I - CHAPITRE X

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CHAPITRE X : ABOLITION DE LA LITURGIE GALLICANE. INTRODUCTION DE LA LITURGIE ET DU CHANT DE L'ÉGLISE ROMAINE EN FRANCE. PREMIÈRE ORIGINE DE LA LITURGIE ROMAINE-FRANÇAISE. MODIFICATIONS INTRODUITES DANS LE CHANT. AUTEURS LITURGISTES DES IX° ET X° SIECLES.

 

NOTES DU CHAPITRE X

NOTE A

NOTE B

NOTE C

NOTE D

NOTE E

NOTE F

 

 

L'Église d'Occident va désormais occuper seule notre attention ; nous continuerons néanmoins d'enregistrer les noms et les travaux du petit nombre des liturgistes que l'Église d'Orient compte encore, dans le cours des siècles qui nous restent à raconter. Sous le point de vue qui nous occupe, comme sous tous les autres, l'histoire ecclésiastique des Grecs et des autres chrétiens orientaux tire à sa fin, passé l'ouverture du IX° siècle : toute la vie, tout l'intérêt sont transportés en Occident. Aussi verrons-nous que la Liturgie y est appelée à prendre de grands développements, par l'application de ces principes d'unité que nous avons déjà vus maintes fois promulgués, soit par le Siège apostolique, soit par les conciles des différentes provinces de la chrétienté occidentale.

Nous avons laissé notre récit au moment où la Liturgie romaine, sortant des mains de saint Grégoire le Grand, préludait à ses futures conquêtes, par son introduction pacifique dans les nouvelles Églises que les enfants de saint Benoît fondaient, de jour en jour, dans la Grande-Bretagne, la Germanie et les royaumes du nord de l'Europe. Maintenant un spectacle nouveau s'offre à nos regards. Une

 

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grande Église, toujours demeurée orthodoxe depuis son origine, l'Église gallicane, pourvue d'une Liturgie nationale, rédigée par les plus saints docteurs, et pure de toute erreur, renonce à cette Liturgie et embrasse celle de Rome, afin de resserrer davantage les liens qui l'unissent à la Mère et Maîtresse des Églises, et d'assurer à jamais dans son propre sein la perpétuité d'une inviolable orthodoxie. La France dut ce bienfait à ses grands chefs, Pépin et Charlemagne; mais il est juste de dire que le clergé seconda avec zèle et franchise les pieuses intentions du souverain. Pourquoi faut-il qu'à une autre époque nous ayons à raconter les efforts de ce même clergé pour anéantir cette unité liturgique, si chère à nos pères durant tant de siècles

La race carlovingienne, qui dut au Siège apostolique, en la personne du pape saint Zacharie, la consolidation de son avènement à la puissance souveraine, avait été destinée par la Providence à rendre à la société chrétienne le plus grand de tous les services, en fondant l'indépendance temporelle des Pontifes romains, et en prêtant l'appui de la force publique à la réformation du clergé, par les immortels Capitulaires que dressèrent les premiers princes de cette dynastie. Il était temps pour l'Europe haletante de se reposer dans l'unité d'un gouvernement fort et protecteur. Charlemagne allait bientôt paraître; mais Pépin devait l'annoncer au monde et à l'Église.

Les violences des Lombards, que ne pouvaient plus réprimer les empereurs d'Orient, forçaient désormais les Papes à se jeter dans les bras des Français, qu'ils avaient toujours trouvés fidèles au Siège apostolique, et qui semblaient à la veille de recevoir et d'exécuter, de concert avec l'Église, la haute mission d'organiser un nouvel empire romain. Les rapports de Rome avec la France devenaient donc plus fréquents, de jour en jour, et la majesté du Siège apostolique ne pouvait manquer de subjuguer, comme toujours, ceux qui allaient conclure avec lui une si étroite

 

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alliance. Il se trouva que Pépin le Bref était à la hauteur de sa mission : la dureté soldatesque de Charles-Martel envers l'Église n'avait point passé dans son fils. Il accueillit avec une tendresse filiale la demande de secours que lui fit, en 754, le pape Etienne II, opprimé par Astolphe, roi des Lombards, et ce pontife ayant témoigné le désir de venir chercher en France un asile momentané, Pépin députa vers lui saint Chrodegang, évêque de Metz.

Cet illustre évêque préparait alors une oeuvre bien importante pour la régénération des mœurs du clergé. Tout le monde sait que l'institution des chanoines vivant sous une règle, desservant l'église cathédrale, et observant la vie commune, la pauvreté religieuse et le vœu d'obéissance à l'archidiacre, remonte à saint Chrodegang, et que cette institution si féconde en fruits de salut pour le peuple, et d'édification pour le clergé lui-même, fut imitée sous Charlemagne par la plupart des évêques de France.

Saint Chrodegang étant donc allé à Rome chercher le pape Etienne, se confirma dans ses projets, sans doute après avoir été témoin de la vie exemplaire des divers collèges ecclésiastiques qui desservaient les basiliques, et particulièrement des moines du Patriarchium de l'église de Latran. Pour unir davantage le clergé de l'Église de Metz à l'Église romaine, et donner aux offices divins une forme plus auguste, il introduisit dans sa cathédrale le chant et l'ordre des offices de l'Église romaine (1).

Ce fait important, mais isolé, ne tarda pas à être suivi d'un autre, général et solennel. Le pape Etienne étant entré en France, et ayant été reçu par Pépin avec toutes sortes d'honneurs, traita avec ce prince, non-seulement de la liberté et de la défense de l'Église de Rome contre les Lombards, mais aussi des nécessités présentes de l'Église de

 

(1) Ipsumque clerum abundanter lege divina, Romanaque imbutum cantilena, morem atque ordinem Romanae Ecclesiae servare prœcepit. (Paulus Diaconus, apud Duchesne, Hist. Franc, tom. II, pag. 204.)

 

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France. Il demanda au roi, en signe de la foi qui unissait la France au Siège apostolique, de seconder ses efforts pour introduire dans ce royaume les offices de l'Église romaine, à l'exclusion de la Liturgie gallicane. Le roi seconda ce pieux dessein, si conforme d'ailleurs à la franche orthodoxie de son cœur, et les clercs de la suite d'Etienne donnèrent aux chantres français des leçons sur la manière de célébrer les offices (1). Nous citerons à ce sujet les paroles de l'auteur des livres Carolins, ouvrage qui, il est vrai, ne fut pas écrit par Charlemagne, mais dont cet empereur a déclaré depuis adopter le fond et la forme. L'auteur parle donc au nom de ce prince : « Plusieurs nations se sont retirées de la sainte et vénérable communion de l'Eglise romaine; mais notre Église ne s'en est jamais écartée. Instruite de cette apostolique tradition, par la grâce de Celui de qui vient tout don parfait, elle a toute jours reçu les grâces d'en haut. Étant donc, dès les premiers temps de la foi, fixée dans cette union et cette religion sacrée, mais s'en trouvant en quelque chose séparée (ce qui, cependant, n'est point contre la foi), savoir dans la célébration des offices, elle a enfin connu l'unité dans l'ordre de la psalmodie, tant par les soins et l'industrie de notre très-illustre père, de vénérable mémoire, le roi Pépin, que par la présence dans les Gaules du très-saint homme Etienne, pontife de la ville de Rome; en sorte que l'ordre de la psalmodie ne fût plus différent entre ceux que réunissait l'ardeur d'une même foi, et que ces deux Églises, jointes ensemble dans la lecture sacrée d'une seule et même sainte loi, se trouvassent jointes aussi dans la vénérable tradition d'une seule et même mélodie; la célébration diverse des offices ne séparant plus désormais ce qu'avait réuni la pieuse dévotion d'une foi unique (2). »

 

(1)  Walafrid. Strabo, De Rebus ecclesiasticis, cap. XXV.

(2)   Vid. la Note A.

 

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Dans le capitulaire dressé en 789, à Aix-la-Chapelle, Charlemagne exprime formellement l'acte souverain par lequel Pépin supprima l'office gallican, pour plus grande union avec l'Eglise romaine, et afin d'établir dans l'Eglise de Dieu une pacifique concorde (1).

Après avoir obtenu ce signalé triomphe en faveur de l'unité liturgique, Etienne repassa les monts, et, peu de mois après, Fulrade, abbé du Mont-Cassin, déposait, sur la Confession de Saint-Pierre, les clefs de vingt-deux villes que Pépin avait arrachées à Astolphe. Ainsi, la puissance temporelle des Pontifes romains commençait avec le règne de la Liturgie romaine dans les Églises du royaume très-chrétien.

Le moine de Saint-Gall nous apprend, dans sa Chronique, que le pape Etienne, pour satisfaire au désir de Pépin, lui envoya douze chantres qui, comme douze apôtres, devaient établir dans la France les saines traditions du chant grégorien (2).

