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LE XXVIII MARS. SAINT JEAN DE CAPISTRAN, CONFESSEUR.Plus l’Eglise semble approcher du terme de ses destinées, plus aussi l’on dirait qu’elle aime à s’enrichir de fêtes nouvelles rappelant le glorieux passé. C'est qu'en tout temps du reste, un des buis du Cycle sacre est de maintenir en nous le souvenir des bienfaits du Seigneur. Ayez mémoire des anciens jours, considérez l'histoire des générations successives, disait déjà Dieu sous l'alliance du Sinaï (1) ; et c'était une loi en Jacob, que les pères rissent connaître à leurs descendants, pour qu'eux-mêmes les transmissent à la postérité, les récits antiques (2). Plus qu'Israël qu'elle a remplacé, l'Eglise a ses annales remplies des manifestations de la puissance de l'Epoux ; mieux que la descendance de Juda, les fils de la nouvelle Sion peuvent dire, en contemplant la série des siècles écoulés : Vous êtes mon Roi, vous êtes mon Dieu, vous qui toujours sauvez Jacob (3)! Tandis que s'achevait en Orient la défaite des Iconoclastes, une guerre plus terrible, où l'Occident devait lutter lui-même pour la civilisation et pour l'Homme-Dieu, commençait à peine. 1. Deut. XXXII, 7. — 2. Psalm. LXXVII, 5. — 3. Psalm. XLIII, 5. 629 Comme un torrent soudain grossi, l'Islam avait précipité de l'Asie jusqu'au centre des Gaules ses flots impurs; pied à pied, durant mille années, il allait disputer le sol occupé par les races latines au Christ et à son Eglise. Les glorieuses expéditions des XII° et XIII° siècles, en l'attaquant au centre même de sa puissance, ne firent que l'immobiliser un temps. Sauf sur la terre des Espagnes, où le combat ne devait finir qu'avec le triomphe absolu de la Croix, on vit les princes, oublieux des traditions de Charlemagne et de saint Louis, délaisser pour les conflits de leurs ambitions privées la guerre sainte, et bientôt le Croissant, défiant à nouveau la chrétienté, reprendre ses projets de conquête universelle. En 1453, Byzance, la capitale de l'empire d'Orient, tombait sous l'assaut des janissaires turcs ; trois ans après, Mahomet II son vainqueur investissait Belgrade, le boulevard de l'empire d'Occident. Il eût semblé que l'Europe entière ne pouvait manquer d'accourir au secours de la place assiégée. Car cette dernière digue forcée, c'était la dévastation immédiate pour la Hongrie, l'Autriche et l'Italie ; pour tous les peuples du septentrion et du couchant, c'était à bref délai la servitude de mort où gisait cet Orient d'où nous est venue la vie, l'irrémédiable stérilité du sol et des intelligences dont la Grèce, si brillante autrefois, reste encore aujourd'hui frappée. Or toutefois, l'imminence du danger n'avait eu pour résultat que d'accentuer la division lamentable qui livrait le monde chrétien à la merci de quelques milliers d'infidèles. On eût dit que la perte d'autrui dût être pour plusieurs une compensation à leur propre ruine ; d'autant qu'à cette ruine plus d'un ne désespérait pas d'obtenir 63o délai ou dédommagement, au prix de la désertion de son poste de combat. Seule, à rencontre de ces égoïsmes, au milieu des perfidies qui se tramaient dans l'ombre ou déjà s'affichaient publiquement, la papauté ne s'abandonna pas. Vraiment catholique dans ses pensées, dans ses travaux, dans ses angoisses comme dans ses joies et ses triomphes, elle prit en mains la cause commune trahie par les rois. Econduite dans ses appels aux puissants, elle se tourna vers les humbles, et plus confiante dans sa prière au Dieu des armées que dans la science des combats, recruta parmi eux les soldats de la délivrance. C'est alors que le héros de ce
