prise ici pour l'exécution de la Constitution apostolique. On la recevra avec tout le respect dû au saint Siège et avec la plus grande solennité.

Si les évêques entrent dans cette affaire, c'est parce qu'il le faut conformément à nos maximes pour authentiquer la constitution, et faire exécuter ce qui y est porté, après l'avoir reçue canoniquement, etc.

 

(a) C'était la lettre du roi aux archevêques. Il en a été parlé ci-dessus, Lettre CDLXXXVIII.

 

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J'ai rendu compte de ce qu'on projette à M. le nonce, qui en a paru assez content, et qui le sera tout à fait, quand il aura vu les lettres du roi. M. de Paris nous a convoqués pour le 13 de mai.

On adressera une pareille lettre à tous les métropolitains et à M. de Cambray même, avec quelque légère différence tirée des circonstances de sa personne. Par ce moyen tout sera fini du consentement de tout le monde, et il n'y aura pas de question de fait. C'est pourquoi l'on veut se contenter de la soumission de cet archevêque, quoiqu'on voie bien ce qui y manque, combien elle diffère de celle de Leporius dictée par saint Augustin, et se trouve peu conforme à ce que les auteurs du temps marquent de celle de Gilbert de la Poirée (a).

Je vis hier chez le roi M. le prince de Vaïni, qui me parla de vous de la manière du monde la plus obligeante. Il me fit tant d'honnêtetés de la part de Sa Sainteté, que j'en étais tout confus. Il me témoigna qu'il avait beaucoup de particularités à me dire. Je tâcherai de le voir demain à Paris.

On ne croit pas que M. le prince de Monaco puisse être sitôt à Rome, la goutte le retenant à Monaco. Je vous envoie une lettre à toutes fins pour lui, sur votre induit. Le roi lui a fait écrire de vous accorder ses bons offices auprès du Pape et des ministres.

Vous faites bien de ne cesser de rendre tous vos respects à M. le cardinal de Bouillon : n'oubliez pas de le bien assurer des miens.

On doute que vous puissiez voir M. le prince de Monaco à

 

(a) Gilbert de la Poirée, évêque de Poitiers, était savant, mais trop livré aux subtilités de la philosophie d'Aristote. Il voulut juger des choses divines par les faux raisonnements d'une vaine dialectique, et s'égara sur le mystère de la Trinité. Saint Bernard, plein de zèle pour la doctrine catholique, attaqua fortement ses erreurs, le convainquit dans le concile tenu à Reims en 1148, par Eugène III, et dressa une profession de foi toute contraire, qui fut adoptée par le concile. Gilbert se soumit, et condamna humblement les fausses opinions qu'il avait avancées : In eodem conventu sententiœ episcoporum humiliter acquiescens, tàm hœc quàm cœtera cligna reprehensione inventa proprio ore dumnavit. Le concile ne lui fit grâce qu'en considération de la sincérité avec laquelle il confessa publiquement les erreurs qu'il avait enseignées : Consentiens et publicè refutans quœ priùs scripserat et affirmaverat indulgentiam ipse consequitur (S. Bernard, In Cantic., Serm., LXXX, tom. I, p. 1346.) Fénelon fut traité avec plus de ménagement.

 

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Rome. Je trouve très-bon que vous différiez le plus que vous pourrez, pour toutes les raisons que vous me marquez, et surtout par rapport à votre induit, supposé que vous voyiez jour à réussir. Mais enfin il faut revenir le plus tôt qu'il sera possible.

Il faudra remettre à l'extrémité l'affaire de Sfondrate. Il sera bien délicat d'en parler au Pape et de le chagriner, pendant qu'il semble qu'il n'y a qu'à se réjouir de ce qu'il vient de faire pour l'Eglise. Faites cependant avec bon conseil ce que Dieu vous inspirera. Il est vrai que rien ne serait plus glorieux à ce pontificat que de voir ce digne Pape sacrifier tout à la vérité et au bien de l'Eglise.

J'ai vu ici entre les mains de M. de Janson des lettres admirables de M. l'abbé Péquigni. Témoignez-lui bien qu'on sait ici avec quel esprit, quel savoir et quel zèle il a parlé pour la bonne cause, et avec quelle bonté il écrit sur mon sujet. Je lui en ai une obligation que vous ne sauriez assez lui témoigner, et dont il me paraît que le témoignage lui sera agréable.

Vous faites bien de ménager M. Phelippeaux : c'est un homme qui nous est utile ici. Je compte beaucoup sur le soulagement que je recevrai de vous ; mais il nous faut des seconds. Celui que j'ai dans ce pays (a), n'est pas de la force de M. Phelippeaux, à beaucoup près.

M. de Torci entre dans le moment, et me rend une lettre de M. le cardinal de Bouillon à cachet volant (b). Il est bon que vous en voyiez la copie ; mais quoique je vous l'envoie, ne faites pas encore semblant de la savoir. Je juge à propos d'envoyer une réponse au cardinal par le même canal. Cependant, comme vous voyez qu'il veut revenir, faites tous les pas convenables, et continuez à ne manquer en rien envers lui, comme je veux faire moi-même.

(a) Bossuet veut parler de l'abbé de Saint-André, d'abord curé de Vareddes et ensuite grand-vicaire du prélat. — (b) Elle est imprimée à la suite de cette lettre, avec la réponse de Bossuet.