Saint Paul Ier remplaça peu après Etienne sur le siège de Rome. Il eut aussi des rapports avec Pépin au sujet de l'introduction récente des usages romains dans l'Église de France. Remédius, frère de Pépin et archevêque de Rouen, avait, dans le même but,envoyé à Rome quelques moines pour y être instruits dans le chant ecclésiastique; le Pape écrit à Pépin que ces moines ont été placés sous la discipline de Siméon, le premier chantre de l'Église romaine, et qu'on les gardera jusqu'à ce qu'ils soient parfaitement

 

(1)  Monachi ut cantum Romanum pleniter et ordinabiliter per nocturnale et gradale officium peragant, secundum quod beatae memorias genitor noster Pipinus rex decertavit ut fieret, quando Gallicanum cantum tulit, ob unanimitatem apostolicae Sedis et sanctae Dei Ecclesiae pacificam con-cordiam. (Baluz. Capitul. Aquisgranen. 789, cap. XC.)

(2)  Stephanus Papa Pipini bonas voluntati et studiis divinitus inspiratis assensum praebens, secundum numerum XII Apostolorum, de Sede apostolica duodecim clericos doctissimos cantilenae ad eum in Franciam direxit. (Chronicon San-Gallense, lib. I, cap. x.)

 

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exercés dans le chant ecclésiastique (1). Dans une autre lettre, le Pontife écrit au Roi : « Nous vous envoyons tous les livres que nous avons pu trouver, savoir l’Antiphonaire, le Responsal, la Dialectique d'Aristote, les livres de saint Denys l'Aréopagite, la Géométrie, l'Orthographe, la Grammaire, et une horloge nocturne (2). » On voit par ce passage vraiment curieux avec quel détail les Pontifes romains remplissaient leur tâche de civilisateurs de l'Occident, et comment l'adoption des usages liturgiques de Rome par les Églises de France, tenait à cet ensemble de faits, qui devait élever si haut la prépondérance de notre nation, quand le grand homme appelé à combiner tant et de si riches éléments aurait apparu.

Charlemagne vint enfin. Il n'est point de notre sujet de décrire ici tant de grandeur, tant de génie, et le sublime et saint emploi que Charlemagne sut faire de cette grandeur et de ce génie; nous donnerons seulement ici quelques faits de sa vie, pris dans la ligne des événements que nous racontons.

On sait l'amour filial que Charlemagne porta au pape saint Adrien, qui monta sur le Saint-Siège en 772. A peine ce saint Pontife fut assis sur la Chaire de Saint-Pierre, qu'il adressa au roi Charles les plus vives instances pour le porter à imiter les exemples de Pépin, en propageant la Liturgie romaine ; c'est ce qui est rapporté dans les livres Carolins, à la suite du passage que nous avons cité plus haut : « Dieu, y est-il dit, nous ayant à notre tour conféré le royaume d'Italie, nous avons voulu exalter la grandeur de la sainte Église romaine, et obéir aux salutaires exhortations du Révérendissime Pape Adrien ; c'est pourquoi nous avons fait que plusieurs Églises de cette contrée, qui autrefois refusaient de

 

(1) Labb. Concil., tom. VI, pag. 1688.

(2) Pauli I Epist. XXV. Apud Gretser.

 

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recevoir dans la psalmodie la tradition du Siège apostolique, l'embrassent maintenant en toute diligence, et adhèrent dans la célébration des chants ecclésiastiques à cette Église, à laquelle elles adhéraient déjà par le bienfait de la foi. C'est ce que font maintenant, comme chacun sait, non-seulement toutes les provinces des Gaules, la Germanie et l'Italie, mais même les Saxons, et autres nations des plages de l'Aquilon, converties par nous, moyennant les secours divins, aux enseignements de la foi (1). »

Afin d'employer dans l'établissement de l'unité liturgique des sources d'une pureté incontestable, quoique déjà on eût envoyé de Rome à Pépin diverses copies du Sacramentaire grégorien, Charlemagne ne laissa pas d'en demander un nouvel exemplaire à saint Adrien (2). Nous venons de citer le Capitulaire d'Aix-la-Chapelle, en 789, dans lequel ce prince requiert l'observation du rite romain, tant dans les offices divins qu'à la messe elle-même, per nocturnale et gradale officium. Les Capitulaires sont remplis d'allusions à cette mesure, prise dans toutes ses conséquences. C'est aussi sous l'inspiration de Charlemagne que le concile de Mayence, en 813, décrète que l'on suivra fidèlement le Sacramentaire grégorien, dans l'administration du baptême (3).

Mais il était un point sur lequel le génie français résistait, malgré lui-même, aux pieuses intentions de

 

(1)   Vid. la Note B.

(2)  De Sacramentario vero, a sancto praedecessore nostro deifluo Gregorio Papa disposito, jampridem Paulus grammaticus a nobis eum pro vobis petiit, et secundum sanctae nostrae Ecclesiae traditionem per Joannem abbatem Excellentias vestras emisimus. (Duchesne, Hist. Franc, tom. III, pag. 798.)

(3)  Sacramenta itaque Baptismatis volumus, ut sicut sancta vestra fuit admonitio, ita concorditer atque uniformiter in singulis parochiis, secundum Romanum ordinem inter nos celebrentur. (Conc. Moguntin., can. IV. Labb., tom. VII, pag, 1242.)

 

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Charlemagne et de Pépin. Ce dernier avait pu, sans doute, introduire le chant de l'Église romaine dans les Églises de France; mais il n'était pas en son pouvoir de le faire exécuter avec la perfection des chantres romains, ni de le défendre, dans toutes les localités, des prétendues améliorations dont l'habileté des clercs français croirait devoir l'enrichir. Il arriva donc qu'en peu d'années les sources si pures des mélodies grégoriennes, contenues dans les anti-phonaires envoyés par Etienne II et Paul Ier, s'étaient déjà corrompues. Jean Diacre, dans la vie de saint Grégoire le Grand, donne, avec la franchise d'un artiste, les raisons pour lesquelles le chant grégorien ne s'était pas maintenu, sans altération, dans nos églises. Voici ses paroles pleines de naïveté et sentant quelque peu l'invective. Le lecteur d'aujourd'hui jugera, à son loisir, jusqu'à quel point nos chantres de cathédrales, renforcés par les serpents et les ophicléides, méritent ou ne méritent pas le reproche d'avoir continué les barbares que l'historiographe de saint Grégoire immole avec tant de sévérité.

« Entre les diverses nations de l'Europe, les Allemands et les Français ont été le plus à même d'apprendre et de réapprendre la douceur de la modulation du chant; mais ils n'ont pu la garder sans corruption, tant à cause de la légèreté de leur naturel, qui leur a fait mêler du leur à la pureté des mélodies grégoriennes, qu'à cause de la barbarie qui leur est propre. Leurs corps d'une nature alpine, leurs voix retentissant en éclats de tonnerre, ne peuvent reproduire exactement l'harmonie des chants qu'on leur apprend; parce que la dureté de leur gosier buveur et farouche, au moment même où elle s'applique à rendre l'expression d'un chant mélodieux, par ses inflexions violentes et redoublées, lance avec fracas des sons brutaux qui retentissent confusément, comme les roues d'un chariot sur des degrés; en sorte  qu'au   lieu   de   flatter   l'oreille   des  auditeurs,

 

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elle la bouleverse en l'exaspérant et en l'étourdissant (1). »

Charlemagne, qui sentait profondément les beaux-arts, ne put souffrir longtemps une dissonance qui ne tendait à rien moins qu'à détruire tout le fruit des nobles efforts qu'il avait entrepris pour avancer la civilisation des Français par l'harmonie des chants de l'Église, les plus moraux et les plus populaires de tous. Étant, en 787, à Rome, à la fête de Pâques, il fut témoin d'une dispute entre les chantres romains et les français. Ceux-ci prétendaient que leur chant avait l'avantage, et, fiers de la protection du roi, ils critiquaient sévèrement les romains. Ces derniers, au contraire, forts de l'autorité de saint Grégoire et des traditions dont son antiphonaire n'avait cessé d'être accompagné à Rome, se riaient de l'ignorance et de la barbarie des chantres français. Charlemagne voulut mettre fin à cette dispute, et il dit à ses chantres : « Quel est le plus pur, de la source vive ou des ruisseaux qui, en étant sortis, coulent au loin (2)? » Ils convinrent que c'était la source. Alors le roi reprit : « Retournez donc à la source de saint Grégoire ; car il est manifeste que vous avez corrompu le chant ecclésiastique (3). »

Voulant remédier aussitôt à cet inconvénient, Charlemagne demanda au Pape des chantres habiles qui pussent remettre les Français dans la ligne des saines traditions. Saint Adrien lui donna Théodore et Benoît, qui avaient été élevés dans l'école de chant fondée par saint Grégoire, et il présenta en outre au roi les antiphonaires du même saint Grégoire, notés par Adrien lui-même, suivant la no-

 

(1)   Vid. la Note C.

(2)  Quis purior est et quis melior, aut fons vivus, aut rivuli ejus longe decurrentes? (Caroli Magni vita per monachum Engolismen. Duchesne, tom. II, pag. 75.)

(3)  Revertimini vos ad fontem sancti Gregorii, quia manifeste corrupistis cantilenam ecclesiasticam. (Ibidem.)

