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LETTRE CDXCVIII. LE P. CLOCHE, GÉNÉRAL DES DOMINICAINS, A BOSSUET. Rome, ce 5 mai. 1699.

 

J'ai une extrême consolation que les religieux de mon Ordre, dans une affaire aussi importante que celle qu'a occasionnée l'examen du livre de M. l'archevêque de Cambray, aient pu, en suivant la doctrine de saint Thomas, contribuer à en faire faire la condamnation. Vos grandes lumières, Monseigneur, y ont eu la meilleure part, et les soins infatigables de M. l'abbé Bossuet, qui a veillé à tout, qui a éclairci dans les occasions les difficultés qu'on avait, et qui a si prudemment pris son temps, soit auprès de Sa Sainteté, soit auprès des cardinaux, qu'il a sagement évité tous les détours qu'on eût donnés peut-être sans sa vigilance à cette grande affaire. J'ai eu, Monseigneur, de la bonne volonté : vous avez tout fait, et on peut dire que Votre Grandeur n'a presque rien laissé à faire aux autres. L'Eglise entière vous en a obligation ; et si la France voit une erreur arrêtée, qui pouvait troubler la paix que le roi a donnée, l'une et l'autre doivent avouer que Votre Grandeur a bien travaillé et fort heureusement pour en découvrir le venin.

On nous donne avis qu'il paraît à Paris quelque petit livre qui attaque saint Augustin et saint Thomas : s'il paraît en cette Cour, on tâchera de faire connaître la témérité de l'auteur. Si on méprise les Pères et les Docteurs de l'Eglise, il est à craindre qu'on ne travaille à ruiner la religion. Tant que Dieu conservera Votre Grandeur, on aura un grand défenseur. C'est, Monseigneur, ce que je demande à Dieu avec tout mon Ordre. Je vous prie d'être persuadé que je suis avec une parfaite soumission, etc.

Fr. Antonin Cloche, ministre général des Frères Prêch.

 

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LETTRE CDXCIX. LE P. MASSOULIÉ, DOMINICAIN, A BOSSUET. Rome, ce 5 mai 1699.

 

L'honneur que Votre Grandeur m'a fait, exige de moi que je lui en rende de très-humbles actions de grâces. M. l'abbé Bossuet m'a témoigné que Votre Grandeur avait été satisfaite du soin que j'ai pris de mon côté pour défendre la vérité dans cette grande affaire, qui a été traitée en cette Cour. Quand je n'aurais pas eu quelque connaissance de la doctrine de saint Thomas, il ne m'aurait pas été difficile de connaître cette vérité, en lisant les incomparables livres que Votre Grandeur a donnés au public. C'est à Votre Grandeur que tous ceux qui ont défendu la cause de Dieu et la véritable piété, doivent les lumières dont ils avaient besoin. Je m'estimerais heureux, si le service que j'ai tâché de rendre dans cette occasion, pouvait contribuer quelque chose pour mériter la protection de Votre Grandeur dans les affaires qui touchent notre Ordre et la doctrine de saint Thomas, qu'on tâche en beaucoup d'endroits de nous empêcher d'enseigner. Je ne manquerai pas, Monseigneur, d'offrir à Dieu mes vœux, afin qu'il conserve longtemps Votre Grandeur pour le bien de son Eglise et l'honneur du royaume. Je suis avec un profond respect, etc.

 

F. Antonin Massoulié, de l'ordre des Frères Prêch.

 

LETTRE D. BOSSUET  A   SON  NEVEU. A Paris, ce 11 mai 1699.

 

J'arrive de Meaux, et je reçois votre lettre du 21 avril. Je suis bien aise que le Pape soit content : il le sera encore davantage, quand il verra ce qui a été fait et ce qui se fera. M. de Cambray a

 

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convoqué son assemblée provinciale pour le 25, comme M. de Reims pour le 24 ; la nôtre est pour mercredi.

Ce qu'on appelle l'adresse aux évêques, dans une bulle, c'est la clause : Mandantes venerabilibus Fratribus nostris patriarchis, archiepiscopis, etc., ce qui saisit les évêques et les rend exécuteurs du décret ou de la bulle. C'est la manière de procéder la plus canonique et la plus exécutoire ; mais elle n'est pas universelle, c'est-à-dire dans toutes les bulles.

Le P. Dez nie en effet qu'il ait jamais approuvé le livre de M. de Cambray : il avoue qu'il était neutre, et rien de plus, dans cette affaire. Vous avez vu par mes précédentes ce que m'a écrit M. le cardinal de Bouillon, et la réponse que j'ai faite. On ne parle point que M. de Monaco soit en état de partir sitôt. Ainsi s'il n'arrive pas à la fin du mois, vous ne pouvez vous dispenser de partir, étant important de ne nous pas arrêter davantage à Rome après l'affaire conclue;

Tout le monde juge ici, comme le cardinal Casanate, que M. de Cambray est plus soumis à l'extérieur que persuadé. Mais on veut et on doit accepter sa soumission telle qu'elle est, afin que ce soit une affaire finie.

Je suppose que vous établirez à Rome pour ce qui regardera votre induit et autres choses occurrentes, une bonne correspondance. N'oubliez pas d'assurer de mes respects et de ma vénération le cardinal Casanate, et ne revenez pas sans me rapporter la bénédiction particulière du Pape, après avoir assuré Sa Sainteté de ma dévotion et des vœux continuels que je fais pour sa santé.

On n'a rien vu ici du vœu du cardinal de Bouillon. Tout cela n'est qu'illusion et amusement, et on le voit bien.

 

LETTRE DI. L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE (a). A Rome, ce 12 mai 1699.

 

Je suis très-aise d'apprendre par votre lettre du 19 d'avril de

 

(a) Revue et complétée sur l'original.

 

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Meaux, que votre incommodité n'a eu aucune suite, et que vous vous portez bien. C'est la meilleure nouvelle que je puisse jamais apprendre.

Vous aurez vu par mes précédentes, que les gens d'esprit et de bien ne pensent pas autrement à Rome qu'en France de la conduite de M. de Cambray et de son mandement. Je crois que la première lettre au Pape, que vous avez reçue, aura confirmé les gens désintéressés et qui ne veulent pas se laisser éblouir, qu'on ne peut se soumettre avec moins d'humilité que le fait cet archevêque, puisque par ses lettres et son mandement il fait sentir à tout le monde qu'il prétend être innocent, et qu'il n'est revenu sur rien de sa fausse et dangereuse spiritualité. J'ai eu la consolation de faire avouer ici au Pape et aux cardinaux, qu'ils ne croient pas que dans le cœur il soit changé et qu'il croie s'être trompé. M. le cardinal Albani m'a assuré qu'il était persuadé qu'il était le même qu'auparavant sur sa doctrine. Tout cela néanmoins n'a pas empêché qu'on n'ait résolu de lui répondre par un bref. Il est vrai qu'on a mesuré toutes les paroles, à ce que m'a assuré M. le cardinal Spada et M. le cardinal Casanate. Ils m'ont assuré qu'il n'en pourrait tirer aucun avantage, ni le décret du saint Siège aucune atteinte, qu'il était fort sec. Je ne sais s'ils auront suivi ce que j'ai pris la liberté de leur insinuer, de ne point parler des lettres écrites par cet archevêque, mais seulement du mandement par lequel il se soumet et condamne son livre, et de bien appuyer sur la condamnation que lui-même en fait ; en un mot, de faire entendre que le Pape approuve et reçoit sa soumission, parce qu'il condamne ses erreurs, et se soumet de cœur et de bouche à sa censure. J'ai pris aussi la liberté d'insinuer qu'il serait peut-être à propos, ne croyant pas que le Pape eût intention de faire la moindre chose qui pût ne pas plaire au roi ni aux évêques, qu'il serait peut-être à propos de faire passer ce bref par les mains de M. le nonce, qui pourrait, avant que de l'envoyer à M. de Cambray, le faire voir au roi.

Enfin j'ai cru ne pouvoir trop faire faire réflexion sur le pas qu'on faisait faire au Pape, qui pouvait avoir de fâcheuses conséquences. Je ne'puis répondre de ce qu'on fera, ou peut-être de

 

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ce qu'on a fait. Ce que je sais, c'est que le bref a été résolu à la sollicitation du cardinal de Bouillon ; mais il n'était pas encore expédié avant-hier. Tout ce que j'ai pu faire a été de représenter tout ce qu'il fallait : au moins ne prétendront-ils pas cause d'ignorance; et Sa Sainteté ne me pourra pas dire que je ne l'aie pas avertie de tout elle-même, aussi bien que les cardinaux.

La seconde lettre de M. de Cambray, c'est-à-dire celle qui accompagne le mandement, fut lue au saint Office dans la dernière congrégation. Mais pas un cardinal n'en a eu copie ; le seul cardinal Albani, et peut-être le cardinal de Bouillon l'ont : elle n'est pas meilleure que la première. Le grand mystère, ou plutôt l'impénétrable secret sur cette lettre, me fait juger qu'elle est pire que la première. Si elle était plus modeste et telle qu'il faut, on en verrait bientôt voler mille copies, et je vois bien que ce que Gozzadini m'a dit là-dessus est vrai. Je crois vous l'avoir écrit par mon autre lettre. Les cardinaux Nerli, Casanate et Carpegna, que j'avais avertis de cette seconde lettre, m'ont dit l'avoir entendu lire, et n'en paraissaient pas trop contents : ils n'en ont pu avoir copie, et me l'ont demandée. Mais où la prendrois-je ? J'ai dit au cardinal Spada qu'il me sembloit qu'on ne pouvait se dispenser d'en envoyer copie à M. le nonce, à qui on avait envoyé la première ; et que pour moi j'avais cru être obligé d'avertir de cette seconde lettre, que j'avais sujet de croire plus mauvaise que la première, et qu'on devait juger telle jusqu'à ce qu'on la vît.

Les cardinaux susnommés m'ont assuré qu'il n'y avait rien que de sec, dans le bref en réponse, dont on pourrait tirer avantage pour M. de Cambray. Néanmoins je vois bien qu'ils ne voudraient pas répondre que le cardinal Albani n'ajoutât quelque petit mot du sien. Ce qui le leur fait craindre, c'est que ce bref ne leur a pas été envoyé per mamis, et ils n'en ont entendu qu'une simple lecture, et un mot est bientôt ajouté ; et qui osera dire après quelque chose? Je vous avoue, pour moi, que je crains tout du cardinal Albani et du cardinal de Bouillon, et que je prendrai pour un miracle, si le bref ne dit pas plus qu'il ne faut.

Je ne sais si l'on aura pris la voie de M. le nonce pour faire

 

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tenir ce bref; mais je ne puis me persuader qu'onne lui en envoie au moins copie, pour le faire voir.

M. de Chanterac part incessamment, s'il n'est déjà parti. On m'a dit qu'il était chargé du bref; mais je ne le crois pas, et je ne puis m'empêcher de croire qu'on le fera passer par les mains du nonce.

J'attends avec impatience ce qu'on fera en France, et souhaite-rois que cela arrivât ainsi avant que je parte, pour avoir le plaisir et la satisfaction d'en faire part au Pape et aux cardinaux, quand même M. de Monaco ne serait pas arrivé. J'espérerois que cette circonstance et celle de mon départ me pourraient rendre la grâce de mon induit plus facile.

Je vais prendre incessamment congé de MM. les cardinaux, comptant de partir vers le 8 du mois prochain. Ayez la bonté d'adresser vos lettres dorénavant à Florence, à M. Dupré, qui sera informé de ma route.

Nous n'avons reçu le P. Roslet et moi aucunes nouvelles par ces ordinaires de M. de Paris. Nous croyons que c'était signe que M. des Roches retournait; mais il n'est pas arrivé, et je n'en sais aucune nouvelle.

Je suis sensiblement obligé à M. de Paris de toutes ses bontés. Je n'ai rien fait par passion, Dieu merci. Je n'ai jamais eu en vue que la vérité et le service de l'Eglise ; et si je savais avoir jamais avancé un mot contraire à la vérité, je n'aurais aucune honte d'avouer que j'ai été trompé. J'aurai toujours le respect que je dois pour M. le cardinal de Bouillon ; mais je lui parlerai toujours avec sincérité. Il n'a pas jugé à propos d'avoir aucun éclaircissement avec moi; et tout se passe avec honnêteté de sa part, et respect et retenue de la mienne.