 

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LETTRE CDXCII. LE CARDINAL DE BOUILLON A BOSSUET. A Rome, ce 7 avril 1699.

 

Sans entrer, Monsieur, dans aucun détail qui serait trop long et trop ennuyeux pour vous et pour moi, je ne puis résister plus longtemps aux mouvements d'estime, de vénération et d'amitié que j'ai pour vous ; sentiments qui sont gravés si avant dans mon cœur depuis près de quarante ans.

Ce sont ces sentiments, Monsieur, qui m'obligent de vous prier d'être persuadé que le peu de sujet que j'ai de me louer de la conduite de M. votre neveu, n'est pas capable de me faire jamais changer à votre égard ; et de vous demander en même temps la continuation de votre amitié, qui m'a toujours été si chère, vous assurant que je suis très-prêt de reprendre en votre considération à l'égard de M. votre neveu, les sentiments avec lesquels j'étais venu ici, et qui m'avaient obligé de vous supplier, aussi bien que lui, de me faire l'amitié de prendre un appartement chez moi pour y être de la même manière qu'il aurait été chez vous.

Je ne vous aurais encore rien mandé, Monsieur, du peu de sujet que j'ai eu en plusieurs occasions de me louer de M. votre neveu, si j'avais pu avec honneur lui cacher un dernier fait devenu trop public, peu rempli d'égards pour moi et pour le poste dont le roi m'a bien voulu honorer ici. Mais m'étant vu obligé de lui donner au moins quelque signe de vie sur ce fait, quoiqu'avec toute l'attention que j'aurai toute ma vie pour une personne qui vous appartient de si près et qui vous est si chère, j'ai cru que je devais en même temps vous donner une preuve de ma confiance et de la sincérité avec laquelle je vous ai toujours honoré et vous honorerai jusqu'au tombeau ; me flattant aussi que cette malheureuse affaire du livre de M. de Cambray étant finie ici mettra fin aux froideurs qu'elle a pu produire dans votre cœur

 

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contre moi (a). C'est la grâce que je vous demande, et de me croire tout à vous.

Le card. de Bouillon. Mon écriture est naturellement si mauvaise, et je me trouve tourmenté d'une si grande fluxion dans la tête, que je me suis servi de la main d'une personne en qui j'ai une confiance entière.

 

LETTRE CDXCIII. BOSSUET AU MARQUIS DE TORCI. A Paris, ce 3 mai 1699.

 

Vous voulez bien, Monsieur, que je prenne la liberté de faire passer ma réponse à M. le cardinal de Bouillon par le même canal dont il s'est servi pour faire venir salettre jusqu'à moi. Comme il vous a envoyé sa lettre ouverte, j'en fais autant de la mienne. Comme lui, je vous supplie de la lire, et s'il est arrivé, Monsieur, que le roi ait su quelque chose de ses plaintes et de ses honnêtetés, j'ose encore vous supplier de vouloir bien donner à Sa Majesté une pareille connaissance de mes réponses. Je vous fais cette prière avec confiance, comme je suis avec respect,

 

+ J. Bénigne, év. de Meaux.

 

LETTRE CDXCIV. BOSSUET AU CARDINAL DE BOUILLON. A Paris, ce 3 mai 1699.

 

J'ai reçu par les mains de M. le marquis de Torci, la lettre de Votre Eminence, du 7 avril. Elle me fut rendue mercredi dernier, et j'ai cru devoir faire passer ma réponse par le même canal.

 

(a) Les mots qui vont suivre ont été tracés de la main du cardinal de Bouillon : « Le corps de la lettre, dit M. Ledieu, était de l'écriture du P. Charonnier, jésuite. »

 

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Je ne puis assez me louer de la bonté avec laquelle cette lettre est écrite ; et après vous en avoir fait mes très-humbles remerciements, j'accepte au nom de mon neveu et au mien, le retour que vous lui offrez dans l'honneur de vos bonnes grâces.

Je suis d'accord, Monseigneur, que ces choses se doivent faire sans trop entrer dans le détail. Mais je ne dois point omettre qu'assurément on n'a pas fait un fidèle rapport à Votre Eminence, quand on lui a dit que mon neveu avait voulu que le courrrier qu'il m'a envoyé devançât le vôtre. Il n'a eu garde de donner de pareils ordres, ou d'avoir de semblables vues, puisque étant contre le respect dû au caractère de ministre que porte Votre Eminence, il aurait manqué non-seulement contre vous, mais encore contre le roi même ; de quoi nous sommes incapables, mon neveu et moi.

Il est vrai qu'il nous a dépêché un courrier extraordinaire, à M. de Paris et à moi, aussitôt après le bref publié. Mais il ne pouvait s'en dispenser, puisqu'il était nécessaire que nous sussions la manière dont les choses s'étaient passées, parce qu'elles pouvaient beaucoup influer sur la manière de procéder à la réception de ce bref. Mais pour devancer votre courrier, c'était chose à laquelle nous ne pensions pas, et qui paraissait impossible, le vôtre étant parti onze heures avant que mon neveu eût songé à faire partir M. de Madot.

Ce gentilhomme m'a assuré positivement qu'on ne lui avait pas touché un seul mot de ce dessein. Mon neveu, à qui Votre Eminence s'est expliquée sur ce soupçon, m'assure la même chose; et je vous supplie très-humblement, Monseigneur, de n'avoir aucun égard au récit contraire, tant envers mon neveu qu'envers M. de Madot, qui doit être bientôt à Rome.