 

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romaine. Il y avait donc dès lors une manière de noter le chant ecclésiastique. Charlemagne étant de retour en France, plaça un de ces deux chantres à Metz et l'autre à Soissons, et donna ordre à tous les maîtres de chant des autres villes de France de leur présenter à corriger leurs antiphonaires, et d'apprendre d'eux les véritables règles du chant. Ainsi furent rectifiés les antiphonaires de France que chacun avait corrompus à sa guise, ajoutant ou retranchant sans règle et sans autorité, et tous les chantres de France apprirent la note romaine qui, depuis, a été appelée note française (1). Nous avons suivi, dans cet intéressant récit, le moine d'Angoulême, historiographe de Charlemagne, dont le récit est confirmé par Jean Diacre dans la vie de saint Grégoire le Grand, et par Ekkehard, dans la vie du B. Notker, dit le Bègue (2).

Ces trois auteurs ajoutent que ce fut à Metz que le chant grégorien s'éleva à un plus haut point de perfection, en sorte que l'école de Metz l'emportait autant sur les autres écoles de France qu'elle le cédait elle-même à celle de Rome. Le chroniqueur d'Angoulême ajoute que les chantres romains instruisirent aussi les français dans l'art de toucher l'orgue (3).

 

(1)  Vid. la Note D.

(2)  Acta SS. Aprilis., tom. I, ad diem VI, pag. 582.

(3)  Similiter erudierunt Romani cantores supradicti cantores Franco-rum in arte organandi. Ibidem.

Les trois écrivains que cite ici l'auteur, parfaitement d'accord sur le fond de cette histoire, diffèrent sur quelques détails. Ils rapportent da la même façon la dispute des chantres romains et français, l'intervention et la sage décision de Charlemagne. Le moine d'Angoulême raconte ensuite que le Pape donna à l'empereur deux chantres romains, Théodore et Benoît, qui vinrent à Metz fonder l'école de chant. Jean Diacre et Ekkehard disent, au contraire, que Charles laissa près du Pape deux clercs de sa chapelle, qu'Adrien les instruisit de la tradition romaine et que, revenus en France, ils l'enseignèrent à l'école de Metz. Après leur mort, la confusion se mit de nouveau dans les usages des églises de France. Charlemagne recourut alors une seconde fois à Adrien, qui lui envoya deux chantres de l'école fondée par saint Grégoire. Jean Diacre ne les nomme pas et dit seulement qu'ils trouvèrent la tradition beaucoup mieux conservée à Metz que dans les autres églises et que par leurs leçons ils assurèrent à cette école une complète et durable supériorité. Ekkehard est plus explicite; il nomme les deux chantres envoyés par Adrien, Pierre et Romain, et il ajoute que le Pape leur donna deux antiphonaires parfaitement conformes à l'exemplaire authentique de saint Grégoire. Les deux envoyés se mirent en route; mais, en traversant les Alpes, au passage du mont Septmer, près du lac de Constance, Romain tomba malade et n'eut pas la force de continuer sa route. Il atteignit à grand'peine l'abbaye de Saint-Gall, où il arriva avec l'un des deux antiphonaires, que son compagnon lui avait laissé, quoiqu'à contre-cceur. Les moines l'accueillirent comme un envoyé du ciel ; ils désiraient, en effet, réformer le chant de leur monastère d'après la pure tradition grégorienne; la Providence leur envoyait de la manière la plus inattendue le moyen d'accomplir ce dessein. Charlemagne vit de même dans ce qui s'était passé un signe de la volonté du ciel. Quand Pierre lui eut raconté l'aventure de son compagnon, il ordonna à celui-ci de rester à Saint-Gall pour y former une école de chant. A Rome, l'Antiphonaire authentique de saint Grégoire était placé dans une custode appelée cantarium et dans un lieu où chacun pouvait le consulter, afin de corriger les fautes des antiphonaires et de relever les erreurs des chantres ignorants. On fit de même à Saint-Gall, et le précieux manuscrit de Romain fut placé près de l'autel des Apôtres, dans un riche écrin. Il a échappé, dit-on, au temps et aux révolutions, et on croit le reconnaître dans cet antiphonaire du VIIIe siècle, que le P. Lambillotte, de la Compagnie de Jésus, a publié en fac-simile à Paris, en 1851, sous le titre  d’Antiphonaire de Saint Grégoire. (Note de l'éditeur.)

 

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Cette supériorité dont l'école de Metz conservait encore la réputation au  XIIe  siècle,   sur  les   écoles  de   chant des autres cathédrales de France, est due sans doute à la discipline que saint Chrodegang avait établie parmi ses chanoines. Les traditions de ce genre devaient se conserver plus pures dans cette église dont le clergé gardait avec tant de régularité les observances de la vie canoniale. Il y a longtemps qu'on a remarqué que les traditions du chant ecclésiastique se gardaient mieux dans les corps religieux que dans le clergé séculier. Les exemples ne nous manqueraient pas ; mais nous avons  voulu simplement ici constater un fait qui a son genre d'importance.

 

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Ainsi Charlemagne se montra zélé pour le chant ecclésiastique, et ne craignit pas de donner à ce grand objet une importance majeure, suivant en cela l'exemple si frap* pant de saint Grégoire, qui ne trouva point au-dessous de lui d'enseigner lui-même le chant aux enfants. C'est ainsi qu'ont agi toujours les grands législateurs du genre humain : ils ont saisi avec bonheur les choses principales et ils s'y Sont appliqués avec constance. Plus tard, le vulgaire n'y a rien compris, et le vulgaire est nombreux; car qui, aujourd'hui, Consentirait à voir dans là Liturgie le plus grand mobile de là Civilisation d'un peuple ? Il est vrai que nous avons aujourd'hui des peuples sans habitudes liturgiques : la postérité prononcera sur la moralité des moyens qu'on a pris pour leur ouvrir d'autres sources du beau et de l'enthousiasme;

Disons encore un mot de Charlemagne, ce grand personnage liturgique. On a vu ailleurs qu'il est auteur de l'hymne Veni, Creator Spiritus : ajoutons qu'il assistait fidèlement aux offices, tant de jour que de nuit, dans la Chapelle du palais. Sa vie, par Eginhard, renferme les plus précieuses particularités sur le zèle de cet incomparable prince pour le service divin. On y voit que Charlemagne présidait aux offices, dans l'attitude qui convenait â un prince chrétien, rempli,comme il l'était, du plus grand respect pour le sacerdoce. Il ne se permettait pas de faire entendre sa voix, comme il appartient aux prêtres : il ne chantait qu'à voix basse, et encore dans les moments où les laïques pouvaient se joindre au chœur ; mais il s'était réservé le soin de désigner les leçons que ses clercs devaient lire, afin qu'ils se tinssent toujours prêts à remplir cet office correctement, II n'en souffrait aucun dans sa chapelle qui ne sût lire et chanter convenablement. Il invita Paul Diacre, célèbre moine du Mont-Cassin, à composer un recueil d'homélies choisies des saints Pères, pour servir aux offices de l'Église, pendant tout le cours

 

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de l'année. On ne finirait pas si on voulait rapporter tout ce que Charlemagne a fait en faveur de la Liturgie : la matière est si abondante qu'elle demanderait, pour ainsi dire, un ouvrage spécial.

L'Église et le monde le perdirent en 814. A sa mort, la Liturgie romaine régnait dans tout l'Occident, à l'exception de l'Espagne, qui ne devait pas tarder à l'embrasser aussi; à grand'peine Milan avait pu sauver son rite ambrosien.

Louis le Pieux offrit dans son caractère peu de traits de la grandeur de son père; mais il en avait au moins hérité la piété et le zèle pour le service divin. C'était beaucoup pour cet âge de la civilisation par. le christianisme. Les capitulaires de Louis le cèdent à peine à ceux de Charlemagne, pour la sagesse des règlements qu'ils contiennent. Il s'occupa de bonne heure du chant ecclésiastique et des moyens d'en assurer la pureté : c'est pourquoi il députa à Rome le célèbre liturgiste Amalaire, prêtre de l'église de Metz, avec charge d'en rapporter un nouvel exemplaire de l'Antiphonaire, devenu sans doute nécessaire par suite de nouvelles altérations qu'on avait déjà faites au texte et à la note de saint Grégoire. Le pape Grégoire IV se trouva hors d'état de satisfaire l'empereur, ayant précédemment disposé du seul exemplaire de l'Antiphonaire qui lui restât libre, en faveur de Vala, moine de Corbie. Amalaire, à son retour en France, se rendit dans cette illustre abbaye : il y conféra l'Antiphonaire nouvellement apporté de Rome avec ceux qui étaient en usage en France, et, après cette confrontation, il fut en état de composer son précieux livre de Ordine Antiphonarii.