jour, Jean de Capistran, depuis longtemps déjà
redoutable à l'enfer, consomma du même coup sa gloire et sa sainteté. A la tête
d'autres pauvres de bonne volonté, paysans, inconnus, rassemblés par lui et ses
Frères de l'Observance, le pauvre du Christ ne désespéra pas de triompher de
l'armée la plus forte, la mieux commandée qu'on eût vue depuis longtemps sous
le ciel. Une première fois, le 631 Psaume ; pour nous, nous invoquerons le Nom du Seigneur (1). Et en effet, le Nom toujours saint et terrible (2) sauvait encore son peuple. Au soir de cette mémorable journée, vingt-quatre mille Turcs jonchaient le sol de leurs cadavres; trois cents canons, toutes les armes, toutes les richesses des infidèles étaient aux mains des chrétiens ; Mahomet II, blessé, précipitant sa fuite, allait au loin cacher sa honte et les débris de son armée. Ce fut le 6 août que parvint à Rome la nouvelle d'une victoire qui rappelait celle de Gédéon sur Madian (3). Le Souverain Pontife, Calliste III, statua que désormais toute l'Eglise fêterait ce jour-là solennellement la glorieuse Transfiguration du Seigneur. Car en ce qui était des soldats de la Croix, ce n'était pas leur glaive qui avait délivré la terre, ce n'était pas leur bras qui les avait sauvés, mais bien votre droite et la puissance de votre bras à vous, ô Dieu, et le resplendissement de votre visage, parce que vous vous étiez complu en eux (4), comme au Thabor en votre Fils bien-aimé (5). Lisons la vie de Jean de Capistran dans le livre de la sainte Eglise.
1. Psalm. XIX, 8. — 2. Psalm. CX, 9. — 3. Judic. VII. — 4 Psalm. XLIII , 4. — 5. MATTH. XVII, 5. 634 Le Seigneur est avec vous, ô le plus fort des hommes!
Allez dans cette force qui est la vôtre, et délivrez Israël, et triomphez de
Madian : sachez que c'est moi qui vous ai envoyé (1). Ainsi l'Ange du
Seigneur saluait Gédéon, quand il le choisissait pour ses hautes destinées
parmi les moindres de son peuple !. Ainsi pouvons-nous,
la victoire remportée, vous saluer à notre tour, ô fils de 1. Judic. VI. — 2
lbid. 15. 635 toujours. L'ennemi que vous avez vaincu sur les champs de bataille n'est plus à redouter pour notre Occident ; le péril est bien plutôt où Moïse le signalait pour son peuple après la délivrance, quand il disait : Prenez garde d'oublier le Seigneur votre Dieu, de peur qu'après avoir écarté la famine, bâti de belles maisons, multiplié vos troupeaux, votre argent et votre or, goûté l'abondance de toutes choses, votre cœur ne s'élève et ne se souvienne plus de Celui qui vous a sauvés de la servitude (1). Si, en effet, le Turc l'eût emporté, dans la lutte dont vous fûtes le héros, où serait cette civilisation dont nous sommes si fiers? Après vous, plus d'une fois, l'Eglise dut assumer sur elle à nouveau l'œuvre de défense sociale que les chefs des nations ne comprenaient plus. Puisse la reconnaissance qui lui est due préserver les fils de la Mère commune de ce mal de l'oubli qui est le fléau de la génération présente ! Aussi remercions-nous le ciel du grand souvenir dont resplendit par vous en ce jour le Cycle sacré, mémorial des bontés du Seigneur et des hauts faits des Saints. Faites qu'en la guerre dont chacun de nous reste le champ de bataille, le nom de Jésus ne cesse jamais de tenir en échec le démon, le monde et la chair ; faites que sa Croix soit notre étendard, et que par elle nous arrivions, en mourant à nous-mêmes, au triomphe de sa résurrection. 1. Deut. VIII, 11-14. |