Quant au froid que Votre Eminence me reproche au sujet du livre de M. l'archevêque de Cambray, sans revenir à ces détails, je supplie seulement Votre Eminence de se souvenir de ce que j'eus l'honneur de lui dire à l'hôtel de Chaulnes, et de vous bien persuader que je n'ai jamais fait mon affaire de celle-ci, ni pris d'autre part dans le succès que celui que devait y prendre tout évêque fidèle à son ministère. Après ce petit mot, Monseigneur,

 

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dont j'ai cru ne pouvoir me dispenser, je n'ai plus rien à vous dire, sinon que je suis à votre égard dans mon état naturel, conforme à tous les devoirs de respect et d'amitié, puisque vous voulez, Monseigneur, que je parle ainsi, auxquels je suis obligé par tous ces titres, que je prendrai toujours plaisir de reconnaître, plus encore par les effets dont je puis être capable que par les paroles.

Agréez sur ce fondement que mon neveu ait l'honneur de vous approcher avec toute la confiance que mérite le renouvellement de vos bontés, et qu'il vous rende tous les respects que nous vous devons l'un et l'autre. Je suis et serai toujours avec ces respectueux sentiments, Monseigneur, de Votre Eminence, le très-humble et très-obéissant serviteur.

 

+ J. Bénigne, év. de Meaux.

 

LETTRE CDXCV. BOSSUET A M. DE LA BROUE  (a). Paris, ce 2 mai 1699.

 

Avant, Monseigneur, que de répondre à votre lettre du 9 avril, que j'ai reçue à Meaux, j'ai voulu en communiquer selon votre ordre à M. d'Aguesseau, dont voici le sentiment. Il ne croit pas que le roi soit en état d'entrer dans cette construction. Le mieux, selon lui, que vous puissiez obtenir, est une imposition sur votre diocèse; encore la croit-il prématurée dans l'accablement où sont les peuples. Je ne crois pas que l'exemple de Blois nous serve beaucoup. L'évêché de Blois paraît au roi plus nécessaire qu'une simple translation de votre évêché à Maserettes ; et de plus, M. de Chartres, en faveur de qui s'est faite cette érection, est le prélat du royaume le plus favorisé par les raisons que vous savez (b). Quand après ces difficultés vous trouverez à propos de tenter la chose, vous devez dresser un placet au roi, en envoyer une copie à M. de Paris et une au P. de la Chaise, auxquels vous en écrirez.

 

(a) Revue sur l'original. — (b) Il était le directeur de Madame de Maintenon.

 

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J'aiderai auprès de l'un et de l'autre, et dans l'occasion auprès du roi; tout ce que je ferais au-delà nuirait plutôt qu'il ne servirait, et au reste vous savez bien que la bonne volonté ne me manque pas.

Je parlai à M. d'Aguesseau du dessein de venir ici. Il me dit que vous aviez à y prendre garde, et qu'on avait mal tourné auprès du roi le séjour que vous y avez fait du temps de votre affaire. Voilà, Monseigneur, ce qui regarde vos intérêts particuliers, qui seront, comme vous savez, toujours les miens.

Quant à l'affaire générale, vous voyez le tour qu'elle prend; et si votre métropolitain ne vous a pas encore envoyé copie de la lettre circulaire que le roi écrit aux archevêques, celle que vous devez recevoir par M. l'abbé de Catelan vous instruira du tout. Vous voyez qu'on ne pouvait pas donner dans cette affaire un tour plus avantageux à la chose, plus honorable à l’Eglise, ni plus canonique. Il faut achever cette affaire avant que de penser à aucune instruction pour le peuple. En écrivant à présent, on semblerait vouloir harceler M. de Cambray, qui joue, quoique assez sèchement, le personnage d'un homme soumis, et qu'on veut regarder comme tel, afin que l'affaire paroisse finie de son consentement. M. l'abbé de Catelan ne vous a pas laissé ignorer son mandement sur ce bref. On commence à répandre de petits écrits contre M. de Cambray : on fait réimprimer sous main quelques-uns de ses ouvrages contre moi. Dieu, qui a mené cette affaire à une conclusion si heureuse, achèvera le reste. Le motu proprio n'arrêtera pas. Le parlement ne rejette cette clause que dans les affaires que l'on prétend, avec raison, qui se doivent faire à l'instance et réquisition du roi. Tel fut le bref d'érection de l'archevêché de Paris : cette clause n'empêcha pas l'effet du bref; mais il fut dit seulement qu'on n'y aurait point d'égard, et qu'une autre fois on exprimerait ad Christianissimi Regis instantiam et requisitionem; ce qui a été pratiqué dans les érections d'Albi et de Blois.

Je m'en retourne dans mon diocèse jusqu'au 13, qui est le jour de notre assemblée provinciale. On doit à la bonté et à la sagesse du roi tout ce qu'on fait dans cette affaire. M. de Paris y a servi

 

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l'Eglise très-utilement, aussi bien que M. de Reims, qui sera député de la province à l'assemblée générale de 1700 ; ce qui semble le désigner président. J'ai toujours le même besoin et la même envie de vous voir, et suis, comme vous savez, etc.

 

LETTRE CDXCVI. BOSSUET A SON NEVEU. A Paris, ce 4 mai 1698.