Quand nous disons que la Liturgie gallicane demeura détruite sans retour en France, nous n'entendons pas dire qu'il n'en resta point quelques débris, qui se fondirent dans les usages romains. Les Églises de Lyon et de Paris furent, sans doute, celles qui gardèrent un plus grand nombre de

 

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ces antiques formes gallicanes ; mais les autres Églises en conservèrent toutes plus ou moins quelques parties. On en peut encore retrouver la trace dans les usages dérogatoires au rite romain qui se retrouvent dans la généralité des livres d'offices suivis autrefois en France. Ainsi, nous signalerons, avec Grancolas et le P. Lebrun, comme des pratiques de la Liturgie gallicane, dans l'office divin, l'usage de répéter l'Invitatoire en entier, entre les versets du Psaume XCIV, d'ajouter un répons après la neuvième leçon de Matines, de dire Gloria Patri à la fin de chaque répons   des Nocturnes,   et   de   répéter   les   troisième, sixième et neuvième de ces répons, dans les principales fêtes; de dire un verset appelé sacerdotal, entre Matines et Laudes ; de ne dire qu'une antienne à Vêpres, quand il n'y en a pas de propres tirées des Psaumes ; de dire les Psaumes de la férié aux premières Vêpres des fêtes solennelles; de  chanter un répons à Vêpres, etc. Pour la Messe, le principal rite gallican qui se fût conservé, et qui ne se pratique plus guère aujourd'hui qu'à Paris, est la bénédiction épiscopale après le Pater ; nous indiquerons encore les prières générales que  l'on  fait  au Prône; la coutume déporter le livre des Évangiles à baiser au clergé; de mêler l'eau et le vin dans le calice, en disant une oraison qui rappelle le sang et l'eau qui sortirent du côté ouvert de  Jésus-Christ ; l'usage de suspendre le saint Sacrement au-dessus de l'autel, dans un vase, ordinairement en forme de colombe, etc. Aujourd'hui, plusieurs de ces usages sont tombés en désuétude, et l'on ne se met guère en peine de savoir l'origine de ceux qu'on a conservés. Nous dirons comment, au XVIIIe siècle, l'Église de Lyon, celle de toutes qui avait conservé un plus grand nombre d'anciens usages  gallicans,   les vit succomber sans retour, sous les coups du gallicanisme. Mais revenons à Amalaire.

Son ouvrage était une compilation, que nous avons

 

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encore, de diverses pièces des Antiphonaires romain et français, dont il fit un tout, en les corrigeant les unes sur les autres : mais afin que l'on pût reconnaître, du premier  coup d'œil, les sources auxquelles il avait puisé,  il eut e' soin de placer en marge la lettre R, lorsqu'il suivait l'Antiphonaire romain, et la lettre M, quand il s'attachait à celui de Metz. Dans quelques endroits où il avait jugé à propos de s'éloigner de l'un et de l'autre, il avait mis en marge un I et un C, comme pour  demander Indulgence et Charité (1). Ce recueil, qui constate la manie incorrigible des Français de retoucher sans cesse la Liturgie, devint le régulateur du chant ecclésiastique dans nos Églises; on ne retourna plus désormais à Rome chercher de nouveaux Antiphonaires, et telle fut  l'origine première de cette Liturgie romaine-française dont nous aurons occasion de parler dans la suite de cette histoire. Toutefois, pour être juste, il faut convenir que, dans le plus grand nombre des offices de l'année, la compilation d'Amalaire ne présente pas de variantes avec les livres purement romains. Le petit nombre d'offices dans lesquels ces différences se remarquent ne s'éloignent du romain que par la substitution, ou l'addition de quelques répons ou antiennes, à d'autres répons ou antiennes de l'Antiphonaire grégorien. Le Siège  apostolique trouva ces nuances   si légères qu'il ne jugea pas à propos de réclamer :1a Liturgie gallicane n'en était pas moins détruite sans retour, et les usages romains introduits (mais non, hélas ! sans retour) dans le florissant empire des Francs.

Le travail d'Amalaire essuya néanmoins une vive critique dans l'Église de Lyon. Ce siège était occupé par le fameux Agobard, prélat que son Église honore d'un culte que le Siège apostolique n'a pas ratifié. Il se déchaîna avec violence contre Amalaire, dans un opuscule qu'il intitula

 

(1) Biblioth. Max. Patrum, tom, XIV, pag. 1032-1o61.

 

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de la divine Psalmodie, et lui reprocha d'avoir attaqué la sainte Eglise de Lyon, non-seulement de vive voix, mais par écrit, comme ne suivant point l'usage légitime dans la célébration des offices. Agobard avait à venger en ceci une querelle personnelle. Il avait corrigé aussi, à sa manière, l'Antiphonaire, en y retranchant, disait-il, les choses vaines, superflues, ou approchant du blasphème et du mensonge, pour n'y laisser que ce qui était de l'Écriture sainte, suivant l'intention des Canons (1).

L'Antiphonaire de Metz, au contraire, offrait un certain nombre de pièces en style ecclésiastique, et qui n'étaient point formées des paroles de l'Écriture.

Il est assez étrange que l'Antiphonaire romain, que Pépin et Charlemagne avaient établi à Lyon, si peu d'années auparavant, renfermât tant de choses répréhensibles; mais l'étonnement cesse quand on lit le livre du même Agobard, de Correctione Antiphonarii. On voit que cet évêque n'était point étranger aux théories qui furent improuvées en Espagne, dans ce quatrième concile de Tolède, dont nous avons ci-dessus rapporté un canon intéressant. Agobard soutenait aussi qu'on ne devait chanter dans les offices que les seules paroles de la sainte Écriture, et pour mettre la Liturgie d'accord avec son système, il avait commencé par retrancher des livres grégoriens tout ce qui pouvait y être contraire.

Dans ce dernier ouvrage dont nous venons de parler, il attaque principalement le livre d'Amalaire, de Ordine Antiphonarii, et fait une critique amère et violente de plusieurs antiennes et répons qu'il prétend être de la composition du liturgiste de Metz. Il est fâcheux pour la réputation  d'Agobard, qui, au reste, n'a jamais joui de

 

(1) Antiphonarium pro viribus nostris magna ex parte correximus, amputatis his quae vel superflua, vel levia, vel mendacia, aut blasphéma vide-bantur. (Agobard. De Correctione Antiphonarii, Biblioth. Max. Patrum, tom. XIV, pag. 322.)

 

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celle d'un homme impartial, que la plupart des pièces - qu'il impute à Amalaire, aient fait partie de tout temps de l’Antiphonaire même de saint Grégoire, ainsi que le B. Tommasi l'a fait remarquer dans ses notes sur les livres Responsoriaux et Antiphonaires ( 1 ) ; sur quoi notre illustre D. Mabillon dit ces paroles : Ainsi, de rigides censeurs provoquent quelquefois contre eux-mêmes la juste censure d'autrui (2). » Si donc Amalaire était répréhensible pour avoir inséré quelque chose dans l'Antiphonaire, Agobard l'était bien davantage, lui qui n'avait pas craint de retrancher de son autorité privée tout ce qui n'était pas tiré des paroles mêmes de l'Écriture sainte. L'un avait attenté, du moins en quelque chose, à la pureté de la Liturgie ; l'autre y avait attenté gravement, et, de plus, avait osé contester un des principaux caractères de toute Liturgie, le caractère traditionnel.

Au reste, l'œuvre d'Amalaire resta, parce qu'elle était dans le vrai, malgré certaines hardiesses ; celle, au contraire, d'Agobard, ne lui survécut pas, au moins dans la partie systématique. On trouve, en effet, dans l'ancienne Liturgie lyonnaise, grand nombre de pièces en style ecclésiastique; nous nous contenterons de rappeler ici la magnifique Antienne : Venite, populi, ad sacrum et immortale mysterium, etc., qui se chantait pendant la communion. Quant aux offices de l'Église de Lyon, tels qu'ils s'étaient conservés jusqu'au siècle dernier, nous en donnerons une idée suffisante dans une autre partie de cet ouvrage.

La controverse d'Amalaire et d'Agobard nous amène à parler d'un développement que leur époque vit naître dans la Liturgie. Il s'agit des tropes, qui furent comme une

 

(1)  Ven. viri   Josephi-Mariae Tommasii, S.  R. E.   Cardinalis Opera, tom. IV et V, passim.

(2)  Sic rigidi censores aliquando in se provocant justam censuram aliorum. (Musœum Italicum, tom. II, pag. 4.)

 

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première ébauche des séquences qui leur succédèrent. Les tropes étaient une sorte de prologue qui préparait à l’Introït. Nous avons cité, au chapitre vu, celui qu'on chantait le premier dimanche de l'Avent, en l'honneur de saint Grégoire. Plus tard, on intercala des tropes dans les pièces de chant, dans le corps même des Introït, entre les mots Kyrie et eleison, à certains endroits du Gloria in excelsis, du Sanctus et de l’Agnus Dei. On en plaça aussi à la suite du verset Alleluia, en prenant pour motif, dans le chant, la modulation appelée Neuma ou Jubilus, qui suit toujours ce verset. Cette dernière espèce de trope fut appelée séquence, du nom qu'on donnait alors à cette suite de notes sur une même dernière syllabe (1).

Le cardinal Bona et la plupart des auteurs s'accordent assez généralement à attribuer l'invention première des séquences au B. Notker Balbulus, moine de Saint-Gall, dont nous allons parler plus loin ; mais une précieuse découverte faite par l'abbé Lebeuf, sur un manuscrit de la bibliothèque du roi, nous contraint de placer plus haut l'institution des tropes qui, à le bien prendre, ne forment point un genre différent des séquences mêmes. Le docte sous-chantre d'Auxerre indique un manuscrit du Liber pontificalis (ouvrage attribué, comme on sait, à Anastase le Bibliothécaire), à la suite duquel se trouve la vie du pape Adrien II (2); mais, à la différence des manuscrits édités par Bianchini, Vignoli et Muratori, la vie de ce pape que ces derniers nous présentent tronquée, offre, sur le manuscrit cité par Lebeuf, des particularités curieuses qui ne se trouvent point sur ceux qu'ont publiés ces auteurs. Nous renvoyons ce passage dans les notes du présent chapitre (3). Il y est dit qu'Adrien II, à l'exemple du

 

(1)  Bona, Rerum liturgicarum lib. II, cap. III et VI. Edit. Sala, tom. III, pag. 54 et 137.