Les lettres de M. de Cambray au Pape ne paraissent pas faites dans la vue de vouloir s'accommoder avec les évêques, à moins que vous ne vouliez tomber d'accord de son innocence, des probra dont vous l'avez accablé, et que ses explications sont bonnes et purgent tout son livre. Si vous le faites, il ne faut pas faire difficulté de souffrir l'égalité.

Je viens d'apprendre dans le moment, qu'il est constant que le

 

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curé de Seurre, condamné à être brûlé, a été ici près de deux mois sous le nom de l'abbé de la Roche, et que M. le cardinal de Bouillon en a été averti. Il est parti dès ce matin, et prend la route de Florence : il repasse en France; Dieu l'aveugle. Je saurai tout ce qui le regarde dans peu. Je ne puis assez m'étonner du silence de certaines gens qui l'ont su, et que je sais qu'ils en ont averti le cardinal de Bouillon. Si je l'avais su, ou il serait sorti plus tôt de Rome, ou on l'aurait fait arrêter.

J'ai oublié de vous marquer une circonstance de la congrégation du lundi 27 avril, où on lut la première lettre de M. de Cambray avant l'arrivée du mandement. Elle fut exaltée par le cardinal de Bouillon jusqu'au troisième ciel. Le cardinal Casanate ne la trouva pas si merveilleuse, et dit doucement qu'il croyait, avant que de prendre la résolution de répondre par un bref, qu'il fallait attendre le mandement, et voir comme il serait conçu. Le cardinal de Bouillon reprit avec un ton de hauteur, que si Calvin avait fait une soumission pareille à cette lettre, on aurait dû le recevoir à bras ouverts et ne pas attendre tant de formalités, et s'étendit sur les louanges de M. de Cambray. On ne voulut pas le contredire; on passa tout ce qu'il voulut, et il passa à la pluralité qu'on ferait un bref, même avant son mandement arrivé. Depuis il est arrivé ce que vous savez.

 

LETTRE DII. BOSSUET A   SON  NEVEU  (a). A Paris, ce 18 mai 1699.

 

J'ai reçu votre lettre du 28 avril. Le Pape a trop de bonté pour moi, et vous ne sauriez trop lui marquer ma vive et profonde reconnaissance.

M. le prince de Vaïni m'a fait voir ce matin dans une lettre de M. l'abbé Pequigny, les sentiments qu'il vous a fait l'honneur de vous expliquer. Ne partez pas, je vous prie, sans me procurer l'amitié d'un si galant homme, si bien intentionné et si savant.

 

(a) Revue et complétée sur l'original.

 

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Je me doutais bien qu'on sentirait à Rome la sécheresse de M. de Cambray, comme on la sent ici. Il est beau au Pape d'avoir dit qu'il sent mieux qu'il ne s'explique, et nous le voulons entendre ainsi pour le bien de la paix ; mais nous serons secrètement attentifs à ses démarches.

Je vous envoie à toutes fins le procès-verbal de notre assemblée, avant qu'il s'imprime. Tenez-le fort caché : ne le montrez à qui que ce soit qu'à M. Phelippeaux, et qu'il n'en sorte de vos mains aucune copie. J'espère qu'il fera honneur à notre métropolitain et à la province. Entre nous, on y a adouci bien des choses. Outre les fautes de copistes, on y a encore changé des expressions, qu'on n'a pas eu le loisir d'y insérer : suppléez à tout. Vous voyez la lettre de M. Giori, qui donne sujet à la mienne. Pour votre départ, quand il ne tiendra qu'à attendre quelque huit ou quinze jours pour voir à Rome M. l'ambassadeur, j'y consens; sinon je remets à votre prudence d'engager l'affaire de votre induit, et d'en venir attendre ici l'événement par le secours de M. de Monaco. J'ai lu ce matin toute votre lettre à M. de Paris, à Conflans, d'où je viens.

J'avais tant de choses à vous écrire la dernière fois, que l'affaire des Bénédictins m'a échappé (a). Elle fait pourtant grand bruit parmi les savants. M. de Chartres a paru prévenu contre eux. J'ai tâché de l'apaiser un peu.

Vous aurez les lettres que vous souhaitez pour les Cours de Modène et de Savoie.

Votre conversation avec le Pape sur Madame de Maintenon, est considérable : il en sera fait mention. Je vais samedi à Versailles : on est à Marly jusqu'à ce temps-là. On ne peut trop marquer l'obligation qu'on a ici à M. le nonce.

Le Télémaque de M. de Cambray, c'est sous le nom du fils d'Ulysse, un roman instructif pour Monseigneur le duc de Bourgogne. Il partage les esprits : la cabale l'admire; le reste du monde trouve cet ouvrage peu sérieux pour un prêtre. Bonsoir, bon retour.

 

(a) Les Bénédictins avaient donné une nouvelle édition de saint Augustin, et les Jésuites l'accusaient de jansénisme.

 

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N 'oubliez pas à Florence de faire souvenir Monseigneur le grand-duc qu'il m'a fait l'honneur de me promettre son portrait et ceux de sa sérénissime famille, pour orner mon cabinet de Germigny avec ceux de mes maîtres.

 

LETTRE DIII. L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE. A Rome, ce 19 mai 1699.

 

Je vois avec plaisir par la lettre de Sa Majesté à MM. les archevêques, le tour qu'on a pris sur la réception de la constitution. Je vous avoue que rien ne pouvait être plus selon mon goût et selon mes idées. Je me suis toujours bien attendu qu'en témoignant pour le saint Siège le respect qui lui est dû, on ne laisserait pas avilir l'autorité épiscopale, et assurément on ne pouvait rien faire de plus canonique ni de plus authentique. La manière dont le roi parle de la soumission de M. de Cambray, est telle que je souhaitais que le Pape en parlât dans son bref à cet archevêque, pour l'engager peut-être plus qu'il ne veut, mais autant qu'il est nécessaire.

Aussitôt que j'ai eu reçu ces nouvelles, j'ai cru qu'il était à propos de voir d'abord M. le cardinal Spada et puis Sa Sainteté, pour connaître comment la conduite de la France serait ici prise, et avoir lieu de faire valoir le zèle du roi et le respect qu'il témoignait en cette occasion pour le saint Siège et la personne du Pape, ayant trouvé le moyen de suppléer à tous les défauts de formalité qui manquaient à la constitution.

M. le cardinal Spada était déjà informé par le nonce, qui ne lui avait pourtant pas envoyé copie de la lettre du roi, et qui souhaita que je lui en fisse la lecture. J'arrêtai sur les endroits où il fallait, et qui marquent l'obéissance qu'on veut rendre au saint Siège. Ce ministre m'en parut content, et me dit qu'il fallait regarder cette affaire comme une affaire finie; ce dont je l'assurai. Il eut la bonté de me dire ce que Sa Sainteté lui avait ordonné

 

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d’écrire à M. le nonce sur mon sujet, pour qu'il le témoignât au roi, et j'en suis confus. Il a exécuté cet ordre dès l'ordinaire dernier, à ce qu'il m'a déclaré.

Après avoir vu M. le cardinal Spada, je vis le Pape, qui me combla de bontés, et qui me dit que je ne devais pas le remercier d'une chose à laquelle il était obligé : après quoi nous passâmes à ce que le roi venait de faire, que je tâchai de lui expliquer de manière qu'il m'en parût content, aussi bien que de la conduite des évêques. Il serait trop long de vous rapporter ce qui fut dit là-dessus. Il me dit que le roi aurait souhaité qu'on lui eût envoyé la constitution in cartapecora, c'est-à-dire en parchemin, voulant marquer par là qu'il n'y avait d'autre différence entre le bref et une bulle. C'est une plaisanterie du cardinal Albani, qui a cherché à tourner en ridicule la distinction qu'on faisait d'un bref d'avec une bulle. Je fus obligé d'expliquer doucement à Sa Sainteté de quelle importance étaient certaines formalités, quand il s'agissait de ne pas innover dans un royaume. Il me parut que le Pape entrait dans les raisons que je lui expo-sois, et je suis persuadé qu'il ne me parlera plus de cartapecora. La conversation roula un moment sur M. de Cambray. Je vis bien par la manière dont le saint Père s'expliqua sur son sujet, qu'il n'est pas bien persuadé que ce prélat croie encore avoir tort. Néanmoins, comme il veut finir, il fait semblant de penser favorablement de ses dispositions. Le bref qui devait lui être adressé est expédié, et en voici toute l'histoire en peu de mots.

Dès qu'il eut été résolu dans la première congrégation qu'on écrirait un bref à M. de Cambray, M. Gozzadini, secrétaire des brefs, fit la minute de celui-ci. Dans ces entrefaites arriva le mandement de M. de Cambray, avec une seconde lettre de ce prélat. Ces deux nouvelles pièces jointes aux réflexions que je fis faire au Pape et aux cardinaux sur la première lettre de M. de Cambray, furent cause qu'on changea un peu de plan : M. le cardinal Albani se fit tout remettre entre les mains, et composa un bref à sa mode. On le lut dans la congrégation du jeudi 7 mai, et on voulait que les cardinaux dissent sur-le-champ leurs avis; mais le cardinal Casanate insista pour qu'on envoyât copie du

 

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bref à chaque cardinal, afin de l'examiner avec plus de soin, et de donner leur avis avec plus de maturité, l'affaire étant très-délicate et très-importante et dans des circonstances qui demandaient de la réflexion. En conséquence il fut résolu qu'on enverrait le bref per manus : cela fut exécuté, et on en retrancha plus de la moitié. Le cardinal Casanate voulait qu'on prit une tournure différente, et il proposa même un autre projet du bref: mais parce qu'il ne parut pas assez favorable à M. de Cambray, ses partisans s'échauffèrent beaucoup pour empêcher qu'il ne fût adopté. L'amour-propre rendit le cardinal Albani encore plus ardent à soutenir son ouvrage ; car il crut que c'était lui faire affront que de ne pas se servir du corps de sa lettre. Ainsi on s'en tint à son bref, avec les différentes corrections qui y avaient été faites. Le cardinal Casanate m'a avoué que dans cet état même il ne lui plaisait pas entièrement. Néanmoins il m'a assuré qu'on en avait retranché tout ce qui pouvait donner lieu à de nouvelles disputes, observant que si on parlait de la piété de M. de Cambray, cela ne touchait point au fond, vu que ce point était étranger à l'affaire.

Le projet du bref du cardinal Casanate était précis, et ne contenait rien dont on pût abuser. On aurait dit à M. de Cambray qu'on n'attendait pas moins de lui que la soumission qu'il témoignait dans son mandement, après avoir tant de fois protesté dans ses défenses qu'il se rendrait au jugement du saint Siège; qu'on était bien aise de voir l'exécution de ses promesses, qu'on espérait et même qu'on ne doutait pas qu'il n'eût dans le cœur ce qu'il faisait paraître dans ses expressions; enfin qu'on l'exhortait à demeurer ferme dans ses résolutions, et de continuer à détester une doctrine et des principes dont il voyait résulter dans tout le monde chrétien de si pernicieuses conséquences. Voilà à peu près l'idée du bref que le cardinal Casanate avait proposé, et qu'il n'a pas été possible de faire approuver à cause des amis de M. de Cambray.

Enfin il avait été comme arrêté par le Pape qu'on enverrait le bref à M. le nonce, pour le communiquer au roi et aux évêques, avant que de l'adresser à M. de Cambray. Mais les amis de cet

 

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archevêque ont tant tourmenté le cardinal Spada et le Pape, qu'on a donné le bref à M. de Chanterac, et on s'est contenté d'en faire passer une copie à M. le nonce. Le cardinal Albani a assuré le P. Roslet du contraire, et l'en a persuadé. Mais ce que je vous dis est vrai : je l'ai voulu savoir du Pape même, qui me l'a confirmé ; et M. le nonce a ordre de vous montrer cette copie, ainsi qu'à M. de Paris.