 

J'ai reçu votre lettre du 14 avril. Vous voyez à présent qu'on est content du bref tel qu'il est, et qu'on ne pense qu'à le publier avec toute la solennité possible.

Vous verrez par la lettre que M. le cardinal de Bouillon m'a écrite et par ma réponse dont je vous envoie copie, que vous n'avez qu'à vous présenter chez lui, en faisant peut-être demander quand il l'aura pour agréable. Ne craignez rien du côté de la Cour.

Je vais à Meaux mercredi pour revenir lundi prochain, être mardi à l'archevêché, pour préparer l'assemblée, et la tenir le lendemain. Tout sera fait en un jour.

Il ne faut plus disputer sur la nature et l'effet du bref. Celui contre le Missel de Voisin, donné par Alexandre VII, n'a jamais été porté au parlement, ni les lettres patentes vues. On n'a eu en France aucun égard à ce bref; et l'on fut obligé, pour l'instruction des nouveaux catholiques, de répandre des milliers d'exemplaires de la messe en français.

Je suis très-content de la lettre que vous a écrite M. le prince de Monaco, et je souhaite qu'il arrive bientôt.

On a envoyé la lettre de cachet à M. de Cambray, comme aux autres métropolitains, en le supposant soumis. Tâchez de désabuser le Pape et ses ministres de l'opposition qu'ils ont pour les livres qu'on pourrait publier sur la matière. Ceux qu'on imprime par inondation pour l'erreur pervertissent tous les esprits, si l'on se tait. Malgré les décisions prononcées dans les différents

 

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temps contre les faux dogmes, les Pères ont bien senti les dangers que couroient les peuples : aussi n'ont-ils cessé de les prémunir, en parlant en faveur de la vérité contre l'erreur.

Il n'est pas vrai, comme on l'a dit, que j'aie fait supprimer un ouvrage composé contre le Problème. Je vois bien ce qu'on veut dire. On a déguisé une vieille affaire de trois ans, et qui n'était rien (a). Si l'on savait tout, on verrait que je sers l'Eglise dans les choses qu'on ne sait pas plus que dans celles qu'on sait. Cela soit dit entre nous et pour nous seuls : Retribuetur vobis in resurrectione justorum. J'embrasse M. Phelippeaux.

Soyez un peu attentif à ce qui se passe sur l'édition bénédictine de saint Augustin. Ayez soin de votre santé, et pensez au retour, aussitôt après l'arrivée de M. l'ambassadeur. Vous avez bien raison de vous affliger : vous trouverez un grand vide dans la maison : Dieu est tout.

 

LETTRE CDXCVII. L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE. Rome, ce 5 mai 1699.

 

J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire de Meaux, du 12 avril, par laquelle j'apprends votre incommodité. Quoique je voie bien que ce n'est presque rien, je suis très-fâché du moindre petit mal que vous pouvez avoir ; et je ne serai en repos que quand je saurai, comme je l'espère, par l'ordinaire prochain, que vous êtes entièrement guéri.

Vous avez su par ma lettre du dernier courrier, la congrégation des cardinaux convoquée et tenue le lundi 27 avril, sur les affaires et les conjonctures présentes.

 

(a) Bossuet avait composé, pour justifier l'approbation de M. de Noailles, une défense des Réflexions morales du P. Quesnel. Cette défense devait paraître, dans une nouvelle édition, à la tête des Réflexions; mais M. de Noailles, toujours indécis, par certaines petites vues, ne l'employa pas à cet usage. L'écrit de Bossuet parut plus tard sous le litre de Justification des Réflexions morales. C’est de cette affaire-là que parle la lettre.

 

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Quoiqu'on veuille dire ici qu'on changera le bref en bulle, je sais que ce n'est point à présent l'intention du Pape et des cardinaux. Si dans la congrégation de lundi le cardinal de Bouillon et le cardinal Ottoboni avaient été d'avis de ce changement, on l'aurait fait. Mais ils parlèrent, à ce qu'on m'a assuré, si fortement pour le bref, soutenant non-seulement qu'il fallait à présent se donner bien de garde de faire une bulle, mais encore qu'on aurait eu tort d'en donner une au commencement ; ils soutinrent, dis-je, si vivement leurs opérations, que le reste des cardinaux s'accorda aisément à ne rien faire de nouveau, pour ne pas préjudicier à l'autorité du Pape, et afin qu'on ne puisse pas dire qu'on consent ici que les bulles et les brefs ne soient pas reçus en France dans une certaine forme. Ils convinrent néanmoins qu'il aurait été mieux de faire une bulle d'abord, et qu'il n'y aurait eu aucune difficulté, si l'on y eût pensé.

Je sais que le cardinal de Bouillon et le cardinal Albani ont dit que c'était moi qui avais fait naître cette difficulté. Le Pape et les cardinaux savent bien ce qui en est, et ce que je leur ai toujours dit dès le commencement sur la forme du jugement. Ils voient bien à présent que j'avais raison de leur dire qu'en France on n'approuverait ni le bref, ni le motu proprio, quoiqu'on pût être très-content de la substance du décret.

Quant à la congrégation qui s'est tenue sur ces objets et sur les lettres du roi et de M. de Cambray, je sais que c'est le Pape seul qui l'a voulue et qui l'a fait convoquer, apparemment d'après les lettres de M. le nonce, qui lui aura témoigné que le changement du bref pourrait faire plaisir au roi, qui pourtant ne le voulait pas demander. On lut dans la congrégation sa lettre.