(2)  Lebeuf, Traité historique sur le Chant ecclésiastique, pag. 103.

(3)   Vid. la Note E.

 

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premier pape de son nom, compléta en divers endroits l'Antiphonaire romain, qu'il plaça, en tête de la messe du premier dimanche de l'Avent, un prologue en vers hexamètres, destiné à être chanté ; que ce prologue commence de la même manière que celui qu'Adrien Ier avait composé, mais qu'il renferme un plus grand nombre de vers. On doit donc faire remonter au VIII° siècle la première origine de cet éloge de saint Grégoire que nous avons rapporté ci-dessus, et par là même des tropes; car cet éloge est un véritable trope (1).

La chronique ajoute qu'Adrien II ordonna que, même dans les monastères, à la messe solennelle, aux principales fêtes, on chanterait non-seulement au Gloria in excelsis, mais encore à l’Introït, ces hymnes intercalées que les Romains appellent festivae laudes, et les Français tropes. Le même pape voulut aussi qu'avant l'Évangile on chantât ces mélodies qu'on appelle séquences; et comme, ajoute la chronique, ces chants festifs avaient été premièrement établis par le seigneur Grégoire Ier et, plus tard, par Adrien, aidé de l'abbé Alcuin, ami particulier du grand empereur Charles, qui prenait un singulier plaisir à ces chants, mais qu'ils tombaient déjà en désuétude par la négligence des chantres, l'illustre pontife dont nous parlons les rétablit à l'honneur et gloire de Notre Seigneur Jésus-Christ, en sorte que désormais on employa, pour les chants de la messe solennelle, non plus

 

(1) Voici les vers qu'on trouve sur la plupart des anciens manuscrits de l'Antiphonaire grégorien. D'après la chronique que nous suivons, ils doivent être de saint Adrien Ier, puisqu'ils sont moins nombreux et moins complets que ceux que nous avons rapportés.

 

Gregorius Prœsul meritis et nomine dignus,

Unde genus duxit summum conscendit honorem,

Renovavit monumenta patrumque priorum,

Tunc composuit hunc libellum musicae artis

Scholae cantorum anni circuit. Eia, die Domine, eia.

 

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seulement le Livre des antiennes, mais aussi le Livre des tropes. »

Il résulte de cet important fragment, que les séquences existaient déjà au temps d'Adrien II, qui siégea en 867, et que ce pape en renouvela l'usage déjà assez ancien. Nous ne pensons pas au reste qu'on puisse soutenir ce qui est dit ici de saint Grégoire, comme ayant institué cette forme de chant; il en serait resté quelque autre trace dans l'antiquité. Peut-être pourrait-on, avec quelque probabilité, entendre ceci de saint Grégoire II, qui paraît s'être occupé du chant ecclésiastique. Quoi qu'il en soit, Notker ne fut donc point l'auteur des tropes et des séquences, bien qu'il ait contribué à en répandre l'usage, ainsi que nous le rapporterons plus loin.

Les conséquences de l'institution de ces sortes de récits poétiques et ornés d'un certain rhythme, furent importantes, pour l'avenir de la Liturgie. D'abord, sous le rapport de la composition des formules saintes, elles consacrèrent de plus en plus le principe, contesté par Agobard et le concile de Brague, que les chants sacrés ne sont pas exclusivement composés des paroles de l'Écriture sainte. Sans doute, comme nous venons de le dire, l'Antiphonaire et le Responsorial romains renfermaient déjà une certaine quantité de pièces en style ecclésiastique ; mais le nombre toujours croissant des tropes et des séquences mettait de plus en plus le principe dans tout son jour. Rome, qui n'avait pas d'abord adopté les hymnes, paraît avoir imité en cela, au plus tard vers le XI° siècle, les églises ambrosienne, gallicane et gothique; elle y était préparée naturellement par l'emploi des tropes et des séquences. Bien plus, l'Église de Lyon, en dépit d'Agobard, adopta aussi de bonne heure ces poétiques superfétations, et a gardé plus longtemps que toute autre les tropes du Kyrie eleison et du Sanctus. On ne pouvait donner un plus énergique démenti à ceux qui se scandalisaient d'entendre parfois

 

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retentir la grande voix de l'Église elle-même, dans les intermèdes de la psalmodie.

Une autre conséquence de l'institution des tropes fut une révolution dans la marche du chant ecclésiastique. On n'en vint pas tout d'abord à y chercher une mesure proprement dite; mais la composition cadencée et presque toujours rimée de ces pièces, pour être sentie dans le chant, demandait une autre facture à la phrase grégorienne. La physionomie primitive du chant se trouva donc nécessairement modifiée, dans ces parties nouvelles; le caractère des diverses nations de l'Occident, ou plutôt le génie de la chrétienté occidentale, se fit jour par ses propres forces dans ces essais encore mal assurés. Les Français jouèrent un grand rôle dans cette puissante innovation, qui était arrivée à sa pleine maturité à l'ouverture du XIe siècle, époque qui vit la lutte du sacerdoce et de l'empire, les croisades et la reconstruction de nos cathédrales sur un plan si mystérieusement sublime. On garda toutefois assez fidèlement, sauf les variantes inévitables dont nous avons signalé la cause, les pièces du répertoire grégorien ; mais elles contrastèrent désormais avec le genre des morceaux qu'on y accola pour célébrer les fêtes nouvelles, celles des patrons et autres solennités locales. Un ouvrage spécial serait ici nécessaire, nous le sentons : les matériaux ne nous manqueraient pas. Pour le présent, nous dirons seulement que l'on peut ranger les morceaux de chant ecclésiastique composés, du VIII° au XI° siècle, en deux grandes classes : l'une composée des pièces traitées en tout ou en partie dans le grand style grégorien (1), l'autre empreinte d'un caractère nouveau, à la fois rude et pesamment mélodieux (2). Cette dernière classe  se  subdivise encore  en

 

(1)  Le graduel,  l’alleluia et la communion de la Toussaint; les antiennes de la même fête. Il est possible aussi que ces pièces aient été composées à Rome.

(2)  Les antiennes de la fête de la sainte Trinité, l'hymne Gloria laus, du dimanche des Rameaux, celle O Redemptor, dans la consécration des saintes Huiles, etc.

 

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pièces ornées de rimes et d'une certaine mesure, et en pièces de prose, mais revêtues d'une mélodie recherchée et totalement étrangère, pour le caractère, à celle de la phrase grégorienne.

Cette révolution, dans une partie si capitale de la Liturgie, agita grandement les compositeurs du chant, surtout dans les monastères qui ont été pendant de longs siècles, avec les cathédrales, les seules écoles de musique en Occident. De nombreux auteurs, en ces deux siècles, cherchèrent à résumer la synthèse de la musique, ou à formuler de nouveaux moyens de l'écrire. Mais au milieu de cette agitation, les vraies traditions étaient en souffrance, et l'on peut affirmer que si les livres romains n'eussent été déjà introduits en France, par la puissante volonté de Pépin et de Charlemagne ; si toute l'économie des fêtes de l'année chrétienne n'eût déjà reposé sur ce répertoire admirable; aujourd'hui, nous ne connaîtrions qu'en théorie les antiques modes de la musique, et nous ignorerions, dans cet art, un passé de deux mille ans. C'est ainsi qu'en toutes choses, le catholicisme a su marier aux effets de l'activité propre de chaque nation, l'immobilité de ses formes : d'où résulte ce mélange de mouvement et de solidité, qui est l'ordre vivant. Il n'y a eu dégradation que quand on a voulu isoler ce que Dieu et son Église avaient uni.

Fils et successeur de Louis le Pieux, Charles le Chauve ne se montra pas moins zélé que les chefs de sa race pour l'établissement des usages romains dans toute la France. Il dit dans une lettre au clergé de Ravenne : « Jusqu'au temps de notre aïeul Pépin, les Églises gallicanes célébraient les divins offices autrement que l'Église romaine, ou celle de Milan. Nous avons vu des clercs

 

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de l'Église de Tolède célébrer en notre présence les saints offices suivant la coutume de cette Église ; pareillement, on a célébré devant nous la messe solennelle selon la coutume de Jérusalem, d'après la Liturgie de saint Jacques, et selon la coutume de Constantinople, d'après la Liturgie de saint Basile, pour nous, nous jugeons que c'est l'Église romaine qu'il faut suivre dans la célébration de la messe (1) »

Ces paroles de Charles le Chauve, qui montrent si bien l'intérêt que cet empereur portait aux choses de la Liturgie, nous engagent à mentionner ici les princes de cette r époque qui témoignèrent le plus grand respect pour les offices  divins.   Ainsi,   nous   rappellerons   la   piété   de e Lothaire, fils aîné de Louis le Pieux, qui, au rapport dé Léon d'Ostie, entendait chaque jour  trois  messes  (2). Othon Ier, empereur en 962, assistait tous les jours à tout l'office, et dans les solennités, suivant Ditmar, historien contemporain, il se rendait à l'église avec pompe et en procession, accompagné des évêques et de tout le clergé, avec les croix, les reliques et les encensoirs, pour assister à vêpres, à matines et à la messe, et il ne se retirait jamais avant la  fin.  En  Angleterre,   au  IXe  siècle,  florissait Alfred, prince qui fut aussi grand que le lui permit le théâtre trop restreint de sa gloire. Il aima aussi les offices divins, et ce grand guerrier, ce puissant législateur, ce sage véritable, partageait les vingt-quatre heures du jour en trois parties égales, en donnant huit à la prière et à la lecture, huit aux nécessités du corps, huit aux affaires de son royaume. Sur les huit heures consacrées à la prière, il assistait à tous les offices du jour et de la nuit, et Guillaume de Malmesbury nous apprend qu'il avait toujours le livre des offices divins dans son sein, afin d'y recourir

 

(1) Baluze, Capitularia Regum Francorum, t, II, p. 730. V. la Note F,

(2) Chronic. Cassinense, lib. IV, cap. 125.