Il n'y a pas eu moyen, quoi que j'aie pu faire, d'avoir copie ni de la seconde lettre de M. de Cambray, ni du bref qu'on lui écrit: cela me confirme dans la pensée que cette seconde lettre n'est pas meilleure que la première. Je crois être bien informé que dans cette lettre, M. de Cambray rejette le malheur qu'il a eu sur la sublimité de la matière qu'il avait entrepris d'expliquer, et sur la faiblesse de son génie, qui n'a pu atteindre par des expressions convenables à une si haute doctrine ; ce qui a fait qu'il a pu se tromper. Vous voyez l'artifice de cette pensée, et combien il est revenu de sa spiritualité. Mais je sens bien qu'on ne produira jamais cette seconde lettre, quoique ici on fasse courir le bruit qu'elle est plus humble que la première. Si elle était telle qu'il faut, on ne manquerait pas de la faire valoir. La plupart des cardinaux trouvent assez mauvais qu'on ne leur ait pas envoyé copie du bref, après les corrections faites ; et l'on a peur que le cardinal Albani n'y ait ajouté du sien dans l'expédition.

Le Pape et le cardinal Spada m'ont paru contents des résolutions prises en France : mais je suis le plus trompé du monde, si cette Cour dans le fond n'est pas un peu fâchée de l'autorité qu'on donne aux évêques ; cependant on ne fait pas semblant de le sentir. Le cardinal Casanate, à qui j'ai donné copie de la lettre du roi, m'a paru très-content. Je l'ai prié d'en dire son sentiment au Pape et au cardinal Spada : il m'a promis de le faire. M. de Chanterac partit jeudi dernier avec son bref.

On ne sait encore rien de certain sur l'arrivée de M. de Monaco. Son écuyer et son secrétaire sont cependant déjà rendus. D'après les nouvelles que m'apportera M. des Roches, je prendrai ma résolution pour demander moi-même la grâce de mon induit. Je prépare tout à cet effet, et je le tenterai peu de jours avant mon

 

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départ. Pour mieux réussir, je compte toujours partir vers le 8 de juin sans délai.

Ce que je vous mandai par ma dernière lettre, du curé de Seurre, est très-avéré. Il était ici depuis la mi-carême ; il ne s'est point déguisé. Il eut la hardiesse, le jour des Rameaux, d'assister à la chapelle, et de prendre des rameaux de la main du cardinal Paolucci, officiant. Il a signé des quittances de son nom propre. Il voulait demeurer chez le P. Estiennot ; Dieu l'aveuglait manifestement. Il a pris ici plusieurs lettres de recommandation pour Avignon. On croyait qu'il était venu à Rome pour se faire absoudre au saint Office ; mais il ne s'y est pas présenté. Il a été reconnu quinze jours avant son départ, par un gentilhomme Franc-Comtois, nommé le marquis de Broscia, qui s'est contenté de le faire suivre. M. le cardinal de Bouillon fut averti de son départ le jour même, et on m'a assuré qu'il le faisait poursuivre. Il lui sera très-aisé de le faire arrêter. Je ne prétends rien assurer; mais il est très-vraisemblable que M. le cardinal a tout su, le marquis de Broscia étant tous les jours chez cette Eminence.

 

LETTRE DIV. BOSSUET A SON NEVEU. A Versailles, ce 25 mai 1699.

 

J'ai reçu votre lettre du 5 ; je la lus hier à M. de Paris, qui en a rendu compte à la Cour. On est étonné de trois mots de la lettre de M. de Cambray au Pape : Innocentiam, probra, explicationes. M. de Cambray pourrait dire ailleurs tout ce qu'il voudrait, sans que nous songeassions un moment à nous en plaindre, désirant autant qu'il nous est possible de ne donner à ce prélat aucune occasion d'exciter de nouveaux troubles. Mais aujourd'hui qu'il nous attaque devant le saint Siège, si l'on ne nous fait pas justice, nous ne pouvons nous taire sans nous confesser coupables.

Innocentiam. Nous n'accusons point ses mœurs ; à Dieu ne

 

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plaise. Il n'en a pas même été question, mais de sa seule doctrine. Or si sa doctrine est innocente, que devient le bref? C'est le saint Siège et son décret qu'on attaqua, et non pas nous.

Probra. Quels outrages avons-nous faits à M. de Cambray? Tout ce que nous avons dit contre sa doctrine et contre son livre, est de mot à mot ce qui est porté dans la Constitution. Si nous avons dit que le livre était plein d'erreurs, portant à de pernicieuses pratiques, capables d'induire à des doctrines déjà condamnées, telles que celles des béguards, de Molinos, des quiétistes et de Madame Guyon, la bulle dit-elle autre chose ?

Quand il nous a forcés, par ses reproches les plus violents et les plus amers, à découvrir la source du mal, on a démontré son attachement insensé pour une femme trompeuse et fanatique; mais seulement par rapport à l'approbation qu'il donnait à sa spiritualité, à sa doctrine et à ses livres, qui ne respiraient que le quiétisme. Peut-on excuser les efforts qu'il a faits pour la justifier? Veut-on laisser établir qu'un livre plein d'erreurs, selon toute la suite de son texte, ait été fait avec une bonne intention ? C'est une excuse inouïe, inventée exprès pour mettre à couvert Madame Guyon, et pour se mettre à couvert lui-même par le même principe.

Explicationes. Si elles sont justes, si elles conviennent au livre, le saint Père a mal condamné le livre in sensu obvio, ex connexione sententiarum, etc. Il ne faut que brûler le bref, si ces explications sont reçues.

Indépendamment de cela, on est prêt à faire voir dans les explications du prélat autant et d'aussi grandes erreurs que dans son livre même.

Cependant si l'on lui passe toutes ces excuses mises par lui-même sous les yeux du Pape, et si on le loue, c'est les approuver. Tout l'univers publiera qu'on laisse la liberté à M. de Cambray de se plaindre des injustices et des opprobres qu'on lui a faits, comme si nos accusations étaient des calomnies, et toutes ses excuses justes et légitimes, puisque le Pape les ayant vues, non-seulement n'en aura rien dit, mais encore aura comblé l'auteur de louanges.

 

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Ce serait là véritablement novissimus error pejor priore. On espère que le même esprit qui a présidé aux congrégations précédentes, empêchera qu'on n'affaiblisse ce qui y a été fait.

Ajoutons encore œrumnas. Est-ce un si grand malheur d'être repris de ses erreurs? M. de Cambray ne se plaint que de la correction, en évitant d'avouer sa faute. Si l'on passe cela à Rome, et si celui qui avance de telles choses n'en remporte que des louanges, il se trouvera non-seulement mieux traité que les défenseurs de la vérité, mais encore honoré par le saint Siège, pendant que les autres demeureront chargés du reproche d'être des calomniateurs.

Dieu détournera ce malheur. On ne dira rien ici : on attendra dans la ferme espérance que Rome, assistée d'en haut, ne se démentira pas et n'affaiblira pas son propre ouvrage.

Quant à la manière dont nous avons procédé pour l'acceptation du bref, on trouve dans saint Antonin, parlant des décrets apostoliques, qu'ils ont été acceptata, examinata et approbata; ce qui est plus que nous n'avons voulu dire.

On trouve dans le même auteur, qui n'est pas suspect à Rome, sur le motu proprio, que c'était le terme dont on se servait, lorsque le Pape parlait comme docteur particulier. Cette formule est très-nouvelle : jamais elle n'a été usitée en cas pareil ; et néanmoins nous recevons par respect un décret où cette clause se trouve.

Tenez pour certain que le bref d'Alexandre VII, sur la traduction du Missel, n'a jamais été appuyé de ce qui s'appelle lettres patentes, ni porté au Parlement.

Au surplus il suffit de voir l'intitulation au nom du Pape et sa décision faite avec la pleine autorité de son conseil, confirmée par le jugement des Eglises particulières, pour reconnaître que de droit on y doit toute obéissance. Voilà les maximes dont la France ne se départira jamais.

J'espère demain entretenir ici M. le nonce.

Madame des Ursins mande des merveilles de vous.

S'il ne tient qu'à attendre un peu pour voir M. l'ambassadeur, je suis d'avis que vous l'attendiez. Je suis bien aise, à cela près,

 

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que vous vous disposiez à partir le 8 de juin. J'embrasse M. Phelippeaux. Il me tarde bien de vous voir tous les deux.

Je viens d'écrire à Madame la princesse, pour lui demander des lettres pour la Cour de Modène (a) ; et j'espère que Madame de Hanovre d'elle-même voudra bien se souvenir un peu de moi, et des bontés dont m'honorait Madame la princesse Palatine sa mère.

 

LETTRE DV. L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE. A Rome, ce 26 mai 1699.

 

J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire du 4 mai par le courrier ordinaire, et le lendemain vos paquets du 29 avril par M. de Madot, qui est enfin arrivé, après avoir été obligé de rester plus de huit jours en chemin, malade : il est arrivé en bonne santé. Vous croyez bien que j'ai été ravi de le revoir, et d'apprendre de vive voix la confirmation et les détails de ce que je savais déjà, et la véritable disposition de la Cour à l'égard de M. de Cambray, de M. le cardinal de Bouillon et de tout le reste. Je suis très-aise que vous soyez content de ce gentilhomme : pour lui il est plus que satisfait de vous et de son voyage, qui a déplu, aussi bien que son retour, si fortement à M. le cardinal de Bouillon, que je ne doute pas que vous ne soyez surpris de la vivacité, pour ne pas dire violence, qu'il a témoignée a ce sujet. Je vais vous en faire tout le détail, auquel vous croyez bien que j'ai eu quelque part.

M. de Madot arriva donc ici vendredi, vers le midi : il descendit chez moi, où je le trouvai au retour de quelques visites que j'avais été obligé de faire. Après dîné je le conduisis très-incognito à la Trinité du Mont, chez le P. Roslet, évitant toutes les rues de passage et surtout le palais de M. le cardinal de Bouillon. Ce n'était pas par crainte, comme vous le jugez bien, de quelque

 

(a) On sait que l'abbé Bossuet avait demandé des lettres de recommandation pour les Cours d'Italie.

 

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insulte, mais par ménagement et par égard pour la colère et l'indignation qu'il avait plu à M. le cardinal de Bouillon de témoigner très-légèrement contre ce gentilhomme, et ne voulant pas que cette Eminence crût qu'on cherchait à le narguer. De la Trinité du Mont, je le conduisis vers la nuit chez Madame la princesse des Ursins, où je le laissai. J'eus encore cet égard et, si vous voulez, ce respect pour M. le cardinal de Bouillon, de ne le pas loger chez moi. Il est vrai néanmoins que désirant pourvoir à sa sûreté, je l'avais logé vis-à-vis de chez moi, où il était tout comme avec moi. M. le cardinal de Bouillon sut vers les deux heures de nuit, c'est-à-dire vers les dix heures de France, que M. de Madot était arrivé. Sa tête s'échauffa si fort à cette nouvelle, qu'il n'eut pas un moment de repos jusqu'à ce qu'on eût cherché par tout Rome M. Poussin, son secrétaire, à qui il ordonna en présence de M. le duc de Barwick et de plusieurs autres, de me venir dire de sa part ce que vous verrez écrit dans le billet que je vous envoie. M. Poussin ayant ordre de me trouver, et de ne pas me laisser coucher sans me faire savoir les intentions et les conseils de son Eminence, visita inutilement plusieurs maisons, où il ne me trouva pas. Enfin il parla chez moi à M. Phelippeaux, et lui dicta le billet ci-inclus (a), écrit de la main de M. Phelippeaux, excepté les mots soulignés, qui sont de la main du sieur Poussin.

Je reçus donc, avant que de me coucher, ce billet qui, je vous assure, ne m'empêcha pas de dormir, d'autant plus que le criminel de lèse-altesse n'étant pas logé chez moi, M. le cardinal n'avait pas, ce me semble, le moindre petit prétexte de se fâcher contre moi. J'allai dès le lendemain, samedi, de très-bonne heure, chez M. le cardinal de Bouillon, pour m'expliquer avec lui sur ce sujet, et pour lui rendre compte de ma conduite, qui ne

 

(a) « Monsieur Poussin est passé ici pour vous dire, Monsieur, de la part de M. le cardinal de Bouillon, que comme il se pourrait faire que des gens attachés à lui se portassent sans son ordre à quelque extrémité à l'égard de M. de Madot, qu'on lui a dit loger chez vous, il vous conseillait de l'en faire sortir en vingt-quatre heures : ce que je vous écris, afin que vous sachiez, avant de vous coucher, ce que M. Poussin m'a dit par ordre de M. le cardinal. Je l'ai assuré qu'il ne logeait pas chez vous. »

Ce 22 mai au soir. Phelippeaux.