Pour moi, loin de faire jamais instance là-dessus, ni au Pape, ni aux cardinaux, je leur ai toujours déclaré que les évêques ne demandaient rien de plus, et qu'on ne songeait qu'à suppléer au défaut de formalité, sans rien désirer davantage. Je l'avais déclaré la veille au Pape d'une manière très-précise et très-forte, comme je vous l'ai mandé plus amplement dans ma dernière lettre.

Mais tout cela n'est rien. Le point essentiel est la démarche

 

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que les partisans de M. de Cambray veulent faire faire au Pape en faveur du coupable, qu'on voudrait qui fût traité comme innocent.

Je vous ai déjà mandé qu'en lut dans la même congrégation, et la lettre du roi au Pape, du 6 avril, en remerciaient, dont on fut très-content, et la lettre de M. de Cambray qui commence par Audità B. V. de meo libelle sententiâ, etc., dont je vous envoie copie, en cas que M. le nonce ne vous l'ait pas communiquée. On la lut, et les partisans de M. de Cambray l'applaudirent si fort, et dirent si hautement qu'elle méritait une réponse honorable, que personne ne voulut s'y opposer. Ils m'ont presque tous assuré depuis qu'on ne fit pas toutes les réflexions nécessaires. La soumission sans restriction dont elle fait parade, le respect pour le saint Siège qu'elle étale, leur firent impression, et par-dessus tout les instances de M. le cardinal de Bouillon les entraînèrent.

Je ne sus que le mercredi, qu'on préparoit un bref qui devait être adressé à M. de Cambray. Je me doutai du piège qu'on tendait : je fis si bien que j'eus copie de la lettre en question. Je vous avoue qu'au lieu d'en être édifié, j'en fus scandalisé au dernier point. Il ne me fut pas difficile d'en découvrir tout l'orgueil et tout le venin, et il me semble qu'il n'y a qu'à la lire sans passion pour en être indigné. Bien loin d'y trouver M. de Cambray, humilié, repentant, et consolé de sortir enfin de ses ténèbres pour découvrir la lumière ; on y voit un homme outré de douleur, qui en fait gloire, qui se donne pour innocent, Jam non commemoro innocentiam ; qui a la hardiesse de nommer probra, des outrages, les justes et nécessaires procédés des évêques, qui n'ont ete que trop justifiés par la condamnation du saint Siège ; qui enfin ose parler de ses explications comme si elles mettaient sa doctrine à couvert, au lieu qu'on a jugé tout le contraire : Totque explicationes ad purgandam doctrinam scriptas. Il laisse, dit-il, cela à part, comme si le Pape n'y avait pas fait assez d'attention, et que ce qu'il avance fût une chose incontestable : Praeterita omnia omitto loqui. En vérité, peut-on rien de moins humble et de plus hardi que de pareilles expressions, dans la

 

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bouche d'un homme qui parle ainsi à son juge aussitôt après sa condamnation? On voit bien par là ce qu'on doit penser de sa soumission, qu'il n'est plus permis de croire sincère, et qui ne peut être que forcée : voilà franchement ce que j'en pense.

Comme je sus en même temps qu'on préparait un bref très-honorable pour M. de Cambray, avec une diligence incroyable, sans même vouloir attendre son mandement, je crus devoir faire faire à Sa Sainteté et aux principaux cardinaux toutes les réflexions nécessaires sur cette démarche, et leur en montrer les dangereuses conséquences. J'ai tâché de leur faire sentir combien il importait de ne laisser rien sortir d'ici dont M. de Cambray pût se prévaloir. Je l'ai fait avec douceur, prenant occasion de leur parler, en leur rendant compte de ce qui se passe, et leur suggérant les réflexions qu'ils n'ont pas faites, ou qu'ils n'ont pas voulu faire, que je leur ai insinué qu'on ne manquerait pas de faire en France, ajoutant que je craignais que cette superbe lettre n'achevât de perdre M. de Cambray en France, quand elle y serait vue.

Le petit bruit que j'ai cru devoir faire là-dessus et mes remontrances ont produit leur effet. Le bref qui était préparé et minuté, a été arrêté au moins jusqu'ici. Il s'est trouvé heureusement que, depuis six jours, M. le cardinal de Bouillon était allé en campagne à trente milles d'ici, d'où il ne revint qu'hier. Pendant ce temps, le mandement de M. de Cambray est arrivé. Il l'a fait porter au Pape par M. de Chanterac, avec une nouvelle lettre. Ce mandement est imprimé en latin et en français : je vous envoie le latin.

D'abord M. Gozzadini avait été chargé par le Pape de dresser le bref. Le cardinal Albani en a été jaloux, et a travaillé à avoir cette commission, dans le dessein apparemment de se rendre maître de la tournure et de servir M. de Cambray. J'ai su tout le détail de ce qui s'est passé là-dessus par Gozzadini lui-même, qui a été piqué de se voir éconduit, et qui m'a tout dit.