 

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pour prier, dans tous les moments de loisir qu'il pouvait avoir. Telle était la religion profonde de ces grands chefs des peuples qui travaillèrent, de concert avec l'Église, à tirer l'Europe de la barbarie.

Pendant que l'unité liturgique et, par elle, l'orthodoxie jetaient de si profondes racines dans l'Occident, l'Église d'Orient était ensanglantée par les fureurs de l'hérésie iconoclaste. La décision du septième concile général en faveur des saintes images fut un grand fait liturgique, Par cette décision, l'Église sanctionna pour jamais l'emploi de la forme extérieure dans les objets du culte chrétien, et sauva l'art près d'expirer sous les coups du plus brutal fanatisme. La place nous manque ici pour raconter en détail cette victoire; mais nous devions au moins l'enregistrer dans notre récit. Le même sentiment qui portait les fidèles à vénérer les reliques des saints, les devait conduire naturellement à honorer leurs images. Nous verrons l'hérésie antiliturgiste parcourir la même ligne dans ses blasphèmes et ses violences.

Il est temps de donner la liste des auteurs qui ont travaillé sur la Liturgie, à l'époque qui nous occupe, c'est-à-dire, durant les IX° et X° siècles.

Nous commencerons notre liste à Oldibert, ou Odelpert, qui fut fait archevêque de Milan vers 804. Il composa, à la demande de Charlemagne, comme plusieurs autres évêques de son temps, un livre de Baptismo.

(808). Joseph Studite, frère de saint Théodore Studite, et archevêque de Thessalonique, est auteur de plusieurs hymnes dans la Liturgie grecque.

(810). Philoxène, évêque de Bagdad, écrivit un traité sur les offices divins, et composa une Anaphore qui se trouve dans la collection de Renaudot.

(810). Amalaire Fortunat, archevêque de Trêves, est auteur d'un livre de Ratione rituum sacri Baptismatis.

(812). Amalaire, prêtre  de l'église de Metz, est, dans

 

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l'ordre des temps, après saint Isidore de Séville, l'auteur le plus important sur l'ensemble de la Liturgie. Ses quatre livres de Ecclesiasticis Officiis, sont du plus grand prix pour l'explication des mystères de l'office divin. Nous y puiserons souvent dans la suite. La place nous manque pour insérer ici la table des chapitres de cet ouvrage, ainsi que nous l'avons fait pour les Origines ecclésiastiques de saint Isidore. On a reproché à Amalaire d'avoir poussé à l'excès la recherche des sens mystiques dans les choses de la Liturgie. Il peut y avoir quelque fondement à ce reproche : nous examinerons ailleurs les règles à suivre dans l'explication mystique des particularités du service divin, pour se tenir éloigné de tout excès dans un sens comme dans l'autre. Nous avons parlé ci-dessus du livre d'Amalaire, intitulé de Ordine Antiphotiarii. Baluze, à la suite de ses Capitulaires, a publié, du même auteur, un opuscule intitulé : Eclogœ in Canonem Missœ.

(813). Saint Théodore Studite, archimandrite, intrépide défenseur des saintes images, a composé une grande quantité d'hymnes et de prières qui sont en usage dans la Liturgie grecque, pendant le carême.

(813). Agobard, archevêque de Lyon, a écrit, comme nous l'avons rapporté, contre Amalaire de Metz, 1° de Psalmodia; 2° de Correctione Antiphonarii; 3° Liber adversus Amalarium.

(813). Maxence, patriarche d'Aquilée, composa aussi, à la prière de Charlemagne, une lettre de Ritibus Baptismi, eorumque significatu.

(818). Théodore et Théophane Graptus, moines de saint Sabbas, illustres défenseurs des saintes images, sont auteurs de plusieurs hymnes de la Liturgie grecque.

(820). Josué, patriarche des nestoriens, écrivit de la Distinction des Offices ; de leur interprétation, et de la Vertu des hymnes.

(820). Icasie, princesse grecque, qui fut au moment de

 

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ceindre le diadème d'impératrice et d'obtenir la main de l'empereur Théophile, acheva sa vie dans les loisirs de l'étude et de la contemplation. Elle composa plusieurs hymnes ecclésiastiques dont quelques-unes sont entrées dans la Liturgie grecque.

(83o). Hélisacar, chancelier de Louis le Débonnaire, abbé de Saint-Riquier et ensuite de Saint-Maximin de Trêves, mit en ordre l'Antiphonaire romain, à l'usage de plusieurs églises.

(837). Florus, diacre de Lyon, a laissé une Exposition du Canon de la messe.

(840). Loup, abbé de Ferrières, est auteur de deux hymnes en l'honneur de saint Vigbert.

(841). Grimoald, abbé de Saint-Gall, archichapelain de Louis le Débonnaire, fit une révision du Sacramentaire de saint Grégoire.

(842). Walafrid Strabon, abbé d'Augie-la-Riche, est auteur d'un précieux opuscule intitulé : De Officiis divinis, sive de exordiis et incrementis rerum ecclesiasticarum. Ce livre est encore une des principales sources de la science liturgique du moyen âge.

(845). Eldephonse ou Ildephonse, évêque espagnol, a laissé un opuscule dans lequel il traite des hosties destinées au sacrifice eucharistique, et explique les mystères signifiés par leur figure, leur poids, leur nombre, leur inscription, etc.

(847). Rhaban Maur, d'abord abbé de Fulde, puis archevêque de Mayence, est aussi un des principaux liturgistes du moyen âge. Il mérite ce titre par ses trois livres de Institutione clericali, qui renferment la plus riche instruction. Il y faut joindre plusieurs hymnes, un opuscule de Sacris Ordinibus, sacramentis divinis et vestimentis sacerdotalibus, et enfin le Martyrologe qui porte le nom de Rhaban Maur.

 

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(85o). Wandelbert, moine de Prum, est auteur d'un Martyrologe en vers.

(85o). Aurélien, moine de Moutier-Saint-Jean, a composé un traité sur le chant, qu'il dédia à Bernard, archi-chantre. Nous n'avons plus cet ouvrage.

(853). Rodrade, prêtre d'Amiens, fit, à l'usage de cette église, une révision du Sacramentaire grégorien, qu'il divisa en deux livres.

(853). Joseph, de Sicile, surnommé l’Hymnographe, est auteur de beaucoup d'hymnes en usage dans la Liturgie grecque. Sa fécondité dans ce genre fut si grande, qu'il n'en a pas laissé moins de six cents, en l'honneur de la sainte Vierge. Ces cantiques sont d'une grande onction, et souvent d'une poésie sublime.

(856). Angelome, moine de Luxeuil, en Bourgogne, écrivit un livre de Divinis Officiis.

(859). Adon, archevêque de Vienne, est auteur du fameux Martyrologe qui porte son nom.

(86o). Charles le Chauve, empereur, passe pour avoir composé un Office en l'honneur du saint suaire, dont l'église de Compiègne fut enrichie de son temps. On lui attribue aussi un répons de saint Martin, qui commence par ces mots : O quam admirabilis.

(862). Salvus, abbé d'Alvelda, en Navarre, composa des hymnes et des oraisons ecclésiastiques.

(863). Moyse Barcepha, nommé aussi Sévère, évêque de Mosul, de la secte des jacobites, est auteur d'une anaphore au Missel syriaque; de deux traités, l'un sur le saint Chrême, l'autre sur le Baptême, et d'une explication des cérémonies usitées dans la tonsure des moines.

(867). Basile le Macédonien, empereur de Constantinople, fit faire une édition du Ménologe, augmentée et ornée des images des saints. C'est celle qui porte son nom et qui a été publiée, par ordre dé Benoît XIII, à Urbin, en

 

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1727. Allatius attribue ce Ménologe à Basile le Jeune, qui régna en 977.

(876). Usuard, moine de Saint-Germain-des-Prés, compila, par ordre de Charles le Chauve, un Martyrologe formé de ceux qui avaient déjà été publiés.

(878). Adelhelme, évêque de Séez, composa un recueil de bénédictions pour la Messe, suivant l'usage qui s'en était conservé en France, même après l'introduction des usages romains. Ce recueil en contient trente-six; elles sont pour les dimanches qui suivent Noël et l'Epiphanie, jusqu'au Carême exclusivement.