 

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pouvait être, ce me semble, plus modérée, ni plus pleine d'égards et de considération pour lui. M. le cardinal voulut d'abord me parler légèrement et un pied en l'air; mais sur ce que je pris la liberté de lui demander une demi-heure de conversation sérieuse, il eut la bonté de me l'accorder ; et je pris cette occasion, que je désirois il y a longtemps, pour entrer avec lui dans des explications convenables sur toute ma conduite à son égard, par rapport à l'affaire de M. de Cambray. Je l'assurai en termes pleins de respect et d'égards, que je n'avais rien fait, rien dit, ni rien écrit que je ne fusse prêt de soutenir, et de lui déclarer à lui-même, s'il le voulait bien ; qu'ayant toujours agi dans cette affaire la tête levée et en vue du service du roi, des évêques et de la vérité, j'aurais été le plus coupable et le dernier des hommes, si je n'avais pas averti en France et ici des pièges qu'on voulait tendre pour embrouiller la décision de cette affaire; et si j'avais manqué d'être attentif à toutes les démarches qu'on faisait pour empêcher le jugement dans une cause où il y allait de tout pour la religion ; où l'honneur et la réputation des évêques, du roi même, étaient intéressés ; qui enfin a remporté la victoire, qui suit tôt ou tard la vérité. Je lui dis que j'étais prêt à le satisfaire sur tous les points, s'il jugeait à propos d'entrer avec moi dans les détails nécessaires. Je vous proteste que je m'en serais bien tiré, et lui fort mal : aussi ne crut-il pas devoir accepter mes offres, et se borna-t-il à me répondre qu'il avait fait son devoir sur tout ; et que s'il était à recommencer, il agirait de même, ne se repentant point de ce qu'il avait fait; qu'il voyait bien qu'il se trouvait dans des circonstances fâcheuses, et qu'on était prévenu faussement contre lui, mais qu'il était au-dessus de tout, etc.

Je vins ensuite à ce qui regarde M. de Madot, et je lui représentai tout ce que vous pouvez savoir, lui protestant de la part de M. de Madot que tout ce dont on l'accusait à l'égard de son courrier, était un tissu de faussetés. M. le cardinal de Bouillon me parut très-irrité contre M. de Madot, ne voulant en aucune mauière écouter ses justifications, et lui faisant l'honneur de se déclarer son ennemi. Sur ce qui me touchait, il n'eut pas un mot à répondre à mes raisons, et ne put improuver la conduite que

 

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j'avais tenue à son égard ; et j'ose dire qu'il fut content de la manière dont je m'expliquai avec lui là-dessus. Il fut si satisfait, qu'il le témoigna dès le soir même à M. le duc de Barwick, disant qu'on ne pouvait mieux lui parler que je l'avais fait. Je ne laissai pourtant pas de l'assurer que je ne pouvais ni ne devais abandonner M. de Madot, qui s'était bien voulu sacrifier pour me rendre service, et auquel vous et M. de Paris vous intéressiez; ce qu'il m'a paru ne pas trouver mauvais. Il est vrai que je lui exposai mes raisons avec toutes les mesures imaginables. Il n'avait pas encore reçu votre lettre, qui a passé par les mains de M. de Torci, et dont vous m'avez envoyé la copie. Je lui en ai dit la substance, lui déclarant que vous me la rapportiez dans votre lettre. Sur M. de Madot, il m'ajouta qu'il avait su qu'on voulait engager M. le grand-duc à le prendre à son service ; mais qu'il venait de faire déclarer à l'agent de ce prince qu'il ne doutait pas qu'il ne le chassât de ses Etats à sa considération, et qu'il le poursuivrait partout où il se retirerait. Cela me parut un peu violent, et tout le monde en juge de même. Que veut-il donc que devienne ce pauvre malheureux gentilhomme, qui ne peut demeurer en France, qu'il ne saurait souffrir à Rome, et qu'il prétend empêcher d'entrer au service d'un prince, ami de la France? Où se réfugiera- t-il, lui qu'il sait n'avoir jamais voulu s'engager au service d'aucune puissance qui put ère ennemie du roi? Mais j'espère que les bons offices de cette Eminence ne nuiront pas à M. de Madot, auprès d'un prince aussi pieux et aussi généreux que M. le grand-duc. Sûrement il préférera de remplir les engagements qu'il a pris avec M. de Paris, avec vous, avec M. d'Estrées et M. de Janson, plutôt que de satisfaire la haine de M. le cardinal de Bouillon, qui est poussée aussi loin qu'elle le peut être.

M. le cardinal de Bouillon a encore trouvé très-mauvais qu'à l'entrée de l'ambassadeur du grand-duc, qui se fit avant-hier, dimanche, M. de Madot ait été dans un carrosse de cet ambassadeur ; et il a fait de cette action une affaire d'Etat. Enfin incapable de garder aucune mesure, son ressentiment a éclaté avec une force qui passe tout ce qu'on peut dire. Malgré tant de

 

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mauvais procédés, M. de Madot s'est toujours conduit avec sagesse et circonspection. Il est resté à Rome publiquement (a), pour mettre ordre à ses affaires, jusqu'à ce soir, qu'il vient de partir pour Florence ; et M. le cardinal de Bouillon a évaporé en l'air son injuste colère.

Bans la conversation que j'eus avec cette Eminence, elle me dit qu'en tout autre temps on aurait puni exemplairement en France M. de Madot; mais qu'il voyait bien qu'il serait au contraire peut-être récompensé. Il ne dissimule guère le mécontentement qu'il a du roi. M. de Madot vous rendra compte de tout, aussi bien qu'à M. de Paris.

Vous apprendrez par les nouvelles publiques, l'éclatante affaire qu'a eue à l'entrée de l'ambassadeur de Florence, M. le cardinal de Bouillon avec l'ambassadeur de l'empereur. Le carrosse que cet ambassadeur avait envoyé à cette entrée, a été obligé de céder à celui de M. le cardinal, et les gens de l'ambassadeur firent sagement ; car il y avait le long de la route des hommes armés pour soutenir le carrosse de M. le cardinal, et qui auraient fait mal passer le temps aux gens de l'ambassadeur. Ce qui fut un peu fâcheux, et qui doit avoir déplu à M. le cardinal, c'est que quelques François s'avisèrent de courir avant les carrosses, l'épée nue, jusque dans Rome même. Le fait a paru un peu violent, et le procédé trop public. On s'attendait aujourd'hui à une bataille

 

(a) M. de Madot, si vivement exposé à la colère du cardinal de Bouillon, ne resta que deux ou trois jours à Rome pour y terminer ses affaires. Il se rendit de là à Florence auprès du grand-duc, qui, à la recommandation de MM. Bossuet, de Janson et de Noailles, lui avait donné de l'emploi dans ses troupes. Le cardinal de Bouillon écrivit au grand-duc pour l'engager à lui retirer sa laveur, et à le congédier de ses Etats. Mais ce prince, ne croyant pas devoir sacrifier ce gentilhomme, répondit au cardinal qu'il avait retenu M. de Madot à son service sur le bon témoignage que M. de Meaux et M. de Paris, en qui il avait une entière confiance, lui en avaient rendu, et qu'il ne voyait aucune raison pour ne pas tenir la parole qu'il leur avait donnée. C'est ce que ce prince lit connaître a l'évêque de Meaux par une lettre du 22 mai 1699, dans laquelle il lui disait que M. de Madot pouvait l'assurer lui-même des bons sentiments qu u avait pour sa personne en considération du prélat. Ce prince ne se borna pas à ces premiers bienfaits; et lorsque l'abbé Bossuet, revenant en France, passa à Florence, M. le grand-duc nomma M. de Madot capitaine de deux cents carabiniers avec des appointements convenables. Il voulut que cet abbé donnât lui-même à ce gentilhomme la nouvelle de cette grâce singulière, pour lui faire comprendre qu’il obtenait à la recommandation de l'évêque de Meaux. (Les premiers édit. )

 

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réelle, à l'occasion du cortège qui devait accompagner l'ambassadeur de Florence à Monte Cavallo.

L'ambassadeur de l'empereur armait publiquement : on ne s'endormait pas chez M. le cardinal, qui avait près de mille hommes sous les armes. Mais une heure avant le départ, l'ambassadeur de Florence a jugé à propos de prétexter une indisposition, et a contremandé tous ses équipages. Il doit aller demain sans cortège à l'audience de Sa Sainteté : cela s'est fait de concert avec le Pape ; et on est persuadé que l'ambassadeur de l'empereur n'est pas fâché d'être sorti de cet embarras. M. le cardinal de Bouillon en doit être bien aise aussi. L'ambassadeur de l'empereur, qui est haï ici extrêmement, courait grand risque. Vous croyez bien que ces deux ministres sont extrêmement animés l'un contre l'autre, et j'en sais bien la raison : depuis trois mois leurs dispositions sont changées ; mais cela serait trop long à expliquer (a).

Cette affaire est prise ici très-diversement. La manière avec laquelle les choses ont été conduites, a eu ses contradicteurs et ses critiques en très-grand nombre. La seule haine qu'on porte à l'ambassadeur de l'empereur, pourra calmer les esprits sur le procédé du cardinal de Bouillon.

Je compte toujours partir vers le 8 du mois prochain, c'est-à-dire

(a) Voici quelques détails, Relut, du quiét., part. II, p. 253 : « Le dimanche, 24 mai, le cardinal de Bouillon donna à Rome une nouvelle scène. Le marquis de Vitelli, ambassadeur extraordinaire du grand-duc, fit son entrée publique; le cardinal, dont les carrosses avaient été insultés deux fois par ceux du comte Martinits, ambassadeur de l'empereur, dans les entrées des cardinaux Cornato et Grimani, envoya ce jour-là beaucoup de gens armés pour agir en cas de contestation. Dans les entrées publiques, il n'y a pas de rangs marqués ; les cochers les plus hardis et les plus adroits passent les premiers. Le cocher du carrosse de l'ambassadeur s'étant aperçu du grand nombre de gens armés, jugea à propos de se retirer dès Pontemole pour ne rien risquer ; ce qui n'empêcha pas les gens du cardinal d'accompagner le carrosse de leur maître l'épée à la main. On blâma fort le cardinal; car l'ambassadeur lui avait fait des excuses des insultes passées, et ils avaient tous deux vécu depuis dans une grande intelligence. Le mardi suivant, jour destiné à l'audience publique du marquis de Vitelli, le cardinal de Bouillon fit armer cinq à six cents hommes dans son palais. Ce héros s'en était allé dès le lundi à Frescati, pour n'être spectateur de la bataille que de quatre lieues; et il avait confié cette entreprise à Certes, qui était d'humeur à se tenir caché dans le palais pendant qu'on combattrait. Le Pape, averti de cet armement, le regarda comme un attentat à sa souveraineté, qui exposait Rome au pillage; il en fut rempli de douleur, et envoya dire au marquis de Vitelli de ne pas venir à l'audience. Le vendredi 30, le cardinal, de retour de Frescati, fit demander audience au Pape, qui la refusa et dit qu'il attendait l'arrivée du prince de Monaco. »

 

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dans quinze jours, et je vais agir pour mon induit, sans plus attendre M. de Monaco.

On sait ici l'affaire des Bénédictins avec les Jésuites ; mais elle ne fait aucun bruit, et on sera très-favorable aux premiers.

Je n'entamerai point l'affaire de Sfondrate. Je sais, il y a longtemps, ce qui retient M. l'archevêque de Paris sur cela. Il croit par ses ménagements devenir cardinal. Le cardinal Albani se sert de ce moyen pour amortir son zèle, et croit par là pouvoir tout faire impunément pour le cardinal de Bouillon et pour M. de Cambray.

Je verrai Sa Sainteté incessamment. Je dis ce qu'il convient sur la nécessité de défendre les écrits de M. de Cambray, explicatifs de son livre. Il faut toujours agir en France à cet égard de la manière la plus avantageuse, et parler sur la doctrine plus fortement que jamais : tout sera approuvé ici.