Je ne sais si le cardinal Albani n'a pas été content de la manière dont le bref était disposé, et ne l'a pas trouvé assez favorable. Quoi qu'il en soit, Gozzadini m'a dit qu'il voyait bien des

 

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détours et de la politique dans cette manœuvre. J'ai su par lui qu'il y avait une seconde lettre de M. de Cambray, qui accompagnait le mandement, et plus entortillée que la première. Il l'a eue entre les mains, et m'a déclaré avoir tout remis au cardinal Albani. Il ne m'a pas été possible de voir cette seconde lettre, ni de savoir ce qu'elle contient. Néanmoins elle existe sûrement, et le cardinal Albani n'a pas osé me la nier. Le Pape m'a avoué qu'il l'avait reçue. Je vois avec cela qu'on en fait un grand mystère. Aucun autre que le cardinal Albani ne l'a vue, excepté Gozzadini, par les mains de qui elle a d'abord passé. Les cardinaux, à qui j'en ai touché quelque chose, m'ont tous dit qu'ils n'en avaient pas entendu parler. Il n'est pas jusqu'au cardinal Spada qui m'a juré ce matin n'en savoir rien. Mais je l'ai bien assuré de l'existence de cette lettre, et lui ai dit de plus qu'elle était entre les mains du cardinal Albani. Le mystère qu'on en fait m'est non-seulement très-suspect, mais je tiens pour certain par ce que m'a dit Gozzadini, qu'elle est tournée de manière à embarrasser même le cardinal Albani. Je me doute qu'on y demande quelque nouvelle explication, et qu'on y parle peut-être avec plus de hauteur que dans la première.

Je présume encore que les partisans de M. de Cambray ont dessein de faire supprimer cette seconde lettre, et d'empêcher qu'il n'en soit question dans la réponse qu'on lui fera.

Je ne vous dis pas toutes les réflexions que j'ai fait faire aux cardinaux là-dessus, en particulier au cardinal Albani. Je n'ai rien oublié ; et s'ils pèchent à présent, ce ne sera pas par ignorance. Il est fâcheux que la congrégation ait d'abord consenti à une réponse ; mais ils avouent presque tous qu'ils n'ont pas fait assez d'attention aux expressions de la lettre ; et je vois que si la réponse passe par leurs mains, les bons cardinaux sont résolus de ne laisser rien insérer que de juste et d'honorable au saint Siège.

J'ai cru devoir faire connaître au cardinal Albani que tout retomberait sur lui, si l'on faisait quelque chose de mal ; et qu'au moins, pour qu'il pût se disculper, il fallait que le tout fût de nouveau examiné par MM. les cardinaux. Il est convenu que cela

 

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devait être, et m'a assuré que cela serait aussi. Comme il était question d'arrêter le coup, je lui ai fait sentir que rien ne pressait pour faire une réponse. Je lui ai même insinué, comme aux autres cardinaux, qu'il n'y avait pas de nécessité de répondre à M. de Cambray par un bref, et qu'on avait mille autres moyens de lui faire savoir qu'on recevait sa soumission telle qu'il la donnait; que M. le nonce était suffisant pour cela; et qu'enfin, si l'on voulait écrire, on le devait faire d'une manière qui ne tirât point à conséquence; et que, sans faire paraître trop de mécontentement, on pouvait avec dignité lui montrer ce qui restait à faire pour édifier l'Eglise, et consoler le Père commun des fidèles.

Je vois manifestement que le but du cardinal Albani et celui du cardinal de Bouillon, car l'un et l'autre me l'ont fait assez connaître, est de faire insinuer dans la réponse à M. de Cambray, qu'on n'a pas prétendu condamner ses intentions, ni toucher à ses explications et au sens de l'auteur. C'est là-dessus que j'ai parlé fortement, en montrant l'illusion de cette conduite. Ces deux Eminences ont été obligées de convenir avec moi, au moins de paroles, qu'on avait condamné le sens du livre et des propositions, non-seulement à certains égards, mais sur tous les points de vue, puisqu'on avait ajouté : Et attentâ sententiarum connexione. J'ai conclu qu'il me paraissait, après cela, ridicule de dire que le sens du livre n'était pas le sens de l'auteur, et d'un auteur qui avait su autant que personne ce qu'il voulait dire, assurément bien capable d'expliquer nettement ses pensées, et qui avouait aussi que le sens obvius et naturalis était le sens unique de son livre.

Us n'ont eu rien à répondre à cette démonstration, et tous les autres cardinaux m'ont avoué que ces raisons étaient péremptoires. Cependant telle est l'intention des cardinaux Albani et Bouillon ; et hier encore, le cardinal de Bouillon me dit clairement que le Pape, en condamnant le livre de M. de Cambray, n'avait pas prétendu condamner le sens de l'auteur, ni ses explications ; et par là il prétendait excuser l'article de sa lettre au Pape qui relève son innocence, et sauver ses explications. Voyez

 

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un peu où l'on en serait, si on entrait dans de pareilles idées; Il est pourtant très-à craindre qu'on n'arrache ici quelque chose qui les favorise. Je ferai tout de mon mieux, tant que j'y serai, pour l'empêcher ; mais je suis bien éloigné de répondre que je réussirai, quoique je n'oublie rien à cet effet. Malheureusement je trouve toujours de certains pas faits, qui rendent le succès des démarches d'une difficulté incroyable.