(880). Rémi, moine de Saint-Germain d'Auxerre, fut un chantre de premier ordre, comme le prouve son commentaire manuscrit sur le traité de Musica de Martianus Capella. L'abbé Lebeuf dit de lui qu'il tenait d'Héric la science du chant; qu'Héric la tenait de Rhaban et d'Haymon d'Halberstadt, lesquels avaient conversé avec les chantres romains venus en France sous Charlemagne, ou avec leurs premiers élèves. On lui donne, dans la Bibliothèque des Pères de Lyon, une exposition de la Messe. Trithème lui attribue aussi un livre de Festivitatibus Sanctorum; enfin, on trouve dans le grand ouvrage de D. Martène, de antiquis Ecclesiœ Ritibus, un petit traité attribué au même Rémi d'Auxerre, et intitulé : de Dedicatione Ecclesiœ.

(880). Georges, archevêque de Nicomédie, est auteur de plusieurs hymnes de la Liturgie grecque.

(886). Léon le Philosophe, empereur de Constantinople, a composé aussi plusieurs pièces du même genre, qui se trouvent pareillement dans les livres d'offices des Grecs.

(892). Réginon, abbé de Prum, adressa à Radbod, archevêque de Trêves, un traité de harmonica Institutione, et compila un Lectionnaire pour toute l'année.

(899). Hucbald, moine de Saint-Amand, au diocèse de Tournay, fut un chantre fameux. Pendant un séjour qu'il fit à Reims, il composa le chant et les paroles d'un office

 

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en l'honneur de saint Thierry, pour les moines de cette abbaye. Il enrichit encore d'autres églises de ses mélodies, principalement celles de Meaux et de Nevers. Il avait composé deux traités sur la musique, dans l'un desquels il avait fixé des signes pour marquer les différents tons de l'octave.

(900). Aurélien, clerc de l'Église de Reims, écrivit de Regulis modulationum, quas tonos, sive tenores appellant, et de earum vocabulis.

(901). Le moine Marc a composé beaucoup d'hymnes qui se trouvent dans la Liturgie grecque, aux offices de la semaine sainte.

(9o3). Etienne, évêque de Liège, est auteur d'un office en l'honneur de la sainte Trinité, dont une grande partie se trouve dans celui que l'Église romaine emploie en cette solennité. Il en composa aussi le chant, et fit en outre un office pour la fête de l'Invention de saint Etienne.

(9o3). Helpéric, moine de Saint-Gall, écrivit un livre de Musica, et un autre de Computo ecclesiastico.

(904). Notker le Bègue, moine de Saint-Gall, a donné un Martyrologe qui porte son nom. En outre, il composa un grand nombre de séquences et d'hymnes, que l'on peut voir dans le tome II des Lectiones antiquae de Canisius, et dans le tome I des Anecdotes de D. Bernard Pez. Nous ne les indiquons pas plus explicitement, parce que ces pièces ne sont pas employées dans les Offices de l'Église. Notker écrivit aussi un traité sur les notes usitées dans la musique ; il fut un des plus fameux chantres dans l'abbaye de Saint-Gall, qui était une académie de chant ecclésiastique pour les moines, comme l'école de l'Église de Metz en fut une pour le clergé séculier de la France.

(910). Etienne, abbé de Lobbes, nota le chant d'un Office en l'honneur de saint Lambert.

(917). Saint Ratbod, évêque d'Utrecht, composa le chant d'un Office en l'honneur de saint Martin; il a laissé

 

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aussi deux hymnes, à l'honneur de saint Switbert et de saint Lebwin.

(926). Saint Odon, illustre abbé de Cluny, et le fondateur de l'Ordre de ce nom, est auteur de sept antiennes en l'honneur de saint Martin, de deux hymnes pour la fête du même saint, et d'une autre sur sainte Marie-Magdeleine.

(93o). Gobert, évêque de Laon, écrivit une sorte de poëme de Tonsura, vestimentis et vita clericorum.

(944.) Foulques II, dit le Bon, comte d'Anjou, fut un grand prince; mais ses qualités élevées ne l'empêchèrent pas de montrer, comme Pépin, Charlemagne et Alfred le Grand, un zèle empressé pour les offices divins. Il y assistait en habit clérical, et chantait l'office avec le clergé ; sur quoi le roi Louis d'Outremer l'ayant raillé, le comte lui fit dire qu'un roi sans lettres est un âne couronné. — La Liturgie était regardée par ces grands chefs des peuples comme le plus noble et le plus puissant véhicule des idées de progrès. Foulques était habile dans le chant, et composa douze répons en l'honneur de saint Martin.

(945). Georges, patriarche des nestoriens, écrivit un livre intitulé : Déclaration de tous les Offices ecclésiastiques, et leur objet; avec l'explication de la divine économie et des fêtes du Seigneur.

(945). Guy, évêque d'Auxerre, travailla sur le chant ecclésiastique, et appliqua sur des paroles de son choix, en l'honneur de saint Julien de Brioude, la mélodie du chant des répons, qu'Héric et Rémi, moines de l'abbaye de Saint-Germain, avaient composés pour la fête de leur saint patron.

(949). Constantin Porphyrogénète, empereur d'Orient, écrivit un Cérémonial, tant à l'usage de la cour de Constantinople, que pour marquer ce qui concernait les processions et les autres rites de l'Église, dans les fêtes solennelles.

 

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(961), Saint Dunstan, archevêque de Cantorbéry, est auteur d'un Bénédictional archiépiscopal.

(971). Notker, ou Notger, évêque de Liège, auparavant moine de Saint-Gall, comme son homonyme, a, comme lui, travaillé sur la musique ecclésiastique, et fait un recueil de séquences.

(978). Hartmann et Ekkehard, moines de Saint-Gall, formés à l'école de Notker Balbulus, composèrent diverses hymnes, litanies en vers, et autres morceaux rimes et mesurés qui se trouvent recueillis, au tome II des Lectiones antiquae de Canisius.

(980). Élie, évêque de Cascare, écrivit des Bénédictions et oraisons, un livre de l'Usage des Psaumes, et un autre des Sacrements ecclésiastiques.

(982). Jean, abbé de Saint-Arnould de Metz, composa des chants pour la fête de sainte Lucie et de sainte Glosside.

(985). Sabarjésus, prêtre nestorien, écrivit une Bénédiction, ou formule, pour renvoyer le peuple à la fin de la Messe.

(997). Robert, roi de France, est auteur de plusieurs pièces de chant dont nous parlerons au chapitre suivant.

(997). Létalde, moine de Micy, étant venu au Mans pour voir l'abbaye de Saint-Pierre de la Couture, fut prié par l'évêque Avesgaud de revoir la vie de saint Julien. Lorsqu'il eut accompli ce travail, le même évêque lui demanda de composer un office entier en l'honneur de ce saint apôtre du Maine. Létalde en nota aussi le chant, et, dans ce travail, il s'attacha au style ancien du chant grégorien qu'on altérait déjà en plusieurs lieux; « car, dit-il, je n'aime pas la nouveauté de certains musiciens qui introduisent un genre tellement à part, qu'ils dédaignent de suivre les anciens (1). » Cet office, si précieux pour

 

(1) Non enim mihi placet quorumdam musicorum novitas, qui tanta dissimilitudine utuntur, ut veteres sequi omnino dedignentur auctores. (Annal, ord. S. Bened., tom. IV, pag. 110.)

 

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le chant et les paroles, est resté en usage dans l'Église du Mans, jusqu'en 1750, qu'il lui a fallu disparaître, avec toutes les antiques mélodies si chères à nos pères, devant la muette et lourde compilation de Lebeuf.

(999). Héribert, archevêque de Cologne, qui clôt la liste des liturgistes du X° siècle, a composé un livre de Ecclesiasticis Officiis.

Concluons ce chapitre par les observations suivantes :

Au VIIIe siècle, le Siège apostolique commence à poser en principe la nécessité pour les anciennes églises d'Occident d'embrasser la Liturgie romaine dans toute sa plénitude.

L'Église gallicane voit tomber ses anciens usages devant ceux de Rome et abjure des traditions vénérables sans doute, mais c'est pour en embrasser déplus sacrées encore.

Le but des papes et des princes français, dans ce grand œuvre, est de resserrer le lien de l'unité, en détruisant une divergence liturgique jugée par eux dangereuse dans ses conséquences.

L'esprit français adopte volontiers ce nouveau régime liturgique, mais il ne tarde pas à manifester sa mobilité qu'il déguise souvent sous couleur de perfectionnement, en altérant en plusieurs choses le dépôt delà Liturgie romaine.

Néanmoins, ces variantes n'affectent point le fond, et le VIIIe siècle voit commencer la période d'environ mille ans, durant laquelle l'Église de France se fera gloire d'avoir une seule et même prière avec l'Église romaine.

L'époque de l'unité liturgique devient une époque de haute civilisation chrétienne; Charlemagne s'aide de ce moyen puissant dans l'accomplissement de ses grands projets : au chapitre suivant, nous verrons le Charlemagne de l'Église, saint Grégoire VII, hâter les grandes destinées de l'Espagne, en la faisant participer, au moyen de la Liturgie romaine, aux mœurs de la chrétienté occidentale.