Au reste le curé de Seurre est arrêté. Le saint Office ne s'est pas fié aux diligences que pouvait faire le cardinal de Bouillon. Il a dépêché sur son chemin, et ce malheureux a été arrêté à Florence : il doit être conduit ici incessamment ; on le dit même déjà arrivé. On prétend qu'il y a aussi des femmes arrêtées, qui lui tenaient bonne compagnie à Rome, et qu'il avait emmenées de France. Je ne sais que dire du cardinal de Bouillon sur tout cela. Il est assez probable qu'il aime mieux que ces malheureux soient arrêtés ici que s'ils l'avaient été en France : car le secret des informations du saint Office étant impénétrable, on ne saura rien de toutes les erreurs où le fanatisme de leurs maximes les a précipités.

Fabroni et sa cabale ont fait le P. Gabrieli, l'un des examinateurs les plus zélés pour M. de Cambray, général de son ordre (a).

On traverse tant qu'on peut notre procureur général des augustins.

Le cardinal Casanate et les autres cardinaux que j'ai vus, trouvent très-bon ce qu'on fait en France pour l'acceptation de leur

 

(a) Il fut fait cardinal bientôt après. Le Pape se sentant affaibli, convoqua à la haie, le samedi 14 novembre 1699 un consistoire dans sa chambre et nomma cinq cardinaux, parmi lesquels se trouva Gabrieli.

 

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décret : ils sont fort contents qu'on ait donné le nom de constitution à leur bref.

Je me porte bien, Dieu merci, et ne respire qu'après le moment où je partirai d'ici, et surtout après celui où je vous reverrai.

 

LETTRE DVI. BOSSUET A  SON NEVEU  (a).  A Paris, ce 1er juin 1699.

 

Selon l'ordre de votre lettre du 6, j'adresse ce paquet à M. Dupré à Florence, et je lui écris pour le supplier de l'avoir agréable.

Nous attendons avec impatience le bref à M. de Cambray ; et nous croyons que ceux qui le dresseront auront égard à l'utilité de l'Eglise et à la dignité du saint Siège, plus qu'à quelque petite complaisance qui ne ferait qu'enorgueillir un esprit superbe, et donner des forces à un parti tombé.

On est ici fort content du procès-verbal de l'assemblée de Reims, que je vous envoie. Mais j'aimerais encore mieux vous pouvoir envoyer celui de Cambray, où M. de Saint-Omer ayant proposé, comme Paris et Reims, la suppression de tous les livres faits en défense de celui des Maximes, M. de Cambray s'y est opposé de toute sa force par de méchantes raisons, et s'est vu contraint de prononcer à la pluralité des voix, en énonçant que c'était contre son avis que le roi serait supplié de supprimer tous ses livres. On voit par le peu de crédit qu'il a eu dans sa province, combien peu il trouvera de complaisance dans les autres. Assurément il n'a et n'aura pas pour lui un seul évêque. M. d'Arras a voulu en quelque sorte éluder l'acceptation, par des sentiments opposés à ceux de tout le reste des évêques : mais enfin elle a passé dans le fond; et voilà déjà quatre provinces, c'est-à-dire

 

(a) Revue et complétée sur l'original.

 

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celle de Toulouse, qui a commencé, et celles de Paris, de Reims et de Cambray, uniformes.

M. de Saint-Omer et M. de Tournai ont fait expliquer M. de Cambray sur sa soumission plus qu'il n'avait fait encore ; et quoiqu'on l'eût pu pousser davantage, on a mieux aimé pour le bien de la paix à la fin demeurer content. Il continue à se renfermer et à travailler, on ne sait à quoi. Pour moi je pars vendredi pour mon diocèse. J'y passerai les fêtes avec l'octave du saint Sacrement.

Quoi qu'on fasse, nous ne dirons rien sur ce qu'écrit M. de Cambray de son innocence, des outrages qu'il prétend avoir reçus et de ses explications. C'est lui qui nous agace de gaieté de cœur ; mais nous voulons être les plus sages, et le traiter avec toute sorte d'honnêteté et de douceur. On m'assure que sur le probra, qui dans le fond attaque plus le bref que nous, puisque nous n'avons rien dit de son livre que ce que le saint Siège en a décidé, il a dit qu'il m'avait en vue, lorsqu'il écrivait ce mot, parce que je l'ai nommé le Montan de la Priscille. Mais je me suis assez expliqué. Ni Eusèbe de Césarée, et les auteurs qu'il cite, ni saint Epiphane, ni saint Jérôme, ni saint Augustin, ni Philastrius, n'accusent Montan d'autre commerce avec les fausses prophétesses, que de celui d'une fausse spiritualité. Au surplus je lui ai fait faire des honnêtetés depuis la censure, auxquelles il n'a pas répondu un seul mot. D'autres personnes ont voulu s'entremettre entre ses amis et moi : j'ai répondu très-honnêtement, comme je ferai toujours.

Le P. de la Ferté a été relégué à Blois, avec défense de prêcher, à ce qu'on prétend, pour avoir parlé en chaire très-ouvertement contre le roi et Madame de Maintenon.

J'embrasse M. Phelippeaux. Venez vite. Ma santé est bonne, Dieu merci.

 

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LETTRE DVII. L'ABBÉ BOSSUET  A SON  ONCLE (a). Rome, ce 2 juin 1699.

 

J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, du 11 mai. Votre assemblée n'était pas encore faite; mais par un courrier extraordinaire nous avons appris ce qu'on y avait fait et les résolutions prises, conformes aux intentions de Sa Majesté marquées par sa lettre. Les mandements qu'on doit faire dans chaque diocèse, feront tout l'effet et suppléeront à tout. Je puis vous assurer que tous les cardinaux approuvent fort les mesures qu'on a prises en France, pour l'authenticité de cette Constitution. Cela ne fait pas ici la moindre difficulté, quoiqu'ils aient bien senti que l'Eglise de France par là autorisait l'article de la déclaration : Nisi Ecclesiœ consensus accesserit. Quelques-uns me l'ont dit, et on commence ici à ne pas trouver cette doctrine si affreuse : il n'y a que manière de la leur présenter.

Le Pape est tout de même, je vous en réponds, et reçoit à merveille tout ce que je lui dis là-dessus.

Quoiqu'on attende à présent M. de Monaco de jour en jour, ayant envoyé quérir les galères à Marseille dès le 15 de mai, et une partie de ses gens étant déjà allés à Civita-Vecchia, j'ai cru ne devoir pas différer à faire les démarches nécessaires sur l'affaire de mon induit. J'ai travaillé depuis trois semaines à bien disposer en général et le Pape et le cardinal Panciatici à me vouloir renvoyer content. J'ai cru trouver la conjoncture favorable, et j'ai rendu ce matin votre lettre et celle de M. le cardinal de Janson à M. le cardinal Panciatici, qui a reçu très-bien ma proposition, et m'a dit de parler au Pape, ce que j'ai fait aujourd'hui ; et Sa Sainteté m'a donné des marques particulières de bonté, et des assurances de me vouloir faire plaisir, ainsi qu'à vous. Si M. le cardinal dataire ne l'empêche, je puis dire que je suis assuré du Pape. M. le cardinal Casanate, à qui j'ai rendu votre

 

(a) Revue et complétée sur l'original.

 

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lettre, et dont je vous envoie la réponse, m'a promis de faire de son mieux auprès de M. le cardinal Panciatici ; c'est son grand ami. J'ai rendu aussi votre lettre au cardinal Spada, qui m'a promis de faire son possible auprès de Sa Sainteté. Nous saurons ce que cela opérera. Si je vois qu'on fasse difficulté, alors si M. de Monaco arrive à temps, je l'emploierai : mais je ne désespère pas que dans les circonstances présentes, le Pape ne soit bien aise de me renvoyer content de lui par quelque grâce. Nous verrons.

Je souhaite ardemment voir M. de Monaco avant que de partir ; mais je ne puis m'arrêter ici plus que de la semaine prochaine ; et je compte partir le 10 ou le 12, au plus tard. Je vais écrire encore d'ici une fois qui sera le 9, et je vous marquerai précisément le jour.

Je prends congé de MM. les cardinaux, tant du Saint-Office que des autres, qui me comblent de bontés.

L'affaire de l'armement des ministres (a) fait ici plus de fracas que jamais. Le Pape témoigne une grande indignation contre M. le cardinal de Bouillon, et lui a refusé audience : et on le prétend dans la résolution de ne le vouloir plus entendre. Sa Sainteté envoya même quérir avant-hier M. Poussin, pour lui ouvrir son cœur. C'est une chose publique, il n'y a pas de doute que les Autrichiens n'aigrissent infiniment l'esprit du Pape ; et le Pape, qui craint de passer pour trop partial pour la France, paraît vouloir prendre feu. On blâme ici généralement la manière publique et éclatante dont cette affaire a été conduite par les généraux d'armée de France; mais on ne blâme pas le fond, c'est-à-dire que M. le cardinal ait voulu être le plus fort : mais on souhaiterait que cela se fût fait moins publiquement. Ce que je puis dire, c'est que M. le cardinal de Bouillon n'est pas heureux, et mal servi.

Sa Sainteté voudrait bien que le roi ne se fâchât pas du refus d'audience qu'il fait à M. le cardinal de Bouillon. Sa Sainteté a demandé plusieurs fois de mes nouvelles, ces jours passés, à M. Aquaviva, son maître de chambre, à Monseigneur Gozzadini,

 

(a) Celle qui est rapportée dans la lettre DV.

 

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disant pourquoi je ne l'allais point voir, et demandant si j'étais parti : ils m'en ont averti. J'ai bien vu que Sa Sainteté voulait un peu ouvrir son cœur. J'ai cru devoir avertir M. le cardinal de Bouillon que j'allais aujourd'hui aux pieds du Pape pour recevoir ses ordres, afin de parler conformément à ses intentions, et lui rendre ce petit service. Il n'a pas jugé à propos de me faire rien dire. J'ai été chez le Pape, et ce bon Pape m'a parlé plus d'une demi-heure, presque les larmes aux yeux, sur ce qui se passait, avec des sentiments pour le roi dignes d'admiration. Il m'a fait l'honneur de m'entendre; et sans affecter la justification de M. le cardinal de Bouillon, je lui ai dit tout ce qui était possible pour l'empêcher de prendre un engagement qui pût déplaire au roi, et le mettre en parallèle avec ses ennemis ; insinuant que le refus d'audience à M. le cardinal de Bouillon, comme ministre de Sa Majesté, pourrait paraître un peu fort, en faisant connaître que dans le fond M. le cardinal de Bouillon n'avait pas tort de se mettre en état de défense, pour que ses gens ne pussent être maltraités par ceux de l'ambassadeur de l'empereur, qui avaient eu l'insolence de le faire une fois. Je puis dire que Sa Sainteté ne m'a pas paru si aigrie qu'elle l'était au commencement : elle n'a cessé de me dire qu'elle craignait bien que le roi ne fût pas informé de la vérité, et de me marquer une grande impatience de voir M. de Monaco.

Le malheur de M. le cardinal de Bouillon, qui rejaillit sur le service du roi, c'est qu'il ne ménage personne pour parler au Pape, et que les Autrichiens ont tous les jours mille gens qui le font ; et c'est un miracle que le Pape soit si bien disposé naturellement pour la France. M. le cardinal de Bouillon ne sait à la lettre où il en est. Cela est pitoyable. J'ai été rendre compte à M. le cardinal de Bouillon de ce qui s'était passé entre Sa Sainteté et moi : il m'a fort remercié. Pour moi, je sais fort bien distinguer le ministre d'avec l'Altesse. C'est ce que j'ai pris la liberté de dire au Pape, qui en a ri et l'a trouvé fort bon; et je voudrais dans cette occasion-ci, qu'il prît le parti de le distinguer. Je vous assure qu'il n'est pas impossible de lui faire entendre raison là-dessus; mais j'ai peur qu'on ne s'y prenne mal. Je n'en

 

 

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sais rien; mais je le crains, et que cette affaire ne devienne une grande affaire. Le cardinal de Bouillon est outré contre le Pape ; et le grief du Pape, c'est le mépris public qu'on fera de son autorité dans Rome, s'il souffre de pareilles entreprises.