L'esprit du Pape et de cette Cour est généralement de recevoir pour argent comptant, tout ce que fera M. de Cambray, et de lui montrer une grande douceur. Ils disent che bisogna serrar gli occhi ed abbracciarlo. Je fis rire le Pape, quand je lui répondis qu'il fallait donc si bien l'embrasser et si bien le serrer, qu'il ne pût échapper, et qu'on fit, si l'on pouvait, crever l'apostume qu'il conservait dans le cœur ; que c'était le seul moyen de le guérir. Le Pape est convenu avec moi, qu'il voyait très-bien qu'il n'était pas persuadé d'avoir erré. Le cardinal Albani m'a parlé de même, et je puis dire que tous les cardinaux pensent ainsi. Néanmoins j'aperçois une envie extrême de le bien traiter. Le Pape s'imagine qu'après l'avoir bien ménagé, son esprit s'apaisera, et que tout sera fini ; ce qu'il souhaite fort. Mais la chose n'est pas aussi facile qu'il le pense, surtout tant qu'on paraîtra appréhender M. de Cambray.

Je vis le Pape dimanche, et lui parlai de mon mieux, et avec toute la modération possible : je ne manquai néanmoins pas de lui faire connaître tout ce qu'il devait savoir. Il ne me parut pas plus content qu'il ne faut de M. de Cambray ; avec cela je sentis qu'il était porté à lui tout passer. Je vois bien qu'il est très-pressé par la cabale.

Sa Sainteté, en mon particulier, me donna de si grandes marques de bonté et du contentement qu'elle avait de ma conduite, qu'elle voulut bien me dire en propres termes qu'elle se croyait dans l'obligation de le faire témoigner au roi par M. le nonce ; et il ne sera pas impossible qu'elle ne le fasse dès cet ordinaire. J'avoue que j'en suis pénétré de reconnaissance.

Le saint Père me parla avec tant de confiance, sur une infinité de choses, que je crus pouvoir m'informer de lui-même de la

 

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vérité d'un bruit qui court depuis quelques jours dans Rome, que Sa Sainteté veut rappeler M. le nonce de France. Ses amis en ont été en peine, et on m'a prié de sonder le Pape là-dessus ; ce que je fis le plus heureusement du monde et le plus naturellement. Le Pape me parla à cœur ouvert, et m'avoua franchement que son absence de son évêché lui faisait de la peine (a). Il me dit que pour cette raison il rappelait le nonce d'Espagne, qu'il vient de nommer à l'archevêché de Milan. Je tâchai de lui faire comprendre que, dans certaines occasions, il fallait préférer le bien général à un bien particulier; qu'on pouvait suppléer la personne d'un évêque dans un diocèse; mais qu'un nonce aussi agréable à la France et au roi que M. Delflni, qui maintenait si bien l'union entre les deux puissances, était si nécessaire à l'Eglise, qu'on pouvait dire que ce bien général devait l'emporter sur le bien particulier de le rendre à son diocèse. Je lui rapportai l'exemple de M. le cardinal de Janson. Je vis bien que ces réflexions lui faisaient impression, et il me dit que cela ne serait pas pour le moment; mais néanmoins je compris parfaitement qu'on ne doit pas être sans appréhension là-dessus. J'ai cru être obligé d'avertir M. le cardinal de Bouillon des dispositions du Pape sur ce sujet, sachant l'estime que le roi et les évêques font de M. le nonce. J'en ai aussi averti un ami de M. le nonce, et vous pouvez lui en témoigner ce que vous jugerez à propos. Il m'a paru que M. le cardinal de Bouillon était bien disposé en sa faveur.

Il n'y a pas lieu, selon moi, de douter que la conduite de M. de Cambray et ses lettres ne lui soient inspirées par le cardinal de Bouillon et ses adhérents, pour brouiller de nouveau. Voyez la finesse de la cabale : on publie en France le mandement de M. de Cambray, qui, quoique sec et sans repentir, ne laisse pas de pouvoir passer, parce qu'il y condamne son livre dans la même forme que le bref ; et en même temps il écrit ici des lettres qui renferment tout le venin de son esprit et de son cœur, et on fait les

 

(a) La résidence épiscopale est d'obligation canonique, aussi bien que de droit naturel. L'évêque qui ne peut pas résider dans son diocèse doit se faire remplacer.

 

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derniers efforts pour lui procurer de Rome une approbation et une réponse honorable. Je suis bien sûr que, quand ces lettres paraîtront en France, elles n'y plairont pas, et gâteront tout ce qu'il a pu faire, dont on s« contentait, quelque médiocre qu'il soit. On voit bien qu'il a été forcé de se soumettre, de peur d'être excommunié par le Pape, et d'être enfermé par l'autorité royale, comme un hérétique et un perturbateur du repos public.

Je vous envoie un billet de M. Giori qui est bien scandalisé de tout ceci, et qui parle clair.

On ne peut exalter davantage la lettre de M. de Cambray, que l'a exaltée publiquement ici M. le cardinal de Bouillon. Il fut tout étonné du commentaire que j'en fis à lui-même tête à tête. La conversation fut douce ; mais je ne lui laissai rien ignorer sur les dispositions de la France, et sur le tort que M. de Cambray se ferait immanquablement par de telles lettres, et sur le préjudice que l'on causerait au saint Siège, si l'on faisait en faveur de ce prélat quelque chose qui pût lui donner occasion de remuer. Il souffrait un peu, mais j'allai toujours mon chemin. Je me plaignis de même du bref et du motu proprio, lui marquant tous les défauts du décret. Alors il fut un peu plus vif, et me dit très-naturellement que j'étais mal informé, et qu'il fallait un bref et non une bulle. Je ne laissai pas de lui montrer le contraire par bien des exemples ; sur quoi il ne me parut pas fort au fait. A l'égard du motu proprio, il me dit à la lettre des pauvretés, et demeura muet à mes raisons. Au surplus nous sortîmes les meilleurs amis du monde.