 

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NOTES DU CHAPITRE X

 

NOTE A

 

A cujus Romanae Ecclesia; sancta et veneranda communione multis recedentibus, nostras tamen partis nunquam recessit Ecclesia, sed ea apostolica traditione instruente, et eo a quo est omne donum optimum tribuente, semper suscepit reverenda charismata. Quae dum a primis fidei temporibus cum ea perstaret in religionis sacras unione, et ab ea paulo distaret, quod tamen contra fidem non est, in Officiorum celebratione, vener. mem. genitoris nostri illustrissimi Pipini regis cura et industria, sive adventu in Gallias sanctissimi viri Stephani Romanae urbis Antistitis, est ei etiam in psallendi ordine copulata, ut non esset dispar ordo psallendi, quibus erat compar ardor credendi, et quae unitas erant unius sanctae legis sacra lectione, essent etiam imita; unius modulationis veneranda traditione, nec sejungeret Officiorum varia celebratio, quas conjunxerat unicae fidei pia devotio. (Contra Synodum Grœcorum de imagin., lib. I.)

 

NOTE B

 

Quod quidem et nos, collato nobis a Deo regno Italias, fecimus, sanctas Romanae Ecclesiae fastigium sublimare cupientes, reverendissimi Papae Adriani salutaribus exhortationibus parere nitentes : scilicet ut plures illius partis Ecclesiae, quas quondam Apostolicas Sedis traditionem in psallendo suscipere recusabant, nunc eam cum omni diligentia amplectantur; et cui adhaeserant fidei munere, adhaereant quoque psallendi ordine. Quod non solum omnium Galliarum provinciae, et Germania, sive Italia, sed etiam Saxones, et quasdam Aquilonaris plagae gentes, per nos, Deo annuente, ad fidei rudimenta conversas, facere noscuntur. (Ibidem.)

 

NOTE C

 

Hujus modulationis dulcedinem inter alias Europas gentes, Germani, seu Galli, discere, crebroque rediscere insigniter potuerunt : incorruptam vero tam levitate animi, quia nonnulla de proprio Gregorianis cantibus misuerunt, quam feritate quoque naturali, servare minime potuerunt. Alpina siquidem corpora, vocum suarum tonitruis altisone perstrepentia, susceptae modulationis dulcedinem proprie non resultant : quia bibuli gutturis barbara feritas, dum inflexionibus et repercussionibus mitem nititur

 

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edere cantilenam, naturali quodam fragore, quasi plaustra per gradus confuse sonantia rigidas voces jactat, sicque audientium animos, quos mulcere debuerat, exasperando magis ac obstrependo conturbat. (Johan. Diac. Vita S. Gregorii, lib. II, cap. VII.)

 

NOTE D

 

Reversus est (e ducatu nempe Beneventano) rex piissimus Carolus, et celebravit Romae Pascha cum Domno Apostolico. Ecce orta est contentio per dies festos Paschas inter cantores Romanorum et Gallorum. Dicebant se Galli melius cantare et pulchrius quam Romani. Dicebant se Romani doctissime cantilenas ecclesiasticas proferre, sicut docti fuerant a sancto Gregorio Papa; Gallos corrupte cantare, et cantilenam sanam destruendo dilacerare. Quas contentio ante Domnum Regem Carolum pervenit. Galli vero, propter securitatem regis Caroli,  valde exprobrabant cantoribus Romanis. Romani vero propter auctoritatem magnas doctrines, eos stultos, rusticos et indoctos, velut bruta animalia, affirmabant, et doctrinam sancti Gregorii praeferebant rusticitati eorum. Et cum altercatio de neutra parte finiret, ait Domnus piissimus Rex Carolus ad suos cantores : Dicite palam, quis purior est, et quis melior, aut fons vivus, aut rivuli ejus longe decurrentes ? Responderunt omnes una voce, fontem, velut caput et originem, puriorem esse; rivulos autem ejus, quanto longius a fonte recesserint, tanto turbulentos, et sordibus ac immunditiis corruptos. Et ait Domnus Rex Carolus : Revertimini vos ad fontem sancti Gregorii, quia manifeste corrupistis cantilenam ecclesiasticam. Mox petiit Domnus rex Carolus ab Adriano Papa cantores, qui Franciam corrigerent de cantu. At ille dedit ei Theodorum et Benedictum, Romanas Ecclesia; doctissimos cantores, qui a sancto Gregorio eruditi fuerant, tribuitque Antiphonarios sancti Gregorii, quos ipse notaverat nota Romana. Domnus vero Rex Carolus revertens in Franciam, misit unum cantorem in Metis civitate, alterum in Suessionis civitate, praecipiens de omnibus civitatibus Franciae magistros scholas Antiphonarios eis ad corrigendum tradere, et ab eis discere cantare. Correcti sunt ergo Antiphonarii. Francorum, quos unusquisque pro arbitrio suo vitiaverat addens vel minuens, et omnes Franciae cantores didicerunt notam Romanam, quam nunc vocant notam Franciscam, excepto quod tremulas, sive tinnulas, sive collisibiles vel secabiles voces, in cantu non poterant perfecte exprimere Franci, naturali voce barbarica frangentes in gutture voces potius quam exprimentes. Majus autem magisterium cantandi in Metis civitate remansit. Quantumque magisterium Romanum superat Metense in arte cantilenas, tanto superat Metensis cantilena coderas scholas Gallorum. Similiter erudierunt Romani cantores supradicti cantores Francorum in arte organandi. Et Domnus Rex Carolus iterum a Roma artis grammatices et computatorias magistros secum adduxit in Franciam, et ubique studium litterarum expandere jussit. Ante ipsum

 

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enim Domnum regem Carolum, in Gallia nullum studium fuerat liberalium artium.  (Caroli Magni vita per monachum Engolismensem, apud Duchesne, tome II.)

 

NOTE E

 

Adrianus Papa CVIII. Sedit ann. V. natione Romanus, patre Julio. Hic Ecclesiis ornamenta multa pretiosa superadministravit. Hic Antiphonarium Romanum, sicut anterior Adrianus, diversa per loca corroboravit, et secundum prologum versibus hexametris ad missam majorem in die primo Adventus Domini J.-C. decantandum instituit, qui similiter incipit sicut anterioris Adriani proaemium, quod ille ad omnes missas in eadem Dominica prima Adventus decantandum strictissimum confecerat; sed pluribus iste constat versibus. Hic constituit per monasteria ad missam majorem in solemnitatibus praecipuis, non solum in Hymno Angelico Gloria in excelsis Deo canere Hymnos interstinctos quos Laudes appellant verum etiam in Psalmis Davidicis, quos Introitus dicunt, interserta cantica decantare, quas Romani Festivas Laudes, Franci Tropos appellant : quod interpretatur, Figurata ornamenta in laudibus Domini. Melodias quoque ante Evangelium concinendas tradidit, quas dicunt Sequentias; quia sequitur eas Evangelium. Et quia a Domino Papa Gregorio primo et postmodum ab Adriano una cum Alcuino Abbate, delicioso magni Imperatoris Caroli, hae cantilenas festivales constitutas accomodatas fuerant, multum in his delectato supradicto Caesare Carolo, sed negligentia cantorum jam intermitti videbantur; ab ipso almifico Praesule de quo loquimur, ita corroborat» sunt ad laudem et gloriam Domini nostri J.-C, ut diligentia studiosorum cum Antiphonario simul, deinceps et Tropiarius in solemnibus diebus ad missam majorem cantilenis frequentetur honestis.

Hic constituit ut clerici Romani instruerent pauperes Domini nostri J.-C, fratres nostros, ut ante Dominicum sacratissimum diei Paschse tribus diebus, hoc est, Domini Coena, Parasceve, et sancta sepultura Domini nostri Jesu Christi, non aliter peterent eleemosymam per urbem hanc Romanam (1), nisi excelsa voce cantilenam dicendo per plateas et ante monasteria et Ecclesias hujusmodi ; Kyrie, eleison ; Christe, eleison ; Domine, miserere nobis ; Christus Dominus factus est obediens usque ad mortem. (Apud Lebeuf, Traité historique et pratique sur le Chant ecclésiastique. 1741, pag. 103 et suiv.)

 

NOTE F

 

Nam et usque ad tempora abavi nostri Pipini Gallicanas et Hispanicas Ecclesias aliter quam Romana vel Mediolanensis Ecclesia divina officia

 

(1) Ces paroles, Urbem hanc Romanam, montrent évidemment que ceci a été écrit à Rome.

 

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celebrabant sicut vidimus et audivimus ab eis, qui ex partibus Toletanae Ecclesia; ad nos venientes, secundum morem ipsius Ecclesias coram nobis sacra Missarum officia celebrarunt. Celebrata sunt etiam coram nobis sacra Missarum officia more Hierosolymitano, auctore Jacobo Apostolo, et more Constantinopolitano, auctore Basilio. Sed nos sequendam ducimus Romanam Ecclesiam in Missarum celebratione. (Baluze, Capitularia Regum Francorum, t. II, p. 73o. Glossarium Fr. Pittaei in Epistola Caroli Calvi imperatoris ad Clerum Ravennatum.)

 

 

 

 

 

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