Voyez si l'occasion pouvait être plus favorable pour moi pour lui parler de mon induit.

Sa Sainteté m'a fort parlé du curé de Seurre, et m'a dit qu'on pourrait découvrir bien des choses par lui ; ce qui m'a donné occasion de lui parler de cette matière, et de Madame Guyon et de la cabale : et il est à présent reso capace di tutto.

Dans mes visites des cardinaux, j'insinue la défense des explications et livres de M. de Cambray, et en démontre la nécessité d'une manière à ne pas recevoir de réplique, et comme une conséquence nécessaire de ce qui s'est fait. Je ne doute pas qu'on ne fasse quelque chose, surtout si M. le nonce en parle.

Je vous envoie la copie d'un imprimé qui est ici entre les mains de quelques cardinaux. Je le crois dicté par M. le cardinal de Bouillon et par le P. Charonnier, et la lettre est imprimée en Hollande. Vous l'avez peut-être vue.

J'écris fort à la bâte, n'ayant pu finir mes audiences et mes affaires que fort tard; ce qui fait que je ne pourrai peut-être pas écrire à M. de Paris, à qui je vous prie de faire mes compliments. Si vous n'êtes pas à Paris, et que vous jugiez à propos d'envoyer quelques copies de ce que je vous écris sur les affaires courantes, vous ne feriez peut-être pas si mal.

Au reste vous ne pouvez vous imaginer la rage que le cardinal de Bouillon a eue de savoir la réponse de M. le grand-duc sur M. Madot, qui est qu'il avait donné sa parole à vous et à M. de Paris pour ce gentilhomme, et qu'il ne pouvait y manquer. Cela joint au refus d'Altesse que l'ambassadeur du grand-duc a fait, cause une grande aigreur entre ces puissances. Le cardinal est résolu de s'en venger par rapport au roi. Il est bon qu'il en soit informé.

Vous ne pouvez vous imaginer l'impatience que j'ai de partir et de vous revoir. C'est mon unique affaire, et la seule qui me puisse donner de la joie.

 

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M. le duc de Barwick part demain. Le Pape a demandé pour les pauvres catholiques d'Angleterre, aux cardinaux, quelques secours d'argent: ils ont accordé leur revenu de six mois de leurs rétributions.

 

LETTRE DVIII. BOSSUETASONNEVEU. A Meaux, ce 7 juin 1699.

 

Je continue à vous écrire par Florence, quoique je pense que pour avoir l'honneur de voir M. l'ambassadeur, vous serez à Rome plus longtemps que vous ne pensiez. Vous avez vu par mes précédentes le résultat de l'assemblée de Cambray, où cet archevêque a prononcé à la pluralité des voix que le roi serait supplié de supprimer ses écrits. Il a voulu spécifier qu'il prononçait ainsi contre son avis. Quant à sa soumission, il y aurait beaucoup de choses à dire; mais on a voulu être content, et ne prendre pas garde si les discours étaient bien suivis. On a été étonné de M. d'Arras, qui, seul de tous les évêques de France, a témoigné ne pas approuver ce que disent tous les autres du royaume, quoiqu'il soit pris de mot à mot des procès-verbaux des assemblées du clergé.

Nous vous attendons avec impatience. Je ne sais si je vous ai mandé la mort funeste de l'abbé de la Châtre par une chute de carrosse. Sa charge est donnée à l'abbé de Sourches.

 

LETTRE DIX. BOSSUET A SON NEVEU. A Meaux, ce 8 juin 1699.

 

Je n'ai reçu que ce matin votre lettre de Rome, du 19 mai. Nous avons vu le bref adressé à M. de Cambray le 12 mai, en réponse à la lettre de ce prélat, qui accompagnait son mandement. Ainsi il n'est fait nulle mention de celle du 4 avril, qui le

 

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promettait seulement, et que vous m'avez envoyée. Il faut qu'on ait jugé que la seconde lettre était plus digne de réponse que celle où il était parlé de l'innocence, etc. Le temps peut-être nous en instruira davantage. Le bref, tel qu'il est, ne dit rien du tout dont M. de Cambray puisse tirer avantage. Il est fort sec, et ne loue précisément que son obéissance et sa soumission à vouloir être instruit, et recevoir la parole de vérité de l'Eglise mère et maîtresse.

Si l'on a quelque jalousie à Rome de l'autorité qu'on donne aux évêques, elle pourra augmenter, lorsqu'on verra la manière dont elle a été exercée : mais enfin on n'a fait que répéter ce qui avait été pratiqué par nos prédécesseurs. M. le nonce a paru content. Il ne m'a point dit qu'il eût ordre de parler en votre faveur à cette Cour, ni de témoigner qu'on fût content de vous en celle de Rome. Il m'a seulement promis d'en parler dans l'occasion, sans me dire qu'il en eût ordre, et m'a fait mille remerciements de la manière dont vous vous étiez exprimé à son sujet auprès de Sa Sainteté et de ses ministres.

Je vous envoie à toute fin le procès-verbal de Cambray : vous devez avoir reçu le nôtre. M. de Reims vous a envoyé le sien. Vous y verrez bien exprimé que le consentement des évêques aux Constitutions apostoliques, est réellement un acte d'autorité qui exclut l'obéissance aveugle, qui ne convient à personne, et encore moins à ceux qui sont par leur caractère docteurs de l'Eglise. N'entrez point dans tout ce détail, et assurez seulement en général que les évêques ont intention de rendre au saint Siège le respect qui lui est dû. On ne fera pas seulement semblant ici qu'on craigne d'avoir déplu pour peu que ce soit.

 

LETTRE DX. L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE. Rome, ce 9 juin 1699.

 

J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire de Paris, le 18 mai. Je suis ravi du bon succès et des résolutions de

 

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votre assemblée. Je n'ai communiqué à qui que ce soit le procès-verbal que vous m'avez envoyé : j'ose vous dire que j'en suis très-content. Ce sont des évêques qui parlent, et qui savent ce qu'ils doivent à leur caractère et au saint Siège. On sentira bien ici ce que les évêques veulent dire ; mais comme ils suivent les traces de leurs ancêtres, et témoignent beaucoup de respect pour la personne du Pape et pour le saint Siège, on ne soufflera pas. M. l'archevêque s'est fait un honneur immortel, et toute la province s'est acquis beaucoup de gloire, par les délibérations formées dans son assemblée. Rien n'est plus sage, ni mieux entendu, ni plus ecclésiastique et plus régulier. La précaution de faire chacun un mandement simple, sans s'étendre, plaira ici infiniment, et elle est très-sage. Cela n'empêchera pas dans la suite les évêques de donner les instructions qu'ils jugeront nécessaires à leurs peuples : mais il s'agit à présent de finir cette affaire, et de ne point disputer. Vous aurez vu par mes lettres précédentes, combien je souhaitais qu'on défendît les écrits faits pour la défense du livre condamné, et je suis ravi de la résolution prise sur ce point.

Je suis impatient de savoir ce que vous aurez dit de la lettre de M. de Cambray au Pape, et des manœuvres qu'on a employées ici pour lui procurer un bon succès. L'affaire est finie, il n'en faut plus parler. Mais il n'a pas tenu à la cabale qu'il n'y eût une queue, et c'est encore à quoi tendent toutes ses intrigues ; mais on y sera attentif plus que jamais.

J'attendrai encore cette semaine M. de Monaco, qui devrait être arrivé, et qu'on espère voir de jour en jour. Mais après ce délai, je pars sans retard la semaine prochaine.

M. le cardinal Panciatici m'a conseillé de voir le Pape encore une fois, et de lui renouveler ma demande de l'induit. Sa Sainteté est fort bien disposée pour moi ; mais elle appréhende les conséquences, parce que tout le monde pourrait solliciter de pareilles grâces, qu'elle a peine à accorder, et qu'elle a refusées, non-seulement à M. de Reims, mais à beaucoup d'autres. Le cardinal Panciatici m'a pourtant dit qu'il fallait que je la pressasse, et qu'il me servirait de son mieux : cela me fait bien augurer. Je

 

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suis persuadé que si M. de Monaco arrivait à temps, et que je fusse encore à Rome, le Pape ne ferait aucune difficulté de m'accorder cette grâce. Mais je veux savoir cette semaine à quoi m'en tenir. Je tâcherai d'obtenir ma demande sans le secours de M. l'ambassadeur. Si je ne le puis, je laisserai les choses dans un tel état, que M. de Monaco pourra toujours faire de nouvelles instances, s'il le veut bien. Je ne puis m'empêcher d'espérer tout de la bonté du Pape.

Je vous prie de bien remercier M. le cardinal de Janson, qui a bien voulu m'envoyer une seconde lettre pour M. le cardinal Panciatici. C'est à présent qu'on sent plus que jamais la perte qu'on a faite ici au départ de M. le cardinal de Janson. Le Pape et les cardinaux le témoignent hautement, et avec des expressions qui font bien voir de quelle estime toute cette Cour est pénétrée pour cette Eminence. Tout ce que je pourrais vous en dire n'approcherait pas de l'expression de ces sentiments. J'ai reçu une lettre de M. le nonce, très-honnête et très-obligeante : on ne pense plus, si je ne me trompe, à le rappeler.

Sa Sainteté continue à refuser audience à M. le cardinal de Bouillon, et paraît toujours irritée contre lui : elle attend avec plus d'impatience que personne M. de Monaco. Néanmoins on croit que ce refus ne durera pas longtemps, et que le Pape fera céder son ressentiment à l'estime et à l'amitié infinie qu'il a pour le roi, et qu'il distinguera le ministre d'avec la personne, pour laquelle il a un mépris souverain. C'est le parti que l'on tâche de lui insinuer. Entre nous, j'y travaille plus que personne; et comme non suspect, on me croit un peu. Le Pape souhaitait fort que l'on fût contre M. le cardinal de Bouillon en tout : mais on a cru devoir prendre un parti mitoyen, qui est le plus sage et le plus convenable ; et au lieu d'aigrir le Pape, de chercher à adoucir son esprit.

Il faut néanmoins avouer que le Pape a toutes sortes de raisons de se plaindre du cardinal de Bouillon, qui a manqué de sens dans la conduite qu'il a tenue, et qui a agi plutôt par vanité et ostentation que par nécessité ; car il est certain que l'ambassadeur de l'empereur n'avait pas armé. Ainsi le cardinal l'a fait

 

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sans égard, sans circonspection et sans nécessité. Il aurait pu dans la crainte de quelque insulte, être sur ses gardes ; mais la manière dont il l'a fait est des plus pitoyables, et très-injurieuse pour la personne et l'autorité du prince. La preuve qu'on a que l'ambassadeur de l'empereur n'avait point armé, c'est que le gouverneur de Rome, qui est ennemi déclaré de ce ministre, et qui sait tout ce qui se passe dans Rome, en a assuré le Pape. Je le sais de l'un et de l'autre, à n'en pouvoir douter : par conséquent le cardinal de Bouillon n'avait aucun motif pour faire un si grand éclat, et causer tant de rumeur. J'espère que M. l'abbé Péquigni sera toujours de nos amis.

 

DXI. MÉMOIRE DE BOSSUET A LOUIS XIV. 12 juin 1699.

 

La peine de M. le cardinal de Bouillon et des autres amis de M. de Cambray, à voir l'abbé Bossuet à Rome en état de nous avertir de ce qui se passait, a paru par trop d'endroits pour n'être pas remarquée. On se servit, pour l'intimider et l'obliger à sortir de Rome, de la noire calomnie dont les inventeurs ont été si visiblement confondus par le témoignage de tout Rome. Depuis, dans le temps qu'on voulait, non pas hâter, mais étrangler et précipiter l'affaire, M. le cardinal de Bouillon a mandé que l'abbé Bossuet proposait des retardements, ce qui ne s'est pas trouvé véritable ; et on ne répète pas ce qu'il a eu à essuyer de mauvais offices, pour les soins qu'il a eus de nous avertir.

Ce n'était pas par curiosité que nous désirions d'être informés ; c'était pour en rendre compte au roi, et parce que ces avis fidèles donnaient le moyen de prévenir les difficultés, qui naissaient à chaque pas dans cette affaire.