Le cardinal Casanate, qui n'avait pas voulu s'opposer seul au torrent, dans la dernière congrégation, au sujet de la réponse à M. de Cambray, a été persuadé par mes raisons; et si l'on remet l'affaire sur le tapis, j'espère qu'il fera son devoir.

Le cardinal Marescotti n'assista pas à la congrégation. Je l'ai vu : il ne me paraît pas être d'avis qu'on fasse un bref approbatif. Il comprend fort bien l'orgueil et la hardiesse du coupable.

Le cardinal Nerli n'a pas assisté à la congrégation, non plus que le cardinal Ottoboni.

Je dois vous dire devant Dieu et en conscience, que si l'on ne

 

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trouve pas le moyen de retirer de Rome le cardinal de Bouillon, et bientôt, l'Eglise en souffrira beaucoup ; car ce cardinal empêche tout le bien et soutient tout le mal. Je le dis sans passion : il est incorrigible.

On n'a pas voulu accorder à M. Phelippeaux la grâce qu'il demandait pour le bénéfice que vous désiriez lui procurer. Il est ici presque impossible de faire passer un bénéfice régulier en commende ; pour la continuation d'une commende, cela est plus aisé.

On dit ici, et le P. Roslet me l'a assuré, que le parlement ne recevroit jamais le bref. Cela n'a rien de commun avec l'acceptation des évêques. Je ne puis m'empêcher d'approuver la conduite du parlement, si l'on ne trouve point d'exemple de bref motu proprio qu'il ait reçu. Mais cette difficulté peut ne pas arrêter les évêques. Je ne puis m'empêcher de dire que l'on leur fournit une belle occasion de montrer leur autorité. Ne pourraient-ils pas, dans leurs délibérations, proscrire avec le livre tous les écrits faits pour le justifier? Le roi peut et doit, ce me semble, les défendre comme le livre ; et les évêques, se fondant sur la décision du Pape, sont en droit de les déclarer contenir une doctrine mauvaise et dangereuse, par cela seul qu'ils sont faits pour soutenir un livre pernicieux, etc. On trouvera ici très-bon tout ce qu'on fera là-dessus ; au moins ne le pourra-t-on blâmer, et il me paraît absolument nécessaire dans les circonstances présentes de prendre ce parti.

Pour les mandements, les évêques les feront dans leurs diocèses, comme ils les jugeront convenables. Ils feront bien, et seront ici très-approuvés d'y combattre la fausse spiritualité, et d'y donner des règles sur les mystiques, qui en empêchent l'abus.

On m'a assuré que les Jésuites, et en particulier un certain P. Semeri, François, ne se tiennent pas pour bien battus sur le livre de M. de Cambray, auquel ils veulent donner un bon sens (a).

(a) L'abbé Bossuet nous disait plus haut, dans sa lettre du 14 avril, p. 380 : « Je veux croire encore que les Jésuites, ce qu'ils veulent persuader, qu'ils ont toujours condamné et anathématisé le livre des Maximes. »

 

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J'attends M. de Monaco avec la dernière impatience : je ne donnerai aucune de mes lettres sur mon induit qu'il ne soit venu, à moins que je ne voie qu'il retarde trop. Pour la lettre à M. le cardinal de Bouillon, je n'ai garde de la lui donner. Je dois être comme assuré qu'il me traverserait de tout son pouvoir ; et ce ne sera pas lui qui me fera réussir ni auprès du Pape, ni auprès du cardinal Panciatici, de qui tout dépend. Son entremise au contraire serait le vrai moyen de me faire refuser la grâce que je sollicite. Il n'y aurait que le cas où le roi lui ordonnerait d'en parler au Pape, où il pourrait ne pas me nuire ; mais je souhaite-rois fort que les ordres pussent s'adresser à l'ambassadeur qu'on attend incessamment.

L'affaire de MM. des Missions contre les Jésuites, sur les idolâtries chinoises, est enclouée. Le cardinal Casanate a cédé au cardinal Noris et au cardinal Ferrari, qui ne cherchent qu'à allonger. Ils ont donné à l'affaire un tour qui doit occasionner des longueurs infinies. Plus je fais réflexion sur ce que je vois, plus je trouve que c'est une espèce de miracle que la condamnation de M. de Cambray. On m'a dit que M. le cardinal de Bouillon avait déclaré qu'il ne comprenait pas comment elle s'était consommée.

Il y a un plaisant article dans la gazette de Roterdam contre les deux cardinaux (a) partisans de M. de Cambray. Celle de La Haie est toujours favorable à M. de Cambray. Le gazetier entretient ici correspondance avec le P. Charonnier, et avec Certes valet de chambre du cardinal de Bouillon. Le pauvre M. de Madot n'est pas bien à la cour de M. le cardinal de Bouillon. Il est de conséquence que vous communiquiez ma lettre à . de Paris, et je pense à Madame de Maintenon. Je dis toujours tout ce que je sais au P. Roslet, qui en rend compte à M. de Paris ; mais il est bon qu'il le sache encore par moi-même. (a) Le cardinal de Bouillon et le cardinal Albani.

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