Quand le jugement a paru, il n'était pas moins nécessaire que nous fussions bien instruits des dispositions de la Cour de Rome, parce qu'il fallait les savoir pour prendre des mesures justes dans

 

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l'exécution. Ainsi l'abbé Bossuet nous dépêcha selon sa coutume; et à cette dernière occasion, ce fut M. de Madot, un de ses amis, qui vint nous apporter la nouvelle.

M. le cardinal de Bouillon éclata à cette fois avec emportement, et ses amis répandirent à Rome qu'il ferait assassiner ce gentilhomme, s'il osoit jamais y retourner. Mais n'osant dire qu'il lui sût si mauvais gré d'être parti à la prière de l'abbé Bossuet pour nous apporter les nouvelles, il prit pour prétexte de son indignation que ce gentilhomme avait promis d'arriver à Paris avant le courrier que ce cardinal dépêchait au roi : à quoi non-seulement on n'avait point songé, mais on ne pouvait même pas le faire, puisque M. de Madot n'était parti que quinze ou vingt heures après ce courrier dépêché au roi. Ainsi cette circonstance ajoutée au fait, n'était que le prétexte du véritable sujet de la colère de M. le cardinal, qui en effet était fâché qu'on nous avertît.

Ce gentilhomme retourné à Rome le 22 de mai, alla dîner chez l'abbé Bossuet, qui le mena chez le P. Roslet, minime, à qui il avait des lettres à rendre de M. l'archevêque de Paris, et de là sur le soir chez Madame la princesse des Ursins, où se trouvent tous les François, et dont il est serviteur.

Cependant M. le cardinal de Bouillon ayant voulu croire que l'abbé Bossuet le logeait chez lui, ce qui n'était pas, puisqu'il avait un autre logis arrêté, a fait à cet abbé l'affront de lui envoyer sous le nom de conseil l'ordre dont on a joint la copie ; et pour le faire avec tout l'éclat qu'il souhaitait, il fit chercher partout Rome M. Poussin, secrétaire de l'ambassade, à qui il commanda devant douze ou quinze personnes de trouver, à quelque heure que ce fût, l'abbé Bossuet, pour lui faire savoir ce qu'il lui prescrivait avec tant de hauteur et de menaces.

Le lendemain l'abbé Bossuet se rendit chez M. le cardinal pour lui représenter, avec le respect dont il n'a jamais manqué envers lui, qu'il aurait pu lui épargner l'affront de lui envoyer un tel ordre avec tant d'éclat, puisqu'il était vrai qu'il n'avait jamais logé M. de Madot, et qu'il n'avait point à en répondre. Voilà pour ce qui regarde l'abbé Bossuet.

Pour ce qui touche M. de Madot, c'est un malheureux gentil-

 

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homme, qui ayant toujours été avec honneur dans le service, s'est vu contraint de se réfugier à Rome depuis trois ou quatre ans pour une rencontre qu'on a qualifiée de duel, en attendant qu'il pût se justifier et rentrer dans les bonnes grâces du roi.

Il n'a jamais voulu prendre de parti avec les ennemis de son maître, et s'est donné à la fin à M. le grand-duc, jusqu'à ce qu'il ait le bonheur d'éclaircir sa malheureuse affaire. Dans la peine de trouver quelqu'un qui se chargeât des dépêches de l'abbé Bossuet, il avait été obligé de le dépêcher. Il est demeuré sous un autre nom chez l'évêque de Meaux, et n'a vu que M. le cardinal de Janson, qui le connaissait de Rome comme un homme de mérite, et M. l'archevêque de Paris, sur qui l'évêque de Meaux s'est reposé pour dire sur ce sujet à Sa Majesté ce qu'il trouverait nécessaire.

Il est demeuré à Rome quatre ou cinq jours seulement, pour quelques affaires dont il y était chargé. Si M. le cardinal de Bouillon, comme ministre du roi, lui eût ordonné de partir plus tôt, il l'eût fait; car il a trouvé moyen de lui faire dire qu'il serait parti à l'instant, toujours prêt à respecter jusqu'à l'ombre de l'autorité de son roi. Cet ordre lui étant refusé, il n'a pas jugé à propos de s'ébranler des menaces ; et ses affaires finies dans le moins de temps qu'il a pu, il s'est rendu à Florence aux ordres de M. le grand-duc. M. le cardinal continue à le poursuivre dans cette Cour, et le menace de le perdre auprès de ce prince, ne voulant laisser aucun asile à un malheureux dont tout le crime est de nous avoir apporté des nouvelles, que nous avions raison de souhaiter.

Cependant on peut assurer qu'il est homme de cœur et de service, bien connu pour tel par les plus honnêtes gens de la Cour, parmi lesquels je nommerai M. de Chaseron, qui en a parlé avec distinction.

L'évêque de Meaux espère que Sa Majesté, daignant écouter ces faits, n'improuvera pas la conduite de l'abbé Bossuet, et qu'il paraîtra que les menaces de M. le Cardinal de Bouillon ne sont ni justes ni généreuses; que ses hauteurs sont à contre-temps, et, si on ose ajouter ce mot, un peu petites.

 

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LETTRE DXII. BOSSUET A MADAME DE MAINTENON. A Meaux, le 12 juin 1699.

 

M. le marquis de Torci a été instruit par M. le cardinal de Bouillon, des honnêtetés qu'il a faites à l'évêque de Meaux sur le sujet de l'abbé Bossuet. C'est pourquoi on a été obligé de l'instruire de cette affaire, afin qu'il en pût rendre compte à Sa Majesté. Mais on a cru qu'on devait ici circonstancier davantage les choses, afin qu'il vous plût, Madame, prévenir plus efficacement les mauvais offices.

 

+ J. Bénigne, évêque de Meaux.

 

LETTRE DXIII. MADAME DE MAINTENON A BOSSUET. 19 Juin 1699.

 

J'ai fait voir au roi, Monsieur, tout ce que vous m'avez envoyé. Il m'ordonne de vous assurer que M. votre neveu n'a à craindre aucun mauvais office. On trouve seulement qu'il a eu tort de se servir d'un homme accusé d'un duel. Je suis, Monsieur, à mon ordinaire, votre très-humble et très-obéissante servante,

 

MAINTENON.

 

LETTRE DXIV. L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE (a). Rome, ce 16 juin 1699.

 

J'ai reçu ici la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire de Versailles, du 25 mai.

 

(a) Revue et complétée sur l'original.

 

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Me voici encore à Rome bien malgré moi. Je viens de passer huit jours fort mal à mon aise, à cause de deux petits boutons de feu qui me sont venus au dessous des mamelles, qui m'ont fait cruellement souffrir. Ils ne m'ont pas empêché de me traîner chez les cardinaux et chez le Pape ; Dieu merci, il n'y a pas eu de fièvre, et depuis hier l'inflammation est cessée et la douleur.

On reçut enfin, samedi 13, nouvelle sûre que M. de Monaco était arrivé le 10 à Gênes ; cela étant, on l'attend d'heure en heure. M. le cardinal de Bouillon et Madame des Ursins ont envoyé leurs carrosses au-devant de lui à Civita-Vecchia. On ne doute pas qu'il n'arrive cette semaine ; enfin il peut arriver à tout moment. Tout veut que je l'attende ; mais aussitôt que je l'aurai vu, je pars sans aucun retardement.

Comme je compte qu'il sera ici jeudi, je fais état de partir samedi prochain pour être à Florence pour la fête de la Saint-Jean, où on fait des choses merveilleuses.

J'ai reçu trois imprimés des procès-verbaux, qui m'ont été adressés par M. Ledieu. Hors M. le cardinal de Bouillon et M. le cardinal Spada, personne n'en a ici. Je crois pouvoir vous assurer que cette Cour ne sera rien moins que contente du personnage qu'y font les évêques ; mais je suis le plus trompé du monde, si elle ose en rien témoigner, au moins publiquement. Ayant su que le cardinal Spada l'avait envoyé de la part du Pape au cardinal Casanate, j'allai hier chez le cardinal Casanate, pour voir ce qu'il m'en dirait. Il l'avait lu et renvoyé au cardinal Spada, avec quelques notes sur les endroits qui lui paraissaient les plus délicats. Généralement cette Cour sent le coup, et voit réduit en pratique le nisi Ecclesiœ consensus accesserit.

Le cardinal Casanate me dit franchement qu'il avait cru que les évêques ne parleraient pas si fortement, et che il negozio anderebbe piu piano ; c'est-à-dire qu'on ne dirait rien qui pût faire de la peine à cette Cour. Je le fis entrer dans le particulier et dans ce qu'il pouvait trouver; il ne sut me dire que deux endroits : l'un, où l'on dit que « les évêques ne doivent point être réputés simples exécuteurs des jugements des Papes ; » et l'autre, page suivante, où il est dit des décrets des Papes, « lesquels suivis du consentement

 

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de toute l'Eglise, ont entièrement fini les questions. Par où, dit-il on semble rappeler le quatrième article de l'assemblée de 1682 : Nisi Ecclesiœ consensus accesserit. »

Il ne me fut pas difficile de justifier ces deux endroits, comme l'esprit de tout le procès-verbal ; et après avoir établi que les évêques, hors des conciles généraux et dans les conciles généraux, étaient véritables juges des matières de foi, il ne put pas raisonnablement disconvenir de la conséquence, qu'ils ne doivent pas être réputés simples exécuteurs, etc. Mais il n'eut rien à me répondre, quand je lui fis voir que l'on ne recevrait pas avec plus de soumission et de respect, et d'une autre manière, un décret d'un concile général convoqué par le Pape, où le Pape aurait présidé et auquel l'Eglise de France n'aurait pas assisté ; qu'en ce cas l'acceptation de l'Eglise de France serait nécessaire, et qu'en ce cas les évêques de France seraient également juges de la foi et de la conformité des décrets avec la tradition que s'ils prononçaient dans le concile.

Quant au consentement de l'Eglise qui sans concile général finissait les affaires, que c'était un fait rapporté, appuyé sur des exemples fameux, comme celui de l'hérésie de Pelage, quand saint Augustin dit : Causa finita est ; et nouvellement celui de l'affaire de Jansénius. Qu'enfin les évêques de France n'avaient fait que suivre pied à pied la conduite et les paroles de leurs prédécesseurs.

Il convint avec moi du droit des évêques de juger en première instance. Mais ce qui fait de la peine ici, c'est de juger après le jugement du Pape, ce qui est une marque de supériorité. Je lui demandai si les évêques, dans les conciles généraux, n'étaient pas de vrais juges, quoique les Papes eussent jugé ; à quoi on ne saurait répondre que du verbiage. Il m'avoua à la fin que le tout pouvait passer, et était fait avec grande adresse, mais qu'il sa-voit qu'on voulait s'alarmer là-dessus, mais qu'il l'empêcherait de tout son possible. Je l'en ai supplié, et il m'a paru très-bien disposé.

Il faut avouer que dans cette Cour, durus est hic sermo. Mais il faut qu'ils le passent, par la raison qu'on ne peut rien faire contre la vérité, et qu'ils craignent le clergé de France.

 

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Cette circonstance ne m'est pas trop favorable pour la grâce que je demande.

Je vis samedi le Pape, qui m'accabla d'honnêtetés, et vous aussi ; mais qui m'a paru très-dur sur le fait de mon induit. Il m'a dit qu'il y penserait et repenserait. Franchement je crains bien de ne le pouvoir emporter sans M. de Monaco ; ce sera ma dernière ressource. Je prendrai dans deux jours congé de Sa Sainteté, et verrai ce qui en est et ce qu'on en peut attendre.

Enfin le Pape donna audience jeudi, au sortir du saint Office, à M. le cardinal de Bouillon, dont j'ai été très-aise. Je sais et du Pape et de Monseigneur Aquaviva, que M. le cardinal de Bouillon lui parla un peu durement. Il m'a paru que Sa Sainteté avait été très-peu contente de cette Eminence ; mais elle a bien voulu faire ce pas par amitié pour le roi, dont M. le cardinal de Bouillon est l'ambassadeur. Quant à sa personne, on ne peut pas, je vous assure, en être plus mal satisfait.

On m'a averti que M. le cardinal de Bouillon avait écrit en Cour, que j'avais traversé son audience : il serait bien ingrat et bien méchant, si cela était. Je suis sûr que j'ai agi tout au contraire, et que j'ai pris la liberté de témoigner au Pape, qu'il ne pouvait rien faire de plus agréable au roi que de recevoir son ministre. M. le cardinal de Bouillon m'a fait l'honneur de me remercier des pas qu'il sait que j'ai faits là-dessus. Je puis vous assurer que ce qui a le plus déterminé le Pape à accorder l'audience, a été de voir que tous les François, même ceux que M. le cardinal de Bouillon n'aimoit pas, étaient tous réunis à lui faire avoir cette grâce, et tâchaient de lui faire séparer le ministre d'avec le cardinal.

J'attends d'avoir vos lettres de Florence, et vous écrirai sûrement de Florence le premier ordinaire.

On attend ici avec curiosité le procès-verbal de Reims et 'de Cambray. Je tiendrai M. Phelippeaux gai et gaillard.

Voilà une nouvelle vengeance de Monseigneur Giori. Il n'oublie aucun bon office auprès de Sa Sainteté pour ma grâce, mais e puis vous assurer, et je crois m'y connaître, qu'elle est moins bien disposée pour moi à présent, qu'il y a huit jours. Je ne fais et ne ferai point semblant de rien.

 

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Je tire sur M. Soin par cet ordinaire une lettre de change de 338 livres pour l'espamglioncine rouge et noir que vous avez demandé. J'en envoie le mémoire et le compte. La lettre de change est adressée à M. Soin, si je ne me trompe, à huit jours de vue, premier et second argent reçu par le sieur Bonhomme.

J'ai été obligé, pour payer ici ce que je devais et pour les frais de mon voyage, de tirer sur mon frère près de quinze mille livres depuis quatre mois, et je ne sais si cela suffira.

 

LETTRE DXV. DD L'ABBÉ PHELIPPEAUX A BOSSUET. Rome, ce 16 juin 1699.

 

Le procès-verbal de l'assemblée provinciale de Paris est également plein de sagesse et de science ecclésiastique : on y donne à Rome tout ce qui lui convient, et on conserve avec force et avec gravité l'honneur de l'épiscopat et les libertés fondamentales de l'Eglise de France. On sent bien l'esprit qui a gouverné cette assemblée. Par là M. de Cambray, aussi bien que ses adhérents, demeurent sans ressource; l'erreur est bien notifiée à tout le monde chrétien, et rien n'est plus éclatant que la condamnation de son livre.

On a déféré à l'inquisition le post-scriptum (a), contenant des remarques sur le bref, et la solution du problème ecclésiastique. Je ne doute nullement que l'un et l'autre ouvrage ne reçoivent bientôt la flétrissure qu'ils méritent.

Le curé de Seurre pourra bien dans la suite, donner un spectacle à Rome; et cette Cour demeurera persuadée de la justice du procédé des trois évêques, et de la nécessité où ils étaient de s'élever contre cette secte si répandue et si dangereuse.

On parle diversement de l'audience que M. le cardinal prétend

 

(a) C'était un écrit qui avait pour titre : Post-scriptum de la seconde Lettre d’un théologien à M. l'évêque de Meaux, avec des remarques sur le nouveau bref du Pape. Il est rapporté tout entier dans la Relation à de l'abbé Phelippeaux, part. II, p. 250.

 

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avoir eue du Pape le jeudi après la congrégation du saint Office, tenue devant Sa Sainteté. On attend incessamment M. de Monaco : il est temps qu'il arrive et que nous partions. Je suis avec un profond respect, Monseigneur, etc.

 

LETTRE DXVI. BOSSUET  A   SON NEVEU  (a). A Meaux, ce 20 juin 1699.

 

Votre lettre du 2 m'a été envoyée ce matin par un exprès de votre frère, par qui je réponds. Plus Rome est raisonnable, plus je souhaite qu'on la ménage et qu'on en conserve l'autorité, où consiste le salut, et le soutien de l'Eglise et de la catholicité.

J'attends avec impatience le succès de votre induit. Les lettres que m'ont écrites sur ce sujet-là M. le cardinal Panciatici et M. le cardinal Casanate en réponse aux miennes, sont très-obligeantes, particulièrement celle du dernier.

Je suis ravi de la réponse de M. le grand-duc sur le sujet de M. de Madot (b). J'ai instruit amplement sur cette affaire, et j'ai envoyé des mémoires les plus circonstanciés que j'ai pu par les voies les plus efficaces.

Je ferai savoir les nouvelles de cet ordinaire à M. de Paris; il a eu quelques accès de fièvre, dont le quinquina l'a défait. Pour moi je suis ici pour l'octave à mon ordinaire. Je continue à prendre les bains que j'ai commencé à Germigny, il y aura demain huit jours, et j'y retournerai les achever, s'il plaît à Dieu. Us me font fort bien et on les a crus nécessaires pour guérir à fond une manière d'érésipèle, qui me tient depuis environ deux mois, sans aucune incommodité considérable, sans m'ôter ni l'appétit ni le sommeil. J'ai fait la procession à l'ordinaire et sans aucune peine. Je demeure fort en repos et ne songe qu'à vivre avec un bon

 

(a) Revue et complétée sur l'original. — (b) Le grand-duc avait répondu au cardinal de Bouillon, comme on le sait, qu'il avait reçu et qu'il garderait à son service M. de Madot, sur la recommandation de l'évêque de Meaux et de l'archevêque de Paris.

 

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régime et qu'à me rétablir entièrement. Il n'y paraît rien au dehors. Votre présence achèvera.

Vous avez bien fait de parler au Pape comme vous avez fait. Je rendrai compte de tout, et M. le cardinal de Bouillon vous doit être fort obligé. Il ne paraît pas à la Cour qu'on prenne grande part à son démêlé avec l'ambassadeur de l'empereur, dont on sait les causes; et on s'en explique presque publiquement.

 

LETTRE DXVII. L'ABBÉ   BOSSUET A SON ONCLE (a). Rome, ce 25 juin 1699.

 

M. Poussin vous rendra cette lettre, il part cette nuit et fera diligence. Il vous dira le progrès et la fin du petit mal que j'ai eu. C'a été une tumeur dans un lieu bien incommode, qu'il a fallu ouvrir avec la lancette. Il en est sorti beaucoup de matière, après quoi j'ai été entièrement soulagé, et en état le lendemain d'aller au-devant de M. l'ambassadeur, qui enfin est arrivé de samedi 20 de ce mois. Je me suis purgé avant-hier, et dans trois jours je pars très-certainement, et ne vous écrirai plus d'ici, s'il plaît à Dieu.

Je n'ai point reçu de lettre de Paris les deux derniers ordinaires, je suppose que je trouverai tout à Florence, d'où je vous écrirai la première fois.

M. Poussin vous dira tout le particulier de ce qui se passe ici. Il me presse d'écrire sur le cardinal de Bouillon et la dernière affaire. Je vous dirai que ce cardinal a tous les sujets du monde de se louer de moi; mais il est assez malin pour ne le vouloir pas faire : au contraire il n'aime pas les gens à qui il peut avoir quelque obligation. Ce que j'ai cru devoir faire, je l'ai fait par un autre principe que celui d'avoir l'honneur de ses bonnes grâces.

J'ai commencé ce matin à entretenir M. le prince de Monaco.

 

(a) Revue et complétée sur l'original.

 

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J'en suis très-content; il fera assurément des merveilles ici. Il est capable de tout, veut être instruit, est noble, magnifique et aime le roi. Le Pape ne peut plus souffrir le cardinal de Bouillon, et veut voir le prince de Monaco, quoiqu'il n'ait pas fait son entrée.

Je parlerai demain à ce ministre de la grâce que je demande, et que je n'aurai point sans son secours.

Vous pouvez m'écrire à présent à Turin.

Je me porte, Dieu merci, très-bien, et vous souhaite une santé parfaite.

Je n'ai que faire de vous recommander M. Poussin.

 

LETTRE DXVIII. L'ABBÉ  BOSSUET  A   SON  ONCLE  (a). Rome, ce 29 juin 1699.

 

Je vous écris un mot par le courrier que M. de Monaco renvoie à la Cour. Je pars sans faute demain. J'ai pris congé ce matin de Sa Sainteté, dont j'ai reçu toutes les marques de bonté imaginables pour vous et pour moi. Je vous rendrai compte du particulier de cette audience. Le Pape m'a prié de vous assurer, aussi bien que M. de Paris, de son affection, de son estime et de tout ce que vous pouviez désirer. J'ai entendu sa messe ce matin, if se porte fort bien. J'ai su qu'il avait de la peine à m'accorder la grâce de l'induit, que je lui ai demandée : il a dit qu'il craignait l'exemple. J'ai cru ne devoir pas hasarder un refus, parce que M. de Monaco aurait plus de peine à ramener le Pape après. Le ministre a reçu des ordres de s'employer pour moi dans cette affaire. Je lui ai donné votre lettre, et il m'a comblé de bontés. Il veut demander cette grâce à Sa Sainteté à sa première audience : je lui ai donné toutes les instructions nécessaires. M. le cardinal Panciatici m'a encore donné parole ce matin, qu'il ne me serait pas contraire. M. l'ambassadeur lui en parlera d'abord. J'ai lieu de tout espérer des offices de ce ministre, qui eut samedi

 

(a) Revue et complétée sur l'original.

 

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sa première audience de Sa Sainteté, conduit par M. le cardinal de Bouillon. On ne peut être plus content qu'est de lui le Pape, qui m'a fait l'honneur de s'étendre beaucoup avec moi sur ce sujet, ce matin.

Je vous dirai les correspondances que j'ai établies ici, qui sont sûres et bonnes et secrètes. Comptez à coup sûr que je pars demain. Ma santé est tout à fait bonne ; je suis parfaitement guéri, grâce à Dieu. Je ferai le moins de séjour qu'il me sera possible dans les lieux où je serai obligé de m'arrêter. Vous pourrez m'écrire à Turin dorénavant et l'adresser à l'ambassadeur ou au directeur des postes de France. J'ai une impatience très-grande de me voir hors d'ici, et de pouvoir vous rejoindre.

On ne fera ici semblant de rien sur vos assemblées; on sait tout. On a vu le procès-verbal de Cambray ; on y reconnaît bien l'esprit de M. de Cambray et ses bonnes intentions : cela ne lui fait pas honneur.

Je n'ai pas le temps d'écrire à mon frère, ni de me reconnaître.

 

LETTRE DXIX. L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE (a). Poggi-Bonzi, à vingt milles de Florence, 3 juillet 1699.

 

Je vous écris un mot d'ici avant que d'arriver à Florence, où je serai demain à portes ouvrantes, afin que le courrier de France qui doit partir demain matin de Florence puisse vous porter cette lettre, ne sachant pas s'il m'en donnera le temps à Florence.

Nous partîmes hier de Rome en bonne santé, Dieu merci, et sommes arrivés jusqu'ici en très-bon état.

J'attends de recevoir par les mains de M. Dupré vos paquets de trois ordinaires, auxquels je ferai réponse si j'ai le temps.

J'ai laissé à Rome tout tranquille sur ce qui se passe en France dans les assemblées provinciales. On a vu le procès-verbal de Cambray : ils y voient manifestement le caractère et l'esprit de

 

(a) Revue et complétée sur l'original.

 

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l'auteur. M. le cardinal Casanate me dit avant-hier que l'évêque de Saint-Omer avait fait ce que les cardinaux du saint Office devaient faire, en faisant expliquer M. de Cambray ; et que l'attache de cet archevêque à ses explications faisait bien voir ce qu'il retient en lui-même. On ne parlera de rien. Je vois clairement et suis sûr que la Cour de Rome n'osera se remuer sur rien. Elle voudrait bien que toutes ces assemblées fussent finies, pour n'en entendre plus parler.

M. de Monaco est bien résolu de ne rien oublier pour m'obtenir mon induit. J'ai appris un moment avant que .de partir de Rome, qu'un de mes amis ayant parié de cette affaire au Pape, comme d'une grâce qu'il pouvait m'accorder, et qu'il paraissait même un peu dur de ne me pas accorder dans les présentes circonstances, le Pape avait témoigné être en disposition de me l'accorder, et avait demandé mon placet. J'en ai fait avertir M. de Monaco, pour pouvoir profiter de la bonne disposition de Sa Sainteté, qui a la bonté de témoigner à tout le monde son contentement à mon égard.

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